La Cour de Louis XIV

By Imbert de Saint-Amand

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Title: La Cour de Louis XIV

Author: Imbert de Saint-Amand

Release Date: January 12, 2004 [EBook #10689]

Language: French

Character set encoding: ISO Latin-1

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LA COUR DE LOUIS XIV

PAR

IMBERT DE SAINT-AMAND




INTRODUCTION


I


"Vous voulez du roman, dit un jour M. Guizot; que ne vous adressez-vous a
l'histoire?" Le grand ecrivain avait raison. Le roman historique est
maintenant demode. On se lasse de voir defigurer les personnages celebres,
et l'on partage l'avis de Boileau:

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Y a-t-il, en effet, des inventions plus saisissantes que la realite? Un
romancier, si ingenieux qu'il soit, trouvera-t-il des combinaisons plus
variees et des scenes plus emouvantes que les drames de l'histoire?
L'esprit le plus fecond imaginerait-il, par exemple, des types aussi
curieux que ceux des femmes de la cour de Louis XIV et de Louis XV? Sans
doute leur histoire est connue. Je n'ai pas la pretention de recommencer
la biographie de la reine Marie-Therese, de Mme de Montespan, de la mere
du Regent, de la duchesse de Bourgogne, de la duchesse de Berry, des
soeurs de Nesle, de Mme de Pompadour, de Mme du Barry, de Marie Leczinska,
de Marie-Antoinette, de Madame Elisabeth, de la princesse de Lamballe.
Mais je voudrais, sans decrire l'ensemble de leur carriere, tenter de
tracer l'esquisse des heroines qui peuvent etre appelees: _les femmes de
Versailles_.

Pour ce travail de reconstruction, ce ne sont pas les materiaux qui
manquent, ils sont plutot trop abondants. Ce ne sont pas seulement les
anciens memoires, ceux de Dangeau, de Saint-Simon, de la princesse
Palatine, de Mme de Caylus pour le regne de Louis XIV; du duc de Luynes,
de Maurepas, de Villars, du marquis d'Argenson, du president Henault, de
l'avocat Barbier, de l'avocat Marais, de Duclos, de Mme du Hausset pour le
regne de Louis XV; du baron de Bezenval, de Mme Campan, de Weber, du comte
de Segur, de la baronne d'Oberkirch pour le regne de Louis XVI, qui nous
serviront de guide. Ce sont encore les Histoires de Voltaire, de Henri
Martin, de Michelet, de M. Jobez; les patientes investigations de la
science moderne, les travaux des Sainte-Beuve, des Noailles, des Lavallee,
des Walckenaer, des Feuillet de Conches, des Le Roi, des Soulie, des
Rousset, des Pierre Clement, des d'Arneth, des Goncourt, des Lescure, de
la comtesse d'Armaille, de MM. Boutaric, Honore Bonhomme, Campardon, de
Barthelemy et de tant d'autres historiens et critiques distingues.

Assurement, il y a nombre de personnes qui connaissent a fond l'inventaire
de tous ces tresors. A de tels erudits je n'ai la pensee de rien
apprendre, et je ne suis, je le sais, que l'obscur disciple de tels
maitres. Mais peut-etre les gens du monde ne me blameront-ils pas d'avoir
etudie, pour eux, tant d'ouvrages; peut-etre des jeunes filles qui ont
acheve leurs etudes classiques me sauront-elles gre de resumer a leur
intention des lectures qu'elles ne feraient pas. Mon but serait de
vulgariser l'histoire en respectant scrupuleusement la verite, meme
lorsque je ne la dirai pas tout entiere; de repeupler les salles desertes,
de resumer brievement les lecons de morale, de psychologie, de religion,
qui sortent du plus grandiose des palais.

Puissent les femmes de Versailles etre pour moi autant d'Arianes dans ce
merveilleux labyrinthe!

Ce qui facilite la resurrection des femmes de la cour de Louis XIV et de
Louis XV, c'est la conservation du palais ou se passa leur existence.


II


Une ville a rarement presente un spectacle aussi frappant que celui
qu'offrait Versailles en 1871, pendant la lutte de l'armee contre la
Commune. Entre le grand siecle et notre epoque, entre la majeste de
l'ancienne France et les dechirements de la France nouvelle, entre les
horreurs lugubres dont Paris etait le theatre et les radieux souvenirs de
la ville du Roi-Soleil, le contraste etait aussi douloureux que
saisissant. Ces avenues ou l'on se montrait le chef du gouvernement et le
glorieux vaincu de Reichshoffen; cette place d'armes encombree de canons;
ces drapeaux rouges, tristes trophees de la guerre civile, qui etaient
portes a l'Assemblee, a la fois comme un signe de deuil et de victoire; ce
magnifique palais, d'ou semblait sortir une voix suppliante qui adjurait
nos soldats de sauver un si bel heritage de splendeurs historiques et de
grandeurs nationales, tout cela remplissait l'ame d'une emotion profonde.

A l'heure d'angoisses ou l'on se demandait avec une inquietude, helas!
trop justifiee, ce qu'allaient devenir les otages, ou l'on savait que
Paris etait la proie des flammes, ou l'on se disait que peut-etre, de la
Babylone moderne, de la capitale du monde, il ne resterait plus qu'un
monceau de cendres, le Pantheon de toutes nos gloires semblait nous
adresser des reproches et faire naitre dans nos coeurs des remords. La
France de Charlemagne et de saint Louis, de Louis XIV et de Napoleon,
protestait contre cette France odieuse que les hommes de la Commune
avaient la pretention de faire naitre sur les debris de notre honneur.
On se croyait le jouet d'un mauvais reve. Il y avait quelque chose
d'insolite, de bizarre dans le bruit d'armes qui troublait les abords de
ce chateau, calme et majestueuse necropole de la monarchie absolue.

Meme dans ces jours cruels dont le souvenir ne s'effacera jamais de ma
memoire, l'ombre de Louis XIV m'apparaissait sans cesse. J'eus alors le
desir de revoir ses appartements. Ils etaient occupes en partie par le
personnel du ministere de la Justice et par les commissions de
l'Assemblee; mais on avait respecte la chambre du Grand Roi, et aucun
fonctionnaire n'aurait ose transformer en bureau le sanctuaire de la
royaute. Dans notre siecle de demagogie, je ne contemplais pas sans
respect cette chambre ou le souverain par excellence mourut en roi et en
chretien. Que de reflexions me fit faire l'incomparable galerie des
Glaces! A quelques jours de distance, elle avait ete une salle de
triomphe, une ambulance et un dortoir. C'est la que notre vainqueur,
entoure de tous les princes allemands, avait proclame le nouvel empire
germanique. C'est la que les blesses prussiens de Buzenval avaient ete
portes. C'est la que les deputes de l'Assemblee avaient couche quelques
jours en arrivant a Versailles.

Tristes vicissitudes du sort! Cette galerie etincelante, cet asile des
splendeurs monarchiques, ce lieu d'apotheose, ou le pinceau de Lebrun a
ranime les pompes du paganisme et la mythologie; cet Olympe moderne, ou
l'imagination evoque tant de brillants fantomes, ou l'aristocratie
francaise ressuscite avec son elegance et sa fierte, son luxe et son
courage; cette galerie de fetes, qu'ont traversee tant de grands hommes,
tant de beautes celebres, helas! dans quelles circonstances douloureuses
m'etait-il donne de la revoir! De l'une des fenetres, je regardais ce
paysage grandiose ou Louis XIV n'apercevait rien qui ne fut lui-meme, car
le jardin cree par lui etait tout l'horizon. Mes yeux se fixaient sur
cette nature vaincue, sur ces eaux amenees a force d'art qui ne
jaillissent qu'en dessin regulier, sur cette architecture vegetale qui
prolonge et complete l'architecture de pierre et de marbre, sur ces
arbustes qui croissent avec docilite sous la regle et l'equerre. Je
comparais l'harmonieuse regularite du parc a l'art incoherent des epoques
revolutionnaires, et au moment ou l'astre que Louis XIV avait pris pour
devise se couchait a l'horizon, comme le symbole de la royaute evanouie,
je me disais:

"Ce soleil, il reparaitra demain aussi radieux, aussi superbe. O France,
en sera-t-il de meme de ta gloire?"

Je me preoccupais alors de celui que Pellisson appelait le miracle
visible, du potentat en l'honneur duquel tout etait a bout de marbre, de
bronze et d'encens, et qui, pour nous servir d'une expression de Bossuet,
"n'a pas meme joui de son sepulcre." Dieu, me disais-je, lui a-t-il
pardonne cet orgueil asiatique, qui en a fait une sorte de Balthazar et de
Nabuchodonosor chretien? Ce souverain qui chantait avec des larmes
d'attendrissement les hymnes composes a sa louange par Quinault, quelle
idee se fait-il aujourd'hui des grandeurs de la terre? Son ame
s'emeut-elle encore de nos interets et de nos passions, ou bien le monde,
grain de sable, atome dans l'univers immense, est-il trop miserable pour
appeler l'attention de ceux qui ont sonde les mysteres de l'eternite? Que
pense-t-il, ce grand roi, de son Versailles, temple de la royaute absolue
qui devait, avant que le temps eut noirci ses lambris dores, en etre le
tombeau? Quelle opinion a-t-il de nos discordes, de nos miseres, de nos
humiliations? Lui, qui avait conserve un souvenir si amer des troubles de
la Fronde, comment juge-t-il les exces de la demagogie actuelle? Son ame
de roi et de Francais a-t-elle tressailli quand, dans cette salle decoree
de peintures triomphales, le nouveau maitre de Strasbourg et de Metz a
restaure cet empire d'Allemagne que la France avait mis des siecles a
detruire? Quel contraste entre nos revers et les fresques superbes qui
ornent le plafond! La Victoire etend ses ailes rapides, la Renommee
embouche sa trompette. Porte sur un nuage et suivi de la Terreur, Louis
XIV tient en main la foudre. Le Rhin, qui se reposait sur son urne, se
releve epouvante de la vitesse avec laquelle il voit le monarque
traversant les eaux, et d'effroi il laisse tomber son gouvernail. Les
villes prises sont representees sous les traits de ces captives en pleurs.
L'Espagne, c'est le lion blesse; l'Allemagne, c'est cet aigle precipite
dans la poussiere.

Tout en regardant avec melancolie ces eblouissantes et fastueuses
peintures, je me rappelais ces paroles de Massillon: "Que nous reste-t-il
de ces grands noms qui ont autrefois joue un role si brillant dans
l'univers? On sait ce qu'ils ont ete pendant ce petit intervalle qu'a dure
leur eclat; mais qui sait ce qu'ils sont dans la region eternelle des
morts?"

L'esprit plein de ces pensees, je descendais l'escalier de marbre, cet
escalier au haut duquel Louis XIV attendait le grand Conde, qui, affaibli
par l'age et les blessures, ne montait que lentement:

"Mon cousin, lui dit le monarque, ne vous pressez pas. On ne peut pas
monter tres vite quand on est charge, comme vous, de tant de lauriers."

Le soir, je voulais encore revoir la statue du Grand Roi, dont le souvenir
m'avait si vivement impressionne pendant toute la duree du jour. La nuit
etait sereine. Sa beaute douce et recueillie contrastait doublement avec
les fureurs et les agitations des hommes. Son silence etait interrompu par
le bruit de l'artillerie fratricide, qui tonnait dans le lointain. C'est
en l'honneur de Louis XIV que les sentinelles semblaient monter la garde
sur cette place, ou il avait si souvent passe la revue de ses troupes. A
la lueur des etoiles, je contemplais la statue majestueuse de celui qui
fut plus qu'un roi. Sur son cheval colossal, il m'apparaissait comme la
personnification glorieuse du droit qu'on a qualifie de divin.

Republicaine ou monarchique, la France ne doit rien renier d'un tel passe.
L'histoire d'un pareil souverain ne saurait que lui inspirer des idees
hautes, des sentiments dignes d'elle et de lui. Il lutta jusqu'au bout
contre les puissances coalisees, et quand on prononcait en Europe ce mot
unique: le _roi_, chacun savait de quel monarque il s'agissait. Ah! cette
statue est bien l'image de l'homme habitue a vaincre, a dominer et a
regner, du potentat qui triomphait de la rebellion avec un regard mieux
que Richelieu avec la hache.

Laissons les coryphees de l'ecole revolutionnaire chercher en vain a
degrader ce bronze imperissable. La boue qu'ils voudraient jeter au
monument n'atteindra pas meme le piedestal. Dans cette nuit ou les canons
de la Commune repondaient a ceux du Mont-Valerien, la statue me semblait
plus imposante que jamais. On eut dit qu'elle s'animait, comme celle du
Commandeur. Le geste avait quelque chose de plus fier et de plus imperieux
que dans les epoques moins troublees. Son baton de commandement a la main,
le Grand Roi, dont le regard est tourne du cote de Paris, semblait dire a
la ville insurgee, comme le convive de marbre a don Juan: "Repens-toi."


III


La profonde impression que Versailles m'avait produite pendant les jours
de la Commune est loin de s'etre affaiblie depuis ce moment. Des
circonstances bien imprevues ont fait occuper les appartements de la reine
par la direction politique du ministere des Affaires etrangeres. Ma
modeste table de travail a ete, une annee, placee au bout de la salle du
Grand-Couvert, en face du tableau qui represente le _doge Imperiali_
s'humiliant devant Louis XIV, et j'ai eu le temps de reflechir sur les
peripeties etranges, sur les caprices du sort, par suite desquels les
employes du ministere dont je fais partie etaient, pour ainsi dire, campes
au milieu de ces salles legendaires.

Les cinq pieces qui composent l'appartement de la reine ont toutes une
importance historique. A chacune se rattachent les plus curieux souvenirs.
Vous montez l'escalier de marbre. A droite est la salle des gardes de la
reine. C'est la que, le 6 octobre 1789, a 6 heures du matin, les gardes du
corps, victimes de la fureur populaire, defendirent avec tant de courage,
contre une bande d'assassins, l'entree de l'appartement de
Marie-Antoinette. La salle suivante est celle du Grand-Couvert. C'est la
que les reines dinaient solennellement, en compagnie des rois; ces festins
d'apparat avaient lieu plusieurs fois par semaine, et le peuple etait
admis a les contempler. Non seulement comme reine, mais deja comme
dauphine, Marie-Antoinette se soumit a cette bizarre coutume. "Le dauphin
dinait avec elle, nous dit Mme Campan dans ses Memoires, et chaque menage
de la famille royale avait tous les jours son diner public. Les huissiers
laissaient entrer tous les gens proprement mis. Ce spectacle faisait le
bonheur des provinciaux. A l'heure des diners, on ne rencontrait dans les
escaliers que de braves gens qui, apres avoir vu la dauphine manger sa
soupe, allaient voir les princes manger leur bouilli et qui couraient
ensuite, a perte d'haleine, pour aller voir Mesdames manger leur dessert."

Apres la salle du Grand-Couvert est le salon de la Reine. Le cercle de la
souveraine se tenait dans cette piece, ou l'on faisait les presentations.
Son siege etait place au fond de la salle, sur une estrade couverte d'un
dais dont on voit encore les pitons d'attache dans la corniche en face des
fenetres. C'est la que brillerent les beautes celebres de la cour de Louis
XIV, avant que le roi allat s'emprisonner dans les appartements de Mme de
Maintenon. C'est la que le president Henault et le duc de Luynes venaient
sans cesse causer avec cette aimable et bonne Marie Leczinska, en qui
chacun se plaisait a reconnaitre les vertus d'une bourgeoise, les manieres
d'une grande dame, la dignite d'une reine. C'est la que Marie-Antoinette,
la souveraine a la taille de nymphe, a la marche de deesse, a l'aspect
doux et fier digne de la fille des Cesars, recevait, avec cet air royal de
protection et de bienveillance, avec ce prestige enchanteur dont les
etrangers emportaient le souvenir a travers l'Europe comme un
eblouissement.

La piece suivante est, de toutes, celle qui evoque le plus de souvenirs.
C'est la chambre a coucher de la reine, la chambre ou sont mortes deux
souveraines: Marie-Therese et Marie Leczinska; deux dauphines: la dauphine
de Baviere et la duchesse de Bourgogne;--la chambre ou sont nes dix-neuf
princes et princesses du sang, et parmi eux deux rois, Philippe V, roi
d'Espagne, et Louis XV, roi de France;--la chambre qui, pendant plus d'un
siecle, a vu les grandes joies et les supremes douleurs de l'ancienne
monarchie.

Cette chambre a ete occupee par six femmes: d'abord par la vertueuse
Marie-Therese, qui s'y installa le 6 mai 1682, et y rendit le dernier
soupir, le 30 juillet de l'annee suivante;--ensuite par la femme du Grand
Dauphin, la dauphine de Baviere, qui y mourut le 20 avril 1690, a l'age de
vingt-neuf ans; puis par la charmante duchesse de Bourgogne, qui s'y
etablit des son arrivee a Versailles, le 8 novembre 1696, y mit au monde
trois princes, dont le dernier seul vecut et regna sous le nom de Louis
XV, et y mourut le 12 fevrier 1712, a l'age de vingt-six ans;--puis par
cette infante d'Espagne, Marie-Anne-Victoire, qui etait fiancee avec le
jeune roi de France, et qui demeura la, depuis le mois de juin 1722
jusqu'au mois d'avril 1725, epoque ou le mariage projete fut rompu;
--ensuite par la pieuse Marie Leczincka, qui s'installa dans cette chambre
le 1er decembre 1725, y donna naissance a ses dix enfants, y habita
pendant un regne de quarante-trois ans, y mourut le 24 juin 1768, entouree
de la veneration universelle;--enfin par la plus poetique des femmes, par
celle qui resume en elle les triomphes et les humiliations, les joies et
les douleurs, par celle dont le nom seul inspire l'attendrissement et le
respect, par Marie-Antoinette. C'est la que vinrent au monde ses quatre
enfants et qu'elle faillit mourir a la naissance de sa premiere fille, la
future duchesse d'Angouleme. Une antique et bizarre etiquette autorisait
le peuple a s'introduire, en pareil cas, dans le palais des rois. La
galerie des Glaces, les salons, l'oeil-de-Boeuf, la chambre de la reine,
etaient envahis par la foule. Marie-Antoinette, manquant d'air respirable,
perdit connaissance pendant trois quarts d'heure. Quand elle revint a
elle, Louis XVI lui presenta la princesse qui venait de naitre:

"Pauvre petite, dit-elle, vous n'etiez pas desiree, mais vous n'en serez
pas moins chere. Un fils eut plus particulierement appartenu a l'Etat;
vous serez a moi, vous aurez tous mes soins, vous partagerez mon bonheur
et vous adoucirez mes peines."

Ce fut la aussi que virent le jour les deux fils du roi et de la reine
martyrs: l'un, ne le 22 octobre 1781, mort le 4 juin 1789; l'autre, ne le
27 mars 1785, connu sous le nom de duc de Normandie, et qui devait plus
tard s'appeler Louis XVII.

Dans cette chambre memorable a tant de titres, commenca l'agonie de la
royaute francaise. Marie-Antoinette y dormait le matin du 6 octobre 1789,
quand elle fut reveillee par l'insurrection. Au fond de la chambre, dans
le panneau ou est actuellement le portrait de la reine par Mme Lebrun, une
petite porte conduisait aux appartements du roi. C'est par la que la
malheureuse souveraine s'echappa pour aller chercher un refuge aupres de
Louis XVI, pendant que les emeutiers assassinaient les gardes du corps.
Quelques instants apres elle quittait Versailles, qu'elle ne devait jamais
revoir. Depuis lors, aucune femme n'occupa les appartements de la reine.
Le theatre subsiste, les decors sont a peine modifies; mais il faut faire
sortir de la poussiere du temps les acteurs, les actrices surtout.

L'annee que j'ai passee dans ces salles encore si pleines de leur souvenir
m'a donne la premiere idee du travail que je publie aujourd'hui. Que de
fois j'ai cru apercevoir, comme autant de gracieux fantomes, les femmes
illustres qui ont aime, qui ont souffert, qui ont pleure dans ce sejour!
Je voudrais me rendre un compte minutieux du role qu'elles y ont joue,
mentionner avec precision les appartements qu'elles ont habites, montrer
en detail l'existence qu'elles menaient, indiquer, pour nous servir d'une
expression de Saint-Simon, ce qu'on pourrait appeler la _mecanique_ de la
vie de la cour.

Je veux essayer l'histoire du chateau de Versailles lui-meme par les
femmes qui l'ont habite depuis 1682, epoque ou Louis XIV y fixa sa
residence, jusqu'au 6 octobre 1789, jour fatal ou Louis XVI et
Marie-Antoinette le quitterent sans retour. Le sanctuaire de la monarchie
absolue devait etre egalement son tombeau.

Ni les nieces de Mazarin, ni la Grande Mademoiselle, ni les duchesses de
La Valliere et de Fontanges, ne doivent etre considerees comme des _femmes
de Versailles_. A l'epoque ou ces heroines brillerent de tout leur eclat,
Versailles n'etait pas encore la residence officielle de la cour et le
siege du gouvernement.

Nous ne commencerons donc cette etude qu'en 1682, annee ou Louis XIV,
quittant Saint-Germain, son sejour habituel, s'etablit definitivement dans
sa residence de predilection.

Pendant plus d'un siecle,--de 1682 a 1789,--combien de curieuses figures
apparaitront sur cette scene radieuse! Que de vicissitudes dans leurs
destinees! que de singularites et de contrastes dans leurs caracteres!
C'est la bonne reine Marie-Therese, douce, vertueuse, resignee, se faisant
aimer et respecter de tous les honnetes gens. C'est l'orgueilleuse
sultane, la femme a l'esprit etincelant, moqueur, acere, l'altiere,
l'omnipotente marquise de Montespan.

C'est la femme dont le caractere est une enigme et la vie un roman, qui a
connu tour a tour toutes les extremites de la mauvaise et de la bonne
fortune, et qui, avec plus de rectitude que d'effusion, avec plus de
justesse que de grandeur, a eu du moins le merite de reformer la vie d'un
homme dont les passions avaient ete divinisees: Mme de Maintenon. C'est la
princesse Palatine, la femme de Monsieur, frere du roi, la mere du futur
Regent, Allemande enragee, invectivant sa nouvelle patrie, representant, a
cote de l'apotheose, la satire, exhalant dans ses lettres les coleres d'un
Alceste en jupon, rustique, mais spirituelle, plus impitoyable, plus
caustique, plus passionnee que Saint-Simon lui-meme; femme etrange, au
style brusque, impetueux, au style qui, comme le dit Sainte-Beuve, a de la
barbe au menton, et de qui l'on ne sait trop, quand on le traduit de
l'allemand en francais, s'il tient de Rabelais ou de Luther.

C'est la duchesse de Bourgogne, la sylphide, la sirene, l'enchanteresse du
vieux roi; la duchesse de Bourgogne, dont la mort precoce fut le signal de
l'agonie d'une cour naguere si eblouissante.

Sous Louis XV, c'est la vertueuse, la sympathique Marie Leczinska, le
modele du devoir, qui joue aupres de Louis XV le meme role respecte, mais
efface que Marie-Therese aupres de Louis XIV. C'est l'intrigante, la
femme-ministre, la marquise de Pompadour, vraie magicienne, habituee a
tous les enchantements, a toutes les feeries du luxe et de l'elegance,
mais qui restera toujours une parvenue faite pour l'Opera plutot que pour
la cour.

Ce sont les six filles de Louis XV, types de piete filiale et de vertu
chretienne: Madame Infante, si tendre pour son pere; Madame Henriette, sa
soeur jumelle, morte de chagrin a vingt-quatre ans pour ne s'etre pas
mariee suivant son coeur; Madame Adelaide et Madame Victoire,
inseparables dans l'adversite comme dans les beaux jours; Madame Sophie,
douce et timide; Madame Louise, successivement amazone et carmelite, qui,
dans le delire de l'agonie, s'ecriait: "Au paradis, vite, vite! Au
paradis, au grand galop!"

C'est Mme Dubarry, deguisee en comtesse et destinee par l'ironie du sort a
ebranler les bases du trone de saint Louis, de Henri IV, de Louis XIV.
Puis apres le scandale, sous le regne qui est l'heure de l'expiation,
c'est Madame Elisabeth, nature angelique et essentiellement francaise,
montrant, au milieu des plus horribles catastrophes, non seulement du
courage, mais de la gaiete; c'est la princesse de Lamballe, gracieuse et
touchante heroine de l'amitie; c'est Marie-Antoinette, dont le nom seul
est plus pathetique que tous les commentaires.

Dans la carriere de ces femmes, que d'enseignements historiques, et aussi
que de lecons de psychologie et de morale! Qui ferait mieux connaitre la
cour, "ce pays ou les joies sont visibles mais fausses, et les chagrins
caches mais reels;" la cour, "qui ne rend pas content et qui empeche qu'on
ne le soit ailleurs[1]!"

[Note 1: La Bruyere, _De la Cour._]

Les femmes de Versailles ne nous disent-elles pas toutes: "La condition la
plus heureuse en apparence a ses amertumes secretes qui en corrompent
toute la felicite. Le trone est le siege des chagrins, comme la derniere
place; les palais superbes cachent des soucis cruels, comme le toit du
pauvre et du laboureur, et, de peur que notre exil ne nous devienne trop
aimable, nous y sentons toujours par mille endroits qu'il manque quelque
chose a notre bonheur[1]."

[Note 1: Massillon, _Sermon sur les afflictions._]

Un portrait de Mignard represente la duchesse de La Valliere avec ses
enfants: Mlle de Blois et le comte de Vermandois. Elle est pensive et
tient a la main un chalumeau, a l'extremite duquel flotte une bulle de
savon avec ces mots: _Sic transit gloria mundi_, "Ainsi passe la gloire du
monde." Ne pourrait-ce pas etre la devise de toutes les heroines de
Versailles?

Combien auraient pu dire comme Mme de Sevigne, riche aussi, honoree,
adulee, heureuse en apparence: "Je trouve la mort si terrible, que je hais
plus la vie parce qu'elle m'y mene que par les epines dont elle est semee.
Vous me direz que je veux donc vivre eternellement? Point du tout; mais si
on m'avait demande mon avis, j'aurais bien mieux aime mourir entre les
bras de ma nourrice; cela m'aurait ote bien des ennuis, et m'aurait donne
le ciel bien surement et bien aisement[2]."

[Note 2: Mme de Sevigne, lettre du 16 mars 1672.]

La princesse Palatine, Madame, femme du frere de Louis XIV, ecrivait a
propos de la mort de la reine d'Espagne: "J'entends et je vois tous les
jours tant de vilaines choses, que tout cela me degoute de la vie. Vous
aviez bien raison de dire que la bonne reine est maintenant plus heureuse
que nous, et si quelqu'un voulait me rendre, comme a elle et a sa mere, le
service de m'envoyer en vingt-quatre heures de ce monde dans l'autre, je
ne lui en saurais certes pas mauvais gre. [1]"

[Note 1: Lettres de la princesse Palatine, 20 mars 1689.]

Meme avant l'heure des grandes humiliations ou il faudra descendre
l'escalier de marbre de Versailles pour ne plus le remonter, Mme de
Montespan cachait dans "son triomphe exterieur un fond de tristesse" [2].

[Note [2]: Mme de Sevigne, lettre du 31 juillet 1675.]

La rivale qui, contre toute attente, devait la supplanter, Mme de
Maintenon, ecrivait a Mme de La Maisonfort: "Que ne puis-je vous donner
mon experience! que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui devore les
grands et la peine qu'ils ont a remplir leurs journees! Ne voyez-vous pas
que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on aurait eu peine a
imaginer? J'ai ete jeune et jolie; j'ai goute les plaisirs; j'ai passe des
annees dans le commerce de l'esprit; je suis venue a la faveur, et je vous
proteste, ma chere fille, que tous les etats laissent un vide affreux."

C'est encore Mme de Maintenon qui disait a son frere, le comte d'Aubigne:

"Je n'y puis plus tenir, je voudrais etre morte."

C'est elle qui, resumant les phases de sa carriere si surprenante,
ecrivait a Mme de Caylus, deux ans avant de mourir: "On rachete bien les
plaisirs et l'enivrement de la jeunesse. Je trouve, en repassant ma vie,
que, depuis l'age de trente-deux ans, qui fut le commencement de ma
fortune, je n'ai pas ete un moment sans peine, et qu'elles ont toujours
augmente[1]."

[Note 1: Lettres de Mme de Maintenon a Mme de Caylus, 19 avril 1717.]

Les femmes du regne de Louis XV ne fournissent pas moins de sujets aux
reflexions philosophiques. Pendant que leur char de triomphe s'avance au
milieu d'une foule de flatteurs, leur conscience leur souffle a l'oreille
de cruelles paroles. Semblables a des actrices qui ont devant elles un
public fantasque et versatile, elles craignent toujours que les
applaudissements ne se changent en huees, et c'est avec un fond de terreur
que, malgre leur aplomb apparent, elles continuent a jouer leur triste
role.

Les favorites des rois ne semblent-elles pas se reunir toutes pour
s'ecrier avec saint Augustin: "O mon Dieu! vous l'avez ordonne, et la
chose ne manque jamais d'arriver, que toute ame qui est dans le desordre
soit a elle-meme son supplice. Si l'on y goute certains moments de
felicite, c'est une ivresse qui ne dure pas. Le ver de la conscience n'est
pas mort; il n'est qu'assoupi. La raison alienee revient bientot, et avec
elle reviennent les troubles amers, les pensees noires et les cruelles
inquietudes[1]."

[Note 1: Massillon, _Panegyrique de sainte Madeleine_.]

La jeune duchesse de Chateauroux, qui passe du matin au soir "comme
l'herbe des champs", resume dans sa courte carriere toutes les miseres et
toutes 1es deceptions de la vanite. A l'apogee de sa faveur, Mme de
Pompadour est plongee dans la melancolie. Sa femme de chambre, Mme du
Hausset, confidente de ses perpetuels soucis, lui dit avec une
commiseration sincere:

"Je vous plains, madame, tandis que tout le monde vous envie."

Et la marquise, blasee de faux plaisirs, tourmentee par de vraies
souffrances, prononce cette parole si amere:

"La sorciere a dit que j'aurais le temps de me reconnaitre avant de
mourir. Je le crois, car je ne perirai que de chagrin."

A peine descendue dans la tombe, la pauvre morte est oubliee de tous. La
reine elle-meme en fait la remarque, lorsqu'elle ecrit au president
Henault: "Il n'est non plus question ici de ce qui n'est plus, que si elle
n'eut jamais existe. Voila le monde; c'est bien la peine de l'aimer."

Les destinees des heroines de Versailles ne sont pas seulement
interessantes au point de vue moral; elles ont, sous le rapport de
l'histoire, une importance, pour ainsi dire, symbolique. Certaines de ces
femmes resument, en effet, toute une societe, personnifient toute une
epoque. Mme de Montespan, la beaute superbe, la grande dame fiere de sa
naissance, de son esprit, de ses richesses, de sa magnificence, la femme
qui, par ses terribles railleries, se fait craindre autant qu'admirer, a
ce point que les courtisans disent ne pas oser passer sous ses fenetres,
parce que c'est passer par les armes; la fastueuse Mme de Montespan, que
les anciens auraient representee en Cybele portant Versailles sur son
front, n'est-elle pas comme une incarnation de cette France altiere et
triomphante de l'apogee du regne de Louis XIV, de cette France qui
ressuscite les pompes du paganisme et enveloppe dans des nuages d'encens
le souverain radieux dont elle est idolatre? Mais l'orgueil de la favorite
sera chatie, et, pour elle de meme que pour le roi, les humiliations
succederont aux triomphes.

Les rayons du soleil n'ont plus la meme splendeur, l'astre-roi qui decline
a perdu l'ardeur de ses feux: Mme de Maintenon apparait. Avec sa nature et
son style temperes, son respect pour les convenances et pour la regle, sa
piete melee d'un peu d'ostentation, elle est le symbole vivant de la
nouvelle cour.

Apres Louis XIV, la Regence; avec la Regence, le scandale. La duchesse de
Berry[1], si fantasque, si capricieuse, si passionnee, n'est-elle pas
l'image de cette epoque?

Avec Louis XV, il y a comme une diminution graduelle de prestige et de
dignite, dont la duchesse de Chateauroux, la marquise de Pompadour, Mme
Dubarry, sont en quelque sorte les symboles vivants. Et cependant, meme
alors, il y a encore ca et la des moeurs patriarcales, des sentiments
vraiment chretiens, des caracteres qui honorent la nature humaine. La
reine Marie Leczinska en est la personnification; elle et ses filles
conservent a la cour les dernieres traditions des convenances. Enfin vient
Marie-Antoinette, la femme qui represente, dans la plus saisissante et la
plus tragique de toutes les destinees, non seulement la majeste et les
douleurs de la monarchie, mais toutes les graces et toutes les angoisses,
toutes les joies et toutes les souffrances de son sexe.

Trop souvent, en etudiant l'histoire, on y rencontre le scandale; mais on
y trouve aussi un enseignement. Ce ne sont pas surtout les femmes
vertueuses qui s'ecrient: "Vanite, tout est vanite." Ce sont les coupables
qui sortent de leurs tombes et, se frappant la poitrine, font amende
honorable devant la posterite.

[Note 1: Marie-Louise-Elisabeth d'Orleans, fille du Regent, epousa en 1710
le duc de Berry, petit-fils de Louis XIV, et devint veuve des 1714; elle
mourut en 1719, a l'age de vingt-quatre ans.]

Ces beautes, qui jettent un eclat passager sur la scene du monde,
s'evanouissent comme des ombres; semblables a l'herbe des champs, elles
passent du matin au soir, et l'histoire, instruite par leur exemple,
devient une sorte de morale en action.

Le present volume est consacre aux femmes de la cour de Louis XIV. Si la
jeunesse, a laquelle nous dedions cette edition speciale, y trouve quelque
interet, il sera suivi de plusieurs autres.




LA COUR
DE
LOUIS XIV




I


LE CHATEAU DE VERSAILLES


Avant de rappeler le role que les femmes de Versailles ont joue, il faut
dire quelques mots du theatre sur lequel leurs destinees se sont
accomplies et montrer par quelle transformation miraculeuse un endroit
triste et sombre, plein de sables mouvants et de marecages, sans vue, sans
eau, sans foret, fut faconne, pour ainsi dire, a l'image du Grand Roi, et
devint une merveille, objet de l'admiration du monde entier. Comme ces
grands fleuves qui, a leur source, sont a peine un petit ruisseau,
l'existence du palais destine a tant de splendeur commenca dans les
proportions les plus modestes.

C'est en 1624 que Louis XIII fit batir a Versailles un rendez-vous de
chasse sur une eminence ou il y avait auparavant un moulin a vent. En
1627, dans une assemblee de notables tenue aux Tuileries, Bassompierre
reprochait au roi de ne pas achever les batiments de la couronne, et il
disait a ce propos:

"L'inclination de Sa Majeste n'est point portee a batir; les finances de
la chambre ne seront point epuisees par ses somptueux edifices, si ce
n'est qu'on veuille lui reprocher le chetif chateau de Versailles, de la
construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre
vanite[1]."

[Note 1: Voir, sur les origines du palais, le curieux et savant ouvrage
publie par M. Le Roi sous ce titre: _Louis XIII et Versailles_.]

En 1651, huit ans apres la mort de son pere, Louis XIV, alors dans sa
treizieme annee, vint pour la premiere fois a Versailles. Il s'attacha des
lors a ce sejour, et quelques annees plus tard il le choisit pour y donner
des fetes magnifiques. Au mois de mai 1664, il y fit celebrer les
_Plaisirs de l'ile enchantee,_ divertissements empruntes au poeme de
l'Arioste, a l'execution desquels concoururent Benserade et le president
de Perigny pour les recits en vers, Moliere et sa troupe pour la comedie,
Lulli pour la musique et les ballets, le machiniste italien Vigarani pour
les decors, les illuminations et les feux d'artifice.

Le 7 mai, premiere journee des fetes, il y eut une course de bagues en
presence des deux reines[1], dans un cirque de verdure eleve a l'entree de
ce qu'on nomme aujourd'hui le tapis vert.

[Note 1: Anne d'Autriche et Marie-Therese.]

Le jeune Louis XIV, vetu d'un costume ou tous les diamants de la couronne
resplendissaient, representait le paladin Roger dans l'ile d'Alcine. Apres
le tournoi, dont il fut le vainqueur, Flore et Apollon arriverent, pour le
feliciter, sur des chars que trainaient les nymphes, les satyres, les
dryades. Au banquet, le _Temps_, les _Heures_, les _Saisons_, servirent
les convives, abrites, sous des bosquets de lilas, de muguets et de roses.
Le lendemain, 8 mai, on representa, sur un theatre eleve au milieu de la
meme allee, la _Princesse d'Elide_, piece dans laquelle Moliere jouait les
roles de Lyciscas et de Moron. Le 9, ballet dans le palais d'Alcide, avec
feu d'artifice qui en simulait l'embrasement; le 10, course de tetes dans
les fosses du chateau; le 11, representation des _Facheux_, de Moliere; le
12, loterie ou se trouvaient des ameublements, des pieces d'argenterie,
des pierres precieuses, et, le soir, le _Tartuffe_; le 13, le _Mariage
force_; le 14, depart du roi et de la cour pour Fontainebleau.

Versailles n'etait pas encore la residence royale; mais Louis XIV venait
de temps en temps y passer quelques jours, parfois quelques semaines,
surtout quand il voulait eblouir les yeux et fasciner les imaginations par
l'eclat de ces fetes pompeuses qui ressemblaient a des apotheoses.

Le 14 septembre 1665, il y eut a Versailles une grande chasse, ou la
reine, Madame Henriette d'Angleterre, Mlle de Montpensier, Mlle d'Alencon,
chasserent en costume d'amazones; et, au mois de fevrier 1667, un
carrousel qui recula les bornes de la magnificence.

La _Gazette_ a soin de nous decrire le cortege des dames de la cour,
"toutes admirablement equipees et sur des chevaux choisis, conduites par
Madame, avec une veste des plus superbes, et sur un cheval blanc housse de
brocart, seme de perles et de pierreries." Apres l'escadron feminin
apparaissait le Roi-Soleil, "ne se faisant pas moins connaitre a cette
haute mine qui lui est particuliere qu'a son riche vetement a la
hongroise, couvert d'or et de pierres precieuses, avec un casque ondoye de
plumes, et a la fierte de son cheval, qui semblait plus superbe de porter
un si grand monarque que de la magnificence de son caparacon et de sa
housse pareillement couverte de pierreries[1]." Venaient ensuite:
Monsieur, frere du roi, en costume de Turc, puis le duc d'Engien, habille
en Indien, puis les autres seigneurs, qui formaient dix quadrilles.

[Note 1: _Gazette_ de 1667.]

Le 10 juillet 1668, nouvelles rejouissances: dans la journee,
representation des _Fetes de l'Amour et de Bacchus_, paroles de Quinault,
musique de Lulli, et de _Georges Dandin_, joue par Moliere et par sa
troupe; le soir, festin et bal; a 2 heures du matin, illuminations. Le
pourtour du parterre de Latone, la grande allee, la terrasse et la facade
du palais etaient decores de statues, de vases, de candelabres eclaires
d'une maniere ingenieuse, qui les faisait paraitre comme enflammes a
l'interieur. Les fusees des feux d'artifice se croisaient au-dessus du
chateau, et, lorsque toutes ces lumieres s'eteignaient, dit Felibien en
terminant le recit de la fete, on s'apercut que le jour, "jaloux des
avantages d'une belle nuit," commencait a poindre.

Le 17 septembre 1672, la troupe du roi representait les _Femmes savantes_
de Moliere, qui furent, dit la _Gazette_, "admirees d'un chacun." Du 8
fevrier au 19 avril 1674, Bourdalouc prechait le careme a Versailles; le
11 juillet, on y jouait le _Malade imaginaire_ de Moliere, mort l'annee
precedente; au mois d'aout, il y avait une serie de grandes fetes.
Felibien fait une description saisissante de la nuit du 31 aout 1674, ou
l'on vit tout a coup, sous un ciel sans etoiles et du noir le plus sombre,
un ruissellement inoui de lumieres. Tous les parterres etincelaient. La
grande terrasse qui est devant le chateau etait bordee d'un double rang de
feux espaces a deux pieds l'un de l'autre. Les rampes et les degres du fer
a cheval, tous les massifs, toutes les fontaines, tous les bassins
resplendissaient de mille flammes. De l'Italie etait venu cet art
pyrotechnique, ce melange de feux, de fleurs et d'eau, qui faisait
ressembler le parc au jardin d'Armide. Les rives du grand canal etaient
ornees de statues et de decorations d'architecture, derriere lesquelles on
avait dispose un nombre infini de lumieres qui les faisaient paraitre
transparentes. Le roi, la reine et toute la cour etaient sur des gondoles
richement ornees. Des bateaux remplis de musiciens les suivaient, et
l'echo repetait les sons d'une harmonie magique.

A partir de l'annee suivante, de grands travaux, commences par Levau et
Dorbay, continues par Jules Hardouin Mansart, furent entrepris a
Versailles, ou Louis XIV voulait fixer sa residence definitive. Quels
motifs le determinaient a renoncer a ce chateau de Saint-Germain ou il
etait ne, a ce chateau si admirablement situe, d'ou l'on decouvre un si
beau fleuve, un si vaste et si magnifique horizon? Rien ne manque a
Saint-Germain, ni les arbres, ni l'eau, ni la vue. L'air y est vif et
salubre, et, du haut de la terrasse adossee a la foret, on contemple un
des panoramas les plus varies et les plus majestueux du globe.

Si Louis XIV avait depense pour embellir et agrandir le vieux chateau,
--celui qui existe encore,--et le chateau neuf,--celui qui etait situe en
face de la Seine et qui fut detruit sous Louis XVI,--la moitie des sommes
depensees pour Versailles, quel incomparable palais, quelles merveilles
aurait-on admires! Que n'aurait-on pas pu faire du chateau neuf de
Saint-Germain,--il n'en reste aujourd'hui que le pavillon Henri IV,--de ce
chateau si elegant, dont les escaliers paraissaient de loin comme des
arabesques en relief incrustees sur le flanc de la colline, et dont les
cinq terrasses successives, ornees de bosquets, de bassins, de parterres
de fleurs, descendaient jusqu'a la Seine? Comment preferer a une telle
residence, a un tel paysage, un manoir obscur sans perspective, entoure
d'etangs fangeux, sur un terrain ou, au lieu d'etre favorise par la
nature, il fallait la tyranniser, la dompter a force d'art et d'argent?

Etait-ce, comme on l'a dit, la vue lointaine du clocher de Saint-Denis,
dernier terme de la grandeur royale, qui rendait Saint-Germain
antipathique a Louis XIV? Ce clocher, qui semblait lui dire a l'horizon:
_Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris_, contrariait-il
l'ivresse de vie et de toute-puissance qui debordait en lui?

Cette pensee pusillanime nous semble indigne du Grand Roi. Nous inclinons
plutot a croire que ce qui eloignait Louis XIV de Saint-Germain, c'etait
le souvenir du temps ou, chasse de Paris par les troubles de la Fronde, il
fut transporte nuitamment dans le vieux chateau. Sans doute il n'aimait
pas voir, de sa fenetre, cette capitale qui avait insulte son enfance.

S'arracher a un souvenir importun, effacer completement, meme dans la
pensee, les derniers vestiges des actes de rebellion contre l'autorite
royale, choisir une residence qui n'etait rien pour en faire le plus
radieux des palais, se complaire dans cette transformation comme dans le
triomphe de la puissance, de l'orgueil, de la force de volonte, tout creer
soi-meme: architecture, jardins, fontaines, horizon, contraindre la nature
a plier sous le joug et a s'avouer vaincue, comme la revolution: tel fut
le reve de Louis XIV, et ce reve il le realisa.

De 1675 a 1682, les travaux de Versailles se poursuivirent avec une
etonnante activite. On acheva les grands appartements du roi et l'escalier
dit des Ambassadeurs. On construisit la galerie des Glaces, a l'endroit ou
une terrasse occupait le milieu de la facade, du cote des jardins. On
ajouta au chateau l'aile du midi, dite aile des Princes. On termina, a
droite et a gauche, les batiments qui bordent la premiere cour avant le
chateau, et qu'on designe sous le nom d'ailes des Ministres. On eleva la
grande et la petite ecurie.

Enfin, en 1681, on transporta la chapelle sur l'emplacement actuel du
salon d'Hercule et du vestibule qui se trouve au-dessous. Le 30 avril
1682, l'archeveque de Paris, Francois de Harlay, benit la nouvelle
chapelle, et, le 6 mai suivant, Louis XIV s'installa definitivement a
Versailles[1].

[Note 1: Si l'on veut se rendre compte des agrandissements de Versailles,
on n'a qu'a regarder le tableau de Van der Meulen, qui est dans
l'antichambre du roi (salle N deg. 121 de la _Notice du Musee_, par M.
Soulie). Ce tableau, qui porte le N deg. 2145, represente Versailles tel qu'il
etait avant les travaux ordonnes par Louis XIV.]

Le roi s'etablit au centre meme du palais. Le salon dit oeil-de-Boeuf[2]
etait alors divise en deux pieces: la chambre des Bassans, ainsi nommee
parce qu'elle contenait plusieurs tableaux de ce maitre,--c'est la
qu'attendaient les princes et seigneurs admis au lever du souverain,--et
l'ancienne chambre de Louis XIII, ou Louis XIV coucha de 1682 a 1701. A
cote de cette chambre etait le grand cabinet, ou se faisaient les
ceremonies du lever et du coucher, ou le roi donnait audience au nonce et
aux ambassadeurs, ou il recevait le serment des grands officiers de sa
maison[3]. La salle suivante[4] etait alors separee en deux. La partie la
plus rapprochee de la chambre du roi se nommait le cabinet du Conseil,
--c'est la que Louis XIV prit avec ses ministres les plus grandes
decisions de son regne;--l'autre se nommait le cabinet des Termes ou des
Perruques.

[Note 2: Salle N deg. 123 de la _Notice du Musee_.]

[Note 3: Salle N deg. 124 de la _Notice_. Cette piece devint la chambre a
coucher de Louis XIV, et c'est la qu'il mourut.]

[Note 4: Salle du Conseil (N deg. 125 de la _Notice_).]

La reine et le dauphin eurent leur logement, l'une au premier etage,
l'autre au rez-de-chaussee, dans la portion meridionale de l'ancien
chateau de Louis XIII, celle qui domine l'orangerie et la piece d'eau des
Suisses. Les appartements de la reine aboutissaient, par le salon de la
Paix, a la galerie des Glaces, le chef-d'oeuvre du nouveau Versailles. A
l'autre extremite de la galerie commencaient, avec le salon de la
Guerre, les salles designees sous le nom de grands appartements du roi,
pieces d'apparat et de reception, portant des noms mythologiques: salle
d'Apollon, de Mercure, de Mars, de Diane, de Venus.

Le gouverneur du palais et le confesseur du roi logerent dans l'aile du
nord, celle qu'a depuis reconstruite l'architecte Gabriel. Au-dela de
l'emplacement ou est la chapelle actuelle, on placa les princes de Conde
et de Conti, le gouverneur des enfants de France et un bon nombre de
grands officiers et de chapelains. Dans la grande salle du midi, les
enfants de France et la famille d'Orleans habiterent en face des jardins.
Enfin, les secretaires d'Etat, ministres de la maison du roi, des affaires
etrangeres, de la guerre, de la marine, s'installerent dans les deux corps
de batiment devant lesquels s'elevent aujourd'hui les statues d'hommes
celebres. L'ensemble de ces immenses constructions, subdivisees a l'infini
dans l'interieur, servait d'habitation a plusieurs milliers d'individus.

Versailles etait acheve. A part tres peu de modifications, il offrait
l'aspect qu'il presente aujourd'hui. Du cote de la ville, le monument,
quoique grandiose, est disparate. Son architecture composite, le contraste
qui se fait remarquer entre la brique et la pierre, entre le chateau
primitif et ses immenses accroissements, a quelque chose qui etonne. De
l'autre cote, celui du parc, tout, au contraire, est majestueux, regulier,
empreint d'une harmonie parfaite. Cette facade ou, pour mieux dire, ces
trois facades, ayant ensemble trois cent soixante-quinze ouvertures sur le
jardin; ce corps de batiment ou habite le maitre, et qui fait saillie au
milieu d'une longue ligne droite; ces ailes qui semblent se reculer, comme
pour garder une respectueuse distance; ces bosquets faconnes en murailles
de verdure, ces bassins encadres dans des marbres precieux, dependant du
palais, dont ils sont le complement, tout cela frappe l'esprit et les yeux
d'un veritable saisissement.

Jamais peut-etre la splendeur d'un palais ne s'est mieux identifiee avec
la grandeur d'un homme.

L'idole est digne du temple, le temple digne de l'idole. Il y a toujours
dans les monuments quelque chose d'immateriel, de moral, pour ainsi dire,
et ils empruntent leur poesie a la pensee qui s'y rattache. C'est, pour
une cathedrale, l'idee de Dieu. C'est, pour Versailles, l'idee du Roi. La
mythologie, comme on en a fait la juste remarque, n'est plus qu'une
allegorie magnifique dont Louis XIV est la realite. C'est lui partout,
lui toujours. Les heros, les divinites de la fable, ne font que lui preter
leurs attributs ou se meler a ses courtisans.

En son honneur, Neptune fait jaillir de toutes parts les eaux qui se
croisent dans les airs en voutes etincelantes. Apollon, son symbole
favori, preside a ce monde enchante, comme le dieu de la lumiere,
l'inspirateur des Muses; le soleil du dieu parait s'humilier devant celui
du roi: _Nec pluribus impar_. La nature et l'art s'unissent pour celebrer
par un hosanna perpetuel la gloire du souverain.




II


LOUIS XIV ET SA COUR EN 1682


Lorsque Louis XIV etablit definitivement sa residence a Versailles, en
1682, les principales femmes de la cour qui s'y installerent avec lui
etaient: la reine, agee comme lui de quarante-quatre ans, nee en 1638,
mariee en 1660;--la dauphine, princesse bavaroise, nee en 1660, mariee en
1680, ayant une mauvaise sante, un caractere doux et melancolique;--la
duchesse d'Orleans, designee tantot sous le nom de Madame, tantot sous
celui de princesse Palatine, nee en 1652, mariee en 1671 a Monsieur, frere
du roi, Allemande ne pouvant s'habituer a sa nouvelle patrie;--la
princesse de Conti, nee en 1666, mariee en 1681 au prince Armand de Conti,
neveu du grand Conde, jeune femme d'une grace et d'une beaute
exceptionnelles;--Mlle de Nantes, nee en 1673; Mlle de Blois, nee en 1677,
qui devaient epouser quelques annees plus tard, l'une le duc de Bourbon,
l'autre le duc de Chartres (le futur Regent);--Mme de Montespan, leur
mere, alors agee de quarante et un ans, arrivee au terme de sa puissance,
mais demeurant encore a la cour, en sa qualite de dame du palais de la
reine;--enfin Mme de Maintenon, deja tres influente sous des dehors
modestes, belle encore malgre ses quarante-sept ans, en aussi bons termes
avec la reine qu'avec le roi, et recompensee, depuis 1680, des soins
qu'elle avait donnes, comme gouvernante, aux enfants de Mme de Montespan,
par une place, creee pour elle, qui ne l'astreignait a aucun service
assujettissant et la fixait a la cour dans une position honorable: la
place de seconde dame d'atours de la dauphine.

On ne peut comprendre le role des femmes de Versailles qu'en etudiant
d'abord le souverain qui fut l'ame de ce palais, et qui marqua de sa forte
empreinte, non seulement son royaume, mais encore l'Europe tout entiere.
Jamais monarque n'exerca un pareil prestige personnel, et tout ce qui
brillait autour de lui n'etait qu'un pale reflet de cette eblouissante
lumiere.

La vie de Louis XIV gagne, quoi qu'on en dise, a etre examinee de pres.
Defauts et qualites, tout fut grand dans ce type accompli de la monarchie
absolue, de la royaute de droit divin. Louis XIV n'etait pas seulement
majestueux, il etait aussi agreable. Les membres de sa famille, ses
ministres, les personnes de son entourage, ses domestiques, l'aimaient.

Ce souverain, intimidant a ce point qu'il fallait, au dire de Saint-Simon,
commencer par s'accoutumer a le voir, si, en lui parlant, on ne voulait
s'exposer a demeurer court, etait pourtant plein de bienveillance et
d'affabilite. "Jamais homme si naturellement poli, ni d'une politesse si
fort mesuree, ni qui distinguat mieux l'age, le merite, le rang... Jamais
il ne lui echappa de dire rien de desobligeant a personne[1]."

[Note 1: Saint-Simon, _Memoires_.]

La princesse Palatine, ordinairement si severe, si caustique, rendait
hommage a ses qualites d'homme prive autant qu'a ses qualites de
souverain. "Quand le roi voulait, dit-elle dans sa correspondance, il
etait l'homme le plus agreable et le plus aimable du monde. Il plaisantait
d'une maniere comique et avec agrement... Quoiqu'il aimat la flatterie, il
s'en moquait souvent lui-meme... Il s'entendait parfaitement a contenter
les gens, meme en leur refusant leurs demandes; il avait les manieres les
plus affables, et parlait avec tant de politesse, qu'il leur touchait le
coeur... Quand il s'agissait de son propre mouvement, il etait toujours
bon et genereux."

Ce souverain, qui a donne des marques d'un egoisme cruel, avait cependant
parfois d'exquises delicatesses de coeur. Mme de La Fayette, bon juge en
matiere de sentiment, le constate aussi dans ses Memoires: "Le roi, qui a
l'ame bonne, a une tendresse extraordinaire, surtout pour les femmes."
Avec son incontestable beaute de taille et de visage, sa douceur
majestueuse, le son de sa voix penetrante; avec cette courtoisie
chevaleresque, cette politesse exquise envers les femmes de tout rang,
cette supreme elegance de manieres et de langage, il aurait eu meme, comme
simple particulier, le don de se faire distinguer entre tous, "comme le
roi des abeilles[1]."

[Note 1: Saint-Simon, _Memoires_.]

C'etait un supreme artiste, qui jouait avec aisance et conviction son role
de roi; c'etait aussi un poete, qui aurait dit volontiers avec Alfred de
Musset:

Etre admire n'est rien, l'affaire est d'etre aime.

Poete en action, dont l'existence, faite pour frapper l'imagination de ses
sujets, se deroulait comme une serie non interrompue d'actes grandioses et
merveilleux; souverain epris de gloire et d'ideal, "qui se complaisait
dans l'admiration des grandes batailles, des actes d'heroisme et de
courage, dans les appareils guerriers, dans les operations du siege
savamment combinees, dans les terribles melees de la guerre et au milieu
des forets, dans le bruyant tumulte des grandes chasses[1]."

[Note 1: Walckenaer, _Memoires sur Mme de Sevigne_, t. V.]

Louis XIV, sur son lit de mort, s'accusait d'avoir trop aime la guerre; il
pouvait encore s'adresser beaucoup d'autres reproches sur sa vie passee,
mais on se tromperait en croyant que le plaisir y avait occupe la premiere
place. Pendant toute la duree de son regne, il ne cessa jamais de
travailler huit heures par jour. Il avait donc le droit d'ecrire, dans les
memoires destines a servir d'instruction a son fils, que, "pour un roi, ne
pas travailler, c'est de l'ingratitude et de l'audace a l'egard de Dieu,
de l'injustice et de la tyrannie a l'egard des hommes. Ces conditions,
disait-il, qui pourront quelquefois vous sembler rudes et facheuses dans
une si haute place, vous paraitraient douces et aisees, s'il s'agissait
d'y parvenir... Rien ne vous serait plus laborieux qu'une grande oisivete,
si vous aviez le malheur d'y tomber. Degoute premierement des affaires,
puis des plaisirs, vous seriez enfin degoute de l'oisivete elle-meme." Le
travail etait pour le Grand Roi une source de satisfactions incessantes.
"Avoir les yeux ouverts sur toute la terre, ajoutait-il, apprendre
incessamment les nouvelles de toutes les provinces et de toutes les
nations, le secret de toutes les cours, l'humeur et le faible de tous les
princes et de tous les ministres etrangers, etre informe d'un nombre
infini de choses qu'on croit que nous ignorons, voir autour de nous-meme
ce qu'on nous cache avec le plus grand soin, decouvrir les vues les plus
eloignees de nos propres courtisans, je ne sais quel autre plaisir nous ne
quitterions pas pour celui-la, si la seule curiosite nous le donnait."

Louis XIV essayait ensuite de premunir le dauphin contre le danger des
favoris et le danger plus grand encore des favorites. Lui-meme se faisait
certaines illusions a leur egard et se vantait a tort, dans ce memoire, de
n'avoir jamais ete domine par aucune d'elles. "Comme le prince devrait
toujours etre un parfait modele de vertu, disait-il enfin, il serait bon
qu'il se garantit des faiblesses communes au reste des hommes, d'autant
qu'il est assure qu'elles ne sauraient demeurer cachees."

On sait combien Louis XIV s'etait ecarte de ces sages et belles maximes;
mais 1682 est le commencement du repentir, l'annee ou le roi revient
definitivement a la vertu, ou il medite pratiquement sur les avantages de
la regle et du devoir, meme au point de vue humain. En outre, les paroles
des grands sermonnaires retentissaient a son oreille plus puissamment que
de coutume, et la voix de sa conscience dominait enfin celle des passions.

Du fond du cloitre ou elle etait enfermee depuis deja huit ans, la
duchesse de La Valliere, devenue soeur Louise de la Misericorde, lui
inspirait par l'exemple de sa penitence de pieuses reflexions et de
salutaires resolutions. Jamais, s'il faut en croire un judicieux
critique[1], elle ne fut plus presente a la pensee du roi; jamais elle ne
lui apparut sous des traits plus divins que depuis qu'elle avait abandonne
la cour. Il lui accordait avec joie ce qu'elle demandait, non pas pour
elle, mais pour des personnes de sa famille, et il etait heureux
d'apprendre que la reine et toute la cour donnaient a la sainte carmelite
des marques d'interet et de veneration. C'est ainsi qu'au pied des autels
soeur Louise de la Misericorde demandait a Dieu et obtenait la conversion
de Louis XIV.

[Note 1: Walckenaer, _Memoires sur Mme de Sevigne_, t.V.]

Quand on pense que des l'age de quarante-quatre ans, dans la plenitude de
la force morale et physique, a l'apogee de sa gloire, ce monarque
tout-puissant mit fin a tout scandale et mena jusqu'a sa mort une vie
privee irreprochable au milieu de tant de seductions, on ne peut
s'empecher de rendre hommage a un pareil triomphe de la priere et du
sentiment religieux.

La conscience de la dignite royale, qu'on lui a reprochee comme exageree,
n'etait pas chez lui un orgueil coupable et incompatible avec le respect
de la Divinite. Croyant a l'autel et au trone, il avait foi d'abord en
Dieu, puis en lui-meme, oint du Seigneur. Son ideal, c'etait le ciel, et,
au-dessous du ciel, la royaute;--la royaute representant le droit de la
force et la force du droit, la royaute majestueuse, tutelaire, repandant,
comme le soleil, sur les pauvres et les riches, sur les petits et les
grands, la splendeur et les bienfaits de ses rayons. Louis XIV se mesurait
lui-meme avec une haute justice. Autant il se trouvait grand devant les
hommes, autant il se trouvait petit devant Dieu. Mieux qu'aucun autre, il
aurait pu s'appliquer ce vers de Corneille:

Pour etre plus qu'un roi, te crois-tu quelque chose?

Le souverain qui aurait defie tous les monarques reunis s'agenouillait
humblement devant un pretre obscur. Le digne heritier de Charlemagne
demandait pardon de ses fautes au fils d'un paysan. C'est ce melange
d'humilite chretienne et de fierte royale qui donne a la physionomie de
Louis XIV un caractere si imposant. Les sentiments religieux que sa mere
lui avait inculques des le berceau lui revenaient sans cesse a l'esprit,
meme dans ses plus regrettables ecarts. Quand il etait enfant, cette mere
passionnee s'agenouillait devant lui, en s'ecriant avec transport: "Je
voudrais le respecter autant que je l'aime," cette exclamation n'etait pas
une flatterie banale. C'etait, pour ainsi dire, un acte de foi dans le
principe de la royaute.

Les premieres impressions de l'enfant ne firent que se fortifier dans
l'homme. Il y eut toujours en lui du souverain et du pontife. Ame de
l'Etat, source de toute grace, de toute justice, de toute gloire, il se
considerait comme le lieutenant de Dieu sur la terre, et c'est en cette
qualite qu'il avait pour lui-meme une sorte de veneration dans laquelle
les grands predicateurs eux-memes ne faisaient que l'affermir. Les idees
gouvernementales de Bossuet sont le commentaire de cette foi politique,
associee intimement a la foi religieuse dont elle est le corollaire. Pour
le grand eveque comme pour le grand roi, la royaute est un sacerdoce, et
un souverain qui n'aurait pas le sentiment de la dignite monarchique
serait presque aussi blamable qu'un pretre qui n'aurait pas le respect du
culte dont il est le ministre. Ce fut a cette theorie, essence meme du
pouvoir royal, que Louis XIV dut le prestige d'attitude physique et morale
que Saint-Simon appelle "la dignite constante et la regle continuelle
de son exterieur".

L'ascendant qu'il se croyait non seulement en droit, mais en devoir
d'exercer sur tous ses sujets, quels qu'ils fussent, se faisait
particulierement sentir sur ceux qui l'approchaient. Le gouvernement de sa
cour, de sa famille, etait soumis aux memes doctrines et aux memes regles
que les affaires d'Etat. L'autorite paternelle se combinait en lui avec
l'autorite royale. Rien n'echappait a son controle. Ses volontes etaient
autant d'arrets irrevocables, et son fils, le dauphin, se conduisait a son
egard comme le plus soumis et le plus respectueux de tous les courtisans.
Les siecles revolutionnaires peuvent critiquer un tel systeme, il n'en
est pas moins appreciable. Le principe d'autorite, qui s'impose a la
nature elle-meme, comme la regle generale de la creation, est la base de
toute societe bien organisee.

La gloire de Louis XIV, c'est d'avoir ete le representant convaincu, le
symbole vivant de ce principe; c'est d'avoir compris que la ou il n'y a
point de discipline religieuse il n'y a point de discipline politique,
et que la ou il n'y a pas de discipline politique il n'y a pas de
discipline militaire. Les memes theories sont applicables aux eglises, aux
palais et aux camps. L'autorite indispensable est plus precieuse encore
que les libertes necessaires, et en fait de gouvernement, comme en fait
d'art, pas de beaute possible sans unite. L'aspiration constante vers
l'unite, qui est l'harmonie, fut tout le programme de Louis XIV. C'est
pour cela que Napoleon, excusant les defauts du souverain dont il etait
bien fait pour apprecier la gloire, disait avec admiration:

"Le soleil n'a-t-il pas des taches? Louis XIV fut un grand roi. C'est lui
qui a eleve la France au premier rang des nations. Depuis Charlemagne,
quel est le roi de France qu'on puisse comparer a Louis XIV sous toutes
ses faces?"




III

LA REINE MARIE-THERESE


Trouver, au milieu de types agites par l'orgueil, l'ambition et l'amour du
plaisir, une figure d'une douceur accomplie, un caractere vraiment
chretien, une ame pure, candide, angelique, c'est pour l'observateur une
satisfaction, un repos. On contemple avec recueillement la simplicite sous
le diademe, l'humilite sur le trone, les qualites et les vertus d'une
religieuse dans le coeur d'une reine. Une vie courte, mais bien remplie;
un role en apparence efface, mais en realite plus serieux et surtout plus
noble, plus respectable que celui de beaucoup de femmes celebres; de
grandes souffrances morales, chretiennement et courageusement supportees;
enfin un type irreprochable de piete et de bonte, de tendresse conjugale
et d'amour maternel, telle fut Marie-Therese d'Autriche, la compagne
de Louis XIV.

La monarchie francaise a eu le privilege d'etre sanctifiee par un certain
nombre de reines, dont les vertus, en quelque sorte contrepoids des
scandales de la cour, ont contribue a sauvegarder l'autorite morale du
trone. De meme que, sous le regne des derniers Valois, Claude de France,
Elisabeth d'Autriche, Louise de Vaudemont, rachetaient par la purete de
leur vie les vices de Francois 1er, de Charles IX, de Henri III, de meme
Marie-Therese compensa, pour ainsi dire, la morale des atteintes que Louis
XIV lui portait. L'histoire ne doit pas oublier cette femme, qui avait
dans les veines du sang de Charles-Quint et du sang de Henri IV; cette
souveraine, qui portait avec dignite son manteau royal, tout en le
comparant a un suaire; cette epouse modele, qui aimait son mari de toutes
les forces de son ame et ne l'approchait qu'avec un melange de respect, de
frayeur et de tendresse; cette mere devouee, qui s'appliquait a toucher le
coeur du jeune prince dont Bossuet etait charge de former l'esprit; cette
femme, qui a prouve une fois de plus qu'un palais peut devenir un
sanctuaire et qu'un coeur veritablement chretien peut battre sous le
manteau royal comme sous la robe de bure.

Nee en 1638, la meme annee que Louis XIV, Marie-Therese avait pour pere
Philippe IV, roi d'Espagne, et pour mere Isabelle de France, fille de
Henri IV et de Marie de Medicis. Elle etait donc cousine germaine de Louis
XIV. Les sentiments chretiens de cette princesse, qui comptait au nombre
de ses aieules sainte Elisabeth de Hongrie et sainte Elisabeth de
Portugal, ne l'empechaient pas d'avoir conscience de l'illustration de sa
famille. Ses convictions sur l'origine et le caractere du pouvoir royal
etaient absolument semblables a celles de son epoux. Une religieuse, qui
l'aidait a faire son examen de conscience pour une confession generale,
lui demanda un jour si, avant son mariage, elle n'avait jamais cherche a
plaire, ni desire d'etre aimee:

"Non, repondit naivement la reine. Pouvais-je aimer quelqu'un en Espagne?
Il n'y a point de roi a la cour de mon pere."

Au point de vue physique, Marie-Therese n'avait rien de remarquable. Sa
physionomie plus allemande qu'espagnole, son teint d'un blanc mat, ses
cheveux tres blonds, ses grands yeux d'un bleu pale, ses levres rouges et
pendantes, ses traits sans finesse, sa taille peu elevee, ne la rendaient
ni belle, ni laide. Elle n'avait pourtant pas manque, au moment de son
mariage, d'adulations hyperboliques et de portraits enthousiastes. Tout le
Parnasse s'etait mis en frais. On avait compose une foule de vers francais
et latins dans le genre de ceux-ci:

    Therese seule a pu vaincre par ses regards
    Ce superbe vainqueur qui triomphe de Mars.

    _Victorem Martis praeda, spoliisque superbum
    Vincere quae posset, sola Theresa fuit._

Mais cette reine, dont tant de princes avaient ambitionne la main, et dont
le mariage avait eu tant de retentissement et tant d'importance politique,
fit le silence autour d'elle des qu'elle fut installee au Louvre ou a
Saint-Germain. La timidite de son caractere, son horreur instinctive des
medisances et des calomnies si frequentes dans les cours, son eloignement
de toute intrigue, son admiration passionnee pour le roi, qu'elle croyait
beaucoup trop superieur a elle pour oser lui donner un conseil politique,
tout contribuait a la rendre etrangere aux secrets du gouvernement.
Cependant, quand Louis XIV guerroyait, il la decorait du titre de regente.
C'etait a elle qu'etaient adresses les bulletins de victoire, ce fut elle
qui recut la relation officielle du passage du Rhin. On disait alors: "Le
roi combat, la reine prie."

Au commencement de son mariage, Louis XIV la traitait non seulement avec
de grands egards, mais avec une reelle tendresse. Lorsqu'elle devint mere
du dauphin, le roi versa des larmes de joie, et, a 5 heures du matin, il
alla se confesser et communier[1].

[Note 1: Mme de Motteville, _Memoires_.]

Marie-Therese eut, en onze ans, trois fils et trois filles; elle les
perdit tous en bas age et supporta ces morts cruelles, comme ses autres
douleurs, avec une resignation admirable, tout en en ayant le coeur
dechire. Certes, c'etait un spectacle revoltant de voir les favorites du
roi faire partie de la maison de la reine et servir en apparence une femme
dont elles etaient en realite, malgre des dehors respectueux, les rivales
et les persecutrices. On entendit plus d'une fois la malheureuse reine
s'ecrier a propos de Mlle de La Valliere:

"Cette fille-la me fera mourir!"

En meme temps elle avait, si l'on en croit Mme de Caylus[1], une telle
crainte du roi et une si grande timidite naturelle, qu'elle n'osait lui
parler ni s'exposer en tete-a-tete avec lui. "J'ai oui dire a Mme de
Maintenon, ajoute Mme de Caylus, qu'un jour le roi ayant envoye chercher
la reine, la reine, pour ne pas paraitre seule en sa presence, voulut
qu'elle la suivit; mais elle ne fit que la conduire jusqu'a la porte de
la chambre, ou elle prit la liberte de la pousser jusqu'a la faire entrer
et remarqua un si grand tremblement dans toute sa personne, que ses mains
memes tremblerent de frayeur."

[Note 1: Mme de Caylus, _Memoires_.]

D'autre part, la princesse Palatine ecrit: "Elle avait une telle affection
pour le roi, qu'elle cherchait a lire dans ses yeux tout ce qui pouvait
lui faire plaisir. Pourvu qu'il la regardat avec amitie, elle etait
heureuse tout la journee[1]." Elle n'agissait, elle ne pensait, elle ne
vivait que par lui et pour lui.

[Note 1: Lettres de la princesse Palatine.]

Louis XIV, qui se sentait a juste titre coupable a l'egard de cette reine
si digne d'affection et de respect, essayait de racheter ses torts par les
egards dont il l'entourait malgre tout. Soit en public, soit en
particulier, il la traitait toujours avec douceur et courtoisie. Enfin, a
partir de 1682, quand, apres tant d'egarements, il se fixa definitivement
a Versailles, la reine n'eut plus qu'a se louer de l'affection qu'il lui
temoignait. Il lui prodiguait, ainsi que le constatent encore les
Souvenirs de Mme de Caylus, des attentions auxquelles elle n'etait pas
accoutumee. Il la voyait plus souvent et cherchait a l'amuser, a la
distraire. Son fils, le dauphin, et sa bru, la dauphine de Baviere,
avaient aussi pour elle une grande deference.

Ses appartements de Versailles, composes de cinq grandes pieces, et
aboutissant, d'une part, a l'escalier de marbre, de l'autre a la galerie
des Glaces, etaient remplis de meubles magnifiques. La reine occupait la
chambre dont nous avons deja parle, et d'ou l'on apercoit l'Orangerie, la
piece d'eau des Suisses et les coteaux de Satory. Elle aimait a quitter ce
splendide sejour pour aller prier dans des couvents ou visiter des
hopitaux. On la voyait servir les malades de ses mains royales, leur
porter leur nourriture comme une simple infirmiere, et, lorsque les
medecins lui faisaient, dans l'interet de sa sante, des observations, elle
repondait qu'elle ne pouvait mieux l'employer qu'en servant Jesus-Christ
dans la personne des pauvres.

Malgre le retour de tendresse que lui temoignait le roi, elle continuait a
vivre humblement et modestement, s'occupant de son foyer domestique et non
des affaires de l'Etat. La _Gazette officielle_ ne faisait mention de
cette bonne reine que pour annoncer qu'elle avait rempli a sa paroisse ses
devoirs de devotion, ou qu'elle etait allee passer la journee aux
Carmelites de la rue du Bouloi.

Marie-Therese, heureuse et consolee, se rejouissait aussi de la naissance
de son petit-fils, le duc de Bourgogne. Loin d'eprouver de la jalousie
pour l'influence grandissante de Mme de Maintenon, elle s'en felicitait
comme d'une des causes des sentiments pieux de Louis XIV, et jamais il ne
lui serait venu a l'esprit que bientot, elle disparue, la veuve de
Scarron, l'ancienne gouvernante des enfants de Mme de Montespan, serait la
femme du roi et la reine de France, moins le nom.




IV


MME DE MONTESPAN ET MME DE MAINTENON EN 1682


I

Avant d'examiner Mme de Montespan, au moment ou la cour se fixait a
Versailles, il faut voir ce qu'elle avait ete a l'origine, puis au temps
de ses tristes succes.

Une beaute fiere et opulente, des yeux d'azur remplis d'eclairs, un teint
d'une eclatante blancheur, une foret de cheveux blonds, une de ces figures
qui jettent la lumiere partout ou elles paraissent; un esprit incisif,
caustique, etincelant de verve et d'entrain; une soif inextinguible de
plaisirs et de richesse, de luxe et de domination; des allures de deesse
usurpant audacieusement la place de Junon dans l'Olympe, de l'orgueil
sans dignite, de l'eclat sans poesie, telle avait ete Mme de Montespan au
temps de sa toute-puissance.

Nee en 1641, au chateau de Tonnay-Charente, du duc de Mortemart et de
Diane de Grandseigne, elle avait ete fille d'honneur de la reine en 1660
et mariee en 1663 au marquis de Montespan. Elevee dans le respect de la
religion, rien ne pouvait alors faire prevoir le triste role auquel la
vanite et l'ambition devaient, plus que tout autre sentiment, entrainer sa
jeunesse. C'etait l'epoque de l'enivrement des courtisans et de
l'adulation des peuples. La cour apparaissait comme une espece d'Olympe
monarchique, dont Louis XIV etait le Jupiter. "Des dieux et des deesses
inferieurs s'y mouvaient au-dessous de lui. Leurs vertus etaient exaltees,
leurs vices memes etaient etales avec une audace de superiorite qui
semblait mettre entre le peuple et le trone la difference d'une morale des
dieux a la morale des hommes. Louis XIV s'etait fait accepter comme une
exception en tout dans l'humanite." L'adulation etait poussee si loin,
qu'elle s'etendait aux favorites, et que leur role a Versailles finissait
par etre considere comme une sorte de fonction publique, comme une grande
charge de cour ayant ses droits, son ceremonial, son etiquette, presque
ses devoirs.

Mme de Montespan paraissait la dans son element. C'etait la fiere sultane,
l'idole encensee, la deesse de cet Olympe. Mme de Sevigne, grande
admiratrice au succes a tout prix, jetait sur elle des regards extatiques
et exprimait un naif enthousiasme pour sa merveilleuse robe "d'or sur or,
rebrode d'or et par-dessus un or frise, rebroche d'un or mele avec un
certain or qui fait la plus divine etoffe qui ait jamais ete imaginee".
Elle ecrivait a sa fille: "Mme de Montespan etait, l'autre jour, couverte
de diamants; on ne pouvait pas soutenir l'eclat d'une pareille divinite...
Oh! ma fille, quel triomphe a Versailles! quel orgueil redouble! quel
solide etablissement!"

"Ce solide etablissement" dura environ treize ans. Belle encore en 1682,
malgre ses quarante ans, Mme de Montespan continuait a jouir des egards
dus a sa naissance et a ses fonctions de surintendante de la maison de la
reine. Mais sa faveur avait cesse. Malgre des efforts desesperes pour
garder ou ressaisir son empire, il fallut bien s'avouer a elle-meme son
irremediable defaite. Elle n'essaya plus de lutter; delaissee de tous, la
religion seule lui offrait un baume a mettre sur les plaies faites par
l'orgueil et le depit. Elle se refugia dans une obscure maison de Paris;
c'est la que Bossuet allait lui faire des instructions pour l'affermir
dans la bonne voie.

Les predicateurs exercaient alors une influence reelle sur toute la cour
et cherchaient a atteindre le roi lui-meme.

Bourdaloue, cet orateur admirable, si grand dans sa simplicite, si
venerable dans sa modestie; ce dialecticien, irresistible; cet adversaire
des passions humaines, qui excellait, avec ses phalanges d'arguments, a
livrer des batailles rangees a la conscience de ses auditeurs et dont le
grand Conde disait, en le voyant monter en chaire: "Silence! voici
l'ennemi!" Bourdaloue fut, sans contredit, l'un des agents les plus actifs
de la conversion de Louis XIV. Il avait preche a la cour l'Avent de 1670
et les caremes de 1672, de 1674 et de 1675.

Hardi comme un tribun et courageux comme un apotre, il retournait le fer
dans la plaie. S'adressant un jour directement a Louis XIV, il s'etait
ecrie:

"Ce qui sauve les rois, c'est la verite; Votre Majeste la cherche et elle
aime ceux qui la lui font connaitre, elle n'aurait que des mepris pour
quiconque la lui deguiserait, et, bien loin de lui resister, elle se fait
gloire d'en etre vaincue."

Les exhortations de Bossuet n'etaient pas moins pressantes; ses fonctions
de precepteur du dauphin lui donnaient un acces frequent aupres du roi, et
il en profitait pour plaider avec energie la cause du devoir et de la
vertu. C'est lui qui avait dit, dans son sermon sur la purification,
prononce a la cour: "Fuyons les occasions dangereuses et ne presumons pas
de nos forces. On ne soutient pas longtemps sa vigueur quand il la faut
employer contre soi-meme."

C'est encore lui qui ecrivait au marechal de Bellefonds: "Priez Dieu pour
moi; priez-le qu'il me delivre du plus grand poids dont un homme puisse
etre charge, ou qu'il fasse mourir tout l'homme en moi pour n'agir que par
lui seul. Dieu merci, je n'ai pas encore songe, durant tout le cours de
cette affaire, que je fusse au monde; mais ce n'est pas tout, il faudrait
etre comme un saint Ambroise, un vrai homme de Dieu, un homme de l'autre
vie, ou tout parlat, dont les mots fussent des oracles du Saint-Esprit,
dont toute la conduite fut celeste. Priez, priez, je vous en conjure."

Avec quel respect, mais aussi avec quelle fermete et quelle noblesse de
langage et de pensee, le grand eveque s'adresse au Grand Roi: "J'espere,
lui ecrit-il, que tant de grands objets qui vont tous les jours occuper de
plus en plus Votre Majeste, serviront beaucoup a la guerir. On ne parle
plus que de la beaute de vos troupes et de ce qu'elles sont capables
d'executer sous un aussi grand conducteur; et moi, sire, pendant ce temps,
je songe secretement en moi-meme a une guerre bien plus importante et a
une victoire bien plus difficile que Dieu vous propose."

"Meditez, sire, ecrit-il encore, cette parole du Fils de Dieu: elle semble
etre prononcee pour les grands rois et pour les conquerants: Que sert a
l'homme, dit-il, de gagner tout le monde, si cependant il perd son ame? et
quel gain pourra le recompenser d'une perte si considerable? Que vous
servirait, sire, d'etre redoute et victorieux dehors, si vous etes dedans
vaincu et captif? Priez donc Dieu qu'il vous en affranchisse; je l'en prie
sans cesse de tout mon coeur. Mes inquietudes pour votre salut redoublent
de jour en jour, parce que je sais tous les jours, de plus en plus, quels
sont les perils. Dieu veuille benir Votre Majeste! Dieu veuille lui donner
la victoire, et, par la victoire, la paix au dedans et au dehors! Plus
Votre Majeste donnera sincerement son coeur a Dieu, plus elle mettra en
lui son attache et sa confiance, plus aussi elle sera protegee de sa main
toute-puissante."

Les conseils de Bossuet et les predications de Bourdaloue ne porterent des
fruits durables qu'apres bien des efforts, bien des luttes, bien des
alternatives de relevement et de chute. Cependant Louis XIV, desormais
fixe sur les amertumes, les deceptions, les angoisses des passions
coupables, revient a Dieu; l'oeuvre de Bossuet etait accomplie.
Saint-Simon, qui rend pleine justice a l'attitude du prelat, dit a son
sujet: "Il parle souvent au monarque avec une liberte digne des premiers
siecles et des premiers eveques de l'Eglise; il interrompit plus d'une
fois le cours des desordres; enfin, il les fit cesser."

La conversion de Louis XIV avait, en effet, un caractere definitif; mais
il serait injuste de l'attribuer uniquement aux predicateurs et de ne pas
y reconnaitre pour une part l'influence de la femme dont nous allons
parler: Mme de Maintenon.


II


"Il semble, a dit M. Saint-Marc Girardin, que le monde et la posterite en
aient voulu a Mme de Maintenon d'un triomphe remporte par la raison au
profit de l'honnetete. N'ayant pas pu l'empecher de reussir par la raison,
le monde s'en est dedommage en lui faisant une reputation de secheresse et
de roideur fort contraire a son caractere. Puisqu'il fallait que la raison
fut triomphante, le monde n'a pas voulu au moins qu'elle fut aimable."

On avait assombri une figure belle et lumineuse, oubliant que la femme
qu'on voulait representer sous un jour triste, presque sinistre, fut une
charmeuse, une enchanteresse; que Fenelon definissait son esprit: "la
raison parlant par la bouche des Graces;" que Racine songeait a elle en
ecrivant ces vers d'_Esther_:

    Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle grace
    Qui me charme toujours, et jamais ne me lasse.

Les adversaires de Mme de Maintenon l'avaient d'abord emporte sur ses
admirateurs; mais notre epoque, passionnee pour la verite historique, a
revise un faux jugement.

Deux ecrivains habiles et convaincus: le duc de Noailles et M. Theophile
Lavallee, pleins de respect pour une memoire injustement decriee, sont
parvenus a ressusciter, en quelque sorte, la vraie Mme de Maintenon. Le
baron de Walckenaer avait deja fait observer, au sujet de cette femme si
diversement appreciee, qu'elle est le personnage historique sur lequel on
possede le plus de documents emanes de sa bouche ou traces par sa plume.
"Il est donc a regretter, disait-il, que les historiens, meme les plus
judicieux, aient prefere des satires contemporaines aux temoignages
certains et authentiques fournis par elle-meme, et qu'ils aient converti
une simple et interessante histoire en un vulgaire et incomprehensible
roman."

Aujourd'hui la verite s'est fait jour. Les defenseurs de Mme de Maintenon
n'ont rien laisse subsister des invectives de Saint-Simon et de la
princesse Palatine contre une femme qui, sympathique ou non, merite, a
coup sur, l'estime de la posterite. Depuis la publication du bel ouvrage
du duc de Noailles, il y a eu, au sujet de Mme de Maintenon, une sorte de
tournoi litteraire, et le grand critique Sainte-Beuve a ete le juge du
camp. "Il est arrive a M. Lavallee, a-t-il dit, ce qui arrivera a tous les
bons esprits qui approcheront de cette personne distinguee et qui
Prendront le soin de la connaitre dans l'habitude de la vie.... Il
a fait justice de cette foule d'imputations fantasques et odieusement
vagues qui ont ete longtemps en circulation sur le pretendu role
historique de cette femme celebre. Il l'a vue telle qu'elle etait tout
occupee du salut du roi, de sa reforme, de son amusement decent, de
l'interieur de la famille royale, du soulagement des peuples."

L'ecole revolutionnaire, qui voudrait trainer dans la boue la memoire du
Grand Roi, deteste tout naturellement la femme eminente qui fut sa
compagne, son amie et sa consolatrice. Les ecrivains de cette ecole
pretendraient en faire un type non seulement odieux et funeste, mais
disgracieux, antipathique, sans rayonnement, sans charme, sans seduction.
On se la figure trop souvent sous les traits d'une vieille femme usee,
roide et seche, avec des yeux sans larmes et un visage sans sourire. On
oublie que, jeune, elle fut une des plus jolies femmes de son siecle, que
sa beaute se conserva d'une maniere merveilleuse, et que, dans sa
vieillesse, elle garda cette superiorite de style et de langage, cette
distinction de manieres, ce tact exquis, cette finesse, cette douceur et
cette fermete de caractere, ce charme et cette elevation d'esprit qui, a
toutes les epoques de son existence, lui valurent tant d'eloges et lui
attirerent tant d'amities.

Un rapide coup d'oeil jete sur une carriere si invraisemblable suffit pour
faire comprendre tout ce qu'il y avait de seduisant chez une femme qui sut
plaire a Scarron et a Louis XIV, a Ninon de Lenclos et a Mme de Sevigne, a
Mme de Montespan et a la reine, aux grandes dames et aux religieuses, aux
prelats et aux enfants.

Francoise d'Aubigne, la future Mme de Maintenon, vient au monde, le 27
novembre 1635, dans une prison de Niort, ou est enferme son pere, couvert
de dettes et accuse d'intelligences avec l'ennemi. Bercee de gemissements
pour tous chants de tendresse, elle commence tristement la vie. Son pere,
sorti de prison, la conduit a l'age de trois ans a la Martinique, ou il va
chercher fortune. Sa fortune dure peu; il perd au jeu ce qu'il a gagne et
meurt, laissant sa femme et sa fille dans la misere. Agee de dix ans,
Francoise d'Aubigne revient en France. Elle est confiee par sa mere a une
tante, Mme de Villette, et on l'eleve dans la religion protestante, dont
son aieul, Theodore Agrippa d'Aubigne, a ete le champion celebre. "Je
crains bien, ecrit Mme d'Aubigne a Mme de Villette, que cette pauvre
petite galeuse ne vous donne bien de la peine; ce sont des effets de votre
bonte de l'avoir voulu prendre. Dieu lui fasse la grace de l'en pouvoir
revancher!"

[Note: Lettre du 26 juillet 1646.]

Quelque temps apres, Francoise est retiree des mains protestantes de Mme
de Villette pour passer dans celles d'une autre parente, tres zelee
catholique, Mme de Neuillant. "Je commandais dans la basse-cour, a-t-elle
dit depuis, et c'est par la que mon regne a commence.... On nous mettait
au bras un petit panier ou etait notre dejeuner, avec un petit livre des
quatrains de Pibrac, dont on nous donnait quelques pages a apprendre par
jour. Avec cela on nous mettait une gaule dans la main, et on nous
chargeait d'empecher que les dindons n'allassent ou ils ne devaient point
aller."

Elle est ensuite placee au couvent des Ursulines de Niort, puis a celui
des Ursulines de la rue Saint-Jacques a Paris, ou elle abjure le
protestantisme, non sans une vive resistance. Elle a deja ce don de plaire
qu'elle conservera toute sa vie. "Dans mon enfance, a-t-elle dit
elle-meme[1], j'etais la meilleure petite creature que vous puissiez
imaginer.... J'etais veritablement ce qu'on appelle une bonne enfant, de
maniere que tout le monde m'aimait.... Etant un peu plus grande, je
demeurais dans des couvents; vous savez combien j'y etais aimee de mes
maitresses et de mes compagnes.... Je ne songeais qu'a les obliger et a me
rendre leur servante a toutes depuis le matin jusqu'au soir."

[Note 1: _Entretiens de Saint-Cyr_.]

Orpheline et privee de toutes ressources, Francoise d'Aubigne, qui n'avait
que dix-sept ans, epouse en 1652 le fameux poete Scarron, age de
quarante-deux ans, paralyse, perclus de tous ses membres; Scarron,
l'auteur burlesque, le bouffon par excellence, qui demande un brevet de
_malade de la reine_, rit de ses maux, se moque de lui-meme et de la
douleur, et qui, tout en ressemblant, comme il le dit, a un Z, tout en
"ayant les bras raccourcis aussi bien que les jambes, et les doigts aussi
bien que les bras", tout en etant enfin "un raccourci de la misere
humaine", amuse la haute societe francaise par sa verve intarissable, par
sa franche et gauloise gaiete. Quand on dresse le contrat de mariage,
Scarron declare qu'il reconnait a "l'accordee quatre louis de rente, deux
grands yeux fort mutins, un tres beau corsage, une paire de belles mains
et beaucoup d'esprit". Le notaire lui demande quel douaire il constitue a
la mariee:

"L'immortalite," repond-il.

Que de tact il va falloir a une jeune fille de dix-sept ans pour se faire
respecter dans la societe du poete burlesque qui dit: "Je ne lui ferai pas
de sottises, mais je lui en apprendrai beaucoup." C'est le contraire qui
arrivera: Francoise d'Aubigne moralisera Scarron. Elle fera de son salon
un des centres les plus distingues de Paris; la meilleure compagnie
regardera comme un honneur d'y etre admise. Ninon de Lenclos, l'amie de
Scarron, elle-meme s'inclinera devant une telle vertu. Et pourtant ce ne
sont pas les admirateurs qui manquent a la femme du poete, a la _belle
Indienne_, comme on se plait a l'appeler, a la sirene que Mlle de Scudery
celebre en termes enthousiastes dans le roman de _Clelie_, sous le
pseudonyme de Lyrianne. La reine Christine de Suede dit a Scarron qu'elle
n'est pas surprise qu'ayant la femme la plusaimable de Paris, il soit,
malgre ses maux, l'homme de Paris le plus gai.

Avec une si bonne et si seduisante compagne, le pauvre poete a moins de
merite a supporter la douleur plus courageusement que les stoiciens de
l'antiquite. Enfin, au mois d'octobre 1660, il meurt dans des sentiments
tres chretiens, et dit, sur son lit de mort:

"Le seul regret que j'ai, c'est de ne pas laisser de biens a ma femme, de
qui j'ai tous les sujets imaginables de me louer."

Veuve, Mme Scarron recherche surtout l'estime. Plaire en restant
vertueuse, supporter, s'il le faut, les privations, la misere meme, mais
conquerir le nom de femme forte, meriter les sympathies et les suffrages
des gens serieux, tel est le but de tous ses efforts. Bien habillee,
quoique tres simplement, discrete et modeste, intelligente et distinguee,
ayant cette elegance innee que le luxe ne donne pas et qui provient
seulement de la nature; pieuse d'une piete vraie, s'occupant plus des
autres que d'elle-meme, parlant bien, et, ce qui est plus rare encore,
sachant ecouter, s'interessant aux joies et aux chagrins de ses amis,
habile dans l'art de les distraire, de les consoler, elle est regardee
avec raison comme une des femmes les plus aimables et les plus superieures
de Paris.

Econome et simple dans ses gouts, elle equilibre son modeste budget, grace
a une pension annuelle de deux mille livres, qui lui est faite par la
reine Anne d'Autriche. Elle est recue avec empressement par Mmes de
Sevigne, de Coulanges, de Lafayette, d'Albret, de Richelieu. C'est
l'epoque la plus tranquille et, sans doute, la plus heureuse de sa vie.
Mais la mort de sa bienfaitrice, la reine mere (20 janvier 1666), lui fait
perdre la pension qui est son unique ressource. Un grand seigneur tres
riche et tres vieux la demande en mariage; elle refuse. Elle est sur le
point de s'expatrier pour suivre la princesse de Nemours, qui va
epouser le roi de Portugal. Son etoile la retient en France, ou elle sera
un jour presque reine. Elle ecrit a Mlle d'Artigny:

"Menagez-moi, je vous prie, l'honneur d'etre presentee a Mme de Montespan,
lorsque j'irai vous faire mes adieux; que je n'aie pas a me reprocher
d'avoir quitte la France sans en avoir revu la merveille."

Mme de Montespan n'etait encore celebre que par sa beaute; mais sa
situation de dame du palais de la reine la rendait deja influente. Elle
trouva Mme Scarron charmante et lui obtint le retablissement de la
pension de deux mille livres, qui lui permit de ne pas aller en Portugal.

Heureuse de cette solution, la belle veuve, adonnee aux bonnes oeuvres et
aux lectures serieuses, meditant le livre de Job et les Maximes de La
Rochefoucauld, visitant les pauvres et faisant l'aumone, malgre la
mediocrite de ses ressources, s'installe de la facon la plus modeste dans
un petit appartement de la rue des Tournelles. C'est la que la capricieuse
fortune va venir la surprendre. Sollicitee par le roi lui-meme, Mme
Scarron accepte l'offre qui lui est faite, en 1679, d'elever les enfants
de Mme de Montespan. Il fallait une femme intelligente, discrete, devouee.
Mme Scarron se consacre courageusement a ce role de mere adoptive. En
1672, elle s'etablit non loin de Vaugirard, dans un grand hotel isole. Mme
de Coulanges ecrit alors a Mme de Sevigne; "Pour Mme Scarron, c'est une
chose etonnante que sa vie. Aucun mortel sans exception n'a de commerce
avec elle." Louis XIV, d'abord prevenu contre la gouvernante qu'il
qualifiait de bel esprit, commence a lui reconnaitre des qualites rares et
porte sa pension de deux mille a six mille livres.

En 1674, elle etait arrivee a Versailles avec ses trois eleves: le duc du
Maine, le comte de Vexin et Mlle de Tours. C'est de la qu'elle ecrivait a
son frere, le 25 juillet: "La vie que l'on mene ici est fort dissipee, et
les jours y passent vite. Tous mes petits princes y sont etablis, et je
crois pour toujours; cela, comme tout autre chose, a son vilain et son bel
endroit."

Des qu'elle a mis le pied a la cour, Mme Scarron s'y est trace un
programme. "Rien de plus habile, dit-elle, qu'une conduite irreprochable."

Mme de Montespan se felicite d'abord d'avoir pres d'elle une personne si
aimable, si spirituelle, de si bonne compagnie; mais cet engouement dure
peu. Les brouilleries, les raccommodements, les petites zizanies,
commencent. C'est une chose curieuse, mais explicable, que la situation
respective de ces deux femmes si spirituelles et si intelligentes,
l'altiere favorite et l'austere gouvernante. Louis XIV disait:

"J'ai plus de peine a mettre la paix entre elles qu'a la retablir en
Turquie."

Toutefois Mme Scarron n'attaque pas, elle se defend; le roi lui rend cette
justice et commence a reconnaitre ses rares merites. A la fin de 1674, il
lui avait donne la terre de Maintenon, et elle s'appelait depuis lors la
marquise de Maintenon. Y a-t-il de sa part les intrigues ourdies
savamment, les hypocrisies raffinees, les calculs machiaveliques que ses
detracteurs lui supposent? Nous ne le croyons pas. Que ses interets se
concilient avec ses devoirs, que la piete qui pour elle est un but
devienne un moyen, en est-elle, completement responsable?

Veut-elle eloigner Mme de Montespan, qui a ete, il est vrai, sa
protectrice, sa bienfaitrice? Oui. Peut-on l'en blamer? Non, assurement.
Aura-t-elle l'idee de supplanter Mme de Montespan, comme Mme de Montespan
avait supplante son amie Mlle de La Valliere? En aucune maniere. Lorsque
Louis XIV, fatigue de l'orgueil et des violences de la favorite "tonnante
et triomphante", l'eloignera de lui, Mme de Maintenon essayera-t-elle
d'accaparer le roi? Nullement; le triste sceptre passera alors aux mains
de Mlle de Fontanges. Quand Mlle de Fontanges mourra d'une facon si
soudaine, qu'on osera soupconner contre toute justice Mme de Montespan de
l'avoir empoisonnee, Mme de Maintenon aura-t-elle l'idee de remplacer
la duchesse de Fontanges? Pas davantage. Elle n'aura qu'un but: convertir
le roi, le ramener a la reine.

Ce but, elle l'atteindra.

C'en est fait: Mme de Montespan peut encore s'irriter contre l'habile
gouvernante, mais elle est desormais vaincue. Sans doute il est dur pour
cette fiere Mortemart, qui a toujours tenu tete au Grand Roi, qui a
regarde en face le demi-dieu, de s'humilier devant une femme qu'elle a
tiree de la misere, devant une institutrice de sept ans plus agee qu'elle;
mais qu'y faire? "Le roi ne la regarde plus, et vous jugez bien que les
courtisans suivent son exemple[1]." Mme de Sevigne ecrivait, le 6 avril
1680: "Mme de Montespan est enragee. Elle pleura beaucoup hier. Vous
pouvez juger du martyre que souffre son orgueil, qui est encore plus
outrage par la haute faveur de Mme de Maintenon." A la meme epoque, Mme de
Maintenon ecrivait: "Mme de Montespan et moi avons fait aujourd'hui un
chemin ensemble, nous tenant sous le bras et riant beaucoup; nous n'en
sommes pas mieux pour cela."

[Note 1: Lettre de Bussy-Rabutin, 30 avril 1680.]

La position de Mme de Maintenon est desormais inattaquable: elle n'a plus
besoin de se faire un piedestal du berceau de ses eleves; elle a
maintenant, pour elle-meme, sa place marquee a la cour. On la recherche,
on la flatte. Lorsqu'elle passe quelques jours a son chateau de Maintenon,
les plus grands personnages y vont lui rendre hommage. Louis XIV la nomme
dame d'atours de la dauphine. Quand cette princesse arrive en France,
c'est Bossuet et Mme de Maintenon qui la recoivent a Schlestadt. "Si Mme
la dauphine, ecrit Mme de Sevigne, croit que tous les hommes et toutes les
femmes aient autant d'esprit que cet echantillon, elle sera bien
trompee[1]." Ce bien qu'elle a tant desire, la consideration, Mme de
Maintenon le possede enfin. Le parti devot la regarde comme un oracle. Les
prelats les plus eminents la tiennent en haute estime; c'est elle qui
travaille avec eux a la conversion du roi; c'est elle qui le rapproche
de la reine; c'est elle qui, avec son eloquence insinuante et douce,
plaide a la cour la cause de la morale et de la religion.

[Note 1: Lettre du 14 fevrier 1680.]




V


LA DAUPHINE DE BAVIERE


A cote des types dominateurs qui s'imposent a l'attention de la posterite,
il y a place, dans l'histoire, pour des figures plus calmes, plus douces,
plus recueillies, qui de leur vivant resterent dans l'ombre, dans le
silence, et qui conservent, pour ainsi dire, une sorte de modestie et de
reserve meme au dela du tombeau. Des princesses se sont rencontrees, que
le tumulte du monde, l'eclat de la puissance, la splendeur du luxe, n'ont
pu arracher a leur tristesse native, qui ont ete humbles et timides au
milieu des grandeurs, qui se sont fait a elles-memes une solitude, et qui,
suivant les expressions de Bossuet, ont trouve dans leur oratoire, malgre
toutes les agitations de la cour, le carmel d'Elie, le desert de Jean et
la montagne si souvent temoin des gemissements de Jesus.

Il y a dans le sourire de ces femmes un melange d'indulgence et de
douleur, d'attendrissement et de chagrin, de compassion et de bonte. Elles
semblent n'avoir occupe les situations les plus hautes que pour nous
inspirer des reflexions philosophiques et des pensees chretiennes; pour
nous prouver, par leur exemple, que le bonheur n'habite pas toujours les
palais; que les choses exterieures ne donnent point les veritables joies;
que "la grandeur est un songe, la jeunesse une fleur qui tombe, et la
sante un nom trompeur [1]".

[Footnore [1]: Bossuet, _Oraison funebre de la reine Marie-Therese_.]

Parmi ces figures plaintives, pales apparitions de l'histoire dont la
carriere peu feconde en peripeties dramatiques renferme des enseignements
chretiens, il faut placer Marie-Anne-Christine-Victoire, fille de
Ferdinand, electeur, duc de Baviere, dauphine de France. La vie de cette
princesse, nee en 1660, mariee en 1680 au fils de Louis XIV, morte a
Versailles en 1690, a l'age de vingt-neuf ans, pourrait se resumer par un
seul mot: melancolie. C'etait une de ces natures depaysees sur la terre et
aspirant au ciel, dont Bossuet aurait pu dire, comme de la reine: "La
terre, son origine et sa sepulture, n'est pas encore assez basse pour la
recevoir; elle voudrait disparaitre tout entiere devant la majeste du Roi
des rois." Son education avait ete austere. La cour de Munich ressemblait
a un couvent. "On s'y levait tous les jours a 6 heures du matin, on y
entendait la messe a 9, on dinait a 10, on assistait aux vepres tous les
jours, et il n'y avait plus personne a 6 heures du soir, heure a laquelle
on soupait, pour se coucher a 7[1]."

[Note 1: _Memoires de Coulanges_.]

La jeune princesse, loin de se laisser eblouir par l'eclat de sa nouvelle
fortune, ne quitta pas sans un profond regret la cour pieuse et
patriarcale ou elle avait passe son enfance. Des qu'elle parut dans sa
nouvelle patrie, elle y produisit pourtant une bonne impression. Elle
n'etait point belle; mais sa grace, ses manieres, sa dignite naturelle, et
plus que cela, son merite, son instruction, sa bonte, lui donnaient du
charme. Une des personnes envoyees a sa rencontre par Louis XIV ecrivait
au roi: "Mme la dauphine n'est pas jolie, sire; mais sauvez le premier
coup d'oeil, et vous en serez fort content." Elle accueillit Bossuet avec
une courtoisie parfaite a Schlestadt: "Je prends part a tout ce que vous
avez enseigne a M. le dauphin, lui dit-elle. Ne refusez pas, je vous prie,
de me donner a moi-meme vos instructions, et soyez assure que je
m'efforcerai d'en profiter."

Le grand eveque fut frappe du savoir de la princesse. Elle avait l'exacte
connaissance des langues vivantes de l'Europe, et meme de la langue de
l'Eglise, qu'on lui avait apprise des son enfance. Bossuet etait sincere
lorsque, trois ans plus tard, il disait d'elle: "Nous l'avons admiree des
qu'elle parut, et le roi a confirme notre jugement [1]." Nomme premier
aumonier de la dauphine, il l'accompagna de Schlestadt a Versailles. Dans
le trajet eut lieu une ceremonie qui contrastait avec les transports de
joie que la princesse rencontrait partout sur sa route, depuis son entree
en France. Le mercredi 6 mars 1680, Bossuet lui mit les cendres sur le
front, dans la chapelle seigneuriale du chateau de Brignicourt-sur-Saulx:
"Femme, lui dit-il, qu'il t'en souvienne; tu fus tiree de la poussiere; il
t'y faudra retourner un jour."

[Note [1]: Bossuet, _Oraison funebre de la reine Marie-Therese_.]

Helas! dix ans apres, la prediction s'accomplira, et la princesse,
assistee a son lit de mort par Bossuet, lui rappellera les solennelles
paroles de ce mercredi des Cendres [2].

[Note [2]: Voir le savant et remarquable ouvrage de M. Floquet: _Bossuet
precepteur du Dauphin_.]


Louis XIV fit a sa belle-fille l'accueil le plus courtois et le plus
amical. Elle eut pour dame d'honneur la duchesse de Richelieu, pour
seconde dame d'atours Mme de Maintenon, pour demoiselles d'honneur Mlles
de Laval, de Biron, de Gontaut, de Tonnerre, de Rambures, de Jarnac. Le
roi venait l'apres-dinee passer plusieurs heures dans la chambre de la
princesse, ou il trouvait Mme de Maintenon, et il consacrait a cette
visite le temps qu'il donnait autrefois a Mme de Montespan.

Les premieres annees du mariage de la dauphine furent tranquilles. Son
mari, qui n'avait que quelques mois de plus qu'elle, lui temoignait alors
un sincere attachement. La naissance de leur fils, le duc de Bourgogne,
causa des transports d'allegresse non seulement a la cour, mais dans la
France entiere. La joie tenait du delire. Chacun se donnait la liberte
d'embrasser le roi[1]. Spinola, dans l'ardeur de son enthousiasme, lui
mordit le doigt, et, l'entendant crier: "Sire, dit-il, je demande pardon a
Votre Majeste; mais si je ne l'avais pas mordue, elle n'aurait pas pris
garde a moi."

[Note 1: L'abbe de Choisy, _Memoires pour servir a l'histoire de Louis
XIV_.]

C'etaient partout des danses, des illuminations, des transports. Le
peuple, qui faisait des feux de joie, brulait jusqu'aux parquets destines
a la grande galerie: "Qu'on les laisse faire, disait Louis XIV en
souriant, nous aurons d'autres parquets."

Il montrait le nouveau-ne a la foule, et l'air retentissait d'acclamations
enthousiastes.

Le lendemain, Mme de Maintenon ecrivait a son amie Mme de Saint-Geran: "Le
roi a fait un fort beau present a Mme la Dauphine; il a eu dans ses bras
un moment le petit prince. Il felicita Monseigneur comme un ami; il donna
la premiere nouvelle a la reine; enfin, tout le monde dit qu'il est
adorable. Mme de Montespan seche de notre joie. Nous vivons avec toutes
les apparences d'une sincere amitie. Les uns disent que je veux me mettre
en place, et ne connaissent ni mon eloignement pour ces sortes de
commerce, ni l'eloignement que je voudrais en inspirer au roi.
Quelques-uns croient que je veux le ramener a Dieu. Il y a un coeur mieux
fait sur lequel j'ai de plus grandes esperances[1]."

[Note 1: 7 aout 1682.]

Ce coeur, celui de Louis XIV, se tournait en effet chaque jour davantage
du cote de la religion. Le temps des scandales etait passe. Tout nuage
avait disparu du ciel conjugal de Louis XIV et de Marie-Therese. Les
querelles de Mme de Montespan et de Mme de Maintenon etaient apaisees. Ces
deux dames ne se voyaient plus l'une chez l'autre; mais partout ou elles
se rencontraient, elles se parlaient et avaient des conversations si vives
et si cordiales en apparence, que qui les aurait vues sans etre au fait
des intrigues de la cour aurait cru qu'elles etaient les meilleures amies
du monde[1]. La reine disait avec reconnaissance, en parlant de Mme de
Maintenon: "Le roi ne m'a jamais traitee avec autant de tendresse que
depuis qu'il l'ecoute."

[Note 1: _Souvenirs de Mme de Caylus_.]

L'annee 1683 s'annoncait donc comme devant etre heureuse pour la compagne
de Louis XIV. Mais la mort s'avancait a grands pas. Une maladie
foudroyante allait enlever la reine, agee seulement de quarante-cinq ans.

Cette princesse si bonne, si vertueuse, dont Bossuet a dit: "Elle marche
avec l'Agneau, car elle en est digne", cette reine, qui portait le manteau
fleurdelise comme un cilice, cette pieuse Marie-Therese mourut comme elle
avait vecu, avec une douceur angelique. Louis XIV, qui lui avait donne
tant de soucis, la pleura sincerement: "Eh quoi! s'ecriait-il, il n'y a
plus de reine en France. Quoi! je suis veuf! je ne saurais le croire, et
cependant il est vrai que je le suis, et de la princesse du plus grand
merite.... Voila le premier chagrin qu'elle m'ait donne."

Louis XIV, si souvent et si justement accuse d'egoisme, s'etait cependant
deja montre capable d'affection et de regrets lorsqu'il avait perdu sa
mere. Il ecrivit dans les Memoires destines au dauphin:

"Quelque grandeur de courage dont j'eusse voulu me piquer, il n'etait pas
possible qu'un fils attache par les liens de la nature put voir mourir sa
mere sans un exces de douleur, puisque ceux-la memes contre lesquels elle
avait agi comme ennemie ne pouvaient s'empecher de la regretter et
d'avouer qu'il n'avait jamais ete une piete plus sincere, une fermete plus
intrepide, une bonte plus genereuse. La vigueur avec laquelle cette
princesse avait soutenu ma dignite, quand je ne pouvais pas la defendre
moi-meme, etait le plus important et le plus utile service qui me put etre
jamais rendu... Mes respects pour elle n'etaient point de ces devoirs
contraints que l'on donne seulement a la bienseance.

"Cette habitude que j'avais formee de n'avoir ordinairement qu'un meme
logis et qu'une meme table avec elle, cette assiduite avec laquelle on me
voyait la visiter plusieurs fois chaque jour, malgre l'empressement de mes
plus importantes affaires, n'etait point une loi que je me fusse imposee
par raison d'Etat, mais une marque du plaisir que je prenais en sa
compagnie."

Non, quoi qu'on en puisse dire, l'homme qui a ecrit ces lignes ne manquait
pas de coeur. Nul ne ressentit plus vivement cette incomparable douleur,
ce dechirement qui vous arrache la moitie de votre ame: la perte d'une
mere. Mlle de Montpensier, temoin oculaire de la mort d'Anne d'Autriche,
dit qu'au moment ou elle rendit le dernier soupir, Louis XIV "etouffait,
on lui jetait de l'eau, il etranglait". Il versa toute la nuit des
torrents de larmes.

La mort de la reine Marie-Therese ne lui causa pas de si cruelles
angoisses; mais il n'en temoigna pas moins a cette occasion une tres vive
sensibilite.

"La cour, dit Mme de Caylus, fut en peine de sa douleur. Celle de Mme de
Maintenon, que je voyais de pres, me parut sincere et fondee sur l'estime
et la reconnaissance. Je ne dirai pas la meme chose des larmes de Mme de
Montespan, que je me souviens d'avoir vu entrer chez Mme de Maintenon,
sans que je puisse dire ni pourquoi ni comment. Tout ce que je sais, c'est
qu'elle pleurait beaucoup, et qu'il paraissait un trouble dans toutes ses
actions, fonde sur celui de son esprit, et peut-etre sur la crainte de
retomber entre les mains de monsieur son mari."

Ce fut le 30 juillet 1683 que la reine Marie-Therese mourut, au chateau de
Versailles, dans la chambre a coucher dont nous avons deja eu plusieurs
fois l'occasion de parler[1]. Apres la mort de la reine, cette piece fut
occupee par la dauphine, qui devenait, au point de vue hierarchique, la
femme principale de la cour. Le roi voulut faire du salon de sa
belle-fille le centre le plus brillant de France.

[Note 1: Salle N deg. 115 de la _Notice du Musee de Versailles_.]

"Il allait quelquefois chez elle, suivi de ce qu'il y avait de plus rare
en bijoux et en etoffes dont elle prenait ce qu'elle voulait; le reste
composait plusieurs lots que les filles d'honneur et les dames qui se
trouvaient presentes tiraient au sort, ou bien elles avaient l'honneur de
les jouer avec elle, et meme avec le roi. Pendant que le _hoca_ fut a la
mode, et avant que le roi eut sagement defendu un jeu aussi dangereux, il
le tenait chez Mme la dauphine, mais payait, quand il perdait, autant de
louis que les particuliers mettaient de petites pieces [1]."

[Note 1: _Souvenirs de Mme de Caylus._]

Cependant, malgre toutes les distractions de la cour, la dauphine se
laissait envahir par une invincible tristesse. Elle etouffait dans cette
atmosphere d'intrigues, d'agitation et de bruyants plaisirs. Degoutee de
ce "pays ou les joies sont visibles et les chagrins caches, mais reels",
ou "l'empressement pour les spectacles, les eclats et les applaudissements
aux theatres de Moliere et d'Arlequin, les repas, la chasse, les ballets,
les carrousels" couvrent tant d'inquietudes et de craintes, elle trouvait,
comme La Bruyere, "qu'un esprit sain puise a la cour le gout de la
solitude et de la retraite."

Malgre toutes ses prevenances et toutes ses attentions, Louis XIV ne
parvint pas a lui faire aimer le monde, et elle ne put se decider a tenir
un cercle de courtisans. Elle passait tristement sa vie a Versailles dans
les petites pieces contigues a ses appartements, en n'ayant pour toute
compagnie qu'une femme de chambre allemande, la Bessola, que la princesse
Palatine represente sous des traits odieux et qui, au dire de Mme de
Caylus, n'avait rien de mauvais. Toutefois on l'accusait de tenir la
dauphine en chartre privee et de l'empecher de repondre aux attentions
gracieuses du roi.

Le dauphin lui-meme, fatigue du perpetuel tete-a-tete de sa femme et de
cette Bessola qui se parlaient toujours allemand, langue qu'il ne
comprenait point, chercha ailleurs les distractions qui lui manquaient
dans son interieur. Soit timidite, soit defiance d'elle-meme, la dauphine
n'essaya pas de lutter pour conserver un coeur qui lui echappait et
accepta son sort avec une resignation douloureuse. Le dauphin prit
l'habitude de passer une partie de ses journees et de ses soirees entre
Mlle de Rambures et la spirituelle princesse de Conti; la dauphine
s'enferma de plus en plus dans la solitude, d'ou elle ne voulait sortir a
aucun prix, et elle finit par etre abandonnee de toute la cour et meme du
roi, qui desespera de la consoler.

Mme de Caylus le remarque avec beaucoup de raison: "Peut-etre que les
bonnes qualites de cette princesse contribuerent a son isolement. Ennemie
de la medisance et de la moquerie, elle ne pouvait supporter ni comprendre
la raillerie et la malignite du style de la cour, d'autant moins qu'elle
n'en entendait pas les finesses." Mme de Caylus ajoute cette judicieuse
observation: "J'ai vu les etrangers, ceux meme dont l'esprit paraissait le
plus tourne aux manieres francaises, quelquefois deconcertes par notre
ironie continuelle."

Un tableau peint par Delutel, d'apres Mignard [1], represente la dauphine
entouree de son mari et de ses trois fils. Le dauphin, vetu d'un habit de
velours rouge, est assis pres d'une table et caresse un chien. De l'autre
cote de la table, la princesse tient sur ses genoux le petit duc de Berry
[2]. Devant elle le duc d'Anjou [3], en robe bleue, est assis sur un
coussin; le duc de Bourgogne[4], en robe rouge et portant l'ordre du
Saint-Esprit, est debout et tient une lance. Dans les airs, deux amours
soutiennent d'une main une riche draperie, et, de l'autre, repandent des
fleurs. Il y a sur les traits de la dauphine un charme de quietude et
d'apaisement. Mais le tableau, allegorique bien plus que reel, ne montre
pas la princesse sous son jour veritable. Ses chagrins, ses souffrances,
ses noirs pressentiments, y sont dissimules.

[Note 1: N deg. 2116 de la _Notice du Musee de Versailles_.]
[Note 2: Le duc de Berry, ne le 31 aout 1686.]
[Note 3: Le duc d'Anjou (le futur Philippe V, roi d'Espagne), ne le 19
decembre 1683.]
[Note 4: Le duc de Bourgogne, ne le 6 aout 1682.]

Ce n'est point la l'image fidele de la femme dont Mme de Lafayette a dit
dans ses Memoires: "Cette pauvre princesse ne voit que le pire pour elle
et ne prend aucune part aux fetes. Elle a une fort mauvaise sante et une
humeur triste qui, joint au peu de consideration qu'elle a, lui ote le
plaisir qu'une autre que la princesse de Baviere sentirait de toucher
presque a la premiere place du monde."

Loin de se rejouir de sa haute fortune, elle regrettait l'Allemagne, ou
s'etait ecoulee si modestement son enfance, et disait a une autre
Allemande, Mme la duchesse d'Orleans (la princesse Palatine): "Nous sommes
toutes les deux malheureuses; mais la difference entre nous, c'est que
vous vous etes defendue autant que vous avez pu, tandis que moi j'ai voulu
a toute force venir ici. J'ai donc merite mon malheur plus que vous."

Elle pensait, comme Massillon, que "la grandeur est un poids qui lasse",
que "tout ce qui doit passer ne peut etre grand; ce n'est qu'une
decoration de theatre; la mort finit la scene et la representation; chacun
depouille la pompe du personnage et la fiction des titres, et le souverain
comme l'esclave est rendu a son neant et a sa premiere bassesse."

La dauphine avait le pressentiment de sa fin prochaine. On voulait la
faire passer pour folle, parce qu'elle ne cessait de repeter qu'elle se
sentait irrevocablement perdue. Mais la pauvre princesse, qui savait bien
que ses souffrances physiques et morales n'etaient que trop reelles,
souriait tristement lorsqu'on doutait de ses maux: "Il faudra que je meure
pour me justifier," disait-elle.

Bossuet en a fait la remarque dans l'oraison funebre de la reine
Marie-Therese: "Les ames innocente sont, elles aussi, les pleurs et les
amertumes de la penitence." La melancolie et la piete ne sont pas
incompatibles; il n'existe pas de ciel assez pur pour ne point avoir ses
nuages, et le Christ lui-meme a pleure.

Courte en duree, longue en souffrances, la vie de la dauphine fut couverte
d'un voile sombre. Cette jeune princesse, a qui la Providence paraissait
d'abord reserver les destinees les plus brillantes, devait mourir a
vingt-neuf ans, epuisee par le chagrin et consumee par une maladie de
langueur.

La terre, qui etait pour elle comme un exil, lui paraissait, d'ailleurs,
meriter peu de regrets.

Elle mourut "volontiers et avec calme", suivant les expressions de la
duchesse d'Orleans. Quelques heures avant de rendre le dernier soupir,
elle avait dit a cette princesse, sa compagne d'infortune: "Aujourd'hui,
je vous prouverai que je n'ai pas ete folle en me plaignant de mes
souffrances."




CHAPITRE VI


LE MARIAGE DE MME DE MAINTENON


"J'ai fait une etonnante fortune, mais ce n'est pas mon ouvrage. Je suis
ou vous me voyez sans l'avoir desire, sans l'avoir espere, sans l'avoir
prevu. Je ne le dis qu'a vous, car le monde ne le croirait pas."

Ainsi s'exprimait Mme de Maintenon dans un de ses entretiens avec les
demoiselles de Saint-Cyr. Les fictions de romans sont moins etranges que
les realites de la vie. En effet, quand Mme de Maintenon, agee de
cinquante ans, vit un roi de quarante-sept, et quel roi! lui offrir d'etre
son epoux, elle dut se croire le jouet d'un reve. On serait tente de
s'imaginer qu'elle ne fut la compagne que d'un souverain vieilli, ayant
deja perdu la plus grande partie de son prestige. Mais c'est absolument le
contraire.

L'annee ou Louis XIV epousa la veuve de Scarron fut l'apogee, le zenith de
l'astre royal. Jamais le soleil du Grand Roi n'avait ete plus imposant,
jamais sa fiere devise: _Nec pluribus impar_, n'avait ete plus
eblouissante. C'etait l'epoque ou, en face de ses ennemis immobiles, il
agrandissait et fortifiait les frontieres du royaume, conquerait
Strasbourg, bombardait Genes et Alger, achevait les constructions
fastueuses de son splendide Versailles, restait la terreur de l'Europe et
l'idole de la France. Ses sentiments a l'egard de Mme de Maintenon etaient
des plus complexes. Il y avait la un calcul de raison et un entrainement
de coeur, une aspiration aux joies tranquilles de la famille et une
inclination romanesque, une sorte d'accord entre le bon sens francais
subjugue par l'esprit, le tact, la sagesse d'une femme eminente, et
l'imagination espagnole, seduite par l'idee d'avoir arrache cette femme
d'elite a la misere pour en faire presque une reine. Notons que Louis XIV,
essentiellement spiritualiste, avait la conviction intime que Mme de
Maintenon avait recu du ciel la mission de lui faire faire son salut, et
que les conseils de cette femme, qui savait rendre la devotion aimable et
attrayante, lui semblaient etre autant d'inspirations d'en haut.

Mme de Maintenon n'est pas, d'ailleurs, le seul exemple d'une femme dont
le prestige ait survecu a la jeunesse. Comme Diane de Poitiers, comme
Ninon de Lenclos, elle se faisait remarquer par une conservation
merveilleuse. En la voyant, on pensait a ces belles journees ou les rayons
du soleil, pour avoir perdu de leur eclat, n'en ont pas moins encore une
douceur penetrante: "Elle n'etait pas jeune; mais elle avait des yeux vifs
et brillants, l'esprit petillait sur son visage [1]."

[Note 1: L'abbe de Choisy.]

Saint-Simon lui-meme, son impitoyable detracteur, est oblige d'avouer
"qu'elle avait beaucoup d'esprit, une grace incomparable a tout, un air
d'aisance et quelquefois de retenue et de respect, avec un langage doux,
juste, en bons termes et naturellement eloquent et court."

Lamartine, cet admirable genie qui avait l'intuition de toutes choses, a
defini mieux que personne le sentiment de Louis XIV: "En s'attachant a Mme
de Maintenon, il croyait presque s'attacher a la vertu. Les charmes de la
confiance, de la piete, l'entretien d'un esprit aussi fin que juste,
l'orgueil d'elever jusqu'a soi ce qu'on aime, enfin, il faut le dire a
l'honneur du roi, la surete des conseils qu'il trouvait dans cette femme
superieure, tous ces orgueils et toutes ces tendresses avaient accru
jusqu'a une absolue domination l'empire feminin et viril a la fois de Mme
de Maintenon [2]."

[Note 2: Lamartine, _Etude sur Bossuet_.]

Au moment meme ou la reine venait de rendre l'ame, M. de La Rochefoucauld
l'avait prise par le bras, et, la poussant dans l'appartement royal, lui
avait dit: "Ce n'est pas le temps de quitter le roi, il a besoin de
vous[1]."

[Note 1: Arnauld, lettre a M. de Vancel, 3 juin 1688.]

On parla un instant d'un projet de mariage entre Louis XIV et l'infante de
Portugal; mais cette rumeur ne tarda pas a etre dementie. Le roi preferait
Mme de Maintenon aux plus jeunes et aux plus brillantes princesses de
l'Europe; a peine veuf, il lui avait offert sa main.

M. Lavallee, qui a etudie avec tant de conscience la vie de Mme de
Maintenon, fixe au premier semestre de l'an 1684, mais sans toutefois
indiquer la date precise, l'epoque ou fut contracte le mariage secret. Il
fut mysterieusement celebre, dans un oratoire particulier de Versailles,
par l'archeveque de Paris, en presence du Pere de La Chaise, qui dit la
messe; de Bontemps, premier valet de chambre du roi, et de M. de
Montchevreuil, l'un des meilleurs amis de Mme de Maintenon. Saint-Simon en
parle avec horreur, comme de "l'humiliation la plus profonde, la plus
publique, la plus durable, la plus inouie"; humiliation "que la posterite
ne voudra pas croire, reservee par la fortune, pour n'oser ici nommer la
Providence, au plus superbe des rois". Tel n'etait point l'avis d'Arnauld:
"Je ne sais pas, ecrivait-il, ce qu'on peut reprendre dans ce mariage,
contracte selon les regles de l'Eglise. Il n'est humiliant qu'aux yeux des
faibles, qui regardent comme une faiblesse du roi de s'etre pu resoudre a
epouser une femme plus agee que lui et si fort au-dessous de son rang. Ce
mariage le lie d'affection avec une personne dont il estime l'esprit et la
vertu, et dans l'entretien de laquelle il trouve des plaisirs innocents
qui le delassent de ses grandes occupations[1]."

[Note 1: _Souvenirs de Mme de Caylus_.]

Mme de Maintenon semblait au comble de ses voeux; mais elle etait trop
intelligente, elle avait jete sur les problemes de la destinee humaine un
regard trop scrutateur et trop inquiet, pour ne pas etre en meme temps
saisie de tristesse. C'est elle qui ecrivait: "Avant d'etre a la cour, je
pouvais me rendre temoignage que je n'avais jamais connu l'ennui; mais
j'en ai bien tate depuis, et je crois que je n'y pourrais resister si je
ne pensais que c'est la ou Dieu me veut. Il n'y a de vrai bonheur qu'a
servir Dieu."

Cette melancolie, dont l'expression revient sans cesse dans les lettres de
Mme de Maintenon, comme un plaintif et monotone refrain, frappe d'autant
plus qu'elle est un profond enseignement. Ainsi, voila une femme qui, a
cinquante ans, arrive a une situation veritablement prodigieuse et
s'empare d'un souverain dans tout l'eclat, dans tout le prestige de la
victoire et de la puissance; une femme qui, avec une habilete voisine de
l'ensorcellement, supplante toutes les plus belles, toutes les plus
riches, toutes les plus nobles jeunes filles du monde, dont pas une
n'aurait ete fiere de s'unir au Grand Roi; une femme qui, apres avoir ete
plusieurs fois reduite a la misere, devient la personnalite la plus
importante de France apres Louis XIV! Et cependant elle n'est pas
heureuse! Est-ce parce que le roi ne l'aime pas assez? Nullement. Car les
lettres qu'il lui adresse, s'il est force de passer quelques jours loin
d'elle, sont concues dans le style de celle-ci:

"Je profite de l'occasion du depart de Montchevreuil pour vous attester
une verite qui me plait trop pour me lasser de vous la dire: c'est que je
vous cheris toujours, que je vous considere a un point que je ne puis
exprimer, et qu'enfin, quelque amitie que vous ayez pour moi, j'en ai
encore plus pour vous, etant de tout mon coeur tout a fait a vous[1]."

[Note 1: Lettre ecrite pendant le siege de Mons, avril 1691.]

Si elle est triste, est-ce parce qu'il lui resterait encore un degre a
franchir sur le merveilleux escalier de sa fortune? Est-ce parce qu'elle
n'a pu changer en trone son fauteuil presque royal? En aucune maniere.
Reine reconnue, Mme de Maintenon serait demeuree triste toujours, et son
frere aurait pu encore lui dire:

"Aviez-vous donc promesse d'epouser le Pere eternel?"

Pendant plus de trente ans, elle devait regner sans partage sur l'ame du
plus grand des rois, et ce n'etait pas seulement le monarque, c'etait la
monarchie qui s'inclinait respectueusement devant elle. Toute la cour
etait a ses pieds, sollicitant un mot, un regard. Comme le disaient les
dames de Saint-Cyr dans leurs notes: "Des parlements, des princes, des
villes, des regiments s'adressaient a elle comme au roi; tous les grands
du royaume, les cardinaux, les eveques, ne connaissaient pas d'autre
route." Elle etait au point culminant du credit, de la consideration, de
la fortune, et cependant, je le repete, elle n'etait pas heureuse!

Fenelon lui ecrivait, le 14 octobre 1689:

"Dieu exerce souvent les autres par des croix qui paraissent croix. Pour
vous, il veut vous crucifier par des prosperites apparentes, et vous
montrer a fond le neant du monde par la misere attachee a tout ce que le
monde lui-meme a de plus eblouissant." Arrivee au faite des grandeurs, Mme
de Maintenon eprouvait cette inquietude, cette fatigue, qui est presque
toujours la compagne de l'ambition meme satisfaite. Elle etait tentee de
dire avec La Bruyere:

"Les deux tiers de ma vie sont ecoules, pourquoi tant m'inquieter sur ce
qui m'en reste? La plus brillante fortune ne merite point le tourment que
je me donne. Trente annees detruiront ces colosses de puissance qu'on ne
voyait qu'a force de lever la tete; nous disparaitrons, moi qui suis si
peu de chose, et ceux que je contemplais si avidement, et de qui
j'esperais toute ma grandeur; le meilleur des biens, s'il y a des biens,
c'est le repos, la retraite, et un endroit qui soit son domaine."

Arrivee a une incroyable elevation, la femme du plus grand roi de la terre
regrettait la maison de Scarron,--c'est elle-meme qui l'a dit,--"comme la
cane regrette sa bourbe." Instruite par l'experience, elle constatait avec
La Fontaine:

Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne, et si son esprit,
fatigue du luxe, de l'illustration, de la puissance, se reportait aux
jours de la mediocrite, alors qu'elle n'avait ni marquisat de Maintenon,
ni appartement de plain-pied avec celui de Louis XIV, c'est qu'elle
possedait deux tresors bien autrement precieux, qui lui appartenaient dans
la demeure de Scarron, et qu'elle avait perdus dans le Versailles du
Roi-Soleil; deux tresors vraiment beaux, vraiment inestimables: la
Jeunesse et la Gaiete.




VII


L'APPARTEMENT DE MME DE MAINTENON


Si le temps est destructeur, l'homme est plus destructeur encore: _Tempus
edax homo edacior._ L'appartement de Mme de Maintenon a Versailles; cet
appartement celebre, ou, pendant trente annees, Louis XIV passa une grande
partie de ses journees et de ses soirees, n'est plus maintenant qu'un
petit musee, et, le croirait-on? on n'y voit que des tableaux de batailles
de la Revolution francaise. Pas un meuble du temps de Louis XIV, pas un
portrait de Mme de Maintenon, pas un souvenir, pas une inscription qui
rappelle l'illustre compagne du Grand Roi.

La pensee generale qui a preside a la restauration du palais pouvait
avoir, je n'en disconviens pas, une certaine grandeur au point de vue
patriotique; mais, sous le double rapport de l'art et de l'histoire, elle
etait absolument defectueuse.

Placer les fastes de la Revolution et de l'Empire dans le sanctuaire de la
Monarchie de droit divin, c'etait enlever toute sa physionomie a la
demeure du Grand Roi. L'image de Napoleon n'est pas plus a sa place a
Versailles que ne le serait la statue de Louis XIV au sommet de la colonne
Vendome.

Toutefois, si l'on veut etre juste, il ne faut pas oublier que
Louis-Philippe, dans les reparations de Versailles, etait loin d'avoir ses
coudees franches. Un souffle revolutionnaire si violent circulait dans
toute l'Europe, que la restauration du palais de la monarchie absolue
etait chose tres difficile et paraissait peu opportune. Au moment ou
l'oeuvre fut entreprise, on aurait pu dire avec l'auteur des _Ruines_:
"Ici fut le siege d'un empire puissant; ces lieux maintenant si deserts,
jadis une multitude vivante animait leur enceinte; ces murs ou regne un
morne silence retentissaient des cris d'allegresse et de fetes, et
maintenant voila ce qui reste d'une vaste domination: une lugubre
squelette, un souvenir obscur et vain, une solitude de mort; le palais des
rois est devenu le repaire des betes fauves! Comment s'est eclipsee tant
de gloire? [1]"

[Note 1: Volney, _les Ruines._]

Telle etait l'etat de degradation du chateau de Versailles, quand
Louis-Philippe entreprit de le reparer, malgre les criailleries des
iconoclastes modernes. Le roi-citoyenne put defendre le palais du
Roi-Soleil qu'en le placant, en quelque sorte, sous la sauvegarde des
gloires republicaines et imperiales. Pour se faire pardonner une tentative
contraire aux interets destructeurs des demagogues, qui ont l'horreur du
passe, il dut faire des commandes a une foule d'artistes de second ordre,
dont les travaux furent beaucoup plus remarquables par le nombre que par
le merite. De la ce melange entre les genres les plus disparates; de la
cette confusion bizarre entre des gloires qui semblent tout etonnees de se
trouver cote a cote; de la ce Pantheon qui a le caractere d'une Babel.

M. Lavallee le dit avec beaucoup de raison: "Le musee national a fait
subir a l'interieur du chateau de Versailles une transformation complete.
L'intention de ce musee etait excellente, l'execution n'y a pas repondu.
Entreprise par des hommes peu verses dans l'histoire du XVIIe siecle, elle
a malheureusement bouleverse les parties les plus interessantes du
chateau, et c'est ainsi que l'appartement de Mme de Maintenon, presque
meconnaissable aujourd'hui, est occupe par trois salles des campagnes de
1793, 1794, 1795."

L'escalier de marbre ou escalier de la reine aboutit a un vestibule. A
gauche de ce vestibule est la salle des gardes du roi [1]. A droite,
faisant face a cette salle, etait le logement de Mme de Maintenon. C'est a
peine aujourd'hui si l'on en decouvre les traces.

[Note 1: Salle no. 129 de la _Notice du Musee_, par M. Soulie.]

Non seulement, en effet, il est entierement demeuble, mais il est
rapetisse, a cause de l'escalier que Louis-Philippe fit construire pour
continuer l'escalier de marbre jusqu'aux attiques, et qui coupa en deux
l'ancien appartement de la compagne du roi.

Cet appartement, de plain-pied avec celui de Louis XIV, se composait de
quatre pieces, dont deux antichambres qui ne forment aujourd'hui qu'une
seule piece [2]. Apres venait la chambre a coucher de Mme de Maintenon[3].

[Note 2: Salle no. 141, _id._]
[Note 3: Salle no. 142, _id._]

Cette salle, qui a ete subdivisee lors de l'etablissement des galeries
historiques, pour continuer l'escalier de marbre jusqu'au second etage,
formait, sous Louis XIV, une grande piece eclairee par trois fenetres.
Entre la porte ou l'on y entrait et la cheminee actuellement detruite[4],
etaient, dit Saint-Simon: "le fauteuil du roi adosse a la muraille, une
table devant lui et un pliant autour pour le ministre qui travaillait.

[Note 4: Cette cheminee se trouvait au fond de la piece a droite du
tableau representant le combat de Boussu, no. 2295 de la _Notice._]

De l'autre cote de la cheminee, une niche de damas rouge et un fauteuil ou
se tenait Mme de Maintenon, avec une petite table devant elle. Plus loin,
son lit dans un enfoncement [1]. Vis-a-vis les pieds du lit, une porte et
cinq marches [2]."

[Note 1: Le lit de Mme de Maintenon etait dans la partie actuellement
occupee par l'escalier de stuc construit sous le regne de Louis-Philippe,
et qui continue l'escalier de marbre.]

[Note 2: Ces cinq marches, qui servaient a monter dans la quatrieme et
derniere piece de l'appartement (grand cabinet de Mme de Maintenon, salle
N deg. 143 de la _Notice_), ont ete supprimees, le sol de cette derniere ayant
ete baisse.]

Chez elle avec le roi, dit encore Saint-Simon, "ils etaient chacun dans
leur fauteuil, une table devant chacun d'eux, aux deux coins de la
cheminee, elle du cote du lit, le roi le dos a la muraille, du cote de la
porte de l'antichambre, et deux tabourets devant sa table, un pour le
ministre qui venait travailler, l'autre pour son sac."

En somme, cet appartement n'avait rien de splendide. "Je ne sais, a dit M.
Lavallee [3], si la femme de chambre de quelque parvenu de nos jours se
contenterait de cette chambre unique ou Louis XIV venait travailler, ou
Mme de Maintenon mangeait, couchait, s'habillait, recevait toute la cour,
ou tout le monde passait, disait-elle, comme dans une eglise.

[Note 3: Introduction aux _Curiosites historiques_ sur Louis XIII, Louis
XIV et Louis XV, par M. Le Roi.]

Au reste, les princesses, les princes, le roi lui-meme, n'etaient pas plus
commodement loges. Tout avait ete sacrifie au faste, a l'eclat, a la
representation dans ce magnifique chateau. Louis XIV etait perpetuellement
en scene et y tenait sans interruption son role de roi; mais au milieu de
toutes ces peintures, ces dorures, ces marbres, ces splendeurs, on n'avait
pas une seule des aisances de nos jours; on gelait dans ces immenses
pieces, dans ces grandes galeries, dans ces chambres ouvertes de toutes
parts."

Maintenant que nous connaissons l'appartement de la compagne de Louis XIV,
jetons un coup d'oeil sur l'existence qu'elle y menait. Elle se levait
ordinairement entre 6 et 7 heures, et allait aussitot a la messe, ou elle
communiait trois ou quatre fois par semaine. La journee se passait en
bonnes oeuvres, en ecritures, en visites a Saint-Cyr. Le roi venait
regulierement chez elle tous les soirs, vers 5 ou 6 heures, et y restait
jusqu'a 10, heure ou il allait souper.

Le train de maison de Mme de Maintenon etait modeste. Le roi lui donnait
quarante-huit mille livres par an, plus douze mille livres pour ses
etrennes, et cette somme passait presque tout entiere en aumones. Aupres
d'elle etaient sa vieille servante Manon, l'ancienne compagne des jours
d'adversite, et un petit nombre de domestiques respectueux et silencieux.
Son rang, qui la placait entre les simples particuliers et les reines,
n'etant pas bien determine, il eut ete difficile qu'elle vecut
habituellement au milieu de l'etiquette de la cour. Aussi ne sortait-elle
guere de son appartement. "Son elevation, dit Voltaire, ne fut pour elle
qu'une retraite."

Pendant que Mme de Maintenon se recueille ainsi, tout pres d'elle la cour
s'agite. L'escalier de marbre, au bas duquel est la demeure du dauphin, et
qui conduit a la fois aux appartements de la dauphine[1], a ceux de Mme de
Maintenon et a ceux de Louis XIV, est sans cesse encombre par ces hommes
"qui sont maitres de leurs gestes, de leurs yeux, de leur visage, qui
dissimulent les mauvais offices, sourient a leurs ennemis, deguisent leurs
passions[2]". C'est cet escalier qu'ils montent pour assister au lever et
au coucher du roi. Ils passent dans la salle des gardes[3], puis dans
l'antichambre du roi[4], puis dans la chambre des Bassans, ou ils
attendent le lever du monarque.

[Note 1: Depuis la mort de Marie-Therese, les appartements de la reine
etaient occupes par la dauphine.]
[Note 2: La Bruyere, _De la Cour_.]
[Note 3: Salle N deg. 120 de la _Notice du Musee_.]
[Note 4: Salle N deg. 121, _id_.]


     Avec vos brillantes hardes
     Et votre ajustement,
     Faites tout le trajet de la salle des gardes;
     Et vous peignant galamment,
     Portez de tous cotes vos regards brusquement;
     Ne manquez pas, d'un haut ton,
     De les saluer par leur nom,
     De quelque rang qu'ils puissent etre.
     Cette familiarite
     Donne a quiconque en use un air de qualite.
     Grattez du peigne a la porte
     De la Chambre du roi,
     Ou si, comme je prevoi,
     La presse s'y trouve trop forte,
     Montrez de loin votre chapeau,
     Ou montez sur quelque chose
     Pour faire voir votre museau;
     Et criez sans aucune pause,
     D'un ton rien moins que naturel:
     Monsieur l'huissier, pour le marquis un tel[1].

[Note 1: Moliere, _Remerciement au Roi_.]

La chambre des Bassans[2], ainsi nommee parce qu'on y voit des tableaux de
ce maitre, est le salon d'attente qui precede la chambre a coucher de
Louis XIV. Il y a plusieurs entrees differentes: l'entree familiere pour
les princes, la grande entree pour les grands officiers de la couronne; la
premiere entree pour ceux qui, par leur charge, ont un brevet d'entree;
l'entree de la chambre pour les officiers de la chambre du roi. Le
ceremonial est regle de la maniere la plus precise. Le garcon de la
chambre ouvre les deux battants de la porte seulement pour le dauphin et
les princes du sang. La porte s'ouvre pour chaque autre personne admise et
se referme immediatement.

[Note 2: _Etat de France_ en 1694.]

"On doit gratter doucement aux portes de la chambre; de l'antichambre et
des cabinets, et non pas heurter rudement. De plus, si l'on veut sortir
les portes etant fermees, il n'est pas permis d'ouvrir soi-meme la porte;
mais on doit se la laisser ouvrir par l'huissier[1]."

[Note 1: Salle no 123 de la _Notice du Musee_. Sous Louis XIV, cette
salle, qui forme actuellement le salon de l'Oeil-de-Boeuf, etait divisee en
deux pieces: la premiere etait la chambre des Bassans; la seconde servit
de chambre a coucher au roi jusqu'en 1691, annee ou il s'installa dans la
salle suivante (no 124), pour y demeurer jusqu'a sa mort.]

A 8 heures, Louis XIV se leve et fait sa priere. Puis il sort de la
balustrade de son lit, et il dit: "Au conseil!" Jusqu'a midi et demi, il
travaille avec ses ministres. Ensuite, escorte par les princes, les
princesses, les officiers, les grands seigneurs, il se rend a la messe,
traversant la galerie des Glaces, ou tout individu peut le voir, lui
presenter un placet, et meme lui parler. Il passe par les salons de la
Guerre, d'Apollon, de Mercure, de Mars, de Diane, de Venus et de
l'Abondance[2], et arrive a la chapelle, qui s'eleve dans toute la hauteur
du rez-de-chaussee et du premier etage[3]. En bas se trouvent l'autel et
la chaire, ou prechent tour a tour Bossuet, Bourdaloue et Massillon. Le
haut est occupe par les tribunes.

[Note 2: Ces salons, qui forment ce qu'on appelait les grands appartements
du roi, portent les nos 112, 111, 110, 109, 108, 107, 106, de la _Notice
du Musee_.]
[Note 3: Il ne faut pas confondre cette chapelle avec la chapelle
actuelle, qui ne fut inauguree qu'en 1710. Le salon d'Hercule (no 106 de
la _Notice_), qui sert aujourd'hui d'entree aux grands.]

"Les grands forment un vaste cercle au pied de l'autel, et paraissent
debout, le dos tourne directement au pretre et aux saints mysteres, et les
faces elevees vers leur roi, que l'on voit a genoux sur une tribune, et a
qui ils semblent avoir tout l'esprit et tout le coeur appliques. On ne
laisse point de voir dans cet usage une espece de subordination, car ce
peuple parait adorer le prince, et le prince adorer Dieu[1]."

[Note 1: La Bruyere, _De la Cour_.]

Apres la messe, le roi dine, ordinairement en petit couvert, seul dans sa
chambre. A 2 heures, il va tirer dans son parc, ou se promener dans ses
jardins, ou courre le cerf, soit a cheval, soit en caleche. Vers 5 ou 6
heures du soir, il se rend, comme nous l'avons deja dit, chez Mme de
Maintenon; et la il travaille de nouveau, avec ses ministres, une grande
partie de la soiree. Il la quitte vers 9 ou 10 heures, et, de chez elle,
il va soit a la comedie, soit a l'_appartement_.

[Note: appartements, fut de 1682 a 1710 la chapelle du chateau. La partie
du palais dans laquelle se trouvent le salon d'Hercule et le vestibule
au-dessous relie l'aile du nord a la partie centrale. C'est sur cet
emplacement que s'elevait, dans toute la hauteur du rez-de-chaussee et du
premier etage, la chapelle, dont un tableau, representant Dangeau recu
grand maitre de l'ordre de Saint-Lazare, reproduit la disposition
interieure. Ce tableau est dans la salle no 9 de la _Notice du Musee_ et
porte le no 164.]

On designe sous ce nom la reunion de toute la cour dans les grands
appartements du roi. Le _Mercure galant_ de 1682 donne une description
curieuse de ces soirees, dont l'usage s'etablit des la premiere annee de
l'installation definitive de Louis XIV a Versailles. "Le roi, dit le
_Mercure_, permet l'entree de son grand appartement de Versailles le
lundi, le mercredi et le jeudi de chaque semaine pour y jouer a toutes
sortes de jeux depuis 6 heures du soir jusqu'a 10, et ces jours-la sont
nommes jours d'_appartement_."

On monte par le grand escalier du Roi ou des Ambassadeurs, ce magnifique
escalier que decorent les sculptures de Coysevox, les peintures de Lebrun
et de Van der Meulen[1]. On entre par le salon de l'Abondance[2], ainsi
nomme parce que les bas-reliefs representant l'Abondance sont au-dessus de
la porte de marbre. C'est dans cette salle, ornee par des tableaux du
Carrache, du Guide, de Paul Veronese, que sont dresses les buffets pour
les rafraichissements. On trouve le salon de Venus[3], rempli de meubles
splendides; puis le salon de Diane[4], ou est le billard et ou des
orangers s'epanouissent dans des caisses d'argent.

[Note 1: L'escalier des Ambassadeurs, appele aussi grand escalier du Roi,
etait situe dans l'aile du nord et conduisait aux grands appartements de
Louis XIV. Il fut detruit en 1750, par suite de remaniements faits au
logement de Louis XV.]
[Note 2: Salle no 106 de la _Notice du Musee_.]
[Note 3: Salle no 107, _id_.]
[Note 4: Salle no 108, _id_.]

Le salon de Mars[1], ou l'on admire six portraits du Titien, _Jesus et les
pelerins d'Emmaues_ par Veronese, _la Famille de Darius aux pieds
d'Alexandre_ par Lebrun, est la salle ou l'on joue. Un _trou-madame_ de
marqueterie, pose sur une table de velours vert et entoure de pentes de
velours cramoisi a franges d'or, est au milieu de la chambre. Il y a des
tables pour les jeux de cartes et pour les autres jeux de hasard. La salle
suivante est le salon de Mercure[2], ou il y a des Carrache, des Titien,
des Van Dyck; le lit de parade y est dresse.

[Note 1: Salle N deg. 109 de la _Notice_.]
[Note 2: Salle N deg. 110, _id_.]

Puis apparait le magnifique saron d'Apollon[3], qui est la salle du Trone.
Au fond de la chambre s'eleve une estrade couverte d'un tapis de Perse a
fond d'or. Un trone d'argent de huit pieds de haut est au milieu. Quatre
statues d'enfants, portant des corbeilles de fleurs, soutiennent le siege
et le dossier, garnis de velours cramoisi. Le _David_ du Dominiquin, le
_Thomiris_ de Rubens, des tableaux du Guide et de Van Dyck embellissent ce
salon, ou Louis XIV donne audience aux ambassadeurs etrangers, et ou, les
jours d'appartement, on fait de la musique et l'on danse.

[Note 3: Salle N deg. 111, _id_.]

Ces jours-la, tout s'agite, tout s'anime. A l'eblouissante clarte des
lustres, les diamants, les joyaux etincellent.

On s'extasie devant les toilettes resplendissantes des plus belles femmes
de France. "Les uns choisissent un jeu, et les autres s'arretent a un
autre. D'autres ne veulent que regarder jouer, et d'autres que se promener
pour admirer l'assemblee et la richesse de ces grands appartements.
Quoiqu'ils soient remplis de monde, on n'y voit personne qui ne soit d'un
rang distingue, tant hommes que femmes. La liberte de parler y est
entiere.... Cependant le respect fait que personne ne haussant trop la
voix, le bruit qu'on entend n'est point incommode.... Le roi descend de sa
grandeur pour jouer avec plusieurs de l'assemblee qui n'ont jamais eu un
pareil honneur. Ce prince va tantot a un jeu, tantot a un autre. Il ne
veut ni qu'on se leve, ni qu'on interrompe le jeu quand il approche[1]."

[Note 1: _Mercure galant_, decembre 1682.]

A 10 heures, la reunion cesse. C'est le moment ou Louis XIV va souper,
ordinairement au grand couvert, avec la famille royale, dans la piece
qu'on appelle l'antichambre du roi[2]. C'est la qu'est la nef de vermeil,
qui a la forme d'un navire demate. On y enferme, entre des "coussins de
senteurs", les serviettes du monarque. Toutes les personnes qui passent
devant la nef, meme les princesses, doivent saluer, comme devant le lit du
roi, quand on passe dans la chambre a coucher.

[Note 2: Salle no 121 de la _Notice_.]

Le souper fini, Louis XIV rentre dans sa chambre, ou il recoit sa famille
intime, son frere, ses enfants, avec leurs maris ou leurs femmes. Il
cause, jusqu'au coucher, qui a lieu vers minuit ou une heure. Les plus
grands seigneurs ambitionnent l'honneur de porter alors le bougeoir,
pendant que le souverain se deshabille. C'est, comme le remarque
Saint-Simon, une distinction, une faveur qui se compte, tant Louis XIV a
l'art de donner l'etre a des riens.

La tache des courtisans est terminee pour aujourd'hui. Les lumieres sont
eteintes. Tout est rentre dans l'ombre et le silence. Enfin, c'est l'heure
du repos. Mais on dort peu, et l'on dort mal dans ce pays, dont parle La
Bruyere, "qui est a quelque quarante-huit degres d'elevation du pole et a
plus de onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons." La le
sommeil de la nuit est trouble par les reminiscences d'hier, comme par
les inquietudes relatives a demain, et l'on n'oublie ni ses ambitions, ni
ses soucis, parce qu'on "se couche et on se leve sur l'interet".




VIII


LA MARQUISE DE CAYLUS


Au milieu de la cour de Versailles, vieillie et attristee, apparaissent ca
et la des figures jeunes, riantes, lumineuses, de frais et semillants
visages qui eclairent le palais et jettent un peu de vie sur la gravite du
ceremonial et sur les ennuis de l'etiquette.

Louis XIV aimait la jeunesse. Quant a Mme de Maintenon, qui n'eut jamais
d'enfants, elle se dedommageait de la cruaute du sort, en veillant, avec
une sollicitude toute maternelle, sur des jeunes filles qu'elle
cherissait. C'est ainsi qu'elle fit l'education de sa niece a la mode de
Bretagne, la jolie et gracieuse Mlle de Murcay-Villette; un vrai type de
Francaise, gaie, rieuse, meme un peu caustique, animee, amusante,
entrainante, entrainee.

Elle merite une mention speciale dans la galerie de Versailles, cette
petite magicienne, qui maniait aussi bien la plume que l'eventail, cette
femme d'esprit qui a eu l'honneur d'etre citee par Sainte-Beuve comme le
modele des qualites exquises dont il resume l'ensemble par ce seul mot:
l'_urbanite;_ cette enchanteresse a qui Mme de Maintenon disait: "Vous
savez bien vous passer des plaisirs, mais les plaisirs ne peuvent se
passer de vous."

Marguerite de Murcay-Villette, marquise de Caylus, naquit en 1673.
Benjamin de Valois, marquisde Villette, son grand-pere, avait epouse
Arthemise d'Aubigne, fille du fameux Theodore-Agrippa d'Aubigne, le
soldat-poete, l'austere et fougueux calviniste, le fier et satirique
compagnon d'Henri IV; Theodore-Agrippa d'Aubigne, dont le fils fut pere de
Mme de Maintenon. La petite de Villette-Murcay avait sept ans, et son
pere, qui servait dans la marine, faisait campagne, lorsque Mme de
Maintenon resolut de la convertir au catholicisme.

C'etait le moment ou Louis XIV convertissait les huguenots de son royaume.
L'enfant fut enlevee a sa famille et conduite a Saint-Germain.

"Je pleurai d'abord beaucoup, dit-elle dans ses _Souvenirs_; mais je
trouvai le lendemain la messe du roi si belle, que je consentis a me faire
catholique, a condition que je l'entendrais tous les jours, et qu'on me
garantirait du fouet. C'est la toute la controverse qu'on employa, et la
seule abjuration que je fis."

M. de Murcay-Villette fut d'abord indigne; mais il finit par s'adoucir et
par embrasser lui-meme la religion catholique dans des conditions plus
serieuses. Comme le roi l'en felicitait: "C'est la seule occasion de ma
vie, repondit-il, ou je n'ai point eu pour objet de plaire a Votre
Majeste."

Mme de Maintenon, qui avait des aptitudes speciales comme educatrice, prit
plaisir a s'occuper de sa niece. "On m'elevait, dit celle-ci, avec un soin
dont on ne saurait trop louer Mme de Maintenon. Il ne se passait rien a la
cour sur quoi elle ne me fit faire des reflexions selon la portee de mon
esprit, m'approuvant quand je pensais bien, me redressant quand je
pensais mal. Ma journee etait remplie par des maitres, la lecture et des
amusements honnetes et regles; on cultivait ma memoire par des vers qu'on
me faisait apprendre par coeur; et la necessite de rendre compte de ma
lecture ou d'un sermon, si j'en avais entendu, me forcait a y donner de
l'attention. Il fallait encore que j'ecrivisse tous les jours une lettre a
quelqu'un de ma famille, ou a tel autre que je voulais choisir, et que je
la portasse tous les soirs a Mme de Maintenon, qui l'approuvait ou la
corrigeait, selon qu'elle etait bien ou mal."

A treize ans, Mlle de Villette etait deja charmante. Les plus grands
seigneurs, M. de Roquelaure et M. de Boufflers, demanderent sa main. Mme
de Maintenon ne crut pas devoir accepter pour sa niece des propositions
si brillantes: "Ma niece n'est pas un assez grand parti pour vous,
dit-elle a M. de Boufflers. Je n'en sens pas moins ce que vous voulez
faire pour moi. Je ne vous la donnerai point, mais je vous regarderai a
l'avenir comme mon neveu."

La femme qui tenait ce langage avait ce qu'on peut appeler l'ostentation
de la modestie. Elle mit une sorte de gloriole fort mal placee a faire
faire a sa charmante niece un mariage mediocre et lui choisit un epoux
sans merite, sans fortune et meme sans conduite, M. de Tubieres, marquis
de Caylus. La jeune mariee n'avait pas encore quatorze ans. Le roi lui
donna une modique pension et un collier de perles de dix mille ecus.

Mais bientot, apres son mariage, elle eut un logement a Versailles, ou sa
beaute ne manqua pas d'exciter l'enthousiasme. Saint-Simon, qui pourtant
n'a pas l'admiration facile, s'ecrie a propos d'elle: "Jamais un visage si
spirituel, si touchant, jamais une fraicheur pareille, jamais tant de
graces ni plus d'esprit, jamais tant de gaiete et d'amusement, jamais de
creature plus seduisante." Mme de Caylus fut l'une des heroines de ces
representations d'_Esther_, dont le souvenir est reste comme l'un des plus
gracieux episodes de la seconde moitie du grand regne.

Mme de Maintenon avait fonde en 1685, a Saint-Cyr, tout pres de
Versailles, une maison pour l'education gratuite de deux cent cinquante
"demoiselles nobles et pauvres". La religion et la litterature y etaient
en grand honneur. Quelques-unes des eleves de la classe des grandes,--_les
bleues_,--declamaient devant leurs compagnes _Cinna, Andromaque,
Iphigenie_. Mais on s'apercut vite qu'elles avaient trop de dispositions
pour le theatre, et Mme de Maintenon ecrivit a Racine: "Nos petites
viennent de jouer votre _Andromaque_, et l'ont si bien jouee qu'elles ne
la joueront plus, ni aucune de vos pieces."

Mais, si la tragedie etait ainsi proscrite, on ne renoncait pas a la
poesie. Mme de Maintenon, grande admiratrice de Racine, le pria de
composer, pour Saint-Cyr, une sorte de poeme moral et historique, puise a
une source religieuse. On etait alors en 1688. Racine avait pres de
cinquante ans, et depuis douze annees il avait renonce au theatre, tout en
etant dans la plenitude de l'inspiration et du genie. Les scrupules
religieux l'eloignaient de la scene. Il avait fait a Dieu le plus heroique
des sacrifices pour un artiste: celui de sa gloire. Il s'etait condamne,
ce grand poete, au silence, et de ses propres mains il avait detele les
coursiers qui conduisaient son char de triomphe dans les spheres etoilees
de l'art. Quand il vit le moyen de concilier ses anciens penchants avec
les sentiments qui l'en avaient detourne, il tressaillit. Le poete et le
devot allaient enfin etre d'accord. De leur alliance naquit _Esther_,
cette oeuvre exquise, qui tient a la fois de la tragedie et de l'elegie;
cette piece, pleine de tendresse et de larmes, digne du poete dont son
fils a dit: "Mon pere etait un homme tout sentiment, tout coeur." Reveille
comme d'un long sommeil, Racine avait puise dans le repos une fraicheur
d'impressions, une originalite nouvelle. "A quinze ans, dit M. Michelet,
Mme de Caylus vit naitre _Esther_, en respira le premier parfum, en
penetra si bien l'esprit, qu'elle semblait, par l'emotion de sa voix, y
ajouter quelque chose."

Dans l'origine, elle ne devait y jouer aucun role. Mais, un jour que
Racine etait en train de lire a Mme de Maintenon plusieurs scenes de la
piece, elle se mit a les declamer d'une facon si touchante, que ce poete
enthousiasme composa pour elle un prologue, celui de la _Piete_.

La premiere representation eut lieu a Saint-Cyr, le 26 janvier 1689. Le
vestibule des dortoirs, situe au deuxieme etage du grand escalier des
_demoiselles_, etait partage en deux parties: l'une pour la scene, l'autre
pour les spectateurs. On avait construit le long des murs deux
amphitheatres: l'un, petit, destine aux dames de la communaute; l'autre,
plus grand, reserve aux eleves. Sur les gradins d'en haut etaient les plus
jeunes, _les rouges_, ensuite _les vertes_, puis _les jaunes_, puis en
bas les plus agees, _les bleues_, toutes avec le ruban des couleurs de
leur classe. La representation se donnait le jour, mais on avait ferme
toutes les fenetres; les escaliers, les couloirs, la salle de spectacle,
etincelaient des feux de lustres de cristal. Entre les deux amphitheatres
etaient des sieges pour le roi, pour Mme de Maintenon et pour quelques
spectateurs admis, par une faveur exceptionnelle, a l'honneur d'applaudir
_Esther_.

Louis XIV arrive a 3 heures de l'apres-midi. Aussitot, la piece commence.
D'une voix attendrie et melodieuse, Mme de Caylus dit le prologue de la
Piete; un murmure d'emotion, d'enthousiasme, circule dans le noble
auditoire:

    Du sejour bienheureux de la Divinite,
    Je descends dans ce lieu par la grace habite;
    L'Innocence s'y plait, ma compagne eternelle,
    Et n'a point sous les cieux d'asile plus fidele.
    Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints
    Tout un peuple naissant est forme par mes mains.
    Je nourris dans son coeur la semence feconde
    Des vertus dont il doit sanctifier le monde.
    Un roi qui me protege, un roi victorieux
    A commis a mes soins ce depot precieux.
    C'est lui qui rassembla ces colombes timides,
    Eparses en cent lieux, sans secours et sans guides;
    Pour elles, a sa porte elevant ce palais,
    Il leur y fit trouver l'abondance et la paix...

Avec ses dix-sept ans, sa voix si pure, sa tendre et ideale beaute, Mme de
Caylus ressemble a un ange. Des les premiers vers du prologue, le succes
va aux etoiles. Louis XIV se sent tout rajeuni. Voila enfin une
distraction digne du Grand Roi. Comme on se represente bien cette
animation moitie sainte, moitie profane; ces jeunes filles naives et
charmantes, qui disent, avant d'entrer en scene, un _Veni Creator_; ces
actrices improvisees, qu'electrisent la musique, la poesie, la rampe, et,
plus encore que tout cela, la presence de celui qui est leur protecteur,
leur providence sur cette terre! Le plus grand des rois dans la salle, le
plus grand des poetes dans la coulisse, des actrices plus gracieuses les
unes que les autres; des vers ou tout est noble, ideal, harmonieux; des
choeurs dont la celeste melodie est l'hymne de la priere, le cantique de
l'amour divin; une mise en scene splendide, d'admirables decors, des
costumes persans ou resplendit l'eclat des joyaux de la couronne, et,
choses plus seduisantes que le prestige du trone, que les rayons de
l'astre royal: le charme de la jeunesse, la fraicheur des imaginations, la
douce et penetrante poesie des ames de jeunes filles, quel spectacle! quel
enivrement! Mlle de Veilhan represente Esther; Mlle de La Maisonfort,
Elise; Mlle de Lastic, Assuerus; Mlle d'Abancourt Aman; Mlle de Marsilly,
Zares; Mlle de Mornay, Hydaspe. Le role de Mardochee est joue en
perfection par Mlle de Glapion, cette jeune personne qui a fait dire a
Racine: "J'ai trouve un Mardochee dont la voix va jusqu'au coeur."

Derriere le decor, le poete surveille les entrees, comme un regisseur de
la scene. Mlle de La Maisonfort, intimidee, a failli un instant manquer de
memoire. Quand elle rentre dans la coulisse, il lui dit: "Ah!
mademoiselle, voici une piece perdue."

Et la belle jeune fille se met a pleurer. Aussitot Racine la console, et,
tirant son mouchoir de sa poche, il lui essuie les yeux, ainsi qu'on
ferait pour un enfant. Elle rentre en scene et joue comme une actrice
consommee. Ses yeux sont encore un peu rouges, et Louis XIV, a qui rien
n'echappe, dit tout bas: "La petite chanoinesse a pleure."

Mme de Maintenon a peine a dissimuler l'extreme joie que lui cause le
succes de ses cheres "filles". Louis XIV, emu et ravi, accorde au poete et
aux actrices son suffrage, la plus precieuse des recompenses, et, a la fin
de la representation, Racine se precipite a la chapelle et tombe a genoux
dans un elan de reconnaissance.

Les representations suivantes ont encore plus d'eclat que la premiere. Mme
de Caylus prend le role d'Esther et s'y surpasse. Un divertissement
d'enfants, comme dit Racine, devient l'empressement de toute la cour. La
faveur d'une invitation est plus enviee, plus difficile a obtenir qu'un
voyage a Marly. Louis XIV entre le premier dans la salle, et il se tient
debout, la canne a la main, sur le seuil de la porte, jusqu'a ce que tous
les invites aient penetre dans l'enceinte. Mme de Sevigne, admise a la
representation du 19 fevrier 1689, ne se possede pas de joie. Elle a pour
voisin le marechal de Bellefonds, a qui elle communique tout bas ses
impressions enthousiastes. Le marechal se leve dans un entr'acte et va
dire au roi combien il est content. "Je suis aupres d'une dame,
ajoute-t-il, qui est bien digne d'avoir vu _Esther_."

A la fin de la piece, Louis XIV adresse quelques paroles a plusieurs des
spectateurs. Il s'arrete devant Mme de Sevigne et lui parle avec
bienveillance. La marquise, toute fiere d'un tel honneur, a mentionne
cette conversation dans une de ses lettres:

"Le roi me dit: Madame, je suis assure que vous avez ete contente. Racine
a beaucoup d'esprit.--Moi, sans m'etonner, je reponds:--Sire, il en a
beaucoup; mais, en verite, ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi;
elles entrent dans le sujet, comme si elles n'avaient jamais fait autre
chose.--

Ah! pour cela, il est vrai.--Et puis Sa Majeste s'en alla et me laissa
l'objet de l'envie."

Ce dernier mot n'est-il pas caracteristique? La femme la plus spirituelle
du royaume est ivre de joie parce que le roi lui a parle. Quel prestige
que celui de ce monarque incomparable, dont la moindre marque d'attention
faisait l'objet de l'envie de toute la cour!

_Esther_ avait eu trop de succes. Soit par piete, soit par jalousie, on ne
tarda pas a critiquer ces representations qui avaient ete si brillantes.
Il fallait bien, bon gre malgre, reconnaitre le genie du poete, le
talent des actrices. La critique porta sur d'autres points. On dit que ce
melange de cloitre et de theatre n'etait pas une bonne chose; que
l'amour-propre desjeunes filles serait surexcite par de pareils
divertissements. Bourdaloue et Bossuet avaient assiste aux
representations, comme pour les approuver par leur presence. Mais le
nouveau directeur de Mme de Maintenon, Godet-Desmaretz, eveque de
Chartres, se prononca contre ces fastueuses exhibitions des demoiselles
de Saint-Cyr. Elles furent donc supprimees, et _Athalie_, commandee apres
le succes d'_Esther_ et deja apprise par les demoiselles de Saint-Cyr,
fut jouee, en 1690, sans pompe, sans theatre, sans decorations, sans
costume, dans la _classe bleue_, en la seule presence du roi, de Mme de
Maintenon et d'une dizaine de personnes.

Ce ne furent pas seulement les representations d'_Esther_ qu'on trouva
trop mondaines. La jeune femme qui s'y etait tant fait admirer, Mme de
Caylus, ne garda pas longtemps sa faveur a la cour. Elle avait trop
d'esprit, trop de gaiete, trop de liberte d'allures et de paroles, pour ne
pas s'attirer des disgraces. Cette jolie, cette spirituelle marquise, qui
n'avait pas encore vingt ans, comme beaucoup de ses contemporaines, se
partageait entre Dieu et le monde; mais, par malheur, la part du monde
etait de beaucoup la plus grande. Pour Mme de Caylus, les prieres
passaient apres les plaisirs. Son caractere mobile, malicieux,
superficiel, ne se pretait pas a l'austerite d'une devotion serieuse, et,
quand la cour prenait des attitudes un peu claustrales, elle s'y sentait
depaysee. Mariee a un homme sans merite et toujours en campagne ou a la
frontiere, Mme de Caylus fut, des le debut, livree a elle-meme. Aimant la
medisance, sinon la calomnie, ne craignant pas de provoquer une inimitie
pour le plaisir de dire un bon mot, habituee a la societe et aux malices
de la duchesse de Bourbon, qui, sans avoir tout l'esprit de sa mere, Mme
de Montespan, en avait les gouts satiriques, Mme de Caylus se moquait un
peu de tout. C'etait la un genre de passe-temps que Louis XIV ne
pardonnait guere. Elle avait eu l'imprudence de dire, en parlant de la
cour: "On s'ennuie si fort dans ce pays-ci, que c'est etre exilee que d'y
vivre."

Le roi la prit au mot et lui defendit de reparaitre dans "ce pays" ou l'on
s'ennuyait tant. Il la trouvait trop fine, trop perspicace, trop habile a
se servir de l'arme du ridicule, si meurtriere dans la main d'une jolie
femme. Il pensait meme que cette education futile ne faisait que
mediocrement honneur a Mme de Maintenon, et celle-ci n'avait pas interet a
laisser pres du roi une jeune femme qui aurait pu faire du tort a
Saint-Cyr. Aussi la disgrace de Mme de Caylus fut-elle de longue duree.
Pendant treize ans, la marquise resta eloignee de la cour et comme en
penitence. Elle n'acheta son pardon qu'a force de tenue, de soumission, de
piete. Mais ce pardon fut complet.

Le 10 fevrier 1707, elle, reparut a Versailles, au souper du roi, et recut
le meilleur accueil. Veuve depuis deux annees environ, elle n'avait que
trente-trois ans et ne songeait pas a se remarier. Belle comme un ange et
plus seduisante que jamais, elle reconquit toute la faveur de Mme de
Maintenon, dont elle devint la compagne assidue, et resta au palais de
Versailles jusqu'a la mort de Louis XIV. Elle revint ensuite a Paris, ou
elle habita une petite maison contigue aux jardins du Luxembourg. Elle y
donnait a souper a des grands seigneurs, a des savants, et son salon etait
un centre intellectuel, ou les traditions du XVIIe siecle se perpetuaient
dans les premieres annees du XVIIIe. Ce fut la qu'elle mourut en 1729,
agee de cinquante-six ans.

Quelques mois avant, elle avait redige, sous le titre modeste de
_Souvenirs_, les courts et spirituels memoires qui rendront son nom
immortel. Ses amis, sous le charme de son esprit si vif, la suppliaient
depuis longtemps d'ecrire pour eux, non pas pour le public, les anecdotes
qu'elle contait si bien. Elle finit par ceder a leur priere et jeta sur le
papier quelques recits, quelques portraits. Quel bijou que ces
_Souvenirs_, ecrits au courant de la plume, sans pretention, sans dates,
sans ordre chronologique, et ou, depuis un siecle, tous les historiens ont
puise[1]! Que de choses dans ce petit livre, qui apprend plus en quelques
lignes que d'interminables volumes! Comme il est feminin et comme il est
francais! Le gout de Voltaire pour ces charmants _Souvenirs_ se comprend
sans peine. Qui, mieux que Mme de Caylus, appliqua le fameux precepte:
"Glissez, mortels, n'appuyez pas!"

[Note 1: Restes manuscrits bien longtemps apres sa mort, les _Souvenirs de
Mme de Caylus_, qui sont inacheves, furent imprimes pour la premiere fois
en 1770, a Amsterdam, avec une preface et des notes attribuees a
Voltaire.]

Elle etait de la race de ces ecrivains spontanes, qui font de l'art sans
le savoir, comme M. Jourdain faisait de la prose, et ne se doutent pas
eux-memes qu'ils ont la premiere qualite du style: le naturel.

Que d'esprit de bon aloi! que d'esprit argent comptant! Quelle bonne
humeur! quelle simplicite! Quel aimable abandon! Quelle jolie serie de
portraits, tous plus vivants, plus animes, plus ressemblants les uns que
les autres!




IX


MME DE MAINTENON ET LES DEMOISELLES DE SAINT-CYR


C'est entouree des religieuses et des eleves d'un asile ou l'idee de la
religion s'unit a celle de la noblesse, ou il y a place pour la terre et
pour le ciel, pour le monde et pour Dieu, que l'epouse de Louis XIV nous
apparait dans son veritable cadre. Saint-Cyr est comme l'enfant de cette
femme qui n'a pas ete mere; c'est la ou un coeur moins sec, moins egoiste
qu'on ne le croit, depense ce qui lui reste de force affective, de
tendresse.

Dans cette pieuse demeure, Mme de Maintenon contemple, a travers la brume
du passe, la carriere si accidentee, si etonnante, qu'elle a parcourue.
C'est la qu'elle entend avec emotion le lointain echo des flots orageux
qui ont battu son berceau, agite sa jeunesse, et qui, souvent encore,
troublent ses vieux jours. En voyant tant de jeunes filles sans fortune,
elle evoque le temps ou, malgre sa naissance illustre, elle etait pauvre,
abandonnee. Elle pense a ce qu'il lui a fallu d'intelligence, d'habilete,
de courage, pour lutter contre la misere. Elle se rappelle les pieges que
lui avait dresses l'esprit du mal, les illusions de jeune fille et de
jeune femme, dont la preserverent sa haute raison et son bon sens; elle
resume tous les enseignements que son experience lui suggere. Dans cette
chapelle, dont le silence n'est pas trouble par le murmure de courtisans
plus occupes du roi que de Dieu, elle reflechit a ce que la cour cache
d'intrigues, de vanites et de deceptions.

Dans ce calme sejour, ou la gravite du monastere se trouve heureusement
temperee par la grace de l'enfance et par le charme de la jeunesse, elle
pense a l'aurore et a la nuit, au berceau et a la tombe. Entre Versailles
et Saint-Cyr, il y a pour Mme de Maintenon une sorte d'antithese vivante:
Versailles, c'est l'agitation; Saint-Cyr, c'est le repos. Versailles,
c'est le monde avec ses tourments, ses ambitions, ses folies; Saint-Cyr,
c'est la preface du ciel. Aussi, comme elle prefere son couvent bien-aime
a la cour de Marbre, aux appartements du roi, a la galerie des Glaces, aux
splendeurs du plus beau palais de l'univers!

"Vive Saint-Cyr! s'ecrie-t-elle, vive Saint-Cyr! Malgre ses defauts, on y
est mieux qu'en aucun lieu du monde... Quand il s'agit de Saint-Cyr, c'est
toujours fete pour moi."

En penetrant dans son cher asile, elle est apaisee, consolee:

"Lorsque je vois, dit-elle, fermer la porte sur moi, en entrant dans cette
solitude d'ou je ne sors jamais qu'avec peine, je me sens pleine de joie."

Et quand elle retourne a Versailles:

"J'eprouve, dit-elle encore, un sentiment de tristesse et d'horreur. C'est
la ce qui s'appelle le monde; c'en est le centre; c'est la ou toutes les
passions sont en mouvement: l'interet, l'ambition, l'envie et le plaisir."

Cette preference de Mme de Maintenon pour Saint-Cyr, qui est son oeuvre,
sa creation, le symbole meme de sa pensee, se comprend d'ailleurs
facilement. C'est la, en effet, que se manifeste le mieux son caractere,
avec son gout de domination, sa haute intelligence, son talent de plume et
de parole, son esprit de gouvernement. Il faut bien le dire, ce n'est pas
la religion seule qui lui fait preferer le couvent au palais. A
Versailles, elle est contrainte, elle est genee, elle obeit; les rayons du
soleil royal, bien que palissant, ont un prestige et un eclat qui
l'intimident encore. A Saint-Cyr, elle est libre, elle commande, elle
gouverne. Cesar aurait mieux aime etre le premier dans un village que le
second a Rome.

Mme de Maintenon trouve plus de plaisir a etre la superieure de religieuses
que la compagne d'un roi. A Versailles, elle regrette peut-etre la couronne
et le manteau d'hermine qui lui manquent. A Saint-Cyr, elle n'en a pas
besoin; car, la, sa royaute ne souleve point de contestation. Ses moindres
paroles sont recueillies comme des oracles. Ses lettres, lues avec une
respectueuse emotion, en presence de toute la communaute, y sont l'objet
d'une admiration unanime. Les religieuses ou les eleves a qui elles sont
adressees s'en vantent comme des titres de gloire. Mme de Maintenon est
presque la reine de France, elle est tout a fait la reine de Saint-Cyr.

Inauguree le 2 aout 1686, la maison d'education de Saint-Cyr fut, pendant
trente annees, l'occupation principale de Mme de Maintenon. Elle s'y
rendait au moins de deux jours l'un, arrivant souvent a 6 heures du matin,
allant de classe en classe, peignant et habillant les petites filles,
edifiant et instruisant les grandes, preferant son role d'institutrice a
tous les amusements et a toutes les splendeurs de Versailles. Rien de
Saint-Cyr ne lui paraissait importun ou deplaisant.

"Nos dames, disait-elle, sont des enfants qui, de longtemps, ne pourront
gouverner. Je m'offre pour les servir; je n'aurai nulle peine a etre leur
intendante, leur femme d'affaires et, de tout mon coeur, leur servante,
pourvu que mes soins les mettent en etat de s'en passer."

Les dames de Saint-Louis,--c'est ainsi qu'on appelait les religieuses de
la maison de Saint-Cyr, avaient, dans le milieu de la journee, une heure
de recreation qu'elles passaient ordinairement autour d'une grande table,
a converser librement en travaillant a l'aiguille. Mme de Maintenon aimait
a venir a ces recreations; elle y apportait son ouvrage et s'y livrait a
des entretiens, a la fois spirituels et edifiants, dont la communaute
appreciait le charme instructif.

Au mois de septembre 1686, le roi, relevant de maladie, vint visiter
Saint-Cyr. Les demoiselles chanterent le _Te Deum_, le _Domine salvum fac
regem_, l'hymne de Lulli: _Grand Dieu, sauvez le roi, vengez le roi_ (dont
les Anglais ont emprunte l'air a la France pour leur _God save the king_).
Louis XIV sourit a ces frais visages, a ces coeurs pleins d'emotion et de
reconnaissance. Quand il remonta en voiture, il dit avec attendrissement a
Mme de Maintenon:

"Je vous remercie, madame, de tout le plaisir que vous m'avez donne."

En 1689, il disait aux dames de Saint-Louis:

"Je ne suis pas assez eloquent pour vous bien exhorter; mais j'espere qu'a
force de vous bien repeter les motifs de cette fondation, je vous
persuaderai et vous engagerai a y etre toujours fideles. Je n'epargnerai
ni mes visites ni mes paroles, pour peu que je les croie utiles a produire
ce bel effet."

Pour Louis XIV, Saint-Cyr etait une consolation et une expiation, une
oeuvre de religion et de patriotisme, un hommage a Dieu et a la France.

"Ce qui me plait dans les dames de Saint-Cyr, disait-il, c'est qu'elles
aiment l'Etat, quoiqu'elles haissent le monde; elles sont bonnes
religieuses et bonnes Francaises."

A l'entree de chaque campagne, il se recommandait, pour attirer la
benediction du ciel sur ses armes, aux anges de Saint-Cyr, dont les
prieres devaient etre puissantes au paradis. Revenant du siege de Mons,
en avril 1691, il se rendit dans le saint asile, ou son ame se reposait
des emotions de la politique et de la guerre. Comme l'une des jeunes
filles lui reprochait de s'etre trop expose pendant le siege:

"Je n'ai fait que ce que je devais, repondit-il.

--Mais le bien de l'Etat, repliqua-t-elle, est attache a la conservation
de votre personne.

--Les places comme la mienne, reprit le roi, ne demeurent jamais vides. Un
autre la remplirait mieux que moi."

Quant a Mme de Maintenon, son devouement pour Saint-Cyr va jusqu'a
l'enthousiasme.

"Sanctifiez votre maison, dit-elle aux dames de Saint-Louis, et par votre
maison tout le royaume.

Je donnerais de mon sang pour communiquer l'education de Saint-Cyr a
toutes les maisons religieuses qui elevent des jeunes filles. Tout m'est
etranger en comparaison de Saint-Cyr, et mes plus proches parents me sont
moins chers que la derniere des bonnes filles de la communaute."

Non contente de prier, comme la reine des abeilles, elle travaille. Sa
plume et son aiguille sont egalement actives, et c'est tout en brodant
qu'elle fait de veritables sermons, qui ne seraient pas indignes des plus
grands predicateurs. Elle trace, en termes excellents, le portrait des
religieuses et celui des meres de famille.

"J'en connais, dit-elle, qui sont estimees, respectees et admirees de tout
le monde; leurs maris sont si charmes d'elles, qu'ils disent avec
admiration: "Je trouve tout en ma femme; elle me sert d'intendant, de
maitre d'hotel et de gouvernante pour mes enfants."

Parlant a des novices, elle s'ecrie:

"Comptez qu'il n'y a rien sur la terre de si heureux qu'une bonne
religieuse, et rien de si malheureux et de si meprisable qu'une mauvaise.
Se taire, obeir, souffrir, ne point faire souffrir les autres, aimer Dieu
d'un coeur plein et tout ce qu'il veut que nous aimions, supporter
l'imperfection en autrui et point en soi, ne se flatter ni se decourager,
ne compter que sur la croix et ne laisser jamais respirer l'amour-propre
sous aucun pretexte de consolation innocente, voila le royaume de Dieu qui
commence ici-bas; vous n'aurez de bonheur qu'en vous livrant a Dieu sans
reserve et en portant le joug de la religion avec un courage simple qui
vous le rendra doux et leger."

"Priez sans cesse, dit-elle aux dames de Saint-Louis, priez en marchant,
en ecrivant, en filant, en travaillant... Il y a quelque temps que je
voyais vos demoiselles plier du linge avec une activite qui ne leur
laissait pas le loisir de penser ni de s'ennuyer; elles furent un instant
en silence, et ensuite elles chanterent des cantiques; j'admirais
l'innocence de leur vie, et votre bonheur d'eviter tant de peches, en
contenant ainsi ce grand nombre de jeunes personnes dans un age si
dangereux."

Cette femme blasee, desabusee des vanites de la terre, voudrait inspirer a
autrui son degout des biens qu'elle a possedes. Avec quelle conviction
dans l'accent elle disait:

"Les princes et les princesses ne sont ordinairement contents nulle part,
et s'ennuient de tout. A force de chercher les plaisirs, ils n'en peuvent
trouver; ils vont de palais en palais, a Meudon, a Marly, a Rambouillet,
a Fontainebleau, dans le dessein de se divertir. Ce sont des lieux
admirables; vous seriez, vous autres, ravies en les voyant; mais eux s'y
ennuient parce que l'on s'accoutume a tout, et qu'a la longue les plus
belles choses ne font plus plaisir et deviennent indifferentes. De plus,
ce ne sont point ces choses-la qui nous peuvent rendre heureux; notre
bonheur ne peut venir que du dedans."

Dans ces discours aux demoiselles de Saint-Cyr, Mme de Maintenon
s'analysait elle-meme avec l'impartialite qu'elle mettait a juger les
qualites et les defauts de son prochain. C'etait comme un perpetuel examen
de conscience, une meditation continue, une demonstration de l'inanite, du
neant des grandeurs humaines par la femme qui en avait la connaissance la
plus approfondie.

Austeres et admirables enseignements! Mais toutes les jeunes filles
sont-elles en etat de les comprendre? Plus d'une n'est, croyons-nous, qu'a
moitie convaincue. Il en est peut-etre parmi elles qui disent qu'apres
tout Mme de Maintenon n'a pas toujours fait fi du monde; qu'elle l'a aime
au point de preferer Scarron a un couvent; qu'elle a ete, plus qu'aucune
autre femme, flattee des distinctions et des eloges; que, dans sa
jeunesse, elle ne laissait pas que d'etre fiere de ses succes dans les
brillants salons de l'hotel d'Albret ou de l'hotel de Richelieu.

Parmi les demoiselles de Saint-Cyr, il y en a probablement plus d'une que
la crainte des orages ne degoute pas de l'ocean, et qui, en depit des
sages conseils de Mme de Maintenon, revent d'en essayer et de se confier
aux flots sur une barque ornee de fleurs. Il est rare qu'on soit convaincu
par l'experience d'autrui. Ce sont nos propres deceptions, nos propres
souffrances, qui nous instruisent. Mme de Maintenon le sait bien, et
cependant elle ne se decourage pas dans ses exhortations.

"Que ne puis-je, s'ecrie-t-elle, faire voir le fond de mon coeur a toutes
les religieuses, afin qu'elles sentent tout le prix de leur vocation! Que
ne donnerais-je point pour qu'elles vissent d'aussi pres que je le vois de
quels plaisirs nous cherchons a abreger le songe de la vie!"

En recapitulant l'ensemble de sa destinee, cette femme a l'esprit si
observateur, si judicieux et si pratique, en arrive a des conclusions qui
sont toutes, pour la vertu, pour la religion, pour Dieu, et le saint
asile ou elle a marque d'avance l'emplacement de son cercueil l'affermit
dans ses pensees fortes et ses reflexions salutaires.




X


LA DUCHESSE D'ORLEANS
PRINCESSE PALATINE


Une des causes qui faisaient que Mme de Maintenon preferait Saint-Cyr
a Versailles, c'est qu'a Saint-Cyr elle se croyait aimee, tandis qu'a
Versailles, elle sentait percer, sous une deference apparente et sous
d'obsequieuses protestations de devouement et de respect, la
malveillance, souvent la haine. Telles personnes qui la voyaient sans
cesse et lui temoignaient les plus grands egards, la detestaient
cordialement, et, avec profonde connaissance du coeur humain, elle s'en
apercevait toujours. Au premier rang de ces antipathies secretes contre
Mme de Maintenon, il faut citer l'inimitie sourde et violente de la
princesse Palatine, Madame, seconde femme du duc d'Orleans.

Les accusations portees contre l'epouse de Louis XIV par cette Allemande
impitoyable sont si exagerees et si invraisemblables, qu'elles font plus
de bien que de mal a la memoire de celle qui en fut l'objet. Jamais les
libelles d'Amsterdam, jamais les pamphlets protestants n'ont invente
pareilles enormites. C'est un torrent d'injures, une debauche de haine,
le langage des halles dans le plus beau palais de l'univers. Ce sont des
calomnies qui ne reculent devant rien.

La femme qui se livrait, dans sa correspondance, a cette fureur de
diatribes, est, a coup sur, l'une des figures les plus originales de la
galerie feminine de Versailles. Physique, moral, style, caractere, tout
chez elle est bizarre. Ne ressemblant a personne et contrastant avec tout
ce qui l'entoure, elle sert, en quelque sorte, de repoussoir aux beautes
fines et delicates de son temps. Aucune femme ne s'est, croyons-nous,
mieux fait connaitre que la princesse Palatine dans ses lettres. Elle y
est tout entiere, avec ses defauts et ses qualites, son curieux melange
d'austerite de moeurs et de cynisme de langage, ses hauteurs de grande
dame et ses expressions de femme du peuple, son pretendu dedain pour les
grandeurs humaines et son amour acharne pour les prerogatives du rang.

C'est la princesse dont Saint-Simon a si nettement trace le portrait:
franche et droite, bonne et bienfaisante, grande en toutes ses manieres,
et petite au dernier point sur tout ce qui regarde ce qui lui est du.
C'est la femme aux allures masculines, sans coquetterie, sans envie de
plaire, mais sans retenue dans ses propos, ayant dans le caractere et dans
les gouts quelque chose d'apre et de martial, aimant les chiens, les
chevaux, la chasse, dure pour elle-meme, se guerissant, si par hasard elle
est souffrante, en faisant a pied deux grandes lieues. Ce qu'elle
represente exactement par son type si original, ce n'est pas l'Allemagne
poetique, sentimentale, reveuse; c'est l'Allemagne rustique, presque
farouche.

Traduites en francais, les lettres de la princesse Palatine perdent
beaucoup de leur saveur. C'est en allemand qu'elles ont ce gout de
terroir, ces allures primesautieres, ce ton parfois cynique, parfois
burlesque, qui en font le principal merite. Si exagerees, si passionnees
qu'elles soient, elles valent la peine d'etre consultees, meme apres les
Memoires de Saint-Simon. Sans doute, Madame n'a rien du genie de ce Tacite
francais; mais il y a, dans leur style et dans leur destinee, plus d'une
analogie. Tous deux sont des temoins essentiellement recusables; car tous
deux ont des partis pris et ne peuvent juger de sang-froid des questions
qui interessent de trop pres leurs rancunes et leurs prejuges. Mais l'un
et l'autre n'essayent meme pas de dissimuler leur partialite; rien n'est
donc plus facile que de distinguer la verite a travers leurs mensonges. Si
elle n'a pas le genie de Saint-Simon, Madame en a les coleres, les
indignations et les haines. Elle est honnete femme comme il est honnete
homme. Elle aime, comme lui, le droit, la justice et la verite. Comme lui,
elle ecrit en secret, et se console d'une perpetuelle contrainte par
l'exageration de sa liberte de style. Comme lui, elle fait de sa plume et
de son encrier sa vengeance. C'est avec ses propres lettres que nous
allons essayer de retracer sa physionomie.

Fille de l'electeur palatin Charles-Louis et de la princesse Charlotte de
Hesse-Cassel, la seconde femme du duc d'Orleans naquit au chateau de
Heidelberg. Enfant, elle preferait les fusils aux poupees et annoncait
deja les cotes masculins de son caractere. Elle avait dix-neuf ans quand
son mariage avec le frere de Louis XIV fut decide.

Elle se mit en route pour la France en 1671. On lui depecha trois eveques
a la frontiere pour l'instruire dans la religion catholique, qui devait
etre desormais la sienne. Les prelats commencerent leur oeuvre a Metz et
la terminerent a leur arrivee a Versailles. La nouvelle duchesse d'Orleans
etait en tous points l'oppose de celle dont Bossuet fit l'oraison funebre.
La cour, qui avait admire dans la premiere Madame le type de l'elegance et
de la beaute, trouvait dans la seconde celui de la rudesse et de la
laideur. Autant l'une etait coquette, autant l'autre l'etait peu. C'etait,
pour la princesse Palatine, une sorte de plaisir d'exagerer elle-meme ce
qu'elle pensait de son physique: "J'ai de grandes joues pendantes et un
grand visage, ecrivait-elle. Cependant je suis tres petite de taille,
courte et grosse; somme totale, je suis un petit laideron. Si je n'avais
bon coeur, on ne me supporterait nulle part. Pour savoir si mes yeux
annoncent de l'esprit, il faudrait les examiner au microscope ou avec des
conserves; autrement il serait difficile d'en juger. On ne trouverait pas
probablement sur toute la terre des mains aussi vilaines que les miennes.
Le roi m'en a fait l'observation et m'a fait rire de bon coeur; car,
n'ayant pu me flatter, en conscience, d'avoir quelque chose de joli, j'ai
pris le parti de rire la premiere de ma laideur, cela m'a tres bien
reussi."

Si la princesse Palatine n'eblouissait pas la cour, en revanche la cour ne
l'eblouissait guere. Versailles et ses splendeurs la laissent insensible.
"J'aime mieux, ecrivait-elle, voir des arbres et des prairies que les plus
beaux palais; j'aime mieux un jardin potager que des jardins ornes de
statues et de jets d'eau; un ruisseau me plait davantage que de
somptueuses cascades; en un mot, tout ce qui est naturel est infiniment
plus de mon gout que les oeuvres de l'art et de la magnificence; elles ne
plaisent qu'au premier aspect, et, aussitot qu'on y est habitue, elles
inspirent la fatigue, et l'on ne s'en soucie plus." Ce qu'aimait, ce que
regrettait Madame, c'etait son Rhin allemand, c'etaient les collines ou,
enfant, elle allait voir se lever le soleil, et ou elle mangeait des
cerises avec un bon morceau de pain.

Nee dans la religion protestante, instruite rapidement et sommairement
dans la religion catholique, elle n'y trouvait ni la lumiere ni les
consolations que donne une foi plus eclairee; le melange de la politique
et de la religion l'irritait, et on comprend que la revocation de l'edit
de Nantes ait revolte ses sentiments autant que ses souvenirs
d'enfance.[1] "Je dois avouer, ecrivait-elle non sans raison, que lorsque
j'entends les eloges qu'on donne en chaire au grand homme pour avoir
persecute les reformes, cela m'impatiente toujours. Je ne peux pas
souffrir qu'on loue ce qui est mal." Elle deplorait qu'on n'eut pas fait
comprendre a Louis XIV que "la religion est instituee plutot pour
entretenir l'union parmi les hommes que pour les faire se tourmenter et se
persecuter les uns les autres".--"Le roi Jacques, ajoutait-elle, dit qu'on
a bien vu Notre-Seigneur Jesus-Christ battre des gens pour les chasser du
temple, mais qu'on ne trouve nulle part qu'il en ait maltraite pour les y
faire entrer."

[Note 1: Lettre du 7 juillet 1695.]

Madame, qui avait l'esprit tres observateur, analysait et commentait les
divers genres de "piete" des courtisans. Ce qui la choquait, ce n'etait
pas la devotion et la foi sincere qu'elle respectait, c'etaient les
hypocrites qui s'en font un masque. Elle ne s'indignait pas moins contre
le flot grandissant du scepticisme quand elle ecrivait, en 1699, avec
quelque exageration peut-etre: "La foi est tellement eteinte dans ce pays,
qu'on ne voit presque plus maintenant un seul jeune homme qui ne veuille
etre athee; mais ce qu'il y a de plus etrange, c'est que le meme individu
qui fait l'athee a Paris, joue le devot a la cour; on pretend aussi que
tous les suicides que nous avons en si grande quantite depuis quelque
temps sont causes par l'atheisme."

La jeune noblesse francaise, malgre son elegance; son luxe et son entrain,
ne trouvait pas grace a ses yeux. Elle declarait les jeunes gens
"horriblement debauches et adonnes a tous les vices, sans en excepter le
mensonge et la tromperie. Ils regarderaient comme une honte,
ajoutait-elle, de se piquer d'etre gens d'honneur... Le plus incapable
occupe parmi eux le premier rang; c'est celui-la qu'ils estiment le plus.
Vous pouvez aisement juger d'apres cela quel grand plaisir il doit y avoir
ici pour les honnetes gens; mais je crains qu'en poussant plus loin mes
details sur la cour, je ne vous cause le meme ennui que j'eprouve souvent,
et que cet ennui ne devienne, a la fin, une maladie contagieuse[1]."

[Note 1: Lettre du 18 juillet 1700.]

Avec l'opinion qu'elle avait des courtisans, on comprend combien la
princesse Palatine devait se trouver mal a l'aise au milieu d'eux. En
outre, Allemande jusqu'au bout des ongles, elle souffrait d'etre forcee
de vivre a cote des ennemis de sa patrie, et les incendies du Palatinat
lui semblaient des flammes infernales.

Cette cour, qui jouait et qui dansait pendant qu'on brulait les palais et
les chaumieres d'Allemagne, lui devint un objet d'horreur. L'image des
malheureux expulses de leurs foyers, pilles, depouilles, maltraites,
les ruines de Heidelberg, de Manheim, d'Andernach, de Bade, de Rastadt, de
Spire, de Worms, lui apparaissaient sans cesse. Poursuivie par ces images
comme par des fantomes, elle avait des angoisses, des desespoirs
patriotiques, et, dans ce fastueux palais de Versailles, elle se sentait
comme en prison:

"Dut-on m'oter la vie, s'ecriait-elle, il m'est impossible de ne pas
regretter d'etre, pour ainsi dire, le pretexte de la perte de ma patrie.
Je ne puis voir de sang-froid detruire d'un seul coup, dans ce pauvre
Manheim, tout ce qui a coute tant de soins et de peines au feu
prince-electeur mon pere. Oui, quand je songea tout ce qu'on a fait
sauter, cela me remplit d'une telle horreur, que chaque nuit, aussitot que
je commence a m'endormir, il me semble etre a Heidelberg ou a Manheim, et
voir les ravages qu'on y a commis. Je me reveille alors en sursaut, et je
suis plus de deux heures sans pouvoir me rendormir. Je me represente
comment tout etait de mon temps et dans quel etat on l'a mis aujourd'hui,
et je considere aussi dans quel etat je suis moi-meme, et je ne puis
m'empecher de pleurer a chaudes larmes[1]."

[Note 1: Lettre du 20 mars 1689.]

Dans cette cour si nombreuse et si brillante, la princesse ne trouvait
personne avec qui elle sympathisat. Tout l'offusquait, tout l'irritait;
seule la figure du roi, qu'elle appelait le "grand homme", non sans une
pointe d'ironie, lui semblait majestueuse, et encore trouvait-elle
beaucoup de taches au "soleil".

Son interieur n'etait pas pour elle un sujet de consolation. Elle ne
pardonnait pas a son mari d'etre sans cesse occupe de futilites et de
mascarades, ni surtout de s'entourer d'hommes accuses d'avoir assassine sa
premiere femme, la belle et poetique Henriette d'Angleterre. Elle
souffrait au contact de ce caractere faible, timide, gouverne par des
favoris et souvent meme malmene par eux. Une de ses lettres, ecrite en
1696, contient ce curieux passage: "Monsieur dit hautement, et il ne l'a
cache ni a sa fille ni a moi, que, comme il commence a se faire vieux, il
n'a pas de temps a perdre, qu'il veut tout employer et ne rien epargner
pour s'amuser jusqu'a la fin, que ceux qui lui survivront verront a passer
le temps a leur guise, mais qu'il s'aime mieux que moi et ses enfants, et
qu'en consequence il veut, tant qu'il vivra, ne s'occuper que de lui, et
il le fait comme il le dit."

C'est ce prince que Saint-Simon depeint ainsi: "tracassier et incapable de
garder un secret, soupconneux, defiant, semant des noises dans sa cour
pour brouiller, pour savoir, souvent aussi pour s'amuser[1]."

[Note 1: Saint-Simon, _Memoires_.]

Madame n'est pas plus heureuse dans son fils, le futur Regent, que dans
son mari. Le jugement qu'elle portait sur ce fils, qui gatait a plaisir
les belles qualites dont il etait doue par la nature, justifiait celui de
Louis XIV sur "ce fanfaron de vices".

Lorsqu'il voulut epouser une des filles de Mme de Montespan, la princesse
Palatine se serait emportee contre lui au point de lui donner, en pleine
galerie de Versailles, ce vigoureux, ce sonore soufflet qui retentit si
bien dans les Memoires de Saint-Simon[1]. "Outre son mariage,
ecrivait-elle en 1700, mon fils m'a cause encore bien du chagrin.... Ce
que je trouve de pire dans sa conduite, c'est que je suis la seule qui ne
puisse avoir son amitie; car autrement il est bon envers tout le monde. Je
n'ai cependant perdu son amitie que pour lui avoir donne toujours des
conseils dans son interet. Maintenant j'en ai pris mon parti, je ne lui
dis plus rien, et je lui parle, comme au premier venu, de choses
indifferentes; mais c'est quelque chose de bien penible que de ne pouvoir
ouvrir son coeur a ceux qu'on aime."

[Note 1: "Elle marchait a grands pas, son mouchoir a la main, pleurant
sans contrainte, parlant assez haut, gesticulant et representant assez
bien Ceres apres l'enlevement de Proserpine.... On alla attendre a
l'ordinaire la levee du Conseil dans la galerie et la messe du roi; Madame
y vint, son fils s'approcha d'elle comme il faisait tous les jours pour
lui baiser la main. En ce moment Madame lui appliqua un soufflet si
sonore, qu'il fut entendu de quelques pas, et qui, en presence de toute la
cour, couvrit de confusion ce pauvre prince et combla les infinis
spectateurs, dont j'etais, d'un prodigieux etonnement." (Saint-Simon,
_Memoires_.) Notons en passant que Madame, dans une lettre a la Rhingrave
Louise, dit qu'on a fait courir le bruit qu'elle avait soufflete son fils,
mais que cela est absolument faux.]

Tourmentee dans son interieur, exasperee contre les favoris de son mari,
attristee comme epouse, comme mere, comme Allemande, Madame se souciait
peu des splendeurs de Versailles et de Saint-Cloud, ou l'existence etait
pour elle un melange de luxe et de misere.

"J'attacherais certes, disait-elle, beaucoup de prix a la grandeur, si
l'on avait aussi tout ce qui doit l'accompagner, c'est-a-dire de l'or en
abondance pour etre magnifique, et le pouvoir de faire du bien aux bons
et de punir les mechants, mais n'avoir de la grandeur que le nom sans
l'argent, etre reduit au plus strict necessaire, vivre dans une
perpetuelle contrainte, sans qu'il vous soit possible d'avoir aucune
societe, cela me semble, a vrai dire, parfaitement insipide, et je n'y
tiens pas du tout. J'estime davantage une condition dans laquelle on peut
s'amuser avec de bons amis sans embarras de grandeur et faire de son bien
l'usage qu'il vous plait[1]."

[Note 1: Lettre du 21 aout 1695.]

Comment la princesse Palatine parvenait-elle a se distraire de tant de
tracas et de soucis? En chassant et en ecrivant. La chasse, et plus encore
le style epistolaire, voila ses deux passions, ses deux manies. Depuis
1671, annee de son mariage, jusqu'a 1722, annee de sa mort, elle ne cessa
d'adresser lettres sur lettres aux membres de sa famille. Elle ecrivait le
lundi en Savoie, le mercredi a Modene, le jeudi et le dimanche en Hanovre.
Mais cette rage d'ecrire ne laissa pas que de lui etre fatale. Sa
correspondance, ouverte a la poste, fut remise a Mme de Maintenon.
Celle-ci montra a l'imprudente princesse une lettre toute remplie des
injures les plus violentes.

"On peut penser, dit Saint-Simon, si, a cet aspect et a cette lecture,
Madame pensa mourir sur l'heure. La voila a pleurer, et Mme de Maintenon a
lui representer modestement l'enormite de toutes les parties de cette
lettre, et en pays etranger. La meilleure excuse de Madame fut l'aveu de
ce qu'elle ne pouvait nier, des pardons, des repentirs, des prieres, des
promesses.... Mme de Maintenon triompha froidement d'elle assez longtemps,
la laissant s'engouer de parler, de pleurer et de lui prendre les mains.
C'etait une terrible humiliation pour une si rogue et si fiere
Allemande."

Il n'en faudrait pas davantage pour expliquer la haine de la princesse
Palatine contre celle a qui elle appliquait, dans sa fureur, le vieux
proverbe germanique: "Ou le diable ne peut aller, il envoie une vieille
femme."

Devenue veuve en 1701, Madame se calma.

"Point de couvent, avait-elle dit le lendemain de la mort de Monsieur,
qu'on ne me parle point de couvent!"

Heureuse de rester a la cour, malgre tout le mal qu'elle en pensait, elle
s'adoucit envers Mme de Maintenon, au point d'ecrire en 1712: "Bien que la
vieille soit notre plus cruelle ennemie, je lui souhaite cependant une
longue vie; car tout irait encore dix fois plus mal, si le roi venait a
mourir maintenant. Il a tant aime cette femme, qu'il ne lui survivrait
certainement pas; aussi je souhaite qu'elle vive encore de longues
annees."

Madame finit ses jours en bonne chretienne, et Massillon, dans une belle
oraison funebre, rendit un juste hommage au courage qu'elle montra dans
ses dernieres souffrances. A ceux qui entouraient son lit de mort, elle
avait dit, avec un calme digne de Louis XIV:

"Nous nous retrouverons au ciel."

En resume, Mme la duchesse d'Orleans est un type etrange, qui s'impose,
bon gre malgre, a l'attention. Chez elle on trouve, a cote de grands
travers, de la droiture et du bon sens, de la justice et de l'humanite. Il
y a dans ses lettres, au milieu d'un fatras de details insignifiants,
d'anecdotes plus ou moins exactes, de banalites et de commerages du monde,
des pensees dignes d'un moraliste et des jugements frappes au coin de la
sagesse. Il est vrai qu'elle fait de la morale en termes cyniques; mais,
si elle parle du mal, c'est pour le fletrir et en representer les hontes.
Si elle regarde trop le vice, elle a du moins le merite de le voir tel
qu'il est, de le detester d'une haine martiale, agressive,
irreconciliable, et de le stigmatiser avec des accents que leur trivialite
meme rend peut-etre plus saisissants.




XI


MME DE MAINTENON, FEMME POLITIQUE


Ecrire l'histoire avec les pamphlets, prendre pour des verites toutes les
inventions de la malveillance ou de la haine, dire avec Beaumarchais:
"Calomniez, calomniez, il en reste toujours quelque chose," rapetisser ce
qui est grand, denaturer ce qui est noble, obscurcir ce qui brille, telle
est la tactique des ennemis jures de nos traditions et de nos gloires, tel
est le plaisir des iconoclastes qui voudraient supprimer de nos annales
toutes les figures grandioses ou majestueuses. L'ecole revolutionnaire
dont ils sont les adeptes a deja sape l'edifice; elle a contribue a
detruire la chose indispensable aux societes bien organisees: le respect;
elle a change les livres en libelles, les jugements en invectives, les
portraits en caricatures; elle s'est accordee avec cette litterature
essentiellement fausse qui s'appelle le roman historique, pour travestir
les personnes et les choses, pour repandre dans le public une foule
d'exagerations ou de fables qui jettent la confusion dans les faits et
dans les idees, qui bouleversent les notions de la justice et du bon sens.
Un des hommes dont cette ecole a le plus horreur, c'est Louis XIV, parce
qu'il fut le representant ou, pour mieux dire, le symbole du principe
d'autorite.

Elle s'est fatiguee de l'entendre appeler le Grand, comme l'Athenien qui
se lassait d'entendre appeler Aristide le Juste. Elle a cru que, par son
souffle, elle pourrait eteindre les rayons du soleil royal. Un potentat
affaibli mene en lisiere par une vieille devote intrigante, voila l'image
qu'elle a voulu tracer, voila les traits sous lesquels on aurait la
pretention de faire passer a la posterite celui qui resta jusqu'a la
derniere heure, jusqu'au dernier soupir, ce qu'il avait ete toute sa vie:
le type par excellence du souverain. Deshonorer Louis XIV dans la femme
qu'il choisit comme compagne de son age mur et de ses vieux jours, tel a
ete, tel est encore l'objectif des ecrivains de cette ecole.

Ils ont appuye leurs jugements sur ceux de la princesse Palatine, dont
nous avons essaye de retracer la physionomie, et sur ceux d'un autre
temoin tout aussi recusable, le duc de Saint-Simon. L'on ne devrait
pourtant pas oublier que ce bouillant duc et pair, qui parlait souvent
comme Philinte, s'il pensait toujours comme Alceste, avait du moins la
bonne foi de dire lui-meme:

"Le stoique est une belle et noble chimere. Je ne me pique donc pas
d'impartialite; je le ferais vainement."

Il s'indignait de n'etre rien dans ce gouvernement ou plus d'un homme
mediocre avait reussi a capter la faveur du souverain. Etre condamne a
l'existence desoeuvree de courtisan, vivre dans les antichambres, sur les
escaliers, dans les jardins ou dans les cours de Versailles et des autres
residences royales, c'etait pour sa vanite un sujet d'aigreur et de
mecontentement. Il s'en prenait donc a Louis XIV d'abord, et ensuite a la
femme qu'il considerait comme l'inspiratrice de tous ses choix. Mais ce
n'est que dans ses Memoires, ecrits clandestinement, enfermes sous une
triple serrure, qu'il osait se livrer a ses coleres. Devant le roi, il
etait le respect, la docilite memes. Apres s'etre beaucoup remue a propos
d'une certaine quete, qui avait fait l'objet d'un litige entre les
princesses et les duchesses, il disait humblement au roi que, pour lui
plaire, il aurait quete dans un plat, comme un marguillier de village. Il
ajoutait que Louis XIV etait, "comme roi et comme bienfaiteur de tous les
ducs, despotiquement le maitre de leurs dignites, de les abaisser, de les
elever, d'en faire comme une chose sienne et absolument dans sa main." Il
n'etait pas plus fier en presence de "la creole", qu'il traite dans ses
Memoires de "veuve a l'aumone d'un poete cul-de-jatte". Il s'efforca meme
de la mettre dans ses interets d'ambition et d'obtenir, par elle, une
charge de capitaine des gardes. Mais, furieux de n'etre point arrive aux
plus grandes positions de l'Etat, il s'est donne le plaisir d'une
vengeance posthume, en representant Mme de Maintenon sous les couleurs les
plus odieuses. Suppleant par l'imagination a l'insuffisance des preuves,
il en a fait une sorte de vieille hypocrite, ayant vecu du plaisir dans sa
jeunesse, et de l'intrigue dans son age mur.

Ce qu'il dit d'elle est un tissu d'inexactitudes.

Il la fait naitre en Amerique, tandis qu'elle naquit a Niort. Il admet a
peine que son pere fut gentilhomme, bien qu'elle eut une noblesse
absolument incontestable. Ses autres informations n'ont pas plus de
fondement.

Si chaque jour augmente la gloire de Saint-Simon, si l'on ne cesse
d'admirer ce style qui rappelle tour a tour la hardiesse de Bossuet, le
coloris de La Bruyere, l'allure de Mme de Sevigne, en revanche, plus on
etudie serieusement la cour de Louis XIV, plus on reconnait que les fameux
Memoires sont remplis d'inexactitudes. Dans son remarquable ouvrage
critique sur l'oeuvre de Saint-Simon, M. Cheruel a bien raison de dire:
"L'observation de Saint-Simon est fine, sagace, penetrante pour sonder les
replis des coeurs des courtisans; mais elle manque d'etendue et de
grandeur. A la cour, son horizon est borne. Tout ce qui le depasse ne lui
presente que des traits vagues et confus. En lui accordant la perspicacite
de l'observateur, on doit lui refuser l'impartialite du juge[1]." A
l'entendre, Mme de Maintenon est l'unique maitresse de la France,
l'omnipotente sultane, la _pantocrate_, comme disait la princesse Palatine
dans son jargon bizarre. Il retrace, avec force details, "son incroyable
succes, l'entiere confiance, la rare dependance, la toute-puissance,
l'adoration publique, presque universelle, les ministres, les generaux
d'armee, la famille royale a ses pieds, tout bon et tout bien par elle,
tout reprouve sans elle: les hommes, les affaires, les choses, les choix,
les justices, les graces, la religion, tout sans exception en sa main,
et le roi et l'Etat ses victimes."

[Note 1: _Saint-Simon considere comme historien de Louis XIV_, par M.
Cheruel.]

Quoi qu'on en dise, Louis XIV est toujours reste le maitre, et c'est lui
qui a trace les grandes lignes politiques du regne. Mme de Maintenon a pu
lui donner des conseils, mais c'est lui qui decidait en dernier ressort.

Chose digne de remarque: cette femme, a qui l'on voudrait maintenant
reprocher une immixtion tracassiere dans toutes choses, etait accusee par
les hommes les plus eminents de se tenir a l'ecart. Fenelon lui ecrivait:
"On dit que vous vous melez trop peu des affaires. Votre esprit en est
plus capable que vous ne pensez. Vous vous defiez peut-etre un peu trop de
vous-meme, ou bien vous craignez trop d'entrer dans des discussions
contraires au gout que vous avez pour une vie tranquille et recueillie."
Que Mme de Maintenon ait eu de l'influence sur quelques choix, cela ne
parait pas contestable; mais qu'elle ait, a elle seule, fait marcher tous
les ministeres, c'est la une pure invention. Elle etait sincere,
croyons-nous, quand elle ecrivait a Mme des Ursins: "De quelque facon que
les choses tournent, je vous conjure, madame, de me regarder comme une
personne incapable d'affaires, qui en a entendu parler trop tard pour y
etre habile, et qui les hait encore plus qu'elle ne les ignore.... On ne
veut pas que je m'en mele, et je ne veux pas m'en meler. On ne se cache
point de moi; mais je ne sais rien de suite, et je suis tres souvent mal
avertie."

Lisant ou faisant de la tapisserie pendant que le roi travaillait avec
l'un ou l'autre de ses ministres, Mme de Maintenon ne prenait timidement
la parole que lorsqu'elle y etait formellement invitee. Son attitude a
l'egard de Louis XIV etait toujours celle du respect. Le roi lui disait,
il est vrai:

"On appelle les papes Votre Saintete, les rois Votre Majeste. Vous,
madame, il faut vous appeler Votre Solidite."

Mais cet eloge ne tournait pas la tete a une femme raisonnable et si
mesuree.

En resume, que reproche-t-on surtout a Louis XIV? Ses guerres, sa passion
pour le luxe, son fanatisme religieux. En quoi cette triple accusation
peut-elle peser sur Mme de Maintenon? Bien loin de pousser a la guerre,
elle ne cesse de faire les voeux les plus ardents pour la paix:

"Je ne respire qu'apres la paix, ecrit-elle en 1684; je ne donnerai jamais
au roi des conseils desavantageux a sa gloire; mais si j'etais crue, on
serait moins ebloui de cet eclat d'une victoire, et l'on songerait plus
serieusement a son salut, mais ce n'est pas a moi a gouverner l'Etat; je
demande tous les jours a Dieu qu'il en inspire et qu'il en dirige le
maitre, et qu'il fasse connaitre la verite."

M. Michelet, si peu bienveillant pour elle, avoue pourtant qu'elle
regretta profondement la guerre de la succession d'Espagne. Il dit que
"les seuls qui gardaient le bon sens, la vieille Maintenon et le maladif
Beauvilliers, voyaient avec terreur qu'on se lancait dans l'epouvantable
aventure qui allait tout engloutir.... De meme qu'elle se laissa arracher
son avis ecrit pour la revocation de l'edit de Nantes, elle ceda, se
soumit pour la succession[1]".

[Note 1: Michelet, _Louis XV et le duc de Bourgogne_.]

Elle n'aimait pas plus le luxe que la guerre. Vivant elle-meme avec une
extreme simplicite, elle cherchait a detourner Louis XIV des constructions
fastueuses et d'une ostentation qu'elle trouvait orgueilleuse. Au dire de
Mlle d'Aumale, la confidente de ses bonnes oeuvres, on l'entendait se
reprocher les modestes depenses qu'elle faisait pour son propre compte.
Attendant a la derniere extremite pour se donner un habit, elle disait:

"J'ote cela aux pauvres. Ma place a bien des cotes facheux, mais elle me
procure le plaisir de donner. Cependant, comme elle empeche que je manque
de rien, et que je ne puis jamais prendre sur mon necessaire, toutes mes
aumones sont une espece de luxe, bon et permis a la verite, mais sans
merite."

Non seulement Mme de Maintenon ne fut pour rien dans le faste de Louis
XIV, non seulement elle ne cessa de le rappeler a la simplicite
chretienne, mais elle plaida sans cesse aupres de lui la cause du peuple,
dont elle plaignait les miseres et dont elle admirait la resignation. Ne
se laissant jamais enivrer par l'encens qui brulait a ses pieds, comme a
ceux de Louis XIV, elle n'eut ni ces bouffees d'orgueil, ni cette soif de
richesses, ni cette ardeur de domination qu'on rencontre dans la vie des
favorites. Les pierreries, les riches etoffes, les meubles precieux, lui
etaient indifferents. Meme aux jours de sa jeunesse et de l'engouement
qu'excitait sa beaute, elle avait eu surtout son esprit pour parure, et
l'eclat exterieur ne l'avait jamais eblouie.

Un autre grief formule par certains historiens contre Mme de Maintenon,
c'est la revocation de l'edit de Nantes. Ils attribuent la persecution au
zele hypocrite d'une devotion etroite, uniquement inspiree par Mme de
Maintenon. Or la revocation de l'edit de Nantes fut, pour ainsi dire,
imposee au roi par l'opinion publique. Ainsi que l'a fait remarquer M.
Theophile Lavallee, les reformes gardaient en face du gouvernement un air
d'enfants disgracies, en face des catholiques un air d'ennemis dedaigneux;
ils persistaient dans leur isolement, ils continuaient leur correspondance
avec leurs amis d'Angleterre et de Hollande[1]. "La France, a dit M.
Michelet, sentait une Hollande en son sein qui se rejouissait des succes
de l'autre[2]."

[Note 1: Lavallee, _Histoire des Francais_.]
[Note 2: Michelet, _Precis sur l'Histoire moderne_.]

Ramener les dissidents a l'unite etait chez Louis XIV une idee fixe. Ce
devait etre, comme on disait alors, le digne ouvrage et le propre
caractere de son regne. Le parlement de Toulouse, les catholiques du Midi,
avaient sollicite la revocation avec instance. Quand le decret parut, ce
fut une explosion d'enthousiasme. Le chancelier Le Tellier, entonnant le
cantique du vieillard Simeon, mourait en disant qu'il ne lui restait plus
rien a desirer, apres ce dernier acte de son long ministere.

Bossuet en arrivait a des transports lyriques: "Ne laissons pas de publier
ce miracle de nos jours. Faisons-en passer le recit aux siecles futurs.
Prenez vos plumes sacrees, vous qui composez les annales de l'Eglise....
Touches de tant de merveilles, epanchons nos coeurs sur la piete de Louis;
poussons jusqu'au ciel nos acclamations, et disons a ce nouveau
Constantin, a ce nouveau Theodose, a ce nouveau Charlemagne, ce que les
six cent trente Peres dirent autrefois dans le concile de Chalcedoine:
"Vous avez affermi la foi, vous avez extermine les heretiques"[1]

[Note 1: Bossuet, _Oraison funebre de Michel Le Tellier_.]


Saint-Simon, qui blame la revocation avec tant d'eloquence, avoue que
Louis XIV etait convaincu qu'il faisait une chose sainte:

"Le monarque ne s'etait jamais cru si grand devant les hommes ni si avance
devant Dieu dans la reparation de ses peches et le scandale de sa vie. Il
n'entendait que des eloges." Les laiques n'applaudissaient pas moins que
le clerge. Mme de Sevigne ecrivait, le 8 octobre 1685: "Jamais aucun roi
n'a fait et ne fera rien de si memorable." Rollin, La Fontaine, La
Bruyere, ne se montraient pas moins enthousiastes que Massillon et
Flechier. Ces vers de Mme Deshoulieres refletaient l'opinion generale:

    Ah! pour sauver ton peuple et pour venger la foi,
    Ce que tu viens de faire est au-dessus de l'homme.
    De quelques grands noms qu'on te nomme,
    On t'abaisse; il n'est plus d'assez grands noms pour toi.

Sans doute, Mme de Maintenon se laissa entrainer par le sentiment unanime
du monde catholique; mais ce ne fut nullement elle qui prit l'initiative.
Voltaire l'a reconnu, lorsqu'il a dit:

"On voit par ses lettres qu'elle ne pressa point la revocation de l'edit
de Nantes, mais qu'elle ne s'y opposa point."

Au sujet des abjurations qui n'etaient pas sinceres, elle ecrivait, le 4
septembre 1687: "Je suis indignee contre de pareilles conversions: l'etat
de ceux qui abjurent sans etre veritablement catholiques est infame." On
lit dans les _Notes des Dames de Saint-Cyr_: "Mme de Maintenon, en
desirant de tout son coeur la reunion des huguenots a l'Eglise, aurait
voulu que ce fut plutot par la voie de la persuasion et de la douceur que
par la rigueur; et elle nous a dit que le roi, qui avait beaucoup de zele,
aurait voulu la voir plus animee qu'elle ne lui paraissait, et lui disait,
a cause de cela: "Je crains, madame, que le menagement que vous voudriez
que l'on eut pour les huguenots ne vienne de quelque reste de prevention
pour votre ancienne religion."

Fenelon lui-meme, represente comme l'apotre de la tolerance, approuvait en
principe la revocation de l'edit de Nantes:

"Si nul souverain, disait-il, ne peut exiger la croyance interieure de ses
sujets sur la religion, il peut empecher l'exercice public ou la
profession d'opinions ou ceremonies qui troubleraient la paix de la
republique par la diversite et la multiplicite des sectes."

Tel est egalement l'avis de Mme de Maintenon; mais les ecrivains
protestants eux-memes ont reconnu qu'elle blamait l'emploi de la force.
L'historien des refugies francais dans le Brandebourg le dit:

"Rendons-lui justice, elle ne conseilla jamais les moyens violents dont on
usa; elle abhorrait les persecutions, et on lui cachait celles qu'on se
permettait."

Les conseils de Mme de Maintenon ne furent pas etrangers a la declaration
du 13 decembre 1698, qui, tout en maintenant la revocation de l'edit de
Nantes, fonda une tolerance de fait qui dura jusqu'a la fin du regne.
Gardons-nous, au surplus, de tomber dans l'erreur grossiere de ceux qui
voient dans le catholicisme la servitude, dans le protestantisme la
tolerance. Luther prechait l'extermination des anabaptistes. Calvin
faisait supplicier pour heresie Michel Servet, Jacques Brunet, Valentin
Gentilis. Les rigueurs de Louis XIV contre les protestants n'egalent pas
celles de Guillaume d'Orange connue les catholiques. Les lois anglaises
etaient d'une severite draconienne; tout pretre catholique residant en
Angleterre qui, avant trois jours, n'avait pas embrasse le culte anglican,
etait passible de la peine de mort. Et l'on voudrait aujourd'hui nous
faire croire que, dans la lutte de Louis XIV et de Guillaume, le prince
protestant representait le principe de la tolerance religieuse!

En resume, qu'il s'agisse soit de la revocation de l'edit de Nantes, soit
de tout autre acte du grand regne, Mme de Maintenon n'a pas joue le role
odieux que la calomnie lui attribuait. Elle s'est, croyons-nous, maintenue
dans les limites de l'influence legitime qu'une femme devouee et
intelligente exerce d'ordinaire sur son mari. Si elle s'est souvent
trompee, elle s'est trompee de bonne foi. La vraie Mme de Maintenon n'est
pas la devote mechante et malfaisante, fourbe et vindicative, que certains
ecrivains imaginent; c'est une femme pieuse et sensee, animee de nobles
intentions, aimant sincerement la France, sympathisant, du fond du coeur,
avec les souffrances du peuple, detestant la guerre, ayant le respect du
droit et de la justice, austere dans ses gouts, moderee dans ses opinions,
irreprochable dans sa conduite.

Parlant de l'accord qui existait entre elle et le groupe des grands
seigneurs veritablement religieux, M. Michelet a dit:

"Regardons cette petite societe comme un couvent au milieu de la cour,
couvent conspirateur pour l'amelioration du roi. En general, c'est la cour
convertie. Ce qui est beau, tres beau dans ce parti, ce qui en fait
l'honorable lien, c'est l'edifiante reconciliation des mortels ennemis. La
fille de Fouquet, de cet homme que Colbert enferma vingt ans, la duchesse
de Bethune-Charost, par un effort chretien, devient l'amie, presque la
soeur des trois filles du persecuteur de son pere."

Tels sont les sentiments que Mme de Maintenon savait inspirer. Chaque
matin et chaque soir, elle disait, du plus profond de son ame, cette
priere composee par elle:

"Seigneur, donnez-moi de rejouir le roi, de le consoler, de l'encourager,
de l'attrister aussi quand il le faut pour votre gloire. Faites que je ne
lui dissimule rien de ce qu'il doit savoir par moi, et qu'aucun autre
n'aurait le courage de lui dire."

Non, une pareille piete n'avait rien d'hypocrite, et la compagne de Louis
XIV etait de bonne foi, quand elle disait a Mme de Glapion:

"Je voudrais mourir avant le roi, j'irais a Dieu, je me jetterais aux
pieds de son trone, je lui offrirais les voeux d'une ame qu'il aurait
rendue pure; je le prierais d'accorder au roi plus de lumieres, plus
d'amour pour son peuple, plus de connaissance sur l'etat des provinces,
plus d'aversion pour les perfidies des courtisans, plus d'horreur pour
l'abus qu'on fait de son autorite, et Dieu exaucerait mes prieres."




XII


LES LETTRES DE MME DE MAINTENON


Au debut, Louis XIV n'aimait pas la femme destinee a devenir l'affection
la plus serieuse et la plus durable de sa vie. "Le roi ne me goutait pas,
a-t-elle ecrit elle-meme, et il eut assez longtemps de l'eloignement pour
moi; il me craignait sur le pied de bel esprit."

Comment Louis XIV passa-t-il de la repulsion a la sympathie, de la
defiance a la confiance, de la prevention a l'admiration? En voyant de
pres des qualites morales qu'il n'avait pas distinguees de loin. Le meme
fait s'est produit chez la plupart des critiques et des historiens qui,
ayant a parler de Mme de Maintenon, ne se sont pas contentes de notions
superficielles et ont soumis a une veritable analyse sa vie et son
caractere. Quand M. Theophile Lavallee fit paraitre son _Histoire des
Francais_, il y peignit Mme de Maintenon d'une maniere tres severe. Il
l'accusait "de la secheresse de coeur la plus complete", d'un "esprit de
devotion etroite et d'intrigue mesquine". Il lui reprochait d'avoir
inspire a Louis XIV des entreprises funestes, de tres mauvais choix.

"Elle le rapetissa, disait-il, elle l'obseda de gens mediocres et
serviles; elle eut enfin la plus grande part aux fautes et aux desastres
de la fin du regne."

Quelques annees plus tard, M. Lavallee, mieux eclaire, disait dans sa
belle _Histoire de la maison royale de Saint-Cyr_: "Mme de Maintenon ne
donna a Louis XIV que des conseils salutaires, desinteresses, utiles a
l'Etat et au soulagement du peuple." Que s'etait-il donc passe entre la
publication des deux ouvrages? L'auteur avait etudie. Apres de patientes
recherches, il etait parvenu a recueillir les lettres et les ecrits de Mme
de Maintenon. Grace aux communications des ducs de Noailles, de Mouchy,
de Cambaceres, de MM. Feuillet de Conches, Montmerque, de Chevry, Honore
Bonhomme, il avait pu accroitre les tresors des archives de Saint-Cyr et
faire enfin une oeuvre d'un puissant interet.


Mme de Maintenon est un des personnages historiques qui ont le plus ecrit.
Ses Lettres, si elle n'en avait pas detruit un grand nombre, formeraient
toute une bibliotheque. Les archives seules de Saint-Cyr en contenaient
quarante volumes. Et pourtant les lettres les plus curieuses sans doute
n'ont pas ete conservees. Mme de Maintenon, toujours prudente, brula sa
correspondance avec Louis XIV, son epoux; avec Mme de Montchevreuil, sa
plus intime amie; avec l'eveque de Chartres, son directeur. Les lettres de
sa jeunesse sont tres rares. On ne devinait pas encore ce que l'avenir lui
reservait. Le recueil de M. Lavallee, forcement incomplet, n'en est pas
moins un monument historique d'une tres haute valeur. Deux volumes de
lettres et d'entretiens sur l'education des filles, deux autres de lettres
historiques et edifiantes adressees aux dames de Saint-Cyr, quatre volumes
de correspondance generale, un de conversations et proverbes, un autre
d'ecrits divers, enfin un dernier qui comprend les Souvenirs de Mme de
Caylus, les Memoires des dames de Saint-Cyr et ceux de Mlle d'Aumale, tel
est l'ensemble d'une publication qui a mis en pleine lumiere une figure
eminemment curieuse a etudier.

Le recueil de La Beaumelle, l'ennemi de Voltaire, contenait, a cote de
beaucoup de lettres authentiques, un grand nombre de lettres apocryphes.
Il y avait des changements, des interpolations, des additions, des
suppressions. Au moyen de pieces fabriquees, on avait insere des phrases a
effet, des reflexions piquantes, des maximes a la mode au XVIIIe siecle.
M. Lavallee a trouve moyen de separer le bon grain de l'ivraie. Passant le
recueil de La Beaumelle au crible d'une critique sagace, il est parvenu a
retablir le texte des lettres vraies et a prouver le caractere apocryphe
de celles qui etaient fausses. Comme les vrais connaisseurs en
autographes, il se defiait des lettres saisissantes. Les falsificateurs
sont presque toujours imprudents. Ils forcent la note, et, quand ils se
mettent a inventer un document, ils veulent que leur invention produise
une impression saisissante.

La correspondance des personnages celebres est en general beaucoup plus
simple, beaucoup moins appretee que les pretendus autographes qu'on leur
attribue. Il faut se tenir en garde contre les lettres ou se trouvent soit
des portraits acheves, soit des jugements profonds, soit des predictions
historiques. C'est la souvent un signe de falsification, et, plus on est
frappe par un autographe, plus il faut etudier avec soin sa provenance.

Les lettres de Mme de Maintenon meritaient la peine qu'on a prise pour en
etablir d'une maniere exacte les dates et l'authenticite. L'historien de
Mme de Sevigne, le baron Walckenaer, les place, sans hesiter, au premier
rang.

"Mme de Maintenon, dit-il, est pour le style epistolaire un modele plus
acheve que Mme de Sevigne. Presque toujours celle-ci n'ecrit que pour le
besoin de s'entretenir avec sa fille, avec les personnes qu'elle aime,
afin de tout dire, de tout raconter. Mme de Maintenon, au contraire, a
toujours en ecrivant un objet distinct et determine. La clarte, la
mesure, l'elegance, la justesse des pensees, la finesse des reflexions,
lui font agreablement atteindre le but ou elle vise. Sa marche est droite
et soutenue; elle suit sa route sans battre les buissons, sans s'ecarter
ni a droite, ni a gauche[1]."

[Note 1: Walckenaer, _Memoires sur Mme de Sevigne, sa vie et ses ecrits_.]

Tel etait egalement l'avis de Napoleon Ier. Il preferait de beaucoup les
lettres de Mme de Maintenon a celles de Mme de Sevigne, qui etaient, selon
lui, "des oeufs a la neige, dont on peut se rassasier sans se charger
l'estomac." En citant la preference de Napoleon, M. Desire Nisard fait ses
reserves. "Quand les lettres de Mme de Maintenon sont pleines, a dit
l'eminent critique, on est de l'avis du grand Empereur. Elles ont je ne
sais quoi de plus sense, de plus simple, de plus efficace. On n'y est pas
ebloui de la mobilite feminine, et le naturel en plait davantage, parce
qu'il vient plutot de la raison qui dedaigne les gentillesses sans se
priver des vraies graces, que de l'esprit qui joue avec des riens. Mais ou
le sujet manque, ces lettres sont courtes, seches, sans epanchements[2]."

[Note 2: M. Desire Nisard, _Histoire de la litterature francaise_.]

Si Mme de Maintenon avait eu des preoccupations litteraires, si elle
s'etait imagine qu'elle ecrivait pour la posterite, elle aurait redige des
lettres plus remarquables encore. Il n'y a dans sa correspondance ni
recherche, ni pretention. Elle ecrit pour edifier, pour convertir, pour
consoler beaucoup plus que pour plaire. Ses billets aux dames ou aux
demoiselles de Saint-Cyr ne depassent pas cette pieuse ambition. Tres
souvent Mme de Maintenon ne prend pas la plume elle-meme. Tout en filant
ou en tricotant, elle dicte aux jeunes filles qui lui servent de
secretaires: a Mlle de Loubert ou a Mlle de Saint-Etienne, a Mlle d'Osmond
ou a Mlle d'Aumale. Mais dans le moindre de ces innombrables billets on
retrouve, quoi qu'en dise M. Nisard, ces qualites de style, cette
sobriete, cette mesure, cette concision, cette parfaite harmonie entre le
mot et l'idee, qui font l'admiration des meilleurs juges.

Les deux femmes du XVIIe siecle dont les lettres sont le plus celebres:
Mme de Sevigne et Mme de Maintenon, avaient l'une pour l'autre beaucoup
d'estime et de sympathie. "Nous soupons tous les soirs avec Mme Scarron,
ecrivait Mme de Sevigne des 1672; elle a l'esprit aimable et
merveilleusement droit." On se figure facilement ce que devait etre la
conversation de ces deux femmes, si superieures, si instruites, si
spirituelles, et qui, avec des qualites differentes, se completaient, pour
ainsi dire, l'une par l'autre.

Mme de Sevigne, riche et forte nature, jeune et belle veuve, honnete, mais
a l'humeur libre et hardie, eblouissante Celimene, soeur de Moliere, comme
dit Sainte-Beuve, femme vive de caractere, de parole et de plume, justifie
ce que lui disait son amie Mme de La Fayette:

"Vous paraissez nee pour les plaisirs, et il semble qu'ils soient faits
pour vous. Votre presence augmente les divertissements, et les
divertissements augmentent votre beaute lorsqu'ils vous environnent. Enfin
La joie est l'etat veritable de votre ame, et le chagrin vous est plus
contraire qu'a qui que ce soit."

Son image, etincelante comme son esprit, nous apparait au milieu de ces
fetes, que sa plume fait revivre, comme la baguette d'une magicienne.

"Que vous dirais-je? magnificences, illuminations, toute la France, habits
rebattus et broches d'or, pierreries, brasiers de feu et de fleurs,
embarras de carrosses, cris dans la rue, flambeaux allumes, reculements et
gens roues; enfin le tourbillon, la dissipation, les demandes sans
reponses, les compliments sans savoir ce qu'on dit, les civilites sans
savoir a qui l'on parle; les pieds entortilles dans les queues."

Mme de Sevigne, dont les lettres passent de main en main dans les salons
et les chateaux, ecrit un peu pour la galerie. Elle dit d'elle-meme: "Mon
style est si neglige, qu'il faut avoir un esprit naturel et du monde pour
pouvoir s'en accommoder[1]."

[Note 1: Lettre du 23 decembre 1671.]

Mais cela ne l'empeche pas d'avoir conscience de sa valeur. Quand elle
laisse "trotter sa plume, la bride sur le cou"; quand elle donne avec
plaisir a sa fille "le dessus de tous les paniers, c'est-a-dire la fleur
de son esprit, de sa tete, de ses yeux, de sa plume, de son ecritoire", et
que "le reste va comme il peut", elle sait tres bien que la societe
raffole de ce style, ou toutes les graces et toutes les merveilles du
grand siecle se refletent comme dans un miroir. Ses lettres sont des
modeles de _chroniques_, pour nous servir de l'expression moderne. Au XIXe
siecle comme au XVIIe, ce sont deux femmes qui ont remporte la palme dans
ce genre de litterature ou il faut tant d'esprit. Mme Emile de Girardin a
ete la Sevigne de notre epoque.

Mme de Maintenon n'aurait pas pu ou n'aurait pas voulu aspirer a cette
gloire toute mondaine. Loin de viser a l'effet, elle attenue
volontairement celui qu'elle produit. Comme elle amortit l'eclat de ses
regards, elle modere son style et tempere son esprit. Elle sacrifie les
qualites brillantes aux qualites solides; trop d'imagination, trop de
verve l'effrayerait. Saint-Cyr ne doit pas ressembler aux hotels d'Albret
ou de Richelieu; on ne doit point parler a des religieuses comme a des
precieuses.

L'enjouement, la verve gauloise, la gaiete de bon aloi, sont du cote de
Mme de Sevigne; l'experience, la raison, la profondeur, sont du cote de
Mme de Maintenon. L'une rit a gorge deployee; l'autre sourit a peine.
L'une a des illusions sur toutes choses, des admirations qui vont jusqu'a
la naivete, des extases en presence des rayons de l'astre royal; l'autre
ne se laisse fasciner ni par le roi, ni par la cour, ni par les hommes, ni
par les femmes, ni par les choses. Elle a vu de trop pres et de trop haut
les grandeurs humaines pour ne pas en comprendre le neant, et ses
conclusions sont empreintes d'une tristesse profonde. Mme de Sevigne a
bien aussi parfois des atteintes de melancolie; mais le nuage passe vite,
et l'on se retrouve en plein soleil. La gaiete, gaiete franche,
communicative, rayonnante, fait le fond du caractere de cette femme
spirituelle, seduisante, amusante. Mme de Sevigne, brille par
l'imagination, Mme de Maintenon par le jugement. L'une se laisse eblouir,
enivrer; l'autre garde toujours son sang-froid. L'une s'exagere les
splendeurs de la cour; l'autre les voit telles qu'elles sont. L'une est
plus femme; l'autre est plus matrone.




XIII


LA VIEILLESSE DE MME DE MONTESPAN


C'est dans son orgueil qu'est presque toujours puni quiconque a peche par
orgueil. De toutes les favorites de Louis XIV, Mme de Montespan avait ete
la plus despotique et la plus hautaine; ce fut aussi la plus humiliee. Ne
pouvant s'habituer a sa decheance, elle resta pres de onze ans a la cour,
bien qu'elle fut devenue a charge au roi et a elle-meme. "On disait
qu'elle etait comme ces ames malheureuses qui reviennent dans les lieux
qu'elles ont habites expier leurs fautes[1]." Malgre la demi-conversion de
cette fiere Mortemart, il lui restait encore des vestiges de colere et
d'ironie. Allant un jour chez Mme de Maintenon, elle y rencontra le cure
de Versailles et les soeurs grises, qui venaient assister a une reunion de
charite:

[Note 1: _Souvenirs de Mme de Caylus_.]

"Savez-vous, madame, dit-elle en entrant, que votre antichambre est
merveilleusement paree pour votre oraison funebre?"

Le roi continuait a voir Mme de Montespan. Chaque jour, apres la messe, il
allait passer quelques instants pres d'elle, mais comme par acquit de
conscience et non par plaisir. Entre eux il n'y avait plus rien du passe,
ni abandon, ni confiance, ni amitie. Aussi, dans cette cour naguere encore
remplie de ses flatteurs, ne rencontrait-elle plus un seul visage vraiment
ami. Si courte que soit la vie, elle est encore assez longue pour laisser
s'accomplir, souvent des ce monde, la vengeance de Dieu.

Apres s'etre longtemps cramponnee aux epaves de sa fortune et de sa
beaute, comme un naufrage aux debris du navire, Mme de Montespan se decida
enfin a la retraite. Le 15 mars 1691, elle fit dire au roi par Bossuet que
son parti etait bien pris, et que, cette fois, elle abandonnait Versailles
pour toujours. Un mois apres, Dangeau ecrivait:

"Mme de Montespan a ete quelques jours a Clagny, et s'en est retournee a
Paris. Elle dit qu'elle n'a point absolument renonce a la cour, qu'elle
verra le roi quelquefois, et qu'a la verite on s'est un peu hate de faire
demeubler son appartement."

L'ancienne favorite avait ete prise au mot. Son logement au chateau de
Versailles etait desormais occupe par le duc du Maine; elle ne devait plus
y revenir. Elle vecut alternativement a l'abbaye de Fontevrault, dont sa
soeur etait abbesse; aux eaux de Bourbon, ou elle allait tous les etes; au
chateau d'Oiron, qu'elle avait achete, et au couvent de Saint-Joseph,
situe a Paris, sur l'emplacement actuel du ministere de la Guerre. C'est
dans ce couvent qu'elle recevait les personnages les plus considerables de
la cour. Il n'y avait dans son salon qu'un seul fauteuil, le sien.

"Toute la France y allait, dit Saint-Simon, elle parlait a chacun comme
une reine, et de visites, elle n'en faisait jamais, pas meme a Monsieur,
ni a Madame, ni a la Grande Mademoiselle, ni a l'hotel de Conde."

Au chateau d'Oiron, il y avait une chambre superbement meublee ou le roi
ne vint jamais, et qu'on appelait cependant la chambre du roi.

Peu a peu les pensees serieuses succederent aux idees de vanite ou de
rancune. Le monde fut vaincu par le ciel. La penitente en arriva non
seulement aux remords, mais aux macerations, aux jeunes, aux cilices.
Cette femme, jadis si raffinee, si elegante, s'astreignit a ne porter que
des chemises de la toile la plus dure, a mettre une ceinture et des
jarretieres herissees de pointes de fer. Elle en vint a donner tout ce
qu'elle avait aux pauvres et travaillait pour eux plusieurs heures par
jour a des ouvrages grossiers.

A cote de son chateau, elle fonda un hospice dont elle etait plutot la
servante que la superieure; elle soignait les malades et pansait leurs
plaies. Comme le dit M. Pierre Clement dans la belle etude qu'il lui a
consacree, le scandale avait ete grand; mais, de la part d'une si
orgueilleuse nature, le repentir et l'humilite doublaient en quelque sorte
de valeur. Elle se resigna, sur l'ordre de son confesseur, a l'acte qui
lui coutait le plus: elle demanda pardon a son mari dans une lettre ou, se
servant des termes les plus humbles, elle lui offrait de retourner avec
lui, s'il daignait la recevoir, ou de se rendre dans telle residence qu'il
voudrait bien lui assigner. M. de Montespan ne repondit pas.

Saint-Simon pretend que Mme de Montespan, dans les dernieres annees de sa
vie, etait tellement tourmentee des affres de la mort, qu'elle payait
plusieurs femmes dont l'emploi unique etait de la veiller.

"Elle couchait, dit-il, tous ses rideaux ouverts, avec beaucoup de bougies
dans sa chambre, ses veilleuses autour d'elle, qu'a toutes les fois
qu'elle se reveillait elle voulait trouver causant, jouant ou mangeant,
pour se rassurer contre leur assoupissement."

J'ai peine a croire a l'exactitude d'une pareille assertion. Mme de
Montespan etait trop fiere pour montrer une telle pusillanimite. De l'aveu
meme de Saint-Simon, elle mourut avec courage et dignite.

Au mois de mai 1707, lorsqu'elle partit pour les eaux de Bourbon, elle
n'etait pas encore malade, et cependant elle avait le pressentiment d'une
fin prochaine. Dans cette prevision, elle paya deux ans d'avance toutes
les pensions qu'elle faisait et doubla ses aumones habituelles. A peine
arrivee a Bourbon, elle se coucha pour ne plus se relever. Quand elle fut
en face de la mort, elle la regarda sans la braver et sans la craindre.

"Mon Pere, dit-elle au capucin qui l'assistait a l'heure supreme,
exhortez-moi en ignorante, le plus simplement que vous pourrez."

Apres avoir appele autour d'elle tous ses domestiques, elle demanda pardon
des scandales qu'elle avait causes, et remercia Dieu de ce qu'il
permettait qu'elle mourut dans un lieu ou elle se trouvait eloignee de
tous, meme de ses enfants.

Quand elle eut rendu l'ame, son corps fut "l'apprentissage du chirurgien
d'un intendant de je ne sais ou, qui se trouva a Bourbon et qui voulut
l'ouvrir sans savoir comment s'y prendre[1]". La mort d'une femme qui,
pendant plus de trente ans, de 1660 a 1691, avait joue un si grand role a
la cour, n'y causa aucune impression. Depuis longtemps, Louis XIV la
considerait comme morte. Dangeau se contenta d'ecrire dans son journal:
"Samedi, 28 mai 1707, a Marly: Avant que le roi partit pour la chasse, on
apprit que Mme de Montespan etait morte a Bourbon, hier, a 3 heures du
matin. Le roi, apres avoir couru le cerf, s'est promene dans les jardins
jusqu'a la nuit."

[Note 1: Saint-Simon, _Notes sur le Journal de Dangeau_.]

Un ordre formel interdit au duc du Maine, au comte de Toulouse, aux
duchesses de Bourbon et de Chartres de porter le deuil de leur mere;
d'Antin se couvrit de vetements noirs; mais il etait trop bon courtisan
pour etre triste, quand le roi ne l'etait point. Peu de jours apres, il
recevait magnifiquement son souverain a Petit-Bourg et faisait disparaitre
en une nuit une allee de marronniers qui n'etait pas du gout du maitre.
Quant a Mme de Montespan, l'on ne prononcait meme plus son nom. Voila le
monde. C'est bien la peine de l'aimer.




XIV


LA DUCHESSE DE BOURGOGNE


Toute la cour s'agitait, parce qu'une petite fille de onze ans venait
d'arriver en France. Cette enfant, c'etait la fille du duc de Savoie,
Victor-Amedee II, Marie-Adelaide, la future duchesse de Bourgogne. Le
dimanche 4 novembre 1696, la ville de Montargis etait en fete. Les cloches
sonnaient a grande volee. Louis XIV, parti le matin de Fontainebleau,
venait a la rencontre de la jeune princesse destinee a epouser son
petit-fils, et tous les yeux etaient fixes sur cette premiere entrevue
entre elle et le Roi-Soleil. Il la recut au moment ou elle descendait de
voiture, et dit a Dangeau, le chevalier d'honneur de la princesse:

"Pour aujourd'hui, voulez-vous que je fasse votre charge?"

Des le premier moment, la nouvelle venue charma le roi par la distinction
de ses manieres, sa gentillesse naturelle, ses petites reponses pleines de
grace et d'esprit. Louis XIV l'embrassa dans le carrosse; elle lui baisa
la main plusieurs fois en montant avec lui l'escalier de l'appartement ou
elle devait se reposer. Comme le roi rentrait dans sa chambre, Dangeau
prit la liberte de lui demander s'il etait content de la princesse:

"Je le suis trop, j'ai peine a contenir ma joie."

Puis, se tournant du cote de Monsieur:

"Je voudrais bien, ajouta-t-il, que sa pauvre mere put etre ici quelques
instants pour etre temoin de la joie que nous avons."

Il ecrivit ensuite a Mme de Maintenon:

"Elle m'a laisse parler le premier, et apres elle m'a fort bien repondu,
mais avec un petit embarras qui vous aurait plu. Je l'ai menee dans sa
chambre a travers la foule, la laissant voir de temps en temps, en
approchant les flambeaux de son visage. Elle a soutenu cette marche et ces
lumieres avec grace et modestie. Elle a la meilleure grace et la plus
belle taille que j'aie jamais vue, habillee a peindre et coiffee de meme,
des yeux tres vifs et tres beaux, des paupieres noires et admirables, le
teint fort uni, blanc et rouge comme on peut le desirer, les plus beaux
cheveux blonds que l'on puisse voir, et en grande quantite.... Elle n'a
manque a rien, et s'est conduite comme vous pourriez faire."

Marie-Adelaide etait, par sa mere, la petite-fille de cette belle
Henriette d'Angleterre dont l'oraison funebre de Bossuet a immortalise la
vie et la mort. Elle allait faire revivre le charme de cette princesse
tant regrettee, et sa presence a Versailles y ramenait l'entrain et la
joie des beaux jours. On l'installa, des son arrivee, dans la chambre
autrefois occupee par la reine, puis par la dauphine de Baviere[1].

[Note: Salle no 115 de la _Notice du Musee de Versailles_.]

Le roi lui fit present de la belle menagerie de Versailles qui faisait
face au palais de Trianon. Aucun grand-pere n'etait plus tendre, plus
affectueux pour sa petite-fille. Il s'ingeniait a lui trouver des
amusements et des recreations. Madame (la princesse Palatine) ecrivait, le
8 novembre 1696: "Tout le monde maintenant redevient enfant. La princesse
d'Harcourt et Mme de Pontchartrain ont joue avant-hier a colin-maillard
avec la princesse et monsieur le dauphin; Monsieur, la princesse de Conti,
Mme de Ventadour, mes deux autres dames et moi, nous y avons joue hier."

Mme de Maintenon fut naturellement chargee d'achever l'education de la
jeune princesse. La premiere fois qu'elle la mena a Saint-Cyr, elle la fit
recevoir avec un grand ceremonial: la superieure la complimenta; la
communaute, en longs manteaux, l'attendait a la porte de cloture; toutes
les demoiselles etaient rangees en haie sur son passage jusqu'a l'eglise;
des petites filles de son age lui reciterent un dialogue assaisonne de
louanges delicates. La princesse ravie demanda a revenir. Alors Mme de
Maintenon la conduisit regulierement a Saint-Cyr, deux ou trois fois la
semaine, pour y passer des journees entieres et y suivre les cours de la
classe des _rouges_. Il n'y avait plus d'etiquette. Marie-Adelaide portait
le meme habit que les eleves et se faisait appeler Mlle de Lastic.

"Elle etait bonne, affable, gracieuse a tout le monde, s'occupant avec les
dames des differents offices, avec les demoiselles de tous leurs ouvrages,
de tous leurs travaux; s'assujettissant avec candeur aux pratiques de la
maison, meme au silence; courant et se recreant avec les _rouges_ dans les
grandes allees du jardin; allant avec elles au choeur, a confesse, au
catechisme.... D'autres fois, elle prenait le costume des dames, et
faisait les honneurs de la maison a quelque illustre visiteuse,
principalement a la reine d'Angleterre[1]."

[Note 1: _Memoires des Dames de Saint-Cyr._]

Louis XIV, charme de la princesse, decida qu'elle se marierait le jour
meme ou elle aurait douze ans. Elle epousa, le 7 decembre 1697, Louis de
France, duc de Bourgogne, qui avait quinze ans et demi. Le fiance etait en
manteau noir brode d'or, pourpoint blanc a boutons de diamant; le manteau
etait double de satin rose. La fiancee avait une robe et une jupe de
dessous en drap d'argent avec bordure de pierres precieuses. Les diamants
qu'elle portait etaient ceux de la couronne. La benediction nuptiale fut
donnee aux jeunes epoux par le cardinal de Coislin, dans la chapelle de
Versailles. Apres la messe, il y eut un grand festin de la maison royale
dans la piece designee sous le nom d'antichambre de l'appartement de la
reine[1].

[Note 1: Salle no 119 de la _Notice du Musee_.]

Le soir, la cour assista, dans le salon de la Paix[2], a un feu d'artifice
tire au bout de la piece d'eau des Suisses, puis a un souper servi, comme
le festin du jour, dans l'antichambre de l'appartement de la reine.

[Note 2: Salle no 114 de la _Notice_.]

Le 11 decembre, il y eut un grand bal dans la galerie des Glaces. Des
pyramides de bougies rayonnaient plus encore que les lustres et les
girandoles. Louis XIV avait dit qu'il serait bien aise que la cour
deployat un grand luxe, et lui-meme, qui depuis longtemps ne portait plus
que des habits fort simples, en avait endosse de superbes. Ce fut a qui se
surpasserait en richesse et en invention. L'or et l'argent suffirent a
peine. Le roi, qui avait encourage toutes ces depenses, n'en dit pas moins
qu'il ne comprenait pas comment on trouvait des maris assez fous pour se
laisser ruiner par les habits de leurs femmes.

Deux jours apres son mariage, la duchesse voulut se montrer en habit de
ceremonie a ses amies de Saint-Cyr. Elle etait tout en blanc, et sa robe
avait une broderie d'argent si epaisse, qu'a peine pouvait-elle la porter.
La communaute recut la princesse en grande pompe, et la conduisit a
l'eglise, ou l'on chanta des hymnes.

En peu de temps, l'aimable princesse devint une femme seduisante entre
toutes et indispensable a la cour. Sans elle les fleurs seraient moins
belles, les prairies moins riantes, les eaux moins claires. Grace a son
charme seducteur, tout se ranime, dans ce palais qui ressemblait a un
fastueux couvent, tout s'eclaire des rayons d'un soleil printanier. Elle
aime sincerement Louis XIV. On n'approche pas sans emotion de cet homme
exceptionnel, pour qui l'on devrait inventer le mot prestige, si ce mot
n'existait pas, et qui est aussi affectueux, aussi bon, aussi affable
qu'il est majestueux et imposant. L'admiration que professe pour lui la
jeune princesse est sincere. Reconnaissante et flattee des bontes qu'il
lui temoigne, elle le venere comme le representant le plus glorieux du
droit divin, et tout en le venerant elle l'amuse. Elle lui saute au cou a
toute heure, se met sur ses genoux, le distrait par toutes sortes de
badinages, visite ses papiers, ouvre et lit ses lettres en sa presence.
C'est une succession continuelle de parties de plaisir et de fetes. Suivie
par un cortege de jeunes femmes, la princesse aime a monter en gondole sur
le grand canal du parc de Versailles, et a y rester plusieurs heures de la
nuit, parfois jusqu'au lever du soleil. Chasses, collations, comedies,
serenades, illuminations, promenades sur l'eau, feux d'artifice, on
organise chaque jour une nouvelle distraction.

Le roi le veut, il faut que la duchesse de Bourgogne se plaise dans cette
cour dont elle est l'ornement, l'esperance. Il faut qu'elle deride le
monarque lasse de plaisirs et de gloire. Il faut qu'elle soit le bon
genie, l'enchanteresse de Versailles. Il faut que, dans les glaces de la
grande galerie, se refletent ses toilettes splendides, ses parures
eblouissantes. Il faut qu'elle apparaisse dans les jardins comme une
Armide, dans les forets comme une nymphe, sur l'eau comme une sirene.

Dans la salle des gardes de la reine[1], on voit actuellement un portrait
en pied de la princesse. Elle est debout, habillee d'une robe de drap
d'argent, et tient dans la main gauche un bouquet de fleurs d'oranger. Une
femme vetue a la polonaise porte la queue de son manteau fleurdelise.
Devant elle, un amour tient un coussin sur lequel sont posees des fleurs.
On apercoit dans le fond du tableau un jardin et un piedestal, sur lequel
on lit la signature du peintre: Santerre 1709. Ce que l'artiste a si bien
fait avec le pinceau, Saint-Simon l'a fait mieux encore avec la plume. Le
sarcastique duc et pair devient un admirateur enthousiaste, un poete,
quand il decrit les charmes de la princesse: "ses yeux les plus parlants
et les plus beaux du monde, son port de tete galant, gracieux et
majestueux, son sourire expressif, sa marche de deesse sur les nues." Il
n'admire pas moins ses qualites morales, tout en lui trouvant des defauts.
Il se plait a reconnaitre qu'elle est douce, accessible, ouverte avec une
sage mesure, compatissante, peinee de causer le moindre ennui, pleine
d'egards pour toutes les personnes qui l'approchent, que, gracieuse pour
son entourage, bonne pour ses domestiques, vivant avec ses dames comme une
amie, elle est l'ame de la cour dont elle est adoree. "Tout manque a
chacun dans son absence, tout est rempli par sa presence, son extreme
faveur la fait infiniment compter, et ses manieres lui attachent tous les
coeurs."

[Note 1: Salle N deg. 118 de la _Notice du Musee._]

Et cependant, la calomnie ne la respecte point. On lui reproche tout bas
certaines inconsequences, que la malice exploite en les exagerant.
Entouree d'une cour de femmes spirituelles, mais souvent legeres et
malveillantes, la duchesse de Bourgogne dut etre plus d'une fois atteinte
par les insinuations perfides qu'on se permet contre les princesses aussi
bien que contre les simples particulieres. La duchesse ne se faisait pas
d'illusion a cet egard et s'en montrait affligee.

D'autres sujets de tristesse projetaient des ombres sur une existence en
apparence si joyeuse et si belle. Victor-Amedee s'etait brouille avec la
France, et la maison de Savoie courait les plus grands dangers. La
duchesse de Bourgogne etait obligee de refouler dans le fond de son coeur
ses sentiments pour son ancienne patrie; mais, plus elle devait les
cacher, plus ils etaient vivaces. Quelle douleur de savoir errants sur la
route de Piemont sa mere, sa grand'mere infirme, ses freres malades et le
duc, son pere, menace d'une ruine complete! Le 21 juin 1706, elle ecrivait
a sa grand'mere, la veuve de Charles-Emmanuel[1]:

[Note 1: Voir l'interessante correspondance de la duchesse de Bourgogne et
de sa soeur la reine d'Espagne, femme de Philippe V, publiee, avec une
tres bonne preface de Mme la comtesse Della Rocca, chez Michel Levy
(1 vol.)]

"Jugez dans quelle inquietude je suis sur tout ce qui vous arrive, vous
aimant fort tendrement, et ayant toute l'amitie possible pour mon pere, ma
mere et mes freres. Je ne puis les voir dans une situation aussi
malheureuse sans avoir les larmes aux yeux... Je suis dans une tristesse
qu'aucun amusement ne peut diminuer, et qui ne s'en ira, ma chere
grand'mere, qu'avec vos malheurs... Mandez-moi des nouvelles de tout ce
qui m'est le plus cher au monde.[1]"

[Note: 1 Marie-Jeanne-Baptiste, dite Madame Royale, fille de
Charles-Amedee de Savoie-Nemours et d'Elisabeth de Vendome, epousa en 1665
le duc de Savoie, Charles-Emmanuel II, pere de Victor-Amedee II.]

La duchesse de Bourgogne souffrait en meme temps des desastres de ses deux
patries, la Savoie et la France.

"Faites-nous des saintes pour nous obtenir la paix," disait Mme de
Maintenon aux religieuses de Saint-Cyr.

La duchesse, comme le remarque La Beaumelle, montrait, dans les
circonstances perilleuses ou se trouvait le pays, "la dignite de la
premiere femme de l'Etat, les sentiments d'une Romaine pour Rome et les
agitations d'une ame qui veut le bien avec une ardeur qui n'est pas de son
age." L'heure des grandes tristesses etait venue. Comme l'a tres bien dit
M. Capefigue: "Le temps difficile, pour un roi puissant et heureux, c'est
la vieillesse. Si la tete reste ferme, le bras faiblit, les guirlandes
fletrissent, les lauriers meme prennent une teinte de grisaille. On vous
respecte encore, mais on ne vous aime plus; les chapeaux coquets a plumes
Flottantes font ressortir les rides de la figure et les plis du front; le
jonc a pomme d'or n'est plus une facon de sceptre, mais un baton qui
soutient les jambes faibles et un corps voute." Pour la duchesse de
Bourgogne, Louis XIV vieilli conservait son prestige. Elle l'aimait
sincerement.

"Le public, dit Mme de Caylus, a de la peine a concevoir que les princes
agissent simplement et naturellement, parce qu'il ne les voit pas d'assez
pres pour en bien juger, et parce que le merveilleux qu'il cherche
toujours ne se trouve pas dans une conduite simple et dans des sentiments
regles. On a donc voulu croire que la duchesse ressemblait a son pere, et
qu'elle etait, des l'age de onze ans qu'elle vint en France, aussi fine et
aussi politique que lui, affectant pour le roi et Mme de Maintenon une
tendresse qu'elle n'avait point. Pour moi qui ai eu l'honneur de la voir
de pres, j'en juge autrement, et je l'ai vue pleurer de bonne foi sur le
grand age de ces deux personnes qu'elle croyait devoir mourir avant elle,
que je ne puis douter de sa tendresse pour le roi."

Louis XIV, qui connaissait le coeur humain, s'apercevait, avec sa
perspicacite habituelle, que la duchesse de Bourgogne avait pour lui une
affection sincere. C'est a cause de cela que, de son cote, il lui
temoignait un attachement exceptionnel. Semblable a une rose qui
s'epanouit dans un cimetiere, la jeune et seduisante princesse charmait et
consolait les tristes annees du Grand Roi. C'etait le dernier sourire de
la fortune, le dernier rayon du soleil. Mais, helas! la belle rose devait
se fletrir du matin au soir, et, encore quelque temps, tout allait rentrer
dans la nuit.

Depuis 1711, date de la mort de Monseigneur, le duc de Bourgogne etait
dauphin, et Saint-Simon rapporte que la duchesse disait, en parlant des
dames qui s'avisaient de la critiquer:

"Elles auront a compter avec moi, et je serai leur reine."

"Helas! ajoute-t-il, elle le croyait, la charmante princesse, et qui ne
l'eut cru avec elle?"

Et cependant, au dire de la princesse Palatine, elle etait persuadee de sa
fin prochaine. Madame s'exprime ainsi a ce sujet:

"Un savant astrologue de Turin ayant tire l'horoscope de Mme la dauphine,
lui avait predit tout ce qui lui arriverait, et qu'elle mourrait dans sa
vingt-septieme annee. Elle en parlait souvent. Un jour, elle dit a son
epoux:

"Voici le temps qui approche ou je dois mourir. Vous ne pouvez pas rester
sans femme a cause de votre rang et de votre devotion. Dites-moi, je vous
prie, qui epouserez-vous?"

Il repondit:

"J'espere que Dieu ne me punira jamais assez pour vous voir mourir; et si
ce malheur devait m'arriver, je ne me remarierais jamais; car dans huit
jours, je vous suivrais au tombeau..."

"Pendant que la dauphine etait encore en bonne sante, fraiche et gaie,
elle disait souvent: "Il faut bien que je me rejouisse, puisque je ne me
rejouirai pas longtemps, car je mourrai cette annee."

"Je croyais que c'etait une plaisanterie; mais la chose n'a ete que trop
reelle. En tombant malade, elle dit qu'elle n'en rechapperait point."

Plus la dauphine approchait du temps fatal, plus elle s'ameliorait. On
aurait dit qu'elle voulait augmenter les regrets que causerait sa mort
prematuree. La princesse Palatine l'avoue elle-meme: "Ayant, dit-elle,
assez d'esprit pour remarquer ses defauts, la dauphine ne pouvait que
chercher a s'en corriger; c'est ce qu'elle fit en effet, au point
d'exciter l'etonnement general. Elle a continue ainsi jusqu'a la fin."

Mme la vicomtesse de Noailles [1] l'a dit de la maniere la plus touchante:
"L'histoire nous offre de temps a autre des personnages seduisants qui
attachent le lecteur jusqu'a l'affection... Souvent, la Providence les
retire du monde des leur jeunesse, ornes des charmes que le temps enleve
et des esperances qu'elles auraient realisees. La duchesse de Bourgogne
fut une de ces gracieuses apparitions."

[Note 1: _Lettres inedites de la duchesse de Bourgogne_ precedees d'une
courte notice sur sa vie, par Mme la vicomtesse de Noailles. (Un volume de
cinquante pages, imprime a un petit nombre d'exemplaires.)]

Atteinte d'un mal foudroyant, qui etait, parait-il, la rougeole, mais
qu'on attribua au poison, la duchesse fut enlevee en quelques jours au roi
dont elle etait la consolation, a son epoux dont elle etait l'idole, a la
cour dont elle etait l'ornement, a la France dont elle etait l'espoir.
Elle mourut dans les sentiments les plus religieux.

Ce fut a Versailles [1], le vendredi 12 fevrier 1712, entre 8 et 9 heures
du soir, qu'elle rendit le dernier soupir. Deux ans auparavant, presque
jour pour jour, elle avait mis au monde le prince qui devait s'appeler
Louis XV [2]. La douleur de son mari fut telle, qu'il ne put survivre a
une femme tant aimee. Six jours apres, il la suivait au tombeau.

[Note: 1: Salle no 115 de la _Notice du Musee._]
[Note: 2: Louis XV naquit le 15 fevrier 1710.]

"La France, s'ecrie Saint-Simon, tomba enfin sous ce dernier chatiment.
Dieu lui montra un prince qu'elle ne meritait pas. La terre n'en etait pas
digne; il etait mur deja pour la bienheureuse eternite."

Le jour meme de la mort du duc de Bourgogne, Madame ecrivait: "Je suis
tellement ebranlee que je peux pas me remettre, je ne sais presque pas ce
que je dis. Vous qui avez bon coeur, vous aurez certainement pitie de
nous, car la tristesse qui regne ici ne se peut decrire."

Saint-Simon pretend que la douleur causee a Louis XIV par la mort de la
duchesse de Bourgogne fut "la seule veritable qu'il ait jamais eue en sa
vie". Cela n'est pas exact. Le grand roi avait regrette profondement sa
mere, et Madame (la princesse Palatine) s'exprime ainsi au sujet du
chagrin dont il fut accable lors de la mort de son fils unique, le grand
dauphin: "J'ai vu le roi hier a 11 heures; il est en proie a une telle
affliction, qu'elle attendrirait un rocher; cependant il ne se depite pas,
il parle a tout le monde avec une tristesse resignee et donne ses ordres
avec une grande fermete; mais, a tout moment, les larmes lui viennent aux
yeux, et il etouffe ses sanglots[1]."

[Note 1: Lettre du 16 avril 1711.]

Le 22 fevrier 1712, les corps de la duchesse et du duc de Bourgogne furent
portes de Versailles a Saint-Denis sur un meme chariot. Le 8 mars suivant,
le dauphin, leur fils aine, mourait aussi. Il avait cinq ans et quelques
mois. Ainsi donc, en vingt-quatre jours le pere, la mere et le fils aine
disparurent. Trois dauphins etaient morts en moins d'un an.

Ces evenements, deja horribles par eux-memes, s'assombrissaient encore par
la fausse idee generalement repandue que le poison etait la cause de fins
si prematurees. Contre toute justice, on accusait de la maniere la plus
perfide le duc d'Orleans d'etre l'auteur des crimes, et l'on essayait de
faire entrer dans l'ame de Louis XIV cet abominable soupcon. Avec la
duchesse de Bourgogne "s'eclipserent joie, plaisirs, amusements memes et
toutes especes de graces... Si la cour subsista apres elle, ce ne fut plus
que pour Languir [1]."

[Note 1: _Memoires du duc de Saint-Simon._]

Et cependant, sous le poids de tant d'epreuves, la grande ame de Louis XIV
ne faiblit pas. "Au milieu des debris lugubres de son auguste maison,
Louis demeure ferme dans la foi. Dieu souffle sur sa nombreuse posterite,
et en un instant elle etait effacee comme les caracteres traces sur le
sable. De tous les princes qui l'environnaient, et qui formaient comme la
gloire et les rayons de sa couronne, il ne reste qu'une faible etincelle,
sur le point meme alors de s'eteindre... Il adore celui qui dispose des
sceptres et des couronnes, et voit peut-etre dans ces pertes domestiques
la misericorde qui expie, et qui acheve d'effacer du livre des justices du
Seigneur ses anciennes passions etrangeres[1]."

[Note 1: Massillon, _Oraison funebre de Louis le Grand._]

La France tout entiere fut plongee dans le desespoir. "Ce temps de
desolation, dit Voltaire, laissa dans les coeurs une impression si
profonde que, pendant la minorite de Louis XV, j'ai vu plusieurs personnes
qui ne parlaient de ces pertes qu'en versant des larmes[2]."

[Note 2: Voltaire, _Siecle de Louis XIV._]

M. Michelet, qu'on ne peut pas accuser d'une admiration exageree pour le
grand siecle, se laissa lui-meme attendrir quand il relata la mort de la
_charmante_ duchesse de Bourgogne. "La cour, dit-il, fut a la lettre comme
assommee d'un coup. Cent cinquante ans apres, on pleure encore en lisant
les pages navrantes ou Saint-Simon a dit son deuil[3]."

[Note 3: Michelet, _Louis XIV et le duc de Bourgogne._]

Duclos a pretendu, sans indiquer la source de ses renseignements, qu'a la
mort de la duchesse de Bourgogne, Mme de Maintenon et le roi trouverent
dans une cassette ayant appartenu a la princesse des papiers qui
arracherent au roi cette exclamation:

"La petite coquine nous trahissait."

D'une telle parole, si invraisemblable dans la bouche de Louis XIV, Duclos
tire consequence d'une correspondance par laquelle la fille de
Victor-Amedee lui aurait livre des secrets d'Etat. C'est la, croyons-nous,
un de ces innombrables anas avec lesquels on ecrit trop souvent
l'histoire. Les archives de Turin n'ont conserve nulle trace de cette
pretendue correspondance, qui n'est ni vraie, ni vraisemblable.
Assurement, la duchesse de Bourgogne n'oubliait pas son pays natal; mais,
depuis ses adieux a la Savoie, elle n'avait plus eu qu'une seule patrie:
la France.

Sans doute, l'Italie peut compter parmi les plus belles perles de son
ecrin ces deux soeurs intelligentes et seduisantes qui toutes deux
moururent si prematurement et laisserent un si touchant souvenir: la
duchesse de Bourgogne et sa soeur la reine d'Espagne, la vaillante
compagne de Philippe V. Mais c'est en France que s'est accomplie presque
toute la destinee de la duchesse de Bourgogne, et c'est dans le chateau de
Versailles que doit figurer son portrait.

Combien de fois en 1871, quand le ministere des Affaires etrangeres etait,
pour ainsi dire, campe au milieu des appartements de la reine, nous
evoquions le souvenir de la charmante princesse, dans cette chambre ou
elle coucha, des son arrivee a Versailles, et ou, seize ans et demi plus
tard, elle rendait le dernier soupir! C'est la qu'a onze ans, enlevee pour
toujours a sa famille, a ses amis, a sa patrie, elle se trouvait seule au
milieu des splendeurs de ce palais inconnu pour elle. C'est la que
l'enfant grandissait, devenait jeune fille, puis jeune femme, et croissait
tous les jours en attraits et en graces. C'est la que, dans le silence de
la nuit, elle croyait voir apparaitre les brillants fantomes du monde, les
images de seduction contre lesquelles sa raison luttait peut-etre contre
son coeur. C'est la qu'elle se rememorait, pour resister aux tentations
d'une ame ardente, les austeres enseignements de Mme de Maintenon, qui lui
avait ecrit: "Ayez horreur du peche. Le vice est plein d'horreur et de
malediction des ce monde. Il n'y a de joie, de repos, de veritables
delices qu'a servir Dieu." C'est la qu'elle vit venir la mort et qu'elle
l'accueillit avec un noble et religieux courage.




XV


LES TOMBEAUX


C'est un spectacle melancolique entre tous de revoir dans l'appareil de la
tristesse et de la mort des endroits qui furent des theatres de splendeurs
ou de fetes. En entendant les prieres des agonisants succeder au bruit des
fanfares, aux accords joyeux des orchestres, on fait un douloureux retour
sur les choses d'ici-bas, et l'on comprend l'inanite de la gloire, de la
richesse et du plaisir. Cette impression, les courtisans de Louis XIV
durent l'eprouver quand "ce monarque de bonheur, de majeste, d'apotheose",
comme dit Saint-Simon, allait rendre le dernier soupir. L'incomparable
galerie des Glaces n'etait plus qu'un vestibule funebre. Les peintures
triomphales de Lebrun s'etaient comme assombries, les dorures semblaient
couvertes d'un voile de crepe; on aurait dit que les jets d'eau versaient
des larmes; le soleil du Grand Roi s'obscurcissait, l'Olympe moderne etait
ebranle devant un ideal plus eleve: l'idee chretienne. Et ce roi, "la
terreur de ses voisins, l'etonnement de l'univers, le pere des rois, plus
grand que tous ses ancetres, plus magnifique que Salomon[1]," semblait
dire avec l'Ecclesiaste: "J'ai surpasse en gloire et en sagesse tous ceux
qui m'ont precede dans Jerusalem, et j'ai reconnu qu'en cela meme il n'y
avait que vanite et affliction d'esprit."

[Note 1: Massillon, _Oraison funebre de Louis le Grand_.]

Pendant la derniere maladie de celui qui avait ete le Roi-Soleil, la cour
se tenait tout le jour dans la galerie des Glaces. Personne ne s'arretait
dans l'Oeil-de-Boeuf, excepte les valets familiers et les medecins. Quant
a Mme de Maintenon, malgre ses quatre-vingts ans et ses infirmites, elle
soignait avec un grand devouement l'auguste malade et demeurait
quelquefois quatorze heures de suite pres de son lit.

"Le roi m'a dit trois fois adieu, raconta-t-elle plus tard aux dames de
Saint-Cyr: la premiere en me disant qu'il n'avait de regret que celui de
me quitter, mais que nous nous reverrions bientot; je le priai de ne plus
penser qu'a Dieu. La seconde, il me demanda pardon de n'avoir pas assez
bien vecu avec moi; il ajouta qu'il ne m'avait pas rendue heureuse, mais
qu'il m'avait toujours aimee et estimee egalement. Il pleurait et me
demandait s'il n'y avait personne; je lui dis que non. Il dit:

"--Quand on entendrait que je m'attendris avec vous, personne n'en serait
surpris."

"Je m'en allai pour ne point lui faire de mal. A la troisieme, il me dit:

"--Qu'allez-vous devenir, car vous n'avez rien?"

"Je lui repondis:

"--Je suis un rien, ne vous occupez que de Dieu."

"Et je le quittai."

Jusqu'au dernier soupir, Louis XIV merite le nom de Grand. Il meurt mieux
qu'il n'a vecu. Tout ce qu'il y a d'eleve, de majestueux, de grandiose
dans cette ame d'elite, se reveille au moment supreme. Sa mort est celle
d'un roi, d'un heros et d'un saint. Comme les premiers chretiens, il fait
une sorte de confession publique; il dit, le 29 aout 1715, aux personnes
qui avaient les entrees:

"Messieurs, je vous demande pardon du mauvais exemple que je vous ai
donne. J'ai bien a vous remercier de la maniere dont vous m'avez servi et
de l'attachement et de la fidelite que vous m'avez toujours marques.... Je
sens que je m'attendris et que je vous attendris aussi; je vous en demande
pardon. Adieu, messieurs, je compte que vous vous souviendrez quelquefois
de moi."

Le meme jour, il donne sa benediction au petit dauphin et lui adresse ces
belles paroles:

"Mon cher enfant, vous allez etre le plus grand roi du monde. N'oubliez
jamais les obligations que vous avez a Dieu. Ne m'imitez pas dans les
guerres, tachez de maintenir toujours la paix avec vos voisins, de
soulager votre peuple autant que vous pourrez, ce que j'ai eu le malheur
de ne pouvoir faire par les necessites de l'Etat. Suivez toujours les bons
conseils, et songez bien que c'est a Dieu a qui vous devez tout ce que
vous etes. Je vous donne le Pere Le Tellier pour confesseur; suivez ses
avis et ressouvenez-vous toujours des obligations que vous devez a Mme de
Ventadour [1]."

[Note 1: M. Le Roi, dans son ouvrage intitule _Curiosites historiques_, a
prouve que tels etaient les termes exacts dont Louis XIV s'etait servi
dans son allocution a Louis XV.]

Dans la nuit du 27 au 28 aout, on voit a tous moments le moribond joindre
les mains; il dit ses prieres habituelles et, au _Confiteor_, il se frappe
la poitrine. Le 28 au matin, il apercoit dans le miroir de sa cheminee
deux domestiques qui versent des larmes.

"Pourquoi pleurez-vous? leur dit-il. Est-ce que vous m'avez cru immortel?"

On lui presente un elixir pour le rappeler a la vie. Il repond, en prenant
le verre:

"A la vie ou a la mort! Tout ce qu'il plaira a Dieu."

Son confesseur lui demande s'il souffre beaucoup. "Eh! non, replique-t-il,
c'est ce qui me fache, je voudrais souffrir davantage pour l'expiation de
mes peches."

Le 29 aout, il lui echappe, en donnant des ordres, d'appeler le dauphin
"le jeune roi". Et comme il se rend compte d'un mouvement dans ce qui est
autour de lui.

"Eh! pourquoi?... s'ecrie-t-il. Cela ne me fait aucune peine."

C'est ce qui fait dire a Massillon: "Ce monarque environne de tant de
gloire, et qui voyait autour de lui tant d'objets capables de reveiller ou
ses desirs ou sa tendresse, ne jette pas meme un oeil de regret sur la
vie.... Qu'on est grand, quand on l'est par la foi!... La vanite n'a
jamais eu que le masque de la grandeur, c'est la grace qui en est la
verite."

Dans la journee du 29 aout, le mourant perd connaissance, et l'on croit
qu'il n'a plus que quelques heures a vivre.

"Vous ne lui etes plus necessaire, dit son confesseur a Mme de Maintenon.
Vous pouvez vous en aller."

Le marechal de Villeroy l'exhorte a ne pas attendre plus longtemps et a se
retirer a Saint-Cyr, ou elle doit se reposer de tant d'emotions. Il envoie
des gardes du roi pour se poster de distance en distance sur la route, et
lui prete son carrosse.

"On peut craindre, lui dit-il, quelque emotion populaire, et le chemin ne
sera peut-etre pas sur." Mme de Maintenon, affaiblie, troublee par l'age
et la douleur, a le tort d'ecouter de si pusillanimes conseils. La
posterite lui reprochera toujours une defaillance indigne de cette femme
de tete et de coeur. Mme de Maintenon devait fermer les yeux au Grand Roi
et prier a cote de son cadavre. Il faut blamer surtout les courtisans qui
lui dictent la resolution de l'egoisme et de la peur. Ah! comme ils sont
abandonnes, "les dieux de chair et de sang, les dieux de terre et de
poussiere," quand ils vont descendre dans la tombe! Quelques valets sont
seuls a les pleurer. La foule est indifferente ou se rejouit. Les
courtisans se tournent du cote du soleil qui se leve. Helas! Quel
contraste entre le trone et le cercueil! La mort d'un homme est toujours
un sujet de reflexions philosophiques. Qu'est-ce donc quand celui qui
meurt s'appelle Louis XIV!

Le 30 aout, le mourant reprend connaissance et redemande Mme de Maintenon.
L'on va la chercher a Saint-Cyr. Elle revient. Le roi la reconnait, lui
dit encore quelques paroles, puis s'assoupit. Le soir, elle descend
l'escalier de marbre, qu'elle ne doit plus remonter, et va s'enfermer a
Saint-Cyr pour toujours.

Le samedi 31 aout, vers 11 heures du soir, on dit a Louis XIV les prieres
des agonisants. Il les recite lui-meme d'une voix plus forte que celle de
tous les assistants, et il parait aussi majestueux sur son lit de mort que
sur le trone. A la fin des prieres, il reconnait le cardinal de Rohan et
lui dit:

"Ce sont les dernieres graces de l'Eglise."

Il repete plusieurs fois: _Nunc et in hora mortis_.

Puis il dit:

"O mon Dieu, venez a mon aide, hatez-vous de me secourir."

Ce sont la ses dernieres paroles. L'agonie commence. Elle dure toute la
nuit, et le lendemain dimanche 1er septembre 1715, a 8 heures un quart du
matin, Louis XIV, age de soixante-dix-sept ans moins trois jours, et roi
depuis soixante-douze ans, rend a Dieu sa grande ame.

On ne termine pas l'etude d'un regne memorable sans un sentiment de
regret. Apres avoir vecu pendant quelque temps de la vie d'un personnage
celebre, on souffre de sa mort et l'on s'attendrit sur sa tombe. Ne
croit-on pas, en lisant Saint-Simon, assister a l'agonie de Louis XIV, et
ne sent-on pas les larmes venir aux yeux, comme si l'on etait mele aux
serviteurs fideles qui pleurent le meilleur des maitres et le plus grand
des rois?

Aussitot que la nouvelle de la mort de Louis XIV fut connue a Saint-Cyr,
Mlle d'Aumale entra dans la chambre de Mme de Maintenon:

"Madame, lui dit-elle, toute la maison est en priere, au choeur."

Mme de Maintenon comprit; elle leva les mains au ciel en pleurant, et se
rendit a l'eglise, ou elle assista a l'office des morts. Puis elle
congedia ses domestiques et se defit de sa voiture, "ne pouvant se
resoudre, disait-elle, a nourrir des chevaux pendant qu'un si grand nombre
de demoiselles etaient dans le besoin." Elle vecut dans son modeste
appartement, au sein d'une paix profonde. Elle se soumettait aux
reglements de la maison, autant que le permettait son age, et ne sortait
que pour aller dans le village, visiter les malades et les pauvres. Quand
Pierre le Grand se rendit a Saint-Cyr, le 10 juin 1717, l'illustre
octogenaire souffrait. Le tsar s'assit au chevet du lit de cette femme
dont il avait tant de fois entendu prononcer le nom. Il lui fit demander
par un interprete si elle etait malade. Elle repondit que oui. Il voulut
savoir quel etait son mal:

"Une grande vieillesse," repliqua-t-elle.

Mme de Maintenon mourut a Saint-Cyr, le 15 avril 1719. Elle demeura deux
jours exposee sur son lit, "avec un air si doux et si devot qu'on eut dit
qu'elle priait Dieu[1]."

[Note 1: _Memoires des Dames de Saint-Cyr_.]

On l'ensevelit dans le choeur de l'eglise; une humble plaque de marbre
indiqua l'emplacement ou son corps reposait. C'est la que les novices
allaient prier avant de se vouer pour toujours au Seigneur.

Au moment de quitter ces femmes celebres, dont nous avons essaye d'evoquer
les ombres gracieuses, descendons dans les cryptes ou elles sont
ensevelies. Mlle de La Valliere repose a Paris, dans la chapelle des
Carmelites de la rue Saint-Jacques; la reine Marie-Therese, les deux
duchesses d'Orleans, la dauphine de Baviere, la duchesse de Bourgogne, a
Saint-Denis. C'est la qu'il faut aller mediter, la qu'il faut ecouter la
grande parole chretienne: _Memento, homo, quia pulvis es et in pulverem
reverteris_.

Bossuet dit, en parlant des Pharaons, qu'ils ne jouirent pas de leur
sepulcre. Telle devait etre la destinee de Louis XIV. Ce potentat, qui
avait donne des lois a l'Europe, ne posseda pas meme son tombeau. Les
profanateurs de cercueils descendirent dans le souterrain des "princes
aneantis", et malgre son arriere-garde de huit siecles de rois, comme dit
Chateaubriand, la grande ombre de Louis XIV ne put pas defendre la majeste
de sepulcres que tout le monde aurait crus inviolables.

Dans la seance du 31 juillet 1793, Barere lut a la Convention, au nom du
Comite de salut public, un long rapport dans lequel il demandait que, pour
feter l'anniversaire de la journee du 10 aout, l'on detruisit les
mausolees de Saint-Denis.

"Sous la monarchie, disait-il, les tombeaux memes avaient appris a flatter
les rois; l'orgueil et le faste royal ne pouvaient s'adoucir sur ce
theatre de la mort, et les porte-sceptre qui ont fait tant de maux a la
France et a l'humanite semblent encore, meme dans la tombe, s'enorgueillir
d'une grandeur evanouie. La main puissante de la Republique doit effacer
impitoyablement ces mausolees, qui rappelleraient des rois l'effrayant
souvenir."

La Convention rendit par acclamation un decret conforme a ce rapport.
Considerant que "la patrie etait en danger et manquait de canons pour la
defendre", elle decida que "les tombeaux et mausolees des ci-devant rois
seraient detruits le 10 aout suivant." Elle nomma des commissaires charges
de se transporter a Saint-Denis, a l'effet d'y proceder "a l'exhumation
des ci-devant rois et reines, princes et princesses", et ordonna de briser
les cercueils, de fondre et d'envoyer le plomb aux fonderies nationales.

Ce decret odieux fut strictement execute. Rois, reines, princes et
princesses furent arraches a leurs sepulcres. On portait le plomb, a
mesure qu'on le decouvrait, dans un cimetiere ou l'on avait etabli une
fonderie, et l'on jetait les cadavres dans la fosse commune.

Le vandalisme des revolutionnaires et des athees se delectait de ce
spectacle. Assurement, "Dieu, dans l'effusion de sa colere, comme ecrit
Chateaubriand, avait jure par lui-meme de chatier la France. Ne cherchons
pas sur la terre les causes de pareils evenements: elles sont plus haut."

Bientot apres ce fut le tour du cadavre de Mme de Maintenon. En janvier
1794, pendant qu'on travaillait a transformer l'eglise de Saint-Cyr en
salles d'hopital, les ouvriers apercurent au milieu du choeur devaste une
plaque de marbre noir enfouie dans les decombres. C'etait la tombe de Mme
de Maintenon. Ils la briserent, ouvrirent le caveau, en enleverent le
corps, le trainerent dans la cour, en poussant des hurlements sinistres,
et le jeterent, depouille et mutile, dans un trou du cimetiere. Ce
jour-la, l'epouse non reconnue de Louis XIV avait ete traitee en reine!

Ainsi donc, ces illustres heroines de Versailles, la bonne Marie-Therese,
l'habile Maintenon, la melancolique dauphine de Baviere, l'orgueilleuse
princesse Palatine, la seduisante duchesse de Bourgogne, furent
expropriees de leurs tombeaux. Au recit d'une telle rage iconoclaste et
sacrilege, le coeur se serre dans l'angoisse d'une inexprimable tristesse.
A un sentiment de sainte colere contre d'odieuses profanations et contre
de sauvages fureurs se melent des reflexions profondes sur le neant des
choses humaines. Les ombres de ces femmes jadis si adulees nous
apparaissent tour a tour, et, en passant devant nous, chacune d'elles
semble nous dire, comme Fenelon: "Que ne fait-on point pour trouver un
faux bonheur? Quels rebuts, quelles traverses n'endure-t-on point pour un
fantome de gloire mondaine? Quelles peines pour de miserables plaisirs
dont il ne reste que le remords!" Du fond de la poussiere des tombeaux
profanes, l'oeil ebloui apercoit tout a coup surgir une pure, une
incorruptible lumiere qui remet toutes les choses d'ici-bas dans le jour
veritable, et l'on se rappelle la parole de Massillon devant le cercueil
de Louis XIV: "Dieu seul est grand, mes freres."


FIN




TABLE


INTRODUCTION

I.--Le chateau de Versailles

II.--Louis XIV et sa cour en 1682

III.--La reine Marie-Therese

IV.--Mme de Montespan et Mme de Maintenon

V.--La dauphine de Baviere

VI.--Le mariage de Mme de Maintenon

VII.--L'appartement de Mme de Maintenon

VIII.--La marquise de Caylus

IX.--Mme de Maintenon a Saint-Cyr

X.--La duchesse d'Orleans (princesse Palatine)

XI.--Mme de Maintenon, femme politique

XII.--Les lettres de Mme de Maintenon

XIII.--La vieillesse de Mme de Montespan

XIV.--Le duchesse de Bourgogne

XV.--Les tombeaux






End of Project Gutenberg's La Cour de Louis XIV, by Imbert de Saint-Amand

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electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
compressed (zipped), HTML and others.

Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
the old filename and etext number.  The replaced older file is renamed.
VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
new filenames and etext numbers.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
are filed in directories based on their release date.  If you want to
download any of these eBooks directly, rather than using the regular
search system you may utilize the following addresses and just
download by the etext year.

     https://www.gutenberg.org/etext06

    (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
     98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)

EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
filed in a different way.  The year of a release date is no longer part
of the directory path.  The path is based on the etext number (which is
identical to the filename).  The path to the file is made up of single
digits corresponding to all but the last digit in the filename.  For
example an eBook of filename 10234 would be found at:

     https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234

or filename 24689 would be found at:
     https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689

An alternative method of locating eBooks:
     https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL