Journal de route de Henri Duveyrier

By Henri Duveyrier

The Project Gutenberg eBook of Journal de route de Henri Duveyrier
    
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and
most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
of the Project Gutenberg License included with this ebook or online
at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States,
you will have to check the laws of the country where you are located
before using this eBook.

Title: Journal de route de Henri Duveyrier

Author: Henri Duveyrier

Editor: Charles Maunoir
        Henri Schirmer

Release date: August 5, 2025 [eBook #76633]

Language: French

Original publication: Paris: A. Challamel, 1905

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France/Gallica)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DE ROUTE DE HENRI DUVEYRIER ***

                            JOURNAL DE ROUTE

                               * * * * *
           TYPOGRAPHIE FIRMIN-DIDOT ET Cie. — MESNIL (EURE).


                      SAHARA ALGÉRIEN ET TUNISIEN

                               * * * * *

                            JOURNAL DE ROUTE
                                   DE
                           =Henri DUVEYRIER=

                            PUBLIÉ ET ANNOTÉ
                                  PAR
                      =Ch. MAUNOIR et H. SCHIRMER=

                               * * * * *

                PRÉCÉDÉ D’UNE BIOGRAPHIE DE H. DUVEYRIER
                           =Par Ch. MAUNOIR=

[Décoration]

                                 PARIS
                      AUGUSTIN CHALLAMEL, ÉDITEUR
                             RUE JACOB, 17
                    LIBRAIRIE MARITIME ET COLONIALE
                               * * * * *
                                  1905




                              AVANT-PROPOS

                               * * * * *


Les journaux de route de Duveyrier, c’est-à-dire les volumes de notes
d’où a été tiré le livre des _Touareg du Nord_, étaient restés inédits.
Duveyrier lui-même, ses écrits l’attestent, avait eu l’intention de les
publier quelque jour[1]. L’irrémédiable atteinte portée à sa santé par
les fièvres fezzaniennes ne lui en a sans doute pas laissé la force.

M. Charles Maunoir, dont la haute science avait, pendant trente ans,
armé pour le succès tant de missions géographiques françaises, voulut
faire revivre la profonde érudition, la noble conscience de celui dont
il avait été l’ami le plus cher. Il publia, en 1902, le _Journal d’un
voyage dans la province d’Alger_, que Duveyrier écrivit à dix-sept ans.
On y trouve ces choses charmantes : un mérite naissant qui s’ignore et
la première impression de la terre d’Afrique sur l’esprit d’un grand
voyageur. M. Maunoir avait l’intention de compléter cette publication
par celle d’un des principaux journaux de route : celui du 13 janvier-15
septembre 1860, dont le cadre s’écarte le plus de la région envisagée
dans _Les Touareg du Nord_. En tête de ce volume devait paraître la
biographie de son ami, que lui seul pouvait écrire, avec le souvenir de
tant d’années qui les avaient étroitement unis. La mort a interrompu M.
Maunoir avant qu’il eût terminé ces lignes, les dernières qu’ait
rédigées ce grand travailleur.

Mme Maunoir a eu la pieuse pensée de réaliser le dernier vœu de son
mari. Elle a mené à bien cette publication, où l’on voit encore une fois
les deux collaborateurs réunis dans ce culte de la science qui fut leur
vie.

Le texte édité ici a été vu d’abord par M. et Mme Maunoir ; c’est leur
goût très sûr qui a décidé du choix délicat des coupures à faire :
passages et chiffres déjà reproduits dans _Les Touareg du Nord_ ou le
_Corpus Inscriptionum_, détails personnels, sans intérêt pour la
géographie. Mme Maunoir m’a fait le grand honneur de me confier le
manuscrit ainsi défini. Je me suis attaché à le respecter aussi
scrupuleusement que possible, en ne corrigeant que des expressions
évidemment défectueuses, lapsus inévitables d’une rédaction faite au
courant de la plume. Lorsque, par exception, il m’est arrivé de
supprimer une phrase entière, inintelligible, écrite pendant un accès de
fièvre, une note en avertit le lecteur. Pour la transcription française
des noms arabes, à l’exception de ceux consacrés par l’usage, j’ai
adopté partout où cela a été possible celle à laquelle Duveyrier lui-
même s’est arrêté dans _Les Touareg du Nord_. Dans les autres cas j’ai
conservé la leçon manuscrite. Quant à l’orthographe et à la traduction
des citations en caractères arabes, Mme Maunoir a obtenu le précieux
concours de M. le professeur Houdas, qu’aucun service à rendre aux
études africaines ne laisse indifférent[2].

L’extrême dispersion des renseignements est inévitable dans un ouvrage
comme celui-ci. J’ai tâché d’en rendre la consultation plus facile par
un index des noms géographiques et des principales matières. Les
indications botaniques m’ont semblé mériter une attention particulière :
elles seront une nouvelle addition au tableau de la répartition
géographique des plantes sahariennes, dressé en 1881 par le professeur
Ascherson[3]. On en trouvera la liste dans un index spécial, avec la
synonymie botanique, d’après les catalogues existants et les rapports de
mission ultérieurs.

Les notes que j’ai ajoutées au bas des pages ne représentent qu’un
minimum indispensable de commentaire. Elles indiquent seulement les
principaux documents anciens ou modernes qui m’ont semblé confirmer ou
modifier, en quelque chose d’essentiel, les faits et théories énoncés
par l’auteur. Une note additionnelle renvoie à quelques publications
capitales, survenues au cours de l’impression. On n’en verra pas moins
combien ces références présentent d’imperfections et de lacunes. Le
lecteur compétent m’excusera peut-être, s’il songe que pour le mettre
complètement au courant de toutes les questions touchées ici, il eût
fallu ajouter un second volume et changer le caractère de l’ouvrage.

Ce caractère de journal quotidien, on devait le lui conserver au
contraire, car c’est cette variété concise, ce langage plein de saveur
qui en font le mérite et le charme. Duveyrier s’y révèle plus vivant que
dans le cadre sévère des _Touareg du Nord_, plus personnel aussi que
dans cette encyclopédie qu’il a écrite sous le contrôle d’un autre, et
où l’on risque de trouver parfois l’écho d’une pensée qui n’est pas la
sienne. Si riche que soit devenue la géographie de l’Afrique du Nord, la
critique remerciera Mme Maunoir d’avoir poursuivi la publication d’un
livre qui apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes ; il
fait honneur à la mémoire du savant qui l’a fait connaître comme au
grand voyageur qui l’a écrit.

                                                         Henri SCHIRMER.


[Note 1 : _Les Touareg du Nord_. Paris, 1864, in-8, Introduction, p.
XII.]

[Note 2 : Toutes les notes et corrections de M. Houdas sont marquées des
initiales (O. H.).]

[Note 3 : En appendice dans Rohlfe, _Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p.
386-560.]




                               BIOGRAPHIE

                               * * * * *


Les Duveyrier ou Du Veyrier, issus d’une famille noble du Languedoc qui
s’appela naguère Arnoux-Veyrier, se sont fixés à Aix en Provence depuis
plusieurs générations.

A près de deux siècles en arrière, apparaissent un Duveyrier, procureur
au Parlement de Provence, et son frère, chanoine à la collégiale de
Pignans.

Le procureur eut trois fils dont l’aîné devint secrétaire de l’Académie
d’Aix ; le second succéda à son oncle comme chanoine de Pignans. Le
troisième, Gaspard Duveyrier, fut d’épée. Le chevalier de Vertillac, ami
de la famille, l’incorpora, sous le titre de _cadet de Vertillac_, dans
le régiment d’Eu-infanterie. Blessé à la bataille de Parme (1732), où il
se conduisit vaillamment ; blessé, plus tard, d’une chute de cheval
tandis qu’il galopait devant les carrosses du roi, il était nommé
officier à l’Hôtel des Invalides à l’âge de 23 ans.

Par la suite, on obtenait pour lui une lieutenance dans une compagnie
détachée sur les côtes de Provence.

Gaspard Duveyrier fut le père de Joseph-Martial Duveyrier qui, chargé
comme lieutenant de la maréchaussée d’Aix de conduire Mirabeau au fort
de Joux, accorda à son prisonnier huit jours de liberté sur parole, et
n’eut pas à le regretter. Son frère, Honoré Duveyrier, avocat de mainte
cause célèbre, choisi pour défenseur du duc d’Orléans à la suite des
journées des 5 et 6 octobre, incarcéré par ordre de Robespierre et sauvé
par Hérault de Séchelles, à la veille des massacres de la Terreur,
devenait, dans le Tribunat, le collaborateur de Portalis, Siméon et
Pascalis pour la préparation du Code civil.

La Restauration qui le trouva premier président de la cour impériale de
Montpellier, ne le maintint pas dans ses fonctions, tout en lui donnant
le titre de premier président honoraire.

Honoré Duveyrier laissa deux fils, dont l’un, Honoré, magistrat congédié
aussi par la Restauration, s’achemina dans les voies de la littérature
dramatique. Il y marcha longtemps, sous le nom de Mélesville, en
compagnie d’Eugène Scribe. Le fils cadet de l’ancien tribun fut Charles
Duveyrier. Esprit curieux, remueur d’idées, Charles Duveyrier fut
chaudement saint-simonien et en souffrit, mais il conserva toujours les
aspirations humanitaires qui l’avaient conduit vers le saint-simonisme.
Par la suite, et tout en composant, lui aussi, comme son frère, des
pièces de théâtre dont plusieurs sont restées au répertoire, il s’occupa
de questions économiques, politiques et financières. Il y fit preuve de
qualités d’initiative qui, toutefois, ne le conduisirent pas à la
fortune. Doué d’une activité sans relâche et d’un savoir étendu, Sainte-
Beuve a pu écrire de lui : « Je le comparais à un flambeau qui marchait
toujours »[4].

Charles Duveyrier consacra la dernière période de sa vie à diriger les
travaux d’une vaste Encyclopédie conçue sur un plan particulier, et à
laquelle les grands financiers Péreire voulaient attacher leur nom.

Nous arrivons enfin à Henri Duveyrier, l’éminent voyageur au pays des
Touareg, qui fut le fils de Charles Duveyrier. Pour ceux que de plus
longs détails sur la famille Duveyrier intéresseraient, ils les
trouveraient dans un ouvrage devenu rarissime : _Anecdotes historiques,
par le baron_ D. V., tiré à 100 exemplaires. Paris, 1837, in-8.
Imprimerie de E. Duverger.

Les indications ci-dessus suffisent à établir que la famille Duveyrier a
compté au moins une demi-douzaine d’hommes de mérite en deux cents ans,
moyenne tout à fait honorable.


Henri Duveyrier est né à Paris, 48, rue de la Chaussée-d’Antin, le 28
février 1840.

La première école qu’il fréquenta fut celle de l’abbé Poiloup, à
Vaugirard. Il la quitta pour le collège fondé à Auteuil par l’abbé
Lévêque. Puis, son père, désireux de le préparer à une carrière
commerciale, l’envoya poursuivre ses études, de la fin de septembre 1854
à la fin de l’année 1855, dans un pensionnat ecclésiastique établi à
Lautrach, près Memmingen, en Bavière.

Pendant cette période, Henri Duveyrier tint un journal quotidien, pages
naïves où, naturellement, apparaissent certains traits qui se
retrouveront dans le caractère de l’homme, où s’accuse déjà une
orientation marquée vers certaines études qui, en définitive,
détermineront l’avenir de l’écolier.

Le microcosme où il entrait parmi des représentants de diverses
nationalités a pu se trouver un peu déconcerté en présence du démenti
donné par ce Parisien appliqué, studieux, réfléchi, à l’opinion
accréditée sur la légèreté et la futilité des Français. Le Journal de
Henri Duveyrier, à Lautrach, a de la gravité ; l’enjouement, privilège
ordinaire de la jeunesse, s’y fait peu sentir. Il laisse entrevoir aussi
un esprit rebelle aux idées spéculatives et aux fantaisies de
l’imagination. C’est ainsi que, habituellement respectueux du devoir et
de ceux qui le prescrivaient, il se mit néanmoins en conflit avec un
professeur à propos du sujet choisi pour une narration en allemand :
« Pensées d’un jeune homme par un beau soir d’été ». Un autre sujet de
composition : « La louange des passions », lui inspire cette phrase :
« Je vais faire de mon mieux, mais ce sujet ne me plaît pas. Je n’aime
écrire ni pour les vertus ni pour les passions ». Par un verdict qui
semble empreint d’ironie, son discours fut choisi, « comme le meilleur
pour être déclamé à la fête de Monsieur le Directeur » ; mais le lauréat
ne se sentit pas le courage de le « déclamer » lui-même.

Élève laborieux, très bien noté, Henri Duveyrier ne se bornait cependant
pas aux travaux prescrits par les programmes du pensionnat ; il était
sollicité d’un autre côté.

Nous voyons, notées avec prédilection, les causeries dans lesquelles
quelque camarade lui a cité des légendes régionales ; il a même commencé
un recueil de légendes allemandes. Également empressé à recueillir des
renseignements philologiques, il copie des chants en langue tudesque et
en langue franque ; puis il se procure le _Pater_ en goth, en allemand
et en anglo-saxon. Enfin, il entreprend un petit vocabulaire gothique et
tudesque, afin de se préparer à lire les _Eddas_ ou la Bible d’Ulfilas.

L’élève Duveyrier consigne très fréquemment, dans ses notes, des
indications relatives à l’histoire naturelle. Il signale l’époque
d’éclosion et le nom des premières fleurs du printemps ; il enregistre
la rencontre de papillons ou d’autres insectes, nouveaux pour lui. Des
plantes recueillies pendant les promenades, il compose son herbier qu’il
accompagne d’indications variées ; quelques feuillets consacrés à la
faune et à la flore portent ce titre : _Commentarii in faunam floramque
pagi Lautrach locorumque circumjunctorum, Lautrach, MDCCCLV_. La
météorologie a sa part dans un Journal tenu de décembre 1854 à août
1855, et dans un calendrier météorologique précédé de remarques.

Ces études-là signalent nettement la direction dans laquelle Henri
Duveyrier s’acheminait. Un passage des notes constate aussi que M. le
Préfet de l’École lui a confisqué ses livres de latin et d’astronomie,
afin qu’il s’occupe exclusivement de l’allemand.

Il n’avait pas encore atteint alors l’âge de seize ans et, déjà, d’après
des indications autobiographiques rédigées dans l’âge mûr, il avait
conçu le projet d’explorer quelque partie inconnue du continent
africain.

De même que les réflexions et les jugements font presque absolument
défaut dans ces cahiers d’un enfant de quinze ans, les menus faits de la
vie quotidienne du pensionnat n’y sont enregistrés que fort
laconiquement et sans artifice. Toutefois, on y sent comme le souffle
d’une nature sincère, juste et bonne, ferme, d’ailleurs, à maintenir son
droit.

Charles Duveyrier persistant à diriger son fils dans une voie qui, sans
trop de préjudice pour la culture intellectuelle, le conduirait à
l’indépendance plus rapidement que la filière universitaire, le fait
alors entrer à l’École commerciale de Leipzig. Là, Henri Duveyrier voit
s’élargir le champ de ses travaux, de ses idées et sent, en même temps,
se préciser ses aspirations.

Il ne paraît pas avoir tenu un journal de son séjour à l’École de
Leipzig, d’où il sortit avec d’excellentes notes, après y être resté de
la fin de 1855 au commencement de 1857. C’est pendant cette période que,
tout en suivant les cours de l’École, il prend des leçons d’arabe d’un
orientaliste éminent, le docteur Fleischer, avec lequel il entretint de
longues relations.

Plein de déférence pour les intentions de son père, il ébaucha, rentré
en France, des études de langue chinoise, afin de se mettre en mesure
d’aborder un terrain commercial relativement neuf. Mais il ne tarda pas
à comprendre que, dominé par la suggestion des voyages ayant pour but la
science, il ne cheminerait qu’à contre-cœur dans un autre sens[5]. Il
s’en ouvrit donc résolument à son père, qui finit par céder. Charles
Duveyrier étant d’esprit entreprenant, enclin aux initiatives, cette
capitulation, dictée surtout par l’affection, ne dut lui causer ni trop
d’efforts, ni trop de regrets. Ancien disciple de Saint-Simon, il ne
répudia pas la devise saint-simonienne : « A chacun suivant sa
capacité ». — Or c’était, à coup sûr, une présomption de capacité de la
part de son fils que d’avoir, de propos raisonné, choisi la route à
prendre. Quant au reste de la doctrine, n’était-ce pas devenir aussi
producteur, servir l’intérêt général, que d’aller, au prix d’un
dangereux labeur, demander à des terres inconnues la révélation de
nouveaux groupes humains, l’élargissement du champ d’activité de notre
civilisation ?[6]

Quoi qu’il en soit, H. Duveyrier échappa à la carrière commerciale. Sans
aucun doute, il eût été un commerçant éclairé, laborieux et probe ; mais
ces qualités ne sont pas, dit-on, rigoureusement nécessaires et
suffisantes pour mener à la fortune, commun point de concours des
commerçants. Elles doivent être renforcées d’ambitions d’un ordre
spécial qui ne sont pas données à tous, et dont H. Duveyrier n’était pas
doué. Peu désireux de briller, sans grand souci du bien-être matériel,
il n’était pas séduit par le luxe. Les efforts tendus à d’autres fins
que la recherche de la vérité sur les choses de la nature et l’étude de
sciences libérales lui semblaient un peu oiseux.

Charles Duveyrier avait si largement adopté les projets formés par son
fils qu’il le mit de suite à même de commencer à en préparer la
réalisation.

Tous les ouvrages nécessaires furent achetés, et le candidat explorateur
entreprit, dès ce moment, quelques études spéciales.

Au début de 1857, dans l’intention d’éprouver ses forces et ses
aptitudes, il accomplissait un voyage en Algérie.

Débarqué à Alger le 26 février, il débute par une excursion à
Kandouri[7], à une trentaine de kilomètres dans l’ouest d’Alger, non
loin du lac Halloula. Kandouri était la résidence du Docteur Warnier,
homme de grande valeur, qui devait, par la suite, exercer une influence
considérable sur la vie et les travaux de Henri Duveyrier.

Le 8 mars, il partait pour une course plus longue : Djelfa et Laghouât,
d’où il revint, dans le milieu d’avril, par Bou Zid et Caïd Djelloul.

Cette course, exécutée avec Oscar Mac-Carthy dont les connaissances
variées furent précieuses à son compagnon de route, a été relevée dans
un journal récemment imprimé[8] à l’intention de ceux qui avaient connu
et aimé Henri Duveyrier. Ils ont assisté, ainsi, à ses premiers pas déjà
très fermes, dans une carrière où il a conquis une juste célébrité.

Sa relation est empreinte d’une sincérité, d’une naïveté qui sont
presque des mérites littéraires. Entre autres faits, elle mentionne la
joie qu’inspira au futur voyageur la rencontre, à Laghouât, d’un Targui
envoyé par Ikhenoukhen, et avec lequel il eut d’excellents rapports.

De là, peut-être, une prédisposition qui détermina le voyage de Henri
Duveyrier chez les Touareg.

Voici en quels termes le jeune voyageur rapporte sa dernière entrevue
avec le Targui fortuitement rencontré... « Mohammed-Ahmed promit que,
lorsqu’il serait de retour dans son pays, il m’enverrait un livre en
targui, et comme je voulais lui faire un cadeau capable de cimenter
notre amitié, je crus n’avoir rien de mieux à faire que de lui donner
mes pistolets et ma poire à poudre, ce que je fis immédiatement. Ce
cadeau de ma part le rendit tout confus, et il dit à M. le
Commandant[9] : « Ce jeune homme est si bon pour moi ; il m’a donné du
tabac, du sucre, des foulards ; il me donne maintenant des pistolets. Je
ne sais comment le lui rendre ; je vais faire chercher mon méhari et le
lui donner. » Nous eûmes beaucoup de peine à lui faire comprendre que je
ne voulais pas le priver de son chameau qui allait lui devenir
nécessaire pour retourner à R’hât, et que, du reste, je serais fort
embarrassé pour l’emmener dans mon pays ; que je le remerciais beaucoup
de son offre et que j’en étais aussi content que si le méhari était
devenu ma propriété. Il demanda alors à M. le Commandant s’il n’y avait
pas moyen de m’emmener avec lui dans son pays. On lui répondit, pour
l’éprouver, qu’il n’aurait pas assez soin de moi ; mais le Targui prit
cela au sérieux, et se mit à expliquer avec chaleur que, chez lui,
c’était un devoir de prendre soin de son ami et que, sous sa protection,
il ne m’arriverait aucun mal. Je lui dis alors qu’un jour peut-être,
j’irais le voir. « In ch’Allah ! s’il plaît à Dieu, répondit-il, et il
se retira satisfait.... »

A la suite de son voyage d’essai, H. Duveyrier publia, dans le recueil
de la Société orientale de Berlin, une notice sur quatre tribus
berbères[10] : les Beni-Menasser, les Zaouaoua, les Mzabites, les
Touareg Azdjer. Il y résumait ce qu’il avait pu apprendre sur ces tribus
« pendant son rapide et court voyage dans nos possessions algériennes ».
Cette publication de début consiste surtout en un vocabulaire comparé
des idiomes des quatre tribus. On y sent un auteur bien documenté et
soigneux de l’exactitude.

L’année même où il faisait, en quelque sorte, ses premières armes, fut
marquée par un incident qui exerça sur la suite de ses travaux une
influence marquée.

Pendant un voyage à Londres, où habitait une branche de sa famille, il
eut la bonne fortune d’être mis en relation avec Henri Barth, alors
occupé à écrire la relation de ses voyages.

Dans une belle notice nécrologique consacrée au voyageur allemand, H.
Duveyrier raconte l’accueil qu’il reçut de lui[11]... « M. le professeur
Fleischer, de Leipzig, orientaliste éminent près duquel j’avais appris
la langue arabe, et qui connaissait mes projets de voyages en Afrique,
m’avait adressé et recommandé au Dr Barth, alors à Londres. Je le vis
pour la première fois en 1857.

« Il essaya d’abord de me dissuader d’entreprendre si jeune ces durs
labeurs ; mais n’ayant pu ébranler ma ferme résolution, il me prodigua,
avec une bienveillante sollicitude, les instructions et les conseils. A
peine mon arrivée dans le pays des Beni-Mzab lui était-elle connue,
qu’il s’empressa de m’écrire. Par ses lettres, pleines d’affectueux
conseils et de précieuses indications, il veillait de loin au succès de
mon entreprise, m’ouvrant des points de vue nouveaux, me signalant les
faits capitaux qui devaient appeler mon attention. Bientôt il m’envoyait
une lettre circulaire, écrite en arabe, et adressée à tous ses amis du
Sahara et du Soudan, pour me protéger en cas de besoin. En même temps,
il me transmettait une lettre spéciale pour le cheikh El-Bakkây ; je
parvins heureusement à la remettre à son neveu, dont les bons offices
m’ont été très utiles. J’étais Français, cependant, mais l’esprit étroit
de rivalité ne pouvait avoir accès près de ce grand cœur... »

Plusieurs lettres à Henri Duveyrier ou à son sujet, attestent, en effet,
les sentiments d’estime et de sympathie de Henri Barth pour un émule
dont il avait pressenti le mérite et avec lequel d’ailleurs, il resta,
jusqu’à la fin de sa vie, en relations très affectueuses.

Quand mourut le Dr Barth (25 novembre 1865), la famille de l’illustre
explorateur fit hommage d’une partie de ses papiers scientifiques à
Henri Duveyrier qui avait si bien retenu ses leçons et si
consciencieusement étudié son œuvre.

De retour d’Angleterre, vers le milieu de 1857, Henri Duveyrier se mit,
avec ardeur, en mesure d’entreprendre un voyage de pénétration au cœur
du Sahara. Il étudia, la plume à la main, ce que la géographie savait
alors des contrées vers lesquelles il allait se diriger. A la vérité,
pour le lointain Sahara central, les seules sources d’informations
précises étaient, outre la relation de Caillié, les ouvrages dans
lesquels Richardson, Barth, Overweg et Vogel avaient consigné les
importants résultats des missions anglaises accomplies par eux de 1850 à
1853.

Les itinéraires de ces missions partant de Tripoli pour se diriger vers
le lac Tchad, traversaient, par Mourzouk et Rhât, les immensités
sahariennes comprises entre la côte et le Soudan. Les papiers de Henri
Duveyrier renferment des feuillets dans lesquels il avait commencé à
décrire sommairement les pays qu’il se proposait d’explorer.

Dans d’autres pages il indiquait les grandes étapes de sa marche, les
résultats principaux à atteindre aux points de vue politique,
scientifique, commercial ; il y énumérait, avec un soin qui révèle
beaucoup de réflexion, les travaux à exécuter, les recherches à faire,
les notes à prendre. On sent, en ces pages, l’homme qui entend être
autre chose qu’un touriste audacieux, dominé par la seule pensée
« d’être le premier à avoir vu ».

La jeunesse de l’auteur se révèle, toutefois, dans l’ampleur du projet
primitif qui comprenait une reconnaissance du Touât et l’exploration du
pays alpestre des Touareg Hoggar.

Il s’est aperçu, en face de la réalité, que l’imprévu n’abandonne jamais
ses droits et que les projets les mieux étudiés comportent de grands
mécomptes, quand il s’agit de pénétrer dans des contrées nouvelles, au
milieu de populations méfiantes ou hostiles.

Tout en s’assimilant les données acquises par ses devanciers et, plus
spécialement, par le docteur H. Barth, il travaillait avec ardeur à
acquérir les notions si variées qu’exige une exploration scientifique
largement comprise.

Il s’attacha, en particulier, à bien connaître les méthodes, comme le
maniement des instruments de détermination des latitudes, longitudes et
altitudes.

Cette préparation, qui est délicate, qui exige beaucoup d’application,
de soin, de persévérance, est en quelque sorte, une pierre de touche de
la vocation d’un candidat à la carrière d’explorateur. Les observations
astronomiques en cours de route ajoutent, d’ailleurs, aux difficultés,
parfois même aux dangers du voyage.

Henri Duveyrier eut la bonne fortune de rencontrer, comme professeurs,
tout d’abord Lambert-Bey, l’un des ingénieurs que Méhémet-Ali avait
envoyés en avant-garde dans sa marche vers le Haut Nil ; puis un
astronome hors de pair, Yvon Villarceau ; enfin, M. Renou, membre de la
commission scientifique de l’Algérie, constituée en 1837. Il avait
commencé ses travaux scientifiques au milieu des combats livrés par les
colonnes expéditionnaires chargées d’établir l’autorité de la France
dans ce qui était alors le Sud-Algérien.

M. Renou initia aussi H. Duveyrier aux observations météorologiques[12]
sans lesquelles il n’est pas d’exploration complète ; le professeur,
ici, se doubla d’un ami dont les lettres, pleines d’excellentes
instructions, attestent aussi la plus affectueuse sollicitude pour son
élève.

En histoire naturelle et en géologie, c’est au Muséum qu’il demanda le
complément de l’instruction acquise dès sa jeunesse.

Le savant naturaliste A. Duméril lui apprit l’art de préparer les
mammifères et les oiseaux pour les envoyer en Europe.

M. Hérincq, auteur de travaux estimés, qui fut l’un des derniers à
porter le titre de « garde des Galeries de botanique au Muséum », se
chargea de l’initier aux soins faute desquels la formation d’un herbier
est à peu près peine perdue.

Pour la géologie et la minéralogie, Henri Duveyrier eut les
renseignements de M. Hugard, alors aide-naturaliste au Muséum sous la
direction de l’éminent Dufrenoy.

On a vu précédemment que l’élève de l’école de Lautrach s’intéressait
aux questions de linguistique et d’ethnographie ; aussi, ne manqua-t-il
pas demander à Léon Renier, à Ernest Renan, à son ancien professeur
Fleischer les directions nécessaires pour accomplir convenablement cette
partie de sa tâche.

La recherche, la copie, l’estampage des inscriptions lui furent tout
spécialement recommandés, et nous savons qu’il a fait, dans cet ordre
d’idées, des découvertes enregistrées par l’épigraphie et l’histoire.

H. Duveyrier savait trop combien il lui importait d’être bien compris
des peuples au milieu desquels il devait vivre, surtout de les bien
comprendre, pour ne pas chercher à se perfectionner dans la langue arabe
qu’il avait apprise à Leipzig. Il le fit sous la direction du Dr Perron,
de Reinaud, de Caussin de Perceval.

Ses facultés en pleine sève de jeunesse, stimulées par la perspective du
voyage prochain, soutenues dans leur effort par une intense application
au travail et une méthode excellente, furent, pendant plus d’une année,
tendues sur l’accomplissement du programme d’études que H. Duveyrier
s’était fixé à lui-même. Il l’a exposé dans un texte qui dénote la
notion claire de tout ce qu’exige une exploration en pays nouveau.
L’influence des conseils du docteur Barth ne fut probablement pas tout à
fait étrangère à l’ampleur de ce programme.

On y discerne aussi une pensée de haute solidarité, une inspiration à
servir les intérêts communs ; il y a là un reflet des théories du saint-
simonisme.

En résumé, dans un ardent désir de réussite, H. Duveyrier s’était mis
promptement à même de recueillir avec discernement des données sur
l’histoire, la géographie physique et économique, l’ethnographie, la
linguistique des contrées, en grande partie inexplorées, où il allait
s’avancer. Sans doute, une initiation si rapide ne pouvait être ni
développée ni profonde. H. Duveyrier qui s’en rendait compte, fit de
constants efforts pour la compléter. M. Renou l’y encourageait en lui
écrivant d’amicales remontrances sur sa façon d’observer, soit en
astronomie, soit en météorologie.

Il est superflu d’ajouter que les préparatifs matériels furent à la
hauteur de la préparation scientifique du voyage. On possède la liste
des instruments d’observation et des objets variés qui devaient
contribuer au succès de l’entreprise.

H. Duveyrier n’ignorait pas les risques au-devant desquels il marchait.
— « Je sais très bien, écrivait-il dans l’un de ses carnets de notes,
que le voyage que je vais entreprendre n’est pas sans dangers, mais je
me sens plein de confiance en mes propres forces, et j’espère qu’avec
beaucoup de prudence et de patience, et toute mon énergie, je
parviendrai à les éviter, et que je mènerai ainsi mon expédition à bonne
fin. L’événement prouvera si je me suis trompé. »

H. Duveyrier avait décidé de voyager ouvertement comme chrétien, au lieu
d’adopter ou de feindre l’Islamisme qui lui aurait été une sorte de
sauvegarde. Par respect pour lui-même et pour la croyance des autres, il
lui eût répugné de se livrer aux manifestations d’une foi factice. Sa
répulsion pour les voies tortueuses s’était doublée d’une confiance
juvénile, robuste, dans le prestige de l’honnêteté et la puissance de la
droiture. Ce furent là les éléments essentiels de sa résolution. Peut-
être aussi, en y réfléchissant, fut-il amené à conclure qu’un vernis de
religion musulmane pourrait ne pas suffire à protéger le voyageur
_roumi_ contre l’animadversion des Sahariens. En pareil cas, tout serait
perdu, même l’honneur.

Quelque garantie qu’il vît dans l’honnêteté de ses intentions, Duveyrier
se prémunit contre le danger auquel l’exposait sa qualité de chrétien.
Recherchant les passages où le Coran prêche la tolérance envers les
autres religions et le respect pour les hôtes, il se mit en mesure de
discuter, de combattre les arguments qui seraient invoqués contre lui.

Il lui restait les risques auxquels pouvait l’exposer, en sa qualité de
Français, quelque expédition militaire dans l’extrême-sud, coïncidant
avec son voyage.

S’il s’interdisait de partager la foi des Arabes, il revêtit leur
costume, autant par hygiène que pour s’identifier, s’assimiler le plus
possible aux hommes dont il devait partager la vie, et auprès desquels
il entendait se montrer juste avant tout. Sur ce dernier point, il était
d’accord avec le Dr Barth qui lui écrivait, vers le milieu de 1859 :
«... la meilleure arme pour le voyageur chrétien, dans ce pays, consiste
en une probité impeccable vis-à-vis des indigènes... ».

Voilà de nobles principes, et dignes de respect, mais trop élevés peut-
être pour émouvoir des gens à moitié barbares, habitués, par tradition,
à ne subir d’autre ascendant que celui de la force. La justice et la
probité ne sont, du reste, pas inconciliables avec la fermeté, la
sévérité auxquelles le voyageur le plus endurant est, parfois, obligé de
faire appel.

Comme nom de voyage, il adopta celui de Sid-Saad-ben-Doufiry ; le nom de
Saad se traduit par notre nom de Félix, et ben-Doufiry signifie fils de
Duveyrier, ce dernier nom étant accommodé à la prononciation arabe.

                                                        Charles MAUNOIR.


[Note 4 : _Lettre à la Princesse_ (1873), p. 245.]

[Note 5 : Évidemment, ce n’était pas par un fugitif mouvement
d’enthousiasme juvénile que H. Duveyrier avait conçu le dessein
d’explorer l’Afrique. Dans l’introduction au Journal de son voyage chez
les Touareg, il écrivait, le 23 juin 1859 : « Depuis l’âge où les idées
commencent à prendre une tournure raisonnable, un attrait invincible m’a
attiré vers le continent africain... »]

[Note 6 : Cette hypothèse au sujet des idées de Ch. Duveyrier trouve
confirmation dans une lettre qu’Arlès-Dufour, le grand financier saint-
simonien, écrivait à Henri Duveyrier et dont Charles Duveyrier avait,
lui-même, pris copie. On y lit le passage suivant : « Si, décidément,
tes aptitudes ne se plient aux études commerciales que par violence et
avec répugnance, il serait irréligieux à ton père et à moi d’abuser de
ton obéissance pour te les faire poursuivre, et il faudrait y renoncer
franchement pour te vouer sans réserve aux études auxquelles te poussent
évidemment ta vocation, c’est-à-dire ta nature. Dieu est très avare de
ces vocations évidentes qui ne permettent aucun doute, et c’est un
devoir sacré de les respecter, de les favoriser même, quand on le peut.
Si tu savais, mon enfant, combien d’existences manquées et malheureuses,
combien de forces perdues pour la société, par suite de vocations
méconnues et faussées !... »]

[Note 7 : ... « Quand vous viendrez ici, je vous conduirai à Kandouri,
un Versailles sauvage, un Versailles du bon Dieu, un vrai paradis
terrestre. Là, vous verrez ce qu’était le monde quand il est sorti des
mains du Créateur. Vous vous y trouverez au milieu d’Arabes qui vous
traduiront la Bible en fait, beaucoup mieux que votre père et ses
collègues de la Société des artistes dramatiques n’ont traduit, au
théâtre, notre société moderne. »

(Lettre du Dr Warnier à Henri Duveyrier, Alger, le 11 juillet 1855.)]

[Note 8 : _Journal d’un voyage dans la province d’Alger_, par Henri
Duveyrier. Paris, Challamel.

Cet ouvrage n’est pas dans le commerce.]

[Note 9 : Le commandant Margueritte, devenu le général Margueritte, tué
à Sedan.]

[Note 10 : Notizen über vier berberische Völkerschaften, während einer
Reise in Algerien nach Hallûla-See und nach Laguât in Februar, Marz und
April 1857, gesammelt von H. Duveyrier. — _Zeitschrift der deutschen
morgenländischen Gesellschaft_, t. XII, 1858, p. 176-186.]

[Note 11 : Henri Barth, ses voyages en Afrique et en Asie. _Revue
contemporaine_, 1866, 4e livraison, 28 février.]

[Note 12 : Nous avons une preuve du soin apporté par H. Duveyrier à sa
préparation, dans le fait qu’en 1858, du 6 au 12 novembre, il avait
fait, à la fenêtre de l’appartement que son père occupait, rue de
Grenelle, no 123, une série d’observations météorologiques dans le but
de régler la marche d’un baromètre anéroïde.]




                            JOURNAL DE ROUTE


                            PREMIÈRE PARTIE

                               * * * * *

                            CHAPITRE PREMIER

                   DE BISKRA A L’OUED-RIGH ET AU SOUF


                                                Biskra, 13 janvier 1860.

J’ai fait aujourd’hui une liste des peuplades _nègres_ qui sont
représentées dans la petite colonie de Biskra. Voici la liste de ces
tribus ; je crois que, plus tard, elle devra être complétée. J’ai mis un
astérisque devant les noms de peuplades dont nous ne connaissons la
langue d’aucune manière : 1. Bornou. — 2. Haoussa. — 3. Bagirmi. — 4.
Felata. — 5. Mboum[13]. — 6. Mandara. — 7. Koenna[14]. — 8. * Kanembou.
— 9. Teda. — 10. Timbouktou (Zonghay). — 11. Mbāna. — 12. Ouaday. — 13.
* Manga[15]. — 14. * Doura. — 15. Katsena. — 16. Bambara. — 17. Logonē.
— 18. Derge. — 19. Affadē. — 20. Ngāla. — 21. Kouri. — 22. Maggari[16].
— 23. Margi. — 24. Kerrekerre. — 25. Ngouzzoum[17]. — 26. Hadamoua[18].

Ces nègres ont formé un petit village de huttes en branches de palmiers,
situé à l’origine des plantations, près du nouveau Biskra, dont il forme
un petit faubourg. Les femmes portent des costumes de leur pays, tandis
que les hommes ont choisi, dans les costumes de tous les peuples avec
lesquels ils sont en relations, tous les oripeaux et les guenilles de
couleurs voyantes qu’ils ont pu se procurer.

Je me promène dans l’oued Biskra ; dans les terres d’alluvions qui
renferment son lit, on trouve les coquilles d’une espèce de gastéropode
assez curieuse par ses formes qui rappellent celles des coquilles
marines. La bouche est formée par une échancrure, la forme générale est
entre celle de la limnea et celle de l’oliva, le test est assez dur ;
les bords de l’ouverture sont tranchants ; la couleur de la coquille est
d’un noir olivâtre, mais passe par toutes les couleurs jusqu’au blanc,
selon qu’elle est plus ou moins ancienne dans la couche d’alluvions. Ce
mollusque vit actuellement dans certains ruisseaux de l’oued
Biskra[19] ; on le trouve en masses considérables. — L’eau dans laquelle
il vit ressemble, comme goût, à celle que l’on boit en ville, c’est-à-
dire qu’elle est légèrement saumâtre. — Un mollusque herbivore se trouve
ici en grand nombre sur les tiges de cannes, roseaux qui croissent dans
l’eau.

Je prends ici l’occasion de faire remarquer que les eaux des ruisseaux
en question renferment un second gastéropode, qui est turriculé et à
tours de spire ornés de côtes. Ce mollusque vit dans la vase, où l’on a
de la peine à le distinguer à cause de sa couleur cendrée. — Je crois
qu’il est identique à celui des eaux artésiennes de l’oued Righ[20]. Ce
dernier vit dans les _saquias_ des jardins de Tougourt, dans une espèce
de plante fluviatile (acotylédone, je crois) qui forme une mousse
verdâtre. J’en ai dans le flacon à alcool no 2.

                                                     Biskra, 14 janvier.

J’emploie ma matinée à prendre l’heure exacte à une minute près, pour M.
le colonel Séroka ; je fais, par la même occasion, le calcul du lever du
soleil pour cette année à Biskra ; je trouve qu’il faut retrancher 42
minutes du temps du lever à Paris. — L’horloge avançait de 38 minutes !
Les cadrans solaires ont, je crois, une erreur de quelques minutes, 7
minutes environ.

Dans l’après-midi, je vais avec ces Messieurs du télégraphe et M.
Colombo pour lever le plan du petit hameau de El’Aliya dont on voit les
hauts palmiers tout près de Biskra. — C’était pour montrer à ces
Messieurs comment il fallait opérer.

El’Aliya touche d’un côté à l’oued dont les berges à pic s’éboulent à
chaque crue ; nous aperçûmes là des restes de fondations romaines et de
vastes tubes de terre cuite superposés, le tout enchâssé dans les
berges, et mis à nu par les eaux. Nous hésitons encore à déterminer quel
était l’usage de ces constructions.

Près de là est un cimetière, que l’eau ronge aussi, laissant voir des
squelettes à moitié découverts. Je prendrai là quelques crânes pour ma
collection.

Dans le milieu de l’oued, près d’El’Aliya, est une construction carrée,
évidemment romaine, remarquable en ce qu’elle n’a ni portes ni autres
ouvertures. Actuellement elle est remplie de terre jusqu’au sommet. Les
murs sont bien conservés, si ce n’est pour une ou deux petites brèches
rondes qu’y fit Salah Raïs avec son artillerie. Il croyait, comme les
Arabes aujourd’hui, que cette construction renferme un trésor.

Un peu plus loin encore se trouve la coubba de Sidi-Zurzour qui fut
bâtie sur une construction analogue à celle dont je viens de parler.

Le cours de l’oued dans toute sa longueur, à part quelques bandes de
terre végétale alluviale dont j’ai parlé plus haut, est couvert de
galets et de pierres roulées, quelquefois énormes ; la plupart sont de
grès, d’autres de calcaire compact.

                                                     Biskra, 15 janvier.

Aujourd’hui j’ai fait avec M. Colombo une promenade à pied à la source
thermale de Hammâm Salahîn. La direction est vers le nord, appuyant un
peu à l’ouest, je crois, et à 6 kilomètres du fort Saint-Germain ;
cependant je ne serais pas étonné que la distance fût un peu plus
grande. Les bains sont entourés d’une construction, avec des chambres
pour la commodité des baigneurs. Les eaux sont salées et ont, de plus,
une forte odeur d’hydrogène sulfuré. La température de l’eau au bord du
bassin, là où elle s’en échappe, était de :

  44°,8  thermomètre  186 de Baudin.

  44°,7      —        207      —

Au milieu, à l’endroit où elle jaillit en bouillonnant, la température
prise par M. Colombo était de :

  45°,1 thermomètre 207 de Baudin[21].

M. Colombo entra dans le bain, mais, pour moi, je me contentai d’y
mettre les pieds, qui me firent mal au bout de quelque temps.

La raison de cette excursion était mon désir de me procurer des poissons
vivant dans la _saguia_ qui sort de la source, et qui conserve encore
assez longtemps sa température élevée et plus encore les sels dont elle
est saturée. Ces poissons, dont je réussis à me procurer quelques
exemplaires, ressemblent beaucoup à ceux des eaux artésiennes de l’oued
Righ[22] ; ils vivent dans une eau qui peut avoir 30°. — Dans la même
saguia croît une plante acotylédone خز[23], à feuilles filiformes très
ténues, la même, je crois, qui est si commune dans les _saguiet_ de
Tougourt, et qui sert de nourriture aux coquillages turriculés et aux
glyphisodons ou perches à dents fendues. J’en ai pris un échantillon, et
un Arabe qui était là m’a dit que cette plante servait de remède pour
les maux d’yeux. Sont-ce les sels dont elle doit être imprégnée qui lui
donnent cette vertu ? Je suis très porté à le croire. Autour de la
source thermale, on voit de nombreux tufs calcaires, presque entièrement
composés de débris végétaux. D’autres pierres s’y trouvent aussi ; j’en
ai recueilli. On trouve près de là un petit lac de forme circulaire, que
j’ai visité à mon premier passage ici. L’eau en est remarquablement
froide[24], et la profondeur m’en a été donnée (16 mètres) par M.
Colombo qui l’a mesurée.

Voici la liste des plantes dont je me rappelle le nom et que nous avons
rencontrées en revenant de la source : _Bageul_, _remeth_,
_kelkha_,_methennân_, _rhardeg_, _sedra_, _gandoul_ (bou choucha)[25].

                                                  Biskra, 16-17 janvier.

Visite au colonel Séroka. — Il me prête des calques superbes de cartes
sur le Sahara ; j’en copie un aujourd’hui même.

Je remarque un fait important pour mes observations. Mon baromètre no
892 est dérangé. Mais il ne l’est que depuis mon départ pour
Constantine, car à cette époque je réglai mon anéroïde qui, maintenant,
suit à peu près la marche du Gay-Lussac de M. Colombo.

                                                  Biskra, 18-19 janvier.

M. Colombo dont j’ai déjà parlé est un ancien sous-officier. Il dirige
l’école arabe française de Biskra. C’est une école où les jeunes Arabes
peuvent apprendre le français et les éléments de nos sciences. Cette
école est assez bien suivie, et j’ai pu me rendre compte des progrès
intéressants qu’ont faits les élèves de M. Colombo. Leur maître est
assez versé dans la connaissance de l’arabe, et il se perfectionne
chaque jour dans la science par une étude diligente[26]. Son traitement
est de 1.800 fr. par an ; il a un aide, Arabe de Constantine, élève de
M. Cherbonneau, et qui, je crois, perçoit, un traitement de 100 fr. par
an.

Le colonel Séroka me dit que l’on avait commencé un forage à ’Ain
Baghdad, et qu’il fut interrompu lors de la guerre d’Italie.

                                                       1er février 1860.

Je quittai aujourd’hui Biskra ; MM. Manaud, Colombo et Falques vinrent
me dire adieu avant mon départ. J’avais dit adieu au colonel hier au
soir.

Je suivis sur ma jument la marche lente des chameaux jusqu’à ce qu’étant
enfin arrivés en vue des broussailles de tamarix que l’on a cru pouvoir
nommer « forêt » de Saada, je fis partir ma monture au trot et j’arrivai
au bordj de Taïr Rassou.

Le kaïd Si Khaled était absent, mais il revint bientôt ; il avait été en
cherche de sangliers et rentrait sans en avoir vu un seul. — Ce fut
peut-être là la raison de son accueil froid ; car il ne me fit servir
qu’une _berboucha_ qu’à la vérité il partagea avec moi. — Je n’avais du
reste que quelques moments à lui consacrer, et je repartis de suite pour
arriver à Chegga avant la nuit.

La route de Tougourt sur laquelle je marchais est assez bien tracée,
surtout depuis que des voitures y sont allées. Aussi n’avais-je guère
crainte de me perdre.

J’arrivai à Chegga après le coucher du soleil. J’y trouvai, outre M.
Lehaut, des officiers du bataillon avec qui j’avais fait connaissance à
Tougourt.

Les chameaux arrivèrent pendant la nuit.

Je dois noter que sur la route, un peu après la rivière, j’ai rencontré
cinq ou six petits monuments en forme de pyramides et une tombe, le tout
rassemblé sur un espace de quelques mètres carrés ; c’est un monument
élevé par les Oulad Moulet, pour éterniser le souvenir d’une défaite que
leur a infligée en cet endroit le chérif.

                                                              2 février.

Je ne suis pas parti de bon matin. J’ai été voir, avec M. Lehaut[27], le
quatrième puits qu’il est en train de finir, espérons-le.

Parti encore aujourd’hui en avant du bagage, j’arrivai d’assez bonne
heure à Oumm-et-Tiour.

Oumm-et-Tiour est un petit village arabe, créé par les Français[28]. Il
compte aujourd’hui 28 maisons habitées et une mosquée remarquable à
cause de son beau minaret. On y compte plusieurs centaines de palmiers
âgés de deux à trois ans, qui vont donc porter leurs fruits l’année
prochaine. — Je crois que la plupart des habitants sont des Selmia.

Chegga, au contraire, qui doit aussi son existence aux puits artésiens
de M. Lehaut, ne compte encore qu’une quinzaine de maisons au plus, en
comptant celles qu’occupent les forges, les employés, etc... Chegga n’a
pas de palmiers, et c’est la première année qu’on y ensemence.

                                                              3 février.

Aujourd’hui je me rendis à Merhaier, la première oasis de l’Oued-Righ,
en venant du nord.

Le cheikh étant absent, je me vis sur le point de manquer de guides pour
traverser le pays désert qui sépare ce point de l’Oued-Souf. Cependant,
heureusement pour moi, le cheikh arriva dans la soirée, et, après avoir
lu la lettre du colonel Séroka, il me dit que le lendemain je pourrais
partir à l’heure qui me conviendrait, avec cinq hommes à pied comme
escorte et un guide à cheval.

Les plantations de palmiers de Merhaier, arrosées par des sources
artésiennes, sont, du moins dans cette saison, très pauvres en produits
de potager. Les arbres fruitiers y sont même fort rares ; c’est à peine
si on y voit un figuier et un pêcher égarés.

Les eaux des fossés abondent en grenouilles.

Les Rouâgha dont la race commence ici, sont remarquables par leur
physique et surtout par leur teint, qui approche beaucoup du type nègre.
Certains d’entre eux sont même plus noirs que les gens du nord du
Haoussa (Madja, etc.). Les femmes se vêtissent de bleu. Elles ne mettent
rien d’autre sur leur tête que leur vêtement ou haïk, absolument comme
on peint la madone. — Mais combien peu d’entre elles pourraient laisser
un doute à ce sujet et jouter de grâce et d’élégance de formes avec les
portraits de Raphaël ! Les femmes me paraissent jouir de la liberté à
laquelle elles ont droit.

                                                              4 février.

Après avoir écrit quelques lettres et rassemblé mon monde, je me mis en
marche pour l’Oued-Souf.

Nous primes d’abord la direction de l’Oued-el-Khorouf, qui n’a d’autre
importance que celle d’un canal de décharge des eaux de l’oued Righ dans
le chott Melghigh. Nous nous arrêtâmes à ’Ain ed ’Daouira, petit bassin
circulaire occupé par des roseaux et autres plantes aquatiques. C’est
probablement un « puits mort ». Nous fîmes là notre provision d’eau
douce (?) et coupâmes l’Oued-el-Khorouf.

Nous nous rapprochâmes alors du chott, dont nous avions gardé la nappe
brillante sur notre gauche, avec les petites oasis de palmiers de
Choucha, Dindouga et de Wousli, cette dernière isolée au milieu des eaux
du chott.

Nous continuâmes à travers un pays, qui tantôt apparaissait sous
l’aspect du chott avec son terrain meuble, composé de sable quartzeux
mélangé de sel et d’argiles, tantôt nous obligeait à traverser des
lignes de franches dunes de sables.

Enfin nous nous arrêtons dans le Sif bou Delal.

                                                              5 février.

La direction générale de la crête des dunes du Sif bou Delal est de 147°
magnétique ; c’est-à-dire qu’elles ont été formées sous l’influence d’un
vent du nord-ouest ou à peu près.

Ma caravane se compose de quatre Rouaghas commandés par un Arabe, tous à
pied et armés de leur long fusil. Ils portent eux-mêmes leurs vivres,
composés de farine et de dattes, avec une petite provision d’eau. Le
guide, un « monsieur » boiteux, est en revanche monté sur un cheval
qu’il ne peut gouverner, et qui adresse de temps en temps des
compliments à ma jument. Mes deux Souafas ne quittent ni leurs fusils ni
leurs chameaux, et lorsque leurs animaux veulent descendre la pente des
dunes, ils se suspendent à leur queue pour faire le contrepoids des
bagages.

Aujourd’hui nous atteignîmes, vers midi, les dunes de Gasbiya, du moins
nous nous en arrêtâmes à 1 kilomètre, car je jugeai inutile de les
gravir, l’_ógla_[29] qui existait autrefois au nord des dunes étant
sèche depuis deux ans. Je pris des visées de boussole sur les dunes de
Gasbiya et sur les sables de Retmaya, lesquels ne présentent pas de
sommets.

Nous continuâmes ensuite notre route en prenant une nouvelle direction,
parce que la visite à Gasbiya nous avait obligés à nous détourner de la
route du Souf pour appuyer au nord.

Je ne fais pas une description plus longue de notre route d’aujourd’hui
dont les détails se trouveront dans l’itinéraire. Je me borne à dire que
nous n’eûmes d’autre aventure que de rencontrer les traces de pas de
deux hommes, ô miracle ! dans cette solitude. — En revanche, les
empreintes de pas de gazelles, de lièvres, de gerboises et de
_djird_[30] étaient moins rares.

Presque toute la route dans les sables.

                                                              6 février.

Nous avons voyagé toute la journée dans une région de dunes désertes. Ce
fut un travail pénible pour les bêtes et pour les hommes.

Ces dunes ne sont pas très hautes et affectent une forme allongée comme
les vagues de la mer. Elles doivent évidemment leur existence à la
prédominance des vents du nord-ouest ; ce qui viendrait confirmer
l’opinion de ceux qui veulent que les vents alizés règnent dans ces
parages[31]. — Les dunes se trouvent distribuées par zones assez larges,
séparées entre elles par des espaces relativement unis qui prennent le
nom d’oueds.

La végétation de cette région est composée principalement d’àlenda et de
drin. L’_arta_, le _dhomrân_, le _harmel_, etc., s’y trouvent aussi,
mais en bien moins grand nombre.

Le vent soufflait avec violence, enlevant le sable et ajoutant un fort
désagrément à celui du voyage dans un pays aussi désert, aussi monotone.

Après avoir traversé une zone de dunes appelée le Medheheb-el-Charguia,
par opposition au Medheheb-el-Garbiya que nous laissions à droite, nous
arrivâmes dans les dunes de Messelmi, qu’il nous fallut gravir et
descendre pendant quelque temps jusqu’à ce que nous arrivâmes aux puits
du même nom. — Ils sont tous comblés ; les Arabes me disent dans leur
langage expressif : « Le vent les a ensevelis ».

Quoique déjà bien épuisés, nous continuâmes notre route avec énergie,
et, après avoir traversé un « oued », nous atteignîmes les premières
dunes de Medjigger. Ces dunes, quoique de la même nature que les
précédentes, sont néanmoins plus élevées.

Nous arrivâmes enfin aux puits, peu de temps avant le coucher du soleil.
Les puits de Medjigger sont entourés de maçonnerie.

J’écrivis ce soir trois lettres, entre autres au colonel Séroka et à mon
père ; je fis quelques observations, mais lorsque je voulus observer le
passage de Jupiter au méridien, je m’aperçus que je m’y étais pris trop
tard, l’astre commençait à baisser.

J’attends jusqu’à passé minuit pour observer la lune.

                                                              7 février.

Notre journée nous mena à travers une région couverte de zones de
petites dunes allongées, séparées par des surfaces sablonneuses assez
unies. La végétation resta à peu près la même que les jours précédents,
si ce n’est que les àlenda devinrent plus communs. — Ce pays est semé de
puits ou plutôt de noms de puits, d’endroits où il y avait autrefois des
puits, lesquels ont été comblés par le vent.

Le plus remarquable de ces puits, celui qui est le plus connu, est celui
de Moui-Tounsi, comblé depuis l’année où le chérif vint par ici.

En sortant des dunes Moui-Tounsi, on entre dans Areg-el-Miyet, sables
dont le nom est dû à l’absence de végétation qui les caractérise.
Ensuite on arrive sur les plantations de palmiers de Rhamra.

Rhamra était autrefois un village ; aujourd’hui on n’en voit plus que
les ruines, et les propriétaires des palmiers n’y viennent qu’à l’époque
de la récolte des dattes.

Les plantations de l’Oued-Souf ont un caractère à part. Je vais parler
de celles de Guemâr ; si celles d’El-Oued en diffèrent, je les décrirai
ensuite. — Les palmiers de Guemâr sont disséminés par petits bouquets
dans les interstices des dunes. Ils ne m’ont pas semblé plantés dans une
dépression artificielle. De nombreux puits à bascules (en arabe
Khattâra) sont élevés dans le voisinage des palmiers pour en faciliter
l’arrosage. En été, on les arrose deux fois par jour, matin et soir ; en
hiver, je crois qu’on ne le fait qu’une seule fois. A 2 heures de la
nuit environ, les travailleurs quittent Guemâr à grand bruit et vont aux
palmiers travailler à ôter les sables d’autour des troncs, car le sable
empiète sans cesse sur les plantations. Ils choisissent pour cela la
nuit, même en hiver, afin d’éviter la chaleur du jour. Malgré ces soins,
les sables enterrent beaucoup de palmiers dont on voit les troncs
dénudés et morts.

En approchant de la ville, nous entrâmes dans une plaine unie sans
sable, un _sahen_ ; les puits devinrent beaucoup plus fréquents ; nous
avions, à la droite, de petits jardins carrés entourés d’une haie de
branches de palmiers et possédant presque tous un puits à bascule, et
souvent encore une petite cabane aussi en branches et troncs de
palmiers. On y voyait surtout des cultures de tabac.

Enfin nous arrivâmes à Guemâr.

Je dois parler d’un petit incident amusant qui nous arriva avant que
nous fussions arrivés à Moui-Tounsi. — Mes guides souafa avaient
découvert des traces de pas et se montraient inquiets ; enfin ’Oina, qui
me précédait, se retourna vers moi et me dit d’une voix trop émue :
« Regarde, voilà du monde là-bas vers le sud. » J’eus beau écarquiller
mes yeux, je ne pus rien apercevoir. Mon homme prit son fusil et se mit
à délier la bande d’étoffe qui entourait la batterie. Je le priai de se
tenir tranquille et de ne pas faire de préparatifs guerriers tant qu’il
n’aurait pas vu autre chose qu’un chameau, car c’était là ce qu’il
appelait « du monde ».

Nous finîmes par arriver sur deux chamelles, agenouillées derrière un
buisson, et nous pûmes voir leur maître, effrayé, s’enfuir à toutes
jambes. Nous le rappelâmes en lui faisant des signes de paix. Il revint.
C’était un vieillard toroud, à belle barbe et belles moustaches
blanches. Il gardait les troupeaux de moutons et de chèvres et les deux
chamelles que nous avions découvertes. Ce brave homme n’avait qu’une
_gandoura_ un peu courte pour tout vêtement ; il s’approcha à genoux de
mes Souafa (pour ne pas se découvrir), fuma une pipe avec eux, et, après
avoir échangé les nouvelles, nous reprîmes notre course vers Guemâr.

Je reviens donc à notre arrivée dans cette ville.

Je fus reçu avec un zèle prodigieux de la part des quatre cheikhs, qui
remplacent les huit membres de l’ancienne Djemâa. On me gêna même par la
persistance que l’on mit à me nourrir, à me tenir compagnie, etc., par
les protestations nombreuses qu’on me fit. — La visite du Qadhi me fut
bien agréable. C’est un homme instruit et civilisé, qui me donna de bons
renseignements historiques, et me promit de me faire une copie d’un
livre du cheikh el ’Adouâni, qu’il m’enverra à Biskra.

Je fus logé dans la maison du cheikh Abd-el-Kader qui est un gros vieux
bonhomme de soixante-dix ans, à voix de stentor. — Il veut à toute force
être mon ami.

Guemâr est une ville de 4.000 habitants environ. Les maisons sont
presque à hauteur d’homme, et de maigre apparence. Cependant elles
doivent être solides, étant bâties de pierres[32] et de chaux. Les
toits, surmontés de petits dômes, sont d’un effet original. Les murs des
maisons ne sont pas crépis ni égalisés, mais le tout paraît blanc. Il y
a très peu de maisons réunies. La ville possède un petit marché,
quelques boutiques et plusieurs mosquées, y compris une zaouia qui est
le plus beau monument de Guemâr.

Les habitants de Guemâr sont une race paisible et laborieuse, je crois.
Ils se couvrent la tête d’un haïk simple ou d’un petit turban blanc. Les
cordes en poil de chameau ne sont pas ordinaires. Les femmes ont un type
à part qui n’est ni celui des Arabes nomades, ni celui des femmes de
l’Oued-Righ. — Les hommes m’ont paru avoir des physionomies rappelant
celles des Béni-Mezab, et cela s’explique par les données historiques
que je présenterai.

Les tribus de Guemâr sont : les Ouled-Bou’Afi, les Ouled-Abd-el-Kader,
les Ouled-Abd-es-Sadiq avec la petite tribu des Ouled-Mousa, leurs
frères, les Ouled-Hôwimen. Ces quatre tribus ont chacune leur chef.

La tradition rapporte que l’Oued-Souf était autrefois un véritable oued,
dans un pays sans sables, que les premières plantations de palmiers
étaient aussi dans ce pays avant que les dunes ne s’y fussent formées. —
Les dunes arrivèrent ensuite, poussées par les vents de l’est qui
dominent ; on peut voir maintenant où elles sont parvenues.

Cette tradition confirmerait l’hypothèse de l’extension du Palus
Tritonis. Les sables formaient le fond de la mer et, à mesure qu’elle
recula, ils furent soumis à la force du vent[33].

Les Ouled-Hamid sont les premiers Arabes qui s’établirent dans l’Oued-
Souf ; c’étaient des Qoreich ; ils quittèrent la Syrie au temps de
Sidna’Otman ben ’Affan.

Les Arabes aujourd’hui nommés Toroud[34] vinrent du Caire où ils
s’étaient révoltés ; ils allèrent jusqu’à Jiriga dans le Djérid, mais le
souverain de Tunis les expulsa à cause des troubles qu’ils
occasionnaient. — Ils prirent le nom de Toroud sur la route du Souf où
ils rencontrèrent un vieillard de ce nom, qui consentit à devenir leur
chef à cette condition. Ils eurent de longs combats à livrer aux ’Adouan
pour s’établir dans le Souf où ils vécurent ensuite tous ensemble.

La population première du Souf était des Abadiâ[35]. Les Zenata y eurent
une ville, c’est ’Amich.

Les habitants de Guemâr suivent la secte du marabout de Tolga, dans les
Zibân ; quelques-uns sont Tedjinis.

                                                              8 février.

Aujourd’hui, je pris un plan grossier de la ville. En partant de Guemâr,
nous arrivâmes bientôt devant Tarhzout, qui est bien plus petite. On
voulut m’y retenir pour la nuit. Ensuite nous arrivâmes à Kouinin où les
mêmes offres me furent faites. Kouinin est peut-être aussi grande que
Tarhzout ou un peu plus.

Entre Guemâr et El-Oued, on a toujours sur la gauche des bouquets de
palmiers disséminés dans les intervalles des dunes. A droite, des puits
en assez grand nombre et quelques carrés de culture.

Entre Kouinin et El-Oued je rencontrai le khalifa qui était venu au-
devant de moi avec trois cavaliers ; je montai sur un de ses chevaux, un
peu fringant, et nous atteignîmes bientôt El-Oued.

Le khalifa malheureusement a des appréhensions pour la sécurité des
routes du Djérid.

                                                           9-10 février.

El-Oued est une ville d’environ 6.000 habitants, de même construction
que Guemâr ; seulement elle possède en plus une mosquée à minaret élevé,
et un bordj pour le khalifa. Les maisons sont composées en grande
partie, d’une cour dans laquelle est dressée une tente et qui contient
encore une hutte ou un hangar de branches de palmiers. Les Ouled-Hamed
habitent un quartier un peu à part, à l’est du bordj du khalifa.

Outre les habitants de la ville, El-Oued possède encore un petit nombre
de tentes de nomades Harazlia et Nouail ; il m’a été dit que, s’il se
trouve quelques jeunes veuves parmi eux, elles n’ont aucune prétention à
des mœurs sévères.

Le bordj du khalifa a été bâti d’après un dessin du capitaine Langlois ;
c’est un carré défendu à l’est et à l’ouest (à deux angles seulement)
par un bastion carré, dont l’un renferme la prison, qui est plus belle
que la plus belle maison de la ville.

Les vêtements sont les mêmes que dans le reste du Souf.

Les nègres ne se voient que très rarement.

Les Juifs sont au nombre de quarante-sept, répartis dans onze maisons.
Ils font d’assez bonne anisette.

Il y a ici des communications fréquentes avec l’étranger, Ghadâmès, le
Nefzaoua et le Djerid, Tunis même. Il y a aussi quelques marchands de
Ghâdamès et plusieurs du Djerid.

Je me décide à aller à Ouarglă par la route directe.

Les plantations d’ici sont dans des cavités creusées entre les dunes ;
les arbres ne sont pas arrosés, leurs racines trempant dans l’eau de la
couche souterraine. On prétend que les Souafa ont voulu m’en imposer en
me disant qu’ils arrosaient leurs palmiers[36].

                                                             11 février.

J’ai enfin pu partir aujourd’hui.

Mais, avant de partir, je dois terminer mes notes sur El-Oued par la
mention des prix des objets que le hasard m’a fait voir. Les cotonnades
anglaises avec le nom de John Rose et qui viennent de Tunis se vendent
15 fr. la pièce de 75 draa[37]. Le musc de la Mekke, venant de l’Inde,
se vend, du moins j’en ai acheté à 1 fr. l’ouzena[38]. Ordinairement il
est plus cher. J’ai acheté à un prix ordinaire un haïk djeridi arrivé la
veille, pour 47 fr. 50.

Les poules sont bon marché : j’en ai acheté sept à 1 fr. pièce, j’ai eu
dix-huit œufs pour 50 centimes.

Le khalifa ne veut pas me laisser partir sans me donner des oranges
venant de Tunisie et un œuf d’autruche.

En sortant d’El-Oued, nous avons suivi la route de Temassin pendant
quelque temps jusqu’au puits situé dans la dépression de Haouad-Tounsi.
Les dunes que nous avons à traverser, les plus hautes que j’aie vues
dans cette partie du Sahara, sont dépourvues de végétation.

Du puits ci-dessus nommé, nous plongeâmes vers le sud. La caravane que
je suivais et pour laquelle j’avais attendu un jour à El-Oued, voulut
choisir la voie la plus courte par Bir-Righi et Matmata, mais comme
j’avais intérêt à voir la route de Hassi-Omran, je fis route à part,
menaçant de rendre compte au khalifa de ce que feraient les autres
membres de la caravane. Néanmoins nous nous séparâmes.

Ce jour-là, nous n’allâmes guère plus loin ; après avoir voyagé quelque
temps dans des dunes de peu d’importance, séparées par des oueds ou
espaces de sables unis et plus garnis de végétation, nous campâmes pour
coucher.

Déjà, ce soir, des députés de la caravane viennent pour parlementer. Je
les renvoie sans rien changer à ce que j’ai dit hier.

                                                             12 février.

Toute la journée peut se résumer en ceci : nous avons traversé une
succession de zones de dunes basses et d’oueds, comme je les ai décrits
précédemment. La végétation est aussi celle des sables du nord de
l’Oued-Souf : genêts _retem_, _Ephedra_ et _drin_. Seulement je remarque
quelques plantes nouvelles qui sont : _ezal_, _markh_, _arabia_, et le
_lebin_ que j’avais oublié de noter parmi les plantes du nord de l’oued.

J’ai monté à chameau hier et aujourd’hui. On conduit ma jument sans
selle par la bride ; je veux qu’elle se fatigue le moins possible et que
sa blessure se repose.

J’ai oublié de noter que j’ai trois chameaux, deux chameliers, dont l’un
est le guide, et un domestique du khalifa, qui est bon cuisinier, et
partant très précieux. — Les chameaux et leurs maîtres me coûtent en
tout 45 fr. d’El-Oued à Ouarglă.

                                                             13 février.

Nous n’avons fait qu’une très petite journée. J’ai voulu passer la nuit
au puits de Sidi-el-Bachir pour en prendre la latitude.

Nous n’avons eu que peu de sables à traverser et cela seulement dans la
Chara de Sidi-el-Bachir que nous avons longée longtemps et enfin
traversée pour arriver au puits.

La végétation a été la même que précédemment, sauf l’apparition de
_halma_ et de _sefâr_ (graminées) ; le _drin_ et le _markh_ dominaient.

A notre arrivée au puits, nous y avons trouvé deux Touaregs avec leurs
enfants et un esclave qui abreuvaient leurs chameaux. Ce sont des gens
du Matmata, en route pour El-Oued où ils vont acheter du grain.

Ils nous donnent la nouvelle que, hier ou avant-hier, les Oulad’Amar
(Oued-Righ) ont eu une querelle avec les Chaànba de Ouarglă, à cause de
leurs chameaux. Un des gens des Chaànba, un homme marquant, a été tué.
Les deux tribus sont sur le point de s’attaquer.

Aujourd’hui j’ai vu, sur le sable, les traces d’un petit carnassier que
nos guides appellent _sefchi_ سڢشى, qu’ils dépeignent comme tigré de
blanc et de noir. C’est peut-être une espèce nouvelle.

Je suis tout à fait guéri de mes douleurs rhumatismales dans les
épaules. Mais je subis le soir une diarrhée épouvantable. L’eau du puits
a un plus mauvais goût que celle des précédents, mais elle est
supérieure à celle de Tougourt.

                                                             14 février.

Nous avons quitté le puits ce matin et avons voyagé dans l’oued Sidi-el-
Bachir, ayant pendant longtemps, à notre gauche, les sables du Ghourd de
Saàdiya.

Nous traversâmes la Chouchet el ’Anz et continuâmes dans une région
« d’oued » sans que la végétation donnât lieu à d’autre remarque que
celle de l’apparition de l’_àlga_.

Je remarquai quelques affleurements de calcaire compact.

Nous nous arrêtons, ayant devant nous, à l’horizon, les sables de
Sayyâl.

                                                             15 février.

Aujourd’hui une courte marche à travers une région assez sablonneuse,
principalement couverte d’_àlenda_, de _drin_ et de _hād_, nous mena au
puits de Oulad-Miloud ; quoique nous y fussions arrivés de bien bonne
heure, je résolus de m’y arrêter jusqu’à minuit pour obtenir la latitude
du lieu.

Après midi, nous continuâmes la marche pour arriver bientôt dans le
voisinage du puits aujourd’hui comblé de Sayyâl, dont nous avions les
dunes à une petite distance à droite. Nous vîmes à 5 ou 600 mètres à
gauche le puits de Bey-Sâlah dont l’eau est salée et beaucoup moins
bonne que celle du Hassi-Miloud.

Après avoir dépassé cette région vers la fin de la journée, je fus
surpris de voir un changement notable dans la végétation, qui se
composait de _bāgeul_, _dhomràn_, _zeita_, _drin_ et _sefâr_.

Je me couche presque sans rien manger, malade de fatigue, car la marche
accélérée de nos chameaux m’avait beaucoup secoué, et, par suite,
courbaturé.

                                                             16 février.

Une courte marche nous amena dans l’Oued-Sîdah, que j’avais soupçonné
auparavant être le bas de l’Oued-Igharghar. Mais il ne peut en être
ainsi, cet oued étant, comme tous les autres, une simple région délivrée
des sables, sans pente régulière[39], etc.

Nous y trouvâmes d’abord un petit nombre de chameaux conduits par un
jeune garçon très gai, qui paraissait tuer le temps en chantant et qui
répondit de bon cœur (chose rare) à toutes les questions que je lui fis
adresser. Il menait ses chameaux à un puits nommé Rebahaya qu’il nous
dit être à _moins_ d’une demi-journée au sud, et il allait fort
lentement.

Nous rencontrâmes plus loin deux voyageurs venant de Ouarglă avec deux
chameaux. Ils nous apprirent que la ville était moins éloignée que nous
ne le pensions et que nous y arriverions facilement demain.

Nous entrâmes ensuite dans un bassin entouré de hauteurs de tous côtés,
et, après l’avoir traversé, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à El-Bouïb
qui, comme le nom l’indique, n’est autre chose que l’endroit où l’on
sort du bassin : c’est sa porte.

Là commence le terrain de Hamāda, remarquable surtout par la nature de
sa végétation rare et rabougrie, réduite à quelques petites touffes de
_bāguel_ et de _sefâr_, et à son sol uni quoique en partie sablonneux.

Nous longeâmes, à une certaine distance, des chaînes de hauteurs que
nous avions sur la gauche et nous nous arrêtâmes avant de les avoir
dépassées. Cette plaine se nomme Sahan-er-Remâda.

La jument n’a plus de _drin_ aujourd’hui ; je lui ai fait ramasser un
certain nombre de touffes de _sefâr_.

                                                             17 février.

Nous avons d’abord voyagé sur la hamāda, longeant la même chaîne de
hauteurs que hier, puis nous sommes entrés dans une immense région unie,
à sol dur, à maigre végétation de _bāguel_ et coupé à de grandes
distances par des chaînes de gour plus ou moins étendues[40].

Après avoir marché longtemps dans cette région, nous finîmes, vers le
déclin du jour, par apercevoir une chaîne de hautes dunes que nous fûmes
obligés de contourner, et, après l’avoir traversée à un endroit aisé,
nous trouvâmes à notre droite une petite oasis de palmiers : nous
venions d’entrer dans le bassin d’Ouarglă.

Cependant il fallut encore une longue marche dans un terrain totalement
dépourvu de végétation, avant d’atteindre les palmiers d’Aïn Beidha à
travers lesquels nous marchâmes quelque temps, ayant à notre droite la
longue oasis de ’Ajāja[41]. — Nous coupâmes ensuite la sebkha qui
entoure Ouarglă et, après des détours le long des palmiers de la ville,
nous y entrâmes par Bab es Soltan au coucher du soleil, lorsque le
mueddin appelait à la prière.

On tarda assez longtemps à venir au-devant de moi, et j’en fis de graves
reproches aux chefs de la ville, avec lesquels du reste j’ai été en
relations très froides pendant le court séjour que j’ai fait à
Ouarglă[42].

On me donna une maison dans une rue appartenant aux Mezabites. C’est une
grande bâtisse un peu en ruines aujourd’hui, mais encore très habitable
et parfaitement appropriée aux besoins d’une grande famille indigène.
Elle a des arcades, mais en moins grand nombre que les maisons du Mezâb.


[Note 13 : Peut-être la peuplade des Mbou, signalée au S.-E. du
Baguirmi, ou plutôt celle des Mboumi, nègres païens des provinces de
Ngaoundéré et de Tibati, Adamaoua. (Cf. Mizon, _les royaumes foulbé du
Soudan Central_, _Annales de Géogr._, 1894-95, IV, p. 355, et Nolte,
_Bericht über einen Besuch beim Sultan von Tibati_, _Deutsches
Kolonialblatt_, 1900, p. 285.)]

[Note 14 : Les Koana de Barth (_Reisen_, t. II, p. 696).]

[Note 15 : Nom d’une région du Kanem septentrional, et d’une tribu du
Bornou occidental. Il s’agit sans doute de la première, car Barth (IV,
p. 35) mentionne les affinités linguistiques de la seconde.]

[Note 16 : Les Makari de Barth.]

[Note 17 : Probablement les Nguizzem de la carte ethnographique de
Nachtigal. (_Völkerkarte von Bornu, Sahara und Sudan_, t. II).]

[Note 18 : Le rayon de ces importations d’esclaves s’étendait donc des
pays bambaras jusqu’au S.-E. du Baguirmi et au Ouadai. Rien ne montre
mieux le prodigieux mélange ethnique opéré par les ventes et reventes
successives de nègres sur les routes du désert.]

[Note 19 : On sait que l’oued Biskra est ordinairement à sec, et que des
sources, qui arrosent la ville, sourdent dans son lit.]

[Note 20 : Voir _Mollusques terrestres et fluviatiles recueillis par M.
Henri Duveyrier et décrits par M. J.-R. Bourguignat_. Supplément aux
_Touaregs du Nord_. Paris, 1864.]

[Note 21 : Température d’après M. Lahache : 45°,8. (_Étude hydrologique
sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p. 26.)]

[Note 22 : Voir, sur ces poissons de l’oued Rir, _Documents relatifs à
la mission Choisy_. III. _Hydrologie du Sahara algérien, par M.
Rolland_, ch. III, p. 270-283. (Paris, 1895, in-4.)]

[Note 23 : _khez_.]

[Note 24 : Température au 22 mars 1861 : 18° C. (_Ville_, _Voyage
d’exploration dans les bassins du Hodna et de Sahara_. Paris, 1868, p.
207.)]

[Note 25 : Il semble y avoir ici une méprise ; _bou choucha_, d’après le
catalogue de M. F. Foureau, p. 10, n’est pas synonyme de _guendoul_, et
désigne diverses espèces de sauge.]

[Note 26 : M. Colombo fut le fidèle collaborateur du Bureau central
météorologique de France pour la station de Biskra.]

[Note 27 : Sur les campagnes de forages artésiens du lieutenant Lehaut,
voir Rapport du colonel Séroka, _Revue algérienne et coloniale_, 1859,
p. 354-372, et Ville, ouvr. cité, p. 295 et suiv. Les trois premiers
sondages de Chegga fournissaient déjà environ 800 litres à la minute.
Celui dont il est question ici fut poussé à 150 mètres et donna 100
litres à la minute. (_Rev. alg. et col._, 1860, III, p. 548.)]

[Note 28 : « Avant le percement des puits artésiens, la plaine
présentait l’aspect désolant du désert ; pas une goutte d’eau. » (Jus,
Notes sur le Sahara, _Rev. alg. et col._, 1859, p. 51.)]

[Note 29 : _Ogla, Oglat_ : réunion de plusieurs puits en un seul point,
où l’eau est très rapprochée du sol (F. Foureau).]

[Note 30 : Rat rayé (_Mus barbarus_).]

[Note 31 : Duveyrier a vu plus tard que les vents variaient avec les
saisons.]

[Note 32 : Les pierres sont des cristaux de chaux. H. D.]

[Note 33 : C’est la première idée qui vienne à l’esprit lorsqu’on aborde
le désert des sables. (Voir les théories analogues, Schirmer, _le
Sahara_, p. 4.) Dans la suite de son voyage, Duveyrier devait changer de
manière de voir : « la source de production des sables la plus
considérable, si ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches ».
(_Les Touaregs du Nord_, p. 38.)]

[Note 34 : Ou Troud. Cf. Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, I, p.
155-156, sur l’origine des Troud et des Adouan, branches de la tribu
arabe des Soleïm.]

[Note 35 : Les Abed d’Ibn-Khaldoun (_ibid._, III, p. 145).]

[Note 36 : Ils arrosent cependant les jeunes plants (voir Vatonne,
_Mission de Ghâdamès_, p. 303, etc.).]

[Note 37 : Draa, mesure de longueur variant de 0m,47 à 0m,67. Ces
mesures sont celles de Tunis. Le _draa-arbi_, en usage pour les tissus
de coton, est de 0m,47 ; il s’agit donc ici d’une pièce de 35 mètres.]

[Note 38 : 1/16e d’once de Tunis. Duveyrier l’a évaluée ailleurs à 31
grammes 8. (Notice sur le commerce du Souf dans le Sahara algérien,
_Revue algérienne et coloniale_, novembre 1860.)]

[Note 39 : C’est, en réalité, un bras de l’ancienne zone d’épandage de
l’Igharghar, devenu presque méconnaissable. Les progrès de la dénudation
en ont fait une simple dépression allongée à sol de _reg_. (Cf. Foureau,
_Au Sahara, mes missions de 1892 et 1893_, carte.)]

[Note 40 : C’est la zone des dépôts rouges tertiaires érodés et nivelés
par les eaux quaternaires, celle que M. Flamand nomme _zone d’épandage_
des oueds Igharghar et Mya, et qu’on appelle d’ordinaire _région des
gour_, du nom des buttes (débris de plateau) qui en émergent.]

[Note 41 : Une des forêts de palmiers d’Ouarglă. Le nom d’Aïn est
réservé ici aux puits artésiens qui les arrosent.]

[Note 42 : Ceci ne doit pas surprendre. Ouarglă avait été à la dévotion
du chérif Mohammed-ben-Abdallah ; soumise une première fois en 1853,
elle avait de nouveau fait accueil au chérif lorsqu’il avait reparu
l’année suivante, si bien que, malgré la défaite et la disparition du
chef insurgé (1854) on avait jugé bon d’y envoyer le général Desvaux
avec une colonne en 1856. En somme, l’oasis obéissait aux nomades, qui,
eux, obéissaient aux Ouled-Sidi-Cheikh, dont la fidélité — exception
faite de Si-Hamza — restait toujours douteuse.]




                              CHAPITRE II

                          OUARGLA ET TOUGOURT


                                                             18 février.

J’ai fait de longues promenades dans Ouarglă. J’ai d’abord visité le
marché, très salement tenu ; il avait à peine de la viande et du grain à
vendre, et aussi un peu de goudron. Les vendeurs étaient des Chaànba et
des gens d’El-Oued.

Ensuite mon faible d’antiquaire m’a fait diriger mes pas vers la kasba,
c’est-à-dire vers le grand espace occupé par les ruines de l’ancien
château des sultans. Cette kasba m’a paru faire une petite ville à
part ; elle avait une porte encore debout comme celles de la ville ; la
distribution des appartements était assez resserrée, et par conséquent
il y en avait des quantités considérables. Tout cela est aujourd’hui
inhabitable, mais peut-être pourrait-on encore en faire le plan.

Les rues d’Ouarglă sont étroites, bordées de maisons hautes comme celles
de l’Oued-Mezăb, avec des portes surmontées et encadrées de grossiers
dessins, ornées quelquefois d’un œuf d’autruche ; enfin on y lit de
petites inscriptions en caractères peu élégants, comme لا اله الا الله
ou bien نصر من الله. La ville possède de nombreux passages voûtés, qui
présentent pour l’été d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du
jour.

Il y a deux mosquées avec leurs minarets ; elles sont peu distantes
l’une de l’autre.

Les trois tribus des Beni Sisin, des Beni Brahim et des Beni Ouaggin se
partagent la ville ; une colonie importante de Beni Mezāb habite le
quartier des Beni Sisin. Cette colonie a un intérêt historique très
grand.

J’ai eu beau m’enquérir avec un soin tout particulier de documents
historiques, partout on m’a répondu qu’il n’en existait aucun. Cette
unanimité dans l’assertion, venant même d’ennemis réciproques, des
exploitants et des exploités, me fait croire qu’elle n’est que trop
vraie.

J’ai vu Mouley ’Abd-el-Kader, le fils du dernier Sultan d’Ouarglă ;
c’est un jeune homme incapable de gouverner et d’un caractère frisant
l’inanité d’esprit.

Dans mes promenades, je me suis vu interpeller de but en blanc pour
demander justice des exactions sans nombre des « marabouts[43] »
secondés par les cheikhs et les kaïds qui partagent le profit. Ces
désagréables discours m’ont été tenus plus d’une fois. On m’a, de plus,
apporté deux écrits anonymes, contenant des plaintes formulées, en me
priant de les faire parvenir au « maréchal[44] ».

La population d’Ouarglă est de couleur plus que basanée ; les Khammâmès
ou cultivateurs sont aussi noirs que des nègres du Haoussa ; les gens de
sang noble sont quelquefois plus blancs, mais pas toujours, car j’en ai
vu qui ressemblaient presque à des nègres. Les Beni Ouarglă conviennent
eux-mêmes que leur couleur vient des nombreuses négresses qu’ils ont
prises autrefois et prennent même encore maintenant[45].

On me dit qu’il vient ici des caravanes de Rhât, de Goléâ, d’Insâlah.

Dernièrement (il y a peu de jours), les grands de Goléâ, entre autres
Bel-Lechheb, sont venus auprès de Sidi-Zoubir. Maintenant le marabout
est à Metlili ; je serais curieux de savoir pourquoi.

Il paraît que Sidi-Zoubir[46] « mange » le pays, exige des impôts
extraordinaires et une dîme sur tous les produits du pays. Ces
différentes contributions sont, bien entendu, pour son propre compte.
Plusieurs familles d’Ouarglă ont émigré à Tunis, pour ce motif.

                                                             19 février.

Nous avons quitté Ouarglă dans la matinée avancée, parce que j’ai
employé plusieurs heures à écrire des lettres.

En quittant la ville et après avoir traversé la sebkha, moins grande et
moins déterminée de ce côté que de celui où nous étions arrivés, nous
prîmes notre direction à travers une plaine légèrement accidentée, avec
végétation de _zeita_, et nous longeâmes, à 4 ou 6 kilomètres de
distance, un grand drâ[47] qui va jusqu’à Negousa.

La nature du pays traversé ne changea qu’en ce que le sol s’aplanit et
que la végétation cessa presque entièrement.

Arrivé à Negousa, j’appris d’abord du kaïd, fils du dernier sultan et
sultan lui-même, que les chroniques de la ville avaient été emportées
lors de la destruction de la ville, il y a cinq ans, par Mohammed ben
Abd Allah[48].

Pendant que l’on dressait les tentes, j’ai fait un tour dans la ville,
qui est presque entourée de ruines. On rencontre, presque en entrant,
des ruines remarquables d’une mosquée, dont toute une partie, avec de
hautes colonnes, est encore debout. Je traversai un grand nombre de
rues, presque toutes soutenues par des arcs-boutants.

Je vis la kasba, où l’on travaillait à crépir les murs. Elle renferme
dans des constructions antérieures plusieurs maisons dont se sert le
kaïd. — Du reste, elle est assez bien tenue et appropriée à la grandeur
de la ville.

Je vis de loin une zaouia à minaret et dôme blanchis, d’un effet fort
élégant. Ce soir, on y fait de la musique, ou, pour parler plus net, on
répète deux notes sur une timbale, depuis au moins deux heures.

Les grands de la ville m’ont paru assez convenables.

A mon retour ici, je me livrerai à des études de détail.

J’ai trouvé, à Negousa, deux choses agréables : d’abord un cheval déjà
âgé, mais plein de feu et de fantasia, et très haut de taille ; je l’ai
échangé contre ma jument en ajoutant 75 fr. Ensuite j’ai trouvé un
Chaànba qui connaît le désert entre Ouarglă et Insalah, comme je devrais
connaître Paris et qui s’offre à me mener à Insalah moyennant 50 à 60
douros. Nous n’irions que sur le Baten[49], et de là, avec ma lunette,
je pourrais voir Zaouïa[50], le premier village du Tidikelt, qui n’en
est éloigné que de deux journées.

                                                             21 février.

Ce matin, le kaïd vint me rendre visite ; il me fit apporter de nouveau
du lait, des dattes et deux poulets. Je le congédiai avant mon départ,
craignant de faire sur mon nouveau cheval un peu plus de fantasia que je
ne le voulais.

Tout se passa heureusement. Je partis de Negousa un peu tard, et fis
d’abord route dans un vaste espace de terrain, sablonneux, parsemé de
palmiers isolés et de petites plantations. Nous entrâmes ensuite dans un
terrain alternant de la _heicha_ ou petit bois taillis, à sol solide
légèrement sablonneux, à la _sebkha_ ou marais salant à sec, avec
végétation de broussailles isolées.

Les plantes dominantes furent : la _zeita_, le _dhomrân_, le _tarfa_ et
le _belbâl_.

Nous avions, à une certaine distance à gauche, les chaînes d’élévations
qui séparent cette région de la hamâda ; je pus distinguer à peine, vers
la fin du jour, les embouchures de l’Oued-Mezāb et de l’Oued-Nesa qui
viennent aboutir ensemble dans une sebkha qui nous apparaissait
blanchissante en deçà des collines[51]. Le brouillard causé par le vent
qui soulevait le sable et la poussière dans cette direction ne me permit
pas de bien comprendre le détail de ce point intéressant.

Nous arrivâmes, vers 3 heures de l’après-midi, au puits de
’Araïfdji[52], où nous campâmes ayant devant nous la zone de dunes qui
portent le même nom que le puits.

J’appris de mes guides que l’on ne perçait plus de puits artésiens à
Negousa et à Ouarglă, à cause de la dureté du sol à une certaine
profondeur[53]. Les sources existantes sont fort anciennes, on se
contente de les nettoyer. D’un autre côté, on me disait à Ouarglă qu’un
des tributs qu’exigeait Sidi-Zoubir était le forage d’une source chaque
année.

Un de mes guides fut envoyé, il y a quelques années, par Sidi-Hamza à
Insalah. Le maréchal Randon avait désiré avoir des Touaregs à Alger[54],
et on envoyait une lettre de Sidi-Hamza pour faire les invitations chez
les Touaregs Hogar. La lettre fut portée par quelques Chaànba d’Ouarglă.
Ils suivirent le cours de l’oued Miya, trouvant de l’eau en quantité
dans les _rhedir_. C’était à l’époque de la maturité des dattes. A
Insalah ils furent reçus par les deux grands de la ville, le hadj Abd-
el-Kader et le hadj Mohammed, qui leur demandèrent s’ils étaient venus
comme _mîâd_ (en ambassade) ou comme marchands. Ils répondirent qu’ils
étaient venus pour faire du commerce. Mais lorsqu’ils montrèrent leur
lettre, hadj Mohammed entra dans une violente colère, menaça de tuer
Sidi-Hamza si jamais il venait à Insalah, « parce qu’il avait osé lui
envoyer une lettre des Français » ; il finit par dire qu’il tuerait les
six Chaànba qui avaient apporté la lettre. Les Chaànba s’excusèrent
habilement, en arabe, et dirent qu’ils n’étaient que porteurs d’une
lettre dont ils ignoraient le contenu. Ils échappèrent ainsi.

Je rapporte ce fait pour prouver quels sont les sentiments des gens
d’Insalah à notre égard.

                                                             21 février.

Nous traversâmes d’abord la zone des dunes d’’Araïfdji, à sa pointe
orientale, puis nous entrâmes dans une région passant de la _heicha_ à
la _hamâda_, avec végétation de _halhâl_, _àlenda_ et _dhomrân_. Cette
plaine, assez unie d’abord, était coupée de chaînes de hauteurs (_drà_,
_gour_, etc.) ; le brouillard intense qui cachait tout à peu de distance
de nous, à cause du sable et de la poussière que le vent soulevait, a
peut-être nui à l’exactitude de mes notes topographiques pour ce qui
concerne les hauteurs un peu éloignées.

Nous rencontrâmes de nombreux affleurements circulaires de calcaire
blanc, absolument semblables à ceux qui m’avaient frappé à mon entrée
dans le Sahara, sur la route de Biskra à l’Oued-Mezăb. — Nous dépassons
deux témoins (_gour_) presque entièrement composés de pierre à Jésus
feuilletée ; le sol au bas est jonché de calcaire blanc et noir et de
morceaux de silex, ou plutôt de quartz compact ou pétro-silex.

Nous voulions passer le puits de Mâmar pour camper plus en avant, mais
un des chameaux qui boitait considérablement depuis le matin,
s’accroupit ici et on vit bien qu’il ne pouvait guère aller plus loin.
Nous restâmes donc au Hassi-Mâmar, près duquel croissaient des tamarix
d’une espèce à petites fleurs roses et blanches charmantes. Un des
guides partit pour voir s’il ne trouverait pas des Arabes qui lui
prêteraient un autre chameau.

Nous campons par un vent terrible dans du sable, de sorte que tous les
objets sous la tente en sont couverts en moins de rien. Pour la première
fois, on est obligé de faire la cuisine dans la tente.

                                                             22 février.

Je résolus aujourd’hui d’atteindre Blidet-Amar à quelque prix que ce
fût. Nous partîmes de bonne heure avec un nouveau chameau qu’un des
Chaànba avait été chercher. Nous voyageâmes rapidement dans une contrée
alternativement de sable et de sebkha. Nous arrivâmes après une courte
marche au Hassi-Sidi-Messaoud, mais ne nous y arrêtâmes pas.

Nous longeâmes ensuite de loin des hauteurs nommées Merguet, du nom
d’une petite sebkha toute blanche de sel qui apparut bientôt sur la
gauche.

Nous vîmes de même, sans nous y arrêter, le petit pâté de dunes nommé
Areg-ed-Demm.

Notre marche fut très longue, et le pays parcouru n’offrit qu’un intérêt
médiocre. La végétation alternait toujours du _zeita_ au _belbâl_, au
_drin_ et aux autres plantes des sables ou de sebkha que nous avions
rencontrées auparavant.

Enfin, vers la fin du jour, nous aperçûmes au loin sur la gauche les
hauteurs appelées El-’Anât que j’ai relevées sur ma route de Guerâra à
Tougourt. Ce ne fut qu’après le coucher du soleil que nous touchâmes les
plantations de l’oasis de Berrâri et lorsque nous arrivâmes aux murs de
Blidet-Amar la nuit était déjà venue.

Le cheikh que je fis venir dans ma tente ne me parut pas plus zélé qu’il
ne fallait, mais j’avais peu besoin de lui. Cependant il m’apporta, sur
ma demande, des œufs, du lait et de la paille pour mon cheval.

Je remarquai pendant le court séjour que je fis à Blidet-Amar (je ne
suis pas entré dans la ville), que les murs en « toub[55] » des maisons
isolées, situées hors des murs pour recevoir les Arabes nomades à
l’époque de la récolte des dattes, sont remplis de coquilles des deux
espèces de petits gastéropodes que j’ai déjà observés dans les eaux
artésiennes de Tougourt et du nord de l’Oued-Righ.

                                                             23 février.

Aujourd’hui, à mon grand désespoir, je trouve la montre de M. Colombo
arrêtée et tout à fait dérangée.

Je partis de bonne heure tout seul, laissant ma tente et mes effets en
arrière ; quoique le soleil fût déjà à une certaine hauteur au-dessus de
l’horizon, je fis tant galoper et trotter mon cheval que j’arrivai à
Tougourt une heure avant le déjeuner, c’est-à-dire vers 9 h. du matin.

Mon cheval était tout couvert d’écume, et le kaïd qui fut, avec M.
Guillemot, la première personne que je rencontrai, me mena tout de suite
dans sa maison ; il fit mettre le cheval à l’écurie et me présenta au
capitaine Canat.

Mon courrier est assez considérable et très bon en somme. Je reçois
entre autres une lettre de mon excellent maître et ami le Dr Fleischer
qui me requiert formellement de comparer les différents dialectes
berbères avec les langues égyptiennes. Je ne manquerai pas de le
faire[56] ; cela aura deux résultats : 1o de m’indiquer des faits pour
la classification des langues berbères ; 2o des faits pour déterminer
l’âge relatif des différents dialectes.

Je reçois de M. de Dalmas, chef du cabinet de l’empereur, des lettres de
recommandation du Bey de Tunis pour les différents kaïds et aghas de son
gouvernement. Comme, d’autre part, je ne puis espérer recevoir mon
chronomètre que vers le commencement d’avril, époque du retour du
capitaine Langlois à Biskra, je me décide à entreprendre dans le sud de
la Tunisie, un voyage de vingt jours à un mois.

Mon bagage arrive, et je fais planter ma tente à la porte de la kasba.

                                                             24 février.

Nous employâmes notre après-midi, M. Auer, un lieutenant de la légion,
et moi, à faire une partie de chasse _dans_ la Chemorra. — La Chemorra
est une vaste dépression couverte de marécages qui s’étend à l’est des
plantations de Tougourt et vers le nord.

Nous parcourûmes un des marais de la Chemorra ; nous avions, par
endroits, de l’eau jusqu’à mi-jambe, dans d’autres nous marchions
presque à sec ; enfin, lorsqu’il fallait traverser de nombreux fossés
profonds qui sillonnent les marais en divers sens, c’est à peine si de
vigoureux élans pouvaient nous les faire franchir ; nous échouâmes
chacun à notre tour, de manière à nous mettre dans l’eau jusqu’à la
ceinture.

Je dirai d’abord que notre chasse eut peu de succès ; les canards de
Barbarie qui étaient le but de notre course, se levèrent à un kilomètre
environ et ne revinrent plus. Les chiens furent mis en défaut par deux
chats sauvages qui nous échappèrent. Ces animaux sont gris avec des
raies noires ; ils sont un peu plus gros qu’un chat domestique et ont
établi leur fort dans les touffes de broussailles et de roseaux des
marais ; ils ne craignent pas l’eau, à en juger par leurs retraites
quelquefois entourées de fossés qu’ils sont obligés de traverser, et par
les nombreuses flaques d’eau qui les environnent. Ces chats viennent la
nuit dans les jardins ; ils cherchent leur pâture dans les basses-cours,
et en automne, dans les couches de melons et de pastèques. — J’espère
pouvoir m’en procurer un avant mon départ de ces contrées.

Les autres animaux des marais sont des flamants de deux espèces, me dit
M. Auer ; des bécassines, des sarcelles, des alouettes, des hérons, des
bergeronnettes, enfin un tout petit oiseau qui a la langue
prodigieusement longue.

Il y a des poissons dans les fossés et dans les mousses aquatiques et
conferves vivent les deux espèces de petits gastéropodes de Tougourt ;
les mélanies y sont aussi, dit Auer, mais je ne les ai pas trouvées. —
Il y a aussi quelques coléoptères d’eau et des libellules. J’oubliais
les cousins et les moustiques. Les cousins font une piqûre douloureuse,
les boutons qui en résultent enflent prodigieusement et gênent beaucoup.
Je suis revenu couvert de leurs piqûres au front, aux yeux, aux joues,
aux mains, jusqu’aux mollets. Le tout a été traité à l’eau sédative.

Le sol des marécages se couvre, lorsqu’il se dessèche, de concrétions de
sels, dans le genre des pétrifications qui entourent les sources à
dépôts calcaires.

La végétation du sol se compose de tamarix, quoiqu’en petit nombre, et
d’une quantité de plantes dans le genre du _baguel_ et du _belbāl_, mais
beaucoup plus grosses et juteuses ; ce sont des plantes grasses
articulées. — Il y a, en grandes quantités aussi, des joncs qui arrivent
aux genoux et qui se terminent par une pointe qui abîme les jambes dans
la marche. — L’eau contient un assez grand nombre de mousses aquatiques
et de conferves (?).

Pour ce qui concerne les fièvres si renommées de Tougourt, elles
arrivent deux fois par an et durent chaque fois un mois ; les moments du
fléau sont les mois de mai et d’octobre. Déjà, dans le mois d’avril, il
y a sept jours de fièvre[57]. A l’époque des fièvres, les fossés qui
entourent la ville et toutes les eaux stagnantes des oasis prennent une
couleur chocolat qui approche même de la couleur sang[58]. C’est le
signal de l’arrivée de la fièvre. Alors on lâche deux fois par semaine
les eaux des saguias dans les fossés qui entourent Tougourt, les
habitants préfèrent renouveler ainsi l’eau de ces fossés et laisser
leurs palmiers manquer un peu d’eau. Si on ne prenait pas cette
précaution, les fièvres seraient beaucoup plus graves[59].

Depuis trois mois que les hommes de la légion et du génie sont à
Tougourt, les santés se sont maintenues bonnes ; il n’y a eu qu’un petit
nombre de diarrhées aisées à guérir. Ces diarrhées tiennent du reste aux
eaux du pays[60] ; moi-même j’en ressens l’effet toutes les fois que je
passe ici, et Auer, qui est cependant le doyen de l’endroit, me dit être
dévoyé à état permanent. Lorsqu’il éprouve des échauffements
(relativement parlant), sa santé s’en ressent.

                                                             25 février.

Aujourd’hui le courrier est arrivé. Je suis resté à la kasba pour
l’attendre, et j’ai profité de ce repos pour écrire toutes mes lettres.
La seule chose intéressante de la journée est que, vers le milieu du
jour, le caporal Dhem vint me trouver me disant qu’il y avait sur la
terrasse une négresse qui donnait des coups de couteau sur la tête de
son enfant.

Je montai et trouvai en effet une des négresses qui se sont réfugiées
chez Auer, tenant son enfant d’un mois devant elle et le dorlotant pour
l’empêcher de crier ; il avait le long du front, à la naissance des
cheveux, cinq ou six incisions qui lui couvraient la tête de sang. Je
demandai à la mère ce qu’elle lui faisait, elle me dit que c’était un
préservatif contre les maux d’yeux. Elle se préparait à faire encore
deux incisions au bas des reins, mais je m’y opposai et j’emportai le
rasoir.

                                                             26 février.

Encore aujourd’hui je suis resté à la kasba, à faire des observations
pour corriger celles d’Auer, et à finir ma correspondance.

Ce n’est que vers le soir que nous sommes partis pour la chasse, nous
trois chasseurs ; il s’agissait d’abattre quelques courlis (?), oiseaux
qui se tiennent dans les sables aux environs de la ville et qui courent
avec une vitesse extraordinaire. Nous ne pûmes pas les approcher ; de
mon côté, je tuai deux petits oiseaux (alouettes du Sahara), sans huppe,
à couleur pâle, une raie noire près du bord des ailes lorsqu’elles les
étendent ; le bec est fort long.

Je cause avec un Targui des Kelrhela (Hogar) de qui j’obtiens des
documents itinéraires.

                                                          27-28 février.

J’ai été dans les jardins pour observer la température des puits[61].

J’entends parler aujourd’hui pour la première fois d’une singulière
maladie des nègres. Il paraît que certains d’entre eux sont sujets à des
jours de folie ou de lunatisme, pendant lesquels ils font toutes sortes
d’excentricités[62]. On appelle cela Moulā Rās en Haoussa, « bōri ou
bōli » et encore « ébĕlīs ». J’apprends encore que les musulmans y sont
sujets. Même ceux de ce pays-ci.

Nous faisons une grande promenade à cheval en tournant les plantations
au nord et redescendant de l’autre côté de la Chemorra. Nous sommes
obligés pour cela de traverser une partie de l’oued Righ, dépression qui
à cet endroit a le caractère de sebkha, mais de sebkha peu saline. Les
cartes du bureau arabe ont été assez bien faites à cet endroit ; il faut
absolument représenter cette dépression sur la carte, mais ne pas la
laisser confondre avec un lac.

Nous voyons de nombreux canards, même un flamant isolé.

                                                             29 février.

Je reste la matinée à Tougourt et déjeune encore avec Auer et la
compagnie, mais j’avais eu la précaution de faire mes adieux la veille.
Cependant le kaïd vient à cheval au moment du départ et veut à toutes
forces m’accompagner un peu. Je lui dis adieu à la porte de la ville.
Cette fois, il paraît avoir fait de grands frais de recommandations à
mon sujet. Il s’est mis entièrement à ma disposition.

Nous partons, et laissant un peu à droite deux des villages qui
entourent Tougourt, nous passons entre les _deux_ forêts de palmiers, et
traversons les marais de la Chemorra dans leur largeur. Peu après, nous
entrâmes dans une zone de dunes peu élevées, qui nous conduisit dans un
« oued » ou plaine assez unie appelée Oued-es-Sédīri. Comme nous étions
partis tard et que cette plaine est assez vaste, je me décidai à planter
la tente de bonne heure pour donner le temps à la viande de bœuf de
cuire.

La plante qui couvre les endroits à sec de la Chemorra se nomme
_rhodhdhām_[63] ; elle fleurit au printemps, et j’attends mon retour
pour en prendre un échantillon.

Ce matin, j’ai sorti mon thermomètre étalon, et j’ai fait des
comparaisons avec mon thermomètre fronde 207 et le thermomètre à alcool
d’Auer.


[Note 43 : Les Ouled-Sidi-Cheikh.]

[Note 44 : Le maréchal Randon, gouverneur de l’Algérie de 1852 à 1858.]

[Note 45 : Duveyrier n’a donc discerné, à cette époque, aucun type
spécial à cette population. L’idée d’une race autochtone foncée, dite
« garamantique », ne lui est venue que plus tard. (Voir _les Touaregs du
Nord_.)]

[Note 46 : Si-Zoubir-bou-Bekr, le plus jeune frère de Si-Hamza, chef des
Ouled-Sidi-Cheikh. D’abord partisan du chérif, il s’était rallié à son
frère (décembre 1853 et avait été investi (février 1854) du khalifalik
d’Ouarglă (comprenant les cinq caïdats d’Ouarglă-Ngoussa, des Mekhadma,
des Saïd Otba et des Chambba-bou-Rouba), sous la suzeraineté de Si-
Hamza, nommé commandant du Sud. (_Mémoires du maréchal Randon_, Paris,
1875, I, p. 163-173). Mais Si-Hamza était loin, et Si-Zoubir le vrai
maître du pays.]

[Note 47 : Drâ, « chaîne de collines et surtout de dunes, peu épaisse,
assez longue ». (Foureau.)]

[Note 48 : Sur les origines du Chérif, voir les _Lettres familières sur
l’Algérie_ (2e édit. Alger, 1893, p. 214-242) du colonel Pein, qui fut
lui-même un des plus vaillants acteurs de la conquête de l’Extrême-Sud.]

[Note 49 : Faîte du plateau de Tademayt.]

[Note 50 : Zaouïa Moulaï Heïba.]

[Note 51 : La sebkha Safioun, partie de la zone d’épandage de l’Oued-Mya
(Rolland, Rapport hydrologique, _Documents relatifs à la mission
Choisy_, t. III, p. 18).]

[Note 52 : Profondeur, 2 mètres. — Température, 15°,2 à 15°,25 (Note de
H. Duveyrier). C’est l’Arefigi de M. Lahache. (Voir l’analyse des eaux,
_Étude hydrologique du Sahara français_. Paris, 1900, p. 103.)]

[Note 53 : Sur l’outillage incroyablement primitif des indigènes voir le
colonel Pein (ouv. cité, p. 29-38) qui en parle comme témoin oculaire.]

[Note 54 : Les mémoires du maréchal Randon ne signalent pas cette
tentative. Ils mentionnent seulement les négociations plus heureuses de
Si-Hamza avec les Touaregs Azdjer, qui furent la cause première de
l’envoi du capitaine de Bonnemain à Ghadamès et de l’interprète Bou-
Derba à Ghât. Ces négociations remontent à 1855-1856 ; l’idée première
de nouer des relations avec les Touaregs remonte à 1853. (Randon,
_Mémoires_, I, p. 250-255, 448.) Le maréchal se promettait beaucoup du
commerce du Sud. Voir, comme contre-partie, le récit humoristique du
colonel Pein, ouv. cité, p. 484-488. Sur Si-Hamza lui-même, voir A.
Bernard et N. Lacroix (_Historique de la pénétration saharienne_, Alger,
1900, p. 21, 37), qui citent une lettre inédite du général Durrieu
relative au projet de mission à Insalah.]

[Note 55 : Briques simplement séchées au soleil.]

[Note 56 : Duveyrier, atteint d’une grave maladie à son retour, n’a pu
s’acquitter de cette partie de sa tâche.]

[Note 57 : D’après le Dr Sériziat, dès les premiers jours d’avril.
(Histoire médico-chirurgicale de la colonne du Sud, _Bull. de la Soc.
Algérienne de Climatologie_, 1871, p. 41.)]

[Note 58 : M. Lahache a donné l’explication de cette teinte sanguine.
(_Étude hydrologique sur le Sahara français oriental_. Paris, 1900, p.
54.)]

[Note 59 : Il est démontré aujourd’hui que l’insalubrité est en raison
directe de l’étendue des bas-fonds alternativement remplis d’eau
saumâtre et asséchés. A Tougourt, où les fossés ont été presque tous
comblés par l’administration française, « le nombre des cas de fièvre a
beaucoup diminué ». (Dr Weisgerber, Observations sur les conditions
sanitaires, _Doc. Mission Choisy_, t. III, p. 473-475.)]

[Note 60 : Presque toutes les eaux du Sahara algérien sont chargées de
sulfates de chaux et de magnésie ; celles des puits artésiens de
Tougourt, qui ont donné à l’analyse de 3 à 4 grammes de sels anhydres
par litre, ne sont ni les plus minéralisées, ni les plus nocives, mais
contiennent toutefois une forte proportion de sulfate de chaux. (Voir
Weisgerber, rapport cité, p. 480, et Lahache, ouv. cité, p. 48, 71.)]

[Note 61 : Ces observations ont été publiées dans _les Touaregs du
Nord_, p. 113.]

[Note 62 : Voir _Touaregs du Nord_, p. 436.]

[Note 63 : Nom inconnu. Faut-il lire Gueddâm, _Salsola vermiculata_ ?]




                              CHAPITRE III

                   DE TOUGOURT AU DJERID PAR LE SOUF


                                                          1er mars 1860.

A peine voulions-nous partir ce matin, que le chameau qui portait les
cantines, et qui est très timide, effrayé par quelque chose, prit tout à
coup le galop, et après quelques instants de résistance, les cantines
volèrent en l’air, une des chaînes s’étant cassée. Les caisses
retombèrent sens dessus dessous à mon grand crève-cœur. — Après avoir
procédé à l’ouverture des cantines, je trouvai deux flacons vides
cassés, une bouteille de vin et un grand flacon d’eau sédative dans le
même état. Le dégât causé par cet accident est assez grave, mon sucre
est presque entièrement perdu, et beaucoup de linges et de livres sont
plus ou moins tachés. De plus, je perds deux flacons précieux pour
mettre des objets d’histoire naturelle.

Le chamelier à qui appartient le chameau, et qui avait insisté pour
qu’on lui confiât les cantines malgré les observations d’Ahmed, aura une
bonne amende en arrivant au Souf.

Après ce retard, nous nous mîmes en marche, et traversâmes
alternativement des zones de dunes et des _oueds_. La végétation se
composait d’_alenda_, _zeita_, _sefār_, _drīn_, _lebbîn_ et _arta_.

Nous arrivâmes dans l’après-midi aux puits de Mouia Ferdjān[64]. Ils
sont au nombre de trois et entourés chacun d’un petit mur en maçonnerie
pour empêcher que les sables ne les comblent. L’eau de ces puits, de
celui de l’est en particulier, est très bonne et a une température assez
basse.

Nous ne nous arrêtâmes aux puits que le temps d’abreuver mon cheval et
de remplir les outres, et nous continuâmes encore un peu dans un pays
semblable à celui que nous avions laissé derrière nous. — Nous campâmes
de bonne heure, pour les mêmes raisons culinaires que la veille.

                                                                 2 mars.

Nous continuâmes de voyager dans une contrée alternant de l’oued aux
dunes, et passâmes notamment plusieurs de ces dernières, comme Sif
Soltan, Sif er Retem et Sif el Lehoudi. Nous déjeunâmes dans l’oued
Nàīma.

Ensuite nous traversâmes un pays où les dunes devenaient de plus en plus
hautes. En route nous rencontrâmes trois spahis venus d’El-Oued et se
rendant à Tougourt ; ils vinrent tous me serrer la main, nous
échangeâmes les nouvelles et partîmes chacun de notre côté. Nous
rencontrâmes ensuite des gens du Souf venus avec des chameaux pour
ramasser du bois et du drin, ces deux objets manquant dans les dunes
plus près de leur pays, là où la consommation en était facile.

Nous arrivâmes enfin à Ourmās, plantations de palmiers et jardins
_creusés_ dans les sables. On y voit un assez bon nombre de maisons et
nous y remarquâmes quelques habitants, quoique ce ne soit guère qu’en
automne que cet endroit soit habité à cause des fruits et des dattes. Au
moment de quitter Ourmas, Ahmed me fit remarquer trois petits dômes de
maçonnerie émergeant du sable ; il me dit que c’était le toit d’une
maison qu’il avait vue avant que les sables ne l’eussent ensevelie.

De là, après avoir traversé une zone de hautes dunes, nous entrâmes dans
un terrain plus aisé, et atteignîmes bientôt Kouinin.

Le cheikh nous reçut bien, nous donna sa maison, et comme j’y entrai
avant que la famille ne l’eût quittée, je pus voir deux dames d’une
beauté incontestable et une négresse toute réjouie qui n’avait
probablement jamais rien vu d’aussi extraordinaire que ma personne et
mon bagage. Le tout annonçait une certaine civilisation et un vrai bien-
être. La maison et le mobilier répondaient parfaitement à la figure des
femmes et à leur habillement.

Après un bon dîner, je me mets en poste d’observation avec l’intention
de faire de bonnes observations astronomiques. — Le vent qui avait cessé
au coucher du soleil et qui a repris depuis me gênera probablement.

Je vois, à mon grand regret, que la lunette de mon sextant est
insuffisante pour me permettre d’observer des occultations, du moins
quand la lune est aussi brillante[65].

                                                                 3 mars.

Kouinin est bâti tout à fait comme Guémār ; c’est-à-dire que les cours
des maisons sont entourées d’appartements réels, et qu’on n’y voit pas
de tente au milieu comme à El-Oued, c’est-à-dire le nomadisme luttant
contre l’état sédentaire. Les murs varient de hauteur depuis l’épaule
d’un homme jusqu’à sa tête ; les dômes, etc., ne sont ni égalisés ni
crépis, de sorte que le tout n’offre pas un spectacle de propreté ni
d’élégance.

Au moment du départ, on cria que le khalifa était arrivé et, en effet,
je vis déboucher au bout de la rue plusieurs cavaliers. Nous allâmes au-
devant les uns des autres, et mîmes pied à terre à distance respectueuse
pour venir nous prendre la main et nous informer de nos précieuses
santés. Car telle est la règle.

Ceci fit que je fus obligé de partir pour El-Oued sans faire le levé de
la route, car à cheval et du pas où nous allions, il ne fallait pas y
penser.

J’appris que le khalifa retenait une caravane très nombreuse pour me
faire passer au Djérid en bonne compagnie.

Je passe la journée à écrire des lettres qui partent aujourd’hui même
pour Tougourt. Je mets mes itinéraires au courant ; dessine un peu et
fais des observations.

                                                                 4 mars.

Ma journée n’a pas été heureuse. J’ai eu le malheur de casser mon
dernier baromètre Fortin, cependant je pourrai le raccommoder dès que
j’aurai des tubes. Cela n’en est pas moins très fâcheux, vu que les
notes barométriques devaient être un des résultats les plus intéressants
de mon voyage[66].

Je passe la matinée à finir de copier au net l’itinéraire de l’Oued-Righ
ici.

Il arrive une caravane du Djérid qui donne les meilleures nouvelles ; il
en était venu une hier encore.

Je fais encore acheter par Ahmed différentes choses qui me manquent, et
je m’amuse à décrasser un certain nombre de monnaies romaines et
semblables que je me suis procurées ici. Elles courent comme les
« felous[67] » de Tunis.

Presque toutes sont très petites. Les principales sont de Constantin ;
d’autres portent des figures de souverains avec une couronne ressemblant
aux couronnes les plus primitives du moyen âge ; enfin j’en ai où l’on
reconnaît l’éléphant et le palmier et qui doivent venir de Carthage.
Outre cela, il y a des médailles avec des figures de saints, des anges
ailés, etc., etc., qui doivent avoir une origine chrétienne, et étaient
frappées pour accomplir un vœu, comme l’une d’elles paraît me le
prouver.

Ces médailles sont trouvées dans les ruines de Besseriani[68] et de
_Hēdra_[69] principalement.

Le soir, je vais voir trois noces. La première était à une tente dans
les sables à l’ouest de la ville. La mère du marié vint nous faire ses
excuses en nous disant que ce n’était qu’une petite fille et que, par
conséquent, on n’avait pas voulu avoir une grande fête. Cette petite
fille venait de se sauver de chez ses parents pour se réfugier dans la
tente de l’homme qu’elle aimait. On dit que demain elle sera donnée
légalement. C’est bien le moins lorsqu’il n’est plus possible de la
reprendre.

Les autres noces avaient plus d’apparat, je veux dire de bruit. Les
femmes sont rassemblées dans une cour, quelquefois en cercle et tournant
le dos, d’autres fois la figure découverte et de face. Elles
bredouillent quelques chants presque inintelligibles et font you-you aux
jeunes gens qui viennent avec beaucoup d’embarras tirer un coup de fusil
dans le sable à côté d’elles. Quelquefois les Messieurs se préparent à
la décharge par une sorte de pas (de danse) tout à fait curieux, et qui
imite le pas de la danse arabe au commencement de l’exercice.

Du reste, les femmes et les hommes ne se parlent pas. Si (et cela
arrive) une des femmes invitées a un _amant_, celui-ci vient à la fête
faire le plus de bruit qu’il peut pour se montrer dans son plus beau
jour. En revenant, je rencontrai des bandes de jeunes gens chantant en
chœur toujours la même complainte et le plus fort qu’ils pouvaient, pour
être entendus des femmes dans les maisons. — Je remarquai que ceux qui
se distinguaient le plus à la noce étaient pour la plupart de fort
jeunes gens.

Le puits est ici l’endroit des intrigues et des amours. Quand un homme
va au puits pour abreuver son cheval, et il choisit alors un puits d’eau
excellente situé dans les dunes hors de la ville, son amie choisit aussi
ce moment pour aller y puiser l’eau et ils se voient de cette manière.
Du reste, l’amant choisit toute occasion opportune. Son amie est-elle
mariée ? il saisit le moment où le mari va au marché, aux plantations,
etc... Les amants de ce pays ne peuvent pas manger l’un devant l’autre :
ils doivent paraître fuir la nourriture.

                                                                   mars.

Comme tous les jours de départ, ce matin ne fut pas très gai à passer ;
c’étaient des oublis, des ordres, des contre-ordres à n’en plus finir.

Enfin, lorsque tout fut prêt de mon côté, on s’aperçut que la caravane
d’El-Oued n’était pas encore tout à fait prête à partir. Je n’en voulus
pas moins partir immédiatement, et le khalifa ainsi que deux ou trois
autres notables montèrent à cheval pour me faire un peu la conduite.

Nous partîmes par le quartier des Oulad Hamed et entrâmes immédiatement
dans les dunes et les « Ghitan », c’est-à-dire jardins de palmiers
creusés dans le sable. Quelques-uns de ces « ghitan » étaient tellement
profonds, que le faîte des palmiers hauts de 15 à 20 mètres n’atteignait
que la hauteur de mon épaule ou de ma tête (moi étant sur la route).

Le vieux cheikh qui accompagnait le khalifa, proposa au moment de la
séparation de réciter la « fātĭha », mais le khalifa fit semblant de ne
pas comprendre ou espéra peut-être que je n’avais pas fait attention à
la proposition. Du reste, je tiens peu aux _fātĭha_ et aux bénédictions,
mais, si j’y tenais, j’aurais peut-être préféré celle-là à d’autres.

Après nous être quittés, nous entrâmes dans un océan de dunes dépourvues
de toute végétation, nous avions laissé les jardins derrière nous. —
Nous touchâmes bientôt à un four à chaux primitif ; on extrait la pierre
à chaux sur place. C’est le même type de plâtre ou de calcaire friable,
saccharoïde, que j’ai observé la première fois à Chegga du Sud.

Près de là je trouvai un peu de _lebbīn_, euphorbiacée qui croit
volontiers dans les intervalles des dunes. Je fus surpris de rencontrer
aussi deux ou trois papillons, qu’il fallut renoncer à attraper.

Après une marche assez longue dans les sables, nous entrâmes dans un
terrain uni et arrivâmes bientôt au puits de Tĕrfāoui au nord duquel il
y a une petite ligne de jardins où l’on cultive principalement des
oignons, mais où l’on paraissait tenter la culture du palmier. Deux
individus étaient en train de ramasser les crottes de chameaux pour les
enfouir autour du pied des jeunes plants.

De là nous reprîmes les dunes et eûmes de nouveau une longue et
ennuyeuse marche à fournir avant d’arriver au Sahēn, sorte de plaine
unie au milieu de laquelle est situé le puits du même nom où devait se
réunir la caravane. Nous trouvâmes déjà campés depuis hier au soir de
nombreux voyageurs comptant 60 fusils ; plus tard, dans la soirée, la
caravane d’El-Oued nous rejoignit. Je plantai ma tente près du puits
entre les deux caravanes. Un cheikh de Kouinin et un domestique du
khalifa attendaient mon arrivée ; aussitôt qu’ils se furent assurés que
j’avais rejoint la caravane, ils repartirent pour coucher à Djebīla[70].

Cette caravane est la première que j’aie vue aussi grande et aussi
complète. Il y a des Souāfa, des gens du Djérid, des Ghadamsia[71],
etc.... ; les bêtes de somme sont très variées, depuis le cheval
jusqu’au chameau et aux bourricots. Une vieille de l’Ouest (Ouled
Naīl ?) s’est adjointe à mon petit camp ; elle se rend au Djérid où sa
fille est mariée. Elle invoque tous les quarts d’heure Sidi Mohammed
el’Aïd, le saint vivant de Temassin[72]. — Je fais porter à un de mes
chameaux son modeste bagage.

Ce soir, nous entendons des Khouan[73] de Sidi Moustapha qui chantent
leur prière avec accompagnement de musique. Ceci est dans la caravane
campée au nord. Au sud nous avons une musique moins monotone, c’est le
chant et la voix des femmes qui y sont en nombre.

Je remarque que, dans les jardins au milieu des dunes, l’on a soin de
garnir la crête de ces dernières d’une haie de palmes presque
entièrement enterrées pour que les sables ne soient pas portés par le
vent dans le jardin, et, d’un autre côté, pour que les sables que l’on
déblaye ne retombent pas dans le « ghoūt »[74].

                                                                 6 mars.

Je fus malade toute la nuit, ayant une indigestion très douloureuse.
Aussi ce matin me fallut-il une bonne dose d’énergie pour ordonner le
départ comme d’habitude et monter en selle.

Au moment de partir, je reçus mon courrier de Tougourt, qui
malheureusement ne renfermait qu’une lettre de mon père et une d’Auer.
Je reçois la lettre du Ministre des affaires étrangères pour M. Botta.

Les gens de la caravane parurent mettre plus de soin qu’hier à se
rassembler en un seul bloc, mais les peines furent vaines, au bout de
quelque temps, les pelotons de la caravane étaient séparés par plusieurs
kilomètres. — On voulut aussi m’effrayer, je ne sais quel intérêt
avaient ces hommes à ne pas aller par la route orientale que j’avais
choisie. On voulut me faire croire qu’à un des puits nous allions
trouver 1.200 cavaliers de Nemēmcha insoumis. Je me bornai à leur
demander comment le puits pouvait abreuver tant de monde et tant de
chevaux.

Pendant que je marchais avec mes chameaux isolés, un homme assez drôle
se joignit à nous. Il était coiffé d’un turban vert et d’une calotte
rouge. Son vêtement consistait en deux burnous assez sales, et comme
arme il portait, jeté sur son dos, un immense sabre. Cet homme avait des
manières très européennes, celles d’un homme peu distingué, bien
entendu, et il parlait beaucoup. Il nous dit qu’il était depuis quarante
ans « policeman » à Tunis, que sur trois nuits il en passait une de
garde. Les policemen ne sont pas payés à Tunis et il nous raconta qu’il
ne s’était fait inscrire comme tel que pour avoir l’avantage de sortir
le soir après le couvre-feu, et d’aller dans telle et telle maison qui
lui plaisait, chez les jolies femmes qui lui convenaient, beaucoup même,
à l’en croire. Ensuite, si la police n’est pas payée, elle se fait plus
d’argent sans cela, car elle permet toutes débauches nocturnes pourvu
qu’on lui graisse la main. — Mon homme avait aussi un faible pour les
spiritueux et il avait emporté de la _mahia_ avec lui.

Pendant que nous causions ainsi, un pèlerin marocain qui nous suivait
tout couvert de guenilles nous cria : « Voilà un mouton » ; en effet, il
y avait à quelques pas de nous une brebis perdue et boiteuse. Ahmed et
le policeman tunisien fondirent dessus et, après un débat où la probité
de chacun se fit jour, l’animal fut égorgé par le policeman, qui le
considéra de bonne prise.

Le soir, on la dépèce et la distribue.

Quant au pays que nous traversâmes, ce fut une plaine uniforme, à sol
sablonneux et à végétation de _ălenda_, _semhari_, _arta_, _drīn_ et
_baguel_. De temps en temps une petite traînée de dunes en interrompait
la monotonie.

Nous touchâmes à un puits nommé Wourrāda ; actuellement il est comblé.
Voilà l’histoire de cet événement. Le puits ayant été rempli de _drīn_
pour une cause ou une autre, un pasteur y descendit dans l’intention de
le nettoyer. Comme il ne revenait pas, le frère de cet homme y descendit
aussi, mais y trouva la mort par asphyxie[75] ; enfin l’oncle des deux
jeunes gens voulut leur porter secours et faillit périr ; cependant il
put sortir. On combla le puits, qui sert de tombeau aux deux pasteurs.

Vers la fin de la marche, un habitant du Djérid, monté sur son chameau,
prit un tambour de basque et commença une longue improvisation sur un
marabout vivant de Nefta, Moustapha ben Azoūz. Il jouait admirablement
bien de son instrument, et improvisait avec tant de facilité que je crus
qu’il récitait une litanie. Les couplets, composés de quatre vers,
étaient tous terminés par la même rime, et se terminaient par le refrain
que répétaient en chœur des jeunes gens de la caravane. Malheureusement
le chant m’empêchait de juger du sens des vers. — Cela m’arrive pour les
chœurs chantés à l’Opéra dans ma langue maternelle.

Nous nous arrêtons au puits de Guettāra Ahmed ben ’Amara[76]. Je suis
dans un grand état d’épuisement et j’ai un peu de fièvre. Ce matin,
j’avais pris un peu d’huile de ricin, je prends ce soir une dose de
quinine dans du café et deux petites tasses de vin. — Une heure après je
me sens beaucoup mieux.

                                                                 7 mars.

Hier au soir, après que j’avais fini de rédiger mes notes, les
principaux membres de la caravane du Souf (Kouinin, Tarhzout et Guémār)
vinrent me visiter pour m’annoncer comme une chose arrangée qu’ils ne
partiraient pas le lendemain parce qu’ils venaient de recevoir la
nouvelle que nous allions passer au milieu des douars des Hammama. Ce
n’étaient pas les hommes que ces « braves » redoutaient, mais bien les
femmes, les enfants et les chiens. On allait envoyer un homme au cheikh
Moustapha, le marabout de Nefta et, selon qu’il dirait ou non d’arriver
sans crainte, on irait plus loin ou l’on s’en retournerait. Je m’opposai
net à une telle mesure, et fis demander dans la caravane quels étaient
ceux qui voulaient partir demain avec moi. La division fut très nette ;
les gens du Djérid, de Ghadāmès, ne voulaient pas rester, ceux d’El-
Oued, du Souf seuls étaient de l’avis contraire. Je décidai le départ.
Toute la nuit fut passée à se disputer dans le camp, mais quand le jour
parut, tout le monde était du même avis, qui était de me suivre.

Nous rencontrâmes beaucoup de douars, de troupeaux des Oulād Sidi ’Abid
de la Régence de Tunis, mais ils ne firent que nous donner des
nouvelles, certes peu rassurantes.

Vers le milieu de la journée, avant d’atteindre le puits d’El-
Khofch[77], toute la caravane résolut de ne pas passer par Nakhlet-el-
Mengoub, comme l’avait ordonné le kaïd. Moi, de mon côté, je m’obstinai
à prendre ce chemin, et nous nous séparâmes de très mauvaise humeur,
ayant à peine six ou sept hommes avec moi. Cependant, comme hier, mon
attitude déterminée leur fit accepter mon choix et ils nous rejoignirent
tous, sauf les Djéridiya, qui du reste ne nous étaient pas du tout
obligés. Nous continuâmes donc notre marche dans un sol de _heicha_, la
végétation de _dhomrān_[78], _zeita_, _souid_, etc., qui caractérise la
contrée de Chegga du Sud et la _heicha_ de l’Oued-Righ. Nous étions très
inquiets, les Hammama ne se trouvaient pas campés aux palmiers d’El-
Mengoub, et nous devions nous rapprocher sans cesse de leurs douars.

Vers la fin du jour, nous aperçûmes les palmiers de Nafta et plus loin,
vers l’ouest, les montagnes de Negrîn et de Tamerza. Lorsque nous
voulûmes camper quelques instants avant le coucher du soleil, nous
tombâmes sur les troupeaux des Hammama, et pûmes nous assurer que la
tribu n’était pas loin. Les bergers vinrent dans le camp demander
différentes choses, ci du feu, là de l’eau, plus loin des dattes. Ils
vinrent jusqu’à mon feu où j’étais assis et demandèrent à boire à Ahmed.

Nous entendîmes, le soir, les chants de leurs femmes, les cris des
enfants et les bêlements des troupeaux.

Cette nuit ne fut pas très agréable à passer, plusieurs hommes de la
caravane la passèrent à veiller, le « policeman » tunisien entre autres.
Je veillai, pour ma part, la moitié de la nuit, et fis de longues rondes
dedans et hors du camp, que nous avions établi en demi-cercle, mon lit
et mon bagage en formant le centre. Aujourd’hui nous n’avons pas cru
devoir dresser la tente.

J’entendis, vers le matin, le cri cadencé d’un chacal en chasse, auquel
répondit bientôt le chien d’un des troupeaux.

                                                                 8 mars.

Nous partîmes aujourd’hui avant la pointe du jour et commençâmes à
marcher vigoureusement dans l’espoir de dépasser la « nedjă » du Hammama
avant qu’elle ne prît notre route.

Cependant, lorsque le soleil eut un peu monté à l’horizon, les yeux
perçants de mon guide découvrirent la nedjă s’avançant de notre côté sur
le sommet des _gour_ des Beni Mezab. A partir de ce moment, nous n’eûmes
pas une minute de repos. Chaque ondulation de cette immense ligne de
chameaux, de troupeaux et d’hommes était interprétée par mes trop
timides Souafa comme un signal d’attaque.

Ce ne fut guère que lorsque nous fûmes entrés dans le chott[79] que nous
pûmes bien nous rendre compte du nombre des ennemis et de leurs
mouvements. Lorsque la « nedjă », qui jusqu’alors s’était tenue sur les
hauteurs, commença à se rapprocher du chott, les fantassins souafa
s’assirent par terre, tournant le dos aux Hammama ; Mohammed le guide,
qui à cet instant aperçut les cavaliers en avant des troupeaux, s’élança
à la tête des chameaux en criant d’arrêter. Il y eut là un mouvement
rapide qui me montra qu’en cas d’attaque, je ne pouvais compter que sur
bien peu de monde. Ahmed sauta à bas du chameau qu’il montait ; ôta son
burnous et arma son fusil, d’autres suivirent son exemple. Enfin
l’incertitude dura quelques instants, et l’on crut remarquer que les
cavaliers reprenaient la direction, je fis remettre les chameaux en
marche, mais ne pus pas empêcher quelques coups de feu de fantazia de
partir, la chose la plus inconsidérée dans notre position.

J’eus là l’émotion de celui qui va être entraîné dans un combat pour son
droit, mais qui n’avait cherché de querelle à personne. Armé de mon
revolver, j’étais décidé à mesurer mes cinq coups et à démonter au moins
deux ou trois cavaliers. La lutte aurait été déplorable ; des guerriers
consommés, en nombre considérable, auraient certainement eu le dessus
sur quelques hommes déterminés mais embarrassés par une foule timorée et
inutile, par des femmes, des enfants et des chameaux chargés de sommes
considérables.

Bientôt la « nedjă » se trouva à notre hauteur ; nous voyions cette
foule de cavaliers ; les quinze douars peuvent, d’après des
renseignements précis, mettre sur pied mille hommes. Ce n’était
cependant là qu’une des neuf fractions des Hammama qui, ayant eu à se
plaindre de son kaïd, avait envoyé une plainte au bey, mais se sauvait
sans attendre la réponse, décidée à revenir si le bey lui accordait sa
demande, et à quitter son gouvernement pour toujours si on ne faisait
pas attention à son grief.

Nous marchions très vite et arrivâmes enfin près des palmiers de Ghîtān
ed Cherfā, où nous rencontrâmes deux cavaliers hammama attardés, que
nous saluâmes en passant. Ils sont bien montés, ont d’énormes étriers,
et sont surtout remarquables par leur manière de s’envelopper dans leur
haouli, ne laissant voir que le milieu du visage ; leur chachiă est
enfoncée jusqu’aux sourcils ; enfin ils n’ont pas de corde de poil de
chameau. Ahmed me dit qu’ils revêtent quelquefois des haïks de coton
bleu, comme les femmes du Souf.

Nous déjeunâmes à côté des plantations de Nafta, où nous rencontrâmes un
dernier Hammami et nous empressâmes ensuite d’entrer dans la ville ; je
descendis à la maison du Bey.


[Note 64 : Profondeur, 5 mètres. — Température, 17°,30. (Note de H.
Duveyrier.)]

[Note 65 : Le détail des observations astronomiques de Duveyrier a été
publié dans les _Les Touaregs du Nord_, p. 134-140.]

[Note 66 : Duveyrier n’en continua pas moins à observer à l’aide de
l’anéroïde. « J’ai pu, dit-il, en faire usage concurremment avec les
Fortin et pendant assez de temps, avant que ces instruments aient été
brisés, pour bien étudier les dilatations de l’anéroïde et le corriger
de ses erreurs. » (_Les Touaregs du Nord_, p. 123.)]

[Note 67 : Nom donné à la petite monnaie de cuivre en Tunisie et au
Maroc.]

[Note 68 : _Ad Majores_, au nord du chott Rharsa, à 4 kilomètres au
S.-E. de l’oasis actuelle de Négrine. (V. Masqueray, _Ruines anciennes
de Khenchela à Besseriani_, _Revue Africaine_, 1879, p. 68.)]

[Note 69 : Haïdra, au N.-E. de Tébessa ?]

[Note 70 : Djebīla (« la Grasse »), un des villages du Souf, à 22 km.
N.-E. d’El-Oued.]

[Note 71 : Gens de Ghadamès.]

[Note 72 : Zaouïa des Tidjaniya.]

[Note 73 : « Frères » disciples du marabout de Nefta dont il est
question plus loin.]

[Note 74 : Dépression.]

[Note 75 : Beaucoup de puits dégagent de l’hydrogène sulfuré, provenant
de la décomposition, dans l’eau chargée de sulfate de chaux, des
nombreuses matières organiques, tombées par l’orifice presque toujours
dépourvu de margelle.]

[Note 76 : Profondeur 6m,20. — Température 20°,2 (H. Duv.).]

[Note 77 : Profondeur 5m,50. — Température 21° (H. Duv.).]

[Note 78 : Autre forme du mot ذمران]

[Note 79 : Le chott El-Djérid.]




                              CHAPITRE IV

                               AU DJÉRID


En traversant la rivière, ayant devant moi d’une part les constructions
pittoresques de la ville et de l’autre les beaux jardins de palmiers, je
fus frappé par le charme du site, qui me soulagea de l’appréhension du
danger et du dépit que m’avait causé le manque de courage de mes
compagnons de route.

Nafta compte 3.000 hommes[80] ; il faut ajouter à cela les femmes et les
enfants non pubères. Les Juifs y sont 54 hommes avec les mêmes
additions. Les hommes s’habillent de fines jaquettes et pantalons
d’étoffes venus de Tunis, et s’enveloppent des beaux burnous si renommés
du Djérid ; ils ne portent pas de corde en poil de chameau. Les femmes,
dont plusieurs m’ont paru assez bien, mettent un pardessus d’étoffe
bleue foncée, comme au Souf, seulement elles sont plus propres et ont
des vêtements de dessous mieux arrangés. La population est du reste tout
à fait « beldiya » ; on y trouve pas mal d’embonpoint. Du reste, il y a
ici tout ce qui caractérise une grande ville arabe, des cafetiers en
vestes de soie brodée, des boutiques bien fournies, etc., etc. N’y
avait-il pas jusqu’à un fou, qui, comme celui d’El-Goléâ, paraît
attacher un intérêt particulier à mon humble personne, et est revenu
jusqu’à trois fois m’accabler de ses malédictions. On le chasse assez
rudement pour un fou musulman.

Les Juifs se distinguent par un turban noir. Les femmes se voilent
occasionnellement dans la rue en ramenant leur haïk sur leur figure.

La ville de Nafta paie actuellement un impôt qui s’élève à 350.000
francs ou 70.000 douros, parmi lesquels il faut compter 30.000 douros
d’exactions de la part des employés du gouvernement. Ces chiffres sont
énormes, comparés à ce qui existe en Algérie. Chaque homme, petit ou
vieux, paie 23 francs annuellement ; le reste de l’impôt est sur les
palmiers.

Les maisons de Nafta sont construites fort élevées, en briques minces,
je dirais presque en tuiles jaunes et rouges, unies par du mortier de
glaise ; elles ont un aspect fort élégant à l’extérieur et sont encore
ornées par divers dessins que forment les briques au-dessus des portes
et quelquefois tout le long des frontons. Certains quartiers de la ville
sont un peu ruinés ; vers le côté est on voit une tour assez élevée. Les
boutiques, sur le marché, sont disposées de la même manière économique
et simple qu’à Tougourt.

Mais ce qui frappe le plus à Nafta, c’est sa rivière impétueuse, qui
coule auprès des palmiers, c’était la première fois que je voyais cela.
A l’endroit où elle se divise en deux branches, au moyen de
constructions en bois très solides et ingénieuses, pour aller arroser
les plantations, l’eau a 27° (à 4 h. p. m.). Le matin, on voit de la
vapeur ou du brouillard à sa surface[81]. L’eau renferme quelques
mousses aquatiques et les mêmes coquilles noires[82] que j’ai récoltées
dans l’oued Biskra, plus une variété cannelée des mêmes.

Les jardins renferment, outre de magnifiques palmiers, des figuiers, des
citronniers, des limoniers, des orangers, des pêchers. On n’y trouve ni
oliviers ni pruniers, deux arbres qui se trouvent à Tōzer. Le _tarfa_
croît aux environs des plantations.

Les deux kaïds, le frère de Si’Ali Saci et Sid el ’Abid sont fort
aimables et me font beaucoup de politesses. Nous allons nous promener
ensemble et nous déjeunons et dînons ensemble. La cuisine qu’on nous
fait est exquise, dans le goût européen même. Il n’y a pas de ruines
romaines à Nafta.

Un fait curieux est ici la même progression des sables de l’est à
l’ouest dont on se plaignait tant à Guémār. J’ai vu en effet les sables
amoncelés en dunes près de l’endroit d’où part la route de Tōzer ; ils
pénètrent dans les plantations, enterrent les palmiers, les maisons et
font que la ville s’élève progressivement[83]. Ainsi s’il n’y a pas de
ruines romaines aujourd’hui, on ne peut pas affirmer qu’il n’y en a
jamais eu ; elles ont pu être enterrées depuis longtemps.

Tous les Souafa de la caravane se sont empressés d’aller voir leur
cheikh et marabout Sidi Moustapha, chanter de nombreux « la illah ! » et
jouer de la « bendīr ».

Les rues de Nafta sont spacieuses, mais non d’une propreté exemplaire,
quoiqu’on ne puisse pas non plus les accuser du contraire.

Les gens de Nafta hébergent les Hammama, leur donnent la diffa et de
l’orge pour leurs chevaux lorsqu’ils viennent en ville, pour qu’en
revanche ceux-ci les épargnent lorsqu’ils les rencontrent en voyage !

                                                                 9 mars.

Je décide de ne partir pour Tōzer que demain matin.

Le matin, je vais voir les sources de l’oued Nafta ; cela me donne
l’occasion de voir dans les jardins le « _nebqa_ », un _Rhamnus_[84] qui
atteint 20 mètres de haut et de grandes dimensions ; son fruit est gros
comme une grosse cerise, atteint même la grosseur d’une prune.

Les sources qui forment l’oued sont assez chaudes, elles sortent de
dessous une couche de marnes très épaisse, qui par exemple au Ras-
el’Aioun[85] atteint une hauteur d’environ 30 mètres. Ces marnes varient
de structure, de couleur et de friabilité. Le reste du terrain de Nafta
se compose de grès très friables, si l’on peut appeler ainsi un
conglomérat de sables quartzeux renfermant de petites veines de glaise,
et des rognons atteignant quelquefois un volume considérable de grès
véritable renfermant quelquefois de la marne.

Les eaux de l’Oued renferment des poissons qui vivent surtout dans les
endroits où l’eau est le plus chaude. Ils ont des taches rougeâtres ou
orangées, quelques-unes prenant 1/5e du dos. — Les flaques d’eau formées
par les sources nombreuses renferment des coquilles différentes de
celles de l’Oued.

Les animaux de Nafta à noter sont les bœufs (en petit nombre), les
lapins (!), les chiens de races variées, les chèvres de race européenne.

Je vais voir le soir le marabout Sid’Moustapha ben Azoûz, qui me reçoit
d’une façon fort civile, et s’efforce de me faire comprendre que tous,
musulmans, chrétiens et juifs sont ses enfants, tous ceux que Dieu a
créés[86] ; il approuve mes études. Nous mangeons sa « bénédiction »,
pour rendre la parole arabe. — Sa zaouiya était remplie de monde,
surtout de pèlerins venus du Souf avec moi.

Je suis obligé de donner de longs détails sur l’électricité, la vapeur
et beaucoup de choses semblables.

Pendant que je dessinais la zaouiya de Sidi et Tabăi, de nombreux
curieux s’étaient rassemblés et parmi eux des tolba[87] : on montra
beaucoup de mauvais vouloir, et lorsque je demandai le nom de la
zaouiya, on refusa de me le donner ; c’est Sidel’Abīdi qui la reconnaît
sur le dessin et m’en donne le nom. Je me plains de cela, et on me donne
un mokhazeni[88] pour écarter la foule. Je finis la journée très bien.

Les nuages qui ont occupé le ciel tout le temps de mon séjour m’ont
empêché de faire des observations astronomiques. A midi le soleil était
visible par intervalles, j’essayai de le prendre au méridien, mais mon
observation est, je le crains, peu concordante, parce que les deux kaïds
étaient à mes côtés et m’ennuyaient de questions.

                                                                10 mars.

Nous sommes partis de Nefta d’assez bonne heure par un ouragan
épouvantable, le vent venant du nord-est avec beaucoup de force. Nous
étions gelés, quoique la température de l’air ne fût pas très basse. La
route de Nafta à Tōzer est très insignifiante, elle longe le chott à une
petite distance ; on est sur un terrain élevé, presque dénué de
végétation et très peu accidenté. Un peu avant d’arriver, on voit le
Djebel Tarfaouï.

Tōzer a moins de population que Nafta (1.900 hommes), mais possède des
plantations beaucoup plus considérables : 300.000 palmiers. Les
constructions sont ici les mêmes qu’à Nafta ; la ville possède aussi une
rivière qui prend sa source au bout ouest des plantations et qui est
aussi considérable que celle de Nafta ; après avoir traversé les
plantations, elle va encore se perdre dans le chott.

Je trouve ici le vice-consul Si Mohammed ben Rabah, à peine installé
depuis vingt jours ; nous nous embrassons en nous rencontrant, et je
suis charmé de trouver une perle d’homme dans ce personnage. Il possède
beaucoup de biens dans la ville et à Nafta, mais de crainte qu’on ne lui
reproche de la fantasia depuis son installation comme consul _français_,
il affecte une mise très simple.

Les autorités me souhaitent la bienvenue, mais sont très occupées à
recueillir le reste de l’impôt que va venir prendre la _mahalla_.

Je vais à cheval et le vice-consul sur sa mule à Beled el Hadar[89] voir
des restes de constructions romaines[90] qui servent de fondation à un
minaret isolé. La grande mosquée est à côté ; on m’avait dit qu’elle
renfermait des inscriptions, mais y étant entré, je n’y reconnus qu’un
inscription arabe, sculptée et peut-être intéressante comme monument de
culture architecturale. Mon habit me permet d’entrer dans une mosquée
sans faire trop de scandale. Quelqu’un ayant demandé dans le temple qui
j’étais, le vice-consul se contenta de répondre : « Un homme de l’Ouest.
— Quelqu’un qui cherche des inscriptions hébraïques ? — Oui. »

Les fondations du minaret sont très solides, en pierres carrées ; plus
haut, des tronçons de colonnes et d’autres pierres ont été installées
dans la construction arabe ; enfin au-dessus de la porte on voit deux
pierres sculptées grossièrement. D’inscriptions, point.

Mon cheval fit des sauts à n’en plus finir jusqu’à notre retour en
ville. Il y a des tentes des Hammāma auprès de la ville. J’ai pu voir
leur intérieur, qui ressemble en tout à celui des autres Arabes.

Le vice-consul me fait apporter une table et une chaise.

Tōzer compte 1.900 hommes depuis l’âge de puberté jusqu’aux vieillards.
L’impôt s’élève à 542.000 réals tounsi en comptant les exactions. Le
réal tounsi vaut 75 centimes. Ici on m’indique comme impôt de Nafta la
somme de 588.000 réals tounsi ; donc encore plus que Sid el’Abīdi
n’avait dit. On prétend encore que l’air de ce pays vaut mieux que celui
de Nafta, qui est déjà très bon[91].

                                                                11 mars.

Malgré toutes les précautions que je croyais avoir prises, je ne pus
partir que dans la soirée. Si Mohammed ben Rabah et deux « mokhazeni »
m’accompagnèrent jusqu’à Degach. Cette fois, j’avais abandonné le
chameau et mis mon bagage sur deux mulets que j’ai loués 40 francs d’ici
à Gabès et retour. Outre Ahmed, j’ai cru devoir prendre encore un
domestique qui aura pour gages 13 francs.

La route qui sépare Tôzer de Degach est très insignifiante ; on verra
dans l’itinéraire les traits principaux qui la caractérisent. Je dois
cependant remarquer que dans l’oued à sec qui sépare en deux la ville de
Degach, la constitution géologique des berges consiste en forts lits de
conglomérat de sables quartzeux séparés par de minces couches d’argile,
le tout ayant une position légèrement inclinée[92].

Dans tout le cercle d’el Ouidĭān ou de Tāgiroūs, dans lequel nous venons
d’entrer, il n’y a que 1.600 hommes et les biens de la terre se
réduisent à 188.000 palmiers ou oliviers, car cet arbre qui commence à
Tōzer, mais y est peu commun, se trouve ici en plus grand nombre.

Dans ce pays, on considère Tōzer et Gafsa comme ayant le climat le plus
sain ; ensuite viennent Nafta et Degāch avec un bon climat encore, mais
Kĕrĭz est malsain ; les fièvres s’y montrent. El-Hamma près d’ici de
même ; l’autre Hamma près de Gabès encore de même, enfin le Nefzāoua
compte pour le plus mauvais climat.

Les maisons ici sont construites en tōb, et sont loin d’égaler les
constructions de Nafta et de Tōzer.

Je suis reçu par le khalifa et attends inutilement un ciel étoilé, et
presque avec autant de succès mon dîner. Cependant ce dernier arrive
très tard, et je me couche. La nuit, toutes les bêtes de somme font une
cohue générale, on peut à peine les séparer ; mon cheval est fortement
mordu en deux endroits.

                                                                12 mars.

Ce matin, nous sommes partis de bonne heure et une courte marche nous
mena aux deux villages de Zorgān et d’Oulad Madjed. Dans ce dernier
endroit je m’arrêtai au minaret, isolé comme celui de Belīdet el Hadar,
et comme lui bâti sur des fondations romaines ; je le gravis à travers
différents casse-cou ; il est bâti en briques et de construction solide.
On m’avait dit que je devais trouver là une inscription latine, mais il
n’y en a aucune. Il fut question alors de la mosquée, j’y entrai et
trouvai une inscription arabe entourant le dôme de la niche de l’imān,
de même qu’à Belīdet el Hadar.

Désappointés, nous continuâmes notre marche et entrâmes dans les
palmiers ; nous ne tardâmes pas à arriver aux ruines romaines du Guebba
qui sont au milieu de la _ghaba_[93]. Un indigène instruit me dit que
cette ville, car ce devait en être une, se nommait alors
« Tagiānoūs[94] ». Les ruines, presque partout se réduisant à des
fondations, car je suis persuadé que le reste était bâti en briques,
s’étendent sur un grand espace ; on reconnaît les plans des maisons ; et
çà et là, parmi les pierres dispersées, on rencontre un tronçon de
colonne ou une autre pierre travaillée. Deux monuments sont encore assez
apparents. C’est d’abord une petite construction carrée, évidemment
enterrée de beaucoup, qui me frappa par ce fait que les pierres de
taille sont surmontées d’un reste de construction en briques, identiques
à celles des maisons de Tōzer.

[Illustration : Portion de muraille (Guebba). Ruines romaines. — La
niche dans la muraille est évidemment une écluse bouchée.]

L’autre ruine consiste en un long mur ou sommet de muraille, entièrement
en pierre de taille avec une sorte de fausse porte voûtée, qui pourrait
être encore une écluse pour les eaux ; de même que le mur pouvait faire
partie d’un réservoir ; mais les indigènes rapportent eux-mêmes que les
sables, la terre elle-même s’exhausse toujours par suite des vents qui
l’amènent, et me disaient que, s’il y avait des inscriptions à Guebba,
le vent les aurait ensevelies. Aujourd’hui les palmiers croissent au
milieu des enceintes des maisons de l’ancienne ville romaine, ce qui
prouve que cette partie des plantations est postérieure à l’occupation
romaine.

En quittant Guebba, nous atteignîmes bientôt Kēriz, petite ville bâtie
en terre et en vase sur une élévation. En attendant le déjeuner, je
partis pour aller voir une inscription latine dans la montagne.

Avant d’entrer dans les rochers, nous découvrîmes dans l’embouchure d’un
ravin un petit douār de 5 à 6 misérables tentes de Hammāma. Nous
gravîmes la montagne, et environ aux trois quarts de sa hauteur, nous
nous arrêtâmes à un rocher plat, très raviné par la pluie, et formant
une table inclinée. Là se trouve une inscription écrite très
grossièrement et à la légère, en lettres de 50 centimètres de hauteur ;
elle se compose de trois lignes ; à côté il y en a une seconde de deux
lignes et beaucoup plus petite, qui, plus facile à restaurer que
l’autre, indique que cet endroit était consacré à Mercure et avait le
privilège d’asile. La nature de cette inscription et surtout sa position
dans un endroit peu accessible et isolé est digne de remarque.

[Illustration : Inscription du Djébel-Sebaa Regoûd au nord de
Kerîz[95].]

La nature géologique de la montagne de Sebaa Regoûd est un calcaire
coquillier marin. Il contient beaucoup de fossiles[96], notamment des
oursins. Je trouve sur la route plusieurs plantes et fleurs nouvelles
pour moi, toutes très humbles.

Nous retournons, et à la hauteur du douar, deux femmes habillées de bleu
viennent demander qui je suis ; il leur est répondu : « Un Occidental de
l’Occident ».

De Kērīz une très courte marche nous amena à Sedāda, qui lui ressemble
beaucoup. Les habitants de cette ville ne sont pas aussi civilisés que
ceux des autres ; ils m’ennuient même beaucoup. On fait déjà des
difficultés pour me montrer des ruines romaines ; nous allons à
Tamezrarit, petite _ghaba_ de palmiers, oliviers et autres cultures qui
se trouve un peu à l’est ; là je me fâche contre le cheikh qui me paraît
très soupçonneux et je fais tourner bride. Je reviendrai si les ruines
en valent la peine[97].

De retour à la maison qui m’est destinée, je la fais évacuer par tout le
monde, et comme quelques Arabes Hammāma et autres va-nu-pieds semblent
trouver drôle qu’on les empêche _de voir_ un roumi qui cherche des
pierres romaines, et que ces Messieurs se disputent avec Ahmed pour ne
pas s’en aller, je fais venir le cheikh, et exécute une scène éloquente
où je qualifie de chiens les susdits Arabes ; le cheikh tâche de me
surpasser de colère et me propose de les mettre tous en prison.

Le ciel s’éclaircit le soir et je puis prendre la latitude des lieux.
Les cartes ont une erreur énorme pour tout le sud de la Tunisie.

                                                                13 mars.

Ce matin, en m’éveillant, je trouvai la pluie, et le ciel menaçant de ne
pas s’éclaircir de toute la journée, je profitai de ce que le second
« mokhazeni » n’était pas encore arrivé pour accéder à la demande de mes
gens qui ne se souciaient pas outre mesure de partir.

J’eus lieu d’être très mécontent de la conduite du cheikh et de ses
administrés ; comme il était une heure et que le _déjeuner_ ne semblait
pas devoir paraître, je fis appeler le cheikh et lui adressai des
reproches très vifs sur toute sa conduite ; je fis venir un des
cavaliers, lui ordonnai de monter à cheval, d’aller avertir le vice-
consul de mes tracas, et en même temps d’apporter des vivres de Tōzer.

Dans l’intervalle, le second mokhazeni était venu avec deux officiers du
Makhzen, portant titres de chaouchs ; ceux-ci, voyant cela, se fâchèrent
tout de bon, et firent sentir au cheikh combien sa manière d’agir était
déplacée envers quelqu’un muni de passeports de leur seigneur. Le cheikh
me pria instamment de faire rappeler le cavalier, mais je tins ferme, le
menaçant de plus de parler de tout cela à Hammouda Bey. Enfin le chaouch
le plus civilisé me vainquit et me fit envoyer ’Amar chercher le
mokhāzeni. A partir de ce moment, tout rentra dans l’ordre.

Dans la soirée, on vint me dire qu’il y avait des ruines près de
Tamezrarīt ; je montai à cheval et m’y rendis avec le cheikh, Ahmed et
un guide ; nous suivîmes la route frayée qui mène à Zitouna, etc., et
arrivâmes à un emplacement appelé par les indigènes Kesár Bent el ’Abrī.
C’est un espace assez vaste, occupé par des fondations de très vastes
enceintes. En fait de pierres travaillées, on n’y remarque qu’un moulin
à huile. Ces fondations sont en pierres de petites dimensions, et, si je
ne me trompe, on y distingue des briques ; l’alignement des murailles
est irréprochable, l’épaisseur des murs peut être de 40 centimètres.

Chemin faisant, j’appris du cheikh qui est très bavard, que dans le
Djérid il n’y avait autrefois que deux sultans : celui de Guebba et
celui de Belīdet el Hadar ; que chacun avait son minaret : celui de
Belīdet el Hadar existe encore entier ; celui de Guebba (dont j’ai
décrit plus haut la base) a été détruit par le propriétaire de la
plantation où sont les ruines.

D’autres renseignements, venant de la même source, montrent combien les
Hammāma sont des gens terribles. A la saison des dattes, toutes les
nuits il y a des coups de feu tirés entre les habitants de Sédāda el les
Hammāma campés au sud qui veulent obtenir des dattes de force. L’automne
dernier, des gens de cette tribu rencontrèrent sur le chott un troupeau
conduit par un berger des leurs ; ils lui volèrent un mouton ; le berger
les poursuivit et les atteignit aux plantations ; ils se disputèrent, et
les voleurs égorgèrent (littéralement) le malheureux. — Il y a un défilé
dans la montagne qui conduit à Gafsa ; chaque jour, on peut être sûr
qu’il y a une cinquantaine de Hammāma embusqués ; un des leurs fait
vigie sur un rocher, et quand ils aperçoivent une faible compagnie de
trois ou quatre voyageurs, ils tombent dessus, tuent les hommes et
emportent tout. — C’est déplorable[98].

Personne ne sort dans ce pays sans être armé ; ceci est à la lettre, on
ne peut pas s’éloigner de 4 à 500 mètres des villes sans avoir à
craindre quelque guet-apens.


[Note 80 : Chiffres donnés par les kaïds (H. Duv.).]

[Note 81 : M. Dru a précisé la température des sources : « 26°,2 au
milieu du bassin, 28° sur les bords aux points où l’eau sort de terre,
et 30° sous les cabanes en troncs de palmiers qui vont chercher l’eau un
peu plus profondément dans l’argile ». (Note sur l’hydrologie, la
géologie et la paléontologie du bassin des chotts, _in_ Roudaire,
_Rapport sur la dernière expédition des Chotts_. Paris, 1881, p. 43.)]

[Note 82 : _Melanopsis Maroccana_. (Bourguignat, Appendice aux _Touaregs
du Nord_, p. 21.)]

[Note 83 : En 1887, l’envahissement continuait et affectait surtout le
sud de l’oasis. La cause principale de la progression des sables est la
destruction de la végétation aux alentours de l’oasis. (Voir l’enquête
de M. Baraban, _A travers la Tunisie_. Paris, 1887, p. 120 et suiv.).]

[Note 84 : C’est le _Zizyphus Spina Christi_, qu’on appelle zefzef en
Algérie. Il est remarquable, au point de vue des anciennes relations du
Djérid avec l’Orient, que le nom donné ici, nebqa, nabq, soit celui
usité en Égypte. (V. Duveyrier, _les Touaregs du Nord_, p. 159 ;
Ascherson dit qu’en Égypte le nom de nebeq s’applique au fruit (Pflanzen
des mittlern Nord-Afrika, dans Rohlfs, _Kufra_, p. 471).]

[Note 85 : « Tête des sources. »]

[Note 86 : Cela rappelle la paternité du Père Enfantin (H. Duv.).]

[Note 87 : Lettrés. Les zaouiyas de Nafta sont nombreuses, et les
fanatiques faillirent faire un mauvais parti à la mission Roudaire.]

[Note 88 : Cavalier du Makhzen.]

[Note 89 : Un des villages de l’oasis, l’emplacement de l’antique
Tuzurus ?]

[Note 90 : Duveyrier écrit ailleurs : « La distribution d’eau se fait
encore au moyen d’ouvrages en pierres de taille que les Romains ont
laissés. » (Excursion dans le Djérid, _Revue algérienne et coloniale_,
1860, II, p. 346.)]

[Note 91 : Cette salubrité est très relative. En réalité, toutes ces
oasis ombreuses respirent la fièvre (voir Vuillemin, _Étude médicale sur
le Djérid_, _Archives de médecine militaire_, 1884, IV, p. 7, et sur les
conditions sanitaires des oasis en général, les témoignages réunis par
Schirmer, _le Sahara_, chap. XIII).]

[Note 92 : L’inclinaison des couches, par suite de failles diverses, est
un fait général sur les bords du chott Djérid. « Partout on constate des
formations redressées sous les angles les plus divers. » (Dru, dans
Rapport Roudaire cité p. 47.)]

[Note 93 : « Forêt » (de palmiers).]

[Note 94 : Probablement la Takious du moyen âge, la Thiges de la Table
de Peutinger. Cf. Tissot, II, p. 683.]

[Note 95 : Cf. dans Tissot, II, p. 684, note de M. S. Reinach.]

[Note 96 : Voir Dru et Munier-Chalmas, rapport cité, p. 57 et suiv.]

[Note 97 : Il ne faut pas oublier, pour apprécier ces recherches de
Duveyrier, qu’on savait alors peu de chose de ces ruines du Djérid. Il
n’y a guère à citer avant lui que Shaw, Desfontaines, Pellissier et
Berbrugger. Les études de Tissot, qui avait passé au Djérid en 1853 et
1857, étaient encore inédites.]

[Note 98 : Cette région n’a pas cessé d’être mal famée jusqu’à
l’occupation française. Lors de la dernière mission Roudaire, les
indigènes fréquentaient le moins possible cette rive nord du chott
Djérid. (Rapport cité, p. 17.)]




                               CHAPITRE V

                           NEFZAOUA ET GABÈS


                                                                14 mars.

Nous partîmes après le lever du soleil, et entrâmes de suite dans le
chott, cependant la végétation nous suivit encore quelque temps ; nous
notâmes en particulier quelques _tarfa_, du _zeita_ et le _bougriba_.

Ensuite nous entrâmes dans le chott véritable dont la surface variait de
la terre glaise solide et glissante aux terres noirâtres détrempées et à
une surface de sol très solide. Cette dernière se trouvait couverte de
dessins circulaires en forme de damier, absolument semblables aux
dessins en relief que présentent les affleurements calcaires depuis
Biskra jusqu’à El-Guerāra.

Je pus prendre des directions de boussole vers différents points du
Djébel-Chāreb[99], qui correspondent à des points qui m’ont été indiqués
comme possédant des ruines romaines.

Le voyage sur le chott n’eut rien de remarquable jusqu’au moment où nous
arrivâmes à un puits romain, ou du moins à ce que je prends pour un
puits romain comblé. Ce sont de grandes pierres plates rangées en
rayonnant. On appelle cet endroit Oumm el Goreīnat ; une minute avant
d’y arriver, nous avions coupé une flaque d’eau formant le bas de l’oued
Zitouna[100].

Ensuite nous continuâmes notre longue route à travers cette mer
desséchée. Nous revîmes, avant d’arriver dans le Nefzāoua, la même
gradation de la végétation que nous avions remarquée en quittant le
Djérid. Les _tarfa_ se montrèrent encore.

Lorsque nous entrâmes dans le Nefzāoua, la végétation se montra
excessivement variée, et surtout nouvelle pour moi ; quantité de roseaux
et de graminées.

La première ville ou plutôt le premier village que nous y rencontrâmes
fut celui de Zaouiyēt ed Debabkha. Celui-ci et tous les autres du
Nefzāoua sont tout petits et enfoncés dans des plantations de palmiers ;
souvent ils en sont tout à fait entourés. On voit à côté des villages de
petites oasis de palmiers, qui autrefois avaient chacune leur village,
mais ils furent alternativement détruits et changèrent de place ou
furent tout à fait oubliés.

Nous n’arrivâmes que fort tard au bordj situé tout près du village de
Mansoura et non loin de Tellimīn. Le bordj est ce qui reste de
l’ancienne Tŏrra, nom qui est resté à la source qui coule au bas du
bordj.

Je suis reçu par le kaïd Si Mohammed es Saïs. A l’entrée du bordj, un
vieux « zouāoui » se mit à me fouiller pour voir si j’avais des armes,
mais je l’envoyai à tous les diables, et Ahmed ne manqua pas de lui
administrer une poussade. Je trouvai dans le kaïd un homme comme il
faut, et je prévis de suite que je n’aurais aucun désagrément dans le
Nefzāoua. Je trouvai là un juif faisant fonction de receveur des impôts.
Le kaïd ne passe dans le Nefzaoua que peu de mois avant l’arrivée de la
colonne dans le Djérid. Puis il revient à Tunis avec elle. Outre que le
séjour est peu agréable pour ce grand seigneur, il est probable que sa
vie n’y serait pas toujours sûre ; aussi prend-on même pour le court
moment de son séjour de grandes précautions ; il n’est pas permis
d’entrer dans le bordj avec des armes. On a bien soin d’étaler devant la
porte un vieux canon de fer, et il y en a un autre qui passe sa gueule à
une petite fenêtre sur la façade. — La petite garnison de zouaves passe
toute l’année ici ; les hommes sont établis dans le pays.

Je dois remarquer que, sur le chott, nous trouvâmes les traces de la
voiture de Si Ali Saci ; outre que cette voiture probablement légère
peut y passer sans difficultés, le chott dans son état actuel
supporterait la plus grosse artillerie. Ceci est un fait intéressant à
comparer avec ce que disaient les voyageurs arabes du moyen âge. Le
chott a probablement changé, comme bien d’autres sebkhas de ces
contrées[101].

Le bordj est bâti en grande partie avec des matériaux de constructions
romaines ; sur la façade, on voit même une pierre ornée de sculptures,
mais il n’y a pas d’inscriptions. La porte du petit village de Mansoura
est supportée par des pierres romaines.

                                                                15 mars.

Avant de déjeuner, nous allâmes voir Tellimīn ; en descendant du bordj,
on me fit remarquer à la prise d’eau une pierre écrite « en hébreu »,
que je trouvai être une inscription en bon arabe ; comme elle est
vieille de 96 ans, je pris la peine dans la soirée d’en prendre un
estampage.

Avant d’arriver à Tellimīn, nous eûmes à tourner une assez grande mare,
qui est au moins aussi grande que la moitié de la ville.

Je suis entré dans une quantité de maisons, et je puis donner quelques
détails sur l’intérieur, quoique mon séjour y ait été peu long. La ville
est bâtie en matériaux de constructions romaines, puis en petites
pierres, le tout uni au moyen de glaise. Les maisons ne sont pas plus
hautes que celles de Tougourt et présentent un intérieur au moins aussi
sale et misérable. Les rues ne sont ni très étroites, ni trop larges, et
tout la ville est remplie d’immondices et d’ordures. La mosquée, à
moitié en plein air, est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église
chrétienne. Le plafond est supporté par des colonnes qui sont au nombre
de neuf dans la longueur et de trois dans la largeur. Toutes ont des
chapiteaux de dessins différents, dont j’ai essayé de représenter trois
échantillons (pl.).

J’ai trouvé deux inscriptions latines dans l’intérieur des maisons de la
ville ; la première doit se lire : « Sexto Cocceio Vibiano proconsuli
provinciæ Africæ, patrono municipii dedicavit perpetuus populus » (ou
pecuniâ publicâ).

La seconde se rétablit aisément par : « Hadriano conditori municipii
dedicavit populus perpetuus ».

Ces inscriptions enseignent qu’Hadrien fut le fondateur de la ville, et
que cette ville était assez importante pour former un
« municipium »[102].

La légende rapporte qu’autrefois le sultan de Tellimīn ne sortait pas
sans être accompagné de 5.000 cavaliers tous montés sur des chevaux
mâles ; aujourd’hui malheureusement la ville est loin de posséder autant
de forces. C’est encore d’ici, d’après une autre tradition, que seraient
sortis les habitants de Tougourt, qui auraient émigré sous la conduite
de leur chef, chassés par un conquérant. Je dois dire à ce sujet que les
vêtements, la coiffure, même le type des femmes du Nefzāoua ressemblent
beaucoup à tout ce que nous connaissons dans l’Oued-Righ. Elles
s’habillent de coton bleu et gardent sur le devant de la tête une mèche
de cheveux laineux qui sont tressés en mille petites tresses dans les
grandes occasions. Les hommes, au contraire, ont plutôt le type arabe
et, à l’exception de quelques rares sujets, donnent encore un exemple de
plus de cette singulière loi des races croisées, que les femmes
conservent plutôt le type de la race inférieure. — La langue parlée dans
le Nefzāoua est l’arabe, le berbère y est aujourd’hui inconnu.

[Illustration : Nos 1 et 2. — Inscriptions dans des murs de maisons à
Tillimīn.

No 3, _a b c_. — Chapiteaux de colonnes dans l’ancienne église,
aujourd’hui mosquée de Tillimīn. — _a b_, de face ; _c_, de profil.]

Après notre excursion de Tellimīn, nous allâmes à Kébilli[103], qui est
une ville importante et digne de beaucoup d’attention. J’ai encore ici à
faire les mêmes remarques anthropologiques qu’à Tellimīn, mais en
ajoutant que la ville et ses habitants annoncent un bien plus haut degré
d’aisance et de civilisation. On voit encore dans la ville de nombreuses
pierres romaines qui ont servi de matériaux à la construction des
maisons. Cependant la ville actuelle n’est pas très ancienne, Rhōma[104]
ayant détruit au moins en partie le Kébilli ancien. On compte cinq
mosquées, et les trois que j’ai visitées sont évidemment sur
l’emplacement d’églises, comme le témoignent les colonnes qui en
supportent le toit. Ici je n’ai pas trouvé d’inscriptions.

En revenant, je vis par la porte de la prison un homme aux fers, qui, je
le crains, n’a commis d’autre crime que de refuser de donner au kaïd une
grosse somme d’argent qu’on lui demandait par exaction. Cet homme me
supplie d’intercéder pour lui, mais je ne vois pas trop ce que je puis
faire. Il est de toutes façons très digne de pitié.

                                                                16 mars.

Nous partîmes du bordj. J’avais une escorte de quatre cavaliers, et le
kaïd lui-même, accompagné de deux piétons, me fit la conduite quelque
temps.

Nous nous dirigeâmes vers la chaîne de collines, qui commence avec le
Nefzāoua, et qui dans cet endroit augmente beaucoup de proportions ;
nous la coupâmes et entrâmes dans un pays de plaine, aboutissant au
chott ; nous avons d’un côté la chaîne lointaine du Djébel-Chāreb et de
l’autre les hauteurs du Djébel-Nefzāoua[105].

Après une marche assez longue, nous arrivâmes à la dernière ville du
Nefzāoua ; c’est Lemmāguès, ville aujourd’hui ruinée et habitée, je
crois, par une seule famille, outre les gens de la zaouiya, dont le
marabout, drôle de nègre armé d’une pioche et en costume de travail,
vint nous demander le prix de sa bénédiction. Je le menaçai du bâton
pour toute réponse ; là se termina notre entretien. Dans les
constructions de la ville, je remarque encore bon nombre de pierres
romaines, voire même des tronçons de colonnes.

Avant d’arriver à la ville, nous touchâmes à la source qui se trouve au
commencement des plantations de palmiers ; là nous trouvâmes un groupe
de jeunes filles des Hammāma occupées à remplir des outres qu’elles
chargeaient à mesure sur des ânes. Elles étaient gardées par un chien.
Ces filles arabes étaient vêtues de bleu et coiffées avec une certaine
grâce, leurs oreilles et leurs cheveux étaient ornées d’anneaux de
cuivre qui étaient d’un joli effet. Mais ces demoiselles n’avaient rien
de virginal, ni leur timbre de voix, ni surtout leur langage ; il choqua
jusqu’à mes guides, qui les appelèrent en moquerie « chiennes de
Hammāmiāt ». Leur visage n’avait rien de joli ni d’intéressant, et leurs
poitrines étaient un peu plus décolletées que ne le comportent nos
idées.

Nous partîmes de Lemmaguès où nous ne fîmes qu’une courte halte pour
déjeuner et continuâmes notre route dans un pays qui n’était interrompu
que par quelques ravines descendant des montagnes et allant au chott. La
végétation était remarquable en ce qu’on y voyait associés le _zeita_,
le _souid_, le _tarfa_, plantes qui croissent de préférence dans les
lieux bas et près de l’eau, et le _halfa_ du pays, qui, s’il est
semblable à son frère des hauts plateaux algériens[106], ne vient
ordinairement que sur les endroits élevés et exposés aux vents.

Nous fîmes lever trois outardes, qu’un de mes cavaliers chercha en vain
à atteindre à balles. Nous vîmes aussi une petite troupe de gazelles.

Nous atteignîmes enfin l’endroit où était la veille la zmala du khalifa
des Aărād, avec une partie des Beni-Zid, mais à mon grand
désappointement, nous trouvâmes la place vide. Les tentes avaient été
plantées plus loin, et le guide fut d’avis qu’ils avaient pris la
direction du Djébel-Chāreb. Je fis néanmoins arrêter ma petite troupe et
me décidai à passer la nuit où nous étions. Nous avions pour nourriture
des dattes, du pain et des œufs, mais les bêtes de somme eurent à
jeûner ; mon cheval seul eut environ la moitié de sa ration habituelle
du soir. Le cheikh Săīd de Kébilli partit à cheval pour explorer le pays
en avant ; il revint disant qu’il n’avait rien trouvé sinon une tache
noirâtre dans le lointain et qui pouvait aussi bien être des arbres que
des tentes. Nous nous établîmes donc de notre mieux sur la frontière des
Hammāma et des Beni-Zīd, deux tribus puissantes qui ont la plus mauvaise
renommée comme pillards et qui, de plus, sont ennemies l’un de l’autre.

Notre repos ne fut interrompu que par les cris d’un chameau égaré. Nous
crûmes qu’il était chassé par des maraudeurs et préparâmes nos armes,
mais nous nous étions trompés, c’était tout simplement un jeune chameau
qui cherchait sa mère.

                                                                17 mars.

Nous nous mîmes en marche d’assez bonne heure, continuant à traverser le
pays plat et ayant à notre droite les montagnes du Nefzāoua. Nous
voyions à gauche le Djébel-Châreb se réunir au Hadifa, pic élevé que
j’ai visé à la boussole plusieurs fois pour en déterminer la position.
Nous traversâmes de nombreux oueds ; la végétation se montra la même
qu’hier.

Peu de temps après le départ, nous rencontrâmes deux ou trois voyageurs
qui nous apprirent que la smalah avait campé un peu plus en avant, et
bientôt en effet nous l’aperçûmes au pied de la montagne. Le cheikh Săīd
fut encore détaché pour aller porter une lettre au khalifa et il nous
rejoignit plus tard avec un ordre écrit d’un chef à son remplaçant à
Hāmma.

Nous arrivâmes à Aïn el Magroun[107], source qui sort de rochers de grès
friables et qui a de petits dépôts calcaires ; il y a là un
rassemblement de beaucoup d’eau, mais elle est un peu salie. Dans les
berges de grès qui entourent la source, je remarquai des morceaux de
bois fossiles passant quelquefois à une couleur et une forme presque
charbonneuse ; ces morceaux de bois me frappèrent d’autant plus que
leurs dimensions dépassaient de beaucoup tout ce que la plaine
renfermait de gros troncs ou de grosses racines.

Nous continuâmes notre voyage et arrivâmes bientôt à la fin des
montagnes du Nefzāoua, et aperçûmes alors à l’horizon les hauteurs des
Matmata, puis les plantations d’El-Hamma au pied d’une chaîne de
hauteurs nommées El-Kheneg. Sur l’un des dernier pitons des montagnes du
Nefzaoua, on me dit qu’il y a les ruines d’une petite ville peut-être
romaine, perchée comme un nid d’aigle : on l’appelle Belīd Oulad
Mehanna.

Il ne nous fallut pas longtemps pour atteindre la petite ville de Hamma.
Elle est entourée de plantations et se trouve divisée en deux villages,
celui d’El-Hamma, puis celui de Kessàr par environ 40°, à 1 kilomètre de
là ; entre les deux villages se trouve le bordj de construction arabe ou
turque, où logent des soldats zouāoua. Près du bordj sont les sources
thermales qui ont donné son nom à la ville.

Il y en a trois principales :

                 {  l’eau dans les bains                      44°,4
  ’Aïn-Hamma     {
                 {  dans le petit canal près du bassin        43°,95

                 {  Dans les bains                            46°,45
  ’Aïn-el-Bordj  {
                 {  dans le bain, à l’ouest                   45°,95

  ’Aïn-Mejada                                                 45°

C’est cette dernière, je crois, qui alimente les bains des femmes.

Les deux bains dont j’ai parlé sont de construction romaine,

au moins quant aux fondations, tout entières en fortes pierres de
taille ; je dois mentionner qu’au plafond d’une des chambres de bains
d’Aïn-Hamma, il y a une pierre, ornée de sculptures et d’une inscription
arabe, aujourd’hui trop effacée pour que j’aie pu en tirer un sens. — Il
y a là des travaux de bassins, de canaux, etc., qui sont fort
intéressants.

La ville de Hamma[108] est bâtie peu élevée, les maisons sont crépies,
du moins en partie, et on a mis encore là à contribution pour leur
édification de nombreuses pierres romaines et des tronçons de colonnes.
L’ancienne ville romaine était près du bordj. Les citadins de Hamma sont
très sévères pour la réclusion de leurs femmes. Elles se cachent la
figure lorsqu’elles sont obligées de sortir ; leurs vêtements ne
diffèrent pas, autant que j’ai pu le voir de ceux des Nefzāoua. Mais
j’ai pu voir des visages de petites filles très mignons et promettant de
jeunes beautés. Les femmes des Benî-Zîd que je rencontre allant au bain,
sont remarquables au moins par leurs coiffures ornées d’une ligne de
pièces d’or sur le front. Elles prennent un soin particulier de leurs
personnes, et sont plus attrayantes que les femmes des pays que je viens
de quitter. Ayant eu l’indiscrétion de jeter un coup d’œil furtif sur le
« bain des dames », je pus voir une d’entre elles exécuter devant ses
compagnes un pas assez gracieux.

Quant aux hommes de Hamma, ils s’enveloppent dans un haïk grossier
souvent de couleur brune et orné au bas d’une frange de cordonnets. Je
serais presque tenté de les croire encore plus fanatiques et méfiants
que les habitants du Djérid. C’est étonnant. Il y a quelques juifs à
Kessár.

                                                                18 mars.

Nous partîmes ce matin pour Gabès, et y arrivâmes après une demi-journée
de marche. Le pays traversé est assez fortement accidenté, surtout sur
la droite ; c’est l’influence des hauteurs des Matmata qui se fait
sentir, et peut-être ce système de montagnes a-t-il une grande part dans
le soulèvement qui a fait un lac du Palus Tritonis[109].

Nous rencontrâmes beaucoup de troupeaux et d’Arabes s’en allant au
désert. C’étaient des Benî-Zîd et des Mehadeba (Zaouiya).

Nous eûmes à traverser de larges plantations avant d’entrer à Gabès, et
nous coupâmes enfin l’oued qui forme une petite rivière ; là je vis
plusieurs juives assez bien vêtues qui étaient en train de laver leur
linge. Je remarquerai à cette occasion que le costume des juives et des
musulmanes ne diffère pas à Gabès.

Nous descendîmes à la porte du kaïd qui était en train de rendre la
justice, et je n’y restai que quelques instants, car le bruit des
plaintes arabes m’est insupportable. Le chef est un homme assez arrondi,
et déjà un peu âgé : il me reçut bien et me dit que, ces jours derniers,
il était venu ici un Français, voyageant à ses frais avec des spahis de
Tunis. Il était en ce moment à Djerba, et devait revenir incessamment.

On me logea dans une belle maison juive, où était aussi le bagage du
Français, une de ses mules et un domestique. La maîtresse de la maison,
une vieille juive de Tripoli, fit une sortie en poussant des cris
épouvantables sur une note qui ferait envie à tous les sopranos
possibles en apercevant le monde qui avait envahi son domicile ; elle ne
voulut pas croire que je fusse Européen ; il fallut cependant bien
qu’elle s’apaisât, et je pus m’établir assez confortablement. — Bientôt
il y eut bonnes relations entre les dames de la maison et moi.

Gabès ou plutôt El-Menzel[110], celle des deux villes de Gabès où je
suis, est assez bien bâtie. Les maisons sont hautes et blanchies à la
chaux ; les pierres des constructions viennent pour la plupart de
l’ancienne ville romaine. Il y a un marché et un petit bazar couvert ;
quantité de boutiques et ateliers tenus pour la plupart par des juifs,
qui sont ici en très grand nombre. Les vêtements des hommes (musulmans)
sont les mêmes que ceux d’El-Hamma ; ils sont du reste très variés. Les
musulmanes s’habillent comme les juives, à ce qu’on me dit du moins, car
elles sont séquestrées avec une grande sévérité. Le costume des juives
est assez élégant quoique primitif ; le bleu y domine. Quant aux juifs,
ils s’habillent comme ceux d’Alger, avec des culottes noires, turbans,
etc., des couleurs et des modes les plus diverses. La population juive
peut atteindre 1.000 âmes.

Je trouvai à Gabès une borne milliaire, qui a été apportée d’une ruine
romaine près de la mer, à l’est de Ketana et de Zerig-el-Berraniya. —
Voici l’inscription[111] :

[Illustration : Fac-similé de l’inscription de la borne milliaire de
Henchir Aichou (de la carte de Sainte-Marie), à l’est de Ketana et au
bord de la mer, sur la route du pèlerinage. — Pierre aujourd’hui à Gabès
où je l’ai trouvée.]

J’en ai pris du reste un estampage pour être bien sûr de la lecture.

                                                                19 mars.

J’ai été ce matin faire une promenade au bord de la mer, qui est à 3
kil. de la ville. Nous passâmes d’abord le bordj, et laissant
Djarra[112] à notre gauche, nous nous dirigeâmes vers la rivière.
Arrivés à l’endroit où sont construits d’assez grands magasins pour les
approvisionnements de l’armée, je vis quatre ou cinq felouques, ou
embarcations pontées ou demi-pontées à voiles latines. C’est là toute la
flotte commerçante du port de Gabès, si l’on peut appeler port le bord
de la rivière où viennent aborder les bâtiments. Le peu de profondeur de
cette rivière, et le manque de port véritable empêchent les bâtiments
même d’un faible tonnage de venir toucher ici. Tout le commerce, d’après
ce qu’on me dit, est un commerce de cabotage, avec Djerba et Tripoli. —
Auprès du magasin, sont étalés par terre plusieurs canons de fer, les
uns sans culasse, les autres sans bouche, les derniers enfin tout rongés
par la rouille.

Sur la plage qui est très basse (de sorte que j’estime à 2 mètres
environ l’altitude de Gabès), je trouvai les mêmes coquillages que je
m’amusais à recueillir autrefois à Toulon, et en partie aussi à
Trouville. — D’ici j’eus devant les yeux un spectacle que je voyais pour
la première fois ; la mer et des plantations de palmiers se touchant
presque ; mais la verdure des palmiers qui, au sortir d’un désert, me
paraissait si fraîche, me semblait terne et brûlée, comparée avec la
belle couleur foncée de la mer.

Je m’assis pour jouir quelques instants de ce bon air et du beau
spectacle de la mer qui a toujours eu tant d’attraits pour moi.

Nous nous en retournâmes ensuite, et je remarquai la végétation du
rivage où le _harmel_, le _zeita_ et la plante grasse articulée des
marais de la Chemorra (Tougourt) se trouvaient réunis.

Je passe la journée à me reposer, à écrire quelques lettres et à lire un
peu.

                                                                20 mars.

J’ai été au bord de la mer, et je n’ai pas pu résister à la tentation de
prendre un bain, court il est vrai, mais qui, je l’espère, me fera du
bien ; l’eau avait environ 15° de même que l’air vers 2 heures et demie
de l’après-midi. Les mariniers me disent qu’à l’entrée de l’oued la plus
grande profondeur d’eau que l’on trouve à marée haute ne dépasse pas 5 à
6 pieds, une hauteur d’homme.

Je mesure au pas métrique un sas au bord de la mer, pour donner quelque
sûreté à mon plan de la rivière de Gabès, qui est tout à recommencer.

J’apprends que le Bey a donné les ordres les plus sévères aux kaïds des
villes maritimes de la régence pour qu’ils ne commettent pas
d’exactions ; le kadhi est responsable sur sa tête s’il n’avertit pas le
Bey le cas échéant.

On me parle beaucoup des montagnes de Ghomerâçen[113], etc. Les tribus
arabes qui y habitent (outre les habitants des villes qui sont berbères)
sont les plus pillardes et brigandes que j’aie jamais entendu
mentionner ; elles ne s’épargnent même pas entre elles. Les hommes ont
écrit sur le canon de leur fusil les noms de ceux qu’ils ont tué, et
celui qui en a le plus est le plus respecté. On m’en cite qui ont leurs
canons de fusils tout couverts de ces marques. Il y a quelque temps, le
chef de l’armée des Aàrād[114] vint à Gabès et, pour une raison ou une
autre, il voulut soumettre la montagne, en particulier le ksar
Mouddenin. Il partit de Gabès, jurant de rapporter tous les brigands
enchaînés. Malheureusement les soldats tunisiens portent des pantalons,
et lorsque du ksar Mouddenin on vit approcher l’armée, on cria partout :
les Chrétiens ! les Chrétiens ! et on commença à écraser l’armée de
pierres. Il y eut déroute complète et le chef lui-même arriva malade à
Gabès.

                                                                21 mars.

Je pars dans la matinée et n’ayant plus de levé à faire sur une route
que j’ai déjà parcourue, je fais attention à la végétation qui se
compose de _halfa_, de _bou griba_ à fleurs jaunes et de _chih_ ; vers
El-Hamma, en traversant la montagne, on voit apparaître le thym. La vie
animale est très animée, je remarque des quantités de fourmis et autres
hyménoptères, de lépidoptères et coléoptères.

A notre arrivée, j’envoyai un mokhazeni prévenir le cheikh ; mais il fut
reçu comme un chien dans un jeu de quilles, parce que le grossier kaïd
de Gabès avait eu la bêtise de renvoyer mes deux cavaliers (de Hamma)
sans leur donner seulement de l’orge pour leurs chevaux. Moi-même je fus
accueilli on ne peut plus froidement ; le cheikh me fit mener à Kessar,
de l’autre côté du bordj. Là, je fus reçu très malhonnêtement ; on
refusa de chercher un logis avant d’avoir vu la lettre du Bey. Moi qui
l’avais donnée à Gabès, je refusai de la montrer, et, voyant les
mauvaises dispositions des habitants, je me décidai à camper en plein
air, et j’écrivis à la hâte une lettre au khalifa des Benî-Zîd en le
priant d’envoyer du monde pour me tirer de cette position et surtout
pour m’accompagner sur la route de Gafsa.

Je vins donc me réfugier au pied du bordj, et le chef de la garnison
sortit pour savoir ce que je voulais ; lorsqu’il eut vu les lettres du
Bey que j’avais dans mon portefeuille, il se fâcha tout rouge, et ne
comprenant pas plus que moi la conduite des gens de Hamma, il me dit :
« Il ne nous est pas permis de vous recevoir dans le bordj, mais voici
une construction séparée où vous pouvez vous installer, et je vous
considère désormais comme mes hôtes ; mes hommes veilleront la nuit sur
vous. » Je m’installai, remerciant le brave homme de sa bonté, et à
peine étais-je assis que les grands de Hamma vinrent me faire toutes
sortes d’excuses et de protestations ; ils me priaient de venir en ville
où on m’avait préparé une belle maison. Je refusai net, et eus à
résister pendant plus d’une heure à leurs supplications. — Enfin ils me
quittèrent et m’envoyèrent à dîner et de l’orge pour les bêtes. — Pour
moi, je dînai avec le commandant du fort, qui ne voulut pas se défaire
de ses droits d’hôte.


[Note 99 : Appelé aussi Cherb-el-Dakhlania.]

[Note 100 : Ce serait une variante de la voie méridionale de Thélepte à
Tacapé de la Table de Peutinger ; d’après Tissot, elle passait par Nefta
et la rive méridionale du chott Djérid. (Voir _Géog. comparée de la
province romaine d’Afrique_, II, p. 686 et la note additionnelle de M.
Salomon Reinach.)]

[Note 101 : Le degré d’humidité des chotts varie pourtant d’année en
année, selon l’abondance des pluies et l’élévation du niveau des nappes
souterraines, qui affleurent et font équilibre à l’évaporation dans les
parties basses. C’est ainsi que la mission Roudaire a trouvé sur le même
trajet du Kriz au Nefzaoua un sol fangeux et détrempé (rapport cité, p.
41). Ici, comme dans le reste du Sahara, il y a bien desséchement
progressif, mais ce desséchement est infiniment lent.]

[Note 102 : Ces deux inscriptions ont été reproduites par Tissot (_Géog.
comparée_, II, p. 702-703) et dans le _Corpus_, I. (L. VIII, 84 et 83)
d’après les copies de G. Temple et de Tissot lui-même. M. S. Reinach a
signalé de légères différences entre ces reproductions et le dessin,
dont le fac-similé est donné ici. On sait que Tissot a identifié
Tellimīn avec le Limes Thamallensis de la Notitia Dignitatum, le Turris
Tamallensis de l’itinéraire d’Antonin. Voir aussi, sur l’occupation
romaine de la région au sud des chotts, Cagnat, _L’armée romaine
d’Afrique_, p. 561, 753 et suiv. et le chap. VIII du mémoire du regretté
P. Blanchet : _Mission archéologique dans le centre et le sud de la
Tunisie_, avril-août 1895, _Nouv. Archives des Missions scient. et
litt._, IX, 1899.]

[Note 103 : L’Ad Templum des cartes.]

[Note 104 : Rhoma ou Rhouma, chef insurgé du Djébel Tripolitain, où il
brava successivement les armées des Karamanli de Tripoli, puis des
Turcs. Il fut attiré à Tripoli et pris par trahison en 1843.]

[Note 105 : Appelé aussi Djébel-Tebaga.]

[Note 106 : Cette remarque n’est pas inutile, car les Tripolitains
donnent le nom d’halfa à une autre graminée, _Lygeum Spartum_ L. et
appellent l’alfa algérien _guedim_ ou _bechna_ (_Les Touaregs du Nord_,
p. 203). L’alfa algérien est ici près de sa limite sud.]

[Note 107 : Sans doute l’oued Magroun de la mission Roudaire, ruisseau
permanent issu d’une des nombreuses sources qui jaillissent au pied du
massif crétacé du Tébaga. (Dru, rapport cité, p. 39.)]

[Note 108 : _Aquae Tacapitanae_. Cf. Tissot, II, p. 654.]

[Note 109 : Duveyrier était parti avec cette idée. Il s’en est expliqué
dans une lettre au Dr Barth, datée de Biskra, 19 déc. 1859, dont le
brouillon en allemand se retrouve dans ses papiers : « Je regarde comme
très probable la connexion du Chott Melrir avec le Palus Tritonis des
géographes anciens. Je me représente cette grande dépression reliée
jadis aux sebkhas du Djérid, et celles-ci unies à la Méditerranée. Il
suffirait d’admettre un soulèvement progressif du sol... » Il ajoutait,
il est vrai : « Je me suis arrêté trop longtemps à ces indications
incomplètes, et je manque ici à mon principe, qu’un voyageur en route
doit bâtir aussi peu d’hypothèses que possible. » — Sur le seuil de
Gabès et sa formation, voir notamment L. Dru, _Rapport sur la dernière
expédition des chotts_, Paris, 1881, p. 49-51 et coupe. Sur la région
des Matmata, voir P. Blanchet, _Le Djébel-Demmer_ (_Annales de Géogr._,
1897, p. 239-254) et commandant Rebillet, _le Sud de la Tunisie_, Gabès,
1886.]

[Note 110 : L’ancien Menzel a été en partie détruit lors de la prise de
Gabès en 1881.]

[Note 111 : Reproduite dans Tissot (II, p. 199, 811) et dans Guérin
(_Voyage archéologique dans la Régence de Tunis_, II, p. 191) qui la
croyait apportée de Henchir Lemtou.]

[Note 112 : L’autre ville de l’oasis de Gabès.]

[Note 113 : Ghoumracen, village troglodytique du Djébel el Abiod,
appartenant aux Ourghamma.]

[Note 114 : L’agha des Aarad, comme la plupart des autres gouverneurs de
province, résidait à Tunis et venait à Gabès avec sa colonne pour faire
rentrer les impôts.]




                              CHAPITRE VI

                       RETOUR AU DJÉRID PAR GAFSA


                                                                22 mars.

En partant du bordj, nous traversâmes longtemps les plantations, au
milieu desquelles apparaissaient çà et là quelques maisons habitées,
entourées de basses-cours ; après avoir enfin franchi la limite des
palmiers, nous entrâmes dans une plaine à végétation de _zeita_ et à sol
sablonneux mais solide ; nous y voyageâmes quelque temps et pénétrâmes
enfin dans une sebkha qui représente ici le grand chott.

La surface unie et nue, la vraie sebkha, ne dura qu’un instant et nous
continuâmes dans un terrain de bonnes terres, avec quantité de _chih_,
de _remeth_ qui apparaît ici, et enfin de _sedra_. Presque sans
discontinuité nous voyons des traces de labours, ce qui prouve assez que
le chott n’est plus en cet endroit le même que dans l’espace qui sépare
le Djérid du Nefzāoua.

Lorsque nous sortîmes du chott, nous entrâmes dans les montagnes que
nous avions eues devant nous depuis le moment où nous avions quitté El-
Hamma. La vallée de Hareīga se prolonge ici entre deux lignes de
hauteurs : celle de gauche est le Hadīfa ; nous continuâmes longtemps
dans cette vallée, trouvant souvent des restes de petits établissements
romains, postes et autres ; notamment nous touchâmes à des ruines que je
crois être celles d’un petit temple ; les pierres, quoiqu’en petit
nombre, étaient d’énormes dimensions et un grand nombre d’entre elles
avaient une forme courbe, comme si elles avaient servi à former une
arcade.

Après avoir dépassé le Hadifa, nous entrâmes dans l’interminable vallée
ou plaine de Săgui. Tous les oueds, à partir de ce moment, prennent leur
cours vers la droite. Le sol de cette plaine est excellent et
parfaitement labourable ; actuellement, il est vrai, le manque d’eau
empêche qu’on ne la cultive, sauf dans des proportions insignifiantes,
mais il semblerait qu’à l’époque de l’occupation romaine, il en était
tout autrement, à en juger par de nombreuses traces d’établissements
romains qu’on rencontre en la traversant[115]. L’oued qui forme le fond
de la plaine, et qui reçoit des ravines des deux lignes de montagnes, a
pu autrefois contenir beaucoup plus d’eau qu’aujourd’hui. J’entends dire
qu’il tient des rhedirs[116] et de grandes mares jusque pendant quatre
mois, lorsque la pluie tombe.

Nous avions l’intention de marcher jusqu’à El-Ayaēcha ou El-Guettār ;
mais, en route, je fus frappé par trois ou quatre pierres romaines
d’assez grandes dimensions, et quoique nous les eussions dépassées, je
revins vers elles et, sans descendre de cheval, je pus distinguer une
inscription sous un tronçon de colonne. Je fis aussitôt revenir la
caravane, et décidai de passer la nuit ici.

Nous trouvâmes un monolithe arrondi, sortant d’une base carrée et couché
à terre ; à côté se trouvaient les débris incomplets d’une autre colonne
semblable ; c’était sur un de ces débris que j’avais vu l’inscription.
La colonne complète avait aussi été couverte d’une longue inscription,
mais le temps et la main des enfants arabes, qui s’étaient amusés à
marteler l’inscription, l’avaient rendue illisible. Je pus bien
reconnaître çà et là quelques lettres isolées, mais n’avais pas le temps
de les copier ; le travail eût été trop long et trop pénible. Je le
laisse à un successeur. Outre le tronçon de colonne gisant sur le sol,
il y en avait un autre à demi enterré ; un peu de travail le mit à jour,
et j’eus le bonheur d’y trouver une partie de l’inscription qui devait
être fort longue. Comme cette inscription est très incomplète[117], je
me contenterai de reproduire ce que j’ai pu y reconnaître.

[Illustration : Deux tronçons de colonne portant une inscription. Săgui
(route de Gabès à Gafsa).+Inscription relative à une fortification de la
route de Gabès à Gafsa. Borne milliaire de Săgui.]

Lorsque nous eûmes fini de déterrer ces pierres, j’en vis une autre dont
la partie visible, peut-être longue d’un mètre, me parut être une pierre
tumulaire, et, ignorant ses dimensions, je fis commencer le travail pour
la déterrer. Le premier résultat de notre travail fut de découvrir que
cette pierre était longue de plus de 2 mètres, large de 50 centimètres
et épaisse de 45. Nous n’avions pas d’autres instruments que des
couteaux et des piquets de tente, et mes six hommes parvinrent à
renverser cet énorme bloc. Mais nous fûmes bien récompensés, car nous
trouvâmes une belle inscription très peu endommagée.

Pour illustrer nos mœurs, je noterai qu’au moment où la pierre cédait à
nos efforts, on signala trois hommes à l’horizon ; comme ils étaient
encore assez loin, nous terminâmes le travail et courûmes ensuite à nos
armes. Je pris moi-même mon revolver et allai gratter un peu mon
inscription. — Nous avions fait de grands préparatifs guerriers,
inutiles heureusement, car les arrivants étaient de petits marchands
sans armes, qui poussaient devant eux quelques agneaux et chevreaux
qu’ils venaient d’acheter aux Hammāma. Je leur achetai un agneau pour
récompenser mes hommes (5 fr.) et si nous avions eu de l’eau à volonté,
nous aurions été les plus heureux des mortels. Il fallut souffrir de la
soif, moi excepté. Nos pauvres bêtes de somme aussi furent obligées de
rester à jeun, car le pays ne produit que du _chih_ et du _remeth_, et
les bêtes ne mangent que très peu la première de ces plantes
seulement[118].

L’inscription que nous venions de déterrer était une borne
milliaire[119] et son contenu très intéressant, quoique les chiffres
aient été proprement martelés à l’époque romaine sans doute.

                                                                23 mars.

Les maîtres des agneaux qui avaient passé la nuit avec nous, et aussi
sacrifié un agneau de leur côté, nous firent changer un peu notre
direction. Nous voyions devant nous une chaîne de montagnes ; il
s’agissait de savoir si nous passerions à droite ou à gauche : nous
suivîmes leur conseil et prîmes à gauche.

Le pays était identiquement le même que celui que nous avions traversé
hier, et nous rencontrions encore de temps en temps des restes de
constructions romaines, que je pris pour des fermes. Je dois noter
spécialement la première ruine, qui se trouve à 480 mètres au nord-ouest
des inscriptions, et qui par ses restes de pierres de taille énormes me
fait penser qu’il y avait là un petit temple ou tout autre bâtiment
public. Nous laissâmes bien loin sur la droite, près des montagnes, une
« porte », probablement un arc de triomphe dont me parlent les cavaliers
du makhzen.

Au bout de quelque temps, nous arrivâmes à une construction romaine
connue sous le nom de Henchir es Somăa. C’est un monument tumulaire en
forme de tour carrée ; l’intérieur que l’on peut voir à travers les
dégradations formait une chambre carrée aussi haute que le monument. Le
tout peut avoir 15 pieds de haut, pas plus de 20 pieds. Le monument a
aujourd’hui une position inclinée du côté de l’ouest, ce qui tient aux
pierres qui ont été arrachées de la base de ce côté.

[Illustration]

Je fis une esquisse rapide de cette ruine, et pendant que je déjeunais,
un cavalier étant parti questionner des bergers dont nous voyions les
moutons au loin, revint avec la nouvelle que nous nous étions trompés de
route. — Un cavalier du kaïd du Nefzāoua qui nous rejoignit bientôt,
emmenant avec lui un domestique du kaïd et une négresse sur un mulet,
nous tira d’embarras en nous montrant la route.

Nous coupâmes la montagne, du moins une partie très basse de la
montagne, à un endroit où la route romaine de Gafsa à Tacape devait
aussi passer, à en juger par les restes de constructions qui se
montraient de temps en temps à droite et à gauche de la route et par des
lignes de pierres qui me semblent avoir été mises pour démarquer la voie
romaine. Outre les plantes de Sagui, je notai ici le _retem_, le
_rhardeg_ et le _harmel_.

La montagne était de calcaire ; quelquefois le sol prenait une teinte
verdâtre due à des argiles (?) ; enfin dans ces endroits on remarquait
des pierres luisantes : sulfate de chaux à l’état cristallin
grossièrement fibreux.

Nous entrâmes ensuite dans une autre plaine où nous rencontrâmes encore
des traces de labours. Là il nous arriva un petit accident, un de nos
mulets tomba par terre, et entra dans des convulsions qui me firent
craindre qu’il ne mourût. Cependant ce n’était qu’une violente colique,
et peu à peu il se remit et nous pûmes enfin gagner El-Guettar.

El-Guettār est une petite ville, ou plutôt un village, bâti en pierres
et en terre à la manière arabe ; on n’y remarque pas la moindre trace
d’occupation romaine. Du reste, la ville est très peu importante et les
maisons sont la plupart en ruines. El-Guettār possède des plantations de
palmiers et d’oliviers en proportion avec son importance. Les dattes se
nomment kĕsébba. Les habitants s’habillent comme ceux du Nefzāoua et les
femmes, quoique vêtues de bleu, mettent aussi un haïk blanc. Leur
coiffure est la même que celle des Nailiyat, avec les fausses tresses de
chaque côté de la tête. Au reste, la ville compte comme arabe et les
habitants ont une renommée de pillards.

D’après le _Nautical Almanach_, le Ramadhan ne devait commencer que
demain (à Constantinople ?), mais la question étant grave, beaucoup
d’individus se mirent à consulter le ciel, et vinrent me dire que la
nouvelle lune avait paru et s’était couchée presque aussitôt.

El-Guettār est appuyée sur un renflement du bas de la montagne[120].

                                                                24 mars.

J’ai oublié hier de dire deux choses intéressantes sur Guettār. La
première est relative à la nature des eaux qui arrosent les plantations.
On creuse des trous assez vastes de 3 à 6 mètres de profondeur, selon la
proximité de la montagne, et on met à découvert un _ruisseau_ d’eau. Je
crois que les palmiers plongent leurs racines dans l’eau, mais pour les
grains, etc... on les arrose à force de bras au moyen de puits
semblables à ceux des Beni-Mezab.

La seconde est d’autant plus remarquable qu’ordinairement les Arabes ne
se confient pas vite au premier venu. Mais à peine étais-je installé
dans la maison du cheikh que plusieurs habitants de Guettār vinrent me
trouver et me dirent en levant les mains au ciel : « Mon Dieu, combien
nous désirerions que les Français fussent les maîtres de ce pays ! »

Je restai à Guettār la première partie du jour ; je dois remarquer que
les femmes jouissent ici d’une grande liberté. Elles causèrent sans
façon avec moi, et me contèrent leurs petits « bobos ». Une de ces dames
était évidemment malade du poumon, et j’eus l’indiscrétion de lui
demander à voir l’endroit où elle souffrait. Cela ne fit aucune
difficulté. Aussi sa complaisance fut-elle payée par un peu de
médicaments et de bons conseils, comme celui de porter de la laine. En
effet, toutes les femmes de ces contrées se vêtent de coton.

Après avoir pris la hauteur du soleil à midi, nous nous mîmes en route.
Nous trouvâmes une plaine très unie, entourée de montagnes que nous
n’atteignîmes pas. Le paysage ne variait qu’en ce qu’il était plus ou
moins inculte ; le changement fut très sensible lorsque nous approchâmes
de l’oasis de Lâla. Nous traversâmes alors des champs de céréales en
orge.

Le camp de l’armée du Bey Hamouda[121] nous apparut de loin avec ses
tentes blanches, et lorsque nous approchâmes, je pus m’amuser à
considérer le mouvement extraordinaire qui y régnait. Il y avait une
foule de cavaliers allant et venant, des soldats vêtus à l’européenne ;
au milieu des tentes des soldats on remarquait deux pavillons surmontés
d’une pomme dorée : c’étaient les tentes du Bey Hamouda et du ministre
garde des sceaux. Le camp était entouré de tentes d’Arabes qui
probablement étaient là pour le service des munitions de bouche, enfin
on voyait dans la plaine des troupeaux de chevaux, qui avaient été
enlevés dernièrement au Hammāma, soit comme complément du tribut, soit
comme amende.

Nous passâmes au milieu de tout ce mouvement, causant beaucoup de
surprise. Nous nous arrêtâmes dans la ville de Gafsa, qui se trouvait de
l’autre côté de l’oued Beyâch, à la maison de Si elʿAbidi, khalifa de Si
ʿAli Saci. Mais comme on ne mettait pas trop d’empressement à nous
recevoir, et surtout parce qu’on prétendait me faire partager un logis
avec d’autres étrangers, je me remis aussitôt en selle, et allai avec
Ahmed et un _mokhazeni_, voir Si ‘Ali Saci[122].

On me fit attendre assez longtemps dans sa tente, et Ahmed fut mandé
pour donner des détails sur ma personne. Enfin le seigneur parut, me
salua d’une manière très affable, et me fit asseoir à ses côtés ; je lui
remis aussitôt les lettres que j’avais à son adresse et lorsqu’il les
eut lues, il donna des ordres pour mon installation et me pria de rester
à _déjeuner_ avec lui après le coucher du soleil.

J’acceptai volontiers son offre et envoyai Ahmed présider à mon
installation.

Pendant que j’étais dans la tente de Si ʿAli Saci très occupé alors par
les affaires financières de son département, je reçus la visite de
plusieurs Européens au service du Bey ; tous me parurent très bornés, et
me déplurent au plus haut degré ; je dois en excepter seulement le
médecin du Bey, qui sait le français et est à part cela un fort aimable
homme.

Après le dîner, je partis pour Gafsa où je trouvai tout à souhait.
Cependant je ne pus pas bien dormir, à cause du bruit que firent les
gens de la maison, qui se disputaient pour avoir leur dîner d’abord, et
ensuite se mirent à chanter et à rire d’une manière désespérante. Je
suis à part cela dévoré par des puces depuis le Nefzāoua[123].

                                                                25 mars.

Je me levai tard, et me rendis de bonne heure au camp ; j’y eus un bout
de conversation avec Si ʿAli Saci toujours très occupé, et j’allai
déjeuner chez le médecin, à qui le Bey a fait cadeau d’un cheval hier ;
nous eûmes un fameux repas venant en partie de la cuisine du Bey, avec
vin de Marsala.

Je revins en ville plus tard que je ne l’aurais voulu, et en route on me
montra l’exécuteur des hautes œuvres, qui porte l’habit d’un canonnier à
cheval. Je trouvai le Khalifa tout prêt à nous montrer les inscriptions
latines que renferme la ville. Je crus d’abord qu’il n’y en avait que
quelques-unes, mais le travail fut beaucoup plus grand que je ne l’avais
pensé. Je ne connaissais pas encore bien le labeur de la lecture d’une
inscription endommagée ; et ce labeur se renouvela douze fois dans mon
après-midi. La plupart des inscriptions sont très avariées, étant toutes
placées dans les murailles des maisons, en dehors, et quelques-unes à
moitié enterrées dans le sol. Si j’étais plus ferré en archéologie,
peut-être eussé-je rendu, mieux que je ne l’ai fait, ces monuments
épigraphiques, mais enfin je vais livrer ici le résultat de mes
lectures[124]. Quant à des estampages, l’état inégal de la surface des
pierres n’aurait pas permis de donner grand’chose de bon.

Dans notre promenade nous touchâmes au Termīl, qui est la source célèbre
de la ville, elle est près du bordj, et on y descend par quelques
marches ; toutes les constructions à l’entour sont fort solides et
datent de l’époque romaine. Le bordj lui-même est un magnifique fort, le
plus beau de la régence après ceux de Tunis ; il occupe un vaste
emplacement et est fort élevé ; l’architecture en est élégante. Je vis
aussi en me promenant l’arc de triomphe (?) et aussi les ruines d’une
église chrétienne dont les arcades sont encore très bien conservées.

Au point de vue pittoresque, le fait le plus intéressant de ma journée
est ma visite à un juif nommé Moucti ; il est Algérien d’origine, sa
maison est un petit palais, et il a une nombreuse famille ; il me reçut
dans une chambre avec un lit à rideaux, pendule, etc., et me fit servir
de l’absinthe du pays qui est excellente et des gâteaux. C’est une jeune
et belle femme qui me servit ; elle peut servir de type du costume des
dames de la famille et, me dit Ahmed, des Tunisiennes en général. Ce qui
le caractérise est le pantalon collant, depuis la cheville jusqu’au
haut, et l’espèce de juste-au-corps collant sur la poitrine. C’est un
singulier contraste avec l’ampleur des autres modes musulmanes, mais il
n’est pas dépourvu d’élégance, et là il était fort bien porté. Je fus
très bien reçu par tout le monde et avec des manières très gracieuses.

Le soir, je vais dans le bordj faire des observations astronomiques
complètes.

                                                                26 mars.

Aujourd’hui j’ai fini ma tournée archéologique, et quoique j’aie encore
trouvé trois inscriptions, je ne doute pas que je sois loin d’avoir tous
les documents épigraphiques de Gafsa.

Je profitai de ma promenade pour observer près de la maison du Bey un
vaste bassin, vraie piscine de construction romaine, dont l’eau est
encore plus chaude que celle du Termīl. Il y a des poissons, les mêmes
que ceux du Termīl, dont j’aurais bien voulu prendre un échantillon, car
je suis bien sûr qu’ils forment une espèce nouvelle pour moi, c’est-à-
dire différente de celles que j’ai observées jusqu’à présent en Afrique.

Je me promène avec un tailleur de pierres de Dresde qui, bien que jeune
encore, a vu beaucoup de pays ; maintenant il est ici un des élégants du
pays, s’est fait musulman ; il travaille à construire des maisons et
gagne, me dit-il, 5 fr. par jour. Il me propose d’aller voir vers
l’ouest de la ville de vastes carrières souterraines du temps des
Romains, mais comme ce fait a moins d’intérêt pour moi que pour lui, je
me borne à en prendre note.

Je vais au camp. L’armée reste encore attendant l’argent d’El-Ayaēcha
qui ne paraît pas se presser. Si ‘Ali me reçoit toujours très bien, je
prends congé de lui, car demain je me mets en route.

Le Bey a demandé hier à son médecin quelques détails sur moi.

Source du Termīl = Temp. 30°.

                     { Temp. 23°,5, prise le 28 au matin.
  Puits de la cour = {
                     {  Prof. 11 1/2 _dra_ = 5m,75.

                                                                27 mars.

Nous partîmes de Gafsa assez longtemps après le lever du soleil, car le
seul moment où je puis dormir dans cette ville est précisément le matin,
où les puces qui font aussi le ramadan me laissent un peu de repos.

La route qui nous mène à Hamma était trop longue pour l’heure de notre
départ. Nous suivîmes tantôt de près tantôt de loin le cours de l’oued
Beyâch, qui change plusieurs fois de nom en cette petite étendue de
pays. L’oued forme le fond d’une large vallée ou plaine bordée à gauche
par le Djebel-Chareb, et à droite par la continuation des montagnes de
Gafsa. Il finit réellement à Tarfaouï où nous traversâmes une sorte de
chott sablonneux, mais cependant plus loin, et jusqu’à près d’El-Hamma,
je pus voir le fond de la plaine occupé par une sebkha allongée
ressemblant à un oued.

Vers la fin de la journée nous nous rapprochâmes des dernières hauteurs
du Chareb ; nous rencontrâmes là plusieurs piétons hammāma qui nous
firent hâter la marche ; je ne puis pas m’expliquer la terreur que ces
gens inspirent à mes compagnons de route. Cependant un chaouch alla voir
ce qu’ils voulaient, et nous trouvâmes de simples voyageurs comme nous.
Un de ces Hammāma se joignit à nous.

Nous n’atteignîmes El-Hamma que bien tard dans la nuit ; j’arrêtai mon
itinéraire à la Hadjra Soûda, pour le reprendre demain. A notre arrivée,
nous fûmes reçus par un ami de Si ʿAli Saci auquel ce seigneur nous
avait recommandés.

                                                                28 mars.

L’oasis d’El-Hamma a environ 380 hommes de population, ce qui donne un
chiffre d’environ un millier d’habitants. L’année dernière, le pays ne
payait que 4.000 réaux ; cette année, il donne 12.000 réaux ; la
différence de l’impôt tient à ceci, que l’année dernière il y avait un
autre cheik, et qu’un homme de l’oasis alla au Bey et lui dit : « Donne-
moi El-Hamma, je te donnerai un revenu triple de ce que cette oasis te
rapporte. » C’est ainsi que se passent les choses dans ce pays ; ainsi
aujourd’hui chaque homme de la ville est taxé à 31r,6, soit environ 21
fr. !

J’ai couché à Nemlāt, un des villages de l’oasis.

Ce matin, j’ai été me promener à cheval, j’ai vu les sources d’eau
chaude, qui sont d’eau douce ; on y voit une piscine et une ligne de
pierres, un quai de construction romaine. — Voici les températures :

  Ruisseau sortant de terre                    37° 3

  Dans l’eau, près d’une source dans le sable  39° 1

  Dans la piscine, à la source                 39° 6

Plus loin, je visitai la Hadjra Soūda, rocher noir qui se montre isolé à
peu de distance des palmiers sur la route de Tunis. Ce rocher est
curieux, en ce qu’il est évidemment d’origine plutonienne, ou
métamorphique ; il est de couleur noire et de structure ovoïde ; il est
très dur. La forme est allongée, on voit que c’est une roche éruptive
qui a été poussée des sous terre par une force qui a probablement donné
naissance à une hauteur que l’on voit à côté.

L’oued d’El-Hamma est d’eau salée et tiède ; il nourrit de singuliers
petits poissons, qui portent leurs petits dans leur bouche[125], et Si-
Mohammed ben Rabah me dit qu’ils appellent leurs petits en battant des
nageoires, à la manière des poules, que les petits savent ce signal et
viennent se réfugier dans la bouche du gros.

Les constructions de Hamma sont moitié comme celles du Djérid[126],
moitié comme celles des qsours[127] ; mais on n’y voit pas d’élément
romain.

Nous rencontrons ici un Nemmouchi des Oulād el ʿAïsawi, qui vient
demander au Bey, pour sa tribu, la permission d’entrer dans la Régence ;
il me dit qu’ils m’amèneront en paix à Négrīn, si le Bey le leur
demande, mais à part il dit à Ahmed que, s’il avait su que nous étions
en voyage, il serait venu nous égorger tous deux de nuit, parce que nous
sommes des chrétiens !

Il me dit qu’il y a un mois, la nouvelle leur est arrivée que les
Kabyles se sont révoltés et nous ont vaincus et que les Français, en
désespoir de cause, ont promis 50 douros et un cheval à quiconque
viendra à leur secours (des Musulmans) !

J’arrive à Tōzer en très peu de temps, et y trouve le vice-consul qui
m’installe dans une maison à côté de la sienne.

                                                                29 mars.

J’ai passé la journée, à la maison, à mettre au courant mes itinéraires,
et, le soir, j’ai calculé quelques latitudes.

Aujourd’hui comme hier, le temps est lourd et le ciel couvert de nuages
transparents.

Le soir, un coup de vent à la tombée de la nuit disperse mon herbier qui
était à sécher ; je crains bien que beaucoup de plantes ne soient
perdues. C’est un coup de « chĕhili[128] ».

Je détermine le genre des poissons de l’oued de Hamma, de Termīl, etc...
Ce sont des « cyprinus » (Cuvier) ; dans l’édition allemande de Vogt,
ils ne sont pas décrits et probablement ils ne le sont pas du tout.

                                                                30 mars.

Ce matin, au moment où j’y pensais le moins, lisant sur mon lit, je vois
ma cour envahie par des hommes et des chevaux. Je demande ce que cela
veut dire et prie tout le monde de s’en aller. Mais comme le sont
souvent les serviteurs des hommes les plus gracieux, ces gens font la
sourde oreille et refusent de m’obéir. Il y a longtemps que la moutarde
me chatouille le nez à propos de l’insolence des gens du makhzen. Cette
fois, le manque de politesse est trop formel ; je n’y tiens plus, et
empoignant la chaise de Si Mohammed, je fais une charge furieuse sur
hommes et chevaux et en deux minutes suis maître du champ de bataille.

Dans la soirée, arrive le voyageur français dont j’ai parlé à Gabès :
c’est M. Guérin, professeur de rhétorique et voyageur historien. Il
connaît déjà l’Orient et nous nous connaissons de Paris où nous suivions
ensemble les cours de M. Caussin de Perceval. Il arrive dans un état
déplorable, car ils ont été assaillis en route par l’ouragan d’ouest
dont nous n’avons pu nous faire qu’une faible idée en ville. Nous
causons tout de suite d’inscriptions, et rectifions mutuellement
quelques erreurs que nous avions commises dans les lectures.

Le khalifa qui vient voir M. Guérin me fait ses excuses sur ce qui s’est
passé ce matin.

L’armée est arrivée à Hamma et viendra demain ici.

                                                                31 mars.

Ce matin, le Bey a fait son entrée avec sa petite armée ; on a tiré
vingt coups de canon pendant une petite revue que le Bey a faite à son
arrivée.

Je vais voir Si ʿAli Saci qui me reçoit avec une extrême politesse et se
tient debout pendant que nous causons. Il promet de m’expédier après-
demain, et demain il me donne du monde pour aller à Sebaa-Regoud ; la
caverne a quelque chose d’intéressant au point de vue géologique.

Promenade à Belidet-el-Hadar[129] avec M. Guérin[130] ; nous
reconnaissons, auprès du minaret dont j’ai déjà parlé, le plan par
colonnes d’un vaste temple ou église ; les entrepas des colonnes ont
2m,50 environ. M. Guérin est d’avis que les buttes de sable et de débris
de brique qui entourent la petite ville marquent la circonférence de
l’ancien Tusurus. Nous trouvons près de là un puits romain carré, de
nombreuses pierres dans les maisons.

Puis nous visitons la prise d’eau romaine, qui est encore très bien
conservée.

                                                         1er avril 1860.

Je vais voir encore une fois le Djebel Sebaa Regoud.

Je n’ai qu’une note topographique à ajouter à celles que j’ai déjà,
c’est que 600 à l’ouest de Keriz, on coupe l’oued Sebie Biar qui sort de
la montagne ; à sa source il y a un puits romain (carrière) ; l’oued est
petit et va arroser les palmiers.

[Illustration : Gravure rupestre du Djebel Sebaa Regoud trouvée sur un
banc plat de concrétions calcaires très solides, épais de 0m,10 à 0m,15,
reposant sur des grès. (H. Duv.)]

La grotte ou plutôt les grottes[131] sont dans un ravin, au nord un peu
est de la ville, à une petite distance. Celle que j’ai visitée, la plus
grande, se divise en deux branches ; la branche profonde est très
difficile, on n’y pénètre qu’en rampant sur le ventre, et souvent la
paroi est trop étroite pour qu’on passe les deux épaules en même temps.
Dans la chambre étroite où on arrive il y a beaucoup de fossiles dont
j’ai pris des échantillons ; on trouve sur la paroi des stalagmites en
forme de couches. Sur une de ces couches je lus : READE 1845. La grotte
ne s’arrête pas là, elle se prolonge par différents couloirs ; un
tailleur de pierres allemand me dit qu’on voit encore les traces des
coups de marteau qui ont servi à la creuser, et que l’un des couloirs
conduit à une chambre taillée de main d’homme.

Je retourne ensuite à l’inscription[132], dont je complète le dessin, je
découvre un peu plus haut, sur la même plate-forme, une figure
grossièrement taillée comme l’inscription elle-même. C’est peut-être une
grossière imitation de la lune[133]. Dans le ravin, je remarque la
formation de la montagne. Les assises les plus basses qui soient
découvertes sont des bancs de terre glaise sans fossiles, alternant avec
des bancs de sable fin et entassé (grès très tendre en formation) et
remplies de jolis petits cailloux de quartz hyalin ou autre et de silex.
Par-dessus tout cela vient le calcaire coquillier marin.

                                                                2 avril.

M. Guérin revient aujourd’hui de Nafta. Nous faisons une grande tournée
dans l’oasis. Puis nous revenons en ville et nous voyons les différents
quartiers qui sont : au S.-O. Zebda ; au S. Oulad el Hādef, à l’E. un
peu N. Zaouyet Debabsa qui est séparée de la ville, au N. Oussouāu, au
N.-N.-O. le tombeau du Sidi ʿAbīd, à l’O. un peu N. Guetna, à l’ouest
Masrhona et un peu plus loin Cherfā.

A un petit partage d’eau de El ʿAguela dans l’oued Zebbāla, à 4 h. 1/2,
l’eau avait 28° 4, l’air au thermomètre fronde 26°,4.

                                                                3 avril.

J’ai oublié de mentionner hier qu’outre de nombreuses pierres romaines,
fondations de maisons, colonnes (dont une de marbre), constructions dans
les saguias, partages d’eau, etc., que nous avons rencontrés dans les
plantations et les villages de Tōzer, nous avons encore remarqué en
ville une pierre portant une branche de zizyphus lotus très bien
sculptée en relief.


[Note 115 : Sur l’occupation romaine du sud de la Tunisie, voir, outre
les ouvrages généraux de Tissot, Cagnat, Gauckler, Toutain, etc., les
études du Dr Carton (_Revue Tunisienne_, 1895, p. 201, 1896, p. 373,
530), de P. Blanchet (rapp. cité, _N. Arch. des Missions_, IX, 1899) et
de A. du Paty de Clam (_Bull. de Géogr. historique et descriptive_,
1897, p. 408-424).]

[Note 116 : Flaques d’eau douce.]

[Note 117 : Voir la reconstitution dans Tissot, II, p. 658.]

[Note 118 : Ceci ne s’applique qu’aux chameaux du sud algérien et
tunisien. C’est ainsi que ceux de la Cyrénaïque mangent très bien le
remeth (Rohlfs, _Kufra_, p. 538) et que ceux du Fezzàn font du chih leur
nourriture favorite (Ascherson, _Kufra_, p. 481). C’est précisément la
répugnance des chameaux à se nourrir de plantes inaccoutumées qui oblige
les caravanes à changer d’animaux dans la traversée du désert.]

[Note 119 : Dite milliaire d’Asprenas. (Cf. pour lecture plus complète
Tissot, II, p. 650 et _C. I. L._, VIII, 10023.)]

[Note 120 : Le Djébel Arbet ou Orbata (crétacé).]

[Note 121 : Frère du Bey régnant.]

[Note 122 : Kaïd du Djérid.]

[Note 123 : On sait que la puce épargne le Sahara proprement dit.]

[Note 124 : Voir à l’Appendice.]

[Note 125 : M. Warnier me dit que probablement les poissons de Hamma
gardent leurs petits dans leur bouche pour empêcher que la chaleur de
l’eau ne leur fasse mal.]

[Note 126 : C’est-à-dire en briques.]

[Note 127 : C’est-à-dire en tôb (argile séchée au soleil).]

[Note 128 : Sirocco.]

[Note 129 : Ou Bled-el-Adher : un des villages situés dans l’oasis de
Tōzer.]

[Note 130 : Voir V. Guérin, _Voyage archéologique dans la Régence de
Tunis_. Paris, 1862, in-8o.]

[Note 131 : Elles ont valu à la montagne le nom de Sebaa Regoud « des
Sept Dormants ». Voir sur la légende Tissot, II, p. 366, 683.]

[Note 132 : Cf. p. 54.]

[Note 133 : On lit dans une note de Duveyrier : « M. Tissot a donné,
page 480 du tome I de sa _Géographie comparée_, la reproduction de mon
dessin, sans en indiquer la provenance. M. Tissot comptait réparer cet
oubli. »]




                              CHAPITRE VII

                           DE TOZER A BISKRA


Nous partîmes de Tōzer un peu trop tard pour la route qui nous
attendait. Jusqu’à Hamma nous ne vîmes rien que je n’eusse noté
auparavant ; nous entrâmes alors dans des marécages qui évidemment sont
cause de l’insalubrité de toute l’oasis. Ils s’étendent vers le chott,
et sont formés par les eaux de l’oued qui se perdent peu à peu dans les
terres.

Notre marche était peu rapide, aussi mîmes-nous beaucoup de temps à
sortir de ces terrains glissants et meubles peu propres à la marche des
chameaux.

Après les marécages vint une curieuse nature de terrain ; c’était le bas
de l’oued Beyāch, endroit où autrefois avait séjourné la mer, à en juger
à la fois par la nature de sebkha du sol, et surtout par les coquilles
de _Cardium edule_[134] qui s’y trouvaient mêlées à celles du _Bulimus
truncatus_ apporté par les eaux de l’oued. La végétation devient ici
plus rare ; les tamarix s’y maintinrent cependant toujours. Toute cette
plaine est très dangereuse à cause des excursions de maraude qu’y font
les Hammāmas d’un côté et les Nemēmcha de l’autre. C’est pourquoi nous
ne marchions pas sans quelque inquiétude, et les mokhazenis nous
racontèrent différentes histoires terribles de drames qui s’étaient
passés dans cet endroit.

Enfin nous entrâmes dans le chott[135], qui est une petite imitation du
grand chott de Nefzāoua ; il finit par former plusieurs bassins de plus
en plus bas, fournis d’une végétation assez riche quoique uniforme, elle
se compose principalement d’une plante nommée « _goreyna_ » et de
« _zeita_ ».

La nuit nous surprit en route, ce qui nous fit hâter la marche ; après,
nous débouchâmes dans une plaine uniforme et aride, et enfin, au moment
où nous nous rapprochions de Chebika, nous nous trouvâmes sur un champ
de pierres très dures, qui ont été apportées de la montagne par les
ravines qui en descendent. Quelques-unes de ces pierres atteignaient une
grande dimension.

La montagne que nous longions en nous en rapprochant est très régulière
à son sommet ; en cet endroit, elle avait une altitude croissante de
droite à gauche jusque vers Chebika.

Nous coupâmes au bas des palmiers les fondations des murailles d’une
ville romaine qui, d’après ce que j’ai vu le lendemain, doit avoir eu
une certaine importance ; cet endroit est aujourd’hui consacré à des
cultures de céréales. — Nous montâmes ensuite dans les plantations (ici
l’expression convient très bien), nous les trouvâmes arrosées par des
eaux courantes, où l’on remarquait çà et là dans les canaux des pierres
grossièrement taillées, mais évidemment de travail romain, qui ont été
apportées des ruines de la ville, ou bien même sont peut-être encore à
leur place.

Arrivés au petit village de Chebika, on fit quelques difficultés pour
nous recevoir, car on craignait quelque exaction du Bey, mais lorsqu’on
nous eut bien reconnus, il fallut nous loger, et l’on choisit une maison
au sommet de la ville. — Les rues sont tellement agrestes qu’il fallut
décharger les chameaux à la porte de la ville, et monter le bagage à
bras d’hommes. Voyant que j’avais à faire à de pauvres gens, je les
avertis tout d’abord que je paierais tout ce qui me serait livré. Je me
couchai bientôt ; et ne pris pas part au dîner qui fut très maigre.

                                                                4 avril.

Ce matin, je pus examiner la curieuse position de Chebika. Elle est
bâtie en amphithéâtre sur un rocher, entre deux ravins qui descendent de
la montagne. Au nord du rocher s’élève un roc peu important, mais qui
présente de curieux murs bâtis très anciennement sur certains côtés pour
compléter une forteresse naturelle. Ne pouvant pas très bien reconnaître
l’âge de ces constructions, j’en ai pris un échantillon de ciment. La
source de Chebika, ʿAîn Chebika, coule du nord et descend à l’est
arroser les plantations, qui s’étendent au sud ; on trouve encore un
bouquet de palmiers à l’ouest ; ce dernier s’appelle ʿAin Beidha. Du
reste, la ville compte à peine 20 hommes, ce qui donne un très petit
chiffre de population totale. Ce sont des Hammāma. La tradition leur
rappelle que le nom chrétien de cette ville ou plutôt sa traduction est
Qoçeïr Ech-Chems, le château du soleil (ηλιοπολις). Ils prétendent aussi
que les chrétiens fendirent une partie de la ravine pour amener l’eau à
la ville.

Je retournai voir les restes de l’ancien établissement ; il s’étend sur
toute la ligne sud des plantations. Cette promenade me convainc une fois
de plus de l’importance de ce point sous l’occupation romaine ;
cependant les pierres y étaient très mal taillées[136].

Les habitants de la ville sont pauvres, comme je l’ai dit, mais j’ai vu
quelques jolies femmes, toutes vêtues à la mode occidentale.

Je partis ensuite pour Midas ; outre mes deux mokhazenis, on nous donna
cinq hommes armés de fusils, dont on me vanta beaucoup le courage, mais
dont la conversation annonçait très peu de décence. Nous longeâmes
pendant quelque temps le bord de la montagne[137] puis arrivâmes à un
endroit appelé Foum en Nâs. C’est une fort large ouverture dans la
montagne, qui donne passage à une petite rivière[138] qui se perd près
de là et qui est employée en partie à arroser des semis de céréales que
nous apercevons verdoyants. Nous entrons dans cette coupure et
rencontrons l’oued, tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, l’eau en
est fraîche et bonne. Le chemin devient plus difficile à mesure que les
rochers se rapprochent, et bientôt ils nous rendent la marche très
pénible. Vers cet endroit, j’aperçus, à mi-hauteur de la montagne, les
ruines d’un petit fort romain, où l’on reconnaît encore une partie de
voûte ; il pouvait avoir 25 mètres de long sur 8 mètres de large
environ, et commandait le passage ; il porte aujourd’hui le nom de El-
Hānout. Plus loin je touchai une petite source appelée El-ʿAouina, elle
sort du roc vif et est réputée fraîche en été ; son eau a 21°,9. Nous
montâmes ensuite dans des passages où c’est un miracle que les chameaux
et les caisses ne se soient pas mille fois renversés. Nous marchions
fort lentement, et, après deux petites terrasses que nous atteignîmes,
nous retombâmes dans l’oued, qui nous conduisit presque aussitôt en vue
des palmiers de Tamerza.

Nous laissâmes les palmiers à droite, et entrâmes dans un affluent de
l’oued, qui porte le nom d’El-Oudey, et qui contribue pour un petit
filet d’eau. Les deux côtés de la montagne formaient comme deux murs
presque à pic, qui tantôt, s’élargissant, bordaient une surface de sable
unie, tantôt se rétrécissaient et formaient des défilés des plus
pittoresques et des plus curieux. Les tamaris persistaient ; l’eau
courante était couverte par places d’une petite cypéracée que j’ai
cueillie à Nafta. Nous passâmes à Garen un premier défilé, auprès duquel
celui d’El-Kantara n’est rien ; les murailles me parurent être d’un
marbre grossier ; deux vautours planaient au-dessus de leur domaine, et
les excréments répandus par endroits indiquaient qu’ils avaient là leurs
nids. Toute cette partie de la montagne présentait des traits
géologiques très prononcés ; des couches inclinées attestaient le mode
de formation[139]. Après des détours et des montées sans fin, où hommes
et bêtes se trouvaient épuisés, surtout ceux qui jeûnaient, nous fûmes
obligés, pour passer un défilé, de décharger les caisses et de les
porter à bras d’hommes ; peu après, nous aperçûmes sur les hauteurs les
restes d’un petit blockhaus carré romain, encore assez bien conservé,
qui dominait le passage. Nous gravîmes ensuite une pente et,
redescendant de l’autre côté, nous nous trouvâmes à côté de Midas.

L’oasis de Midas est située comme un nid d’aigle dans une assiette[140]
au milieu de la montagne ; les ravins qui l’entourent ne la laissent
accessible que d’un côté où l’on voit plusieurs koubbas appelés les
Sebaa Regoud. On entre dans la ville par les plantations, et, de l’autre
côté, les maisons sont suspendues sur un ravin ou précipice comme à
Constantine ; la population de Midas peut monter à 30 hommes environ. Ce
sont des Beldîa. Toute la petite oasis présente les sites les plus
charmants ; les jardins offrent un sauvage pittoresque que l’on y
rencontre rarement ; quelques palmiers surtout, à la tête du ravin,
adossés à un rocher à pic de strates horizontales, me tentèrent beaucoup
pour un croquis, mais je crus devoir y renoncer.

Nous fîmes notre entrée en ville par la seule porte qui s’ouvre dans la
muraille (comme à Chebika) et fûmes bien reçus quoique froidement. Il
n’y eut qu’un petit incident fâcheux, ce fut une scène d’injures que fit
le maître de la maison où on nous installa, un nègre, qui fit sortir les
mokhazenis de leur assiette et engagea une lutte corps à corps, dans
laquelle ils eurent le dessus. Je craignis un moment que la lutte ne
devînt sérieuse et m’armai moi-même en faisant armer mon monde ; je
sortis pour parler au nègre, mais je vis heureusement que tout
s’apaisait peu à peu.

Il y avait en ville les chefs des Oulad Sidi’Abid au nombre desquels se
trouvait Si Ramdhān, leur chef, pour qui Si ʿAli Saci avait donné une
lettre. Ils vinrent tous, et se conduisirent très bien, car il faut bien
leur pardonner leur curiosité, causée par leur ignorance. Ils causèrent
et plaisantèrent avec moi. Plusieurs ont leur maison ici. Ils me
demandèrent entre autres si Paris était près de Sidi’Okba. Je sacrifiai
ma demi-journée à mes hôtes, ne voulant pas les indisposer par des
observations et mon travail ordinaire ; je craignis de gâter mes
affaires au moment de quitter la régence de Tunis, et en même temps le
pays de la peur. Du reste, j’y gagnai d’un autre côté en jetant un coup
d’œil dans les mœurs et l’état social et moral de cette population.

Ce que j’en dirai peut s’appliquer à Chebika et probablement aussi à
Tamerza qui est la grande ville de la montagne, et où réside
ordinairement un parent de Si ʿAli Saci. Actuellement il est à Tōzer, il
a eu des difficultés avec ses administrés qui ne doivent pas être
faciles, à cause de l’impôt ; le Bey menace de faire détruire la ville.
Les hommes de Midas sont mal vêtus, et pour la plupart malades. Je n’ai
jamais eu autant de consultations. La syphilis est très commune à tous
les degrés : descendue aux jambes, aux bras, etc., rendant une femme
impotente ; enfin on me l’amène sous la triste forme d’un petit enfant à
la mamelle couvert de glandes et dégoûtant de saleté, déjà jauni par la
mort ! Les femmes sont habillées à l’occidentale avec d’assez vives
couleurs ; quelques-unes, je dirai même la plupart, ne sont pas mal.
Mais le pays est, à ce que je crois, perdu par les maladies vénériennes
et la fièvre. Les Oulad Sidi’Abid paraissent eux-mêmes beaucoup souffrir
des maladies vénériennes. — Les femmes sont assez libres et me jettent
quelques coups d’œil intéressants. — On voit pas mal de nègres.

La tradition rapporte que cette petite ville se nommait autrefois
Merdās.

Dans les pierres qui, avec de la terre, servent à construire les
maisons, je reconnais d’assez grandes pierres taillées, quelques-unes
même debout en plan. Évidemment il y avait là un établissement romain,
moins étendu, mais mieux construit que celui de Chebika.

                                                                5 avril.

Nous eûmes de la peine à obtenir ce matin les hommes qui devaient
m’escorter jusqu’à Négrīn. Les deux mokhazenis, il faut leur rendre
cette justice, ne me quittèrent que lorsque tout le monde fut prêt. Je
fus accompagné par onze hommes.

Nous remontions un long oued (oued Midas) ; le terrain était très aisé,
mais les malheureux chameaux affamés et fatigués ne nous permirent pas
de voyager aussi vite que nous l’eussions désiré. D’abord des montagnes
très élevées nous surplombaient à droite et à gauche, puis à mesure que
nous avancions, les montagnes s’éloignèrent et enfin cessèrent tout à
fait sur la droite, car je ne puis compter comme telles les hauteurs de
Hoouarīn et autres[141] qui nous apparaissaient à peine à travers les
vapeurs. La végétation était maigre et rare ; je pus à peine distinguer
les espèces qui se présentèrent sur la route. Le pays est très dénudé,
sauvage et incultivable ; l’eau y est extrêmement rare ; nous ne
rencontrâmes qu’un puits, appelé El-Hassey, creusé dans l’oued. C’est
près de cet endroit que je vis le seul emplacement évident d’un petit
poste romain ; quelques pierres et de nombreux fragments de poterie
antique sur un mamelon sont tout ce qu’il en reste.

Cette route est très dangereuse, étant exposée aux incursions des
Hammāma et des Oulad el’Aisāoui ; aussi mon escorte était-elle très peu
rassurée, ce qui était d’un autre côté très peu rassurant pour moi. Nous
rencontrâmes plusieurs tas de pierres indiquant autant de victimes des
brigandages qui s’y commettent. Un voyage dans le Sahara pendant le
ramadan avec des musulmans trop consciencieux est du reste une chose
presque impossible et bien fatigante. C’était le cas ici ; plusieurs des
hommes, et Ahmed lui-même, jeûnaient et ne pouvaient pas même boire une
goutte d’eau. Comment pouvait-on exiger d’eux de marcher rapidement et
d’activer la marche des chameaux ?

Enfin nous atteignîmes des renflements de sable que l’on appelle Erg el
Djemīl ; nous les coupâmes et avançâmes vers le but de notre voyage, qui
nous apparaissait à l’horizon ; nous voyions du moins les hauteurs entre
lesquelles Négrīn est enclavée. Bientôt nous entrâmes dans un pays très
accidenté, sillonné de ravins et de rochers et qui présente quelques
difficultés. L’oued de Negrīn se distinguait très bien sur la gauche et
nous laissâmes, au bout de quelque temps, le bouquet de palmiers de
Zaghouān où logent deux ou trois familles.

J’envoyai en avant un homme pour annoncer ma venue à Négrīn, et j’avoue
que j’étais un peu incertain de la nature de l’accueil que j’allais
recevoir ; bientôt mes doutes furent dissipés, car nous rencontrâmes
deux des grands de la ville venus à ma rencontre ; ils me saluèrent en
m’embrassant sur l’épaule et me souhaitèrent la bienvenue. On me logea
dans la maison du cheikh qui venait d’arriver, et qui me salua à mon
entrée. C’est un jeune homme nommé Cheikh Mohammed qui a de très bonnes
manières, et qui me paraît très dévoué à la cause des Français. Je reçus
la visite des grands de la ville, qui se conduisirent très bien et que
je ne congédiai que vers le _maghreb_[142]. L’accueil de Négrīn, après
ma course si aventureuse dans la Tunisie, me fit bien du plaisir. Le
cheikh avait été averti de ma venue il y a deux jours par une lettre
venue de Tebessa (car Négrīn dépend de Tebessa qui est à trois journées
de marche). En un mot, je croyais être dans un pays pacifié, et on verra
demain qu’il n’en était rien.

Négrīn se trouve bâtie dans un ravin d’un abord difficile sur le bord
occidental de l’oued. Les palmiers sont plantés dans le lit même de la
vallée, et en échelons, car la pente de l’oued ici est très forte et le
ruisseau qui coule au milieu des palmiers va par bonds et cascades.
Cette nature du sol permet que l’on arrose facilement les palmiers, car
on n’a qu’à détourner à chaque jardin l’eau qui est nécessaire à
l’arrosage, et le courant de l’oued l’y amène par sa propre force au
moyen d’un saguia. — Outre les palmiers, les plantations renfermaient
encore des figuiers, des abricotiers, des pêchers et surtout des
oliviers.

Dans la soirée, on m’annonça qu’un des chameaux était tellement malade
que le départ pour demain était impossible ; je me soumis de mauvaise
grâce ; mais l’espoir de bien explorer Besseriani[143] me consola un
peu.

                                                                6 avril.

Ce matin, je partis avec le cheikh, un autre cavalier et Ahmed, pour
explorer les ruines de Besseriani ; un assez grand nombre d’hommes
devaient nous rejoindre aux ruines par un chemin plus court mais plus
difficile pour les chevaux. En quittant la ville, nous gardâmes quelque
temps les plantations à notre gauche, et marchâmes tantôt sur les
hauteurs dominant les ravins, tantôt dans le lit même de ces derniers ;
nous atteignîmes enfin l’oued, qui forme ici une petite rivière, coulant
entre de nombreux tamaris et au milieu d’un thalweg bordé de petites
collines ; là commencent les labours et les semis d’orge. Nous ne
quittâmes l’oued que lorsque nous fûmes près des ruines ; nous le
laissâmes alors, sur la droite, aller arroser les labours qui commencent
au N.-O. de Besseriani, et se prolonger à l’ouest et enfin au S.-O.
jusqu’à 1 kilomètre au delà des ruines. A gauche nous avions, à peu de
distance, un sommet de la chaîne de montagnes qui borde d’un côté l’oued
de Négrīn. De là la montagne[144] se prolonge très haute vers l’orient,
formant ainsi la limite du véritable Sahara : à ses pieds s’étend un
terrain rocheux et raviné, formant une pente rapide vers le sud, et qui
est excessivement difficile à traverser.

La première ruine que je touchai est un support d’arc de triomphe
formant le seul vestige reconnaissable qui en reste ; au pied étaient
dispersées de nombreuses pierres de taille assez volumineuses qui
avaient complété ce monument ; dans la partie intérieure du support de
l’arc, au milieu de la baie, se distingue une colonne mutilée formant
corps avec le support, laquelle colonne était ornée de cannelures et
d’un chapiteau sculpté[145]. Au pied de l’arc de triomphe, je trouvai
deux pierres portant chacune une inscription, malheureusement un peu
mutilées et effacées par les intempéries des saisons. Peut-être ces deux
pierres font-elles partie d’une même inscription qui était placée au-
dessus de l’arc de triomphe[146] :

[Illustration]

A côté du support de l’arc encore debout, se trouve un mur d’une
admirable construction, encore très bien conservé jusqu’à une certaine
hauteur ; peut-être servait-il à soutenir l’autre pilier de l’arc ;
cependant je le crois à peine, à cause de la distance qui sépare les
deux ruines.

De là je me rendis au monument le plus remarquable que renferme
actuellement Besseriani ; c’est un arc de triomphe encore très bien
conservé dans sa partie principale. A son sommet se trouve une belle
pierre très plane sur laquelle on lit le milieu d’une inscription en
grosses et belles lettres d’un travail fini et d’une régularité
remarquable. En regardant l’inscription, on a sur la gauche du monument
un mur y attenant, encore assez bien conservé ; le tout atteste
l’importance considérable[147] de l’établissement romain, et la
tradition à Midas m’avait déjà appris qu’autrefois, Besseriani
commandait à toutes les petites villes des environs que j’ai visitées
depuis Chebika. J’ai dessiné sur les lieux mêmes, sur la planche I, une
esquisse grossière de ce monument[148]. La belle inscription de cet arc
de triomphe étant incomplète, je me mis à chercher les deux pierres qui
manquaient, et je parvins bientôt à en trouver une seconde formant le
commencement du document. Dans une ruine dont je parlerai tout à
l’heure, je trouvai bien une troisième pierre portant trois lignes d’une
inscription en aussi gros caractères que la première, mais je ne trouve
pas à première vue un sens ni beaucoup de rapport entre ces trois lignes
et les quatre lignes de la première inscription ; il est cependant
probable qu’elle en fait partie[149]. Voici les deux premières :

[Illustration]

Voici maintenant la troisième pierre que j’ai trouvée à une petite
distance de l’arc de triomphe, dans des ruines de belles et grandes
pierres qui devaient appartenir à quelque bâtiment public ; la surface
de cette pierre a plus souffert que celle des autres.

[Illustration]

J’allai ensuite à un monceau de ruines, peut-être les restes d’un autre
arc de triomphe, qui est situé à l’ouest du dernier monument, et à peu
près sur la ligne des ruines que j’ai visitées les premières, c’est-à-
dire plus dans le voisinage des labours. J’y trouvai d’énormes pierres
de taille parfaitement taillées, trois portaient des inscriptions
malheureusement un peu écornées[150].

[Illustration]

Besseriani, ainsi que la ville romaine de Chebika, sont situées au bas
de la montagne, là où l’oued sort des rochers, et l’on voit à l’opposite
que les Arabes et les Berbères ont bâti leurs villages au milieu des
rochers dans les positions les plus difficiles[151].

Je prenais quelques angles pour baser un plan grossier de Besseriani,
lorsque l’on signala cinq cavaliers à l’horizon. Or ce pays est
tellement peu sûr que l’on donna immédiatement le signal de se
rassembler et que l’on cria aux cultivateurs dans les labours de se
rallier à nous. Dans la bagarre, je négligeai de remettre mon haïk que
j’avais ôté pour travailler, et me contentai de mes burnous et de mes
culottes. Chacun arma son fusil et je sortis mon revolver pour être prêt
le cas échéant.

Les cavaliers ne nous avaient pas vus à cheval, et ils n’étaient plus
très éloignés, lorsque quatre d’entre nous, dont le cheikh, partirent au
galop pour aller au-devant d’eux. Dès qu’ils nous aperçurent, les
étrangers s’enfuirent à fond de train, l’un d’eux gagnant le Sahara ;
les autres tâchèrent de se réfugier dans la montagne. Aussitôt tout le
monde cria qu’ils étaient ennemis, Hammāma ou Oulad el’Aisāoui, venus
pour un coup de main, et nous partîmes nous aussi au galop pour prêter
main forte au cheikh. Le terrain dans lequel nous galopions est un
labyrinthe de casse-cou, et Ahmed et moi, ne connaissant pas le pays,
nous allions hésitants ; le vieux qui était resté faisait un peu le
traînard ; je m’aperçus bientôt que la peur l’enchaînait, et lui répétai
plusieurs fois de prendre les devants ; je fus enfin obligé de le
menacer de mon revolver pour le décider à nous guider. Nous galopions
toujours, et pendant ce temps nous n’entendions que les cris de guerre
sauvages que poussaient nos amis ; un fort coup de feu nous échappa au
milieu du bruit du galop de nos chevaux. Nous arrivâmes enfin au pied de
la montagne et rejoignîmes les nôtres, au moment où les étrangers, que
leur fuite folle avait portés sur des points inaccessibles,
abandonnaient leurs montures pour sauver leurs têtes. Nous nous
contentâmes de prendre trois chevaux dont un fort beau, puis nous
tâchâmes de poursuivre celui qui avait gagné le Sahara, mais
abandonnâmes bientôt ses traces.

Pendant que nous revenions triomphants, et que mon brave Ahmed se voyait
déjà de retour à Biskra, monté sur un cheval, nous aperçûmes au loin un
homme qui venait en faisant des protestations ; c’était un homme bien
connu des Nemēmcha soumis, qui, reconnaissant enfin la nature de notre
cavalerie, venait demander de quel droit nous avions fait acte
d’ennemis. Il nous raconta qu’il nous avait pris pour des Hammāma ou des
Oulad el’Aisāoui et que c’était là la cause de leur fuite. Nous sûmes
donc que nous avions fait méprise des deux parts, et revînmes ensemble à
Besseriani. Nous promîmes de rendre les chevaux à leurs maîtres dès que
ceux-ci viendraient les réclamer, ce qu’ils firent à Négrīn dans la
soirée. Nous rentrâmes épuisés à Besseriani, où j’achevai de dessiner
l’arc de triomphe debout, et nous retournâmes en ville, rencontrant sur
notre route une foule d’habitants, hommes et femmes, qui venaient soit
prendre part au combat, soit savoir ce qui était arrivé. — Deux de nos
cavaliers ne voulurent pas laisser échapper l’occasion de faire une
fantazia, et nous entrâmes chez nous.

A peine étais-je assis, qu’un homme ensanglanté, venant demander
justice, se présenta devant moi. On avait tué une chèvre aujourd’hui, et
il avait acheté la peau de la bête avec la tête, croyait-il ; le vendeur
prétendit que c’était sans la tête ; l’acheteur jura qu’il ne la
rendrait pas, quoi qu’il dût arriver ; il s’ensuivit un combat, où mon
homme reçut sur la tête un coup de pierre qui lui avait fait une forte
blessure ; le crâne heureusement n’avait pas été entamé. Comme je
n’avais pas entendu l’adversaire, je priai le cheikh de s’enquérir de
cette affaire ; et les deux parties ayant tort, il proposa une amende de
6 douros pour chacun.

Ma course effrénée de ce matin, en plein soleil, sans mon haïk, m’avait
été nuisible et je commençai, dès le retour, à sentir les symptômes d’un
violent mal de tête avec dégoût, presque mal de cœur.

Vers les trois heures de l’après-midi, arriva en ville un jeune homme
nous annonçant que des Hammāma l’avaient dépouillé et venaient d’emmener
les troupeaux de chèvres de Négrīn, dont il était le gardien, et qui
étaient au pâturage près de Zaghouān. Aussitôt le cheikh, quoique
jeûnant, fit seller son cheval et se prépara à la poursuite ainsi que
les hommes armés de la ville ; les chevaux partaient, et dans le premier
mouvement je montai aussi en selle, oubliant ma maladie ; je pris le
fusil d’Ahmed qui avait été au frais sous les palmiers ; mais, à peine
sorti de la ville, je vis que j’étais trop malade pour suivre l’allure
des autres chevaux, et laissant le mien à un des fantassins, je revins
vers la ville. Je rencontrai Ahmed, qui me gronda de m’être dérangé, et
plus encore d’avoir laissé mon cheval ; mais c’était un peu tard. Dans
la soirée tout le monde revint, les Hammāma, au nombre de 7 à 8
fantassins, avaient pris la fuite dans la montagne, abandonnant les
troupeaux, et n’emportant qu’un fusil et un burnous. J’appris à cette
occasion que trois familles de Négrīn habitaient Zaghouān. Après le
retour de la petite armée, je tombai très malade, et n’eus que le temps
de prendre de l’ipécacuanha, puis après les vomissements une dose de
quinine ; j’eus un instant le délire et un mal de tête fou, puis je
tombai dans un état de prostration jusque vers les 10 heures du soir. Je
me réveillai alors presque guéri, me déshabillai et me couchai ; il
faisait une chaleur très grande.

Je vis, avant de tomber tout à fait malade, les hommes que nous avions
poursuivis le matin ; l’un d’eux était précisément celui qui avait été
réclamer sa jument à Si-Mohammed ben Rabah, et qui la ramenait dans sa
tribu. Ils avaient rencontré dans le chott un homme des Oulad
el’Aisāoui, l’avaient dépouillé et renvoyé après lui avoir administré
une bastonnade. Mes aventures d’aujourd’hui dénotent que ce pays est
loin d’être pacifié. En effet, les gens de Négrīn n’osent à la lettre
pas sortir de chez eux pour aller commercer, de crainte des vexations et
actes d’hostilité des Oulad el’Aisāoui et des Hammāma. Tous les ans, ces
deux tribus hostiles leur enlèvent leurs troupeaux de chèvres et tout ce
qu’ils peuvent prendre. Le seul chemin qui leur soit ouvert est la route
de Tebessa depuis l’occupation française.

                                                                7 avril.

Aujourd’hui, je suis resté à la maison toute la journée ; j’étais
heureusement guéri. J’écrivis dès le matin une lettre au cheikh de
Ferkān, pour lui demander une mule et deux hommes, qui m’accompagnent
demain à Zéribet Ahmed.

Dans le milieu de la journée, la nouvelle arriva qu’un mulet qui était à
paître dans les plantations avait disparu, et il parut évident que
c’étaient les Hammāma d’hier qui, cachés dans la montagne, n’avaient pas
voulu partir sans butin et étaient venus dans la journée enlever ce
mulet. Le village fut encore sur le point de se mettre en armes, mais on
abandonna ensuite le projet.

J’apprends aujourd’hui que Négrīn peut compter environ 60 maisons et
peut-être 120 hommes en état de porter les armes. La population se
divise en quatre tribus ; les Oulad ech Cheikh, les Oukid Hamza ; les
Obbaouma et les Oulad Mansour. Le tribut de Négrīn est de 1.180 francs
par an.

A Négrīn, un individu vint me trouver, et, après m’avoir fait comprendre
qu’il avait beaucoup d’argent, il me pria de lui écrire une amulette
pour que sa femme qu’il avait répudiée revînt à lui. Il l’aimait et elle
en préférait un autre avec lequel elle devait se marier. Je répondis à
cet homme que, si j’avais le pouvoir d’écrire de tels talismans, je
commencerais par m’en servir, mais qu’en tous cas je ne lui aurais pas
pris un centime.

Ferkān subit l’influence des Oulad el’Aisāoui, qui s’y font héberger de
force, et se servent du village comme point de ravitaillement dans leurs
expéditions de pillages. Cela tient à ce que les habitants ont beaucoup
de Nemēmcha et même d’Oulad el’Aisāoui au milieu d’eux. Outre ces
étrangers, la population de la ville se divise en trois tribus, les
Oulad Brahīm, les Oulad ’Adouān et les Oulad Yoūnis. Le tout forme 65
maisons et, partant, peut-être 130 hommes au moins en état de porter les
armes ; ce chiffre me fait soupçonner un peu de bonne volonté de leur
part à héberger nos ennemis.

Des messagers viennent de Ferkān, apportant une réponse peu polie ; je
les gronde bien fort et les renvoie brusquement ; cela cause des
pourparlers à n’en plus finir, des séances avec différents hommes de
Ferkān qui venaient d’arriver au Djérid[152]. On finit par s’en aller en
promettant de revenir avant demain avec la mule et les deux hommes.

                                                                8 avril.

Nous quittons Négrīn de bonne heure, le cheikh de Ferkān, qui a au moins
un digne extérieur, est venu lui-même cette nuit amener le mulet et les
deux hommes que j’avais demandés. Il nous accompagne ce matin jusqu’à la
rivière de Ghēsrān[153] où nous faisons boire les chevaux et remplissons
nos outres, puis nous partons chacun de notre côté, lui retournant à
Ferkān, et nous coupant dans le Sahara pour atteindre le Zāb. Quatre
cavaliers de Négrīn m’accompagnent : je renvoie le cinquième, qui,
voulant tuer un lièvre, décharge son fusil qui éclate, sans causer
d’accident heureusement.

Nous voyageons dans un terrain aisé, le commencement du Sahara, qui se
prolonge indéfiniment sur la gauche, et nous avons toute la journée à
une certaine distance sur la droite, la chaîne de collines, au milieu de
laquelle est bâtie Ferkān, et qui est séparée par une plaine de
montagnes plus hautes[154]. Je déjeune dans l’oued Djērech maintenant à
sec, parce que l’année n’a pas été pluvieuse.

Une autre longue marche nous amène à l’oued el Miyta, dont le lit est
divisé en plusieurs canaux à cet endroit. Un peu plus loin, vers
l’ouest, commencent des plaines appelées communément El Feyyād[155], et
qui méritent beaucoup d’attention. Le sol de ces plaines est composé
d’argiles mêlées de sables et très lavées[156] ; par conséquent, elles
renferment tous les éléments de fécondité, et il ne leur manque en effet
que l’eau[157]. Après les pluies se montrent une quantité de plantes
annuelles, telles que graminées et petites fleurs champêtres que les
ardeurs de l’été dessèchent ; tandis que, dans les années sèches comme
celle-ci, cette végétation elle-même ne se montre pas. Dans plusieurs
endroits de ces Feyyād, les Arabes labourent lorsque les pluies
arrivent ; dans d’autres parties beaucoup plus rares les oueds
descendant de la montagne leur permettent de cultiver chaque année. Or
il est évident que si, par des barrages ingénieux ou des forages
artésiens, on parvient à assurer de l’eau à ces plaines désertes, on
assurera par le fait même de belles récoltes sur une superficie
considérable de celle partie du Sahara.

Ces plaines cultivables sont séparées par des renflements à peine
sensibles couverts de cailloux et de pierres anguleuses.

Nous marchâmes bien toute la journée, et nous n’atteignîmes l’oued
Ouazzāren que quelques instants après le coucher du soleil. Cet oued
est, comme les précédents, bordé de tamaris ; et nous plantâmes la tente
au chant des chouettes qui s’appelaient dans ces fourrés. Je n’ai pas
besoin de dire que l’oued est à sec.

                                                                9 avril.

Aujourd’hui encore nous nous sommes mis en mouvement avant le lever du
soleil, et nous continuâmes de voyager dans les plaines cultivables que
j’ai notées hier ; je remarquai ici pour la première fois bien
distinctement le mirage, _sarab_. La plaine au sud-est paraissait un lac
à l’horizon et des lignes de _Rhamnus arabica_ et de tamaris semblaient
dominer les eaux et former un rivage. Je crus d’abord que c’était le
chott, mais fus obligé de m’apercevoir de mon erreur. Du reste, ces
plaines nues, uniformes et de couleur grisâtre, frappées par les rayons
obliques du soleil le matin ou le soir, offrent toutes les conditions
nécessaires pour le phénomène du mirage. Les inégalités du sol, de
vraies gerçures sur une peau, disparaissent à peu de distance pour
l’œil.

Nous traversâmes quelques ravines et aperçûmes au bout de quelque temps
les oasis de Bādes, Liana et Kessad, ressortant sur la couleur rougeâtre
des montagnes ; peu après, le village de Zéribet Ahmed nous apparut, et
nous l’atteignîmes pour déjeuner.

Zéribet Ahmed est un village muré, placé sur une petite élévation. Il
n’a pas de palmiers, et la petite saguia qui passe devant le village est
à sec parce que Liana en absorbe toute l’eau[158]. Les habitants ont
voulu réclamer contre une mesure qui leur ôte leurs récoltes, leur seule
ressource bien sûre ; mais il est probable que dans les années
pluvieuses, l’eau de l’oued arrive jusque chez eux. Ils boivent
actuellement à un puits situé vers le sud-ouest du village, à une
certaine distance. Il y avait au pied des murs trois ou quatre tentes de
Nemēmcha. Les habitants sortirent pour reconnaître les nouveaux venus,
mais je ne voulus pas m’arrêter chez eux ; les quatre Negarniya[159] me
quittèrent ici, et laissant les chameaux suivre de leur pas, je partis
en avant pour arriver le plus tôt possible.

A moitié route, mon guide me montra sur la gauche « les ruines d’un
village qui fut détruit par un scorpion ». Ce village malheureux était
bâti dans le même genre que Zéribet Ahmed, et a dû être encore moins
considérable.

J’arrivai enfin à Zéribet el Ouad, nous touchâmes d’abord l’oued, dans
lequel sont plantés les palmiers ; puis, le descendant un peu, nous le
coupâmes en face de la ville, au moment où nous touchions à la goubba de
Sidi-Hassen, marabout célèbre dans le pays. Nous traversâmes la petite
rivière qui coule au fond du thalweg, et entrâmes en ville par quelques
minces jardins. Je trouvai chez El Arbi, le mamelouk italien[160], le
meilleur accueil, et décidai aussitôt que je profiterais de son départ
pour aller à Biskra cette nuit.

                                                               10 avril.

Hier au soir, nous sommes partis à 9 heures et demie ; nous avons voyagé
toute la nuit par le vent et le froid, et ce matin je suis arrivé avant
El Arbi que je laisse à Sidi’Okba. Je déjeune avec le colonel, qui donne
par le télégraphe la nouvelle de mon arrivée à Constantine.


[Note 134 : Le _Cardium edule fossile_ se trouve représenté dans les
chotts tunisiens par deux formes principales : la forme actuelle
méditerranéenne, et la forme saumâtre des étangs de la Barre, de
Lavalduc, de la Caspienne, etc. (Dru, in _Rapport Roudaire sur la dern.
expéd. des chotts_, p. 55).]

[Note 135 : Le chott El-Rharsa.]

[Note 136 : Il y a donc peut-être quelque exagération à dire avec Tissot
que Duveyrier « représente ces ruines comme celles d’une _grande_
ville ». (Ouv. cité, II, p. 682.)]

[Note 137 : C’est la chaîne occidentale de Gafsa ou Djebel Blidji, qui
renferme une partie des gisements de phosphate découverts en 1885 par M.
Ph. Thomas.]

[Note 138 : L’oued Alenda, ou oued Tamerza.]

[Note 139 : Voir la coupe N.-S. de M. Thomas de Midas au Rharsa : il y a
là deux anticlinaux démantelés du crétacé supérieur, flanqués l’un et
l’autre des deux côtés par les couches redressées de l’éocène
inférieur.]

[Note 140 : Sur le plus septentrional des deux anticlinaux précités.]

[Note 141 : C’est la bordure sud du plateau des Nemencha, plus connue
sous le nom de Djebel Ong. (Cf. Blayac, _Le pays des Nememcha_, _Annales
de Géographie_ 1899, p. 149 et suiv.)]

[Note 142 : Le coucher du soleil.]

[Note 143 : _Ad Majores_, Cf. Baudot, _Rec. des notices et mémoires de
la Soc. archéol. de Constantine_, 1876, p. 124 et suiv. ; Masqueray,
_Revue Africaine_, 1879, p. 65 et suiv. ; Tissot, II, p. 530, etc.]

[Note 144 : Djebel Majour (Blayac, art. cité).]

[Note 145 : Masqueray l’attribue à la fin du IVe siècle.]

[Note 146 : Cf. la lecture légèrement différente de Baudot reproduite,
dans Tissot, II, p. 533 et _C. I. L._, VIII, 2480.]

[Note 147 : Cf. Tissot, II, p. 531, et Masqueray, p. 75-76.]

[Note 148 : Ce dessin n’a pas été retrouvé. Duveyrier le porte déjà
manquant dans une table manuscrite de 1869.]

[Note 149 : Voir la lecture plus complète dans Tissot, II, p. 531.]

[Note 150 : Cf. les textes de Tissot, II, p. 534 et de Masqueray.]

[Note 151 : Il ne faut pas oublier toutefois que les _castella_, qui
permettaient aux colons du Sud de communiquer avec le Nord par les
gorges de l’oued Hallaïl, sont perchés comme les villages indigènes
(Blayac, art. cité, p. 158).]

[Note 152 : Négrīn était ainsi considérée comme la dernière oasis du
Djérid, Ferkān comme la première du Zab.]

[Note 153 : Oued Kesrane, la rivière de Négrīn.]

[Note 154 : Plaine de Mdila et Djebel Sidi-Abîd.]

[Note 155 : Nom plus connu au singulier : El Faïdh.]

[Note 156 : Veut dire sans doute qu’elles ne sont pas salées.]

[Note 157 : On a supprimé ici une phrase incompréhensible. Duveyrier
était évidemment sous le coup de sa récente indisposition, et cette
partie de son journal s’en ressent.]

[Note 158 : D’après la coutume, Liana a droit à deux tiers du volume
d’eau de l’oued el Arab. Le tiers restant doit être réparti entre les
oasis d’El Ksar, Badès, El Djadi et Zéribet Ahmed. (Féliu, _Le régime
des eaux dans le Sahara de Constantine_. Blida, 1896, p. 90-92.)]

[Note 159 : « Gens de Négrīn. »]

[Note 160 : Appelé aussi El Arbi Mamelouk. C’était un maréchal des logis
d’origine piémontaise, qui, élevé en musulman, était entré au titre
indigène au 3e spahis. Il rendit à Zéribet de bons services, fut nommé
lieutenant, puis caïd des Beni-Salah, dont il empêcha la révolte en
1871, ce qui le désigna au général de Lacroix pour le caïdat du Souf,
lorsque ce groupe d’oasis fut distrait du caïdat de Tougourt. Il fut
assassiné en 1873, peut-être à l’instigation du marabout de Temacine,
Si-Maammar, celui même que Duveyrier soupçonna toujours d’avoir
encouragé le meurtre de Dournaux-Dupéré. Duveyrier, dans ses lettres,
parla toujours d’El Arbi avec la plus grande estime. « Sa mort,
écrivait-il en 1873, est un malheur pour la paix du Sahara. »]




                            DEUXIÈME PARTIE

                               * * * * *

                            CHAPITRE PREMIER

                            DANS L’OUED-RIGH


                                                         Le 28 mai 1860.

[Illustration : Inscription arabe du tombeau de Sidi’Okba.]

Je quittai Biskra et me rendis à Sidi’Okba. La mosquée de Sidi’Okba est
assez vaste et élevée ; on y voit une grande porte en bois sculpté qui
était autrefois garnie d’argent, dit la tradition ; elle ne sert plus
maintenant, du moins elle était fermée pendant ma visite, et on entre
dans le temple par une petite porte qui donne d’abord dans la chambre
aux ablutions où l’on voit plusieurs bassins allongés qui ont l’air de
sarcophages romains. Le tombeau de Sidi’Okba est dans la mosquée et se
compose d’une chambre dont je n’ai vu que les murs extérieurs. Sur un
des côtés de la porte on voit une inscription coufique en relief sur une
bande de terre cuite et formant une ligne écrite de bas en haut, on y
lit :

au-dessus de la porte même est une autre inscription ancienne aussi ;
elle est sculptée en relief sur une planche de bois coloriée. Dans la
ville on voit de temps à autre des pierres romaines encastrées dans les
murs.

Le jardin du kaïd seul possède des orangers et des citronniers.

                                                              Le 29 mai.

Je pars pour Zéribet el Ouad. La route traverse d’abord les immenses
terrains de labours de Sidi’Okba. Tous les grains sont coupés, je ne
vois plus qu’un petit champ où l’on fait la moisson. Ensuite on entre
dans une succession de plaines séparées par les rivières à sec ; tout ce
pays est d’excellente terre labourable, il n’y manque que de l’eau, et
la seule végétation actuelle est limitée à quelques rares touffes de
_guetaf_, de tamarix, etc. Nous voyons du mirage à l’horizon devant nous
et sur la droite. Ces terres végétales sont des alluvions apportées de
la montagne. Nous voyons à droite l’oasis d’Aïn Naga, à une petite
distance. Enfin j’arrive à Zéribet vers 3 heures et demie du soir, par
une très grande chaleur, le vent a soufflé toute la journée en sirocco.

                                                              Le 30 mai.

Zéribet el Ouad peut avoir 1.500 âmes ; il y a un détachement de 45
spahis commandés par mon ami El Arbi. La rivière sur laquelle la ville
est bâtie s’appelle Ouad el’Arāb ; il suffit qu’elle ait deux crues par
an pour que les habitants de la contrée puissent arroser non seulement
leurs labours autour de la ville, mais encore ceux de la plaine d’El
Faïdh, et alors les récoltes sont d’une richesse dont on n’a pas d’idée,
mais depuis que la sécurité règne dans la montagne, les Chaouia ont fait
sans cesse de nouveaux barrages à mesure que leurs cultures augmentent
et l’eau devient de plus en plus rare à Zéribet el Ouad. La dernière
crue a eu lieu au milieu de l’automne dernier, et depuis lors il y a
toujours eu de l’eau dans l’ouad dans les trous et dépressions du lit.
Dans ces trous vivent des barbeaux dont quelques-uns atteignent un pied
de longueur ; ils ont une couleur plus pâle et plus jaunâtre que les
autres barbeaux de ce pays, ce qui fit croire aux spahis français que ce
n’était pas un poisson de cette espèce.

Les jardins de palmiers, qui sont en petit nombre, sont arrosés par des
puits à bascule comme au Souf[161] ; ces puits, creusés dans le lit de
la rivière, ont très peu de profondeur. Celui du jardin d’El Arbi avait
une température de 22°,0 à une profondeur de 3m,75 dans l’après-midi. El
Arbi cultive dans son jardin qu’il a établi depuis quelques mois
seulement des légumes français pour montrer l’exemple aux indigènes :
pommes de terre, haricots, choux, laitue, luzerne, carotte, navets, et
tout est venu très bien dans la terre d’alluvion qui a reçu les
semences.

Il n’y a pas de puces à Sidi’Okba ni à Zéribet, à cette époque du moins.

                                                              Le 31 mai.

Nous partons, El Arbi et moi, avec une dizaine de spahis et, laissant le
bagage derrière, nous voyageons rapidement à travers une plaine unie, de
terre végétale, et à peine parsemée çà et là de touffes de _guetaf_ et
de tamarix. Nous avons toujours à notre droite l’oued el Arab à une
distance variable.

Nous arrivons de bonne heure à El Faïdh et nous arrêtons à une petite
baraque auprès du puits artésien inachevé, et recouvert en ce moment par
une grossière maçonnerie. Nous ne trouvons ici que quelques tentes
d’Arabes qui gardent les puits, mais il y a deux villages tout près de
là : Beled Oulad Bou Hadîdja et Beled Oulad’Amer, du nom de deux tribus
autrefois en querelles continuelles, mais qui, depuis la domination
française, sont forcées, comme tant d’autres, à vivre en paix. Ces
villages ne sont habités que pendant l’hiver, ou, s’ils le sont aussi
pendant l’été, c’est que l’oued el Arab a coulé deux fois dans l’année,
ce qui a rendu possible les magnifiques labours dans les plaines d’El
Faïdh. Dans ces grandes occasions, on mêle du sable aux grains de blé et
d’orge pour qu’ils ne tombent pas trop près les uns des autres. Le puits
artésien, qui est déjà à 130 mètres de profondeur[162] et qui jusqu’à
présent n’a rendu que des terres semblables à celle du sol ou
différentes seulement par une plus grande proportion d’argile, donnerait
une fertilité certaine à ces terres qui ne sont plus arrosées maintenant
que rarement, car les montagnards, depuis que la sécurité règne dans
leur pays, ont construit des quantités de barrages nouveaux qui
absorbent les petites crues. Il y a longtemps que l’eau de la rivière
n’est parvenue à El Faïdh ; la dernière crue date du milieu de l’automne
dernier.

Autrefois il y avait des plantations de palmiers à El Faïdh. Aujourd’hui
il ne reste plus qu’un seul dattier comme témoin de ce fait. Ils ont été
coupés dans une querelle de tribu.

L’eau que l’on boit à El Faïdh est bonne, elle est tirée des oglas
creusées dans le lit à sec de la rivière, lequel est entouré de tamaris.

La faune de ce pays est remarquable à deux points de vue : d’abord, il y
a de nombreux sangliers, dont les coups de boutoir sont visibles au pied
de presque toutes les touffes de broussailles. Ensuite, le serpent des
jongleurs égyptiens existe aussi ici, le mâle est appelé ثعبان, la
femelle نعجة, à moins que ce ne soient deux espèces différentes. Cette
espèce atteint presque 2 mètres de long et la grosseur de la cuisse (?)
elle est de couleur noire, et lorsqu’elle est en colère, se lève sur la
queue et se promène en étalant la peau de son cou en éventail. M. Hénon
en a vu une morte que El Arbi lui a envoyée.

La végétation est, je crois, de _guetaf_.

                                                            Le 1er juin.

El Arbi m’avait déjà quitté la veille au soir, mais il m’avait laissé
ses spahis. Nous partîmes de bonne heure, et en arrivant aux _oglas_,
mon sacré Brahim qui n’a jamais brillé jusqu’ici que comme pilier de
café, ménage si mal le chameau des cantines que les deux caisses sont
jetées à terre. Heureusement rien n’est cassé, mais cet événement fait
oublier à mes serviteurs de prendre de l’eau, et nous voilà partis pour
faire deux lieues dans le Sahara sans trouver d’eau. Aussi dès que je
m’aperçois de leur oubli, je pars en avant à cheval avec un des
serviteurs du kaïd qui me servait de guide.

Nous traversons une plaine appelées Farfaria, à sol de terre labourable
tout boursouflé dans lequel les chevaux enfoncent beaucoup. La
végétation est excessivement rare ; par endroits elle est nulle. Elle se
compose de tamaris formant des buissons sur le bord des rivières à sec
qui se trouvent ici près du chott en très grand nombre, de _guetaf_ plus
rare et enfin de _jell_ et de _Bou ’akerich_[163]. Le pays est d’une
grande uniformité ; plus on approche de Sidi Mohammed Moussa, plus on
rencontre de plaques d’efflorescences salines. Enfin lorsqu’on arrive à
ce bosquet de palmiers, le sol est devenu _heïcha_, la végétation est
plus dure, et se compose des mêmes espèces qu’avant.

En arrivant à Sidi Mohammed Moussa, nous croyions trouver de l’eau
potable, mais celle que nous trouvâmes était trop salée pour être bue.
Il y a là une mosquée assez grande entourée de quelques petites
maisons ; le village était abandonné ainsi que quelques petites huttes
en branches d’arbres semées dans les jardins. Les petites plantations
assez clairsemées, inégalement distribuées et peu importantes, sont
remplies de tourterelles. Nous apprîmes plus tard que personne ne
pouvait plus habiter cet endroit depuis que l’eau était devenue si salée
et si amère.

Après nous être reposés un instant, nous continuâmes notre route et ne
tardâmes pas à arriver à El-Haouch, village bâti sur le côté d’un fort
beau bois de palmiers. Les habitants d’El-Haouch étaient tous dans la
forêt de Saada où ils avaient semé des céréales cet hiver. Ils sont
obligés d’émigrer ainsi à quelque distance du village toutes les années
où la rivière ne leur apporte pas l’eau nécessaire pour qu’ils puissent
labourer autour de leur village. Nous ne trouvâmes donc que les gardiens
des maisons et très peu de ressources alimentaires ; on me laissa la
mosquée pour habitation et je m’y installai de mon mieux. Les chameaux
n’arrivèrent que vers 3 heures. J’avais envoyé de l’eau à leur
rencontre. J’achetai une poule 1 franc ; et Ahmed et moi nous tirâmes
quelques tourterelles dans les jardins. L’eau d’El-Haouch est très
mauvaise.

                                                                 2 juin.

J’avais envoyé dès mon arrivée quelqu’un au cheik d’El-Haouch à Saada,
et il m’envoya dans la nuit un cavalier et un piéton pour me conduire à
Merhayyer (la Changée).

Nous voyageons aujourd’hui dans une plaine couverte de sable ou de
gravier, où souvent des affleurements de calcaire blanc se font jour. Le
relief de cette plaine est assez accidenté on y voit presque toujours
des _drâ_ ou lignes de hauteurs à l’horizon. La végétation est assez
fournie : d’abord elle se compose de _zeita_, de _jell_ et d’_isrif_,
puis enfin de _drin_, de _zeita_ et de _greyna_. Dans la première partie
de la route nous voyons sur la gauche de petites buttes qui indiquent
l’emplacement d’un ancien _qsar_ appelé Djeneyyen جنين (le petit
jardin). Il y avait autrefois des sources d’eau douce dans cet endroit ;
mais elles sont devenues salées et alors on a abandonné les lieux. Il ne
reste de la _ghâba_ que quelques palmiers-broussailles.

Nous arrivons à l’oued Itel par une très grande chaleur. Cet endroit
s’appelle Sētīl ; on y trouve des oglas ou trous peu profonds ayant un
peu d’eau au fond. Cette eau était autrefois renommée comme très bonne.
El Arbi en partant m’avait dit : « Vous retrouverez là l’eau de Mengoūb
et de Zerig ech Chaaba. » Or dans le meilleur trou l’eau était verdâtre,
lourde et avait un goût salé amer très désagréable. L’oued Itel n’est
ici qu’une petite dépression large d’une centaine de mètres, garnie de
sable et de gravier, mais sans berge. Son lit est couvert de tamaris. Il
y a quelques jours qu’un campement de Toroūd était ici ; ils ont émigré
à Bir el Asli dans le Sahara de Tinedla.

                                                        Dimanche 3 juin.

En quittant Setīl on continue jusqu’au Dhahâr[164] la plaine de même
conformation que celle d’hier. La végétation est composée de _retem_,
d’_isrif_, de _methennan_ et de _guerch_. Au Dhahâr, qui est le talus
formé par une plaine supérieure qui cesse tout d’un coup pour faire
place à une plaine plus basse, je trouvai dans les berges la même terre
rougeâtre sableuse que l’on retrouve autour du qsar de Merhayyer.

Ici commence l’oued Righ naturel[165], le chott Melghigh n’est plus qu’à
une petite distance sur la gauche. On en longe même le bord pendant
quelque temps. A partir de là commence un sol ou _heicha_ boursouflé,
souvent couvert d’efflorescences de sel, et caractérisé par une autre
végétation : _zeita_, _greyna_, _ghardeg_ (?), etc. A moitié chemin
entre Merhayyer et Setil se voient sur le chott les premières taches de
palmiers, celle de Merouān ; à partir de là elles se succèdent presque
sans relâche ; à droite on voit quelques _cherias_ ou bosquets de
palmiers nourris par une source. Enfin on arrive aux deux petites oasis
d’Ourir et de Nesigha, qui se touchent presque. A Ourir il n’y a jamais
eu de _qsar_, mais il y a une mosquée ; à Nesigha, au contraire, il y en
avait un autrefois.

Nous arrivons enfin à Merhayyer. Le soir, je vais voir une noce de
Rouāgha. C’est certainement fort curieux. La fête a lieu lorsque la
chaleur du jour a passé et continue jusqu’au _maghreb_. Sept jours de
suite elle se prolonge. Sur la place de la ville viennent prendre place
les jeunes gens qui cherchent une épouse ou une amie (?) et ils
s’asseyent sur les bancs de terre situés aux abords des maisons. Ils ont
mis leurs plus beaux burnous et d’énormes chachias sous leur haïk qui
est lui-même attaché par une énorme _berima_. Vient ensuite le _maâllem_
ou maître de musique, qui est aussi fort beau et qui ouvre le concert
par un air de flageolet ; il a pour acolytes deux timbales طبل et la
musique commence pour ne plus changer sur un ton lent saccadé. C’est
alors que viennent les jeunes filles de la ville deux à deux, trois à
trois, toujours les amies ensemble. Elles marchent lentement, par petits
pas, infligeant à leur corps une cadence, une ondulation presque
imperceptible qui commence aux pieds et finit à la tête. Elles marchent
les yeux pudiquement baissés ; vêtues de leurs plus beaux vêtements,
ayant au milieu de leur coiffure multicolore de petits rameaux de
tamaris. Elles se tiennent par la main ; les avant-bras levés vers leur
tête pour montrer aux jeunes hommes leurs mains teintes de henné. Tantôt
elles suivent le _maâllem_ qui ne dédaigne pas de battre de temps en
temps des entrechats devant elles, et ensuite de sautiller accroupi
devant un autre groupe qui recule alors lentement. Le _maâllem_ et un
acolyte me distinguant avec le cheikh et Ahmed vint s’agenouiller à
quelques pas de moi et me fit l’honneur d’un concert à mon intention ;
je déboursai un franc, ce qui lui donna des forces considérables.
Plusieurs des groupes de statues firent des détours pour se faire
admirer de plus près par Si Saad et vinrent passer lentement devant moi.
C’étaient surtout les plus grandes. Il y avait de toutes petites filles.
Enfin un groupe attira mon attention parce que chacune des demoiselles
qui le composaient avait un fichu de soie jeté sur la figure. C’étaient
les mariées ; il y en avait trois.

                                                                 4 juin.

Le cheikh de Merhayer prétend que sa ville est plus élevée que Tougourt,
mais tout le monde est de l’avis contraire.

Nesigha avait autrefois une _dechera_ ; mais cette _dechera_ se dépeupla
peu à peu, les habitants moururent et sous le règne du cheikh Brahim la
dernière famille émigra à Merhayyer. C’est une vieille femme de cette
famille qui a émigré elle-même et qui me raconte ce fait. Elle me donne
beaucoup d’autres renseignements curieux. La _dechera_ de Nezigha ne fut
jamais bien grande. Ourīr a une mosquée dédiée à Sidi Mokhfi qui était
Righi[166]. Merhayyer est très ancienne, quoique fondée sous les
musulmans ; la Zaouiya de Sidi Embārek Sāim, de même ; elle fut bâtie
quarante ans après la fondation de la ville. Ce marabout était un chérif
arabe venu de loin. C’est depuis le règne du cheikh Hamed que la langue
arabe a prévalu dans les villages du Ras el Ouad, et qu’elle a remplacé
le Righi.

Voici la liste des cheikhs de Tougourt[167] :


Sidi Mohammed ben Yahiya, marabout arabe nayli, régna quarante ans ; son
règne fut un règne doux.

Cheikh Hamed, fonda la dynastie des Beni-Djellab, famille aussi arabe,
qui, dit-on, descend des Mérinides. Ce fut un bon souverain ainsi que
cheikh Brahim.

El-Khāzen ne régna que trois à quatre mois.

Cheikh Brahim régna de treize à quatorze ans.

Cheikh Mohammed régna longtemps, eut pour fils les trois souverains
suivants :

Cheikh ’Amor vient au trône deux ans avant la prise d’Alger ;

Cheikh Brahim régna quatre ou cinq ans.

Cheikh ’Ali régna quatre ou cinq ans.

Cheikh Ben Abd er Rahman régna onze ans.

Cheikh Selman régna trois mois et fut chassé par les Français au mois de
novembre 1854.


Les Mehadjeriya de Tougourt tirent leur origine, me dit-on ici, d’un
juif apostat qui vint à Tougourt, déjà musulman, sous l’ancienne
dynastie (Sidi Mohammed ben Yahiya). Cette indication est fausse[168].

La vieille femme me dit d’elle-même ces paroles singulièrement
curieuses : احناڢم باب الوصڢان, c’est-à-dire qu’elle reconnaît elle-même
que les Rouagha forment (ou formaient) la limite septentrionale du pays
des nègres.

Les deux ou trois palmiers isolés au sud-ouest de Merhayyer, séparés du
fossé par un petit _dra’_, indiquent l’emplacement d’une _dechera_
appelée El-Gharbi, dont les habitants possédaient une partie des
palmiers de Merhayyer. Les deux villes étaient ennemies l’une de
l’autre. El-Gharbi succomba dans la lutte et ses habitants, chassés du
village, furent se réfugier dans le Nefzāoua, au Djérid et une faible
partie entra à Merhayyer.

Voici les noms de tribus de Merhayyer : Oulad Hassen, — Oulad Imen, —
Oulad Mouça, — Oulad Bou ’Ali, — Oulad Djabou qui étaient autrefois à
El-Gharbi, — Er-Riāb, arabes habitant 2 à 3 maisons. Les Arabes de
l’Oued-Righ sont Selmiya, Rahmān, Oulad Moulet. Ces derniers ont une
centaine de tentes ; les deux autres tribus sont beaucoup plus fortes.
Les tribus de Nesigha étaient : O. Sidi Mohammed ben ’Aiça, O. el
Gharib, O. el Hāchi. Ils étaient tous Rouāgha et comptaient une
vingtaine de maisons.

Je m’enquiers des maladies de l’Oued-Righ, du moins de celles qui sont
le plus communes à Merhayyer.


Ophtalmie, peu. — Maux de tête, beaucoup. — Fièvres pernicieuses, peu. —
Douleurs : on dit qu’elles proviennent du travail. — Syphilis, très peu.
— Phtisie, peu, on n’en meurt pas. La plupart des morts viennent des
fièvres.


L’oasis de Merhayyer compte huit sources coulant encore. Une forte et
sept petites. Elles ont 84 à 90 _dra_ (42 à 45 m.) de profondeur[169] ;
les unes sont douces, les autres sont salées ; la plus forte source est
salée. — Ourīr et Nesigha ont chacun une source. — Les palmiers
broussailles de Tamidount et de Merouān ne sont pas arrosés ; ils
donnent de petites dattes que mangent les chacals et les gazelles.


Sources artésiennes : ’Aïn Mellāḥa, eau assez bonne, température 24°,2 ;
profondeur d’après la tradition, 42m,5. — ’Ain Baṭṭāḥ-boum, température
24°,5 ; profondeur, 42 mètres.


Le nombre des palmiers de Merhayyer, de Nesigha, d’Ourīr et de Dendoūga
s’élève à 25 ou 26.000 ; mais ce chiffre doit probablement subir une
correction notable en augmentation, de même que ceux que je donnerai
pour l’Oued-Righ. Les cheikhs qui les ont comptés, croyant que le
chiffre qu’ils donneraient devait servir de base à un impôt, ont
naturellement indiqué le moins possible.

Dendoūga, dans le chott Melghigh, possède une _dechera_ abandonnée ;
elle avait autrefois une population de Selmiya et de Fouānīs (Rouāgha) ;
il y avait environ 15 maisons. Dendoūga possède une source et Choucha
aussi.

Parmi les Rouāgha, les blancs et les noirs sont considérés comme au même
niveau ; il n’y a pas d’idée de noblesse attachée à la blancheur de la
peau. Dans l’hypothèse probable de l’homogénéité primitive d’une race
noire dans l’Oued-Righ et le Nefzāoua, race successivement modifiée par
l’élément berbère et par l’élément arabe, ce serait dans les mélanges de
ces trois races qu’il faudrait chercher l’explication des nuances de
couleur, puisque les traits restent toujours les mêmes, et donnent
quelquefois le singulier spectacle de nègres et de négresses presque
blancs. A Sidi Khelil, à Merhayyer on ne fait pas de « ghēchem » ou vin
de palmier.

Autrefois les Beni-Djellab demandaient au cheikh de Merhayyer 100 ou 130
réals torbāga (de Tunis) et à la ville 250 réals torbāga. Le cheikh
Mohammed demandait autrefois 500 réals, mais les Français diminuèrent
l’impôt comme ci-dessus sous les derniers Beni-Djellab. Aujourd’hui il
n’y a à Merhayyer que les Oulad Hassen qui paient tribut à la France
parce qu’ils n’ont pas voulu accepter notre autorité dans l’origine.
Leur redevance monte à 156 douros. — Nesigha paie 31 douros et Dendoūga
44. En tout 1.155 francs. A Oumm et Tiour les habitants sont Selmiya. A
Chegga, ce sont des Chorfā.

A Merhayyer on cultive de l’orge dans de petits carrés entourés de
petits murs en terre, on laboure à la pioche (?). Du blé, il n’y en a
que très peu. Tout le travail des Rouāgha est l’agriculture.

A Djenéyyen il y a beaucoup de sangliers. Il y a deux ans, un de ces
animaux s’est égaré jusqu’à Merhayyer.

A Merhayyer la plupart des hommes n’ont qu’une femme ; 25 hommes
seulement en ont deux et un seul ménage en a trois. Les ménages ont deux
enfants en moyenne ; jamais plus de cinq.

Il n’y a pas de poissons dans les eaux de Merhayyer _parce qu’elles ne
forment pas de « bahar[170] »_.

Voici la liste des espèces de dattes qui se trouvent dans l’oasis :


El-Ghers, Degla (principales). — Degel. — El’Ammāri. — Deglet Noūr. —
Tīndjouhert. — El Itīma. — Zintebouch. — Tīsīnīn. — El’Adjīna. — Bou
Khennoūs. — Hamrāt el Kāïd. — Kouttich ed Degla (du Zāb). — Tīfziouīn. —
El Kenta. — ’Abd el ’Azzàz. — El Kesebba. — Dhofor el Goṭṭ. — Degla
Morhoss. — Bou ’Aroūs.


L’Oued-Righ compte 44 villages, dont 3 sont abandonnés.

                                                                 5 juin.

Nous partons de Merhayyer ; je ne puis plus y rester, quoique le ciel ne
m’ait pas encore permis de faire hier même une simple observation de
latitude.

Nous arrivons à Sidi Khelil de bonne heure. Ce village est, comme
Merhayyer, entouré d’un fossé d’eau, dans lequel je vois des poissons,
quoique l’eau soit couleur d’urine de vache. Sidi Khelil a 50 maisons et
9 sources d’eau coulante, quoique d’un faible débit. C’est un marabout
qui a bâti ce village auquel il a donné son nom. Le nombre de palmiers
de Sidi Khelil est à celui de Merhayyer dans le rapport de 2-3. — L’eau
de cette oasis est peut-être un peu moins bonne que celle de Merhayyer,
mais elle est cependant très buvable. — A l’ouest de Sidi Khelil,
contiguë à la ville, on trouve une grande mare dans laquelle je vois des
négrillons du pays prendre leurs ébats. Il y a deux tribus à Sidi
Khelil[171], les Oulad Zaïr et les Zerāib Selimān.

Je vais coucher à Tinedla. Tinedla n’a que peu d’importance ; il n’y a
qu’une quinzaine d’hommes adultes, environ 3.000 palmiers arrosés par 7
sources. Elle ne paie pas de tribut. — El-Bārĕd, près de Tinedla, ne
compte que 8 hommes, 2.000 palmiers et une seule source. L’odeur des
marais est écœurante. Le soir, je vois planer au-dessus du village un
crapaud volant.

                                                                 6 juin.

Je pars de Tinedla, et j’arrive de très bonne heure à Ourhlāna. Je
trouve ici M. Zickel, lieutenant d’artillerie, avec qui j’avais fait
connaissance à la table du bon commandant Robbe à Batna. Il commande ici
la brigade des forages artésiens. Le puits qu’on a entrepris est déjà
très avancé ; il a 53m,89 ; la température de l’eau dans un intervalle
du travail est de 24°,1 (th. 303 de Salleron). Je me démunis de mon
anéroïde et d’un thermomètre Salleron no 303 pour que M. Zickel puisse
faire des observations. M. Zickel a un fonds d’instruction générale qui
manquait à mon pauvre ami Lehaut.

Ourhlāna a 2.000 palmiers arrosés par 5 sources principales ; la
population du village est de 200 hommes et de 180 femmes. Je passe la
_gaïla_ ici et je vais coucher à Sidi Rāched. A Ourhlāna, le puits
donnait déjà une source notable, qui n’était venue que la veille. J’eus
le curieux spectacle de voir les Rouāgha travailler aux saguias au son
de la musique. Ils ont, à ce qu’il paraît, égorgé un chevreau sur
l’orifice du puits.

Nous avons passé les deux _Tamernas_. — Tamerna Djedida a 100 hommes
adultes. Les palmiers sont arrosés par 2 sources.

                                                              7-11 juin.

Je vais à Tougourt. Je vois, en passant, les ruines de la curieuse
mosquée de Tāla, ville puissante que détruisirent les Beni-Djellāb.

Le cheikh Bou Chĕmal de Nezla, l’un des hommes les plus nobles de
l’Oued-Righ et un ancien ami et conseiller des Beni-Djellāb, me donne
les renseignements suivants.

Autrefois les Beni-Mezāb occupaient Tougourt et Ghamra, voire même
Temassīn[172].

Les Beni-Djellāb, lorsqu’ils furent chassés par les Français, avaient
régné 550 ans. ’Omar ben Qetla (Ben-Djellāb) fut celui qui fit
apostasier les Juifs aujourd’hui Medjehariya. Il avait une maîtresse
juive nommée Hokāya ; celle-ci lui dit un jour : « Si tu veux convertir
les Juifs, il faut attendre que leurs palmiers (car ils en possédaient)
aient des dattes[173] et les menacer de les chasser comme les Beni-Mezāb
et de les dépouiller de leurs biens, s’ils ne passent pas à
l’islamisme. » Ben Qetla suivit ce conseil, et, après 5 jours de
réflexion, les Juifs se convertirent[174].

Sidi Mohammed ben Yahiya et Sidi Serr Allah, du temps de la Djemāa avant
les Beni-Djellāb, sont les deux marabouts qui chassèrent les Beni-Mezāb.

Les Beni-Djellāb avaient des mœurs très légères ; on connaît l’amour des
liqueurs fortes des derniers souverains de la dynastie. — Près de
Tougourt se trouve une jolie goubba à deux coupoles appelée Dār Nedjma,
qui fut le tombeau d’un des fidèles partisans du premier souverain qui
se faisait passer pour marabout. Plus tard les Beni-Djellāb avaient là
une jolie chambre, et y donnaient des rendez-vous aux plus belles femmes
des plus nobles familles de Tougourt, qui y venaient sous prétexte de
pèlerinage.

  L’impôt annuel de l’Oued-Righ et du Souf s’élève à          80.000 fr.

  Les dépenses de l’Oued-Righ et du Souf sont :

    Traitement du caïd et des cheiks          26.660 fr.

    Cavalerie (Khialas) du caïd               46.800

    Tirailleurs indigènes à Tougourt          42.000

    Poste                                     10.800
                                             -------
               Total des dépenses            126.260         126.260 fr.
                                                             -------
               Excès des dépenses sur les recettes            46.260 fr.

Le capitaine Cannat a fait compter les palmiers de l’Oued-Righ par les
cheikhs de chaque village, ce qui est un très mauvais moyen ; il a
obtenu le chiffre de 400.000 palmiers. Plus tard, il compta lui-même à
Meggarîn les palmiers et en trouva 2.000 de plus dans cette petite
oasis. Le lieutenant Auer a calculé le nombre des palmiers de Tougourt.
Il a compté réellement les arbres sur un petit espace et a ensuite fait
la proportion sur la superficie de l’oasis basée sur son plan. — Il a
obtenu 180.000 palmiers, tandis que Cannat en avait seulement 85.000 par
le calcul des cheikhs. En se basant sur la différence des données sur
Tougourt d’Auer et de Cannat et en acceptant celle d’Auer comme bonne,
on aurait 848.000 palmiers pour l’Oued-Righ. — Auer estime cependant le
nombre à seulement 600.000 palmiers. El-Ouad, me dit le kaïd, a avec
’Amîch 60.000 palmiers. En admettant 600.000 palmiers dans l’Oued-Righ
et en faisant payer 0 fr. 20 par arbre, on aurait 120.000 francs par an,
ce qui suffirait pour payer les dépenses quand on aura modifié le
service des postes. — Le Souf donnerait du reste de quoi payer le
surplus, 6.260 francs, et le gouvernement aurait encore un bon revenu en
plus.


[Note 161 : Ils reçoivent aussi de l’eau de l’oued Guechtan, tributaire
qui a son confluent à Zéribet el Ouad. (Féliu, p. 93.)]

[Note 162 : Il y a ici une légère erreur. Commencé le 6 novembre 1857
par M. Jus, ce forage fut suspendu le 1er mars 1858 à une profondeur de
156 mètres, le matériel n’étant pas prévu pour des profondeurs plus
grandes. (Ville, _Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna et du
Sahara_, p. 268-270.)]

[Note 163 : Peut-être l’_akrecht_ du catalogue Foureau (_Lithospermum
callosum_).]

[Note 164 : Appelé aussi Koudiat el Dor, le « mamelon du retour ». Sur
la légende attachée à ce nom, cf. Féraud, _Rev. Africaine_, 1879, p.
62.]

[Note 165 : Car on doit y compter Oumm et Tiour, depuis que les puits
artésiens y ont été forés (H. Duv.).]

[Note 166 : Righi (pluriel Rouagha) : habitant de l’Oued-Righ ou Oued-
Rir.]

[Note 167 : Cf. le _Kitab-el-Adouani_, traduct. Ch. Féraud, _Recueil
Soc. archéol. de Constantine_, 1868, et le mémoire du même auteur : _Les
Ben-Djellab, sultans de Tougourt_, _Revue Africaine_, 1879-1880.]

[Note 168 : A noter que le _Kitab-el-Adouani_ assigne une origine juive
aux premiers ksour de l’Oued-Rir.]

[Note 169 : Ville, qui a mesuré lui-même en 1861 quatre de ces puits
indigènes, leur a trouvé une profondeur de 27 à 30 mètres, et ne croit
pas qu’ils aient dépassé 42 mètres à l’origine. (_Voyage d’exploration_,
etc., p. 331).]

[Note 170 : _Bahar_ (pluriel _behour_) : petits bassins plus ou moins
circulaires, remplis par une nappe d’eau ascendante.]

[Note 171 : J’ai quelques doutes si ces tribus appartiennent à S. Khelil
ou à Tinedla, ce serait peut-être à la dernière ville (????) (H. Duv.).]

[Note 172 : Confirmé entre autres par Ibn-Khaldoun, qui écrivait au XIVe
siècle que les Azzaba (ancêtres des Mzabites) étaient en majorité parmi
les hérétiques de Tougourt (_Hist. des Berbères_, traduct. de Slane,
III, p. 278). — La principale mosquée de la ville s’appelle aujourd’hui
encore Djama-el-Azzabiya.]

[Note 173 : Ces palmiers étaient à un endroit appelé aujourd’hui Khalouā
(H. Duv.).]

[Note 174 : Cf. une deuxième tradition dans Féraud (_Rev. Africaine_
1879, p. 354 et suiv.).]




                              CHAPITRE II

                                AU SOUF


                                                                12 juin.

Je n’ai quitté Tougourt qu’après midi, et je suis parti à cheval avec un
spahi bleu qui ne savait pas le chemin. Après avoir traversé la
Chemorra, nous sommes entrés immédiatement dans les sables, alternant de
dunes à de simples ondulations. D’abord ces sables, comme tous ceux qui
avoisinent les lieux habités, n’ont aucune végétation. Plus loin nous
vîmes des oueds bien garnis de végétation et nous arrivâmes au puits
Mouïa Rebah qui ne contenait alors que très peu d’eau et qui avait déjà
une mauvaise odeur. De là nous allâmes à Hassi Embārek au commencement
de hautes dunes, que nous traversâmes sans cesse pour arriver à Taibāt
et Guebliā. Nous trouvâmes à ce dernier puits de petits camps d’Oulad
Seih.

J’arrivai à la nuit tombante à Taibāt qui est une petite bourgade au
milieu des dunes. Elle est bâtie à la mode du Souf. Les maisons ont de
petits murs en chaux et pierre à plâtre et les chambres sont surmontées
de petits dômes. On voit ici le tombeau d’un cheikh et une mosquée. Les
habitants sont des Oulad Seih ; les palmiers sont plantés comme au Souf.

                                                                13 juin.

Nous sommes partis avec le bagage et avons traversé pendant longtemps
une zone de dunes très difficiles, surtout pour des chameaux du Tell
comme sont les miens. D’abord nous avions rencontré des jardins qui
portent le nom de Khobna. Notre marche est très lente, et nous nous
arrêtons pour passer la _gaïla_ au puits de Dhemerini dont l’eau est
assez bonne. De là nous ne partons que tard, à cause du sirocco qui m’a
indisposé et nous allons coucher au Kétif, la plus haute dune de sable
de cette région.

                                                                14 juin.

Nous sommes partis de bon matin, tous ensemble ; mais Ahmed et moi nous
prenons le devant sur nos chevaux, ayant un guide à pied. Après une
bonne marche, nous arrivons au puits des Haouād Tounsi ; puis nous ne
quittons plus les dunes jusqu’à El-Ouad. J’ai déjà passé à Haouād Tounsi
en allant à Ouarglā. Je trouvai le kaïd qui me reçut très bien.

J’apprends qu’un « rhezi » de Toroud avec quelques Touaregs de Cheikh
Othman sont partis pour aller razzier des tribus arabes de la
Tripolitaine ou de la Tunisie. (Ceci est intéressant. Voir au Djébel le
résultat.) Le Cheikh Othman était ici il y a peu de temps ; il se
disposait à aller à Ghadāmès pour s’entretenir avec Ikhenoukhen qui est
campé près de là, au sujet d’un différend qui s’est élevé entre leurs
tribus. J’espère donc, une fois de plus, pouvoir aller avec lui.

Je cause longtemps avec un Ghadamsi qui s’en retourne chez lui. Il est
parti de Ghadamès au milieu du ramadan ; on lui a dit qu’il devait venir
un Français et un Anglais. Le Français, c’est moi sans doute.

                                                                15 juin.

Ahmed est tombé malade de fièvres la nuit dernière. Je passe une partie
de la journée à le médicamenter ; il est d’une faiblesse extraordinaire
contre la maladie, lui qui ne craint rien d’ordinaire. Il dit à qui veut
l’entendre qu’il est perdu. Cependant, le soir, il peut déjà se
promener. Sa femme lui en a tant dit, qu’il vient me déclarer qu’il ne
peut pas voyager cet été ; mais le soir le kaïd lui parle devant les
_mechaikh_, et le décide à revenir sur cette idée.

Je fais causer un homme des Ghorībi, tribu arabe du Nefzāoua, qui ont
quelques palmiers à El-Ouad, et qui ne vont pas l’été avec les Oulad
Yagoub dont ils sont plutôt les ennemis.

Les Arabes du Nefzāoua sont les Oulad Yagoub, les Ghorīb, les Merāzīg et
les Solaā. — Les Ghorīb qui possèdent la ville de Sabrīa se divisent en

          {                  { Bidhan.
          {                  {
          {                  { Chebib.
          {                  {
          {  Sabria.         { Fodhély.
          {                  {
          {                  { Rehamla.
          {                  {
          {                  { Keraima.
          {
  Ghorīb  {  El-Ghenaim.
          {
          {  Djerarda.
          {
          {  Touamer.
          {
          {  O. ’Ali.
          {
          {  O. Nouiser.
          {
          {  El-Gherisiyin.

Sabria est à un long jour de Kebilli et à cinq jours d’El-Ouad ; ses
puits sont comme ceux du Souf, de même que ses غدران établis dans les
sables. Voici la liste des puits du Sahara des Ghorīb : le pays où ils
sont creusés est par 120° de Nefzāoua.

  Bir Djedid à 3 jours de Kebilli ; à 5 jours d’El-Ouad.

  El-’Ogla     4       —    —         5    —    —             }
                                                              }  près
  El-Oudey (el Merhotta) à 2 jours de Kebilli ; à 5 jours     } les uns
  d’El-Ouad.                                                  }  des
                                                              } autres.
  El-Hiadh    —           2½    —       —         4    —   —  }

  Moui Sefar    —         4    —       —          3    —   —

  El-Gounna     —         2    —       —          5    —   —

  Moui Dhô     —          2½    —       —         4½    —   — }
                                                              }  près
  El-Beskri     —         2    —       —          5    —   —  } les uns
                                                              }  des
  El-Mahrouga     —       2    —       —          5    —   —  } autres.

Le puits le plus à la _guibla_[175] est celui de El-Oudey el-Merhotta.

Je donne la permission à Ahmed de vendre son cheval et sa selle.

                                                                16 juin.

J’avais résolu d’aller voir ’Amich qui commence près d’El-Ouad et se
prolonge vers la _guibla_ d’une longueur dépassant un peu la distance de
Kouïnin ; mais j’ai abandonné mon projet ; je crains que la promenade ne
vaille pas la fatigue qu’elle doit coûter par la chaleur que nous avons.
J’ai employé mon dernier jour ici à prendre des renseignements
commerciaux.


                   _Notes sur le commerce d’El-Ouad._


Le commerce d’El-Ouad suit quatre directions principales et il est
curieux de noter qu’aucune d’elles ne se dirige vers nos possessions.
Biskra, et peut-être Tebessa, Tougourt aussi ont, il est vrai, des
relations avec le Souf (El-Ouad), mais le commerce qui en est la base
est bien languissant, et est en grande partie réservé aux villes de
Souf, Gomar, Kouïnin et Ezgoum.

Les quatre canaux principaux du commerce d’El-Ouad sont : 1o Tunis ; 2o
le Djérid ; 3o Gabès ; 4o Ghadāmès. — C’est par cette dernière ville
qu’ont lieu des transactions avec Rhat et le Soudan. — A ces quatre
emporiums on pourrait ajouter Ouarglā.

Voici les prix courants à El-Ouad des marchandises venant de Tunis, et
qui, pour peu qu’ils entrent dans le rayon des produits de fabrique,
sont tous anglais ou maltais :


                            _Prix courant :_

  Cotonnades de Malte, pièces de 22m,5 à 23m,5 de longueur ;
  marque, une ancre et un dauphin enchevêtrés et au-dessous
  « Patent »                                                       9 fr.

  Amberguiz ou madapolam, pièces de 37m,5                         17

  Cotonnades bleues de Malte, pièces de 35m de long sur
  1m de large                                                     16  50

  Calottes rouges[176] tunisiennes, 1 paquet de 6, 1re qualité    30   »

  Soie non travaillée, blanche ou teinte, 1re qualité, 1/2 kil.   20   »

           —                   —          qualité inférieure,
  1/2 kil.                                                        10   »

  Fusils de Tunis à pierre, l’un                                  30   »

  Foulards de coton teints (anglais ?), la douzaine                6   »

  Foulards de soie noirs ou rouges, la douzaine                   25   »

  Mousseline grossière,[177] la pièce de 22m,5                     7  50

  Essence de roses, 1re qualité, 1 mithcal[178] ou 6 fioles        5   »

          —         2e qualité, une oukiya[179]                    2  50

  Civette,[180] l’oukiya                                          12   »

  Musc, l’oukiya                                                  65   »

  Papier blanc écolier, les 500 feuilles                           5   »

  Cassonade (belle qualité), le 1/2 kil.                           »

  Corail, gros grains (beau corail), l’oukiya                     10   »

  Alun blanc, les 50 kil.                                         33   »

  El-Mabroūka, racine, remède contre la syphilis,
  le 1/2 kil.[181]                                                 3   »

  Boîtes à parfums en bois. 5 boîtes les unes dans les autres      1   »

Quant au commerce avec le Djérid, il repose presque exclusivement sur
les tissus fins de laine et de soie de ce pays. A El-Ouad, voilà les
prix moyens des différents vêtements djéridis :

  Burnous non cousus, de 20 fr. à 22 fr. 50 et 25 francs.

  Haïks de laine, de 22 fr. 50 à 25 et 30 francs.

  Haïks de laine et soie, de 65 fr. à 70 et 75 francs.

C’est-à-dire que, pour les haïks djéridis, on peut en avoir depuis 22
fr. 50 jusqu’à 75 fr. Ces mêmes burnous qui sont vendu 20 fr. à El-Ouad
ont été achetés pour 17 fr. 50 au Djérid. Ceux de 25 fr. ont coûté 22
fr. 50. Les haïks sont vendus à El-Ouad pour 10 francs de plus qu’ils
ont coûté au Djérid. Le prix du louage d’un chameau d’El-Ouad à Tozer
est de 12 francs en moyenne. En hiver de 10 francs ; en été il va
jusqu’à 15 francs.

De Gabès on n’apporte guère que deux produits, mais ils sont de nature à
fixer l’attention, car tous les deux sont employés dans l’industrie
européenne.

  Le henné, que l’on me dit meilleur que celui du Zāb,
  se vend ici                                                     »   50

  La garance, les 50 kil.                                         »   40

Ghadāmès envoie à El-Ouad des produits d’une nature toute spéciale.

  Pièces de cotonnade bleue fabriquée au Soudan[182],
  longueur 4 mètres ; se vend au détail dans des boutiques
  à 4 fr. le mètre ; en gros on les vend à leur arrivée
  de Ghadāmès à                                                    10  »

  Troūnia,[183] les 50 kil.                                        50  »

  Peaux de chèvres ou de moutons tannées et rouges, chaque          3  »

  Civette, meilleure que celle de Tunis, 1 oukiya                  30  »

  Alun, les 50 kil.                                                33 30

  Or : 1o en poudre,[184] en moyenne le mithcal                    11  »

  —    2o en objets travaillés[185], le mithcal         9 fr. 50 à 10  »

Ce sont les prix de Ghadāmès ; exceptionnellement il se trouve, comme à
présent, que les marchands de Ghadāmès, par suite de l’encombrement du
marché, n’ont aucun profit, perdent même à El-Ouad.

Prix du transport d’une charge de chameau :

                                   FRANCS

                         {          80 en été.
  D’El-Ouad à Tunis      {
                         {          40 en hiver.

                         {          15 à 17.50 en été.
       —    au Djérid    {
                         {          10 à 12 en hiver.

       —    à Gabès                 10 en hiver.

       —    au Nefzāoua             15    —

       —    à Biskra                15    —

                         {          40 en été.
       —    à Ghadāmès   {
                         {          25 ou 30 fr. seulement en hiver.

       —    à Ouārgla               20 en hiver.

       —    au Mezâb                25    —

       —    à Tebessa               22 50     —

  De Ghadāmès à Tripoli             24    —

        —     à Rhat                64 en été.

  1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de henné coûte à Gabès   53 fr.

  1 kantar ⅓ (mesure d’El-Ouad) de garance vaut à Gabès  33 50

  D’El-Oued à Tunis     13 jours de caravane.

      —     à Nafta      4     —       —

      —     à Gabès      9     —       —

      —     au Nefzāoua  6     —       —

      —     à Biskra     5     —       —

      —     à Ghadāmès  14     —       —

      —     à Ouārgla    9     —       —

      —     à Tebessa    7     —       —    par Négrīn.

                                          { d’El-Ouad à Temassin 3 j.
                                          {
                                          { Temassīn à Belidet Amar 1 j.
      —     à Guerara    9     —       —  {
                                          { Belidet à Hadjira 2 jours.
                                          {
                                          { Hadjira à Guerara 3 jours.

                                                                17 juin.

J’ai le plaisir de voir Ahmed se remettre tout à fait aujourd’hui. Je
lui laisse beaucoup de commissions ; il me rejoindra à Tougourt. Dans
l’après-midi je pars. J’ai trois domestiques à part Ahmed. Nous
voyageons d’El-Ouad à Ezgoum à travers des dunes où l’on ne trouverait
pas un seul brin de végétation. Il fait beaucoup de vent ; le paysage
est très uniforme, mais n’en est pas moins remarquable.

J’arrive à Ezgoum où je retrouve quelques-uns de mes anciens compagnons
de voyage du Djérid, qui ont maintenant honte de leur manque de courage
pendant la route. Ezgoum est très bien bâti, c’est sous ce rapport la
première ville du Souf. Les maisons sont assez élevées quoique sans
étage supérieur ; les rues sont bien alignées. Les maisons sont
surmontées de nombreuses petites coupoles[186] au sommet desquelles,
comme aussi sur les murs qui les relient, on a distribué des pommeaux en
maçonnerie d’un très joli effet. La ville m’a paru très propre. Les
habitants sont plus civilisés que le reste des Souafa ; ils ont pompé la
civilisation à Tunis et aussi ont tâché d’en introduire chez eux ce
qu’ils pouvaient. Leur cuisine d’apparat par exemple est tunisienne. Ils
ont aussi pris de Tunis une grande sévérité extérieure de mœurs, du
moins à ce qu’on me dit.

[Illustration]

La ville d’Ezgoum[187] compte maintenant 14 générations. La ville la
plus ancienne de Souf est Taghzoūt ; la plus moderne, El-Ouad excepté,
est Gomār. Lorsqu’on a fondé Ezgoūm, il n’y avait aux environs que fort
peu de sables, et pas de dunes comme à présent ; ainsi, encore en 1813,
lorsque l’on bâtit le minaret de la mosquée (il a 9 mètres de hauteur),
on pouvait voir de son sommet les feux d’El-Ouad qui à cette époque ne
comptait guère que des huttes de palmes (_zeraīb_), et l’on apercevait
aussi du bois enflammé quand on en transportait pour allumer un feu de
Gomār à Taghzoūt. Inutile de dire qu’aujourd’hui ce serait impossible.

Autrefois, dans l’Ouad Jardaniya qui est un peu au nord de Sidi’Aoūn, il
y avait des labours arrosés par des sources. On voit encore aujourd’hui,
me dit-on, les traces des _saguias_. On trouve aux environs des terrains
de _sebkha_ comme dans l’Oued-Righ.

L’historien du Souf Cheikh el’Adouâni était d’Ezgoum ; c’était,
m’assure-t-on, un saint homme. Il faisait sa prière du matin avec la
_djema’a_ et celle du _dhahor_ à Bagdad en Syrie.

La population des villes soufīa (excepté El-Ouad) se compose aujourd’hui
exclusivement de Toroūd et d’Adouān. Ezgoum est dans ce cas. Dans les
villes du Souf les Adouāns dominent. A El-Ouad et ʿAmich il n’y a que
des Toroūd. Les premiers habitants du Souf à ’Amīch et Hassikhalifa
furent des Zenāta[188] païens (ou chrétiens ?), ensuite vinrent les
’Adouān et puis les Toroud. Ezgoum possède une jolie _goubba_ élancée,
dédiée à Sidi Abd-el-Kader.

Les vents du nord-est dominent en été dans le Souf ; ces vents, unis aux
siroccos du sud-est, sont la cause du progrès des dunes vers l’ouest.
Leur force et peut-être leur fréquence doivent surpasser celles des
vents du nord-ouest de l’hiver.

Je suis piqué, le soir, deux fois au bras par un gros scorpion qui
s’était introduit entre mon bras et ma chemise. Il sort par le cou de la
gandoura. Je fais de petites fissures sur les piqûres et j’y applique de
l’alcool camphré. Mon bras cependant reste engourdi un instant.

                                                                18 juin.

J’arrive de bonne heure à Gomār, après avoir traversé une zone de sables
dénudée, absolument semblable à celle qui sépare El-Ouad d’Ezgoum. Je
trouve que le qadhi a tenu sa promesse et m’apporte une copie de Cheikh
el’Adouāni ; cependant je dois noter ici que le qadhi et même Si
Mohammed el’Aïd déclarent que ce livre contient avec du vrai beaucoup de
fantaisie. Il faudra débrouiller cela.

Le kaïd arrive d’El-Ouad dans la matinée, nous allons ensemble chez le
marabout Si Mohammed el’Aïd que nous trouvons dans une maison assez
belle, mais couché sur un lit déchiré et vêtu d’un haïk à peine propre.
Cette fois, le marabout se montre très poli et daigne causer avec nous
de mille et un sujets. Il a reçu les lettres du général et toutes celles
que je lui ai apportées. Il me promet tout son concours ; en somme, je
suis content de cette entrevue. Nous déjeunons là ; on nous apporte, en
fait de friandises, du concombre frais et une pastèque verte, mais
mangeable.

                                                             Le 19 juin.

Je fais une visite à Si Mohammed el’Aïd qui me donne son _ouerd_ et qui
me remet différentes lettres pour les Touareg Cheikh Othman et Cheikh
Ikhenoukhen. Le marabout cause d’une manière très aimable comme hier. Il
veut me faire son mokaddem à Paris.

J’ai oublié de noter que pour le commerce d’El-Ouad la monnaie de compte
est le réal _bou cherchour_, équivalant à 1 fr. 35. Il vaut à Tunis deux
réals tounsi dits _nehas_. On le divise en quarts « _rouba’_ » ou en
huitièmes « _themen_ ». Un réal a 94 _nasri_.

Je visite les puits de Gomar, et j’en choisis 4.

  Bir Talat Chriaa’        Prof.  6m,75     Temp.  21°,05

  Bir Sidi Abder Rahman,          6m,66            21°,70

  Bir Djama’ el gharbi,           6m,50            21°,35

  Bir Djama’ el Akhouān.          6m,84            21°,20

On m’apporte le soir un dîner fort peu convenable ; je le fais envoyer
au kaïd en le priant de m’y trouver un morceau de viande. Le kaïd frappe
d’une amende de 200 francs le cheikh qui a apporté le dîner, et il
m’envoie le sien avec d’excellente viande grasse.

                                                             Le 20 juin.

Je suis parti aujourd’hui de Gomar. En passant devant les jardins, je
remarquai deux arbres fruitiers : figuier et grenadier. On était en
train d’arroser les plates-bandes. Nous voyageâmes d’abord à travers une
région de sables, qui, comme toutes celles qui avoisinent les villes du
Souf, est tout à fait dénudée. Puis nous revîmes la végétation, qui dans
cette région consiste principalement en drin et alenda. Nous avons le
sirocco toute la journée, mais nonobstant nous marchons bien ; et nous
campons un peu en deçà de Mouïa el Ferdjān.

                                                                21 juin.

Nous nous mettons en route de très bonne heure et nous arrivons très
vite à Mouïa el Ferdjān. A la _gaïla_ j’ai le spectacle d’un ouragan
très curieux quoique peu agréable. Toute la journée il a fait un sirocco
violent. A 1h,20 du soir, le ciel s’est couvert ; coups de vents
terribles qui renversent deux fois ma tente ; ces vents viennent du
S.-S.-E. — 5mm de pluie d’orage ; deux coups de tonnerre lointains. A
1h,35, coups de tonnerre très haut au-dessus de nous ; pas tout à fait
au zénith (N.-O.), puis au N.-E., puis de l’horizon. A 2h,10, coups de
vent épouvantables. Le vent chasse le sable de manière à me faire mal
aux jambes. A 2h,35, coups de tonnerre au zénith au N. et au N.-O., ciel
couvert, vent de N.-O. faible. Éclairs au N.

En partant de l’endroit où nous avons fait la sieste (d’une singulière
façon) nous atteignons vite une sorte de forêt ou de bois taillis appelé
_zouitaya_ du _zeïta_, _Statice monopetala_[189], qui y est pour ainsi
dire la seule plante dominante. Cela me rappelle les environs de Chegga
du sud. Cette _zouïtaya_ finit à l’Erg Meggarīn, où nous voyons, entre
les dunes, des dépressions de sables humides, ce qui fait dire à mes
Souāfa que c’est un « Erg toloūa » ; on pourrait y planter, comme au
Souf, des palmiers s’arrosant eux-mêmes par absorption.

Nous arrivons à Meggarīn Djedid, où je laisse mon monde et je continue
jusqu’à Tougourt avec le spahi bleu. A Tougourt au coucher du soleil,
ciel embrasé d’un rouge sombre ; air lourd, le soir pluie. Je trouve ici
Auer malade et le caporal Dhem ayant manqué d’être emporté par les
fièvres deux jours avant. Cependant tous vont un peu mieux. Abd Allah
l’Allemand va aussi mieux.

                                    Tougourt, du 22 juin au 1er juillet.

Je fais un peu de photographie.

J’essaye de faire un baromètre en passant par la délicate expérience de
Torricelli. Je casse 4 tubes de verre en faisant bouillir le mercure,
mais le 5e tube réussit et j’ai restauré ainsi mon no 903 de Tonnelot.

L’oasis de Tougourt est très vaste, elle possède environ 180.000
palmiers, d’après une bonne évaluation faite par M. Auer. Ce chiffre
représente les palmiers en rapport. Il y avait, il y a deux ans, 325
puits artésiens d’un débit plus ou moins fort dans toute l’oasis en
comptant les palmiers appartenant aux villes de Tebesbest, Nezla, Sidi-
Bou-Djenan, Beni-Souid, Zaouya Sidi el Abid, etc. Le nombre des puits
tel que l’a donné M. Auer, il y a deux ans, n’a pas dû changer depuis,
en comptant les puits qui ont tari et ceux qui ont été forés depuis,
tant par les indigènes que par les sondages français.

A 5 kilomètres de Tougourt au sud-sud-est se trouve un lac d’eau salée
Merd-jādja qui a 1/2 kilomètre de long sur 200 mètres de large et une
profondeur maximum de 45 mètres (Auer).

Tout près de Nezla se trouve le tout petit village de Sidi-Mohammed ben
Yahiya qui est le tombeau du marabout qui régna sur Tougourt avant les
Beni-Djellāb.

A l’extrémité sud de l’oasis se trouvent des prolongements de jardins
qui ont actuellement dépassé les premières hauteurs de Bou Yerrō et qui,
plantés de palmiers encore en broussaille et arrosés par des puits
artésiens, donnent un bon témoignage de l’influence française sur
l’oasis, car ils ont été commencés depuis la conquête. C’est le cheikh
Bou Chemăl qui en a eu l’initiative et la plupart des jardins lui
appartiennent.

Les hauteurs de Bou Yerrō commencent à 4 kilomètres sur la route de
Merdjadja (en partant de Tougourt) ; elles sont de peu d’importance,
mais doivent exister sur les cartes.

On trouve dans l’oasis palmiers, abricotiers, figuiers, grenadiers,
poiriers (peu), pommiers (peu), vignes (peu), cotonniers (d’ancienne et
de nouvelle date). Ce dernier arbre devient très fort ; il n’est pas
utilisé. Légumes, choux, ail, oignons, tomates, _gara_, _kabouya_, sorte
de concombre, melons, pastèques, poivre rouge, _bou deraga_ (pourpier),
navets, carottes, radis blanc (_fedjel_), haricots du Souf (peu), fèves,
poireau, — luzerne en quantité, orge (pas de blé), réglisse (en
quantité, sauvage). Le henné ne vient pas, du moins les essais faits par
les indigènes avec des graines envoyées de Biskra n’ont pas réussi. La
garance se trouve un peu à Meggarin, à Ghamra, à Tamerna et à Sidi
Khelil.

La ville de Tougourt est construite en _tôb_[190]. Les maisons n’ont
qu’un étage. La ville est entourée de fossés remplis d’une eau
stagnante[191] et salée qui nourrit des poissons et quelques serpents
d’eau. Elle a aujourd’hui une seule porte, Bab-el-Khrūkha[192] qui
s’ouvre au nord-est et qui est gardée par un détachement de tirailleurs
indigènes. La Kasba est au sud-ouest du côté opposé. Elle comprend des
bâtiments assez considérables quoique peu élevés qui ont été construits
par les Beni Djellăb, et ensuite diversement modifiés par les Français
jusqu’à la construction de la caserne l’année dernière ; ce dernier
bâtiment forme un carré oblong à un étage ; les pièces sont hautes et
bien aérées. Les démolitions de la Kasba pour la construction de la
caserne ont détruit la seconde petite porte appelée Bab-el-Ghadăr ou de
la trahison, qui était particulière à la Kasba et que j’ai vue encore
debout. A la prise de Tougourt la ville avait quatre portes en comptant
celle de la Kasba que je viens de nommer, mais les Français en ont fait
fermer deux. Les rues de Tougourt sont étroites, mais assez propres,
dans le quartier des Medjehariya il y a deux rues couvertes. Les
principaux monuments de la ville sont, à part la Kasba, la grande
mosquée, rétablie par les Français et l’ancienne mosquée avec son
minaret de construction djéridienne en petites tuiles qui porte encore
des traces de boulets de Salah Bey[193]. Les maisons de Tougourt sont de
la couleur du sol ; elles possèdent toute une cour intérieure autour de
laquelle sont rangés des magasins et les chambres. Le marché de la
viande se tient sur une petite place qui est à la porte de la mosquée,
mais le marché du vendredi où se font presque toutes les transactions se
tient devant la Kasba sur une place bordée de boutiques et de magasins
grossiers garantis du soleil par une sorte de voûte soutenue par des
piliers carrés.

Le kaïd, qui a son logement dans la Kasba, a 35 spahis bleus commandés
par un officier indigène. M. Auer[194] 100 tirailleurs indigènes.

La population de Tougourt se compose de Rouăgha, de Mestāoua (Rouāgha
mêlés de sang arabe ou Arabes mêlés de sang righi) et de Medjehariya ou
juifs convertis à l’Islam. La population est divisée en trois
quartiers : les Rouāgha habitent le quartier Tellis situé à l’est ; les
Medjehariya habitent le quartier auquel ils ont donné leur nom à l’ouest
et les Mestāoua habitent au nord. La Kasba occupe le sud. Les
habillements des trois castes sont les mêmes, seulement les Medjehariya
se distinguent par leur propreté, les Mestāoua sont plus propres que les
Rouāgha et d’une couleur plus blanche. Les Medjehariya ont conservé
entièrement le type israélite, surtout les femmes, parmi lesquelles il y
en a de fort jolies. Ils ne se marient qu’entre eux et sont fort sévères
de mœurs et de principes religieux ; ils n’aiment pas qu’on leur
rappelle leur origine. Cependant eux, comme le reste de la population,
boivent des spiritueux, seulement ils le font en cachette.

J’ai déjà décrit les fêtes du mariage des Rouāgha. Ils s’unissent aussi
facilement qu’ils se divorcent et cette facilité des unions n’exclut pas
cependant une moralité peu stricte à notre point de vue européen. J’ai
déjà dit que les femmes des premières maisons de l’Oued-Righ ne
faisaient pas de difficultés à devenir les maîtresses des derniers
Djellāb, et je connais encore aujourd’hui deux cheikhs qui ont encore
dans leur harem des femmes qui pourraient raconter bien des petites
choses qui se sont passées dans l’absence de leurs maris alors exilés.
Je me suis laissé dire que, quand on rencontrait dans l’oasis une Righia
bien seule, elle refusait rarement d’accorder son corps. Ceci s’applique
cependant plus à Ouarglā qu’à Tougourt ou Temassīn, car dans ces deux
villes, surtout dans la dernière, tous les travaux d’extérieur
reviennent au mari, et la femme reste plutôt dans la maison. A Ouarglā,
au contraire, on m’a raconté qu’il se passait bien de petites aventures
aux sources où les femmes viennent puiser l’eau. Il doit en être de même
à Merhayyer.

La plupart des prostituées de Tougourt sont des Righia, des Soufia et
des Naylia, en comprenant sous cette dernière dénomination les Harazlia
et enfin toutes les Arabes de l’ouest. Je ne puis m’empêcher de noter
ici quelques détails sur les Naylia ; ils paraîtront curieux pour
déterminer les mœurs des Arabes du désert algérien. Mais qu’on ne croie
pas que nous soyons pour quelque chose dans cela, au contraire, depuis
notre domination nous avons cherché à limiter de diverses manières cette
vaste prostitution. Les femmes de l’Oued-Righ et du Souf qui exercent le
métier à Tougourt sont généralement des veuves ; il y a des cas où elles
trouvent ensuite à se remarier. Les Naylia sont en grande partie aussi
de jeunes veuves, mais on voit aussi parmi elles des mères ou des pères
amener leurs filles encore vierges et vendre cette virginité qui est
toujours longtemps marchandée. Les Naylia viennent à l’époque de la
maturité des dattes et un petit nombre d’entre elles seulement restent
jusqu’au printemps suivant. Leur but est d’acheter des dattes pour leur
année. Autrefois on ne connaissait pas d’autre manière de payer leurs
faveurs que par une certaine quantité de dattes ; deux fois les deux
mains pleines par exemple était un très bon prix.

Une autre particularité commune à Tougourt et à Temassīn sont les
_halladj_[195], sorte d’hommes efféminés qui, je crois, avaient un nom
chez les Grecs. On en voit même avec des cheveux blancs danser mollement
avec les femmes dans les danses publiques à Témassīn.

Parmi les coutumes bizarres des Rouāgha, coutume que l’on reproche aussi
aux Beni-Mezāb[196], et que des écrivains du moyen âge imputent aux
habitants de Sedjelmāsa, est la prédilection qu’ils ont pour la viande
de chien. Ils prétendent s’excuser de cette licence contre leur loi
religieuse en disant que c’est un préventif contre les fièvres. C’est
surtout pendant l’hiver que les Rouāgha achètent des chiens qui leur
sont alors vendus en plein marché par les Arabes du dehors. On les
engraisse, on les fait rôtir, et ils sont mangés en grande fête avec
force lagmi[197].

Les Rouāgha sont très superstitieux ; mon ami M. Auer m’a souvent
raconté l’effet singulier produit par une éclipse de lune sur les
habitants de Tougourt. Les tolbas sortirent en corps et battant à tour
de bras sur des plats de bois et des marmites, ils rappelaient la lune
en invoquant leur prophète : « Ya chefā Si Mohammed ! »[198] Ils
croient, comme beaucoup d’autres populations algériennes, à la toute-
puissance des _djenoun_[199]. Les femmes surtout les redoutent, et
attribuent à ces esprits toutes leurs indispositions. Ordinairement on
combat leur influence par des amulettes ou bien on tâche de les apaiser
par des offrandes de couscous, de tchertchoukha, plats que l’on dépose à
l’endroit où l’on suppose que les djenoun se tiennent, et qui est
souvent dans les lieux d’aisance.

Tougourt peut compter 300 maisons, et a, dans la saison d’été, une
population d’environ 1.500 âmes ; en hiver, où des familles du Souf et
des Arabes viennent habiter la ville pendant six mois, la population
peut monter au double 3.000 âmes. Nezla, Tebesbest, Zaouiya ont chacune
plus d’habitants que Tougourt même.

Dans les mariages, le dernier jour, on amène la mariée chez son futur ;
si c’est une vierge, elle est portée sur un lit en _djérid_ (comme la
plupart des Rouāgha en usent) par quatre hommes ; si c’est une veuve,
elle est portée simplement dans les bras d’un homme.

                                                            1er juillet.

Je vais à Temassīn avec un spahi, le marabout Si Mammar m’y avait fait
appeler pour m’y trouver en présence du Cheikh Othmān ; je trouve un
chef targui bien mis sans recherche, mais proprement, accompagné de deux
ou trois jeunes hommes de sa tribu terriblement marqués de la petite
vérole. Tous ont un visage ouvert, je dirais presque prévenant.

Nous avons une longue conférence. Cheikh Othman lit les dernières
lettres que j’ai pour lui ; mais tout en m’offrant ses services, il
cherche vivement à me détourner de rien entreprendre cette année, où
tout le Sahara est sens dessus dessous : les Hoggar en querelle avec les
Azgar d’un côté et les Aouelimiden de l’autre ; la grande razzia d’Aïr
par les Arabes de la Tripolitaine, etc., enfin les habitants d’Insalah
en guerre avec le sud du Touat. Cependant, après de longues et
éloquentes délibérations, Si Mammar décide, force même un peu Cheikh
Othman à m’accompagner à Ghadāmès ; de là il ira consulter Ikhenoukhen
sur ce qu’il y a à faire, et savoir si ce chef tout-puissant m’accorde
sa protection, et viendra me rendre réponse, d’où nous conclurons nos
plans postérieurs. Je dis adieu au Cheikh Othman ; je conviens avec Si
Mammar d’envoyer 50 fr. au Cheikh Othman pour qu’il fasse ses provisions
de route et il doit me rejoindre à El-Ouad vers le 20 de ce mois. — Il a
son camp tout maltraité par la petite vérole, personne n’est sur pied ;
les troupeaux sont en mauvais état ; la _nezla_[200] est à Bey Salah
(puits).

J’ai bu à Temassīn de l’eau des rhedirs de l’oued Retem[201]. Il a plu
dans le Sahara, et les oueds voisins se sont remplis.

                                                         2 à 12 juillet.

Je commence à sentir quelques caresses sourdes de fièvres ; je suis
obligé de me tenir, comme avant, renfermé dans la Kasba.

Travaux de linguistique. Je recueille un vocabulaire complet du dialecte
righi de Temassīn.

Le 7 juillet, malade au lit.

Le 11, mangé les premières figues _Kartous_.

Renseignements historiques recueillis par moi auprès de Ben Chemāl[202].
Les premiers sultans de Tougourt furent la dynastie des Oulad Beiffo,
dont les descendants excessivement pauvres habitent encore un des
villages de l’oasis, Tebesbest, je crois. Ils gouvernèrent Tougourt et
Kedima, dont l’emplacement était dans la _Ghaba_[203] près de Sidi
Mohammed ben Yahiya. C’étaient des Rouāgha. Tougourt el Kedīma fut peu à
peu abandonnée, dit-on, à cause des scorpions, et la nouvelle ville fut
bâtie par Sidi Zekri, marabout righi de Tougourt et Kedima. Une Djemaʿa
gouverna Tougourt dans l’origine, et Sidi Zekri n’en fut que le bon
conseiller ; Tala était alors plus puissante que Tougourt ; elle avait
des cheikhs ; dont le plus célèbre est connu sous le nom de Cheikh el
Tālāoui. Sidi Mohammed Ben Yahiya succéda à Sidi Zekri et gouverna de
même par ses conseils. Il résida 40 ans dans la Kasba. Lorsque ce
marabout avait 15 ans, Sidi Khelil, Sidi Ali Ben Soultān et Sidi Embarek
es Saim venaient faire leur pèlerinage à Sidi Bou Haniya près de Goūg.

Avant la mort de Sidi Mohammed, deux frères du nom de Beni Djellāb
passaient souvent à Tougourt. Leur pays originaire était Telemsen (ils
descendaient des Mérinides) et ils avaient alors leurs biens dans le
Djebel Sahāri. A Tougourt ils prêtèrent des sommes considérables à tous
ceux qui leur en demandaient, si bien qu’au bout de bien des années, ils
vinrent un jour à Tougourt et voulurent faire leurs comptes, ne voulant
plus y revenir. On trouva que tout le bien de Tougourt ne pourrait plus
payer les dettes des habitants. Les habitants de Tougourt allèrent à
Sidi Mohammed Ben Yahiya et lui demandèrent conseil ; ce marabout se fit
amener les deux frères Ben Djellāb, et leur dit qu’il allait habiter
dans son village (le même qui porte aujourd’hui son nom) et qu’il leur
abandonnait la ville et tout ce qu’elle renfermait. — Ainsi commença la
dynastie des Ben Djellāb. — Plus tard les Oulad Sidi M. Ben Yahiya ne
s’entendirent pas bien avec les Ben Djellāb et ils émigrèrent dans le
Tell où ils sont actuellement avec les Oulad Abd en Nous près de
Constantine.

Dans ce temps-là, il y avait des juifs à Tougourt.

L’un des frères Ben Djellāb, ʿAbd el Hakk el Merīni, fut le premier
cheikh de Tougourt ; — de là à Cheikh Selmān il y a une lacune dans la
généalogie ; le cheikh Ben Chemāl ne connaît pendant ce temps d’autre
fait que la destruction de Tāla qui eut lieu, comme il croit, sous le
fils d’Abd-el-Hakk. Abd-el-Hakk conquit lui-même Meggarin, Qsoūr, etc.,
et ne s’arrêta que devant Tala qui résista à ses armes. Mais son fils
usa d’un stratagème qui lui réussit. Il offrit au cheikh de Tala de
cimenter une paix durable en épousant sa fille. Celui-ci y consentit. —
Ben Djellāb déguisa, le jour désigné pour la fête, un homme en mariée ;
il fit travestir un grand nombre de ses serviteurs en femmes venues à la
fête ; tous portaient des armes sous leurs vêtements. Il fit accompagner
le tout de 50 cavaliers. Le cheikh de Tala reçut sa prétendue femme et
sa suite et fit loger les cavaliers chez ses serviteurs. La fausse
mariée avait prévenu qu’elle donnerait le signal de l’attaque en tuant
le cheikh lorsqu’il viendrait la nuit. Cela arriva en effet : dans la
nuit, en entendant le coup de feu du signal, tous les serviteurs de Ben
Djellāb se précipitèrent au carnage et eurent bientôt raison de la ville
qui fut détruite par des renforts venus de Tougourt.

Sous le cheikh Selmān, le premier à partir de la lacune, eut lieu un
événement curieux. Une femme arabe appelée Oumm Hāni Bent el Bey (fille
d’une femme Douaouda[204] et d’un bey de Constantine), voulut devenir
cheikha des Arabes au Sahara et fit de grandes razzias elle-même à
cheval et armée, tua le Douaouda, son mari, ses frères et beaucoup
d’autres chefs. Enfin Selman voulut faire une alliance avec elle et lui
proposa d’épouser son fils. Elle fit semblant d’accepter, mais lorsque
Selman vint à son camp, à la Regouba de Sidi Khelil avec 500 chevaux, on
distribua habilement son monde dans les tentes et Selman logea dans la
tente de Bent el Bey. La nuit, elle tua elle-même le cheikh et ce fut le
signal d’une tuerie générale.

Cheikh Mohammed ben Selman lui succéda ; puis Selman, son fils ; Brahim,
fils du précédent ; Abd-el-Kader ; Hamed, fils de Brahim ; ’Amer, fils
d’Abd-el-Kader ; Mohammed el Akhal, fils de Hamed ; Hamed, fils de
Mohammed ; Abd-el-Kader, petit-fils d’Amer ; Farhāt, frère du
précédent ; Brahim, fils de Hamed ; El-Khāzen ben Farhat ; Mohammed,
fils de Hamed ; ’Omar, fils de Mohammed ; Brahim, fils de Mohammed ;
’Ali, fils de Mohammed ; Ben Abd er Rahman, petit-fils d’Amer ; Selman,
fils d’Ali ; les Français.

                                                             13 juillet.

Je pars de Tougourt dans la soirée et nous prenons la route de Mouïa el
Ferdjān. Après deux heures de marche, nous faisons halte dans une
dépression qui continue le bas-fond de la Chemorra (en deçà des dunes).
L’endroit s’appelle Benga. Le sol portant trace de l’action des eaux est
très dur formé d’un conglomérat de sable et de petits morceaux de chaux
et de calcaire.

                                                             14 juillet.

Nous marchons 5 heures et faisons la sieste entre El-Ouibed et El-
Māleha. De là, une heure et demie de marche au puits de Mouï Chabbi dont
nous trouvons l’eau pourrie et verdâtre. On l’avait récemment fourni
d’une nouvelle garniture de drīn.

De là, une heure 20 minutes au puits de Mouïa el Ferdjān. Je relève ce
petit bout de route que je n’avais pas encore fait.

                                                             15 juillet.

Hier au soir, j’ai eu un premier accès de fièvre.

Nous marchons 5 heures 1/4 et arrivons au puits de Mouïa el Kaïd. Après
la sieste, 2 h. 3/4 de marche nous amènent dans les dunes de l’Erg-Said,
où la nuit nous prend et où nous couchons.

J’ai remarqué dans la dernière partie de la route que le guide était
souvent obligé de frayer un chemin artificiel aux chameaux dans les
dunes. Il disait en travaillant : « El-Bahri oua’ar » (le vent de l’est
est dur). Il est clair, en effet, que c’est ce vent qui, dans cette
saison, fait progresser les dunes vers l’ouest. Toutes les dunes que
nous coupons ont la forme des vagues de la mer ; elles sont orientées à
angle droit de la route ; leur côté à pic était de notre côté, c’est-à-
dire qu’elles viennent en sens opposé. C’est donc un vent d’E.-N.-E. ou
de N.-E. qui les produit.

                                                             16 juillet.

Une marche de 3 heures 3/4 nous amène à Kouïnīn par Ourmās. Je croyais
d’abord ne faire que la sieste à Kouïnīn, mais une fièvre violente me
prend ; vomissements, courbature générale ; douleurs de poitrine et de
reins, faiblesse. Je prends de l’ipécacuanha qui agit ; de la quinine
deux fois, que je rends. Eau sucrée et éther.

Tribus de Kouïnīn :

  Djebirāt       }
                 }
  Oulad Mansoūr  }  Toroūd.
                 }
  El-Gouāïd      }

  El-Beldiya (Soufiya) — ’Adouān.

On me raconte ici que les ancêtres de la population actuelle lui ont
raconté qu’autrefois, lorsqu’ils montaient sur leurs palmiers, ils
dominaient une rivière d’eau courante, qui commençait à Chegga (nord du
Souf) et finissait à ’Amīch (Ras el Ouad)[205]. Cette rivière était
comme celle de Nefta. Encore aujourd’hui, les Souafas en creusant un
nouveau jardin trouvent des chaudrons de fer et d’autres objets
appartenant à la population passée, dans des endroits inhabités
aujourd’hui.

                                                             17 juillet.

Je me rends à El-Ouad comme je peux sur un cheval qu’on me prête à
Kouïnīn. Je trouve le kaïd qui me reçoit bien comme d’habitude ; mais je
suis obligé de changer quelque chose aux dispositions qu’il avait prises
pour mon départ, ce qui va me causer quelques retards.

— Je pèse un _mithcal_ d’El-Ouad, et j’obtiens par ces doubles pesées 4
gr. 175 ; ce mithcal a 21 _nouayā_[206] ; celui de Constantine en a 26.

                                                             18 juillet.

Ce jour s’est annoncé comme devant être très chaud ; mais le ciel fut
pur. Je passai ma journée sur mon lit, attendant pour utiliser mes
faibles forces que le moment de l’éclipse fût arrivé. Je calculai par
construction graphique le moment où elle devait avoir lieu, mais me
trompai fort en prenant pour heure, celle où l’éclipse _totale_ aurait
lieu sous la longitude d’El-Ouad. Et l’éclipse ne devait pas être totale
ici. Cela fut cause que quand j’allai à la lunette, dix minutes avant le
premier contact (comme je le croyais), je trouvai le disque solaire
entamé. Je me mis en observation, et je vis la lune couvrir
successivement les taches du soleil. L’éclipse était au moins au tiers
et la population d’El-Ouad ne s’en était pas aperçue ; alors elle fut
simultanément reconnue, et quelques bavardages inquiets firent place à
un profond silence. Mais lorsque les progrès de l’éclipse furent
marquants, des cris poussés de tous les côtés annoncèrent la détresse
des Arabes. On entendait partout : « Iā chĭfā Si Mohammed rasoul
Allah ! »

Je vis le disque lunaire approcher à une distance extrêmement minime du
bord du soleil ; je crus un instant voir certaines montagnes faire
éclipse totale et au moment où je m’apprêtais à marquer l’heure de ce
contact, l’éclipse commença à diminuer.

Je vis alors des pigeons voler au-dessus de la maison, se rendant à
leurs gîtes. Des Arabes de la ville me disent avoir vu des étoiles. La
lumière la plus faible a été celle qui succède dans cette saison au
coucher du soleil. L’éclipse diminua lentement et je pus observer le
dernier contact à 4 h. 54 m. 45 p. de mon chronomètre qui marque encore
le temps de Paris.

Après l’éclipse, j’eus une députation des _mechaikh_ qui vinrent me
demander si l’année serait pluvieuse. Ma prédiction accomplie de
l’éclipse, mon ancienne prédiction de pluie de cet hiver, vérifiée par
le fait, leur faisait croire que non seulement je puis prédire la pluie,
mais encore la donner.

Je fus pris le soir de fièvre violente et de vomissements ; le soleil et
la chaleur brûlante à laquelle j’ai été exposé pendant plusieurs heures
avaient rappelé la fièvre.

                                                             19 juillet.

Cette nuit, le kaïd vient me réveiller et me dire qu’ayant reçu la
nouvelle que les Oulad Yagoub étaient en course, il allait faire monter
son goum et aller les chercher. Il partit avant le jour. — Je vais
mieux. Je reçois des plaintes contre le kaïd.

                                                          20-21 juillet.

Je reste encore chez moi toute la journée. — Je prends de nombreux
renseignements sur le pays qui sépare le Souf du Nefzāoua. Des Ourghamma
de Kessār Mouddenīn, marabouts, viennent ici pour voir si on leur
ouvrira le marché d’El-Ouad. Les Ghorib de Sabrīya[207] qui sont sur
leur route et qui apportent ici les mêmes produits qu’ils apporteraient,
leur ont fait peur. De façon qu’ils ont laissé leurs marchandises,
consistant principalement en beurre, à Sabrīya, et qu’ils sont venus en
_mi’ad_. Je leur fais un petit discours qui les enchante, et leur ouvre
le marché ; je promets même d’intimider les Ghorib, ce qui est très
facile, vu que cette tribu réside à moitié dans le Nefzāoua et à moitié
au Souf (El-Ouad) où ils ont des palmiers.

                                                             22 juillet.

J’écris à Biskra pour rendre compte des plaintes que j’entends contre le
kaïd.

Je reste encore toute la journée à la maison.

                                                       23-24-25 juillet.

Le kaïd revient avec ses goums ; il n’a rien trouvé dans sa course,
cependant on tire des coups de fusils au retour comme s’il y avait eu
une victoire ; ces Arabes sont toujours les mêmes.

Hier et aujourd’hui on a fait l’Achoura ; nous sommes, je crois, à peu
près au milieu des dix jours de fêtes. La fête a lieu la nuit, des
bandes de jeunes gens se promènent dans les rues en chantant au son d’un
bendier ; puis ont lieu quelques scènes, des individus se déguisent en
mettant quelques hardes grotesques s’ils en ont, puis ils se couchent
et, prenant une voix de polichinelle, ils font des dialogues
invariablement terminés par des disputes et des coups comme chez
Gringalet. Cette année, la fête est peu brillante. Un homme hier a reçu
un coup de sabre sur le dos pendant la mascarade et il a une large
blessure. Cela a été fait par méchanceté.

Le cheikh Ahmed Ben Touāti vient me voir, c’est un homme qui me plaît
beaucoup, franc et ouvert ; il connaît très bien le Sahara, il vient du
reste à Ghardaya (puits) six mois[208] : il est venu en trois jours sur
un méhari et avait reçu des nouvelles de Ghadāmès par un homme monté sur
son méhari qui était allé de Ghadāmès à Bīr Ghardâya en cinq jours.

_Note sur le commerce d’El-Ouad._ — Pour l’or, j’apprends d’une manière
plus certaine que le _mithcal_ de _teber_[209] se vend ordinairement 15
francs lorsqu’il est recherché et 13 fr. 30 lorsqu’il abonde[210]. Quant
au _khôss_[211], il vaut, dans les mêmes circonstances, de 11 fr. 10 à
13 fr. et 13 fr. 15. J’ai déjà dit que le mithcal d’ici a 21 _nouaya_ et
pèse 4 gr. 175 ; tandis que le mithcal de Constantine a 26 _nouaya_, que
par conséquent le poids du mithcal d’El-Ouad se rapporte à celui de
Constantine comme 21 à 26.

Les dépouilles d’autruches sont vendues sur le marché par les chasseurs
eux-mêmes ; et il n’y a personne qui en fasse un commerce spécial[212].
On les achète isolément pour les porter à Tunis ou à Tébessa. Voici les
prix de vente sur le marché. — Une belle dépouille de mâle (_delīm_)
vaut 100 fr. et 125 fr. lorsqu’elles sont recherchées et très belles.
Une belle dépouille de femelle (_ramdha_) ne vaut que 40 fr. au plus 45
fr. Un œuf d’autruche vaut de 50 à 60 centimes.

Le commerce du Souf avec _Tébessa_ repose sur les objets suivants :

1o Exportation du Souf. — Dattes, peaux brutes de chèvres (avec poil),
tabac en feuilles, vêtements de laine ;

2o Importation de Tébessa, — _Gountĕs_ (racine condimentale), beurre,
laine, moutons, chèvres, blé, _gueddīd_ (viande desséchée).

Quant aux objets que le Soūf donne à Tunis, ce sont : des vêtements
confectionnés, des peaux brutes de chèvres et de moutons (pour
Kaïrouān), des _douros_, des chameaux, des dattes.

_Ouargla._ — On y apporte d’El-Ouad, de l’huile, du tabac, des vêtements
confectionnés, des meules (venues de Gafsa), de la garance, du blé, des
cotonnades, des pierres à fusil (venues de Tunis), du soufre[213]. On en
rapporte de la laine, des chameaux, du beurre, de la graisse, de la
viande desséchée, de jeunes plants de palmiers en grand nombre, qui sont
vendus sur le marché, des burnous du Mzāb, du sel, des dattes.

_Biskra et le Zab._ On y apporte : vêtements confectionnés, peaux brutes
de chèvres, dattes, _tellīs_[214], (_gherāra_), du tabac ; ce dernier
article vaut ici 25 c. à 50 c. le _kef_ composé de 5 plants ou 4 grands
et 6 petits. Voici la liste des objets qu’on en rapporte avec les prix
qu’ils obtiennent à El-Ouad :


Henné, le 1/2 kil. 0 fr. 70 à 1 fr. 35.

Tapis arabes, qualités diverses, de 100 à 300 francs.

Laine, la toison à 2 francs.

_Settāl_ (gamelles en fer battu pour boire), les grands 1 fr. 60, les
petits 1 franc[215].

Indigo, la bonne qualité, le 1/2 kil. 6 fr. 20, la qualité inférieure 4
francs[216].

Foulards de coton imprimés, les bons, la douzaine 6 fr., la qualité
inférieure 3 francs.

Bougie, le 1/2 kil. 1 fr. 35 jusqu’à 1 fr. 50.

Sucre blanc, le 1/2 kil. 1 fr. 50.

Cassonnade, le 1/2 kil. 0 fr. 90 à 1 franc.

Ganse blanche, le 1/2 kil. 6 francs.

Loŭk, substance tinctoriale[217], les 50 kil. 150 fr. la bonne qualité.

Tărtăr id. les 50 kil. 150 francs. id.

Miroirs ronds montés en cuivre, les grands, la douzaine, 1 fr. 60.

id. les petits, id. 1 franc.

Miroirs ronds montés en étain, les grands, la douzaine, 1 franc.

id. les petits, id. 0 fr. 75.

Ficelle, le 1/2 kil. 2 francs.

Grandes aiguilles pour tellis, le 100 de 50 à 60 centimes.

Gaze grossière, pièces de 16 à 17 drà, 3 francs.

Abricots secs, 1 fr. le saa (2 1/2 kil.).

Beurre, mesure de 5 3/4 livres, selon les temps, de 7 fr. à 3 fr. 50.

Souliers de Constantine, la paire, 4 à 5 francs.

Burnous ’abbāsi (épais), les beaux, 60 à 65 francs.

id. qualité inférieure, 40 à 45 francs.

Calottes rouges de fabrique, les grandes 2 fr. 50, les petites 1 fr. 50.

Soie, le 1/2 kil. 20 fr. la qualité supérieure et 15 fr. la qualité
inférieure.

Café en grains, 2 fr. le kil.

Suif (de Bou Saada), selon le temps, de 50-60 cent. à 1 fr. la livre.

Savon (hadjri) en morceaux, le 1/2 kil. 0 fr. 75 à 1 franc.

id. arabe liquide, le 1/2 kil. 75 à 1 fr. 10.

Alun, la livre 30 à 40 centimes.

Aiguilles, le cent, 20 centimes.


Les cotons ne peuvent pas faire concurrence à ceux venus de Tunis qui
sont de fabrique anglaise.

_Gabès._ — On y apporte du Souf : laine de rebut (servant à faire des
couvertures brunes dont se vêtissent les gens du Sahel, peaux de chèvres
et de moutons non préparées, tabac en quantité, chameaux, dattes
(_degla_).

Le commerce d’El-Ouad avec _Gabès_, surtout celui par la route directe,
est fait par les gens de Matouiya[218] qui, étant sujets du Bey de
Tunis, jouissent d’un peu plus de sécurité que les Souafa. Cette route
est rendue très dangereuse pour le voisinage des Oulad Yagoūb.

_Ghadāmès._ — On y apporte des vêtements confectionnés surtout, des
dattes (_degla_[219], _rhers_, _fezzāni_), du tabac et des grains (blé
et orge) lorsqu’ils sont chers à Ghadāmès.

_Beni Mezab._ — On y apporte des meules, des vêtements (_haouli_),
fusils (de Tunis), des pioches (de Kairouān), des pièges à gazelles (de
Kairouān), soufre, garance, huile, cotonnades, _guemmām_ (gomme
adorante). On en rapporte des chameaux, des _guedaouis_ (blouses de
laine de couleurs différentes), burnous, laines, moutons, viande
desséchée, suif.

On me dit que, dans les mauvaises années, il vient ici 5-600 mitcals
d’or de Ghadāmès ; dans les bonnes années, de 1.500 à 3.000 mithcals.
Cela ne fait que pour 45.000 fr. d’affaires dans les meilleures
conditions. Cela fait 12.525 grammes d’or.) L’_oukiya_ de Tunis timbrée
= 31 gr. 725 ; elle a 7 2/3 de mithcal.

Le soir, je suis piqué par un scorpion ; la douleur monte très vite à
l’aisselle (du bord de l’index), je souffre excessivement. La nuit, je
ressens des picotements ou de la paralysie aux pieds, au nez et aux
lèvres. Je me soigne en mettant de l’ammoniaque sur la piqûre élargie au
bistouri, et en buvant un peu de ce médicament dans de l’eau. Ampoules
sur le doigt piqué. Froid sur tout le membre atteint, taches violettes,
etc.


[Note 175 : Le plus au sud.]

[Note 176 : Chéchias.]

[Note 177 : _Mebred_.]

[Note 178 : Ce poids est le mithcal de Tunis. Duveyrier dit ailleurs
(_Revue algér. et col._, novembre 1860) qu’il l’a trouvé égal à 4 gr.
175. Les mithcal de Tripoli et d’Agadès sont un peu plus forts.]

[Note 179 : Once, 1/16 de la livre tunisienne, que Duveyrier évalue à
508 grammes.]

[Note 180 : _Zebed_, sorte de pommade faite avec la graisse de l’animal
du même nom, et dans laquelle il entre en outre de l’huile, du benjoin,
du girofle, etc.]

[Note 181 : Ce que Duveyrier appelle ici 1/2 kil. est la livre
tunisienne de 508 grammes. (Cf. son article de la _Revue alg. et col._)]

[Note 182 : _Açaïb et saye_ ou _tourkedi_.]

[Note 183 : Natron, carbonate de soude plus ou moins pur, extrait des
petits lacs du Fezzān.]

[Note 184 : _Teber_.]

[Note 185 : _Khores_.]

[Note 186 : Cf. sur leur construction, J. Brunhes, _Les oasis du Souf et
du Mzab_, _La Géographie_, V, 1902, p. 14-15.]

[Note 187 : La vue ci-jointe a été trouvée, sans indication d’origine,
dans les papiers de Duveyrier.]

[Note 188 : Tradition confirmée par Ibn Khaldoun : au IXe siècle, les
Zenata occupaient le Sahara algérien et tunisien (_Hist. des Berbères_,
traduct. de Slane, III, p. 275, 286, 303, etc.).]

[Note 189 : Le _zeïta_, comme Duveyrier l’a reconnu plus tard, n’est pas
le _Statice monopetala_ L., mais une autre plombaginacée : _Limoniastrum
Guyonianum_ Dur.]

[Note 190 : Briques d’argile séchées au soleil.]

[Note 191 : En grande partie comblés depuis par les soins du bureau
arabe.]

[Note 192 : Une autre porte, Bab-el-Gharb, a été rouverte plus tard.]

[Note 193 : Bey de Constantine, qui assiégea Tougourt en 1788.]

[Note 194 : Le lieutenant Auer a été un remarquable exemple d’endurance
européenne au Sahara. Resté lié avec Duveyrier, il lui écrivait de
Biskra en 1869, évoquant le souvenir de leur commun séjour à Tougourt :
« J’ai vieilli depuis, mais n’ai perdu ni la volonté virile, ni la
santé, bien que je compte aujourd’hui vingt ans de séjour au Sahara.
Vous avez bien raison de me déconseiller l’Europe ; ma nature, toute
forte qu’elle soit, ne supporterait plus un autre climat, et je veux
passer en Afrique les jours qui me restent à vivre » (29 décembre
1869).]

[Note 195 : حلاج veut dire, en arabe, is qui gossypium a semine mundat.
(H. Duv.)]

[Note 196 : On sait qu’avant de se fixer au Mzab, une partie des
Ibâdhites a habité cette région. (Masqueray, _Chron. d’Abou-Zakaria_, p.
262, etc.)]

[Note 197 : Lait de palmier fermenté.]

[Note 198 : Dans cette éclipse une vieille femme de Tebesbest,
soupçonnée de sorcellerie, fut accusée d’avoir caché la lune dans un
seau d’eau. Ses voisins et le cheikh de Tebesbest vinrent prier le kaïd
de la mettre en prison. (H. Duv.) L’éclipse de soleil du 18 juillet 1860
eut moins d’effet : on ne fit « que peu de cas de l’événement, excepté
quelques talebs trop croyants qui se portaient vers la mosquée pour
prier et conjurer le sorcier qui causait ce désastre au soleil ; à leur
sortie, les autres leur riaient au nez. » (Lettre d’Auer à Duveyrier, 22
juillet 1860.)]

[Note 199 : _Djinn_ (pluriel _djenoun_) : génies.]

[Note 200 : Groupe de tentes.]

[Note 201 : Les marabouts s’en font apporter constamment par les Arabes
de leur confrérie, parce qu’ils craignent les fièvres occasionnées par
les eaux de l’oued Righ (H. Duv.).]

[Note 202 : Cf. Féraud, _le Sahara de Constantine_.]

[Note 203 : La « forêt de palmiers » de Nezla, à 2 kilomètres de la
ville actuelle.]

[Note 204 : Douaouda, tribu arabe qui fit irruption au XIe siècle dans
l’Oued-Rir et à Ouargla. (Ibn-Khaldoun, _Hist. des Berbères_, II, p.
73.)]

[Note 205 : Cf. sur cette légende Jus dans Rolland, _Hydrologie du
Sahara_, p. 224.]

[Note 206 : Graines de caroubier.]

[Note 207 : Oasis de l’extrémité ouest du Nefzāoua.]

[Note 208 : C’est-à-dire : y garde ses troupeaux au pâturage.]

[Note 209 : Poudre d’or.]

[Note 210 : Le gramme de poudre d’or vaut donc, d’après les
circonstances du marché, de 3 fr. 59 cent. 3 (maximum) à 3 fr. 23 cent.
3 (H. Duv.).]

[Note 211 : _Khores_, poudre d’or mélangée de débris d’or travaillé.]

[Note 212 : Ces dépouilles venaient de l’Erg, au nord de Ghadāmès ; les
autruches y ont à peu près disparu aujourd’hui.]

[Note 213 : Pour la fabrication de la poudre.]

[Note 214 : Toile de bât (sacs de chargement) pour les chameaux.]

[Note 215 : Fabrication européenne. (Cf. Duveyrier, _Notice sur le
commerce du Souf_ (_Rev. algér. et coloniale_, nov. 1860).]

[Note 216 : Fabrication européenne.]

[Note 217 : Gomme-laque (rectification de Duv., art. cité).]

[Note 218 : Petite ville du littoral au nord de Gabès.]

[Note 219 : Ou _deglet-nour_ (espèces diverses de dattes).]




                            TROISIÈME PARTIE

                           VOYAGE A GHADAMÈS

                               * * * * *

                            CHAPITRE PREMIER

                               DANS L’ERG


                                                             26 juillet.

Ce matin, on charge les chameaux pour le voyage de Ghadāmès.

Je vais au bordj rendre au kaïd une visite qu’il m’a faite de bon matin,
et nous mangeons ensemble la pastèque des adieux. Il est plus aimable
que les jours derniers, et me promet de m’envoyer à Berresof le prochain
courrier. Enfin nous partons. J’ai repris mon ancienne manière de
voyager sur mon matelas plié en deux sur le dos d’un chameau.

Nous traversons bientôt un cimetière, et entrons ensuite dans ’Amīch.
’Amīch est le prolongement de l’oued Souf : c’est là que se perdait
l’ancienne rivière, selon la tradition. En effet, ce pays a bien la
forme d’une longue dépression (très peu sensible), faisant suite à celle
qui commence à Ghamra et arrive à El-Ouad ; en le traversant dans sa
longueur comme nous le faisons aujourd’hui, on a à droite (ouest) des
dunes assez hautes à une petite distance et l’on traverse des groupes de
maisons et de nombreuses cabanes en palmes (_zérība_, pl. _zeraīb_),
formant ainsi pour ainsi dire autant de petits hameaux qui prennent le
nom de « _nezla_ », mot emprunté à la vie nomade. C’est dans ’Amīch que
vivent une partie des Toroūd, quand ils ne sont pas avec leurs troupeaux
dans le Sahara. A gauche de la route sont les jardins de palmiers
dispersés dans les intervalles des dunes. On peut voir là de magnifiques
échantillons de palmiers.

Nous rencontrons un cavalier rebāyi ; il est à remarquer, pour cette
portion des Toroud, que leur manière de se vêtir et de harnacher leurs
chevaux, et leurs fusils surtout, sont identiques à ceux des tribus du
sud de la Tunisie et de la Tripolitaine. Ces tribus sont surtout
caractérisées par le haïk tourné simplement par-dessus une calotte rouge
un peu renfoncée sur le côté et qui paraît à moitié sous le haïk ; par
leurs vastes et immenses étriers et enfin par leurs longs fusils à
crosse ornée de nacre et de corail. Je possède une de ces armes.

Nous nous arrêtons à la zaouiya de Sidi Abd el Qāder, presque à
l’extrémité d’ʿAmīch. Le kaïd avait prévenu de mon arrivée, de sorte que
je trouve un bon tapis étendu dans l’élégante et propre goubba, et je
m’établis dans ce lieu saint. On m’apporte un repas inmangeable, mais
succulent pour des Arabes. Il fait si chaud que, malgré mon désir de
m’éloigner le plus tôt possible du Souf, nous restons la nuit ici. Le
soir, de pieux khouān de toutes les sectes possibles étaient venus faire
leurs récitations et chants autour de la goubba. Je les disperse en leur
faisant remarquer que le désert est vaste et qu’il n’est pas hospitalier
de troubler le sommeil d’un voyageur.

ʿAmich a, à mon estime, autant d’habitants qu’El-Ouad, à la saison où
toutes les huttes sont occupées (9 à 10.000 habitants). Les femmes ici
s’habillent comme à El-Ouad, de deux manières, soit avec un _haouli_
blanc accroché sur les épaules, soit avec un _haouli_ bleu suspendu de
la même manière ; puis elles ont de grosses tresses de laine de chaque
côté de la figure, et quelques-unes savent se faire pardonner cette
hérésie par des ornements rouges de bon goût du côté droit de la figure.

                                                             27 juillet.

Nous partons d’assez bonne heure, et rencontrons sur la première partie
de la route des partis de Toroud avec leurs bagages, femmes, enfants,
troupeaux rentrant à El-Ouad. Une de ces dames, assez jolie, demande, en
faisant la mine à Ahmed, où nous allons. Ahmed lui répond : « Comment,
toi tu vas faire paître tes chameaux dans le Sahara et nous, nous
n’irions pas faire paître les nôtres ? »

Nous rencontrons aussi un nègre occupé à ramasser des crottes de
chameaux sur la route pour fumer les palmiers. Ce travail, je dois le
dire, a une grande importance dans le Souf et occupe beaucoup de monde ;
on va jusqu’à une et deux journées de marche pour en ramasser. Ces
crottes servent à entourer la racine des _jeunes plants_ de palmier ;
ensuite on n’en met plus.

Nous laissons bientôt sur la droite un chemin qui passe d’abord au puits
de Zerrīt et se continue ainsi jusqu’à Ghadāmès. Nous passons la _gaïla_
dans le pays appelé Drā el Khezīn, ce sont des dunes plus régulières et
moins accidentées que les autres, il y avait là un puits que M. de
Bonnemain[220] a vu donnant de l’eau. Nous reprenons, le soir, notre
route et allons coucher près de Moui Bel Rhīt.

Nous avons vu aujourd’hui deux plantes nouvelles pour moi : le
_goseyba_, graminée, et le _godhām_ ou _guedhām_, plante dans le genre
du _dhomrān_.

                                                             28 juillet.

Avant de partir, je mesure la direction de l’arête de la dune sous
laquelle j’ai dormi ; je la trouve égale à 150° (boussole) ; les grains
de sable sont chassés par le vent de l’est vers l’ouest. Presque au
début de la journée, nous arrivons aux Haouād el Azoūl où nous nous
séparons de la route de Mouï ’Aissa qui reste sur la droite. La
végétation de cet endroit est composée principalement de _drin_, _arta_
et _ārfij_. Nous passons ensuite le puits mort de Mouï el Arneb. Tous
ces puits morts que nous allons rencontrer ne le sont ainsi que
momentanément ; ainsi, dès que les bergers trouvent de bons pâturages
dans un endroit, ils refont le puits le plus voisin et y restent jusqu’à
ce que bon leur semble.

Une bonne marche de la matinée nous amène à Choūchet el Guedhām, puits
de bonne eau, où nous arrivons au moment où on allait abreuver un
troupeau de moutons et de chèvres. Les pasteurs de la tribu des Mesăaba
(celle d’Ahmed) lui laissent choisir le plus bel agneau qu’il peut
trouver et ne veulent pas en recevoir le prix ; ils viennent plus tard
me rendre leurs hommages. Après avoir fait notre provision d’eau, nous
rétrogradons un peu pour venir passer la sieste sous de petites huttes
de broussailles faites probablement par une caravane qui a passé avant
nous. Après une longue sieste, une courte marche nous amène au puits
mort de Mouï er Rebăya el Gueblaoui[221] (par opposition au puits de
même nom qui se trouve entre le Souf et l’Oued-Righ).

                                                             29 juillet.

Après avoir longé dans toute son étendue une petite chaîne de dunes
(Zemlet Ahmed Ben ’Aād), nous arrivons à un puits appelé Bīr ez Zouāīt,
dont l’eau de couleur verdâtre est lourde et légèrement saumâtre. Nous
nous arrêtons ici une heure, et en me promenant aux environs, je vois à
mon grand étonnement, dans un petit bas-fond semblable à celui du puits,
la surface du sable couverte par endroits de petites coquilles minces et
fragiles ressemblant en tous points à des coquilles d’eau douce, telles
que celles des genres _Limnæa_ ou _Bulla_[222]. Je m’abstiens de toutes
notices et dissertations sur cette trouvaille. Je remarquerai cependant
qu’aujourd’hui nous avons ensuite rencontré un grand nombre de petits
bas-fonds de ce genre, mais que je n’ai pu examiner ; ils ont au plus
100 mètres carrés de superficie et ne peuvent pas être pris en
considération sur la carte.

Nous voyageons le reste de la journée dans une plaine unie de sable avec
végétation variée d’_alenda_, _arta_, _ezal_, _drin_, etc... Nous
rencontrons un jeune _ourân_, des cigales et un petit oiseau gris que
j’ai déjà rencontré dans le Sahara et qui a pour cri la gamme en sautant
une note sur deux, chant à intervalles écartés de six à huit pauses.

Nous faisons la sieste dans un endroit qui ne présente rien de
remarquable, et après la sieste nous atteignons facilement, quoique à la
nuit tombante, le puits de Maleh ben ’Aoūn. Nous y rencontrons deux
Toroūd avec une dizaine de chameaux venant de Berresof et qui ne font
que prendre de l’eau au puits.

                                                             30 juillet.

Notre marche d’aujourd’hui n’a été que fort peu de chose ; nous allons
simplement à Mouï Rebah ; le pays qui sépare ce puits de celui où nous
avons couché hier est une plaine de sables unis légèrement ondulés et
couverts d’une assez riche végétation (comme hier) de _drin_, _arta_,
_’alenda_, _baguel_, _ezal_. Nous passons plusieurs puits morts et un
puits d’eau saumâtre.

Pendant la marche, mes gens prennent une gerboise des sables, que je
dépiote en arrivant. Au puits de Mouï er Rebah, Ahmed tue une sorte de
petit corbeau ou de grande corneille à tête et à nuque d’un brun bois
pourri foncé ; le reste du plumage est tout noir. Les chameliers et mes
gens mangent cet oiseau. En route une autre prise, celle d’un gros mâle
de _cherchimāna_ (_Scincus_ .....) à bandes latérales brun foncé,
séparées par des bandes de jaune gomme gutte. Tête d’un noir brunâtre
clair.

Nous arrivons au puits de Mouï er Rebah que l’on me dit avoir été creusé
par les Djohāla[223] ; le fait est que ce puits est très célèbre dans le
Sahara. L’eau en est bonne, mais a dans ce moment un goût de renfermé et
de corrompu, qu’elle doit à ce qu’il n’y a pas de troupeaux dans le
voisinage, et que l’eau n’a pas l’occasion de se renouveler par suite de
grandes quantités absorbées au dehors. Dans la soirée nous voyons
arriver deux ou trois chameaux chargés en partie de « jell » (crottes de
chameau) ; on vient en prendre bien loin pour fumer les jardins du
Souf !

J’ai oublié de noter qu’hier, peu de temps après notre départ, nous
fûmes rejoints par un nègre marron qui demanda la permission de nous
suivre à Ghadāmès ; je lui accorde cette permission, car je ne puis que
favoriser l’émancipation des esclaves. Cependant Ahmed et mes autres
compagnons ne partagent pas mes principes. Le nègre nous suivra donc et
si son maître ne vient pas à temps à Berresof, il ira à Ghadāmès et sera
là en sûreté. Le motif de la fuite de ce nègre (qui est de Kanō) est que
son maître lui donne toujours les plus pénibles tâches à remplir, et
qu’il lui défend d’aller aux fêtes des nègres.

Je ne fais pas une longue sieste, et, le soir, je veille un peu pour
tâcher de faire des observations astronomiques.

                                                             31 juillet.

Nous passons plusieurs puits et nous arrêtons pour faire la sieste en
sortant d’une ligne de dunes, à un endroit où le _hād_ apparaît pour la
première fois. Nous traversons un immense _sahan_[224] uni parsemé de
petits morceaux de calcaire (vétusté) ; si j’osais le penser, je
croirais que c’est un bassin d’eau desséché. Il est bordé en partie de
petits bourrelets de dunes. Nous couchons à une _ogla_ très profonde
appelée Dakhlet Sidi-’Aoūn, qu’il ne faut pas confondre avec El ’ogla
ech Cherguiya de Berresof.

                                                          1er août 1860.

Aujourd’hui les dunes apparaissent à droite et à gauche de notre route
sous forme de petits chaînons. Nous passons plusieurs puits et
rencontrons des troupeaux de chameaux et aussi une ou deux huttes
habitées par des Ferdjān qui ont là un cheval ; on nous apporte un peu
d’une boisson composée pour cet animal de lait de chamelle coupé d’eau.
Nous arrivons à la sieste à Bir er Reguia’t[225] où nous trouvons une
douzaine de « zeraïb » occupées par des Roubaa’ya[226]. Ces gens
prennent plaisir à effrayer mes hommes, déjà si impressionnés par l’idée
d’aller au-devant d’un inconnu. Ils finissent par me faire croire à la
possibilité que les Touāreg campés autour de Ghadāmès nous empêcheraient
d’y entrer.

Une marche moyenne dans l’après-midi nous amène à Berresof, le dernier
puits sur notre route. Nous trouvons ici plusieurs groupes de huttes
habitées par des Roubaa’ya. La caravane partie peu de jours avant nous
avec le Ghadāmsi est encore ici ; elle attend son guide qui est dans les
dunes à la chasse du « beguer », antilope oryx ou leucoryx. Elle nous
rassure sur les bruits que nous avons entendus ce matin.

Je reçois dans la soirée la visite des principaux Roubaa’ya campés ici ;
ils se mettent entièrement à ma disposition, et se plaignent en même
temps de ce que, depuis le gouvernement des Français, ils ne peuvent pas
aller razzier leurs voisins et sont, au contraire, exposés aux attaques
de tous. Je leur explique de mon mieux la politique des Français à cet
égard. Ils craignent ici les Ourghamma, les Beni-Zid et les Oulād
Yagoub, qui tous ne sont pas loin de ce point. Dans la soirée il y a
noce chez les Roubaa’ya ; étant un peu fatigué, je n’y vais pas, mais
mes serviteurs me racontent que des femmes y faisaient une sorte de
danse ayant leur chevelure dénouée, qu’elles jettaient à droite et à
gauche.

                                                                 2 août.

Dans la matinée on m’annonce qu’un petit parti de méhara est en vue, je
m’empresse de monter sur une dune et bientôt je distingue que ce sont
des Touāreg. C’est le cheikh Othman, monté sur son haut méhari blanc et
son entourage. Nous nous saluons, et bientôt il vient dans ma tente où
nous avons un long entretien public. Il me remet deux lettres de France,
et une du kaïd Si Ali Bey[227]. Il me donne à lire aussi une lettre de
Hadj Ikhenoukhen dans laquelle ce chef des Azdjer lui reproche de rester
dans un doux loisir tandis que ses frères les Touareg sont en guerre les
uns avec les autres, et lui dit que son devoir à lui marabout est de
rapprocher les ennemis et de cimenter la paix.

Le cheikh Othman me conseille quatre choses : la première, d’avoir
beaucoup de patience ; la seconde, d’être libéral en présents ; la
troisième, de ne pas intervenir au désert dans le conseil des guides ;
la quatrième, d’emporter beaucoup d’eau. Le cheikh Othman a connu le
major Laing (er Raīs) ; il sait encore compter en anglais, ce que le
major lui avait appris. Il reconduisit de Timbouktou (?) à Insalah un
des garçons de service de Laing qui était du Fezzān. J’expose la
politique française vis-à-vis du Sud au cheikh Othman et lui demande son
avis ; ce qu’il m’en dit sera le sujet d’une dépêche que je ferai demain
au général de Martimprey.

Le soir, je vais voir la noce qui est à son dernier jour. On a mis la
mariée dans une « djahfa » ou cage recouverte de haoulis rouge sur le
dos d’un chameau blanc. Derrière le chameau sont quelques femmes assez
bien, qui frappent sur un tambourin attaché à la bête en chantant une de
leurs chansons monotones. Devant la mariée les jeunes gens de la
_nezla_, en très grand nombre et tous bien mis, font la fantasia avec
leurs longs fusils orientaux dans lesquels ils fourrent des quantités de
poudre de sorte que leurs détonations ressemblent au bruit de
l’artillerie. C’est ridicule. Un des performants ayant tiré un coup
faible, j’entends un des jeunes gens dire : « C’est une femme ! » — Je
remarque un des assistants qui sous son haouli s’est entouré la figure
d’une pièce de « çay » bleu. C’est une mode qui, à ce que l’on me dit,
est usitée chez les Hamamma.

Le cheikh Othman a amené cinq Touareg avec lui ; ce matin ; on leur a
donné la diffa des Roubaa’ya qui m’était destinée. Le soir, ils ont leur
diffa à eux. — Je vais au puits pour le mesurer, et j’y trouve des
Touareg qui sont de bons garçons ; l’un d’eux, encore jeune, a la tête
nue et rasée, sauf une ligne de cheveux longs depuis le milieu du front
jusqu’au cou derrière la tête. Ils sont étonnés de voir que je connais
leurs divisions de castes et un peu leur alphabet. Ils admirent le
chapelet que m’a donné Si Mohammed el’Aïd.

Pendant que j’étais au puits, deux jeunes femmes des Roubaa’ya
emplissaient leurs outres. Elles laissent tomber leur « delou »[228]
dans le puits. Toutes deux sont vêtues de blanc et ont une petite pièce
d’étoffe de laine bleu foncé jetée sur la tête, qu’elles ramènent de
côté devant leur figure pour ne pas être aperçues des hommes. Malgré
cela, je puis voir qu’elles ne sont pas mal. L’une d’elles, en se
baissant pour prendre son outre, nous donne quelques instants le
spectacle d’un joli petit sein bien rond qu’elle n’a pas d’objection à
laisser exposé aux regards tandis qu’elle prend tant de soin à cacher sa
figure. On me dit que les Ourghamma, qui étaient venus sous prétexte de
cimenter la paix avec El-Ouad, ont fait un mauvais coup en s’en allant
et ont emmené un chameau qu’ils ont trouvé sur leur route.

                                                                 3 août.

Aujourd’hui il n’y a d’autres choses de remarquable que la demande du
Ghadamsi et de ses compagnons d’El-Ouad de partir avant nous. Le cheikh
Othman leur refuse net cette permission. Ces gens sont effrayés du sort
qui peut nous attendre et ne veulent le partager en aucune façon. Il y a
avec le Ghadamsi deux gens d’El-Ouad qui se rendent à Tripoli.

Le puits est toute la journée le rendez-vous des Roubaa’ya et Oulad
Hamed campés ici autour et qui sont divisés en trois petites nezlas ;
c’est là que la djemaa se tient, et l’on cause tandis que les femmes
puisent de l’eau et qu’un joueur de flûte joue des airs. Le puits n’est
pas un instant inoccupé tant il y a de monde, de chameaux, de moutons de
chèvres et d’ânes à abreuver. On m’apporte un agneau dont j’envoie la
moitié à Othman, qui vient passer une partie de la journée avec moi. On
veut reprendre le nègre. Hier et une partie de la journée, il est resté
caché dans les dunes et n’a mangé que quelques dattes qu’il avait
emportées.

J’ai eu des conversations très intéressantes avec Othman ; j’écris au
général de Martimprey[229] et à Paris.

Observations astronomiques comme hier soir.

                                                                 5 août.

Aujourd’hui nous devons partir. Les chameaux et les méhara arrivent des
pâturages et on les mène au puits ; ces malheureuses bêtes en reviennent
avec le ventre rond comme un tonneau et un corps aussi large que haut.
On dirait qu’elles savent en buvant qu’elles vont traverser un désert
sans eau et qu’elles reconnaissent les puits qui précèdent les routes de
la soif. Les mehara seuls ne boivent peut-être pas assez. Les chameaux
que le khebir Mohammed m’a amenés de Sahan el Kelb[230] sont les plus
beaux animaux de cette espèce que j’aie encore vus ; ce sont de vrais
monstres par leurs proportions gigantesques. Je prends un peu de repos à
la _gaïla_, mais pas assez, au milieu du bruit de l’emballage. Je ferme
mon courrier et je plie bagage.

Nous partons. Nous traversons un pays tout à fait analogue à celui qui
précède Berresof, immédiatement au nord. Ce sont des espaces sablonneux,
couverts d’une végétation dense de _drīn_, appelé par les Roubaa’ya et
les Arabes de l’est _sebot_, et de _halma_, enfin de _hād_ et de
_seffār_. Ces espaces sablonneux sont coupés par des chaînons de dunes à
cime régulière, qui prennent le nom de _Zemla_. Avant la nuit nous
trouvons du _baguel_.

La première nuit de marche fut pénible pour moi ; le sommeil me vint
d’autant plus vile que j’étais accoutumé, depuis l’été, à faire la
sieste au milieu du jour. Je ne puis m’empêcher d’admirer, quand la lune
s’est levée, les Touareg sur leurs méhara. Avec leurs armes desquelles
tombent des lanières de peau diversement ornementées ; leur vêtement
fantastique et leur immobilité sur ces grands animaux au pas lent et
régulier, ils ont quelque chose qui me reporte en pensée aux temps de
notre chevalerie. Et réellement les Touareg ont dans le caractère
quelque chose de chevaleresque qui me plaît beaucoup. Au départ, tous
mes Arabes invoquent Dieu, le prophète et tous les saints de leur
paradis pour qu’ils nous protègent sur cette route dangereuse par sa
longueur et son manque d’eau absolu. Nous dépassons Ghourd el Liyya
derrière lequel arrive la route de Djedid à laquelle nous nous joignons.
Cette route est, au dire de mes guides, _la plus ancienne_ et la plus
directe. Autrefois le dernier puits était précisément celui de Djedid ;
mais depuis quelque temps on en a creusé un un peu plus au Sud, c’est le
puits de Bou Khalfa. La fatigue me fait commander l’arrêt d’un peu bonne
heure pour mes guides, qui sont scandalisés de cet acte de despotisme.

                                                                 6 août.

Après trois heures de sommeil nous repartons. Les guides aiguillonnent
mes domestiques un peu mous en leur disant : « Il faut fuir devant la
mort ! » Le pays continue à garder le même aspect, nous rencontrons par
endroits des pierres noires et grises (dolomies ?) identiques à celle de
la chebka des Beni Mzāb, ce qui se trouve confirmé plus tard par
l’apparition d’affleurements de ce plateau et par l’assertion du cheikh
Othman que l’on trouve près de Ghadāmès, près de notre route, une dune
très élevée au sommet de laquelle perce un rocher.

Une tête de gazelle que nous trouvons me montre que la gazelle commune
du pays est de la variété nommée _rim_, caractérisée par ses cornes plus
droites et très rapprochée : je crois que c’est l’antilope Corinna.
L’autre gazelle commune (_dorcas_ ?) est plus rare, mais se trouve
cependant aussi quelquefois dans ces dunes. Les chasseurs Toroud la
nomment _el himed_ parce qu’elle affectionne plutôt les _hamada_.

Nous faisons la sieste à l’heure habituelle et avons fait dans nos 24
heures 13 h. 4 m. de marche. Depuis ce matin, comme par un fait exprès,
le sirocco s’est levé et a remplacé le vent d’est qui nous avait
favorisé sans cesse depuis El-Ouad. Nous repartons à peu près à la même
heure qu’hier, cependant pas d’aussi bonne heure à cause de la chaleur
qui accompagne le sirocco.

Nous rencontrons sur la route trois charges de chameaux de vêtements et
d’autres menus objets rassemblés en un tas. Ces sortes de dépôts,
occasionnés le plus souvent par la mort d’un chameau, sont
religieusement respectés sur cette route, et j’apprends d’Othman qu’il
en est de même sur les routes de Ghadāmès au Touat et au Soudan par
l’Aïr ; elles restent quelquefois des années sans que le propriétaire
trouve une occasion pour les faire enlever.

Un peu plus loin, nous trouvons les premières traces de cet animal que
les chasseurs des dunes appellent « beguer », mais dont le vrai nom
arabe est مَهَى[231] et qui est notre antilope oryx ou leucoryx.

Près de Ghourd et Trouniya la nuit nous surprend, et peu après nous
arrive un accident qui manque de nous causer un retard sérieux. Un des
chameaux des Touareg s’était mêlé aux miens, et soit qu’il eût été
effrayé par quelque chose, soit qu’il voulût rejoindre ses frères, il
prit tout d’un coup le galop en faisant des sauts et des gambades dont
je n’aurais pas cru un chameau capable et il disparut dans les dunes.
Quand les Touareg arrivèrent, nous constatâmes que sur quatre outres
qu’il portait deux avaient été crevées et ne contenaient plus rien.
Othman attribua cet accident à l’_aïn_[232], en disant qu’un de ses
suivants, Ihemma, venait de dire tout à l’heure que l’on ne manquerait
pas d’eau, et cela avait porté malheur. Après bien des discussions, il
fut convenu que le maître du chameau irait sur son méhari à sa recherche
et tâcherait de nous rattraper. On lui fit une petite part d’eau dans
une outre et il partit, tandis que nous continuâmes notre route.

Lorsque la lune se leva, je pus remarquer que la végétation avait
notablement diminué de force et de nombre ; nous n’avons plus que de
rares pieds de _seffār_ et de _hād_. Dans l’obscurité complète (lueur
des étoiles) je puis continuer presque aussi bien qu’en plein jour le
levé des distances et des directions, seulement le détail des dunes à
droite et à gauche de la route souffre de cette route de nuit. Je
remarque des affleurements du plateau calcaire. Nous voyageons entre des
rangées de dunes, qui tantôt s’éloignent tantôt se rapprochent et
quelquefois nous barrent la route ; mais elles sont alors très
diminuées. De temps en temps aussi nous trouvons des _sahan_ analogues à
ceux dans lesquels les puits sont creusés, mais ici on trouve parsemées
sur leur surface des pierres (dolomies appartenant au plateau).

                                                                 7 août.

Après un repos beaucoup moins long que celui d’hier nous repartons, et
rencontrons bientôt de nouveaux affleurements de calcaire. Nous arrivons
au commencement de la chaleur du jour à des dépressions irrégulières
allongées courant à peu près du E. 1/4 S. à l’O. 1/4 N., et séparées par
des chaînons de dunes. Othman m’assure que ces dépressions s’en vont
jusque sur la route de Ouarglā à Ghadāmès où elles prennent le nom de
Oudiān el Halma[233]. Je commence à remarquer qu’Othman a le sens
géographique très développé et qu’il possède, ce que je n’ai remarqué
chez aucun Arabe, la connaissance du rapport des différents accidents du
sol et de leur enchaînement. Nous faisons la sieste dans un de ces
derniers oueds, après une marche totale de 13 h. 46 m.

Dans la soirée, un de mes Arabes m’apporte une corne de _meha_[234]
qu’il a ramassée sur la route. Nous rencontrons des traces de chacals,
ce qui me donne l’occasion d’apprendre du cheikh Othman que partout,
dans son pays, les chacals boivent et ne s’éloignent pas de plus d’un ou
deux jours de la source qui les abreuve, qu’il ne connaît que l’Erg où
le chacal vive naturellement sans boire[235]. Le _fenek_ au contraire ne
boit jamais, et aussi se trouve-t-il presque exclusivement dans ces
sables. Un proverbe arabe dit : Trace de chacal, eau proche ; trace de
_fenek_, ceins-toi et marche.

Mon serviteur Ahmed a encore des accès de fièvre, ce qui dérange tout,
mes deux autres Arabes n’étant bons à rien ou à très peu de chose. La
végétation est toujours presque nulle[236]. Nous arrivons dans la nuit
au Sahan Tángăr où la route de Moui ’Aissa vient rejoindre celle de
Djedid ; près de là il y a, à droite, un petit _ghourd_[237] appelé
Gherīd Tángăr. Mes chameliers me font remarquer que la marche est
devenue plus rapide parce que les chameaux commencent à avoir diminué
notablement leur provision d’eau et ont le ventre allégé. Nous faisons
la halte de nuit à Ghourd es Sīd.

                                                                 8 août.

Après un sommeil d’environ une heure et demie, nous nous remettons en
marche, et suivons des sortes de boyaux entre deux dunes ; quelquefois
ces boyaux s’élargissent et ressemblent à de petits oueds (style du
Souf). Nous faisons la sieste dans une dépression après avoir fait une
marche de 14 h. 11 m. depuis hier à pareille heure.

Ahmed, au départ le soir, est encore pris par la fièvre.

Le cheikh Othman me dit que nous sommes ici au Dhahar el ’Erg, c’est-à-
dire au point culminant de la région des dunes, qu’à partir d’ici le sol
va en s’abaissant vers Ghadāmès et vers El-Ouād[238]. Cet avis a besoin
d’être pesé, mais le fait sur lequel s’appuie mon compagnon targui est
indubitable, c’est la forme nouvelle que prennent les dunes. Les
_ghourds_ sont encore petits, pas aussi hauts que le Ketef, à mon avis,
mais leurs formes ont changé ; ils ont pris des formes de montagnes
pointues, anguleuses sur toutes les faces ; les ghourds sont moins
allongés. Nous rencontrons de temps en temps en travers de la route des
dunes en cordons hauts de 1 à 3 mètres seulement, mais longues de 400 à
700 mètres et très régulières, que le vent change sans cesse de force et
de direction. Ces endroits sont toujours un obstacle pénible pour les
chameaux et tout le monde se met à l’ouvrage pour leur frayer un chemin
oblique avec une pente légère. Le vieil Othman est toujours le premier à
l’ouvrage.

Deux des Arabes ont des symptômes d’ophtalmie.

Le khebir me dit que Ghourd Meçaouda est, selon lui, à moitié route de
Ghadāmès à Berresof. Au ghourd Rouba que nous avons passé il y a
longtemps, vient se joindre à notre route une des routes de Bīr
Ghardāya ; d’autres viennent ici et d’autres plus loin encore. Cette
route est peu stable, comme on le voit, et dépend du caprice du guide.
La végétation est toujours presque nulle. Nous arrivons au ghourd Ben
’Akkou, qui est le point très connu anciennement comme faisant le point
du milieu entre le puits de Djedid et Ghadāmès.

Dans le Haoudh[239] es Sefār je remarque une petite butte d’un blanc
éclatant. Nous nous arrêtons pour dormir un peu dans un endroit appelé
Ma’dhema.

                                                                 9 août.

Nous partons comme toujours de bonne heure, et marchons entre les
_ghourds_ et les _zemlāt_[240]. Nous arrivons bientôt dans une série de
bas-fonds entre les dunes, que l’on a désignés sous le nom générique
d’El-Hiádh[241]. De temps en temps des pierres de calcaire gris plus ou
moins décomposé. Nous allons faire la sieste à l’extrémité sud du Haoudh
El-Hadj S’aīd, aussi nommé Hoūdh el Belbelāt à cause de la plante nommée
_belbal_ qui y croît. Le sol de ce terrain est très ferme, composé de
détritus de calcaire. Othman et les guides me désignent cet endroit
comme étant celui où l’on devrait tenter le forage d’un puits. La
présence de _belbal_, disent-ils, est un signe que l’eau ne doit pas
être loin. L’endroit me paraîtrait, à moi aussi, bien choisi.

Nous avons rencontré avant l’étape deux Souāfa venant de Ghadāmès avec
un chameau ; ils apportent la nouvelle que la plus grande partie des
Touareg ont quitté les environs de la ville par suite de la petite
vérole qui y règne et qui les décime. Si Othman me dit : « Dieu a créé
la petite vérole ennemie des Touareg et aussi la craignent-ils très
fort ». On me dit plus tard à Ghadāmès que si elle est si fatale pour
les Touareg, c’est qu’ils sont sales, et que même quand ils ont de
l’eau, ils font leurs ablutions en se frottant les mains sur une pierre.

Nous avons marché 14 h. 50 m. depuis la dernière étape. A notre départ,
la végétation, presque nulle comme toujours, se compose d’_álenda_, de
_drīn_ et de _hād_. A la nuit nous passons deux tombeaux d’individus
assassinés par les Arabes, dont l’un nommé Mîdi de Ghadāmès a donné son
nom à un ghourd voisin. Le vent a tourné à l’est. Nous marchons toute la
nuit et ne nous arrêtons qu’à 6 h. 65 m. du chronomètre le 10 août pour
faire la sieste. Cette deuxième étape a été de 13 h. 30 m. de marche.

                                                           10 août 1860.

Nous nous arrêtons pour la sieste épuisés de fatigue[242] ; je n’ose pas
comparer celle de mes domestiques à la mienne tant j’aurais pitié d’eux.
On verse dans le nez d’un chameau qui souffre de la soif une gamelle
d’eau. Cela vaut beaucoup mieux que donner à boire, parce que le peu
d’eau dont on peut disposer ne fait rien dans l’estomac de l’animal.
Nous arrivons près du ghourd Mámmer, à une dépression où je reconnais la
roche blanc d’argent dont j’ai parlé. Je trouve que c’est une terre très
savonneuse et salissant les doigts, toute imprégnée de coquilles de
_planorbis_, signe évident qu’il y avait là un petit lac autrefois. Tout
à côté de cette terre se trouve sous le sable une poussière noire, qui
m’intrigue beaucoup et dont je prends une petite quantité[243].

A la tombée de la nuit, le chameau sur lequel je suis monté, sur un lit
formé de mon matelas jeté sur les caisses, prend peur et part au galop
en sautant ; je suis lancé en l’air et un peu plus loin tombent les
cantines. Rien n’est cassé heureusement ni sur moi ni dans les caisses.
J’aurais été tué ou estropié si j’étais tombé sous les cantines.

Les dunes diminuent notablement et rapidement de hauteur, elles
reprennent la forme de _zemlat_. Nous traversons un petit _hamada_,
nommé Hameida, et nous reprenons les dunes, redevenues simples
ondulations de sables. Nous voyageons toute la nuit ; de bonne heure
nous entrons sur la hamada de Ghadāmès qui est d’abord recouverte de
sable, puis apparaît comme la chebka des Beni Mezāb, semée de pierres de
dolomies violettes, noires ou grises.

Peu après nous descendons dans une dépression profonde[244] de la
chebka ; c’est un chott à sol de _heicha_, tout semblable à celui de
l’Oued-Righ ; nous dépassons une grande dune située au milieu et enfin
nous arrivons à l’autre extrémité à une petite _ghaba_[245], appartenant
à la zaouiya de Sidi Maābed.

Marche de cette étape, 15 h. 36 m.


[Note 220 : Cf. _Relation du voyage de M. de Bonnemain_, par A.
Cherbonneau, _Nouv. Annales des Voyages_, juin 1857, et A. Bernard et N.
Lacroix, _Historique de la pénétration saharienne_. Alger, 1900, p.
46-47.]

[Note 221 : Du Sud.]

[Note 222 : D’après la détermination de Bourguignat : _Physa contorta_,
_Physa Brocchii_, _Physa truncata_, _Planorbis Maresianus_. (_Les
Touareg du Nord_, Append., p. 27.) On sait, par les explorations de MM.
Foureau et Flamand, que les fonds de sebkha à coquilles d’eau douce et
saumâtre se rencontrent fréquemment dans l’Erg, où ils apparaissent
entre les dunes. Le vent soulève les tests légers des coquilles et les
éparpille sur les sables.]

[Note 223 : Géants auxquels les indigènes attribuent aussi les tombeaux
mégalithiques (_Touareg du Nord_, p. 416).]

[Note 224 : « Dépression de terrain solide en forme de bassin arrondi au
milieu des sables » (H. Duv.).]

[Note 225 : Le vrai nom de ces puits est Maatig (H. Duv.).]

[Note 226 : Ou Rebaya ; fraction des Souafa.]

[Note 227 : Le kaïd de Tougourt.]

[Note 228 : Seau de cuir.]

[Note 229 : Le général de Martimprey fut un des principaux partisans du
commerce du Sud. Commandant des forces de terre et de mer en Algérie, il
écrivait dans une lettre officielle du 22 juillet 1860, reçue par
Duveyrier à ce puits de Berresof : « Un décret impérial vient de faire
tomber les barrières qui s’opposaient à nos relations commerciales avec
le Sud ; aujourd’hui et désormais les produits soudanais et sahariens
doivent entrer en Algérie en toute franchise. Veuillez répandre cette
bonne nouvelle... » Et il ajoutait ce _post-scriptum_ de sa main :
« Avant d’avoir reçu votre lettre qui me fait connaître l’intention où
vous êtes de vous faire accompagner par le cheikh Othman, je venais
d’adresser à ce chef l’invitation de se rendre auprès de moi. J’ai hâte
de conclure tous les arrangements qui pourront le plus tôt possible, la
sécurité existant à un degré suffisant, amener la liaison des relations
qu’il faut établir entre l’Algérie, le Soudan et les régions
intermédiaires... Vous comprenez que je tienne à ce que le cheikh Othman
soit ici quand l’Empereur y viendra. » — On sait que le cheikh Othman
préféra suivre Duveyrier.]

[Note 230 : « La cuvette du chien », un des pâturages de l’Erg.]

[Note 231 : Meha. « Beguer » ou « beguer el-ouahch » est le nom
vulgaire. (O. H.)]

[Note 232 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 415-416.]

[Note 233 : « Les oueds du halma » (_Plantago ovata_). M. Foureau les a
retrouvés en 1893 sur la route de Ghadāmès à Tougourt, et en 1896 plus
au sud, vers 30° de latitude, mais là ce ne sont plus que des sillons ou
entonnoirs coupés de dunes sans orientation régulière. (_Dans le grand
Erg_, Paris, 1896, p. 43.)]

[Note 234 : Antilope addax (_Les Touareg du Nord_, p. 225.]

[Note 235 : On rapporte le même fait du mouton en hiver. L’Erg est plus
riche en plantes vertes qui, mâchées, fournissent une certaine quantité
d’eau.]

[Note 236 : Plantes notées sur le carnet pendant cette journée de
marche : _drine_, _neci_.]

[Note 237 : Dune à plusieurs arêtes, pâté de dunes.]

[Note 238 : Ce renseignement n’a pas été reporté sur la carte de
Duveyrier. Il mérite pourtant sérieuse considération, car M. Foureau,
faisant en 1893 une route un peu plus occidentale, a noté vers 31° de
latitude, l’altitude extraordinaire de 406 mètres, résultat de trois
lectures barométriques (renseignement manuscrit de M. Foureau). En
admettant une correction à faire du fait des variations atmosphériques,
il n’en faut pas moins voir dans ce « dos de l’Erg » un relief réel.]

[Note 239 : « La cuvette du Sfar » (variété d’_Arthratherum_).]

[Note 240 : Ce sont les longs cordons de sable signalés plus haut.]

[Note 241 : Pluriel de _el haoudh_.]

[Note 242 : Le carnet porte ce jour-là : Végétation rare et maigre :
_ézal_, _alenda_, _halma_.]

[Note 243 : C’est le _torba_ des Arabes. La poussière noire doit sa
coloration à des éléments tourbeux.]

[Note 244 : Le carnet de route dit : plus basse de dix mètres.]

[Note 245 : Endroit planté d’arbres (O. H.).]




                              CHAPITRE II

                           ARRIVÉE A GHADAMÈS


                                                                11 août.

Nous trouvâmes dans cette _ghaba_ un jeune homme de la zaouiya, vêtu de
pantalons blancs descendant jusqu’à la cheville, d’une sorte de blouse
blanche et d’un turban blanc. Ce jeune homme ne me reconnut pas pour
chrétien parce qu’il est rare de rencontrer un Français jambes, pieds et
bras nus et en chemise. Il me salua, croyant probablement que j’étais
Tunisien, et nous aida à débarrasser les chameaux. Je m’établis sur mon
matelas, à l’ombre d’un palmier ; la chaleur, le sirocco violent qui
nous avait fouettés dans le chott, nous avaient épuisés et brûlés.

La nouvelle de l’arrivée d’Othman fut bientôt portée à Ghadāmès et une
foule de Touareg Ifoghas, à pied ou montés à méhara, vinrent au-devant
de lui. Il leur expliqua loin de moi qui j’étais et pourquoi j’étais
venu et plusieurs d’entre eux demandèrent s’ils pouvaient venir me
saluer. Ils vinrent en effet, et je leur fis des compliments. Tout ceci
est bien poli et n’aurait jamais lieu en pays arabe. La foule des
Touareg augmenta beaucoup, et, quand nous partîmes, nous avions une
nombreuse escorte en très beaux habits de parade. Tout ce monde se
comporta bien et ne fit aucune remarque sur ce que je relevais le pays.
Nous laissâmes d’abord le zaouiya de Sidi Maābed à droite avec ses
palmiers ; c’est non seulement une zaouiya, mais encore un petit
village. Plus loin, nous passons à une plus grande distance la zaouiya
de Sidi Mohammed es Senoūsi, bâtie depuis trois ans par cet ennemi
mortel des Français et des chrétiens. Dans le petit bassin dans lequel
se trouve la zaouiya, les puits sont comme à El-Guettar (Tunisie). On
creuse un puits près du bord élevé de la dépression ; on y trouve de
l’eau coulant légèrement ; on creuse plus loin un autre puits dans la
direction du courant, et ainsi de suite ; de sorte que l’eau d’un puits
passe dans l’autre. De la zaouiya nous marchons dans la chebka, dans un
labyrinthe, et nous arrivons en vue de Ghadāmès, qui est située au haut
du plateau. Nous laissons en même temps à gauche le commencement de la
_ghaba_ et à droite des ruines gigantesques que je crois romaines.

Nous arrivons à la porte de Ghadāmès, qui est tout entourée par les
palmiers, sauf à cet endroit. Nous laissons en face de la porte
plusieurs nezla de petites tentes de peau des Touareg. Arrivés en dedans
des murs, on me dit que le moudir est dans les jardins ; j’envoie un de
mes domestiques, qui arrive avec la réponse qu’il faut que je vienne en
personne ou que j’envoie mon firman.

Je me rends en personne dans le jardin où je trouve le moudir, un vieux
turc abruti, en chemise et gilet de coton et une calotte idem, assis sur
un tapis, par terre. Il a avec lui de petits serviteurs turcs mulâtres,
un interprète assez bien et assez beau et un qawwas, qui est venu de
Tripoli pour une affaire à part. Ce dernier, habillé à l’européenne,
porte, entre autres, des pantalons blancs, des escarpins et des cheveux.
Le moudir Hadj Ibrahim me reçoit sans daigner se lever, mais il est
obligé de me souhaiter la bienvenue lorsqu’il a lu le firman du Pacha.
Je reste là, il fait chercher une maison pour m’y loger et y fait
conduire le bagage après m’avoir interrogé sur le contenu des cantines
et des _gherair_[246]. Je dîne avec lui ; il mange à table le premier ;
je ne dis rien, mais je n’en pense pas moins. Ce vieux squelette à
moustaches ne fait pas un changement de place de cinq pas sans traîner
après lui ses immenses pistolets. La conversation roule sur le Iemen où
il a vécu longtemps, et Saouakim où il a connu, il y a deux ans et demi,
le voyageur Hadj Iskander[247] allant au Soudan.

Le soir, je vais à la maison qui m’est destinée, en attendant mieux, et
qui se trouve près de la ghaba. Je suis heureux de me reposer. De la
ghaba à Ghadāmès, 1 heure 2 minutes.

                                                                12 août.

Ce matin, de bonne heure, je suis encore dans mon lit, lorsque vient me
trouver un des petits négroturcs frisés du moudir, armé d’un sac en
toile et d’un billet très aimable, mais très inintelligible. Le petit
négroturc est plus clair et m’exprime que son noble maître désire une
bouteille d’araki. Or, en fait de liqueurs, je possède une bouteille
entamée d’absinthe, et une d’eau de noix. Je remets au petit l’eau de
noix et on l’emporte avec de grandes précautions.

Je vais ensuite chez le moudir pour lui parler de la maison que je dois
habiter et que je veux louer ; il me retient à déjeuner. Je vois la
maison qu’on m’a destinée ; elle ne peut pas me convenir ; on m’en
montre une seconde, qui est moins mal et que je prends.

Le moudir me retient à dîner et j’accepte, quoique je commence à avoir
assez de sa société et de ses repas. Mais, pendant l’après-midi, je vois
revenir le négroturc qui, après bien des caresses, me montre une
damejeanne qu’il a apportée et que son maître voudrait avoir remplie
d’araki, contre remboursement bien entendu. Ceci me paraît trop fort, et
je renvoie le bonhomme avec le « non » le plus formel et le plus
véridique. Je fais suivre Ahmed, qui va dire au moudir, qu’étant
indisposé, je ne viendrai pas dîner chez lui. Le moudir cependant
prétexte qu’il s’est mis en frais et qu’il faut que je fasse honneur à
son repas.

A l’heure dite, je ne me rends à son habitation que lorsqu’on vient me
chercher. Je trouve tout le monde en prières de l’air le plus contrit du
monde. On sert plusieurs plats, parmi lesquels une poule pour cinq
personnes ; le moudir s’excuse sur ce « qu’il n’a pas pu trouver de
viande en ville ». J’avais vu un mouton et plusieurs chèvres dans les
rues. Le stupide homme me demande : « Y a-t-il de la viande dans votre
pays ? — Oui, nous autres Français, nous en mangeons deux fois par jour.
— En France ou bien en Alger ? — En France, à Alger et même à
Ghadāmès. » Notez qu’au déjeuner nous n’avions eu que des légumes. Je
n’ai lâché mot que de force à dîner, et, sans attendre le café, je suis
revenu chez moi. Or le moudir avait dit qu’il se chargeait de mon dîner
et de celui de mes gens. On apporte en effet ce dernier, et il se
compose de deux assiettes, l’une contenant un peu de légumes qui ne
dépassent pas le fond de l’assiette, l’autre contient la même quantité
de vermicelle. Enfin quelques onces de pain. Je fais renvoyer le tout
chez le donateur. Ahmed et Brahim dans les rues sombres et couvertes de
Ghadāmès manquent l’un de renverser une femme, l’autre de se casser la
tête.

Je vois deux fois Othman ; bonnes nouvelles de chez les Touareg. Il
trouve le moudir ce que j’ai dit. Le moudir a des soldats sous ses
ordres. Ce sont des Djebaliya, depuis l’âge le plus jeune jusqu’aux
vieillards à barbe blanche. Ils ont pour se vêtir un _haouli_, de sorte
qu’ils laissent leurs poitrines, y compris les tétons, nues, ce qui, je
n’ai pas besoin de le dire, serait plus gracieux chez une belle femme
que chez ces squelettes affamés.

C’est la nuit que les femmes des Ghadamsya sortent pour aller à la
fontaine et à leurs affaires. Celles que j’ai vues sur les toits
portaient un haïk bleu tourné comme chez les femmes des Beni-Mezab. J’ai
vu dans les rues d’autres femmes sans voiles et portant un diadème de
cuivre doré : ce sont ce qu’on appelle ici des ’Atriya, c’est-à-dire de
la caste mélangée de sang noir. Ce sont les mulâtresses.

Les maisons de Ghadāmès sont hautes, ayant quelquefois un rez-de-
chaussée et deux ou même trois étages[248] ; les murs, bâtis en briques
de terre crue, sont blanchis à la chaux. L’architecture ressemble à
celle des Beni-Mezab. Les rues sont couvertes et fort obscures en plein
jour, à plus forte raison de nuit. La ville et les plantations sont
entourées de murailles et l’on reconnaît en certains endroits que ces
murailles ont été détruites deux fois avant celles qui existent
aujourd’hui.

La ville possède un citronnier ; il y a maintenant des pastèques en
quantité, mais elles sont dures ; les melons sont aussi en grand
nombre ; ce sont les meilleurs que j’aie trouvés dans le Sahara. Il y a
des citrouilles, _gauráa_, tomates, etc. Les dattes de la petite espèce
noire sont mûres, mais on ne les a pas encore cueillies.

La ville est remplie de Touareg. Il paraît qu’ils m’ont tous très bien
vu, d’après les discours d’introduction qu’a faits Othman. Ceux qui sont
venus hier me voir dans la Ghaba avaient demandé à Othman : « Pouvons-
nous venir le saluer ? »

Le moudir fait donner la bastonnade devant moi à un nègre colossal qui
avait commis le crime d’aller voir deux fois cette année une négresse
dans une maison particulière.

                                                                13 août.

Le matin, je change de demeure ; le pauvre cheikh Ali[249], qui bégaye
tant qu’on ne peut pas se moquer de lui, est presque toute la journée
chez moi ; il va me chercher tout ce qui me manque.

Je fais la sieste et écris quelques lettres. A l’heure du Medjelès, qui
a lieu toutes les semaines à pareil jour et une autre fois par semaine,
le moudir fait envoyer chercher mon firman. Je trouve bon de donner
aussi celui du Bey de Tunis et le décret des douanes, qui sont tous lus,
et sont le sujet d’un commentaire de la part du moudir. Dans la soirée,
on m’annonce sa venue ; j’ai une explication avec lui, mais il est si
bête, si borné, si entiché de son osmanlisme que l’on n’arrive à rien
avec lui. Enfin, il dîne avec moi. Il vient ici avec un armement
complet. Il me promet que, partout où j’irai, il me fera accompagner par
deux de ses fameux soldats.

J’apprends aujourd’hui que les nobles Ghadāmsia (sang blanc) qui
épousent une ’Atriya sont mal vus, que les ’Atriya mâles ne trouvent
jamais à épouser une femme noble.

                                                                14 août.

De bonne heure, le cheikh Ali vient m’apporter un panier de légumes. Il
m’apprend que chaque grande famille de nobles a ses ’Atriya nés depuis
longtemps des négresses de ses aïeux, et doit les protéger, leur fournir
du travail et de la nourriture s’ils sont dans le besoin. Il paraît que
les femmes ’Atriya n’ont pas toujours des mœurs très chastes.

On m’apporte des dattes mûres ; elles sont toutes petites et noirâtres,
mais je ne les trouve pas mauvaises.

Des Touareg viennent à l’heure du déjeuner frapper à la porte pour me
voir, mais je ne fais pas ouvrir. Le cheikh Othman m’approuve. Du reste,
ils n’ont pas insisté. Dans l’après-midi, le petit Abyssin m’apporte un
panier de légumes de la part du moudir. On sème en ce moment une
graminée, céréale, appelée ici El-Gossob[250], et dans le nord _dra’_ ;
on ne la récolte qu’à la fin de l’automne.

Visites de quelques grands de la ville.

                                                                15 août.

Je sors accompagné de deux soldats et je vais voir d’abord les
Esnām[251], ces restes de constructions que je crois être les ruines de
la ville ancienne du temps des Romains. Ce sont des supports de vastes
arcades, je le crois du moins ; tout à l’entour, s’étendent des débris
de pierres, et des fondations comme on en voit dans toutes les ruines
romaines de ce pays. Les pierres ne sont pas taillées ; quelquefois
cependant elles sont dégrossies ; elles sont unies par un ciment de
plâtre. Au milieu des décombres sont quelques tentes touareg, mais leurs
occupants n’étaient pas là et nous n’eûmes à disputer le chemin qu’à
deux lévriers qui gardaient les tentes.

Je vais voir la source ; elle forme un bassin profond d’une eau
transparente et d’un bleu charmant ; l’eau donne naissance à quelques
mousses aquatiques qui paraissent au fond en plusieurs endroits. Des
libellules rouge brique planent au-dessus de l’eau. Je ne vois pas de
poissons. Le bassin a une forme inégale : il est garni de pierres. L’eau
s’écoule d’une manière insensible à l’œil par un canal souterrain près
de l’endroit où l’on vient puiser l’eau. Le kaïd el mā, chargé de
distribuer l’eau, est loin de là dans une petite niche sur le marché.

Je passe la soirée couché sur un banc de la rue, où j’ai fait porter une
couverture et des coussins. Je regarde le mouvement autour de moi. Il y
a plusieurs négresses qui paraissent à poste fixe près d’ici ; elles
jacassent toute la journée. Quelques nobles Ghadamsia passent devant
moi ; les uns me saluent, les autres ne me disent rien. Je rends les
saluts à ceux qui me parlent. Les noirs dépassent de beaucoup parmi les
passants le nombre des blancs. Presque pas de Touareg.

Un de mes voisins possède une jument du Touat ; c’est le seul cheval
qu’il y ait en ce moment à Ghadāmès.

J’obtiens le soir la latitude de Ghadāmès par le passage de Mars au
méridien : j’ai 30° 6′ 33″ N.

                                                                16 août.

Je vais me promener dans la ville. Il y a près d’ici, je crois dans le
quartier d’El Aouina[252], un petit marché où l’on vend des liqueurs ;
il est remarquable aussi sous un autre point de vue. D’un côté il est
bordé d’arcades, et je remarque un tronçon de colonne qui me paraît être
évidemment romain. Du côté opposé coule sous terre une petite rigole
auprès de laquelle est un abreuvoir et un lavoir. Plusieurs petites
auges carrées, en pierres de différentes grandeurs, sont encore ici en
souvenir de l’ancienne Ghadāmès. Mais j’étudierai tout cela
systématiquement un peu plus tard.

Je rends une visite au moudir et je le trouve très bien. Cependant,
j’apprends plus tard qu’il a eu une violente dispute avec sa femme
turque à la suite de laquelle celle-ci a demandé du poison pour le tuer.
De là rupture, et la femme répudiée s’en est allée à Dérdj. Le fils du
moudir qui est à Sinaoun est parti pour Tripoli aussitôt qu’il a appris
cette nouvelle. De sorte que le moudir est d’une humeur de chien pour
tout le monde. Je donne de l’opium au moudir, qui est dérangé à état
permanent. Il m’envoie le soir une excellente pastèque.

Il est curieux de voir les Ghadāmsia savoir presque tous le haoussa ;
rarement ils parlent à leurs esclaves dans une autre langue. Les enfants
blancs et les esclaves apprennent d’abord le ghadāmsia[253], et ce n’est
que plus tard qu’ils se mettent à l’arabe.

On a toutes les peines du monde à se procurer ici des légumes, des
melons et de la viande. Tout est pris d’avance : les acheteurs vont
chercher les fruitiers jusque dans leur ghaba, et le peu qui arrive au
marché est de suite accaparé. Quant à de la viande, depuis que je suis
ici, les Arabes n’ont pas apporté de moutons, il se passe quelquefois
quinze jours sans qu’il en vienne. On est réduit aux poules, pigeons et
à quelques chevreaux.

Le soir, je fais porter mon lit sur la terrasse et j’y dors en compagnie
de mon fusil chargé à balles. J’ai la distraction de voir les ombres de
mes voisines, blanches et noires, se promener sur les terrasses
d’alentour et d’entendre leur caquet à voix basse.

                                                                17 août.

Ihemma, le petit bandit targui qui accompagnait Si ’Othman, m’apporte
quelques lignes de tefinagh que m’ont écrites ses sœurs auxquelles
j’avais envoyé à chacune un miroir.

Je vais voir le marché qui a lieu toutes les semaines à pareil jour. Il
a lieu immédiatement après la prière à la mosquée au dohor. On prend ses
places d’avance ; le moudir m’a envoyé deux soldats qui sont postés à
côté de moi pour écarter les badauds. Je vois arriver le moudir, avec
son page abyssin et ses longs pistolets, puis le qawwas ; ils entrent
dans la mosquée par une porte à part donnant sur le marché. La prière ne
dure qu’un instant ; je suis ensuite rejoint par le cheikh de la ville
(Cheikh Ali) et il se rassemble autour de moi plusieurs Ghadāmsia, entre
autres Abd el Aziz, bel homme à barbe grisonnante et à beaux vêtements,
qui connaît de vue Tombouctou, Oualata, Tichit, le Soudan et le Touat,
ainsi que les pays intermédiaires. C’est un homme intelligent et
d’autant plus poli qu’il connaît Tunis et Tripoli. Nous nous tenons sous
un corridor, près de la boutique du gomrekdji[254]. Nous voyons passer
beaucoup de Touareg, dont plusieurs sont d’une taille colossale.
Quelques-uns me saluent ; d’autres me regardent et passent ; deux
Sakomāren[255] seulement se permettent de dire : « Fi ! c’est lui qui a
amené Cheikh Othman ». Mais cette parole de la bouche d’Imrhad n’a pas
beaucoup de poids.

Le marché n’est pas brillant ; on y vend des cotonnades anglaises et
maltaises, des étoffes de coton bleu à rayons rouges, du Soudan, dont
les unes servent de couverture et les autres de vêtements de dessus aux
femmes de Ghadāmès. On vend quelques fusils, des chameaux et un coffre.
On me dit que d’ordinaire le marché est plus beau.

Les Sakomaren qui sont ici sont des chameliers qui doivent amener au
Touat la grande caravane des Ghadāmsia dont les bagages sont déjà
exposés hors de la ville en attendant que les affaires soient arrangées
avec Ikhenoukhen.

                                                                18 août.

De bon matin, un Targui m’amène un enfant parent de Si ’Othman, qui est
affecté d’un œdème très avancé provenant d’un anévrisme du cœur. Cet
enfant, âgé de 12 ans, fait mal à voir ; outre sa maladie qui l’a rendu
presque impotent, et qui a répandu une couleur jaune uniforme sur ses
chairs molles, il a eu encore dernièrement la petite vérole, qui a
laissé sur lui des traces profondes. Je déclare après l’examen que,
lorsque Si ’Othman viendra, je lui dirai mon avis sur la maladie. Je
crains toujours que les gens ignorants ne pensent que j’ai le remède de
telle ou telle maladie et que je ne veux pas la guérir.

Quelque temps après, je reçois la visite bienvenue de trois dames
targuies, l’une d’elles est jeune, assez grande et d’une blancheur
rare ; elle est de plus très bien peignée. Sa coiffure est, sur le
devant, identique à nos bandeaux plats d’Europe, mais ces derniers se
terminent derrière les oreilles par deux nattes courtes et épaisses. Les
ornements de ces Targuiāt sont sobres ; la belle porte trois légers
bracelets à chaque bras ; le tout est de bon goût et serait bien vu en
Europe. Ainsi ce ne sont plus les ornements grossiers des Arabes.

La conversation roule sur très peu de choses parce que ces dames me font
la malice de prétendre ne pas comprendre l’arabe, de sorte que je suis à
m’éreinter à chercher de rares expressions dans le cinquième volume du
Dr Barth. — Elles partent d’un éclat de rire formidable quand je
parviens à leur désigner « ulhi »[256] et « teraouen »[257] comme étant
le siège primitif de la maladie du jeune Targui qui est le frère de
l’une d’elles. Lorsque nous étions ainsi aux prises, arrive Si’Othman
qui, en voyant les Targuiāt, s’écrie : « Bism Illah er Rahman er
Rahim », expression que les Touareg emploient lorsqu’ils sont affectés
d’une surprise pénible. Nous parlons de nos affaires et, pendant ce
temps, les Targuiāt veulent s’en aller ; l’une d’elles retrouve son
arabe pour me demander du tabac. Je leur dis que je n’en ai pas, mais
que, si elles veulent bien revenir, j’espère être plus riche.

Aujourd’hui, on vend au marché tous les moutons qui sont arrivés hier.
Le cheikh Ali me dit qu’on en vend quelquefois 300 en un seul jour. Les
occasions sont si rares que l’on fait ses provisions. Le même homme me
raconte qu’à la dernière vente il acheta trois moutons, que cinq jours
après il en vendit deux, et qu’il eut le troisième pour profit de sa
spéculation. J’achète un mouton, hier j’en avais acheté un autre
engraissé en ville. Les moutons se vendent, comme du reste tout ce qui
passe sur le marché, par l’entremise de « dellāl », crieurs, et tout est
cédé à l’enchère. Les principaux marchands, et en général tous ceux qui
ont besoin de quelques-uns des articles en vente, se tiennent assis
autour du marché ; et les crieurs passent en exposant la marchandise et
en indiquant le dernier prix offert.

J’apprends qu’autrefois, les Ouled Hamed d’El-Ouad prélevaient un petit
tribut, « ghefara », sur les marchands de Ghadāmès qui passaient par le
Souf se rendant à Tunis ; depuis l’occupation française, cela n’a plus
lieu.

Autrefois, la route de Ghadāmès à Gabès était très fréquentée,
maintenant personne ne fait plus ce voyage de crainte des Ourghemma. Je
vois plusieurs Ghadāmsia qui ont fait chacun une demi-douzaine de fois
cette route.

Les nouvelles d’Ikhenoukhen sont qu’il est arrivé à Māsīn avec ses
chameaux altérés (les puits de cette région sont presque tous à sec
cette année). A Māsīn, ils ont trouvé le puisard contenant très peu
d’eau (le mot Māsīn ne signifie pas autre chose) ; il faut qu’il
séjourne là jusqu’à ce que les chameaux aient bu pour pouvoir franchir
les dernières étapes jusqu’à Ghadāmès. Le puits d’Inguelzām[258] est
aussi tari.

Toujours des difficultés pour trouver des légumes et des fruits. Santé
parfaite.

                                                                19 août.

Je reçois dans la matinée la visite de Si ’Othman et d’un vieux Targui
qui semble être de ses intimes ; je leur fais voir les livres arabes que
je destine à Cheikh el Bakkay de Tombouctou. Parmi ces livres est mon
Coran doré sur tranche ; Si ’Othman en est épris. Il commence à chanter
la sourate de la vache et j’ai peine à l’arrêter. Voyant que ce livre
faisait tant de plaisir à mon ami, je lui en fais présent. Si ’Othman ne
peut contenir des démonstrations de joie enfantine. Là-dessus, il s’en
va pour prévenir le crieur, qui est en train de lui procurer une
« Neskha » manuscrite, qu’il n’en a pas besoin.

A peine Othman était-il sorti qu’au milieu de mon déjeuner arrive ma
belle Targuie d’hier, accompagnée cette fois d’une belle jeune femme
seulement. Elles me disent qu’Othman leur a défendu de venir et que
c’est pour cela qu’elles ont attendu sa sortie. J’apprends aujourd’hui
que Télengui, c’est le nom de la belle Targuie, est mariée, mais elle me
dit que son mari part demain pour le Touat. Je leur fais cadeau à
chacune d’un foulard de coton et d’un miroir, et d’un peu d’argent pour
acheter du tabac, car toutes les Targuiāt fument. En échange de mes
présents, Télingui me demande du papier pour m’écrire du tefinagh.
Télengui me distrait beaucoup ; je l’engage à revenir. Son vêtement se
compose d’une blouse bleu de ciel, à manches courtes, n’atteignant pas
le coude, et d’une couverture de coton blanc dont elle s’enveloppe tout
entière, sauf la figure.

Les moutons des Arabes d’ici ont tous la grosse queue ; au Souf ils n’en
ont pas de cette espèce, mais les Nemēmcha et les Hamamma en possèdent.

Dans la soirée, Ikhenoukhen envoie à Othman deux Targuis, pour lui dire
de venir apporter de l’eau à une demi-journée de Ghadāmès. Ikhenoukhen,
à ce qu’il paraît, veut avoir des nouvelles ; il sait maintenant que je
suis venu. Dans la soirée Othman vient me dire adieu ; il part cette
nuit. Il ne sera absent qu’un jour, deux au plus.

J’apprends que le district de Dérdj est très malsain, des fièvres très
violentes y règnent. C’est une terre de labours avec des sources ; on y
cultive du blé et du guessob. Othman me dit qu’il y a des fièvres
jusqu’à Ghadāmès, et me demande de la quinine pour deux femmes targuies
qui sont fiévreuses.

                                                                20 août.

Ce matin, je prie le cheikh Ali de vouloir bien emporter chez lui les
objets qu’il a encore ici et qui lui font faire par jour trois ou quatre
ascensions chez moi. Cela ne peut pas durer. Le petit bègue, au lieu de
s’exécuter, me fait dire, quelque temps après, qu’il a trouvé une autre
maison et qu’il m’invite à venir la voir ; je lui fais répondre que je
me trouve bien ici et que les convenances m’obligent à ne pas changer de
demeure comme de chemise. Cheikh Ali me fait dire là-dessus qu’il
viendra me déranger vingt fois par jour ; je sors alors et je trouve mon
homme à la porte ; il est chassé comme un chien, avec défense expresse
de remettre les pieds ici.

Dans la chaleur du jour, je vais chez le moudir pour signaler la
conduite du cheikh, et déclare que je ne sortirai que par la force d’une
maison que j’avais acceptée à contre-cœur ; mais le petit bègue est aux
cent coups, et il jure, à qui veut l’entendre, qu’il me chassera de sa
maison, et qu’il enverra, s’il le faut, cinq ou six esclaves armés pour
me faire sortir ; il menace mes domestiques de prêcher le Djehad, ou
guerre sainte, et dit que, dans ce cas, toute la ville suivrait son
avis. Il bégaye sa colère partout, dans la rue et chez le moudir.

Le moudir vient me trouver et tâche de m’apaiser : en me disant qu’il a
vu la nouvelle maison, qu’elle est plus belle que celle que j’habite et
que le loyer en est très bon marché. Mais toutes ces conditions ne me
font pas changer d’avis, et je lui renouvelle ma déclaration que, si
l’on voulait me faire changer de demeure, il fallait employer la force,
et que, dans ce cas, je ne sortirais de ma maison que pour me rendre à
Tripoli. Le moudir me fait entrevoir qu’il n’est pas tout à fait le
maître ici, que les Touareg le sont plus que lui, et que, si le cheikh
en venait aux extrémités, la seule chose qu’il pourrait faire serait de
déclarer que tout ce qui m’adviendrait serait fait à lui et serait une
injure pour le gouvernement turc. Pendant ce temps, il m’emporte le fond
d’un petit flacon d’absinthe qui me reste, ma dernière goutte de
spiritueux.

Enfin, après le coucher du soleil, le moudir revient accompagné d’El
Mokhtar, l’un des membres du Medjelès. Ils me disent que le Medjelès a
été assemblé extraordinairement pendant toute l’après-midi, que l’on a
vivement blâmé la conduite du cheikh et que l’on a conclu que, s’il n’y
avait pas moyen d’arranger les choses autrement, le cheikh serait obligé
à me céder sa maison pour le temps de mon séjour. Là-dessus, ils me
prient de pardonner la conduite de Cheikh Ali. Ceci est une autre
question. Je déclare que, comme homme, je lui pardonne volontiers, mais,
comme représentant de mon gouvernement, je ne puis le faire aussi
facilement, et que je demande mûre réflexion à ce sujet. Là-dessus ces
messieurs se retirent après avoir pris le café.

J’ai reçu la visite d’un marchand de Ghadāmès, l’un de ceux qui
prêtèrent de l’argent à Barth, à Kanō, lors de son retour de Tombouctou
et au joli taux de 100 % au bout de quatre mois. Je lui fais des
compliments sur sa libéralité, d’autant plus que l’argent qu’il prêtait
était de l’argent anglais ; mais il me dit _qu’il avait calculé le
profit que lui aurait rapporté cet argent mis en ivoire dans le même
espace de temps_ et prêté son argent avec le même profit.

Les Targuiāt (les deux mêmes qu’hier) sont venues me voir, mais ne sont
restées qu’un instant, elles m’ont apporté quelques lignes de Tefinagh.

J’ai tellement cru aujourd’hui qu’il allait se passer quelque chose, que
j’ai fondu des balles de revolver.


[Note 246 : Pluriel de _gherâra_, sac en laine servant à contenir les
objets chargés sur les chameaux. (O. H.)]

[Note 247 : Nom pris par le baron de Krafft. Sur son séjour en
Tripolitaine, voir _Mittheil. de Petermann_, 1861-1862, _passim_.]

[Note 248 : Ces dernières doivent être très peu nombreuses ; Mircher ne
parle que de maisons à rez-de-chaussée et un étage (_Mission de
Ghadāmès_, p. 100).]

[Note 249 : C’était le _cheikh el bled_, ou maire de la ville.]

[Note 250 : Draa désigne au Sahara, suivant les régions, tantôt le
sorgho à grains noirs, tantôt le millet blanc à chandelles. Il s’agit
probablement du dernier. (Cf. Catalogue Foureau, p. 15.)]

[Note 251 : « Les idoles. » On sait qu’après avoir visité Djerma au
Fezzân, Duveyrier a rapporté les Esnamen aux Garamantes. (_Les Touareg
du Nord_, p. 251.) Vatonne se borne à les qualifier « d’affreuses ruines
sans caractère et sans intérêt ». (_Mission de Ghadāmès_, p. 268.)]

[Note 252 : Ce quartier porte aussi un autre nom intéressant pour les
origines : Beni-Mâzigh.]

[Note 253 : C’est-à-dire le dialecte berbère.]

[Note 254 : _Isaqqamaren_, vassaux des Kel-Rhela.]

[Note 255 : « Douanier ». (O. H.)]

[Note 256 : _Oulhi_, le cœur.]

[Note 257 : _Touraouen_, le poumon.]

[Note 258 : Inguelzam, Māsīn, points d’eau de la roule orientale de Ghât
à Ghadāmes.]




                              CHAPITRE III

                              IKHENOUKHEN


                                                                21 août.

Dans la matinée vient me voir le petit brigand Ihemma ; il me raconte
encore qu’il veut assommer un Targui qui s’est servi d’un de ses
chameaux sans sa permission. Il m’annonce le premier qu’Ikhenoukhen est
arrivé, avec très peu de monde et deux chameaux seulement.

Ikhenoukhen est arrivé d’un côté et Othman est parti de l’autre, de
sorte qu’ils se sont croisés ; cependant Othman revient lui-même dans
l’après-midi, et me dit que les nouvelles sont bonnes. Ikhenoukhen est
très occupé ; il est encombré de visites ; le moudir va le voir et une
foule de Ghadāmsia ; on traite l’affaire du vol des chameaux et puis
celle du départ de la caravane du Touat. Il paraît qu’il n’est pas bien
disposé pour les Hogar, et qu’il défend aux Ghadāmsia de prendre des
chameliers Sakomaren qui sont ici (ils sont imrhad des Hogar) ; il veut
que les chameliers soient Azgar ou Ifoghas[259] ; les Hogar sont
ennemis. Il déclare qu’il brûlerait les charges des chameaux de la
caravane si elle partait avec les Sakomaren. La nouvelle arrive de Rhat,
que l’Aïr a envoyé deux députés à Rhat pour dire que la route du Soudan
était de nouveau ouverte, ce qui cause grande joie aux Ghadāmsia, et
fait espérer qu’il y aura cette année un marché à Rhat, ce dont on
commençait à désespérer. On apporte en même temps la nouvelle que le
Hadj Ahmed, frère de Si ’Othman et chef des Touareg Hogar, va arriver
ici sous peu.

Othman vient me prier, de la part du cheikh Ali, de lui pardonner ce
qu’il a fait avant-hier.

                                                                22 août.

Othman vient me prendre dans la matinée et me mène chez Ikhenoukhen. Le
sultan des Azgar est campé au loin, hors des plantations, tant il craint
la petite vérole qui règne à Ghadāmès. (quoiqu’elle ait beaucoup
diminué). Je trouve Ikhenoukhen entouré de quelques Touareg, de deux
Ouled Hamed, et de deux Ghadāmsia. Il me fait asseoir d’un geste
imperceptible et, sans se mouvoir, me fait, ainsi qu’à Othman, les
questions de politesse targuie : « Mattoullid ? Māni ouinnek ? » —
Comment vous portez-vous par cette chaleur ? Grâce à Dieu vous êtes venu
ici, et les circonstances m’y ont aussi amené, etc., etc.

Ensuite, Othman fait lire les lettres adressées au cheikh Ikhenoukhen
lui-même, et les firmans de Tripoli et de Tunis que j’ai. On est obligé
de traduire les passages importants, car Ikhenoukhen comprend à peine
l’arabe et ne le parle pas. Après cette cérémonie, Ikhenoukhen, qui a
montré tout le temps la plus grande réserve, me souhaite froidement la
bienvenue, puis nous prenons congé de lui. Othman trouve que l’accueil
qu’il m’a fait est bon, quoique j’aie presque été tenté d’abord de
croire le contraire. Il me dit que l’habitude des Touareg est de
paraître fuir d’abord une nouvelle connaissance, mais que les autres
Touareg qui assistent à notre entrevue ont certainement dit en eux-
mêmes : Ikhenoukhen se réjouit déjà du cadeau qu’il obtiendra de ce
Français.

J’ai ensuite une très longue conversation avec Othman au sujet de mes
projets ; je leur donne une plus grande extension et pense aller de Rhat
à Insalah. Il me dit que cela se décidera à l’arrivée de son frère Hadj
Ahmed[260].

Je demande à deux des Hamed d’El-Ouad, qui ont été trois fois d’El-Ouad
à Rhat, ce qu’ils ont emporté. C’est des douros. Ils en ont rapporté des
ânes touareg ; prix à Rhat, 6 1/2, 7 et 8 douros, et à El-Ouad 60, 61,
80 fr. Des chameaux (petites chamelles) achetés 100, 105, 110 francs et
vendus à El-Ouad 150, 160 francs. — Zebed (civette), achetée l’once 26
fr. 50 et vendue 33 francs. Outres du Soudan achetées 3 fr. 40 à 4
francs et vendues 6 fr. Peaux de buffles (kelābo), achetées 10 fr. les
grandes, vendues 11 fr. 40 et 15 fr.

                                                                23 août.

Aujourd’hui, pas d’événements ; je cause avec un Ghadamsi, Mohammed ben
Mohammed, qui connaît très bien Rhat. Il m’explique plusieurs des
particularités du commerce de Ghadāmès.

L’ivoire, et les principales autres denrées du Soudan qui viennent ici,
ne sont jamais vendues sur place, mais sont dirigées sur Tripoli. Elles
ne pourraient être obtenues ici que pour un prix très approché de celui
de Tripoli, comme par exemple 2 % en moins. L’or est quelquefois vendu
en petites quantités sur le marché, par des individus qui ont besoin
d’argent immédiatement. Les peaux de panthères et les autres petits
articles se trouvent aussi de temps en temps.

Les Ghadāmsia qui vont à Rhat donnent un cadeau de 10 douros[261] à
Ikhenoukhen, et ils peuvent alors commercer comme bon leur semble. A
Rhat même, les charges d’ivoire ne font que passer ; sauf dans de rares
cas, par exemple quand un marchand du Soudan a besoin de quelques objets
qui se trouvent sur le marché de Rhat, il envoie un peu d’ivoire qui se
vend là et dont le prix sert à acheter ce dont il a besoin. La plupart
des marchands Ghadāmsia du Soudan envoient leurs caravanes à des
correspondants à Rhat et à Ghadāmès et leurs produits ne sont vendus
qu’à Tripoli même. A Rhat, les maisons se louent 6 douros pour le temps
qu’on y reste à la foire, soit 15 jours, soit un an.

Les Ghadāmsia ne prennent pas de commission entre eux, ils se rendent de
petits services commerciaux sans exiger de rétribution.

Aujourd’hui, il est arrivé une petite caravane de Rhat avec un
chargement d’ivoire. Les nouvelles qu’elle apporte sont bonnes, l’Aïr a
fait la paix avec Rhat, et l’on espère avoir un marché cette année, ce
dont on avait d’abord douté. Les Ghadāmsia confient leurs marchandises
aux chameliers touareg, qui les transportent à destination avec le plus
grand scrupule.

                                                                24 août.

Dans la matinée, je suis encore obligé de me fâcher « tout rouge »
contre mes domestiques.

Je reçois la visite de quelques Touareg. Dans la soirée, je vais voir
Ikhenoukhen. Il sort de sa tente seul et vient nous rejoindre dans la
dépression où il campe, à part de toute oreille indiscrète, et nous nous
asseyons. Il me salue, cette fois comme une vieille connaissance, et
commence, en bon Targui, par des questions de politesse. « Comment
allez-vous ? Comment trouvez-vous le temps ? Supportez-vous bien cette
chaleur ? Êtes-vous rétabli de votre voyage dans l’Erg ? C’est là que
nous voyions du merveilleux lorsque nous allions sur nos méhara piller
les Chaanba et les Souâfa, etc. » Puis, après avoir rendu ces
politesses, je commençai à parler ; Si ’Othman traduisait mes paroles en
Temāhaght[262].

Je dis à Ikhenoukhen que le sultan d’Alger qui lui avait envoyé Si
Ismail[263] était rentré en France, mais que son successeur, qui était
mû par les mêmes idées, m’avait envoyé à lui comme gage de son amitié et
de son grand désir de lier des relations amicales avec les chefs touareg
et en particulier lui Ikhenoukhen. Je lui expliquai nos intentions de
commerce avec le Soudan, et notre désir de le voir l’intermédiaire entre
nous et les noirs. Je l’assurai que tous les Touareg qui viendraient
chez nous seraient reçus avec honneur et empressement ; qu’on les
traiterait selon leur rang et qu’on leur ferait de beaux cadeaux ; que,
si lui-même Ikhenoukhen voulait se décider à faire le voyage d’Alger, il
pouvait compter sur toute la sincérité, tous les égards et toutes les
marques d’amitié qu’il pourrait désirer.

Ikhenoukhen me répondit qu’il était devenu vieux et qu’il ne pouvait
s’absenter du milieu des siens, qu’il avait déjà tant de peines à les
tenir d’accord et à apaiser leurs querelles naissantes, qu’il ne pouvait
pas penser à s’éloigner d’eux. Puis, passant à un autre sujet, il causa
pendant quelque temps à Othman en temahaght et je les vis rire ensemble.
Ils ne voulurent pas me dire de quoi il s’agissait ; mais, plus tard, je
le sus par Othman et j’en parlerai à l’occasion.

Se retournant vers moi, il me fit la question insidieuse : « Pourquoi
les Anglais sont-ils bien reçus partout et pourquoi les Français, quand
ils envoient même leurs domestiques, sont-ils en butte à toutes sortes
de difficultés et toujours mal reçus ? » Je lui répondis : « Cette
demande m’étonne, car j’aurais cru que vous saviez cette raison mieux
que moi-même. Mais je vais vous l’expliquer brièvement. Vous ne
connaissez les Anglais que comme marchands et voyageurs riches et
prodigues ; vous ne les avez donc rencontrés que vous offrant des
profits et des gains considérables ; il est naturel que l’accueil qu’on
leur fait soit bon. Mais nous, Dieu nous a mis maîtres d’Alger, nous
avons été sans cesse forcés de combattre, toujours malgré nous, et ce
que vous savez de nous, la connaissance que vous avez de notre
administration et de nos vues, vous l’avez reçue à travers une digue
d’ennemis. Sans vous parler du chérif, la digue ennemie nous l’avons au
milieu de nous, ce sont les Chaanba, ce sont les Souāfa, les Beni-Mezab
et enfin tous ceux qui sont nos voisins. Moi-même, à El-Goléa, j’ai été
menacé de la mort par des Chaanba qui avaient été faire leur soumission
à Alger. Je crains plus les Chaanba que les Iboguelan[264]. »

Ikhenoukhen approuva énergiquement mon avis par un « hakk »
significatif. Il me dit que c’était précisément là la différence, mais
que pour lui il n’ouvrait pas son oreille à ces mauvais bruits, et qu’il
s’était fait une ligne de conduite, dans toute sa vie, de ne faire que
le bien, de ne jamais léser le faible et de redresser les torts ; que,
puisque j’étais venu à lui, il me mènerait partout où je voudrais dans
l’étendue de son commandement.

Pour persuader encore plus le chef de notre « non-ogrerie », je lui fis
la remarque que le sultan de Constantinople, celui du Caire, celui de
Tripoli, de Tunis et de Fez étaient nos amis, comme aussi celui des
Anglais, qu’ils avaient la plupart des officiers et des industriels
français chez eux, et que nous étions sur le meilleur pied ; que si
réellement nous étions si mauvais, ces hommes puissants et éclairés ne
manqueraient pas de se tenir éloignés de nous. Ikhenoukhen fit alors une
allusion aux événements de Syrie qui me désappointa ; il me donna la
nouvelle d’une intervention anglaise et française, mais je lui objectai
que je n’avais pas de nouvelles aussi neuves. Il mentionna aussi
l’entreprise du canal de Suez dont il ne comprenait pas le but. Je le
lui expliquai en particulier au point de vue du pèlerinage de la Mekke
et lui dis que le chef de l’entreprise était un Français et l’ami intime
de mon père.

Passant à mon voyage, je dis à Ikhenoukhen que mon but était de voir le
marché de Rhat et de revenir par In-Salah. Rhat, me répondit-il, c’est
très facile, mais In-Salah, je ne peux pas mentir, ma puissance ne
s’étend pas jusque-là ; les gens du pays même ne sont pas mes amis.
Mais, ajouta-t-il : « Voilà le sultan d’In-Salah », et il me montra Si
’Othman. Othman se défendit de toutes ses forces, mais Ikhenoukhen
revint au moins trente fois à la charge pour me faire comprendre que
c’était lui qui pouvait me mener à In-Salah. Othman tint ferme.

En terminant, Ikhenoukhen me dit qu’il voudrait bien me voir recevoir de
Tripoli un firman qui recommanderait qu’on me traitât bien et que le
pacha y fît la remarque que ce qui serait fait pour moi serait fait pour
lui. Je dis au chef targui : « Bien, je vais demander ce firman, mais je
dois te dire, en toute franchise, notre amour-propre est blessé de voir
que tu nous aimes pour un autre et non pas pour nous-mêmes ».
Ikhenoukhen, prenant quelques pierres et les lançant négligemment de
côté, dit : « Les Turcs, voilà le cas que nous en faisons, nous savons
que ce sont vos esclaves ; partout où vient un conseil de vous, c’est
lui qui gouverne réellement le pays et le gouvernement turc ne peut plus
rien d’arbitraire ; nous autres, nous n’avons pas besoin du firman, mais
nous serons bien aises de le montrer à d’autres. »

Je terminai en priant Ikhenoukhen de consentir à échanger un traité
d’amitié. Il me répondit que cela ne pressait pas et que nous nous
retrouverions encore souvent. Puis, je lui fis dire par Othman que je
n’avais pas apporté de présents en nature, craignant de ne pas tomber
sur ce qui lui plairait, mais que je lui destinais 100 douros et une
bague, avec une pierre précieuse, que je lui laissais en souvenir. Il
répondit que le profit n’était rien pour lui et qu’il agissait ainsi
envers moi parce qu’il le trouvait bon (je compris plus tard que la
somme offerte lui paraissait peut-être un peu faible[265] en comparaison
des présents anglais), que du reste rien ne pressait et que ce que je
remettrais à Othman lui parviendrait. Là-dessus, nous nous saluâmes
amicalement et nous revînmes chacun de notre côté.

Dans la nuit, je prends des renseignements sur les exactions du kaïd Ali
Bey[266] et de son cousin le khalifa.

                                                                25 août.

Hier au soir, en allant voir Ikhenoukhen, j’ai remarqué que le sol de la
grande dépression où il est campé est composé, sauf une légère couche
superficielle, de cette roche terreuse, blanche et savonneuse déjà notée
dans les dunes, et j’y trouvai des planorbes et des limnées, ces
dernières un peu plus fortes que celles rencontrées au puits de Zouait.

Visite de Telingui, qui vient avec son brigand de frère et sa vieille
sœur. Telingui est toujours aussi belle et aussi gaie ; elle ne reste
pas longtemps. Je lui donne une feuille de papier pour qu’elle me la
remplisse de mots targuis en Tefînagh.

J’ai été obligé de rosser deux de mes serviteurs à coups de bâton ; ce
sont de vrais sauvages et ils ont la tête dure ! J’ai été forcé de les
menacer de mort dans le cas où ils s’en iraient. Ils trouvent le voyage
dur et s’imaginent qu’ils peuvent me planter là et s’en retourner chez
eux. Ahmed a repris la fièvre.

Les melons ont fini ; les pastèques sont à leur fin. J’achète
aujourd’hui des citrons verts pour faire de la limonade. J’ai déjà dit
qu’il y a un seul citronnier à Ghadāmès.

J’apprends que les pauvres Touareg, principalement les femmes, se
retirent à Ghadāmès ; dans chaque maison où ils se présentent et
demandent, on leur donne des vivres, de sorte qu’ils peuvent vivre sans
rien faire. C’est une coutume très ancienne, et une obligation des
Ghadāmsia qui rappelle les conditions de vie des habitants du Djérid.

L’eau d’ici est très lourde, les indigènes l’ont pesée comparativement à
celle des endroits voisins. Le moudir, moi et mes domestiques, nous
sommes à l’état permanent au _nec plus ultra_ de la diarrhée[267]. Mes
domestiques trouvent aussi l’air lourd.

                                                                26 août.

Voici la raison pour laquelle, pendant ma conférence avec Ikhenoukhen,
ce chef s’est entretenu avec Othman, à part, en targui et en riant.
Ikhenoukhen a reçu la nouvelle qu’une lettre était arrivée ici,
engageant la personne, à qui elle est adressée, à me _tuer, moi et Si
’Othman_ ou, au moins, à chercher quelqu’un qui exécutât la commission.
Or, on a dit à Ikhenoukhen que la lettre vient de Sidi Hamza, ce qui
déroute un peu Othman parce qu’il serait étonnant qu’il eût déjà reçu
avis de notre départ _ensemble_. Othman, en homme fin, me fait part d’un
soupçon que cela pourrait bien venir de Sidi Ali Bey qui aurait mis le
nom de Sidi Hamza en avant pour cacher le sien. Cela me paraît aussi
possible parce qu’Ali Bey doit savoir que j’ai donné avis à l’autorité
de ses exactions dans le Souf. Mais alors pourquoi vouloir la mort de Si
’Othman ? Je noterai ici un fait qui m’apparaît significatif
aujourd’hui : M. Margueritte, alors commandant supérieur de Laghouât, me
dit à mon retour d’El Goléa[268], lorsqu’il eut connaissance de tous les
détails de cette entreprise : « Écoutez, autant que je connais l’homme
(Sidi Hamza), je ne trouverais pas impossible qu’il vous eût envoyé une
lettre de recommandation pressante pour les gens d’El Goléa tout en les
prévenant directement de vous traiter le plus mal possible afin d’ôter
l’envie à tout autre de revenir. » En effet, il est très connu que Sidi
Hamza voudrait que nous ne vissions le Sud que par ses yeux[269]. J’ai
voulu écrire cette nouvelle, avant que son authenticité fût tout à fait
établie, afin que, dans le cas où elle serait vraie et que je dusse
succomber, l’on pût trouver dans mes papiers des indications pour tomber
sur la vraie trace du crime. Toutefois, je le déclare, cette nouvelle
m’a peu ému, et m’amuse plutôt qu’elle ne me chagrine.

On me raconte qu’Ikhenoukhen reste quelquefois deux jours sans manger
par fantazia ; il affecte de se faire apporter de bons repas et invite
ceux qui sont présents à s’attabler, refusant lui-même de rien prendre.
De même, lorsqu’il alla chez les Hoggar, il resta deux jours et une
nuit, accroupi à l’arabe, à recevoir des visites et sans demander le
temps de se reposer. Toujours par fantazia.

Si ’Abd el Aziz, qui alla à Tombouctou avec le major Laing, me dit
qu’ils prirent la route d’Inzize (partis d’Aqàbli) et que, de là, ils
coupèrent le Tanezrouft obliquement sur Am Rannān où ils prirent de
l’eau.


[Note 259 : Ceci indique que les tribus maraboutiques des Ifoghas ne
font partie ni des Azdjer ni des Hoggar, mais sont en quelque sorte
leurs intermédiaires.]

[Note 260 : Duveyrier songeait encore à explorer l’Ahaggar. Il l’avait
écrit à Barth, qui l’encourageait en ces termes : « Votre lettre me
remplit de joie ; elle me prouve que nous pouvons encore espérer vous
voir explorer le massif si intéressant des Hoggar et combler cette
lacune capitale de notre connaissance de l’Afrique du Nord... Mes vœux
les plus sincères vous accompagnent dans cette tentative grosse de
difficultés et de périls. » (Lettre du 11 juin 1860, retrouvée dans les
papiers de Duveyrier.)]

[Note 261 : Le mot douro, en Tripolitaine, s’appliquait indifféremment à
notre pièce de 5 francs, au douro d’Espagne (appelé aussi bou-medfa), et
au thaler Marie-Thérèse (appelé aussi bou-tir). Le cours de ces monnaies
variait d’ailleurs beaucoup par rapport à la monnaie de compte légale
(le mahboub = 20 piastres turques).]

[Note 262 : Temahaght ou temahaq (_Les Touareg du Nord_, p. 317).]

[Note 263 : Ismaïl Bou-Derba.]

[Note 264 : Tribu traitée de brigands par les Touareg eux-mêmes.]

[Note 265 : Duveyrier dut finalement payer quatre fois autant (2.000
fr.).]

[Note 266 : Ali Bey, kaïd de Tougourt.]

[Note 267 : L’eau de la source de Ghadāmès renferme 2 gr. 54 de sels par
litre, dont 0,38 de sulfate de magnésie et 0,90 de sulfate de chaux. Les
indigènes y sont accoutumés, mais tous les étrangers en subissent les
effets. (_Mission de Ghadāmès, Rapports officiels_, Paris, 1863, in-8,
p. 260, 326.)]

[Note 268 : Voir entre autres, sur ce séjour, _Excursion à El-Golea’a_,
_Nouv. Annales des voyages_, novembre 1859. p. 189-197 et _Bulletin Soc.
de Géogr._ Paris, 1859, XVIII, p. 217.]

[Note 269 : De très intéressantes lettres du maréchal Randon et du
général Durrieu (juin-juillet 1858) ont été publiées depuis par MM.
Augustin Bernard et le commandant Lacroix (_Historique de la pénétration
saharienne_. Alger, 1900, in-8, p. 34-37). Elles montrent quelle était
alors l’opinion dominante à Alger. Dans une lettre adressée à Duveyrier
le 27 mai 1861, le Dr Warnier donne la même note : « On sait ici à quoi
s’en tenir. Dans votre mission, me disait-on hier après lecture de votre
lettre, vous trouverez comme premier obstacle nos grands chefs
indigènes... » (Papiers de Duveyrier.)]




                              CHAPITRE IV

                        GHADAMÉSIENS ET TOUAREG


                                                                27 août.

Voici quelques renseignements sur la soie de tsámia[270].

L’insecte qui la produit vit sur le tamarinier dont le fruit est appelé
aussi tsámia en haoussa. Il émigre tous les deux ou trois ans, d’une
province du Haoussa à l’autre, pour reparaître au bout de quelque temps
dans celle d’où il est sorti. Ce ver n’est pas cultivé. Il vit sauvage
et les gens du pays attendent l’époque où il devient chrysalide pour
aller faire la récolte dans la campagne. On détache les cocons pêle-mêle
avec les chrysalides et on les jette dans de l’eau bouillante pour tuer
les insectes. C’est dans cet état que la soie est vendue à Kanō. On la
vend à Kanō par petites portions appelées nōnō de quatre ou cinq fois la
quantité que j’en possède (7 gr. 65), c’est-à-dire 34 gr. 5 et au prix
de 15-20 oud’a[271], lorsqu’elle est bon marché, ou de 50 oud’a
lorsqu’elle est chère. Les acheteurs secouent alors la soie et en font
tomber les chrysalides, et cette soie est filée à la main comme bourre ;
on ne dévide pas les cocons. Cette soie a le défaut, me dit-on, de ne
pas prendre les couleurs, cependant je vois ici des tissus du Soudan,
coton et tsámia, où cette dernière est teinte en rose. On ne fait pas de
vêtements de tsámia pure, mais de petites bandes alternatives coton et
tsámia. Les chrysalides, pilées et infusées dans de l’eau, sont un
remède contre les douleurs d’oreille ; on verse la décoction dans
l’oreille du malade. On n’apporte pas de tsámia brute à Rhat ni à
Ghadāmès.

La « nila » ou teinture bleue qui sert à teindre les cotonnades du
Soudan est estimée par les Touareg comme ornement et comme hygiénique.
Ils l’achètent ici à la livre aux Ghadāmsia et s’en frottent les bras et
les mains ; les femmes, les lèvres, les joues et le front. C’est, comme
je le dis, un ornement sans lequel un homme n’est pas considéré et une
femme n’est pas belle et, de plus, un préservatif contre le froid et un
émollient ou lénitif pour la peau.

Aujourd’hui, Othman va à Tābia où Ikhenoukhen s’est rendu de son côté,
ils ont une longue discussion avec Eg ech Cheikh[272] qui est campé là.
On discute les moyens de faire la paix avec les Hoggār ; naturellement,
il n’y aurait qu’un moyen, c’est de rendre de chaque côté les chameaux
qui auraient été volés.

                                                                28 août.

Après ma leçon de targui, Ihemma me raconte qu’à Tabia il y a une
inscription qu’un Ghadāmsi a copiée et apportée en ville que, l’ayant
montrée aux Touareg, ils n’ont pas pu la lire parce que _nos_ Tefinaghen
ne sont pas tout à fait pareils aux leurs. Ce serait donc une
inscription latine ? Ihemma a été chargé par moi de faire des
recherches.

Il me raconte qu’il y a aux environs des tombeaux des Djohāla[273] où
les Touareg vont dormir lorsqu’ils veulent avoir une inspiration, comme,
par exemple, savoir où un voleur s’est enfui, et que le lendemain, à
leur réveil, les maîtres des tombeaux leur ont dit ce qu’ils
cherchaient.

Aujourd’hui part une petite compagnie de gens du Souf qui emportent des
lettres de moi ; je crois aussi que mes lettres au Consul de Tripoli
partent aujourd’hui.

                                                                29 août.

Les Touareg ont presque tous leur amie. Ils la prônent comme les
chevaliers prônaient leur dame, et ils inscrivent sur les rochers ou sur
les murs à Ghadāmès des louanges à leur adresse en Tefinaghen. Si je
dois les croire, l’amie n’est que pour les yeux et non pas pour le lit,
comme chez les Arabes. Ils se vêtissent de leur mieux et vont causer
avec elle et là se bornent leurs relations. La nuit les Touareg veillent
longtemps ; j’entends toujours un son semblable au violon, et j’apprends
que ce sont les Targuiāt qui jouent du rebāb en s’accompagnant de la
voix ; lorsqu’une femme chante, les hommes s’accroupissent en cercle
autour d’elle et écoutent. Presque tous et toutes savent improviser.

Il y a au Dhâhara (endroit où campent les Touareg) des prostituées qui
vivent sous la tente ; je sais cela parce que j’ai aujourd’hui un malade
syphilitique et que je le questionne sur la manière dont sa maladie lui
est venue.

Je reste à la maison, prends ma leçon de targui. Ihemma me dit que sa
sœur Télingui ne pourra plus venir parce que son mari l’a beaucoup
grondée de venir me voir.

Mon cordonnier qui me fait une belle paire de souliers brodés en soie,
est situé dans le quartier des Beni-Ouazit et nous, nous sommes dans
celui des Beni-Oulid ; c’est le marché qui fait la limite entre les deux
tribus, et il n’y a jamais eu de mur entre eux, pas de سور, mais un سوڧ,
ce qui a pu causer l’erreur de C. Ritter[274]. Or, je désire avoir des
bottes molles, et j’envoie à mon cordonnier pour le prier de venir
prendre mesure ; il me fait répondre qu’il ne sortira pas pour 100.000
rials de son quartier pour venir dans le mien. J’apprends que les hommes
nobles « harār » ne sortent de leur quartier pour aller dans l’autre
qu’à de rares exceptions et qu’il y en a qui n’ont jamais vu l’autre
quartier. Ils envoient les nègres et les mulâtres en commissions.
Autrefois les deux tribus étaient ennemies, mais maintenant,
quoiqu’elles aient fait la paix, l’ancienne retenue respective existe
très forte. Les Beni Oulid ont deux chará ou rues voûtées ; les Beni
Ouazit en ont quatre.

                                                                30 août.

Les retards qu’éprouve la caravane du Touāt sont des suites de la razzia
des Oulad Ba Hammou sur les Azgar, laquelle razzia fut rattrapée à deux
jours du Touāt par Ikhenoukhen et à la suite de laquelle on parla de
rendre les chameaux enlevés de part et d’autre. Il y a ici des
Sakomaren[275], imrad des Hoggar et des Oulad Ba Hammou ainsi que des
gens d’In-Salah, mais en petit nombre. Tous ces gens craignent de se
mettre en route avant d’avoir été autorisés par Ikhenoukhen, sans cela
ils pourraient bien être attrapés en route et dévalisés. D’un autre
côté, la caravane des Ghadāmsia, conduite par les Ifoghas ne veut pas
aller au Touāt avant de voir les affaires arrangées ici, de crainte
qu’on use de représailles sur eux à In-Salah.

La nouvelle arrive que les Ourghamma sont montés à cheval pour aller en
expédition et on ne sait pas où. Ikhenoukhen part à cheval pour aller
voir où sont ses chameaux, qu’il trouve au Tabia ; tout le monde se
tient sur le qui-vive. On envoie une vigie à Mézezzem.

Ihemma a été au Tabia ce matin et a cherché partout l’inscription en
question, mais ne l’a pas trouvée. L’individu qui l’a apportée est fou
actuellement (il a plus de 150 ans, disent les Touareg).

                                                                31 août.

Aujourd’hui, dans l’après-midi, part une caravane pour le Touāt ; il
arrive depuis quelques jours des nouvelles de Tripoli.

Il paraît que chez les Touareg une femme, pour être « comme il faut »,
doit avoir beaucoup d’amis et n’en préférer aucun. Elle leur donne des
témoignages d’amitié comme, par exemple, d’écrire sur leurs voiles
rouges en broderie ou sur leurs boucliers et anneaux de bras des
inscriptions Tefinagh. Si une femme n’a qu’un ami, on se moque d’elle et
on lui dit que c’est son mari et qu’elle est pervertie. Cependant les
maris sont jaloux de la préférence et ils tueraient leur femme si celle-
ci leur disait : « Un tel est mieux que toi », à plus forte raison s’ils
apprenaient qu’elle commet des infidélités. De son côté, la femme ne
peut pas supporter de rivale, et elle divorce, car elle a ce droit,
quand elle apprend que son mari en courtise une autre. Les Touareg ne
prennent jamais une nouvelle femme sans divorcer avec l’ancienne.
Quoique la femme donne souvent son avis dans les conseils, dans le
ménage le mari est tout à fait le maître et il peut tuer sa femme, si
elle le mérite, sans que ses parents lui demandent compte de son action.
Mais d’un autre côté les parents de la femme exigent qu’elle soit bien
habillée, bien nourrie et pas délaissée.

Un Ghadāmsi estime à 3.000 le nombre des habitants de la ville y compris
les femmes ; ce nombre est bien trop faible[276].

L’impôt de Ghadāmès est de 2.500 mitcals d’or, ou bien, au taux moyen de
16 1/2 rials tounsi le mitcal, 30.937 fr. 50. Je prends des
renseignements sur la douane ; en moyenne, elle prélève ici ou à Tripoli
13 % de la valeur des objets importés du Soudan. La poudre d’or seule ne
paie rien. Les Ghadāmsia dansent dans les rues les jours de fête ; les
Touareg ne dansent jamais, ni les hommes, ni les femmes ; les tribus
assujetties des Imrad seules ont cette coutume en commun avec les
nègres.

                                                     1er septembre 1860.

Je vais de bonne heure chez un commerçant nommé Brahim ben Ahmed, qui
est revenu du Soudan au mois de Ramadhan dernier. Je m’y rends avec le
cheikh Ali. Nous sommes reçus dans une chambre haute entourée de petits
réduits à portes en bois peint en rouge et à tapisseries. La chambre est
blanchie, le parquet est couvert de nattes et de coussins touareg ; les
murs sont presque cachés par des grands plats en métal doré, cloués au
mur, et par des multitudes de petites corbeilles rondes sans anses de
toutes grandeurs. En somme, cette chambre est très jolie, et j’étais
loin de m’imaginer que les Ghadāmsia avaient un intérieur aussi
attrayant.

Nous trouvons ici rassemblées les principales marchandises du Soudan ;
j’examine chacune d’elles en détail et je prends note de sa nature et du
prix qu’elle atteint ici. Par la même occasion j’apprends que le tarif
de la douane pour les objets du Soudan n’est que de 9 % ; cependant je
dois m’informer de cela auprès de l’amine. Après le travail en question
on nous sert du thé, qu’on apporte dans une théière anglaise, et que
nous buvons avec des trempades de « biscuit ». Je m’amuse beaucoup du
jeune fils mulâtre que mon hôte a ramené du Soudan et qui ne sait pas
encore un mot d’arabe. Il y a aussi de nombreux esclaves.

’Aissa, le petit Targui malade d’un œdème, meurt tranquillement. On ne
manque pas de remarquer que j’avais prédit qu’il ne vivrait pas
longtemps.

Les caravanes qui sont parties aujourd’hui et hier peuvent avoir 300
chameaux ; ce nombre n’est pas normal ; il est causé par l’insécurité de
la route, qui régnait depuis trois mois et qu’Othman vient de faire
cesser. Les gens d’In-Salāh qui étaient ici avaient attendu trois mois
sans pouvoir partir.

                                                            2 septembre.

Je m’amuse à recueillir des notes sur les coutumes intimes des Ghadāmsia
et des Touareg.

Les Ghadāmsia ne mangent pas devant leurs femmes. Celles-ci font la
cuisine, leur apprêtent la viande et la leur servent. Les Ghadāmsia
mangent à leur gré et ne laissent que les os à leurs femmes. Ceci est
littéral ; il est même considéré comme inconvenant à une femme de manger
de la viande. Les Touareg, au contraire, mangent en compagnie de leur
épouse ; s’ils mangeaient à part, ce serait la mépriser. Ils lui donnent
même la meilleure part. Dans la viande, il y a certaines parties que les
femmes Targuiāt considéreraient comme inconvenant de manger, ce sont le
cœur, l’intestin gras ; le café aussi et le thé sont dans cette
catégorie d’aliments. Les Targuiāt, au contraire, se réservent le foie
et les reins qu’aucun Targui ne mangerait.

Quand quelqu’un meurt, on ne pleure pas chez les Touareg, on ne vient
pas comme chez les Arabes faire des visites de condoléances et des
singeries. Les Touareg disent à ceux qui pleurent dans ces occasions :
« Réserve tes larmes pour toi ». Comme aujourd’hui meurt une des proches
parentes d’Othman, vieille femme malade de la petite vérole, je puis me
convaincre qu’ils supportent très bien les pertes de leurs proches. Les
Ghadāmsia, au contraire, font le deuil à l’arabe. Les « Atrîyat »
surtout se montrent dans ces occasions. Elles courent à la maison du
mort et pleurent en disant « Ya Sidi » ! Manaaraf chey » ! etc., puis
viennent rire à la porte du mort. Elles sont de véritables pleureuses et
n’accourent que pour recevoir un peu d’argent.

Je reçois la visite de deux Targuiāt, dont l’une est Tekiddout qui doit
être ma maîtresse de Tefinagh. Elle emporte le papier et viendra demain
me donner ma première leçon. Ces deux dames sont très dégourdies et je
suis de plus en plus frappé des rapports qu’il y a entre l’esprit des
Targuiāt, leurs relations avec les hommes, leurs idées de convenance et
celles qu’ont mes concitoyennes. Tekiddout ramène si habilement son
voile (haïk) sur sa figure, que je ne puis voir ses traits, j’ai beau
user de tous les moyens possibles, je ne puis l’amener à se découvrir.
Elle donne pour prétexte que je suis jeune et beau ! Chez les Touareg,
c’est du reste une manière de montrer le respect ou la timidité que de
se couvrir la bouche, la figure entière, même de tourner le dos à la
personne à qui l’on parle.

Le soir, je reçois la visite d’Othman et d’un Arabe Kounta, de la suite
du parent du cheikh el Bakkay qui est ici et qui a épousé la fille de
Ikhenoukhen. Je suis frappé des manières polies de cet Arabe qui n’est
cependant pas de la première classe. En s’en allant et emportant le
petit présent que je lui fais, il me prie de rester assis.

                                                            3 septembre.

Aujourd’hui vient un express de Rhat qui donne de bonnes nouvelles. Le
Hadj Ahmed est retourné au Hoggar. La paix règne partout. On attend à
Rhat de grandes caravanes du Soudan.

D’un autre côté, arrive une ambassade des Ghorīb et des Merazig à
Ikhenoukhen. J’apprends à cette occasion que les Ghorīb paient à ce chef
chaque année un tribut de haoulis pour prévenir les razzias que les
Touāreg faisaient sur eux autrefois. Les Merāzig paient de même un
tribut à mon ami Othman. Or, cette fois, les deux tribus ont envoyé
leurs députés à Ikhenoukhen, et Othman en est jaloux. Nous allons voir
comment se passera cette aventure.

Je reçois la visite de Tekiddout et peu après celle d’Othman qui
reproche à cette Targuie de venir ici, mais elle paraît se moquer pas
mal de son avis. Après le départ de Tekiddout, Othman reste longtemps
avec moi et me raconte plusieurs chansons qu’il a faites ou qu’on a
faites à son sujet. J’en écris une avec sa traduction.

Les Touareg, surtout les chefs et les amateurs de femmes, considèrent
comme mal de manger d’une bête plumée ; ils ont raison en parlant de
l’autruche qui a une mauvaise odeur, mais ils n’ont pas d’excuses pour
les autres oiseaux. Les marabouts et Othman, par conséquent, mangent de
tout ce que les Arabes mangent.

Les Ghadāmsia prennent presque tous le thé, même les plus pauvres ; le
café est peu estimé d’eux.

Les Touareg ne se lavent presque jamais ; je suis fâché de le dire ; et,
comme ils ne changent pas de vêtements, la plupart exhalent une odeur
écœurante de sueur concentrée. Il y a cependant des exceptions. Ils
prétendent que l’eau ne leur va pas et leur donne des maladies. Les
Touareg prétendent, avec raison, que les villes ne leur vont pas ; en
effet, ici à Ghadāmès, il règne parmi eux des maladies nombreuses dont
les principales sont la dysenterie, diarrhée, fièvres et petite vérole.
Quant aux fièvres, il paraît que ce pays n’en est pas exempt, ainsi les
soldats qui gardent la porte sont en ce moment tous pris de la fièvre,
et ils grelottent toute la journée ; les Touareg en souffrent aussi, et
Ahmed, mon premier domestique, en a encore des attaques, surtout ces
jours derniers. Maintenant, je vais le mettre à un traitement régulier
jusqu’à parfaite guérison.

                                                            4 septembre.

Aujourd’hui partent encore environ 55 chameaux pour In-Salah. La plupart
des charges sont des cotonnades anglaises.

J’ai probablement négligé de noter une coutume des Touareg qui est de ne
jamais coucher en ville. Cela est encore considéré A’ïb ou péché, tant
pour les hommes que pour les femmes. Jamais ils ne manquent à cette
règle. Quand les Touareg arrivent à Ghadāmès, ils vont trouver leur ami
Ghadāmsi, c’est-à-dire le marchand qui leur confie ses charges de
marchandises, etc. Celui-ci sort une tente de toile ronde pour son ami
targui et la lui prête pendant tout le temps de son séjour.

Othman se moque chez moi des Merazig et des Ghorib ; les Arabes, me dit-
il, sont si avares du bien de ce monde, que l’ambassade du Nefzaoua,
composée de sept hommes, est arrivée sur trois chameaux ! Ils ont
apporté un présent de haoulis, mais tous les parents et amis
d’Ikhenoukhen viennent lui demander leur part du tribut, de sorte qu’il
n’en conservera probablement rien pour lui.

Je vais voir le moudir dans son jardin ; comme il est là, seul avec le
cheikh, il est très aimable et m’explique qu’il a des dettes
occasionnées par ses longs voyages dans les dernières années, que c’est
pour cela qu’il désire rester à Ghadāmès quelques années pour se
refaire. — Ce Turc est à crever de rire avec ses airs d’importance. Je
ne vais pas le voir qu’il ne me répète plusieurs fois avec une grimace
dégoûtée : « Mon cœur est fatigué des affaires de ce monde ».

                                                            5 septembre.

Je vais de bon matin voir Ikhenoukhen. J’ai une longue conversation avec
lui et son frère ’Omar el Hadj, au sujet de mon départ pour le Djebel.
Ils sont d’avis que je m’abstienne d’y aller, tant à cause des nouvelles
d’une expédition des Ourghamma, qu’à cause de la longueur de la route.
Ils semblent être près de leur départ. Ikhenoukhen, avec qui je parle
ensuite des affaires politiques, accepte de faire un traité avec
l’Algérie ; il conseille de ne s’adresser qu’à lui et à ses deux frères,
les autres chefs des Azgar, les Imarasāten[277], amis des Anglais en
particulier, étant en quelque sorte sous ses ordres.

Je vais ensuite voir Hadj Mohammed ou Ahmed, le plus grand commerçant de
la ville et l’homme le plus considéré, qui vient d’arriver, il y a peu
de jours, de Tripoli ; il me conseille de partir pour le Djebel,
m’assurant que j’aurai toujours le temps de trouver Ikhenoukhen ici. Là-
dessus, après être entré un instant au Medjélès, je vais faire part à Si
’Othman de ma décision et le prie d’aller trouver Ikhenoukhen pour lui
en parler.

J’apprends que Sid el Bakkay, qui a épousé une fille d’Ikhenoukhen (il
est parent de Sidi Ahmed el Bakkay de Tombouctou), est en ce moment un
peu en querelle avec son beau-père, parce qu’il voudrait que les Azgar
fissent la guerre aux Hoggar qui sont les ennemis de sa propre famille ;
or, depuis trois ans et plus qu’il est auprès d’Ikhenoukhen, il ne fait
que l’exciter à cette rupture. Ikhenoukhen a trop de bon sens pour ne
pas voir que ce serait la perte des Touareg que de suivre ce conseil ;
de la petite bouderie de la part du marabout.

J’apprends qu’un Rahti, qui est parti pour son pays il y a peu de jours,
a déclaré que jamais un Français n’entrerait à Rhat, et, comme il
parlait un peu haut dans le marché, Si ’Othman a été obligé de le mettre
au silence. Il va porter de mauvaises nouvelles à Rhat, et certainement
nous allons trouver tout le monde prévenu à notre arrivée. Ikhenoukhen
ne veut partir qu’avec tout son monde.


[Note 270 : Ceci est une réponse aux instructions du Dr Warnier. Elles
sont contenues dans une volumineuse correspondance, embrassant toute la
durée du voyage, pendant lequel Warnier n’a cessé de jouer le rôle de
Mentor. Mentor systématique et autoritaire parfois, et qui n’abdiqua pas
lors de la rédaction des _Touareg du Nord_, dont le brouillon renferme
plus d’une page entièrement raturée et modifiée de sa main. Duveyrier
souffrit de cette tutelle, et certaines de ses lettres (1867-1870) en
parlent d’un ton amer. Plus tard, il ne voulut se rappeler que les soins
dévoues du médecin, et le zele enthousiaste de l’initiateur scientifique
que Warnier avait été. « La mort, écrivait Duveyrier en 1875, efface
certains souvenirs et en ravive d’autres. Je n’ai pas besoin de vous
dire que ceux-là sont les meilleurs. » (Lettre au commandant Warnier,
frère du Docteur.) Il avait raison. Qu’on en juge par cette lettre de
Warnier (27 décembre 1859), reçue par Duveyrier à Biskra le 8 janvier
1860, et qu’on voudrait pouvoir citer tout entière :

«... Dans un voyage comme celui que vous entreprenez, un explorateur
doit se rattacher à tout ce qu’il y a de forces vives dans son pays. La
Société d’acclimatation de Paris est aujourd’hui à la tête d’un
mouvement important. Elle a créé à Alger un comité dont le domaine
embrasse l’Afrique entière. Ce comité sera heureux d’entrer en relations
avec vous, pour tout ce que le pays que vous allez explorer peut donner
et recevoir. Vous êtes sur un des points du globe les moins connus, et
si pauvre qu’il soit, il peut donner en végétaux, en minéraux, en
animaux, des choses nouvelles, utilisées ou non par les indigènes. Parmi
les choses sur lesquelles j’appelle surtout votre attention, est celle-
ci : Déterminer la limite botanique des végétaux qui appartiennent au
bassin méditerranéen, et entre autres l’olivier... Là ou finissent ces
espèces, doit commencer une région botanique nouvelle, la région
désertique, entre lesquelles peut se trouver une région intermédiaire,
la région saharienne, donnant à la fois l’hospitalité à des végétaux
méditerranéens et désertiques. Il importe à la science que ces limites
soient bien précisées... J’appelle surtout votre attention sur les
acacias producteurs de gomme... On en trouve en Tunisie, en Marokie, à
peu de distance du littoral. Où commencent-ils au sud de l’Algérie ? Où
pourrait-on les introduire ? L’Argan, commun au Maroc, se montre-t-il
dans notre Sud ?... Je vous serais infiniment reconnaissant,
_personnellement_, si vous vouliez bien m’envoyer la liste des arbres,
arbustes, avec leurs noms indigènes et lieux de station... Il y a de
nombreux tamarix, espèces nouvelles pour la plupart. Ces espèces
produisent des galles (Takaout) employées comme succédanés des galles du
chêne. — Quid ?... Avez-vous étudié avec soin le système d’aménagement
des eaux des Beni Mzab ? D’après ce que j’en sais, c’est merveilleux.
Sans aucun doute, le général Desvaux vous aura recommandé d’étudier les
lignes de fond sous lesquelles on peut espérer trouver des eaux
artésiennes ; c’est avec la sonde que la civilisation doit pénétrer dans
le Sud... J’appelle aussi votre attention sur l’action du climat
relativement à la coloration de la peau... Déterminez la limite
méridionale des civilisations qui ont pénétré dans ce continent ; vous
les trouverez indiquées par des ruines... Ne négligez pas de recueillir
des renseignements précis sur les poids, les mesures et les monnaies...
Si des règlements relatifs à l’usage des eaux tombent sous votre main,
rapportez-nous-les, soit en original, soit en copie. Recueillez ce qui
est tradition orale. La teinture et la tannerie ont atteint un certain
degré de développement : sachez nous dire quels sont les procédés de
fabrication... On a signalé dans le Sud des gisements de combustible
minéral. Tâchez de savoir ce qu’il en est... Notez également toute
rencontre d’oiseaux ou d’insectes migrateurs. Les sauterelles qui
ravagent périodiquement le Nord de l’Afrique prennent naissance dans le
Sud. Quels sont les foyers de production ?... Notez aussi la limite où
parviennent d’un côté les produits manufacturés ou les matières
premières du Nord, et de l’autre côté ceux venant du Soudan... J’ai
remarqué que la race nègre, dans ses migrations vers le Nord,
rencontrait des obstacles hygiéniques analogues à ceux de l’Européen
venant en Algérie. Enregistrez tout ce que vous apprendrez à ce sujet...
Du foyer soudanien ont dû sortir, en plantes et animaux, des espèces
originaires de ce foyer. Quelles sont-elles et quelles modifications
ont-elles éprouvées ?... Quel est l’arbre appelé en arabe tsámia, qui
produit la soie végétale du Soudan, avec laquelle on brode les
turbans ?... L’Angleterre n’a fait de si grands sacrifices pour
l’exploration de l’Afrique que pour savoir si, en cas de rupture avec
les États-Unis, ses manufactures pourraient trouver un foyer d’origine
du coton. La France aussi a intérêt à voir accroître le champ de cette
culture... Il importe donc de recueillir tous les renseignements...
Informez-vous des lieux d’où l’on tire le nitre ou azotate de potasse,
de l’importance de la production... Le soufre doit exister dans
certaines parties : — attention spéciale. » (Papiers de Duveyrier.)]

[Note 271 : Ouda, cauri.]

[Note 272 : Chef de la tribu des Imanghasaten, rivale de celle des
Oraghen dans la confédération des Azdjer.]

[Note 273 : Païens. On trouve la même superstition attribuée par
Pomponius Mela aux anciens habitants d’Augile (cf. les remarques de Duv.
_Les Touareg du Nord_, p. 415) et chez les habitants actuels de l’Aïr
(_Journ. de voyage_ d’Erwin de Bary, trad. Schirmer, Paris, 1898, p.
187).]

[Note 274 : Ritter (_Géogr. gén. comparée_, III, p. 316) avait dit qu’un
mur très large sépare diamétralement la ville, et que les deux tribus ne
communiquent que par une porte fermée à la première apparence de
trouble. Richardson (1845) et la _Relation du voyage de M. le capitaine
de Bonnemain_, publiée par Cherbonneau en 1857 dans les _Nouv. Annales
des voyages_, n’avaient ni infirmé ni confirmé cette information.]

[Note 275 : Ou mieux Isaqqamaren.]

[Note 276 : Mircher (1862) dit 6 à 7.000 (ouv. cité, p. 98) ; Rohlfs
(1865) dit 5.000 (_Quer durch Afrika_, Leipzig, 1874, I, p. 81).]

[Note 277 : Imanghasaten. Sur leur rivalité avec les chefs des Oraghen,
voir _Les Touareg du Nord_, p. 355-6 ; voir aussi Schirmer, _Pourquoi
Flatters et ses compagnons sont morts_. Paris, 1896, p. 15-20.]




                               CHAPITRE V

                          A GHADAMÈS (_suite_)


                                                            6 septembre.

Autrefois, les Beni Oulid et les Beni Ouazit étaient ennemis ;
aujourd’hui encore, ils sont loin d’être amis, et leur inimitié s’est
seulement transformée en jalousie. Encore aujourd’hui, les Beni Oulid
ont l’ouest, c’est-à-dire voyagent à Tunis et au Souf ; les gens de ces
contrées viennent aussi à eux. Ils ont aussi Douirat et Nalout. Les Beni
Ouazit, au contraire, vont à Tripoli et dans l’est et les gens de ces
contrées viennent descendre dans leur quartier.

On prétend maintenant que les seuls individus atteints de fièvres à
Ghadāmès les ont emportées soit de Derdj (les soldats), soit de Ouargla
et du Fezzan. Ceci expliquerait ce phénomène qui est singulier vu
l’élévation de Ghadāmès et la nature de son terrain[278].

On m’apporte une inscription latine. Elle est gravée sur une plaque de
grès assez tendre, rougeâtre ; le fac-similé que j’en ai fait est
exact ; elle ne présente, du reste, guère de difficultés pour la lecture
des lettres, même de celles des deux mots qui ont été martelés.
L’endroit d’où provient cette inscription, et que j’ai été voir
aujourd’hui, contient les fondations d’un édifice, sûrement l’un des
« castrorum » indiqués dans le texte de l’inscription[279]. Cet endroit
peut être déterminé de la manière suivante : En tirant une droite d’El-
Esnām à la pointe des jardins que j’ai relevés sur la gauche en venant
de Sidi Maabed, les fondations dans lesquelles on a déterré
l’inscription sont à peu près au milieu des deux points.
Malheureusement, cette inscription est incomplète. Je n’en ai sous les
yeux qu’une moitié, c’est-à-dire le milieu, auquel il manque les deux
côtés. Les côtés cassés, surtout celui de gauche, ont été polis et
travaillés, comme si on s’était servi de cette pierre pour une bâtisse
plus récente.

[Illustration : INSCRIPTION ROMAINE TROUVÉE A GHADAMÈS.

Hauteur de la pierre, 0m,52. — Largeur, 0m,26.

Les lettres des deux premières lignes ont 1 centimètre de plus que les
autres. Le trait de la gravure est brisé partout où il y a eu
martelage.]

Je dessine les chapiteaux des colonnes de la place d’El-Aouïna[280].
J’apprends que, dans la mosquée, il y en a beaucoup de semblables, mais,
quoique ce soit un sujet curieux d’études que ce monument qui a peut-
être eu autrefois une autre destination, je ne crois pas pouvoir
demander de les voir[281].

J’ai été faire une longue promenade aux Esnām et de là aux tentes des
Touareg du Dhahara. J’ai passé auprès de la cabane de paille proprette
de Tekiddout ; elle était là, par terre ; quand elle m’a vu, elle m’a
salué en riant et en mettant ses mains sur sa figure. Je vois là des
charges de chameaux arrangées par terre et je vois venir des chameaux
chargés, qui sortent de la ville. Tout cela est encore pour In-Salāh,
et, tous les jours, partent de petits partis de Touareg.

Du Dhahara, ce plateau où sont les Touareg, on a une vue très étendue
sur la Hamada vers l’est ; on voit là se dérouler cette surface déserte
et nue, avec ses différentes teintes ; des blancs éclatant au rouge
pâle, et les nombreuses « goūr » ou témoins qui la surmontent. Ghadāmès
pointe à travers les palmiers et l’on n’en aperçoit que les sommets
curieux des maisons, blanchies à la chaux ; ces coquettes terrasses
blanches ressortent d’une manière très agréable à l’œil de la verdure
foncée des palmiers.

Je rentre en ville et vais à la source où je me baigne. L’eau est
tiède ; en hiver elle fume. La source qui alimente le bassin est très
forte, car, les Ghadāmsia ayant vidé il y a quelque temps l’immense
bassin qu’elle remplit, il ne fallut à la source que trois demi-heures
pour rétablir le niveau ordinaire. Ces trois demi-heures représentent 70
qila ou mesures du petit entonnoir en līf qui, rempli d’eau et jusqu’à
ce qu’il soit vide, représente un qīla. Plus tard, je mesurerai
approximativement la capacité du bassin de la source, et obtiendrai
ainsi le jaugeage approché de la source. Des négrillons se baignaient en
même temps que moi ; ils nagent comme des chiens, refoulant l’eau
derrière eux, alternativement d’un bras et de l’autre. Ils nagent du
reste comme des poissons. La source ne renferme pas de poissons, ni de
coquillages. On y voit quelques plantes aquatiques cryptogames et des
libellules rasent la surface de l’eau. Othman vient le soir et me dit
que Ikhenoukhen ne s’oppose pas à ce que j’aille à Tripoli.

Quand les Touareg ici perdent quelqu’un, ils changent de suite
l’emplacement de leur tente.

                                                         Le 7 septembre.

Je vais voir Sid el Bakkay, le parent de Sidi Ahmed de Tombouctou ; je
lui fais présent d’un haouli de fabrique et d’une tabatière d’argent,
deux des objets que j’ai reçus du gouvernement pour faire des présents.
Je trouve un homme civilisé, qui cause de Barth (dont je lui montre le
billet)[282] et qui m’invite à aller à Tombouctou, m’assurant que Sidi
Ahmed me préserverait du mal, comme il en avait défendu mon ami. Je suis
très content de la connaissance de ce marabout ; il est très intelligent
et très convenable.

Je reçois dans la gaïla des visites de Tekiddout et de sa sœur Chaddy ;
cette dernière finit par m’avouer qu’elle a une maladie dont je lui
donne le remède. Tekiddout m’écrit sur une feuille de papier ses pensées
qui n’étaient pas tout à fait orthodoxes ; nous restons un bon moment à
blaguer, tout à fait en petit comité.

Je vais voir Hadj Ahmed ou Mohammed, et lui dis que je vais partir ; il
m’encourage à aller à Tripoli et me dit que la route est sûre.

                                                         Le 8 septembre.

Le matin, je vais voir Ikhenoukhen que j’exhorte de plus en plus à se
rendre à Alger ; il me fait entrevoir qu’il me donnera, à mon départ, un
de ses frères ; lui, ne peut pas quitter son pays à cause de l’état des
esprits.

Je reviens chez moi et reste à écrire plusieurs lettres. Dans la gaïla,
je reçois la visite d’une négresse très jolie et très richement
habillée ; elle est de Ghadāmès. Je n’ai jamais vu une personne aussi
pleine de fantazia : elle est près de mettre la maison sens dessus
dessous, mais cela m’amuse beaucoup. Comme elle était venue en compagnie
d’une voisine de traits moins délicats, elle s’en va avec elle, mais dit
à Ahmed qu’elle reviendra et qu’elle veut venir habiter près de nous. La
manière dont elle s’est introduite est curieuse. Elle dit à Ahmed dans
la rue : « Je veux voir le consul. » — « Que lui veux-tu ? » — C’est lui
qui m’a dit de venir.

Vers l’aser[283], Si ’Othman se présente et j’envoie Ahmed avec lui
remettre à Ikhenoukhen le présent que je lui destine et dont je lui ai
parlé depuis longtemps. Ce présent se compose de 100 douros (500 francs)
pour lui et de 50 douros (250 francs) pour son frère Omar el Hadj.

Ahmed revient seul. Il est resté longtemps et me raconte ce qui s’est
passé. Ikhenoukhen n’accepte pas cette somme ; elle ne lui suffit pas,
prétend-il, à nourrir sa jument un mois. Il est ici, à Ghadāmès, mal vu
par tout le monde, mal vu par les Turcs, mal vu par ses frères les
Touareg, et tout cela à cause de sa prédilection pour les Français. Il
ne mange ici que sur la ville et il a du « nif[284] » avec elle.
Pourquoi les Anglais sont-ils préférés ? C’est parce qu’ils jettent les
douros à droite et à gauche. Ils lui ont donné à lui et à ses frères 900
douros (4.500 francs) et des effets (expédition de Richardson, etc.).
Partout où les Anglais ont passé, ils ont rempli le ventre du monde. Ce
n’est qu’en les imitant que nous pourrons nous faire un parti. Lui, doit
m’accompagner à Rhat avec tous ses parents et ses amis ; il faut avancer
en forces et la somme que je lui donne ne suffit pas de loin à cette
expédition. Enfin ses compagnons sont tous venus lui demander leur part
de mon présent et il ne lui restera rien. Si nous étions venus pour
avancer avec de tels moyens, nous n’avions qu’à nous en retourner en
paix ; il nous donnerait une ou deux fois autant que cela. Les Ghadāmsia
étaient prêts à faire de grands sacrifices pour empêcher que je
réussisse. Cette nouvelle me bouleverse, et Si ’Othman ne vient pas le
soir. J’annule mon départ demain pour Tripoli.

Le moudir vient ; je le reçois comme un chien dans un jeu de quilles,
tant je suis de mauvaise humeur ; du reste, il vient pour me recommander
de lui apporter 20 litres de liqueurs, ce qui est peu délicat de sa
part. Je le force à se lever et à s’en aller.

Ikhenoukhen m’a affirmé que la nouvelle de la lettre de Sidi Hamza est
vraie. Elle a été apportée au chef des Oulād Messāoud, qui est parti
d’ici hier ; il est certain que cet homme a la lettre parce qu’il a juré
que c’est vrai. Sidi Hamza recommande de me tuer, moi et Si ’Othman ou
bien les Oulād Messāoud ne valent rien. Nous ne savons pas d’où la
lettre est arrivée, mais à coup sûr, c’est Ouled el Ghediyyēr qui l’a
apportée ou un autre Chaanbi qui nous a précédés ici de quelques jours
seulement.

                                                         Le 9 septembre.

Othman vient de très bonne heure, je l’envoie à Ikhenoukhen lui demander
quelle est la somme qu’il juge nécessaire que je lui donne. Ikhenoukhen
se refuse à parler dans ce sens et me fait prier de me rendre auprès de
lui dans la soirée. Je passe une journée très monotone ; tout le monde
me croit parti.

Le soir, je vais au camp du chef des Azgar. Il vient au-devant de nous
avec son frère Omar el Hadj. Je vois qu’Ahmed a exagéré la valeur du
discours d’Ikhenoukhen hier ; ce chef est fâché de l’impression que j’en
ai reçue. Il me dit que la somme que je lui ai donnée ne compte pour
rien chez lui, que de tels cadeaux sont ceux qu’il peut faire, lui. Tous
ses compagnons vont lui demander leur part du présent que je lui ai fait
et il ne lui en restera plus rien. Je lui répondis que, s’il en était
ainsi, je préférais ne rien décider de moi-même, et demander avis au
général gouverneur ; qu’une occasion se présentait aujourd’hui tout à
propos. Ikhenoukhen approuva cette décision ; il me demanda de faire
connaître au général l’état des choses et les services qu’il était
disposé à nous rendre, ajoutant que la réponse, quelle qu’elle soit,
serait la bienvenue. Quant à moi, il me demanda de ne pas me tracasser,
d’aller tranquillement à Tripoli et qu’à mon retour, je le trouverais
ici, et que j’atteindrais mon but de toutes façons, même sans présent.
Il insista pour me faire bien sentir que la chose qu’il craindrait la
plus au monde serait d’entendre dire qu’il eût imposé des conditions de
force à son hôte.

Je quittai Ikhenoukhen, réconcilié avec lui, et même impressionné par la
noble tournure avec laquelle il envisageait l’affaire.

Je passai la soirée à écrire des lettres qui partiront demain.

                                                           10 septembre.

Dans la matinée, je me rendis avec le Ghadāmsi, ami de ma nation, qui
m’a donné l’inscription latine, pour examiner une pierre sculptée qui
avait été déterrée l’an dernier dans des constructions souterraines tout
près d’une maison nommée Taskô[285], un très ancien bordj qui
appartenait autrefois au gouvernement, mais que Hadj Mohammed Heika a
acheté[286].

Le moudir m’envoie un billet en me priant de lui rapporter de Tripoli 28
bouteilles de liqueurs ; je m’empresserai de ne pas exécuter cette
modeste commission.

Il arrive une nombreuse caravane de Tripoli ; je ne note pas tous les
arrivages de ce côté, j’aurais trop à faire.

Nous avons une nouvelle curieuse. Les Ourghamma sont réellement allés en
expédition. Ils ont attaqué près de Sinaoun la caravane qui avait amené
Hadj Ahmed ou Mohammed, et qui retournait vers Tripoli. Ils ont emmené
les chameaux, mais les gens de Sinaoun sont partis à mehara et ont
rattrapé le _rhezi_ près de son pays ; ils sont tombés sur six
cavaliers, pendant que les autres étaient allés faire boire leurs
chevaux, et ont enlevé tout le butin et, je crois, les selles des
cavaliers.

                                                           11 septembre.

Je reprends l’étude de la langue targuie. Tekiddout me trouve trop peu
généreux, au moins le prétend-elle, et prétexte toutes sortes
d’occupations pour ne pas se charger de m’écrire de nouveaux papiers.
Ihemma m’a trouvé une autre femme jeune, jolie, blanche et modeste qui
vient avec lui ; elle a, de plus, la qualité de ne pas comprendre un mot
d’arabe. Elle me promet de revenir et de m’apporter de l’écriture
tefīnagh. Elle l’écrit avec de l’ocre rouge et de l’encre.

Othman vient me demander des médicaments pour la femme d’Ikhenoukhen ;
ce chef la répudie, mais elle vit toujours à ses côtés avec ses enfants.
Elle me demande un collyre pour les yeux et de la quinine.

Le _qadhi_, qui est un gros homme bien modeste et assez bon, je crois,
m’envoie un bout de papier sur lequel est copié ce passage d’un livre
musulman, passage relatif à Ghadāmès[287].

« Ghadāmès est dans le Sahara à sept journées (de marche) du Djebel
Nefousa. C’est une jolie ville, ancienne et antérieure à l’islamisme.
Les peaux dites _ghadamsi_ tirent leur nom de cette ville. On y trouve
des souterrains et des grottes[288] qui servirent de prisons à la reine
Kahina qui régna en Ifriqiya. Ces souterrains ont été édifiés par les
anciens. Ce sont de merveilleuses constructions et leurs voûtes,
établies au-dessous du sol, font l’étonnement du spectateur. En les
examinant, on voit qu’elles sont l’œuvre de souverains anciens et de
nations aujourd’hui disparues.

« Le pays n’a pas toujours été désertique et il a été autrefois fertile
et peuplé. Le comestible qu’il produit en plus grande abondance est la
truffe, appelée par les habitants _terfâs_. Elles deviennent si grosses
dans ces régions que les gerboises et les lièvres y creusent leurs
gîtes.

« Ghadāmès est le point d’où on se rend à Tadmekka et autres localités
du Soudan qui en est située à quarante jours de marche. Les habitants
sont des Berbères musulmans ; ils portent le voile à la façon des autres
Berbères du Sahara, tels que les Lemtouna et les Messoufa. »

Ici se termine le passage extrait du livre intitulé : _Erraudh el-miʿ-
ṭâr fi akhbâr el-aqṭâr_ dont l’auteur est Abd-Ennour el Ḥimyari el
Tounsi. Ce passage a été transcrit par Mohalhil el Ghadāmsi dans son
ouvrage intitulé : _Menâqib Ech-cheikh Sidi Abdallah-ben-Abou-Bakr El-
ghadamsi_.

Autant que ma mémoire est fidèle, ce passage est le même que celui de
l’anonyme du sixième siècle de l’hégire publié à Vienne, par M. Alfred
de Kremer. S’il en était ainsi, nous aurions le nom de l’auteur de ce
livre, lequel nom est jusqu’à présent inconnu.

                                                           12 septembre.

Je vais faire une longue promenade ce matin. Je m’enquiers d’abord de la
santé de Sid el Bakkay auquel j’enverrai des médicaments ce soir. De là,
je me rends aux tentes des Targuiāt ; j’en trouve une couchée, malade
d’un anévrisme (cette affection serait-elle commune chez les Touareg ?)
et ayant des hémorragies par le nez. De là, je me rends à la zériba de
Tekiddout, j’y trouve le moutard malade, qui va un peu mieux, avec son
père Kel es Soūki[289] qui a été à Alger ; mais les dames sont absentes
et je n’ai pas ce que je désirais le plus. J’examine leur intérieur ; il
y a une natte assez proprement arrangée dans un coin et formant chambre,
où l’on doit être à peu près chez soi. Je vois là la rebaza que la
célèbre courtisane sait si bien manier. Le corps du violon et l’archet
sont couverts d’inscriptions tefinag qui viennent de la main de ses
auditeurs. Un certain nombre de vases, en gourdes et en nattes, complète
l’ameublement ; la cuisine est dans un coin à l’extérieur et elle est
garantie par un mur.

Là commence le cimetière des Beni Ouazit. C’est quelque chose
d’effrayant que l’immense espace couvert des tombeaux de cette moitié de
la population de la ville. Il y en a de tous les âges, depuis la période
païenne jusqu’à nos jours. Les plus récents sont indiqués par deux
pierres droites peu élevées, situées à la tête et aux pieds du mort.
L’espace qui sépare ces pierres est limité par une petite ligne de gros
cailloux de chaque côté du corps, les deux lignes sont très resserrées.
Puis viennent des tombeaux plus anciens ; les pierres à la tête et aux
pieds deviennent très grandes, elles atteignent, en certains endroits,
hauteur d’homme. J’ai cherché en vain sur leur surface des signes ou des
dessins : je n’y ai rien trouvé ; ces tombeaux datent, selon la
tradition, d’avant l’islamisme. Puis viennent enfin les plus anciennes
sépultures, beaucoup plus vastes que les précédentes ; elles affectent
des formes ovales, rondes ou carrées (quadrilatères allongés) ; on n’y
remarque plus des pierres droites, mais des enceintes très bien
déterminées et des fondations solides et soignées. Quelques-uns de ces
tombeaux ronds sont indiqués par une bosse de terrain avec des débris de
constructions et forment ainsi des tumulus[290]. Les tombeaux portent le
cachet d’une haute antiquité et sont très intéressants ; je reviendrai
les étudier. Ils m’ont vivement rappelé les petites enceintes que Mac-
Carthy et moi avons rencontrées en 1857 sur la route de Taguin à Boghar.
Mais ces dernières n’avaient pas l’air aussi soigné que celles de
Ghadāmès.

Nous traversons les routes de Tripoli et des endroits entourés de murs
en démolition qui indiquent la place d’anciens jardins, aujourd’hui tout
à fait détruits et abandonnés. Nous laissons à droite El Bir,
construction de pierre assez remarquable, et entrons dans la _ghaba_. Je
remarque un amandier. Nous rentrons en ville après avoir traversé une
partie des rues qui m’étaient inconnues et où je rencontre des
chapiteaux de colonnes et des colonnes carrées, des pierres plates,
etc., toutes de constructions et de travail anciens.

Māla, ma gentille amie targuie, m’apporte de l’écriture tefinagh et me
l’explique avec Ihemma. J’envoie à Moussa, frère de Kelāla, un des
jeunes champions les plus puissants d’Ikhenoukhen, un cadeau consistant
en un haouli de fabrique, rouge, pour femme (acheté d’Othman) et un haïk
de fabrique, blanc, pour homme.

                                                           13 septembre.

Je retourne aux tombeaux. En passant, je vois Sid el Bakkay, mais le
trouvant très occupé, je le laisse avec son entourage, Omar el Hadj,
etc., et je continue mon chemin. Je lui laisse des médicaments pour lui
et pour son domestique ; entre autres, de l’aloès enveloppé de papier de
plomb. J’apprends ensuite qu’il a mangé le médicament et son enveloppe.

Je remarque sur le rebord de la hamada, en haut de l’immense cimetière,
des marques très anciennes creusées dans le roc ; ce sont des trous
ronds très régulièrement creusés, en nombre inégal, sur les pierres
plates ; ces trous forment autant de petits réservoirs ou bols dans
lesquels les moutards Touareg s’amusent à pisser, mais qui n’ont pas dû
avoir toujours la même destination. Je remarquai ensuite des tracés de
contours de sandales ou de souliers, plutôt les premières. Si je me
souviens bien, la pointe était dirigée vers la ville, c’est-à-dire vers
l’est et, ces contours de sandales rapprochées, telles que celles d’un
homme debout, et ces petits réservoirs, pourraient bien indiquer la
place où se tenait un homme et celle où il sacrifiait aux mânes des
morts du cimetière.

Je remarque en examinant de plus près les tombes que celles qui sont
indiquées par une pierre à la tête et une aux pieds du mort, quelque
grandes et pointues que soient ces pierres, sont toutes musulmanes ; en
les regardant bien, je découvre quelques fragments d’inscriptions arabes
indiquant les noms des principaux personnages, nous remarquons ceux de
femmes maraboutes, et celui d’un Es Soūqi, ancêtre de Si ’Othman. Les
grandes tombes carrées et celles qui sont arrondies surtout doivent
seules avoir une antiquité antérieure à l’Islam.

En sortant de cet amas de tombes, nous arrivons, toujours dans la
dépression où la ville est bâtie et où se trouvent aussi les cimetières,
à un endroit où le sol se compose d’une pâte cristalline légère de
plâtre[291]. C’est là un des endroits où on l’exploite, c’est-à-dire où
l’on en extrait. Cette roche est identique à celle qui se retrouve
partout dans l’Oued Righ, et principalement au puits d’El Hachchāna près
de Chegga du Sud.

Nous montons la hamada qui ne domine Ghadāmès que de 3, 4 mètres de ce
côté. Le sol est composé de pierres très grosses et d’autres plus
petites semées sans ordre et s’appuyant sur le plateau. La couleur du
calcaire varie du blanc au brun et au gris de rouille. Je découvre des
empreintes de différents bivalves, notamment d’une coquille à côtes
(_griphus_)[292].

D’ici, nous plongeons directement sur El-Esnām, laissant à droite assez
loin, le Dhahara avec les tentes des Touareg. Nous rencontrons des
tombeaux d’un autre ordre et d’une antiquité moins incertaine ; ils
ressemblent en tout à ceux des environs de Djelfa que je visitai en 1857
avec Mac Carthy et le Dr Reboud. Ce sont de petites enceintes en grandes
pierres plates, ouvertes par une des petites extrémités et qui devaient
être autrefois recouvertes par d’autres pierres plates. Ces tombeaux ne
me paraissent pas devoir renfermer un homme étendu, mais bien dans une
position repliée, assis, accroupi ou autrement. La plupart de ces
sépultures ont été fouillées ; nous-mêmes en creusons une et sortons
quelques ossements et un petit morceau de cuivre qui devait faire partie
d’une parure indigène. Les tombeaux de ce genre, de différentes
grandeurs, sont fréquents ; et on les trouve dans différents degrés de
conservation. Ihemma m’assure qu’à Rhat, il y en a et que l’on en
rencontre quelquefois en plein Sahara[293].

En approchant d’El-Esnām, les hautes constructions du plateau, Ihemma me
raconte que, près des piliers immenses, se trouvent des tombeaux en
forme de buttes sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher
lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient des
nouvelles. Elles se paraient de leur mieux et allaient se coucher sur le
tombeau ; alors venait « idébni », esprit, sous la forme d’un homme, qui
leur racontait ce qui s’était passé dans l’expédition. Si elles
n’étaient pas bien parées, il les étranglait. Ces révélations ont lieu
en plein jour et on me dit qu’elles sont toujours vérifiées[294]. Les
Touareg, du reste, sont très superstitieux ; ils n’osent pas se
présenter seuls à la tombe d’un de leurs amis de peur qu’il ne revienne.

Dans la soirée, j’ai un exemple de la liberté des relations qu’il y a
entre les Touareg. Ihemma, qui a à peine vingt ans, conseille à Othman
qui en a près de soixante, de ne pas sentir du camphre que je lui
offrais de crainte qu’il ne perdît ses forces sexuelles en lui disant
que Tekiddout prétendait qu’il était l’amant d’une femme qu’il nomma.
Othman assura que ce n’était pas vrai et ne fit aucun reproche à Ihemma
de son observation.

Les Ifoghas, qui écoutent les conseils d’Othman, et lui obéissent en
quelque sorte, sont exaspérés de la conduite des Mérazig[295] qui
devaient apporter leur tribut à Othman ; ils parlent d’aller les
razzier.

La rebazā, cette espèce de violon ou de violoncelle des dames targuies,
forme un point important de la vie de ces gens. Tous les soirs,
j’entends jouer de cet instrument ; hier des Imrhad chantaient. Lorsque
les Touareg se battent entre eux et qu’un parti est mis en déroute, les
vainqueurs crient avec ces cris sauvages qui sont particuliers aux
Touareg : « Hé ! Hé ! Il n’y a donc pas de rebazā ? » Alors il est rare
que les vaincus ne reviennent pas à la charge avec fureur. La crainte du
qu’en-dira-t-on des femmes a une grande influence sur les Touareg.

                                                           14 septembre.

Aujourd’hui, je ne fais pas de promenade ; j’ai une longue leçon de
tefinagh avec Mala et Ihemma. Mala est toute jeune, sans méchanceté ni
préventions et très jolie. Pendant la leçon, je m’amuse avec son petit
pied et, après la leçon, quand Ihemma s’en va, j’échange plusieurs
baisers avec elle. Nous sommes donc très bons amis. Elle m’a promis de
revenir à mon retour et de me jouer ici de la rebazā.

Dans l’après-midi, je travaille à emballer ; j’arrange dans ma chambre
les objets que je laisse et je mets dans les cantines le peu de bagages
que j’emporte.

Je vais, le soir, avec Othman voir Ikhenoukhen, qui vient avec son
frère ; j’apprends que j’ai maigri depuis mon arrivée. C’est le chef des
Azgar qui me fait cette remarque. Je décide Ikhenoukhen à écrire au
général gouverneur de l’Algérie. Ikhenoukhen me dit adieu et me dit que
tout sera facile, faisant allusion probablement à mon voyage à Rhat. Je
dis à Si ’Othman ce qu’il faudrait écrire dans la lettre.

                                                           15 septembre.

Emballage et départ pour Tripoli.


[Note 278 : Rohlfs y mentionne cependant des moustiques (_Quer durch
Afrika_, I, p. 74).]

[Note 279 : Duveyrier donne ici au mot _castrorum_ un sens trop précis.
Cf. au sujet de cette inscription la lettre suivante de Tissot, à qui
Duveyrier avait communiqué son estampage : «... Grâce à l’estampage,
j’ai pu corriger quelques incertitudes qui se sont glissées dans le fac-
similé (ceci pour votre seconde édition). Le P de la 2e ligne est
certainement un D. L’antépénultième lettre de la 6e ligne est un P.
(J’ai obtenu une image très exacte et directe de l’estampage en la
posant sur un lit de farine : les moindres détails sont alors moulés
comme certains lézards le sont dans le sable du Sahara). En cherchant à
restituer l’inscription tout entière et en calculant le nombre de
lettres absentes, j’arrive à la lecture suivante :


  Imp. CAES. M. AVRELio Severo

  AleXANDRO. PIO. FELici Aug.

  et iuliAE MAMMEAE. AVG. matri

  aug. et CASTRORUM. SVB cura M. ul

  pii Maximi ? LEG. AVG. PR. PR. CV. VEX illatio

  leg. iii Aug.      SEVERIANÆ PER. .

  . . . . . . . . . . VM] LEG. EIVSDEM

  . . . . . . . PERFECIT.


A l’Empereur César M. Aurélius Severus Alexander Pieux, Heureux,
Auguste, et à Julia Mammaea Auguste, mère d’Auguste et des Camps. Par
l’ordre de M. Ulpius Maximus (?) Légat Propréteur d’Auguste, personnage
clarissime, le détachement de la Légion Troisième Auguste Pieuse,
Vengeresse, commandé par..., Centurion de la dite Légion, a achevé [ce
monument].

« Nous connaissons trois légats propréteurs d’Afrique sous Alexandre
Sévère : le nom qui m’a paru convenir le mieux, eu égard à la place
disponible, est celui que j’ai fait figurer à titre purement
hypothétique dans la restitution. » (Lettre du 7 avril 1879). Voir aussi
le texte définitivement adopté par MM. R. Cagnat et J. Schmidt (_C. I.
L._, VIII, Suppl. Pars I, 10990).

Quant à la nature de ces ruines, Duveyrier a été plus tard beaucoup
moins affirmatif. On lit sur un brouillon de lettre à M. Cagnat : « Dans
_Les Touareg du Nord_, p. 252-3, j’ai eu tort de m’exprimer comme si le
camp de Ghadāmès était une réalité vue ; j’ai supposé que Cidamus devait
avoir possédé un camp. Voilà tout. » Comme l’a établi M. Cagnat
(_L’Armée romaine d’Afrique_, Paris, 1892, p. 555), on ne peut douter de
l’existence de la forteresse romaine. Mais son emplacement reste
incertain.]

[Note 280 : Cf. _Les Touareg du Nord_, pl. X.]

[Note 281 : En 1864, Rohlfs, voyageant comme mokaddem de l’ordre de
Mouley-Taïeb d’Ouezzan, a pu pénétrer dans les mosquées de Ghadāmès.
« Toutes, comme j’ai pu m’en assurer moi-même, reposent intérieurement
sur des colonnes romaines, qui toutefois sont disposées pêle-mêle, sans
ordre aucun : ici une colonne dorique à côté d’une colonne corinthienne,
là une colonne ionique à côté d’une colonne dorique, etc. » (_Reise
durch Marokko und Reise durch die grosse Wüste_, 4e édit., Norden, 1884,
in-8o, p. 245-6.)]

[Note 282 : Recommandation de Barth pour le cheikh el Bakkay de
Tombouctou.]

[Note 283 : Deux à trois heures avant le coucher du soleil.]

[Note 284 : Avoir du nif avec quelqu’un signifie « être en délicatesse
avec lui ». Au propre, _fin_ veut dire _nez_ et, métaphoriquement,
_amour-propre, susceptibilité_. (O. H.)]

[Note 285 : Taskô est le nom d’une des rues de Ghadāmès. (Voir _Les
Touareg du Nord_, p. 262 ; _Mission de Ghadāmès_, p. 99.)]

[Note 286 : Voir le dessin et la mention de ce bas-relief dans _Les
Touareg du Nord_, pl. X, p. 250-251. Le journal donne quelques détails
complémentaires : « La hauteur de la pierre est d’un peu moins de 55
centimètres et la largeur de 50 centimètres à peu près. Les accidents
ont rendu incertains plusieurs des contours, principalement la figure
des deux personnages. »]

[Note 287 : Ce passage, traduit par M. le professeur Houdas, est en
arabe dans le manuscrit de Duveyrier.]

[Note 288 : Ce mot doit être entendu dans le sens de cavité souterraine
artificielle ; il sert à expliquer le synonyme précédent d’un usage
moins courant (O. H.).]

[Note 289 : De la tribu des Kêl es Soûk.]

[Note 290 : Cf. E. de Bary, _Senams et tumuli de la chaîne de montagnes
de la Tripolitaine_, trad. du Dr Dargaud, _Revue d’Ethnographie_, II,
1883, p. 426-437 ; — Foureau, _Mission chez les Touareg_. Paris, 1895,
p. 8, 34-35, 102, etc. ; G. Mercier, _Les mégalithes du Sahara_, Rec.
des Notices et Mém. Soc. d’archéol. de Constantine, 1900, p. 247, etc.]

[Note 291 : Voir l’analyse, _Touareg du Nord_, p. 47.]

[Note 292 : Cf. _Les Touareg du Nord_, p. 47 ; Vatonne, _Mission de
Ghadāmès_, p. 268-269. Ces bivalves n’ont pu être déterminés.]

[Note 293 : Voir Tissot, I, p. 499-501 ; Erwin de Bary. trad. Schirmer,
p. 41-42 ; Rabourdin, _Documents relatifs à la mission Flatters_, Paris,
1885, p. 256.]

[Note 294 : Cf. Erwin de Bary, trad. citée, p. 187-188.]

[Note 295 : Tribu du Nefzaoua, ayant pour centre l’oasis de Negga et
fréquentant le marché de Ghadāmès.]




                                 ERRATA

                               * * * * *


  Page  11           _au lieu  _dhomran_,  _lisez :_ _dhomrân_.
                       de :_

   —    18               —     سڢش             —     سڢشى (O. H.).

   —     — ligne 11,     —     _soufar_,       —     _sefâr_.

   —    20 ligne 4,      —     El Benib,       —     El Bouïb (O. H.).

   —    22               —     نصر صن الله     —     نصر من الله (O.
                                                     H.).

   —     —               —     اله لا اله      —     لا اله الا الله
                                                     (O. H.).

   —    26 ligne 13,     —     Insalah,        —     In-Salah.

   —    26 dern.         —     en Arabes,      —     en arabe.
           ligne,

   —    34 ligne 18,     —     _lebīn_,        —     _lebbîn_.

   —    40 note 74       —     Entonnoir,      —     Dépression (O.
                                                     H.).

   —    42 ligne 15,     —     Hamamma,        —     Hammama.

   —    43 note 78       —     ذصان            —     ذمران (O. H.).

   —    48 note 84       —     _Zegzeg_,       —     _Zefzef_ (O. H.).

   —    57 av.-dern.     —     Oumel           —     Oumm el (O. H.).
           l.

   —    58 ligne 37,     —     Si Ali          —     Si Ali Saci.
                               Sari,

   —   101 ligne 1,      —     La tribu,       —     Le tribut.

   —   111 ligne 8,      —     lecrīma,        —     berima (O. H.).

   —   111 ligne 10,     —     صبل             —     طبل (O. H.).

   —   112 ligne 33,     —     احن َڢم         —     احناڢم (O. H.).

   —   120 ligne 13,     —     غكلن            —     غدران (O. H.).

   —   127 note 189      —     Duocyries,      —     Duveyrier.

   —   128 lignes 6      —     Merd-jadja,     —     Merdjadja (O.
           et 19,                                    H.).

   —   131 note 195      —     ٮادج            —     حلاج (O. H.).

   —   137 ligne 20,     —     Ia chïfā        —     Ya chïfā (O. H.).

                                                  {  (tellis) sac
                                                  {  pour mulet ou
                                                  {  cheval.
   —   140 note 214      —     Toile de        —  {
                               bât,               {  (guerara) sac
                                                  {  pour chameaux
                                                  {  (O. H.).

   —   144 ligne 8,      —     Abed el         —     Abd el Qader (O.
                               Qader,                H.).

   —   146               —     _ouran_,        —     _ourân_.

   —   150 lignes 1      —     Roubaaya,       —     Roubayaa.
           et 9,




                                ADDENDA

                               * * * * *

P. 53, 81 : travaux hydrauliques dans le Sud tunisien : Cf. les études
du Dr Carton dans _Bull. archéol. du Comité des Travaux hist._ 1888 et
_Rev. tunisienne_, III, 1896, p. 281 ; Gauckler, _Enquête sur les
installations hydrauliques romaines en Tunisie_, II, Tunis, 1903.

P. 56 : ruines de l’Oued Zitouna : M. le capitaine Privé qui a étudié
cette région de 1881 à 1884, a signalé les restes de trois _oppida_ au
débouché des gorges du Zitouna. (Cf. pour l’extension progressive de la
colonisation romaine vers le Sud, J. Toutain, _Note sur une inscription
trouvée dans le Djebel Asker au Sud de Gafsa_ (_Bull. Archéol. Comité
Trav. hist._ 1903, p. 202-205).

P. 57, note [100] : Dans un mémoire très important (_Notes et documents
sur les voies stratégiques et sur l’occupation militaire du Sud tunisien
à l’époque romaine, par MM. les capitaines Donau et Le Bœuf, les
lieutenants de Pontbriand, Goulon et Tardy_, _Bull. archéol. Comité
Trav. hist._, 1903, p. 272-409), M. J. Toutain a groupé tous les
renseignements recueillis depuis sur les routes de la région des chotts
(routes de Tacape au Nefzaoua, p. 289-303, 336). Voir aussi Gauckler,
_Rapport sur l’exploration du Sud tunisien en 1903_, _ibid._, 1904, p.
149-150 : route de Capsa à Turris Tamalleni.

P. 65 : El Hamma : il y a en réalité dans l’oasis deux bourgs : El Ksar
et Dabdaba, et deux villages : Zaouïet el Mehadjba et Sombat (ce dernier
tout récent). Sur El Hamma et le caractère de ses habitants, voir la
notice anonyme parue dans la _Revue tunisienne_, X, 1903, p. 424-436 :
_Les Beni-Zid et l’oasis d’El Hamma_.

P. 66 : El Hamma : P. Blanchet (_Mission archéologique dans le centre et
le sud de la Tunisie_, _Archives des missions scient. et litt._, IX,
1899, p. 145-146) a donné des détails sur les sources et les restes de
construction romaine.

P. 72-3 : Hareïga et Sagui : Cf. Toutain, art. cités, _Bull. archéol.
Comité 1903_, p. 205-7, 287-8 ; _ibid._, 1904, p. 129, 142, 146 ;
Gauckler, _ibid._, 1904, p. 146-149 : route de Tacapes à Capsa ;
149-150 : route de Tuzurus à la côte par le Sagui.

P. 74 : milliaire d’Asprenas : voir sur un autre milliaire du même
proconsul, capitaine Hilaire, _Reconnaissance du segment Tacape-Thasarte
de la voie romaine_, etc. _Bull. archéol. Comité_ 1899, p. 542-555.

P. 75 : Henchir Somàa : Cf. Tissot, II, p. 657-8, et capitaine Donau,
_Note sur une voie de Turris Tamalleni à Capsa et sur quelques ruines
romaines situées dans le Blad Segui_, _Bull. Archéol. Comité_, 1904, p.
356-359.

P. 80 : inscr. de Gafsa : ces textes n’ont pas été retrouvés dans le
manuscrit.

P. 96 : inscr. I : voir pour la suite de cette inscr. (dédicace à Trajan
par L. Minicius Natalis, légat de la légion IIIe Auguste), Tissot, II,
p. 532 ; _C. I. L._, VIII, 2478=17969.

P. 103, 107 : Oued el Arab : Cf. _Enquête administrative sur les travaux
hydrauliques anciens en Algérie, publiée par les soins de M. S. Gsell_,
_Bibl. d’archéologie africaine_, fasc. VII, Paris, 1902, in-8, _Rapport
de M. le Lt Touchard_, p. 104-114 et croquis.

P. 194 : ligne 4 : Le manuscrit porte ici la mention suivante : « Cette
inscription, que je vais envoyer à Tougourt, est très importante, étant
la seule qui ait été trouvée à Ghadāmès jusqu’à ce jour. (Faux !) »
Duveyrier fait évidemment allusion à Richardson ou à l’inscription
publiée en 1847 par Letronne et reproduite depuis dans le _Corpus I. L._
(VIII, 2). Letronne la tenait de M. de Bourville, chancelier du consulat
de France à Tripoli, qui l’avait reçue lui-même d’un Arabe. Cette copie
était si défectueuse, qu’on n’en pouvait lire que les deux premiers
mots : _Diis Manibus_ (_Revue archéol._, 1847, p. 301-302.)

Le _Corpus_ (VIII, 2) cite en outre ce passage de Letronne : « Je tiens
de M. de Bourville qu’un M. Richardson, agent, disait-on, de la Société
pour l’abolition de l’esclavage, se rendit à Ghadāmès vers la fin de
juin 1845. Après y avoir séjourné peu de temps, il en revint et remit au
consul général d’Angleterre à Tripoli un marbre portant une inscription
latine et une figure d’homme en bas-relief, probablement un monument
funéraire, qui est peut-être encore à présent au consulat ; M.
Richardson déclara qu’il existe à Ghadāmès plusieurs monuments
analogues. »

Voici comment s’exprime Richardson lui-même : « This Kesar En Ensara
(les Esnam), together with the bas-relief, and the latin inscription,
copied by a Moor from a tomb-stone, beginning with the words _Diis
Manibus_, are more than sufficiant evidence to prove that Ghadāmès was
colonized. The same Moorish prince who blew up the ruins, carried away
also to Tripolis the tomb-stone, from which a Moor copied the
inscription, and which transcript I brought with me from Ghadāmès ».
(_Travels in the Great Desert of Sahara_, I, Londres, 1848, p. 356.) —
On lit d’autre part dans un rapport de Richardson au Foreign Office (_An
Account of the Oasis and City of Ghadames_), p. 18 : « I have however in
my possession a copy of a Latin inscription, said to have been found in
a tomb, but so badly copied as to be almost illegible. The tablet of
stone was taken away some thirty years ago by an officer of Yousef
Bashaw. Also I have a slab, on which there is a very rudely sculptured
relief of a Greek or Roman soldier, holding, apparently, a horse ; but
only the forepart or the animal remains, the rest is broken off. I will
send you this the first opportunity, and if of any value, it may be
presented to the British Museum. » Ces deux textes prouvent que
Richardson n’a connu et rapporté de Ghadāmès qu’une seule copie
d’inscription latine, copie illisible, à part _Diis Manibus_, tout comme
celle de Letronne, et que Richardson ne s’est pas donné la peine de
reproduire dans son ouvrage. On peut se demander s’il ne faut pas
rapporter les deux copies susdites à un seul et même modèle, qui serait
à chercher à Tripoli. En tout cas, la note de Letronne pourrait
disparaître d’une nouvelle édition du _Corpus_, sans que ce magistral
recueil risque de paraître moins complet.




                                 INDEX
           DES NOMS GÉOGRAPHIQUES ET DES PRINCIPALES MATIÈRES

                               * * * * *


  Abadiâ, 15.

  ’Adouan, 15, 101, 125.

  Affadē, 3.

  ’Aïn ed Daouira, 10.

  ’Aïn el Magroun, 65.

  Aïr, 172, 174.

  ’Amich, 15, 117, 125, 136, 143, 144.

  Areg-el-Miyet, 12.

  ’Atrya, 162, 163, 187.

  Azzaba, 116.

  Baghdad, 7.

  Bagirmi, 3.

  Bambara, 3.

  Belidet el Hadar, 50, 56, 84.

  Belīd Oulad Mehanna, 65.

  Beni Brahim, 22.

  Beni-Djellab, 112, 114, 116, 129, 133, 135.

  Beni Mâzigh, 165.

  Beni Mezab, 23, 116, 131, 141.

  Beni Ouaggin, 23.

  Beni Ouazit, 184, 192, 200.

  Beni Oulid, 184, 192.

  Beni Sisin, 22.

  Beni Zid, 64, 66.

  Berrāri, 28.

  Berresof, 148-150.

  Besseriani, 37, 94-98.

  Biskra, 3, 4.

  Blidet-Amar, 28.

  Bornou, 3.

  Chaâmba, 18, 22, 26.

  Chebika, 88.

  Chegga, 8, 9, 114, 136.

  Chemorra, 29, 135.

  Chott El Djerid, 57, 58, 59, 72.

  Chott El Rharsa, 87.

  Chott Melghigh, 10, 110, 114.

  Commerce de Ghadāmès, 166, 168, 170, 172, 174, 185-189, 192, 194, 199.

  Commerce du Souf, 16, 120-123, 139, 173-174.

  Degach, 51.

  Dendouga, 114.

  Derge, 3.

  Dhahâr, 110.

  Dhahâr el ’Erg, 155.

  Djebel Sebaa Regoûd, 54, 85.

  Djebel Tebaga, 63.

  Djedid, 152.

  Djérid, 15, 16, 46-56, 82-86, 121-122.

  Doura, 3.

  Dunes, 10, 11, 12, 14-18, 20, 27, 34, 35, 39, 40, 47, 93, 118, 127,
  136, 145, 148, 151, 152, 154-157.

  El ’Aliya, 5.

  El Barĕd, 115.

  El Esnām, 164.

  El Faïdh (plur. El Feyyād), 102, 106, 107.

  El Goléa, 23.

  El Guettār, 77, 78.

  El Hamma, 52, 82, 83.

  El Hamma (Nefzaoua), 52, 65, 66.

  El Hanoūt, 89.

  El Haouch, 109.

  El Menzel, 68.

  El Oued, 15, 16, 36, 117, 119, 139.

  Ez Goum, 123-125.

  Farfaria, 108.

  Felata, 3.

  Ferkān, 101-102.

  Fièvres, 30, 32, 42, 51, 52, 87, 100, 113, 127, 133, 135, 136, 137,
  154, 169, 189, 192.

  Fouānīs, 114.

  Gabès, 67, 70.

  Gafsa, 79, 81.

  Ghadāmès, 16, 119, 121-123, 141, 160-204.

  Ghamra, 12, 116, 128, 143.

  Ghomerācen, 70.

  Ghorib, 119, 138, 188, 189.

  Guebba, 52

  Guemâr (Gomar), 12-15, 125.

  Hadamoua, 3.

  Hammâm Salahīn, 5.

  Hammama, 43, 44, 45, 48, 56, 63, 87, 89, 99, 100.

  Haoussa, 3, 9.

  Harazlia, 16.

  Hareīga, 72.

  Henchir es Somăa, 75.

  Ifoghas, 172, 203.

  Imanghasaten, 190.

  In-Salah, 26, 177, 185, 187, 189, 194.

  Irrigation, 47, 48, 50, 53, 66, 77, 78, 86, 89, 102, 103, 106, 164.

  Jiriga, 15.

  Juifs, 16, 46, 58, 66-68, 80, 112, 130, 134.

  Kanembou, 3.

  Kano, 182.

  Katsena, 3.

  Kebilli, 60, 63.

  Kêl es Soûk, 200, 202.

  Kĕriz, 52, 53.

  Kerrekerre, 3.

  Kesàr bent el’Abrī, 56.

  Kessār, 65, 66.

  Koënna, 3.

  Kouïnin, 15, 35, 36, 136.

  Kouri, 3.

  Lemmāguès, 63.

  Liana, 103.

  Logonē, 3.

  Maggari, 3.

  Mandara, 3.

  Manga, 3.

  Mansoura, 59.

  Margi, 3.

  Matmata, 18.

  Mbāna, 3.

  Mboum, 3.

  Medjehariya, 112, 116, 129, 130.

  Meggarîn, 117, 128.

  Merazig, 119, 188, 189, 203.

  Merhaïer, 9, 110-114.

  Merouān, 110, 113.

  Messelmi, 11.

  Mestāoua, 129.

  Midās, 90.

  Monnaie, 37, 121, 126, 137, 139, 141, 174.

  Nafta, Nefta, 46, 47, 48, 49.

  Naylia, 130.

  Nefzaoua, 52, 57, 58-63, 119.

  Negousa, 24.

  Negrīn, 93, 94, 98-101.

  Nesigha, 110, 111, 113.

  Nezla, 127, 128, 132, 143.

  Ngāla, 3.

  Ngouzzoum, 3.

  Nouaïl, 16.

  Ouaday, 3.

  Ouargla, 21, 22, 23, 130, 140.

  Oudiān el Halma, 154.

  Ouad Beyāch, 81, 87.

  Ouad el Arab, 103, 106, 107.

  Ouad el Khorouf, 9, 10.

  Ouad el Miyta, 102.

  Ouad’ Igharghar, 19.

  Ouad Itel, 110.

  Ouad Jardaniya, 124.

  Ouad Mezāb, 25.

  Ouad Retem, 133.

  Ouad Righ, 9, 18, 32, 43, 60, 110-117.

  Ouad Sīdah, 19.

  Oulad Madjed, 52.

  Oulad Abdelkader, 14.

  Oulad Abd es Sadiq, 14.

  Oulad ’Amar, 18.

  Oulad Ba Hammou, 185.

  Oulad-Bou’Afi, 14.

  Oulad el’Aïsaouï, 100, 101.

  Oulad Hamid, 15, 16, 168, 173.

  Oulad Hassen, 114.

  Oulad Hôwimen, 14.

  Oulad Mansour, 136.

  Oulad Moulet, 8, 113.

  Oulad Mousa, 14.

  Oulad Sidi Abid, 92.

  Oulad Sidi Cheikh, 23.

  Oulad Yagoub, 119, 141.

  Oum el Goreīnat, 57.

  Oumm et Tiour, 8, 114.

  Ourghamma, 138, 150, 168, 185, 198.

  Ourhlana, 115.

  Ourir, 110, 112.

  Ourmās, 35.

  Palus Tritonis, 14, 67.

  Puits, 11-13, 19, 26, 31, 34, 38, 41, 42, 106, 118, 120, 126, 135,
  145, 152, 156, 159.

  Puits artésiens, 7-9, 26, 107, 113-115, 127.

  Qoreich, 15.

  Rebāya, Roubaa’ya, 143, 148-150.

  Rhat, 172-174, 188, 191, 203.

  Rouâgha, 9, 111-113.

  Ruines romaines, 5, 50-54, 56, 57, 59, 60, 63, 65, 66, 68, 72-77, 80,
  81, 85, 86, 88, 89, 92, 94-97, 165, 192-194, 201.

  Saada, 8.

  Sabrīa, 119.

  Săgui, 73.

  Sakomaren (Isaqqamaren), 166, 172, 185.

  Sedāda, 54.

  Selmia, Selmiya, 9, 113, 114.

  Sidi Khelil, 115, 128.

  Sidi Okba, 105.

  Sif bou Delal, 10.

  Sirocco (Chehili), 127, 152.

  Solaā, 119.

  Souf, 14, 15, 35, 117, 120, 136.

  Tadmekka, 199.

  Tagiānoūs, 52.

  Tahrzout, 15, 124.

  Taïbāt, 118.

  Tāla, 133, 134.

  Tamerna, 116, 128.

  Tebesbest, 132.

  Teda, 3.

  Tedjini, 15.

  Tellimīn, 59, 60.

  Temassīn, 132, 133.

  Tinedla, 115.

  Tolga, 15.

  Tombeaux, 200-203.

  Torba, 157.

  Toroud, 13, 15, 119, 125, 143.

  Tŏrra, 58.

  Tougourt, 29, 30, 60, 112, 116, 117, 127-133.

  Touareg, 18, 119, 150, 152, 156, 166-169, 171-173, 175-180, 183-208.

  Tozeur, 50, 51.

  Traite des nègres, 3, 23, 165.

  Tsamia (soie de), 181-182.

  Zaouïas, 49, 132, 159.

  Zaouiyēt ed Debabkha, 58.

  Zenata, 15, 125.

  Zeribet Ahmed, 103.

  Zeribet el Ouad, 104-106.

  Zonghay, 3.

                               * * * * *


                         INDEX DES NOMS PROPRES


  Abd-Ennour el Himyari el Tounsi, 199.

  Auer, 29, 117, 127, 129, 131.

  Barth, 173, 195.

  Canat, 117.

  Colombo, 6, 7.

  El Arbi Mamelouk, 104, 106.

  Fleischer, 29.

  Ikhenoukhen, 172-180, 183-185, 188, 189, 190, 196-198.

  Kahina, 199.

  Kēlala, 201.

  Kremer (A. de), 200.

  Laing (major), 180.

  Lehaut, 8, 9.

  Mac Carthy, 201, 202.

  Margueritte, 179.

  Martimprey (de), 151.

  Mohalhil el Ghadāmsi, 199.

  Othman (cheikh), 132, 149, 154, 168, 172, 173, 177, 183, 188.

  Randon (maréchal), 179.

  Rhōma, 60.

  Séroka (Cel), 4, 7.

  Sid el Bakkay, 190, 195.

  Sidi Hamza, 23, 26, 179, 197.

  Si Zoubir-bou-Bekr, 23.

  Tissot (Ch.), 86, 192-193.

  Warnier (Dr), 179, 181.

  Zickel, 115.

                               * * * * *




                        INDEX DES PLANTES CITÉES

                               * * * * *


Avec la synonymie arabe-latine d’après :

Ascherson, _Pflanzen des mittlern Nord-Afrika_. Append. VII, à Rohlfs,
_Kufra_, Leipzig, 1881, in-8, p. 386-559.

_Le Pays du mouton_. Ouvrage publié par ordre de M. Jules Cambon,
gouverneur gén. de l’Algérie (par MM. Turlin, F. Accardo, G. B. M.
Flamand). Alger, 1893, in-fol., Append. : Table alphabétique des noms
arabes des principaux végétaux des Hauts Plateaux et du Sahara algérien,
CXXI pages.

Foureau, _Essai de catalogue des noms arabes et berbères de quelques
plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens_, Paris, 1896, in-4,
48 pages.

Foureau, _Mon neuvième voyage au Sahara_, Paris, 1898, in-8, Append. V,
p. 142-144.

En cas de divergences, Ascherson est désigné par la lettre (A), _Le Pays
du mouton_, par (P. M.), Foureau par (F1) et (F2), _Les Touareg du
Nord_, par T. du N. Les chiffres indiquent la page correspondante du
_Journal_ de Duveyrier.


  Abricotier, 128.

  Ail, 128.

  Alenda, _Ephedra alata_ Decaisne, 11, 12, 19, 27, 34, 41, 126, 146,
  147, 157.

  Alga, _Henophyton deserti_ Coss., 18.

  Arfiji, _Rhanterium adpressum_ Coss., Dur. (P. M.), 145.

  Arta, _Calligonum comosum_ L’Hérit., 145, 146, 147.

  Baguel, _Anabasis articulata_ Moq. Tand., 7, 19, 20, 41, 147, 151.

  Belbâl, _Anabasis articulata_ Moq. Tand. D’après A., aussi
  _Zygophyllum album_ L. en Tripolitne ; d’après F1 et F2, aussi
  _Caroxylon tetragonum_, 25, 28, 156.

  Bou akerich, 108.

  Bou choucha, _Salvia lanigera_ Peir. _Salvia phlomoïdes_ Asso., 7.

  Bou deraga, ?, 128.

  Bou griba, _Zygophyllum cornutum_ Coss., _Z. Geslini_ Coss., _Z.
  album_ L. (Cf. T. du N., p. 157), 47, 70.

  Carotte, 128.

  Chih, _Artemisia herba alba_ Asso. ; aussi _Artemisia campestris_ L.
  (A.) et _Artemisia atlantica_ (F1) (Cf. T. du N., p. 177-178), 70,
  72, 75.

  Chou, 128.

  Citronnier, 47, 178.

  Cotonnier, 128.

  Dattier, 12, 15, 16, 20, 25, 28, 30, 39, 44, 47, 50-52, 58, 69, 77,
  93, 104, 106, 107, 109, 110, 113, 117, 127, 128, 140, 143, 144.

  Dhomràn, _Traganum nudatum_ Del., 11, 19, 25, 27, 43.

  Drin, _Aristida pungens_ Desf., 11, 17-19, 28, 34, 41, 109, 126, 146,
  147, 151, 154, 157.

  Ephedra, 17.

  Ezal (azal), _Calligonum comosum_ L’Hérit. ; aussi _Caroxylon
  articulatum_ Moq. Tand. (P. M.), 17, 146, 147, 157.

  Fedjel (fidjl), _Raphanus sativus_ L. (A.), 128.

  Fève, 128.

  Figuier, 9, 47, 126, 128, 133.

  Gandoul, _Calycotome spinosa_ Lmk (A.), _guendoul_ (genêt épineux) (P.
  M.), _Calycotome villosa_, _spinosa_, _intermedia_ (F1), 7.

  Garana, 128.

  Godhâm (guedhâm), _Salsola vermiculata_ L., 145.

  Goreyna (greïna), _Halocnemum tetragonum_ (F1) ; gueraïna, _Halogeton
  sativus_ Moq. (P. M.), 88, 109, 110.

  Goseyba, graminée ? 145.

  Gossob (draa), _Penicillaria spicata_ Willd., 163, 169.

  Grenadier, 126, 128.

  Guerch, ? 110.

  Guetaf, _Atriplex halimus_ L., 106, 108.

  Hâd, _Cornulaca monacantha_ Del., 19, 147, 151, 153, 157.

  Halfa, _Stipa tenacissima_ L., 64, 70.

  Halhâl, _Lavandula Stoechas_ L. (P. M.), _Lavandula multifida_ L.
  (F1), 27.

  Halma, _Plantago ovata_ Forsk, 18, 151, 153, 157.

  Haricot, 128.

  Harmel, _Peganum Harmala_ L., 11, 69, 77.

  Isrif, _Suaeda vermiculata_ Forsk, 109, 110.

  Jell, _Ruta bracteosa_ D. C., 108, 109.

  Jonc, 30.

  Kabouya, _Cucurbita Pepo_ Seringe, 128.

  Kelkha, _Ferula communis_ Desf. (P. M.), 7.

  Khez (Khazz = une _Lemna_ dans les oasis égyptiennes (A.), 6.

  Lebbîn, _Euphorbia guyoniana_ Boiss. _Euphorbia Paralias_ L., 34, 39.

  Luzerne, 128.

  Markh, _Genista Saharae_ Coss. (A.) (Cf. T. du N., p. 161), 17, 18.

  Melon, 128, 165.

  Methennân, _Thymelaea hirsuta_ Endl. _Passerina hirsuta_ L., 7, 110.

  Navet, 128.

  Nebqa, _Zizyphus Spina Christi_ Willd. (A.) (Cf. T. du N., p. 159),
  48.

  Neci, _Aristida plumosa_ L. _Arthratherum plumosum_ Nees. 154.

  Oignon, 128.

  Olivier, 51, 77.

  Oranger, 47.

  Orge, 128.

  Pastèque, 128, 178.

  Pêcher, 9, 47.

  Poireau, 128.

  Poirier, 128.

  Poivre rouge, 128.

  Pommier, 128.

  Réglisse, 128.

  Remeth, _Haloxylon articulatum_ Boiss. _Caroxylon articulatum_ Moq.
  Tand., 7, 72, 75.

  Retem, _Retama raetam_ Webb. ; aussi _Genista barbara_ Mumby ;
  _Genista Duriaei_ Spach (P. M.), 17, 77, 110.

  _Rhamnus arabica_, 103.

  Rhardeg, _Nitraria tridentata_ Desf. (A., P. M.) ; aussi _Salix
  tridentata_ Viv. (Cosson, ap. A.) (Cf. T. du N., p. 175), 7, 77, 110.

  Rhodhdhâm, ghedem, _Salicornia fruticosa_ L., en Tripolitaine (A.),
  guedhdham, _Salsola brevifolia_ Desf. (P. M.), 33.

  Sebot, _Aristida pungens_ Desf. _Arthratherum pungens_ P. B. Variété
  non déterminée (F2) (Cf. T. du N., p. 204), 151.

  Sedra, _Zizyphus Lotus_ L., 7, 72.

  Sefâr, _Aristida brachyptera_ Coss. et Balansa ; aussi _Aristida
  plumosa_ P. M., (F1 et F2), 18-20, 34, 151, 153, 156.

  Semhari, _Helianthemum sessiliflorum_ Pers. ; aussi _Helianthemum
  metlilense_ Coss. et Dur. (P. M.), 41.

  Souïd, _Suaeda vermiculata_ Desf. ; aussi _Suaeda fruticosa_ Moq.
  Tand. (A. et F1) ; aussi _Salsola vera_ (F2), 43, 64.

  Tabac, 13, 139-141.

  Thym, 70.

  Tarfa, _Tamarix africana_ Poiret ; aussi _Tamarix gallica_ L. 25, 47,
  57, 58, 64, 81.

  Terfâs, _Terfezia africana_ Chatin (P. M.). _Terfezia Leonis_ Tulasne,
  199.

  Tomate, 128.

  Vigne, 128.

  Zeïta, _Limoniastrum Guyonianum_ Dur., 19, 24, 25, 28, 34, 43, 57, 64,
  69, 72, 88, 109, 110, 127.

  _Zizyphus Lotus_, 86. (Voir aussi _Sedra_).

  _Zizyphus Spina Christi_, 48.

                               * * * * *


                        INDEX DES ANIMAUX CITÉS


  Alouette, 30, 32.

  Autruche, 139.

  Barbeau, 106.

  Bécassine, 30.

  Beguer-el-ouahch, 148, 153.

  Bergeronnette, 30.

  Bœuf, 49.

  _Bulimus truncatus_, 87.

  Canard, 32.

  _Cardium edule_, 87.

  Chacal, 154.

  Chameau, 155.

  Chat sauvage, 30.

  Cherchimāna, 147.

  Cheval, 161.

  Cigale, 146.

  Courlis, 32.

  Cyprinus, 83.

  Djird, 11.

  Fenek, 154.

  Flamant, 30, 32.

  Gazelle, 63.

  Gazelle commune, 152.

  Gerboise, 147.

  Héron, 30.

  Himed, 152.

  Lapin, 49.

  Libellules, 30, 164.

  Limnées, 178.

  Meha, 153, 154.

  Melania, 30.

  _Melanopsis Maroccana_, 47.

  Moustiques, 30, 192.

  Mouton, 154, 169.

  Nadja, 108.

  Ouran, 146.

  Outarde, 64.

  _Physa contorta_, 146.

  _Physa Brocchii_, 146.

  _Physa truncata_, 146.

  _Planorbis_, 157, 178.

  _Planorbis Maresianus_, 146.

  Pigeon, 165.

  Poule, 165.

  Rim, 152.

  Sanglier, 114.

  Sarcelle, 30.

  Scorpion, 141.

  Sefchi, 18.

                               * * * * *




                           TABLE DES MATIÈRES

                               * * * * *


                                                                  Pages.

  AVANT-PROPOS                                                         V

  BIOGRAPHIE                                                          IX

                           PREMIÈRE PARTIE

  CHAPITRE PREMIER. — De Biskra à l’Oued-Righ et au Souf               3

  CHAPITRE II. — Ouargla et Tougourt                                  22

  CHAPITRE III. — De Tougourt au Djérid par le Souf                   34

  CHAPITRE IV. — Au Djérid                                            46

  CHAPITRE V. — Nefzaoua et Gabès                                     57

  CHAPITRE VI. — Retour au Djérid par Gafsa                           72

  CHAPITRE VII. — De Tozer à Biskra                                   87

                           DEUXIÈME PARTIE

  CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Oued-Righ                               105

  CHAPITRE II. — Au Souf                                             118

                          TROISIÈME PARTIE

                          VOYAGE A GHADAMÈS

  CHAPITRE PREMIER. — Dans l’Erg                                     143

  CHAPITRE II. — Arrivée à Ghadāmès                                  159

  CHAPITRE III. — Ikhenoukhen                                        172

  CHAPITRE IV. — Ghadamésiens et Touareg                             181

  CHAPITRE V. — A Ghadāmès (_suite_)                                 192

  Errata                                                             205

  Addenda                                                            207

  Index des noms géographiques                                       209

  Index des noms propres                                             211

  Index des plantes citées                                           212

  Index des animaux cités                                            214

                               * * * * *




Note du transcripteur :


  Les changements dans l’ERRATA ont été apportés, sauf l'orthographe
  d'" Insalah " et " Robaa’ya " et la modification de la note 214 (page
  140).

  Autrement :

  Page 47, note 81, " _dernière expédition des Chotts_. Paris, 1891 "
  a été remplacé par " 1881 "

  Page 52, " d’égaler les contructions " a été remplacé par
  " constructions "

  Page 66, " et d’une inscri tion arabe " a été remplacé par
  " inscription "

  Page 162, " un nègre co-ossal qui " a été remplacé par " colossal "

  Page 173, Ajouté ( avant " quoiqu’elle ait beaucoup "

  Page 175, Ajouté » après " les Chaanba et les Souâfa, etc. "

  Page 176, Ajouté » après " et toujours mal reçus ? " et "Chaanba que
  les Iboguelan."

  Page 177, Ajouté » après " le montrer à d’autres. "

  Page 214, " ghedem, _Salicornia fructicosa_ " a été remplacé par
  " _fruticosa_ "

  Quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe ont été
  apportés, mais la plupart des variations orthographiques ont été
  laissées telles quelles.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK JOURNAL DE ROUTE DE HENRI DUVEYRIER ***


    

Updated editions will replace the previous one—the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for an eBook, except by following
the terms of the trademark license, including paying royalties for use
of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
copies of this eBook, complying with the trademark license is very
easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
of derivative works, reports, performances and research. Project
Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may
do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
license, especially commercial redistribution.


START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE

PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase “Project
Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg™ License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the
Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg™ License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work
on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the
phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

    This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
    other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
    whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
    of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
    at www.gutenberg.org. If you
    are not located in the United States, you will have to check the laws
    of the country where you are located before using this eBook.
  
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase “Project
Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg™.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg™ License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format
other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg™ website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain
Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works
provided that:

    • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
        the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method
        you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
        to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has
        agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
        within 60 days following each date on which you prepare (or are
        legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
        payments should be clearly marked as such and sent to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
        Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg
        Literary Archive Foundation.”
    
    • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
        you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
        does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™
        License. You must require such a user to return or destroy all
        copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
        all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™
        works.
    
    • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
        any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
        electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
        receipt of the work.
    
    • You comply with all other terms of this agreement for free
        distribution of Project Gutenberg™ works.
    

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right
of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.