Le poëme de Myrza - Hamlet

By George Sand

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Title: Le poëme de Myrza - Hamlet

Author: George Sand

Release Date: April 27, 2009 [EBook #28623]

Language: French


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LE POËME DE MYRZA


Durant les quatre ou cinq siècles au milieu desquels est jeté le grand
événement de la vie du Christ, l'intelligence humaine fut en proie aux
douleurs et aux déchirements de l'enfantement. Les hommes supérieurs de
la civilisation, sentant la nécessité d'un renouvellement total dans les
idées et dans la conduite des nations, furent éclairés de ces lueurs
divines dont Jésus fut le centre et le foyer. Les sectes se formèrent
autour de sa courte et sublime apparition, comme des rayons plus ou
moins chauds de son astre. Il y eut des caraïtes, des saducéens et des
esséniens, des manichéens et des gnostiques, des épicuriens, des
stoïciens et des cyniques, des philosophes et des prophètes, des devins
et des astrologues, des solitaires et des martyrs: les uns partant du
spiritualisme de Jésus, comme Origène et Manès; les autres essayant d'y
aller, sur les pas de Platon et de Pythagore; tous escortant l'Évangile,
soit devant, soit derrière, et travaillant par leur dévouement ou leur
résistance à consolider son triomphe.

Dans cette confusion de croyances, dans ce conflit de rêves, de travaux
fiévreux de la pensée, de divinations maladives et de vertiges sublimes,
une nouvelle forme fut donnée à certains esprits, une forme agréable,
élastique, qui seule convenait aux esprits éclairés et aux caractères
faciles: cette disposition de l'esprit humain qui domine dans tous les
temps de dépravation, et chez toutes les nations très-civilisées, nous
l'appellerons, pour nous servir d'une expression moderne, _éclectisme_,
quoique cette dénomination n'ait pas eu dans tout temps le même sens;
nous nous en tenons à celui qu'elle implique aujourd'hui, pour qualifier
la situation morale des hommes qui n'appartenaient à aucune religion au
temps dont il est question ici.

Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d'un caractère et d'un esprit
tout opposés, des hommes graves et des hommes frivoles, des savants et
des femmes; car cette doctrine, qui consistait dans l'absence de toute
règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte de poésie.
Les rhéteurs s'y remplissaient l'estomac d'arguments, et les poëtes s'y
gonflaient le cerveau de métaphores. L'Inde et la Chaldée, Homère et
Moïse, tout était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés,
indifférents en face des solutions: heureux caractères qui, Dieu merci,
fleurirent toujours ici-bas au milieu de nos lourdes polémiques. Grands
diseurs de sentences, sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le
tout par amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens
dans la pratique de la vie, prophètes élégants et joyeux, bardes
demi-bibliques et demi-païens, intelligences saisissantes, fines,
éclairées, pleines de crédulités poétiques et de scepticisme modeste; en
un mot, ce que sont aujourd'hui nos véritables artistes.

Le petit poëme qu'on va lire fut récité, en vers hébraïques, sous un
portique de Césarée, par une femme nommée Myrza, laquelle était une des
prophétesses de ce temps-là, espèce mixte entre la bohémienne et la
sibylle, poëte en jupons comme il en existe encore, mais d'un caractère
hardi et tranché qui s'est perdu dans le monde, aventurière sans patrie,
sans famille et sans dieux, grande liseuse de romans et de psaumes,
initiée successivement par ses amants et ses confesseurs aux diverses
religions qui s'arrachaient lambeau par lambeau l'empire de l'esprit
humain. Cette femme était belle, quoique n'appartenant plus à la
première jeunesse; elle jouait habilement le luth et la cithare, et,
changeant de rhythme, de croyance et de langage selon les pays qu'elle
parcourait, elle traversait les querelles philosophiques et religieuses
de son siècle, semant partout quelques fleurs de poésie, et laissant sur
ses traces un étrange et vague parfum d'amour, de sainteté et de folie;
bonne personne du reste, que les princes faisaient asseoir par curiosité
à leur table, et que le peuple écoutait avec admiration sur la place
publique. Voici son poëme tel que, de traduction en traduction, il a pu
arriver jusqu'à nous. Nous osons parfaitement le livrer aux savants, aux
poëtes et aux chrétiens de ce temps-ci, sachant le bon marché que notre
siècle panthéiste fait de toutes choses, et la complaisance que son
ennui lui inspire pour toutes sortes de rêves.




I.


En ce temps-là, longtemps avant le commencement des jours que les hommes
ont essayé de compter, Dieu appela devant lui quatre Esprits, qui
parcouraient d'un vol capricieux les plaines de l'espace: Allez, leur
dit-il, prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez de
concert.

Ils obéirent, et, ne se quittant plus, présidèrent chacun à une des
oeuvres de Dieu; et un nouvel astre parut dans l'éther: cet astre est la
terre que nous habitons aujourd'hui, et ces quatre Esprits sont les
éléments qui la composent.

Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants, firent la guerre
aux deux autres.

L'eau et le feu ravagèrent la terre, et l'air fut tantôt infecté des
vapeurs humides des marais, et tantôt embrasé des feux d'un soleil
dévorant.

Et pendant un nombre de siècles que l'homme ne sait pas, mais qui sont
dans l'éternité de Dieu moins qu'une heure dans la vie de l'homme, notre
globe bondit dans l'immensité, comme une cavale sauvage, sans guide et
sans frein; sa course ne fut réglée que par le caprice des Esprits à qui
Dieu l'avait abandonné; tantôt, emporté d'un essor fougueux, il
s'approcha du soleil jusqu'à s'y brûler; tantôt il s'endormit
languissant et morne, loin des rayons vivifiants que chaque printemps
nous ramène. Il y eut des jours d'une année et des nuits d'un siècle. Le
globe n'ayant pas encore arrêté sa forme, les froides régions
qu'habitent le Calédonien et le Scandinave furent calcinées par des étés
brûlants. Les contrées où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de
glaciers incommensurables. L'Esprit du feu descendit dans le sein de la
terre; on eût dit qu'un démon enfonçait ses ongles et ses dents dans les
entrailles du globe: des rugissements sourds s'échappaient des rochers
ébranlés, et la terre s'agitait comme une femme dans les convulsions de
l'enfantement. Quelquefois le monstre, en se retournant dans le ventre
de sa mère, sapait les fondements d'une montagne, et creusait sous les
vallées des voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient
ensemble, et des lacs de bitume s'étendaient en bouillonnant sur les
débris amoncelés; une fumée âcre et fétide empoisonnait l'atmosphère;
les plantes se desséchaient, et l'eau, appelée par le feu, ravageait à
son tour le flanc déchiré de sa soeur.

[Illustration: Que le peuple écoutait sur la place publique.]

Enfin le feu s'ouvrit un passage à travers le roc et l'argile, et se
répandit au dehors comme un fleuve débordé. La mer, brisant ses digues
de la veille, fit chaque jour de nouvelles invasions, et chaque jour
déserta ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, dans
l'espace d'une nuit, s'élever des montagnes de fange ou de cendre, que
le soleil et le vent façonnaient à leur gré; des ravins se creusaient
tels que la vie d'un homme voyageant le jour et la nuit n'eût pas suffi
pour en trouver le fond; des météores gigantesques erraient sur les eaux
comme des soleils détachés de la voûte céleste, et les vagues de l'océan
roulaient sur les sommets que les nuages enveloppent aujourd'hui bien
loin au-dessus de la demeure des hommes.

Dans cette lutte, la terre et l'eau, jalouses l'une de l'autre, se
mirent à créer des plantes et des animaux qui à leur tour se firent la
guerre entre eux; des lianes immenses essayèrent d'arrêter le cours des
fleuves, mais les fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui
saisirent les lianes dans leurs bras vivants, et leur étreinte fut
telle, que des myriades de races d'animaux s'y arrêtèrent et y périrent;
et de tous ces débris se forma le sol que nous foulons aujourd'hui, et
sous lequel a disparu l'ancien monde.

Cependant à toutes ces existences d'un jour succédaient d'autres
existences; les races se perdaient et se renouvelaient; la matière
inépuisable se reproduisait sous mille formes. Du sein des mers
sortaient les baleines semblables à des îles, et les léviathans hideux
rampant sur le sable avec des crocodiles de vingt bras, ses. Nul ne sait
le nombre et la forme des espèces tombées en poussière; l'imagination de
l'homme ne saurait les reconstruire; si elle le pouvait, l'homme
mourrait d'épouvante à la seule idée de les voir. L'abeille fut
peut-être la soeur de l'éléphant; peut-être une race d'insectes,
aujourd'hui perdue, détruisit celle du mammouth, que l'homme appelle le
colosse de la création. Dans ces marécages qui couvraient des continents
entiers, il dut naître des serpents qui, en se déroulant, faisaient le
tour du globe, et les aigles de ces montagnes, infranchissables pour nos
gazelles abâtardies, enlevaient dans leurs serres des rhinocéros de cent
coudées. En même temps que les dragons ailés arrivaient des nuages de
l'orient, les licornes indomptables descendaient de l'occident, et quand
une troisième race de monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré
les deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et l'odeur de la
corruption appelait l'hyène du nord, des vautours plus grands que
l'hyène, et des fourmis plus grandes que les vautours; et sur ces
montagnes de cadavres, parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces
bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres sans nom élevaient
jusqu'aux nues la profusion de leurs rameaux splendides, et des roses
plus belles et plus grandes que les filles des hommes ne le furent
jamais, exhalaient des parfums dont s'enivraient les esprits de la
terre, couverts de robes diaprées, aujourd'hui réduits à la taille du
papillon, et aux trois grains d'or de l'étamine de nos fleurs.

[Illustration: L'ange du sommeil l'appela.]

Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage informe du temps
et de la matière, les saintes Écritures l'appellent l'âge du chaos. Or,
tandis que les quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu'ils
passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, ils
s'arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit: Qu'avez-vous fait? Pourquoi
ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s'il était ivre?
Avez-vous bu la coupe de l'orgueil? Prétendez-vous faire les oeuvres de
l'Éternel? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix; il
vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.

L'Éternel passa; et quand les quatre Esprits virent s'effacer dans
l'espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils
reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent: Pourquoi ne
résisterions-nous pas à l'Éternel? Ne sommes-nous pas éternels, nous
aussi? Il nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a
dit: Vous n'aurez pas de fin. L'Éternel ne peut reprendre sa parole. Il
nous a donné ce monde. Mais c'est nous qui l'avons couvert de plantes et
d'animaux. Nous aussi, nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos
volcans en guerre. Que l'océan gronde, que la lave bouillonne, que la
foudre sillonne les airs, et vienne l'Éternel pour nous donner des lois!

En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr; et, abaissant leur vol sur
les montagnes les plus élevées de la terre: Nous allons, dirent-ils,
entasser ces monts les uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à
la demeure de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur tous les
mondes.

Mais comme ils commençaient leur travail insensé, un ange envoyé par le
Seigneur versa sur eux la coupe du mépris, et, saisis de torpeur, ils
s'endormirent comme des hommes pris de vin.

Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse un être inconnu,
plus beau qu'eux, quoique délicat et frêle. Sa tête n'était pas
flamboyante, et son corps n'était pas couvert d'une armure d'écailles de
serpent; le ver à soie semblait avoir filé l'or de sa chevelure, et sa
peau était lisse et blanche comme le tissu des lis.

Les Esprits étonnés l'entourèrent pour le contempler, s'émerveillant de
sa beauté, et se demandant l'un à l'autre si c'était là un esprit ou un
corps. Cependant cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et
les fleurs se penchaient sur elle comme pour l'admirer; les oiseaux et
les insectes voltigeaient autour d'elle, n'osant becqueter ses lèvres de
pourpre, et formant un rideau d'ailes doucement agitées entre son visage
et le soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. Alors
l'Esprit des eaux:--Quel est celui-ci? et qui de nous l'a produit à
l'insu des autres? Si c'est de la terre qu'il est sorti, d'où vient que
les vapeurs de mes rives n'en savent rien? et où est le feu qui l'a
fécondé? Est-ce une plante, pour qu'il soit sans plumes, et sans
fourrure, et sans écaille? Et si c'est une plante, d'où vient que je
n'ai point arrosé son germe, d'où vient que l'air n'a pas aidé sa tige à
s'élever et son calice à se colorer? Si c'est une créature, où est son
créateur? Si c'est un esprit, de quel droit vient-il s'établir dans
notre empire, et comment souffrons-nous qu'il s'y repose? Enchaînons le,
et que la bouche des volcans se referme derrière lui, car il faut qu'il
aille au fond de la terre et qu'il n'en sorte plus.

L'Esprit de la terre répondit: Ceci est un corps, car le sommeil
l'engourdit et le gouverne comme les animaux; ce n'est pas une plante,
car il respire et semble destiné au mouvement comme l'oiseau ou le
quadrupède: cependant il n'a point d'ailes, et ne saurait voler; il n'a
pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre pour combattre, ni
même l'écaille de la tortue pour s'abriter. C'est un animal faible, que
le moindre de nos animaux pourrait empêcher de se reproduire et
d'exister. Et puisque aucun de nous ne l'a créé, il faut que ce soit
l'Éternel qui, par dérision, l'ait fait éclore, afin de nous surprendre
et de nous effrayer; mais il suffira du froid pour lui donner la mort.

--Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est en notre
pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il marche et comme il se nourrit.
Puisqu'il n'a ni ailes, ni nageoires, ni arme d'aucune espèce, pour
s'ouvrir un chemin et se construire une demeure, il ne saurait vivre
dans aucun élément.

Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et à mépriser
l'oeuvre du Dieu tout-puissant.

Alors cet être nouveau s'éveilla, et, à leur grande surprise, il ne se
mit ni à fuir, ni à ramper comme les serpents, ni à marcher comme les
quadrupèdes; il se dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée
vers le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte virent,
dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel est, dirent-ils,
celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et qui a un rayon du soleil dans les
yeux? Va-t-il monter vers le ciel comme une fumée? et d'où vient qu'avec
un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des anges du
ciel?--Alors ils furent saisis de crainte, et l'interrogèrent en
tremblant.

Mais celle créature ne les entendit pas; on eût dit que ses yeux ne
pouvaient distinguer leur forme, car elle ne leur donna aucun signe
d'attention, et ne répondit rien à leurs questions.

Ils se réjouirent donc de nouveau, en disant: Cette bête n'a ni le sens
de l'ouïe, ni le sens de la vue; elle ne saurait faire entendre aucun
cri, elle est plus stupide que les autres bêtes. Celles-ci ne nous
comprennent pas et ne nous voient pas non plus; mais l'instinct les
avertit de notre présence; et un tressaillement secret s'empare du plus
petit oiseau, lorsque le volcan gronde, ou lorsque l'orage s'approche;
l'ours et le chien s'enfuient en hurlant, le dauphin s'éloigne des
rivages, et le dragon se réfugie sur les arbres les plus élevés des
forêts; mais cette bête n'a pas de sens, et les polypes seuls suffiront
pour la dévorer.

Alors la créature inconnue éleva la voix, une voix plus douce que celle
des oiseaux les plus mélodieux, et elle chanta un cantique d'actions de
grâces au Seigneur, dans une langue que les Esprits de révolte ne
comprirent pas.

Et leur colère fut grande, car ils se crurent insultés par cette langue
mystérieuse, et ces accents d'amour et de ferveur remplirent leur sein
de haine et de rage. Ils voulurent saisir leur ennemi; mais l'ennemi, ne
daignant pas les voir, se prosterna devant l'Éternel, puis se releva
avec un front rempli d'allégresse, et se mit à descendre vers la vallée,
sans cesser d'être debout, et posant ses pieds sur le bord des abîmes
avec autant d'adresse et de tranquillité que l'antilope ou le renard.
Comme les pierres et les épines offensaient sa peau, il cueillit des
herbes et des feuilles, et se fit une chaussure avec tant de promptitude
et d'industrie, que les Esprits de révolte prirent plaisir à le
regarder.

Cependant, à mesure que la créature de Dieu marchait, la terre semblait
devenir plus riante, et la nature se parait de mille grâces nouvelles.
Les plantes exhalaient de plus doux parfums, et la créature, comme
saisie d'un amour universel, se courbait, respirait les fleurs, se
penchait sur les cailloux transparents, souriait aux oiseaux, aux
arbres, aux vents du matin. Et le vent caressait mollement sa poitrine;
les oiseaux la suivaient avec des chants de joie; les papillons venaient
se poser sur les fleurs qu'elle leur présentait; les arbres se
courbaient vers elle et lui offraient leurs fruits à l'envi l'un de
l'autre. Elle mangeait les fruits, et, loin de dévorer avidement comme
les bêtes, semblait savourer avec délices les sucs parfumés de l'orange
et de la grenade. Une biche, suivie de son faon, vint à elle, et lui
offrit son lait qu'elle recueillit dans une conque de nacre, qu'elle
porta joyeusement à ses lèvres en caressant la biche; puis elle présenta
la coquille au faon, qui but après elle, et qui la suivit, ainsi que sa
mère.

Les Esprits suivaient en silence, et ne concevaient rien à ce qu'ils
voyaient; enfin ils se réveillèrent de leur stupeur et dirent: C'est
assez nous laisser insulter par une oeuvre de ténèbres et d'ignorance;
ce vain fantôme d'ange a un corps et se repaît comme les bêtes; il doit
être, comme elles, sujet à la mort et à la pourriture. Si la biche et
son faon, si l'oiseau et l'insecte, si l'arbre et son fruit, si l'herbe
et la brise se soumettent à lui, voici venir le léopard et la panthère
qui vont le déchirer.

Mais le léopard passa sans toucher à la créature de Dieu, et la
panthère, l'ayant regardée un instant avec méfiance, vint offrir son dos
souple et doux à la main caressante de son nouveau maître.

--Voici le serpent qui va le couvrir de morsures empoisonnées, dirent
les Esprits de haine. Le serpent dormait sur le sable. La créature
divine l'appela dans cette langue inconnue qu'elle avait parlée à
l'Éternel, et le serpent, déroulant ses anneaux, vint mettre sa tête
humiliée sous le pied du maître, qui se détourna sans lui faire ni mal
ni injure. L'éléphant s'approchant, les Esprits espérèrent qu'il les
débarrasserait de l'étranger, mais l'éléphant, ayant pris des fruits
dans sa main, le suivit, obéissant à sa parole, et cueillant à son tour
les fruits et les fleurs sur les branches les plus élevées pour les lui
offrir avec sa trompe. Le chameau arriva, et, pliant les genoux, offrit
son dos à l'étranger, et le porta dans la vallée. Alors les Esprits,
transportés de colère, s'assemblèrent sur une cime élevée; ils réunirent
leurs efforts pour créer un monstre qui surpassât en laideur, en force
et en cruauté les monstres les plus hideux qu'eût produits la terre.
Mais comme le Seigneur, qui jusqu'alors avait habité avec eux, s'était
retiré, ils ne purent rien créer d'abord. Enfin, après beaucoup de
conjurations adressées aux éléments qu'ils croyaient gouverner, ils
firent sortir de terre un dragon redoutable, et le forcèrent avec des
menaces de marcher contre la créature de Dieu. Mais celle-ci, le voyant
venir, monta sur le cheval, appela l'hippopotame, le taureau, et tous
les animaux forts de la terre et de la mer, et les oiseaux forts du
ciel, et tous se rangèrent autour d'elle comme une armée. Le cheval
bondit d'orgueil sous son maître, et le porta comme un roi à la
rencontre de l'ennemi. Alors le dragon épouvanté revint vers ceux qui
l'avaient envoyé, et leur dit:--Vous voyez ce qui arrive; toutes les
créatures se rangent sous sa loi, celui-ci est le roi de la terre, et
l'esprit de Dieu est en lui.--Et le dragon étendant ses ailes, l'Esprit
de ténèbres qui était en lui s'envola, et sa dépouille restant par
terre, l'étranger la ramassa, la regarda, et s'en fit un vêtement pour
traverser les régions froides.

Car elle continua sa course vers le nord, et parcourut le monde entier,
se construisant partout des chariots avec les arbres des forêts et les
métaux de la terre; mangeant de tous les fruits; se faisant aimer et
servir par toutes les créatures; traversant les fleuves à la nage, ou
sur des nacelles que son adresse improvisait; s'habituant à tous les
climats; prenant son sommeil à l'ombre des forêts, à l'abri dans les
grottes, ou dans des tentes de feuillage qu'elle dressait au coucher du
soleil; sachant tirer le feu d'un caillou ou d'une branche sèche, et
partout louant l'Éternel, chantant ses bienfaits, et implorant son
appui.

Quand cet être singulier eut fait le tour de la terre et s'y fut
installé comme dans son domaine, les Esprits de révolte, enchaînés
jusque-là par la curiosité, résolurent de détruire ce qu'ils croyaient
être leur ouvrage, et de bouleverser le globe, afin d'anéantir leur
ennemi avec lui.--Ouvre une crevasse sous ses pieds, dirent-ils à la
terre, et dévore-le dans la gueule béante de tes abîmes.--Mais la terre
refusa d'obéir, et répondit: Celui-ci est l'envoyé de Dieu, le roi de la
création. Ils dirent au volcan de l'envelopper d'un lac de feu et de
faire pleuvoir sur lui des pierres embrasées; mais le volcan refusa, et
répondit comme la terre. La mer refusa d'inonder, et l'air de laisser
passer la foudre. Alors les Esprits virent qu'ils n'avaient plus de
pouvoir, et, feignant de se soumettre à l'envoyé de Dieu, ils
s'offrirent au Seigneur pour être les ministres de son favori. Mais
Dieu, connaissant leur dessein, répondit: La mer ne sortira plus de ses
bornes, la terre ne quittera plus la voie que je lui ai tracée dans
l'espace, le soleil ne s'éteindra plus, l'air ne sera plus infecté de
miasmes fétides; vous serez enchaînés à jamais, et vous obéirez en
esclaves, non pas à mon envoyé, mais à l'ordre que je vous assigne, et
qui est ma parole, la loi éternelle de l'univers. Quant à celui-ci, que
vous ne connaissez pas, c'est mon oeuvre, et je l'ai faite en souriant
pour vous railler et vous montrer que par vous-mêmes vous ne pouvez
rien. Je lui ai donné les besoins des animaux, un corps frêle, sans
défense et sans vêtement; je l'ai mise nue sur la terre. Et vous voyez
qu'en un jour elle a eu des chaussures, des vêtements, des esclaves, de
quoi pourvoir à tous ses besoins, et régner sur la force sans posséder
la force. Vous n'avez pas compris où était sa puissance, et voyant
qu'elle n'avait les avantages naturels d'aucun animal, vous vous êtes
demandé comment elle savait gouverner l'instinct de tous les animaux et
leur commander. C'est que j'ai mis en elle une étincelle de mon esprit,
et qu'elle est à la fois corps et intelligence, matière et lumière.
Allez, et que le monde soit son héritage. Elle ne vous commandera pas,
car elle pourrait, comme vous, s'enivrer d'orgueil et succomber à son
tour. Allez, et sachez le nom du plus beau de mes anges, c'est l'homme.




II


La terre devint donc l'apanage de l'homme: il n'avait ni ailes d'or, ni
auréole de lumière; il ne pouvait contempler les splendeurs du
tabernacle de Jéhovah; mais la part d'intelligence qu'il avait reçue
était si grande, qu'il savait toutes les merveilles de l'univers sans
les avoir jamais vues, et qu'il aimait Dieu et le servait mieux que les
Séraphins brûlants qui environnent son trône. Son âme voyait ce que les
yeux de son corps ne pouvaient apercevoir. Il devinait par la réflexion
les plus profonds mystères de la nature, et sa pensée était plus rapide
que l'éclair.

Ce que voyant, les Esprits jaloux se disaient entre eux: Dieu a fait
pour celui-ci plus que pour nous tous. Le plus petit insecte, il est
vrai, s'élève plus haut que lui dans l'air qu'il respire; mais le plus
puissant des Archanges ne saurait monter aussi hardiment et aussi vite
dans l'éther de l'immensité que l'esprit de l'homme par sa volonté.

Et Dieu, se complaisant dans son ouvrage, créa beaucoup d'autres hommes
semblables au premier, et en couvrit la face de la terre, en leur
disant: La terre est à vous, cultivez-la, et vivez de ses fruits.
Gouvernez les animaux; les espèces ne périront plus, la terre ne sera
plus ravagée, les plantes et les animaux se reproduiront toujours, et
vous, vous ne mourrez point.

Les hommes vivaient ensemble, et ils étaient heureux; ils ne
connaissaient pas le mal, et ils étaient purs, sans avoir la vanité de
savoir qu'ils l'étaient; car ils l'étaient tous également, et ils ne
s'imaginaient point que la source de leur grandeur fût en eux-mêmes. Ils
adoraient le Seigneur, et se servaient de ses dons avec frugalité. Ils
respectaient la vie des animaux, et n'employaient leur dépouille à leur
usage que lorsque les animaux mouraient selon les lois de la nature. Ils
considéraient les bêtes comme des productions choisies de la matière,
qui, étant douées de sensibilité et d'une sorte de volonté, avaient des
droits sacrés à leur protection. Les bêtes ne s'enfuyaient pas à leur
approche, et comme le chien obéit encore aujourd'hui à son maître et
comprend ses ordres, le lion, le castor et tous les autres animaux
comprenaient le geste, le regard et l'autorité de l'homme; ils
l'aidaient à bâtir des maisons, des temples, à exécuter des migrations
sur les continents, à cultiver la terre, à travailler les métaux et à
les façonner, non en vile monnaie ou en armes cruelles, mais en
instruments de travail et en ornements pour les temples.

Or, tout était commun parmi les hommes, le travail et les fruits de la
terre. Ils se regardaient tous comme vivant sous la volonté de Dieu,
chargés de veiller à l'équilibre de cette nature dont ils étaient rois;
ils s'occupaient sans cesse à réparer les ravages des précédents
cataclysmes, à dessécher les marais fétides qui corrompaient l'air et
engendraient trop de reptiles et d'insectes, à ouvrir des canaux pour
l'écoulement des lacs et des étangs, à rassembler en troupeaux les
animaux trop nombreux sur certains points du globe, et à les conduire
vers d'autres régions désertes, à distribuer de même la végétation selon
les climats qui lui convenaient; car, avant l'homme, la matière, livrée
à sa vorace faculté de produire, s'épuisait sans cesse, et, renaissant
de ses propres débris, offrait partout des ruines auprès des créations
nouvelles. Cet homme, que les Esprits des terribles éléments avaient
pris d'abord pour un souffle débile dans le corps d'une bête avortée,
devint donc, sans autre magie et sans autre prestige que sa patience et
son industrie, plus puissant que les éléments eux-mêmes. La terre fut
bientôt un jardin si beau et si fécond, que les anges du ciel venaient
s'y promener, et ne pouvant converser directement avec les hommes, parce
que Dieu l'avait défendu, ils chantaient doucement dans les brises et
dans les flots, et les hommes les voyaient alors en songe avec les yeux
de l'âme.

Mais il arriva que, la terre étant pacifiée et embellie, et l'ordre des
saisons réglé, le travail devint moins actif. Les hommes eurent plus de
temps à donner à la prière et à la méditation: leur nombre n'augmentait
pas et ne diminuait pas; il avait été calculé par l'Eternel, pour opérer
les grands travaux, qui se terminaient maintenant, et l'esprit humain
commençait à souffrir de sa propre force, et à désirer quelque chose au
delà de ce qu'il possédait. Les hommes voulaient, pour faire cesser leur
inquiétude, que Dieu leur accordât un don; mais ils ne savaient lequel,
car ils ne souffraient que parce qu'ils ne manquaient plus de rien.

Leur sommeil devint moins paisible; durant les belles nuits d'été, ils
s'asseyaient par groupes sur les hauteurs, et au lieu de contempler avec
bonheur, comme autrefois, le cours des astres et la beauté de la voûte
céleste, ils soupiraient tristement, et dans leurs cantiques éplorés ils
demandaient à Dieu de faire cesser leur ennui.

Alors il y en eut qui dirent:--Les bêtes souffrent les maladies du
corps, et elles meurent; les hommes ne sont pas soumis aux maux de la
chair, et ne meurent pas. Bénissons Dieu. Mais l'esprit de l'homme
souffre une douleur dont il ne sait pas le remède. Demandons à Dieu
qu'il nous ôte la réflexion, et nous laisse seulement l'intelligence
nécessaire pour commander aux animaux.

Mais cet avis fut combattu par quelques-uns, qui considéraient la
richesse de leur intelligence comme ce qu'ils avaient de plus précieux
au monde.

Il y en eut alors d'autres qui s'avisèrent d'un désir plus noble, et
dirent:--Nous avons comparé le sommeil paisible des bêtes aux
aspirations de nos veilles brûlantes, et nous avons découvert les causes
de nos ennuis; dépêchons les oiseaux en messagers aux hommes de tous les
pays. Et quand la foule, accourue de toutes parts, se fut réunie autour
de ces sages, debout sous le portique des temples, ils parlèrent ainsi:

--Le malheur de l'homme ne vient pas d'une cause accidentelle; cette
cause est son organisation défectueuse et le triste destin qu'il
accomplit dans l'univers. C'est un être borné dans ses jouissances,
quoique infini dans ses désirs. Il souffre, et ne sait comment se
guérir: cela est injuste, car les animaux connaissent la plante qui doit
leur rendre l'appétit lorsqu'ils l'ont perdu, et l'âme de l'homme ne
peut embrasser le but de ses vagues désirs. Mais ce n'est pas le seul
avantage que les bêtes aient sur nous. Elles sont divisées en sexes
différents; c'est pourquoi elles se cherchent, se rapprochent et
s'unissent dans une extase qui les élève au-dessus d'elles-mêmes, et qui
nous est inconnue. Le charme qui les attire est si puissant, qu'il n'est
aucune caresse, aucune menace de l'homme, aucun attrait de la
gourmandise, aucune injonction de la faim qui les empêche de courir au
fond des bois et des vallées à la suite les unes des autres. Le tigre ou
le lion enfermé loin de sa compagne se couche en rugissant, et semble
renoncer à la vie, car il refuse toute nourriture. Le cheval séparé de
la cavale, le taureau de la génisse, au temps de leurs amours,
deviennent indociles, et brisent les chariots. Tous devinent l'approche
de leur compagne: le loup sent venir la louve du fond des forêts
ténébreuses, le chien hurle et tressaille à l'arrivée de la lice sans la
voir ni l'entendre; l'oiseau sait se frayer une route au travers des
plaines immenses de l'air pour aller rejoindre sa compagne: il n'a vu
qu'un point noir vers l'horizon, et pourtant il ne se trompe pas; l'ibis
ne court point après la grue, ni le chardonneret après la mésange. Qui
donc leur enseigne ces merveilleux instincts qui ne sont pas donnés à
l'homme? C'est l'amour qu'ils ont pour un sexe différent du leur.

Quant à nous, nous ne connaissons pas ces sublimes extases, ces
transports de joie et ces caresses enivrantes: nous aimons à converser
ensemble, à partager nos repas; mais cette amitié n'est pas assez
puissante pour que la séparation soit désespérée, ni pour que le
battement du coeur nous annonce l'approche de l'ami absent. Nous n'avons
que des peines légères et des joies tièdes. Dieu seul, Dieu notre
immortel principe, nous ravit d'une joie inaccoutumée; mais pouvons-nous
toujours penser à lui? Sa grandeur, que nous adorons, nous défend-elle
de comparer notre destinée à celle des autres créatures, et de leur
envier les biens que nous n'avons pas?

D'autres hommes se levèrent à leur tour, et dirent:--Les bêtes ont
encore un avantage que nous n'avons pas. Elles se reproduisent
d'elles-mêmes, elles donnent la vie à des créatures de leur espèce, qui
sont leur chair et leur sang. Il y a plusieurs siècles, avant que la
terre fût tranquille et féconde, la reproduction nous semblait une tâche
pénible, un sceau de misère imprimé à la matière. Nous avions compassion
de la jument obligée de porter son fruit dans son flanc durant le cours
de plusieurs lunes, de la perdrix forcée de couver patiemment ses oeufs
et de les féconder par la chaleur de son sein. Nous pensions que l'homme
avait assez de cultiver la terre et de protéger les animaux; que Dieu,
dans sa sagesse, l'avait dispensé du rude travail de la génération, et
lui avait donné l'immortalité, la jeunesse et la santé éternelle, pour
marquer sa royauté sur la terre. Mais aujourd'hui nos grands travaux
sont accomplis. Les animaux, libres et paisibles sous notre domination,
s'aiment avec plus de bonheur encore, et nous voyons en eux des joies et
des forces que nous n'avons pas. Nous admirons le soin avec lequel
l'hirondelle nourrit sa compagne accroupie sur ses oeufs, nous admirons
surtout la mère qui décrit de grands cercles dans les cieux pour
attraper une pauvre mouche, dont elle se prive afin de l'apporter à ses
enfants, car les oiseaux à cette époque sont maigres et malades; mais le
gazouillement de leurs oisillons semble les réjouir plus que toutes les
graines d'un champ, et plus encore peut-être que les caresses de
l'amour. Les plus faibles créatures acquièrent alors une folle audace
pour la défense de ce qu'elles ont de plus cher: la brebis défend son
agneau contre le loup, et la poule, cachant ses poussins sous son aile,
glousse avec colère quand le renard approche; c'est elle qui meurt la
première, et l'ennemi est forcé de passer sur son cadavre pour s'emparer
de la famille abandonnée.

Tout cela n'est-il pas digne d'admiration? et s'il y a des fatigues et
des douleurs attachées à ces devoirs, n'y a-t-il pas des ravissements et
des émotions qui les rachètent? Quand ce ne serait que pour chasser
l'ennui que nous éprouvons, ne devrions-nous pas les demander à Dieu?

Quand ceux-là eurent dit, il y en eut d'autres qui
répondirent:--Avez-vous songé à ce que vous proposez? Si l'homme se
reproduisait sans cesser d'être immortel, la terre ne pourrait bientôt
lui suffire. Voulez-vous accepter la maladie, la vieillesse et la mort
en échange des biens et des maux dont vous parlez? Lequel de nous peut
concevoir l'idée de mourir? N'est-ce pas demander à Dieu qu'il fasse de
nous la dernière créature du monde? Lequel de nous voudra renoncer à
être ange?

--Nous ne sommes pas des anges, reprirent les premiers. Les anges que
nous voyons dans nos rêves ont des ailes pour parcourir l'immensité, et
quoiqu'ils se révèlent à nous sous une forme à peu près semblable à la
nôtre, cette forme n'est pas saisissable; nous ne pouvons les retenir au
matin, lorsqu'ils s'éloignent; nous embrassons le vide, ils nous
échappent comme notre ombre au soleil. Ils n'ont de commun avec nous que
l'esprit, lequel n'est que la moitié de nous-mêmes. Nous appartenons à
la terre où notre corps est à jamais fixé. Si nous sommes condamnés à la
misère d'exister corporellement, pouvons-nous sans injustice être privés
des avantages accordés aux autres animaux? Pourquoi serions-nous
imparfaits et déshérités du bonheur qui leur est échu?

Ces différents avis excitèrent dans l'esprit des hommes une douloureuse
inquiétude. Les uns pensaient qu'en effet la partie physique était
incomplète chez eux; les autres répondaient que l'immortalité, l'absence
de maladie et de caducité, étaient des compensations suffisantes à cette
absence de sexe.

Et, en effet, rien n'était plus suave et plus paisible en ce temps-là
que le sort de l'homme. N'éprouvant que des besoins immédiatement
satisfaits par la fécondité de la terre et la liberté commune, la faim,
la soif et le sommeil étaient pour lui une source de jouissance douce et
jamais de douleur. La privation était inconnue; aucun despotisme social
n'imposait les corvées et la fatigue; il n'y avait ni larmes, ni
jalousies, ni injustices, ni violences. Rien n'était un sujet de
rivalité ou de contestation. L'abondance régnait avec l'amitié et la
bienveillance.

Mais cette secrète inquiétude, qui est la cause de toutes les grandeurs
et de toutes les misères de l'esprit, tourmentait presque également ceux
qui désiraient un changement dans leur sort et ceux qui le redoutaient.

Alors les hommes firent de grandes prières dans les temples, et ils
invoquèrent Dieu afin qu'il daignât se manifester.

Mais l'Eternel garda le silence; car il veut que les hommes et les anges
soient librement placés entre l'erreur et la vérité. Autrement l'ange et
l'homme seraient Dieu.




III.


Mais comme le coeur de l'homme était humble et doux en ce temps-là, la
sagesse éternelle fut touchée; car les hommes ne disaient pas:--Il nous
faut cela, fais-le; mais ils disaient:--Tu sais ce qui nous convient,
sois béni;--et ils souffraient sans blasphémer.

La Sagesse, la Miséricorde et la Nécessité, les trois essences infinies
du Dieu vivant, tinrent conseil dans le sein de l'Eternel; et comme il
fallait que l'homme connût l'amour ou la mort, la matière ne pouvant
s'augmenter indéfiniment, l'Esprit saint dit par la bouche de la
Sagesse:

«Livrons l'homme aux chances de sa destinée; que sa vie sur la terre
soit éphémère et douloureuse, qu'il connaisse le bien et le mal, et
qu'entre les deux il soit libre de choisir.»

Alors le Verbe de miséricorde ajouta: «Que dans la douleur il ait pour
remède l'espérance, et dans le bonheur pour loi la charité.»

Jéhovah envoya donc ses anges sur la terre en leur disant: «Qu'il soit
fait à chaque homme selon son désir.»

Et l'ange étant entré la nuit dans la demeure des hommes, et au nom de
l'Eternel ayant interrogé leurs pensées, il n'en trouva qu'un seul qui
désirât l'amour au point d'accepter la mort sans crainte. C'était un de
ceux qui n'avaient jamais rien demandé au Seigneur. Il vivait retiré sur
une montagne, occupé le soir à contempler les étoiles, et le jour à
nourrir les chevrettes et les chamois. C'était une âme forte et un des
plus beaux parmi les anges terrestres.

L'ange du sommeil l'appela, et lui dit comme aux autres hommes:--Fils de
Dieu, demandes-tu la fille de Dieu? Et cet homme, au lieu de répondre en
frissonnant comme les autres: Que la volonté de Dieu soit faite,
s'écria, en se soulevant sur sa couche:--Où est la fille de Dieu? L'ange
lui répondit:--Sors de ta demeure, tu la trouveras au bord de la source,
elle vient vers toi, elle vient du sein de Dieu.

Alors l'ange disparut, et l'homme, s'étant levé plein de surprise, se
sentit accablé d'une grande tristesse; car il pensa que c'était un vain
songe, et que la fille de Dieu n'était pas au bord de la source.

Cependant il se leva et sortit de sa demeure, et il trouva la fille de
Dieu qui marchait vers lui, mais qui, le voyant venir, s'arrêta
tremblante au bord de la source.

Et comme la source était sombre, et qu'il distinguait à peine une forme
vague, il lui dit:--Etes-vous la fille de Dieu?--Oui, répondit-elle, et
je cherche le fils de Dieu.

--Je suis le fils de Dieu, reprit l'homme, vous êtes ma soeur et mon
amour. Que venez-vous m'annoncer de la part de Dieu?

--Rien, répondit la femme, car Dieu ne m'a rien enseigné, et je ne sais
pourquoi il m'envoie. Il y a un instant que j'existe; j'ai entendu une
voix qui m'a dit: «Fille de Dieu, va sur la terre, et tu trouveras le
fils de Dieu qui t'attend.» J'ai reconnu que c'était la voix de
l'Eternel, et je suis venue.

L'homme lui dit:--Suis-moi, car tu es le don de Dieu, et tout ce qui
m'appartient t'appartient.

Il marcha devant elle, et elle le suivit jusqu'à la porte de sa demeure,
qui était faite de bois de cèdre et recouverte d'écorce de palmier. Il y
avait un lit de mousse fraîche; l'homme cueillit les fleurs d'un rosier
qui tapissait le seuil, et, les effeuillant sur sa couche, il y fit
asseoir la femme en lui disant:--L'Eternel soit béni.

Et, allumant une torche de mélèze, il la regarda, et la trouva si belle
qu'il pleura, et il ne sut quelle rosée tombait de ses yeux, car
jusque-là l'homme n'avait jamais pleuré.

Et l'homme connut la femme dans les pleurs et dans la joie.

Quand l'étoile du matin vint à pâlir sur la mer, l'homme s'éveilla, il
ne faisait pas encore jour dans sa demeure. Se souvenant de ce qui lui
était arrivé, il n'osait point tâter sa couche, car il craignait d'avoir
fait un rêve, et il attendit le jour, désirant et redoutant ce qu'il
attendait.

Mais la femme, qui s'était éveillée, lui parla, et sa voix fut plus
douce à l'homme que celle de l'alouette qui venait chanter sur sa
fenêtre au lever de l'aube.

Mais aussitôt il se mit à verser des pleurs d'amertume et de désolation.

Ce que voyant, elle pleura aussi, et lui dit:--Pourquoi pleures-tu?

--C'est, dit l'homme, que je t'ai, et que bientôt je ne t'aurai plus,
car il faut que je meure; c'est à ce prix que je t'ai reçue de
l'Eternel. Avant de te voir, je ne m'inquiétais pas de mourir; la
faiblesse et la peur sont entrées en moi avec l'amour. Car tu vaux mieux
que la vie, et pourtant je te perdrai avec elle.

La femme cessa de pleurer, et, avec un sourire qui fit passer dans le
coeur de l'homme une espérance inconnue, elle lui dit:--Si tu dois
mourir, je mourrai aussi, et j'aime mieux un seul jour avec toi que
l'éternité sans toi.

Cette parole de la femme endormit la douleur de l'homme. Il courut
chercher des fruits et du lait pour la nourrir, et des fleurs pour la
parer. Et, dans le jour, quand il se remit au travail, il planta de
nouveaux arbres fruitiers, en songeant au surcroît de besoins que la
présence d'un nouvel être apportait dans sa retraite, sans songer qu'un
arbre serait moins prompt à grandir que lui et la femme à mourir.

Cependant le souci avait pénétré chez lui avec la femme. La pensée de la
mort empoisonnait toutes ses joies. Il priait Dieu avec plus de crainte
que d'amour; les moindres bruits de la nuit l'effrayaient, et, au lieu
d'écouter avec une religieuse admiration les murmures des grandes mers,
il tressaillait sur son lit, comme si la voix des éléments eût pleuré à
son oreille, comme si les oiseaux de la tempête lui eussent apporté des
nouvelles funèbres. La femme était plus courageuse ou plus imprévoyante.
Ses faibles membres se fatiguaient vite, et, quand son époux trouvait
dans le travail une excitation douloureuse, elle s'étendait nonchalante
sur les fleurs de la montagne, et s'endormait dans une sainte langueur
en murmurant des paroles de bénédiction pour son époux et pour son Dieu.

Elle ne savait rien des choses de la terre où elle venait d'être jetée;
elle trouvait partout de la joie, et ne s'effrayait de rien. La brièveté
de la vie, si terrible pour l'homme, lui semblait un bienfait de la
Providence. L'homme la contemplait chaque jour avec une surprise et une
admiration nouvelles. Il la regardait comme supérieure à lui, malgré sa
faiblesse, et souvent il lui disait:--Tu n'es pas ma soeur, tu n'es pas
ma femme, tu es un ange que Dieu m'a envoyé pour me consoler, et qu'il
me reprendra peut-être dans quelques jours, car il est impossible que tu
meures. Une si belle création ne peut pas être anéantie. Promets-moi
que, si tu me vois mourir, tu retourneras aux cieux pour n'appartenir à
personne après moi.

Et elle promettait en souriant tout ce qu'il voulait, car elle ne savait
pas si elle était immortelle, elle ne s'en inquiétait pas, pourvu que
son époux lui répétât sans cesse qu'il l'aimait plus que sa vie.

Or, ils vivaient sur une montagne élevée, loin des lieux habités par les
autres hommes; car l'époux de la femme, tourmenté de crainte, avait
transporté sa demeure et ses troupeaux dans le désert, afin de mieux
cacher le trésor qui faisait son bonheur et ses angoisses.--Je ne
comprends pas, lui disait-il, le sentiment que vous m'avez inspiré pour
mes frères. Je les chérissais avant de vous connaître, et, malgré mon
goût pour la solitude, j'aurais tout partagé volontiers avec eux. Quand
je descendais dans la vallée aux jours de fête, leur vue réjouissait mon
âme, et je priais avec plus de ferveur prosterné au milieu d'eux dans le
temple. Aujourd'hui leur approche m'est odieuse, et quand je les vois de
loin je me cache, de peur qu'ils ne m'abordent et ne cherchent à
pénétrer aux lieux où vous êtes. A la seule idée qu'un de mes frères
pourrait vous apercevoir, je frissonne comme si l'heure de ma mort était
venue. L'autre jour j'ai vu près d'ici la trace d'un pied humain sur le
sable, et j'aurais voulu être un rocher pour attendre au bord du sentier
l'audacieux qui pouvait revenir, et l'écraser à son passage. Mais,
hélas! ajoutait-il, les autres hommes sont immortels, et seul je puis
craindre la chute d'un rocher. Si je tombais dans un précipice, vous
descendriez dans la vallée pour être nourrie et protégée par un autre
homme, et vous m'auriez bientôt oublié; car il n'est pas un de ces
immortels qui ne fît le sacrifice de son immortalité pour vous posséder.
C'est pourquoi, malgré mon amour pour vous, je ne puis m'empêcher de
désirer que la mort vous atteigne aussi tôt que moi.

Et la femme lui répondait:--Si tu tombais dans un ravin, je m'y
jetterais après toi; et si Dieu me refusait la mort, je mutilerais mon
corps et je détruirais ma beauté pour ne pas plaire à un autre.

Lorsque la femme mit au monde son premier-né, il lui sembla que sa mort
était proche, car elle sentait de grandes douleurs; et comme son époux
criait avec angoisses vers le Seigneur, elle lui dit:--Ne pleurez point
et réjouissez-vous, car mon corps se brise, et mon âme est heureuse de
ce qui m'arrive; je sens que je ne suis pas immortelle, et que je ne
resterai pas sans vous sur la terre.

L'époux de la femme fut rencontré dans les montagnes par quelques-uns de
ses frères, et ceux-ci virent qu'il était pâle et maigri, et qu'une
singulière inquiétude était répandue sur sa figure. Ils racontèrent ce
qu'ils avaient vu; et comme jusque-là les fatigues et l'ennui n'avaient
point été assez rudes à l'esprit de l'homme pour que son corps
indestructible pût en recevoir une telle altération, chacun s'étonna de
ce qu'il entendait de la bouche de ces témoins, comme s'ils eussent
annoncé l'apparition d'une nouvelle race dans le monde, ou une
perturbation dans l'ordre de la nature.

Plusieurs, entraînés par la curiosité, s'enfoncèrent dans les montagnes
pour chercher leur frère; mais il avait si bien caché sa demeure
derrière les lianes des forêts et les pics des rochers, qu'il se passa
plusieurs années avant qu'on la découvrît. Enfin il fut rencontré, et
ceux qui le virent s'écrièrent:--Homme, quel mal as-tu fait pour être
ainsi vieilli et malade comme les animaux périssables? Il répondit:--Je
ne ressemble pas à mes frères, mais je n'ai fait aucun mal, et Dieu m'a
visité et révélé plusieurs secrets que je vous enseignerai. Il parlait
ainsi pour donner le change à leur curiosité, et pendant la nuit il
essaya de transporter sa famille dans un lieu encore plus inaccessible.
Mais le jour le surprit avant qu'il fût parvenu à sa nouvelle retraite,
et il fut rencontré avec sa femme montée sur un âne sauvage, et ses
enfants, dont le plus jeune était dans ses bras.

A cette vue, les voyageurs se prosternèrent; la femme leur parut si
belle qu'ils la prirent pour un ange; et, malgré la résistance de
l'époux, ils l'entraînèrent dans la vallée, la firent entrer dans le
temple, et, lui élevant un autel, ils l'adorèrent. Ce fut la première
idolâtrie.

L'époux espérait que le respect les empêcherait de convoiter cette
femme; mais elle, craignant d'offenser le Seigneur, brisa les liens de
fleurs dont on l'avait enlacée, et tomba dans les bras de son époux en
s'écriant:--Je ne suis point une divinité, mais une esclave de Dieu, une
créature périssable et faible, la femme et la soeur de cet homme. Je lui
appartiens, parce que Dieu m'a envoyée vers lui; si vous essayez de m'en
séparer, je me briserai la tête contre cet autel, et vous me verrez
mourir, car je suis mortelle, et mon époux l'est aussi.

A ces mots, les voyageurs éprouvèrent une émotion inconnue, et furent
saisis d'une sympathie étrange pour ces deux infortunés; comme ils
étaient bons et justes, ils respectèrent la fidélité de la femme. Ils la
contemplèrent avec admiration, prirent ses enfants dans leurs bras, et,
ravis de leur beauté délicate et de leurs naïves paroles, ils se mirent
à les aimer.

Alors le peuple immortel, tombant à genoux, s'écria:--O Dieu, ôte-nous
l'immortalité, et donne à chacun de nous une femme comme celle-ci; nous
aimerons ses enfants, et nous travaillerons pour notre famille jusqu'à
l'heure où tu nous enverras la mort; nous te bénirons tous les jours si
tu exauces notre voeu.

La voûte du temple fut enlevée par une main invisible, un escalier
ardent, dont chaque marche était une nuance de l'arc-en-ciel, parut se
dérouler jusqu'à la terre. Du sommet invisible de cet escalier, on vit
descendre des formes vagues et lumineuses, qui peu à peu se dessinèrent
en se rapprochant; des choeurs de femmes plus belles que toutes les
fleurs de la terre et toutes les étoiles des cieux remplirent le
sanctuaire en chantant; un ange était venu s'abattre sur le dernier
degré, et à chaque femme qui le franchissait, il appelait un homme qu'il
choisissait selon les desseins de Dieu, et mettait la main de l'époux
dans la sienne.

Quelques hommes, cependant, voulurent conserver leur immortalité. Mais
l'amour de la femme était si enivrant et si précieux, qu'ils ne purent
résister au désir de le goûter, et qu'ils essayèrent de séduire les
femmes de leurs frères. Mais ils moururent de mort violente; Dieu les
châtia, afin que le premier crime commis sur la terre n'eût point
d'imitateurs.

Pendant longtemps, malgré les souffrances de cette race éphémère, l'âge
d'or régna parmi les hommes, et la fidélité fut observée entre les
époux.

Mais peu à peu le principe divin et immortel qui avait animé les
premiers hommes s'affaiblissant de génération en génération, l'adultère,
la haine, la jalousie, la violence, le meurtre et tous les maux de la
race présente se répandirent dans l'humanité; Dieu fut obligé de voiler
sa face et de rappeler à lui ses anges. La Providence devint de plus en
plus mystérieuse et muette, la terre moins féconde, l'homme plus débile,
et sa conscience plus voilée et plus incertaine. Les sociétés
inventèrent, pour se maintenir, des lois qui hâtèrent leur chute; la
vertu devint difficile et se réfugia dans quelques âmes choisies. Mais
Dieu infligea pour châtiment éternel à cette race perverse le besoin
d'aimer. A mesure que les lois plus absurdes ou plus cruelles
multipliaient l'adultère, l'instinct de mutuelle fidélité devenait de
jour en jour plus impérieux: aujourd'hui encore il fait le tourment et
le regret des coeurs les plus corrompus. Les courtisanes se retirent au
désert pour pleurer l'amour qu'elles n'ont plus droit d'attendre de
l'homme, et la demandent à Dieu. Les libertins se désolent dans la
débauche et appellent avec des sanglots furieux une femme chaste et
fidèle qu'ils ne peuvent trouver. L'homme a oublié son immortalité; il
s'est consolé de ne plus être l'égal des anges, mais il ne se consolera
jamais d'avoir perdu l'amour, l'amour qui avait amené la mort par la
main, et si beau qu'il avait obtenu grâce pour la laideur de cette soeur
terrible: il ne sera guéri qu'en le retrouvant. Car, écoutez les Juifs:
ils disent que la femme a apporté en dot le péché et la mort, mais ils
disent aussi qu'au dernier jour elle écrasera la tête du serpent, qui
est le génie du mal....

Comme Myrza achevait les derniers versets de son poëme, des prophètes
austères, qui l'avaient entendue, dirent au peuple assemblé autour
d'elle:--Lapidez cette femme impie; elle insulte à la vraie religion et
à toutes les religions, en confondant sous la forme allégorique les
dogmes et les principes de toutes les genèses. Elle joue sur les cordes
de son luth avec les choses les plus saintes, et la poésie qu'elle
chante est un poison subtil qui égare les hommes. Ramassez des pierres
et lapidez cette femme de mauvaise vie, qui ose venir ici prêcher les
vertus qu'elle a foulées aux pieds; lapidez-la, car ses lèvres souillées
profanent les noms de divinité et de chasteté.

Mais le peuple refusa de lapider Myrza.--La vertu, répondit un vieux
prêtre d'Esculape, est comme la science: elle est toujours belle, utile
et sainte, quelle que soit la bouche qui l'annonce, et nous tirons des
plantes les plus humbles que chaque jour le passant foule sur les
chemins un baume précieux pour les blessures. Laissez partir cette
sibylle; elle vient souvent ici, nous la connaissons et nous l'aimons.
Ses fictions nous plaisent, à nous, vieux adorateurs des puissants dieux
de l'Olympe, et les jeunes partisans des religions nouvelles y trouvent
un fonds de saine morale et de douce philosophie. Nous l'écoutons en
souriant, et nos femmes lui font d'innocents présents de jeunes agneaux
et de robes de laine sans tache. Qu'elle parle et qu'elle revienne, nous
ne la maudissons point; et si ses voies sont mauvaises, que Minerve les
redresse et l'accompagne.

--Mais nous parlons au nom de la vertu, reprirent les prophètes; nous
avons fait serment de ne jamais connaître un embrassement féminin.....

--Hier, interrompit une femme, d'autres prophètes nous engageaient, au
nom de je sais quel nouveau dieu, à nous abandonner à notre appétit; et
la veille, d'autres nous disaient d'être esclaves d'un seul maître: les
uns fixent la chasteté d'une femme au nombre de sept maris, les autres
veulent qu'elle n'en ait point, nous ne savons plus à qui entendre. Mais
ce que dit cette Myrza nous plaît: elle nous amuse et ne nous enseigne
point. Que ses fautes soient oubliées, et qu'elle soit vêtue d'une robe
de pourpre, pour être conduite au temple du Destin, qui est le dieu des
dieux.

Et comme les disciples des prophètes furieux s'acharnaient à la maudire,
et ramassaient de la boue et des pierres, le peuple prit parti pour
elle, et voulut la porter en triomphe. Mais elle se dégagea, et, montant
sur le dromadaire qui l'avait amenée, elle dit à ce peuple en le
quittant:--Laissez-moi partir, et si ces hommes vous disent quelque
chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le de quelque part qu'il vienne.
Pour moi, je vous ai dit ma foi, c'est l'amour. Et voyez pourtant que je
suis seule, que j'arrive seule, et que je pars seule.... Alors Myrza
répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta:--Comprenez-vous mes
pleurs, et savez-vous où je vais?

Et elle s'en alla par la route qui mène au désert de Thébaïde.

GEORGE SAND.




HAMLET.


O Hamlet, dis-nous le secret de ta douleur immense, et pourquoi nous
nous sentons vibrer autour de toi, comme autant d'échos de ta plainte
mystérieuse? Est-ce seulement qu'on a assassiné ton père, et que tu ne
te sens pas la force de le venger? C'est là une destinée tragique, mais
exceptionnelle et bizarre, qui se peint seulement à notre imagination et
qui ne remuerait guère nos coeurs, s'il n'y avait pas en toi autre chose
qu'un souvenir, une vision et un serment. Hamlet le danois[1], que nous
importe à nous, hommes d'aujourd'hui, le crime d'une reine, le meurtre
d'un roi, et la colère d'un prince dépossédé? Nous avons vu bien
d'autres drames de sang que ce drame imaginaire où ton prestige nous
entraîne. Quel mystère de poignante sympathie le poëte qui t'a donné
l'être, a-t-il donc enfermé dans ton sein et comme attaché à ton nom?

[Note 1: This is I. Hamlet the dane!...]

Création sublime, n'est-ce donc pas que tu résumes en toi toutes les
souffrances d'une âme pure jetée au milieu de la corruption et condamnée
à lutter contre le mal qui l'étreint et la brise? Il n'y a pas d'autre
fatalité dans ta vie, Hamlet, et ton délire n'a pas d'autre cause.
Jeune, tendre et confiant, l'âme ouverte à l'amour et à l'amitié, la
découverte du crime commis dans ta maison vient bouleverser toutes tes
affections, toutes tes croyances. Tu pleurais un mort chéri, et tu
t'étonnais de le pleurer seul. Un vague soupçon planait à peine sur ton
esprit: tout à coup ce soupçon devient certitude; une vision déchirante,
un songe peut-être, t'a éclairé, et dès lors, frappé de vertige, tu sens
ta raison ébranlée, et ta vie n'est plus qu'un accès de délire amer et
sombre.

Car tu es fou, Hamlet, et tu ne mens pas quand tu dis:

      _His madness is poor Hamlet's ennemy._

On ne se joue pas impunément avec la folie, et, d'ailleurs, le choix de
ton rôle de fou atteste que tu es dominé par la préoccupation,
l'angoisse et la terreur de la démence. Tu ne feins pas à la manière de
Brutus, car tu n'es pas l'austère Brutus. Amoureux et poëte, rêveur
tendre et studieux écolier, tu n'as rien de cette nature implacable et
patiente du conspirateur. Pauvre Hamlet, ton âme est trop fière et trop
aimante pour supporter la douleur et couver la vengeance. Te voilà forcé
de haïr les hommes, toi qui naquis pour les aimer, et dès ce premier
choc te voilà brisé sans retour. C'est l'horreur du crime, le mépris du
mensonge et l'effroi du mal, qui mettent tous les éléments de ton être
en guerre les uns contre les autres. Oh! qui ne te plaindrait d'être
ainsi détourné de tes voies et lancé sur une pente fatale!

L'harmonie de tes facultés est bien amèrement troublée, ô victime de
l'iniquité! Aux heures où tu philosophes sur la vie et sur la mort, sur
le mystère de la tombe et la peur de l'inconnu, tu sembles avoir
retrouvé toutes les lumières de ton intelligence: mais c'est à ces
heures-là même que nous devinons le mieux ton désastre, ce désastre
moral dont tu ne peux plus mesurer l'étendue, et qui se voile en vain
sous de brillantes et solennelles paroles. Plus que jamais divisé contre
toi-même, peut-on dire que, dans ces moments de rêverie où ton âme
quitte la terre, tu t'appartiennes réellement? Non, car alors le
souvenir de tes maux et de tes excès est comme effacé de ta mémoire
affaiblie, et la moitié de ton âme est paralysée. Lorsque tu te demandes
ce que c'est qu'_être ou n'être pas, mourir ou dormir... ou rêver!..._
tu ne vois pas Ophélia agenouillée près de toi; et lorsque tu songes au
destin d'Alexandre et au néant de la gloire, en soulevant le crâne
d'Yorick, tu ne te souviens pas du meurtre que tu as commis, et de ton
amante que tu as rendue folle. Tu n'as même pas songé à t'enquérir de
son sort; tu ne te doutes pas que c'est sa fosse que tu regardes
creuser. Il est donc des heures où ton pauvre coeur est mort, et alors
ton intelligence se perd dans des abstractions où tu n'as pas la notion
distincte de ton propre malheur. Est-ce un état de raison que celui où
le cerveau fonctionne dans l'oubli absolu des déchirements du coeur?
L'homme n'est-il pas décomplété quand il ne peut plus penser et sentir
que séparément et tour à tour?

Qu'on ne nous dise donc plus que tu n'es pas fou, car tu serais odieux,
et nous sentons si bien au contraire que tu ne t'appartiens plus, que ta
violence et ta cruauté nous font plus souffrir que toi-même.

Le noble Hamlet brise la frêle Ophélia en brisant l'amour dans son
propre sein, et il ne comprend pas qu'il la tue. Il ne la reconnaît que
dans son linceul, et ses regrets disent sa surprise et son repentir. Le
noble Hamlet brise l'orgueil impuni de sa mère, et son propre coeur se
brise de remords et de pitié en accomplissant ce devoir effroyable. Le
noble Hamlet raille et insulte Laërte, et bientôt il s'accuse et se
repent devant lui, mais sans paraître se rendre compte du mal qu'il lui
a fait, et en lui disant: «Le ciel m'est témoin que je vous ai toujours
aimé.» Partout Hamlet est noble et bon, mais aussi partout Hamlet est
hors de lui et gouverné par la démence, démence rêveuse et accablante
quand il est seul ou avec Horatio, démence furieuse et méprisante quand
il est en contact avec les sots et les méchants de ce monde.

La folie est toujours ou si repoussante, ou si navrante, que nous en
détournons les yeux avec effroi. La pauvre Ophélia elle-même, si pure,
si douce et si belle, n'a le don de nous intéresser qu'un instant, après
que sa raison l'a abandonnée. Son délire est trop complet, bien
qu'inoffensif. Ce n'est là qu'une douleur toute personnelle. D'où vient
donc, ô triste Hamlet, que ta folie, à toi, nous attache et nous
passionne du commencement à la fin? C'est à cause que ta douleur est la
nôtre à tous, et c'est cela qui la fait si humaine et si vraie. C'est ce
dessèchement qui se fait en toi de toutes les sources de la vie,
l'amour, la confiance, la franchise et la bonté. C'est ce déplorable
adieu que tu es forcé de dire à la paix de la conscience et aux
instincts de ta tendresse. C'est cette nécessité de devenir ombrageux,
hautain, violent, ironique, vindicatif et cruel. C'est cette fatalité
qui arme contre ton semblable ta main loyale et brave. C'est cet amour
même du vrai et du juste qui te condamne à devenir stupide ou méchant;
et, ne pouvant être ni l'un ni l'autre, tu te sens devenir fou:

               _They fool me to the top of my bent
They compell me to play the fool till I can endure to do it no longer._

Hélas! cette amertume de ta vie, ce désespoir tour à tour furieux et
morne se résument en un cri intérieur dont le retentissement se fait en
nous tous, et qui peut se traduire ainsi: Mon Dieu, pourquoi des
méchants parmi nous? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi le mal dans ton
oeuvre?

Oui, te voilà tout entier, Hamlet, dans ce cri de l'humanité révoltée
contre elle-même. Voilà le secret de tes larmes, de tes fureurs et de
tes épouvantes. Voilà le secret de notre pitié, de notre tendresse et de
notre effroi pour ton mal. Lequel de nous oserait dire, quand il
contemple l'étendue de ce mal auquel la terre est livrée, qu'il sera
plus fort, plus juste et plus patient que toi? Lequel de nous, quand il
s'égare aux abstractions de la métaphysique, ou, quand il s'abandonne
aux entraînements de la réalité, aux jouissances de l'esprit, aux
amusements de la jeunesse, aux espérances de l'amour, oserait s'assurer
qu'il n'est pas un fou, un esprit débile et troublé en qui le souvenir
de l'inévitable fatalité s'efface trop aisément, en qui le moi égoïste
ou frivole étouffe le sentiment de la vérité et le culte de la sagesse?
Soit que nous cherchions dans les livres la cause du malheur et de
l'impuissance de l'homme, soit que nous demandions ce secret fatal à la
rêverie, soit que nous tâchions de nous y soustraire par
l'étourdissement du plaisir, nous sommes toujours des infirmes de corps
et d'esprit, dominés par d'insondables mystères, épouvantés avec excès,
oublieux avec ivresse, poltrons ou fanfarons, prompts à épuiser la coupe
de nos joies, prompts à nous lasser de la recherche du vrai, et tristes
surtout, toujours tristes!

Pleure, Hamlet, pleure! Il n'y a vraiment que des sujets de larmes
ici-bas! Tremble aussi; car il n'est rien de si effrayant que notre
destinée en ce monde. Tue et meurs, détruis et disparais: c'est le sort
de l'homme. Depuis le berceau jusqu'à la tombe, depuis Adam jusqu'à toi,
Hamlet, depuis tes jours jusqu'aux nôtres, la voix de la terre est un
éternel sanglot qui se perd dans l'éternel silence des cieux.

GEORGE SAND.








End of Project Gutenberg's Le poëme de Myrza - Hamlet, by George Sand

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET ***

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