The Project Gutenberg EBook of Mémoires de Mr d'Artagnan (1700), by Gatien de Courtilz de Sandras (1644-1712) This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Mémoires de Mr d'Artagnan (1700) Author: Gatien de Courtilz de Sandras (1644-1712) Release Date: January 24, 2009 [EBook #27878] Language: French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DE MR D'ARTAGNAN (1700) *** Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) MEMOIRES DE MR. D'ARTAGNAN, Capitaine Lieutenant de la premiere Compagnie des Mousquetaires du Roi, Contenant quantité de choses PARTICULIERES ET SECRETTES Qui se sont passées sous le Regne de LOUIS LE GRAND. A COLOGNE, Chez PIERRE MARTEAU, M. DCC. Avis au Lecteur. _L'on trouvera dans le premier Tome de cet Ouvrage quelques Amourettes qui ne seront peut-être pas du goût du Lecteur. Les gens sages ne demandent que des choses serieuses, mais il faut considerer que l'Amour est le partage d'un jeune homme, & que cela ne se pouvoit supprimer sans altérer la verité. Quand Mr. d'Artagnan a été un peu plus avancé en âge il s'est corrigé de ce deffaut: C'est ce que l'on trouvera dans les deux autres Tomes de ces Memoires, qui sont actuellement sous la presse. L'on y verra même tout ce que peuvent desirer les gens du monde qui ont le plus d'aversion pour la bagatelle._ AVERTISSEMENT. Comme il n'y a pas encore long-tems que Mr. d'Artagnan est mort, & qu'il y a plusieurs personnes qui l'ont connu, & qui ont même été de ses Amis, ils ne seront pas fâchez, sur tout, ceux qui l'ont trouvé digne de leur estime, que je rassemble ici quantité de morceaux que j'ai trouvez parmi ses papiers après sa mort. Je m'en suis servi pour composer ces Memoires, en leur donnant quelque liaison. Ils n'en avoient point d'eux-mêmes, & c'est là tout l'honneur que je prétends donner de cet Ouvrage. Voilà aussi tout ce que j'ai mis du mien. Je ne m'amuse point à venter sa naissance, quoique j'aye trouvé à cet égard des choses bien avantageuses parmi ses écrits. J'ai eu peur qu'on ne m'accusât de l'avoir voulu flatter, d'autant plus que tout le monde ne convient pas qu'il fut veritablement de la famille dont il avoit pris le nom. Si cela est il n'est pas le seul qui ait voulu paroître plus qu'il n'étoit. Il eut un camarade de fortune qui fit du moins la même chose quand il se vit le vent en poupe: je veux parler de Mr. de Besmaux qui fut Soldat aux Gardes avec lui, puis Mousquetaire, & enfin Gouverneur de la Bastille. Toute la difference qu'il y eut entr'eux c'est, qu'après avoir eu tous deux des commencemens tout égaux, savoir, beaucoup de pauvreté & de misére, & s'être élevez au delà de leur esperance, l'un est mort presque aussi gueux qu'il étoit venu au monde, & l'autre extrémement riche. Le riche, c'est à dire Mr. de Besmaux, n'a pourtant jamais essuyé un coup de mousquet; mais la flaterie, l'avarice, la dureté & l'adresse lui ont plus servi que la sincerité, le desinteressement, le bon coeur, & le courage que l'autre eut en partage. Ils ont été tous deux, à ce qu'il faut croire, bons serviteurs du Roi; mais l'un jusques à la bourse: de sorte qu'il ressembloit à un certain Ambassadeur que le Roi avoit en Angleterre, dont sa Majesté disoit qu'il n'eut pas voulu depenser un sou, quand même il y eut allé du salut de son Etat; au lieu que l'autre faisoit litiere de son argent, pour peu qu'il crut qu'il y allât de son service. Si je parle ici de Mr. de Besmaux, c'est que comme j'aurai beaucoup de choses à en dire dans la suite, il n'est pas hors de propos de le faire connoître pour ce qu'il étoit. Je ne dirai rien ici de cet Ouvrage. Ce n'est pas ce que j'en dirois qui le rendroit recommandable; il faut qu'il le soit de lui-même pour le paroître aux yeux des autres: peut-être me tromperois-je même dans le jugement que j'en ferois, parce que j'y ai mis la main en quelque façon, & qu'on est toûjours amateur de ce que l'on fait. En effet, si je n'en suis pas le pere, j'en ai eu du moins la direction. Ainsi je ne dois pas être moins suspect que le seroit un maître qui voudroit parler de son éleve, parce qu'il sauroit bien qu'on lui donneroit la gloire de tout ce qu'il auroit de recommendable. Je n'en dirai donc rien de peur de m'exposer moi-même à la censure dont je chercherois à preserver les autres. J'aime mieux en laisser toute la gloire à Mr. d'Artagnan, si l'on juge qu'il lui en doive revenir aucune d'avoir composé cet Ouvrage, que d'en partager la honte avec lui, si le public vient à juger qu'il n'ait rien fait qui vaille. Tout ce que je dirai pour ma justification, supposé toutefois que je dise rien qui puisse ennuyer, c'est qu'il y aura autant de la faute des materiaux qu'on m'a preparez, que de la mienne. L'on ne sauroit faire une grande & superbe maison, à moins que l'on n'ait en sa disposition tout ce qu'il convient pour en executer le dessein. L'on ne sauroit non plus faire paroître un beau diamant d'un petit, quelque adresse que l'on ait à le mettre en oeuvre; mais parlons ici de meilleure foi, & que sert de faire le modeste. C'est contre mon sentiment que je parle, quand je témoigne douter que les materiaux me manquent en cette rencontre, & que je témoigne de la crainte de ne les pouvoir placer en leur lieu. Disons donc plûtôt, pour marquer plus de sincerité, que la matière que j'ai trouvée ici est très-précieuse d'elle-même, & que l'on trouvera peut-être que je ne m'en serai pas trop mal servi. MEMOIRES DE Mr. D'ARTAGNAN, Capitaine Lieutenant de la premiere Compagnie des Mousquetaires du Roi. Je ne m'amuserai point ici à rien rapporter de ma naissance, ni de ma jeunesse, parce que je ne trouve pas que j'en puisse rien dire qui soit digne d'être rapporté. Quand je dirois que je suis né Gentilhomme, de bonne Maison, je n'en tirerois ce me semble que peu d'avantage, puisque la naissance est un pur effet du hasard, ou pour mieux dire de la providence divine. Elle nous fait naître comme il lui plaît, sans que nous ayons dequoi nous en vanter. D'ailleurs, quoi que le nom d'Artagnan fut déjà connu quand je vins au monde, & que je n'ai servi qu'à en relever l'éclat, parce que la fortune m'en a voulu en quelque façon, il y a toûjours bien à dire qu'il le fut à l'égal des _Chatillon_ sur Marne, des _Montmoranci_ & de quantité d'autres Maisons qui brillent parmi la Noblesse de France. S'il apartient à quelqu'un de se vanter, quoi que ce ne doive être qu'à Dieu, c'est tout au plus à des personnes qui sortent d'un sang aussi illustre que celui-là: Quoi qu'il en soit ayant été élevé assez pauvrement, parce que mon Pére & ma Mére n'étoient pas riches, je ne songeai qu'à m'en aller chercher fortune, du moment que j'eus atteint l'âge de quinze ans. Tous les Cadets de Bearn, Province dont je suis sorti, étoient assez sur ce pied-là, tant parce que ces peuples sont naturellement très belliqueux, que parce que la sterilité de leur Païs n'exhorte pas à en faire toutes leurs delices. Une troisiéme raison m'y portoit encore, qui n'étoit pas moindre que ces deux là, aussi avoit-elle, avant moi, engagé plusieurs de mes voisins & de mes amis à en quitter plûtôt le coin de leur feu. Un pauvre Gentilhomme de nôtre voisinage, s'en étoit allé à Paris, il y avoit quelques années avec une petite male sur le dos, & il avoit fait une si grande fortune à la Cour, que s'il eut été aussi souple qu'il avoit de courage, il n'y eut eu rien à quoi il n'eut pû aspirer. Le Roi lui avoit donné la Compagnie des Mousquetaires qui étoit unique en ce tems-là. Sa Majesté disoit même, pour mieux témoigner l'estime qu'elle en faisoit, que si elle eut eu quelque combat particulier à faire, elle n'eut point voulu d'autre second que lui. Ce Gentilhomme s'appelloit Troisville, vulgairement appellé Treville, & a eu deux enfans qui étoient assez bien faits, mais qui ont été bien éloignés de marcher sur ses traces. Ils vivent encore tous deux aujourd'hui, l'ainé est d'Eglise, son Pére ayant jugé à propos, de lui faire embrasser cet état, parce qu'ayant été taillé dans sa jeunesse, il crut qu'il en seroit moins capable que son Frere de soutenir les fatigues de la Guerre. D'ailleurs comme la plûpart des Péres croyent selon ce que faisoit _Cain_, que ce qu'ils ont à offrir à Dieu doit être le rebut de toutes choses, il aimoit mieux que son Cadet, qui paroissoit avoir plus d'esprit que l'ainé, fut pour soutenir la fortune de sa Maison, qu'il avoit élevée aux dépens de ses travaux, que de la transmettre à celui qui en devoit être chargé naturellement. Ainsi il lui donna le droit d'ainesse, comme je le dirai tantôt, pendant qu'il se contenta de procurer une grosse Abbaye à son Frere; mais comme il arrive souvent que ceux qui ont le plus d'esprit font les plus grandes fautes, ce Cadet, qui étoit ainsi devenu l'ainé, se rendit si insupportable à tous les jeunes gens de son âge, & de sa volée, en leur voulant montrer qu'il étoit plus habile qu'eux qu'ils ne purent le lui pardonner. Ils l'accuserent à son tour, que s'ils n'étoient pas aussi capables que lui de beaucoup de choses, ils étoient du moins plus braves qu'il n'etoit. Je ne sçais pourquoi ils disoient cela, & je ne crois pas même qu'ils eussent raison; mais comme on croit bien plûtôt le mal que le bien, ce bruit étant parvenu jusques aux oreilles du Roi, qui l'avoit fait Cornette des Mousquetaires, Sa Majesté qui ne vouloit dans sa Maison que des gens dont le courage ne fut point soupçonné, lui fit insinuer sous main de quitter sa charge, pour un Regiment de Cavallerie, qui lui fut proposé. Il le fit, soit qu'il soupçonnât que le Roi le vouloit, ou qu'avec tout son esprit, il donnât dans le panneau. Cependant ce qui fit qu'on le soupçonna plus que jamais quelque tems après de foiblesse, c'est que la Campagne de l'Isle étant survenue, il quitta son Regiment pour se jetter parmi les Prêtres de l'Oratoire, encore passe s'il en eut pris l'habit, & qu'il s'y fut tout à fait consacré à Dieu, mais comme il n'y fit que prendre un appartement, & qu'il l'a même quitté depuis, cela donna lieu plus que jamais, à ceux qui lui vouloient du mal, de continuer leurs medisances. Mes Parens étoient si pauvres qu'ils ne me purent donner qu'un bidet de vint-deux francs, avec dix écus dans ma poche, pour faire mon voyage. Mais s'ils ne me donnerent guéres d'argent, ils me donnerent en recompense quantité de bons avis. Ils me remontrerent que je prisse bien garde à ne jamais faire de lâcheté, parce que si cela m'arivoit une fois, je n'en reviendrois de ma vie. Ils me représenterent que l'honneur d'un homme de Guerre, profession que j'allois embrasser, étoit aussi delicat que celui d'une femme; dont la vertu ne pouvoit jamais être soupçonnée que cela ne lui fit un tort infini dans le monde, quand elle trouveroit après cela le moyen de s'y justifier: que je sçavois bien le peu de cas que j'avois toûjours entendu faire de celles qui passoient pour être de mediocre vertu; qu'il en étoit de même des hommes qui témoignoient quelque lâcheté, que j'eusse toûjours cela devant les yeux, parce que je ne pouvois me le graver trop avant dans la cervelle. Il est quelquefois dangereux de faire à un jeune homme un portrait fort vif de certaines choses, parce qu'il n'a pas l'esprit de les bien digerer. C'est dequoi je m'apperçus bien, d'abord que la raison me fut venuë; mais en attendant je fis quantité de fautes pour vouloir m'attacher au pied de la lettre à ce qu'on m'avoit dit. D'abord que je vis que l'on me regardoit entre deux yeux, je pris sujet de là de quereller les gens, sans qu'ils eussent dessein néanmoins de me faire aucune injure. Cela m'arriva la premiere fois entre Blois & Orleans, ce qui me couta un peu cher, & qui devoit bien me rendre sage. Comme le bidet que j'avois étoit fatigué du voyage, & qu'à peine avoit-il la force de pouvoir lever la queuë, un Gentilhomme de ce Païs-là me regarda moi & mon equipage d'un oeil de mépris. Je le reconnus bien à un souris qu'il ne se pût empêcher de faire à trois ou quatre personnes avec qui il étoit, car c'étoit dans une petite Ville nommée St. Alié, que cela arriva, il y étoit allé, à ce que j'appris depuis, pour y vendre des bois, & il étoit avec le Marchand à qui il s'étoit addressé pour cela, & avec le Notaire qui en avoit passé le marché. Ce souris me fut si desagréable que je ne pus m'empêcher de lui en témoigner mon ressentiment, par une parole très offençante. Il fut beaucoup plus sage que moi, il fit semblant de ne la pas entendre, soit qu'il me regardât, comme un enfant qui ne le pouvoit offenser, ou qu'il ne voulut pas se servir de l'avantage qu'il croyoit avoir sur moi. Car c'étoit un grand homme, & qui étoit à la fleur de son âge, de sorte qu'on eut dit à nous voir tous deux qu'il falloir que je fusse fou, pour oser m'attaquer à une personne comme lui. J'étois pourtant d'assez bonne taille pour le mien; mais comme on ne paroit jamais qu'un enfant, quand on n'est pas plus âgé que je l'étois, tous ceux qui étoient avec lui, le loüerent en eux mêmes de sa moderation, pendant qu'ils me blâmerent de mon emportement. Il n'y eut que moi qui le pris sur un autre pied qu'ils ne le prenoient. Je trouvai que le mépris qu'il faisoit de moi, étoit encore plus offensant que la premiere injure que je croyois en avoir receuë. Ainsi perdant tout à fait le jugement je m'en allai sur lui comme un furieux, sans considerer qu'il étoit sur son pallié, & que j'allois avoir sur les bras tous ceux qui lui faisoient compagnie. Comme il m'avoit tourné le dos après ce qui venoit de se passer, je lui criai d'abord de mettre l'épée à la main, parce que je n'étois pas homme à le prendre par derriere. Il me méprisa encore assez pour me regarder comme un enfant, de sorte que me disant de passer mon chemin au lieu de faire ce que je lui disois, je me sentis tellement ému de colere, quoi que naturellement j'aye toûjours été assez moderé, que je lui donnai deux ou trois coups de plat d'épée sur la tête. J'eus plûtôt fait cela que je ne songai à ce que je faisois, dont je ne me trouvai pas trop bien: le Gentilhomme qui se nommoit Rosnai mit l'épée à la main en même tems, & me menaça qu'il ne seroit guéres à me faire repentir de ma folie. Je ne pris pas garde à ce qu'il me disoit, & peut-être eut-il été assez empêché à le faire, quand je me sentis accablé de coups de fourche, & de coups de baton. Deux de ceux qui étoient avec lui, & dont l'un avoit en main un baton qui sert ordinairement à mesurer les bois, furent les premiers qui me chargerent, pendant que les deux autres se furent fournir dans la maison prochaine des autres armes, dont ils pretendoient m'attaquer. Comme ils me prirent par derriere, je fus bientôt hors de combat. Je tombai même à terre le visage tout plein de sang, d'une blessure qu'ils m'avoient faite à la tête. Je criai à Rosnai, voyant l'insulte qu'on me faisoit, que cela étoit bien indigne d'un honnête homme, comme je l'avois cru d'abord, que s'il avoit un peu d'honneur, il étoit impossible qu'il ne se fit quelque reproche secret de souffrir qu'on me maltraitât de la sorte; que je l'avois pris pour un Gentilhomme, mais que je voyois bien à son procédé, qu'il en étoit bien éloigné, que tel cependant qu'il pût être il feroit bien de me faire achever pendant que j'étois sous sa puissance, parceque si j'en sortois jamais, il trouveroit un jour à qui parler. Il me repondit, qu'il n'étoit pas cause de cet accident que je m'étois attiré par ma faute; que bien loin d'avoir commandé à ces gens là de me maltraiter comme ils avoient fait, il en étoit au desespoir; que j'eusse cependant à profiter de cette correction, & à en être plus sage à l'avenir. Ce compliment me parut tout aussi peu honnête que son procedé. Si j'en trouvai le commencement assez passable, la suite ne me le parut guéres. Cela fut cause que je lui fis encore d'autres menaces, tandis qu'au lieu des paroles que j'employois pour toutes armes, l'on me foura encore en prison. Si j'eusse toûjours eu mon épée on ne m'y eut pas mené comme on faisoit, mais ces hommes s'en étoient saisis en me prenant par derriere, & l'avoient même cassée en ma presence, pour me faire encore un plus grand affront. Je ne sçais ce qu'ils firent de mon bidet ni de mon linge que je n'ai jamais reveus depuis. On informa cependant contre moi sous le nom de ce Gentilhomme, & quoi que j'eusse été batu, & que ce fut à moi à demander de gros dommages & interêts, je fus encore condamné à lui faire reparation. On me supposa de lui avoir dit des injures, & ma sentence m'ayant été prononcée, je dis au Greffier que j'en appellois. Cette canaille se moqua de mon appel, & m'ayant encore condamné aux frais, mon cheval & mon linge furent vendus apparement sur & tant moins de ce qu'elle pretendoit que je lui devois. Elle me garda deux mois & demi en prison, pour voir si personne ne me reclameroit. J'eusse eu beaucoup à souffrir pendant tout ce tems-là, si au bout de quatre ou cinq jours le curé du lieu ne me fut venu voir. Il tâcha de me consoler, & me dit que j'étois bien malheureux qu'un Gentilhomme du voisinage de Rosnai, n'eut été sur les lieux lorsque mon accident étoit arrivé, qu'il eut fait faire les informations tout autrement qu'elles n'avoient été faites; mais qu'étant trop tard presentement pour y remedier, tout ce qu'il pouvoit faire pour moi étoit de m'offrir tout le secours dont il étoit capable; qu'il m'envoyoit toûjours quelques chemises & quelque argent, & que s'il ne venoit pas me voir lui même, c'est qu'ayant eu des differens avec mon ennemi, dans lesquels il l'avoit même un peu maltraité, il lui avoit été fait deffense de la part de Messieurs les Mâréchaux de France, sous peine de prison, d'épouser jamais aucuns interêts contraires aux siens. Ce secours ne me pouvoit venir plus à propos. L'on m'avoit pris ce qui me restoit d'argent de mes dix écus, lorsqu'on m'avoit mis en prison. Je n'avois d'ailleurs qu'une seule chemise laquelle ne devoit guéres tarder à pourir sur mon dos, parce que je n'en avois point à changer; mais comme j'avois bonne provision de ce que l'on accuse ordinairement les Bearnois de ne pas manquer, c'est à dire beaucoup de gloire, je crus que c'étoit me faire affront que de m'offrir ainsi la charité. Je répondis donc au curé que j'étois bien obligé au Gentilhomme qui l'envoyoit, mais qu'il ne me connoissoit pas encore; que j'étois Gentilhomme aussi bien que lui, de sorte que je ne ferois jamais rien d'indigne de ma naissance; quelle m'apprenoit que je ne devois rien prendre que du Roi, que je pretendois me conformer à cette régle, & mourir plûtôt le plus miserable du monde que d'y manquer. Le Gentilhomme, à qui l'on avoit conté tout ce que j'avois fait, s'étoit bien douté de ma réponse, trouvant trop de fierté dans mon procedé pour m'en dementir en cette occasion: ainsi il lui avoit fait la bouche en cas que ce qu'il croyoit arrivât. C'étoit de me dire qu'il ne contoit pas de me donner ni l'argent qu'il m'offroit, ni les chemises, mais bien de me les prêter jusques à ce que je pusse lui rendre l'un & l'autre; qu'un Gentilhomme tomboit quelque fois dans la nécessité aussi bien qu'un homme du commun, & qu'il ne lui étoit pas plus interdit qu'à lui d'avoir recours à ses amis pour s'en tirer. Je trouvai que mon honneur seroit à couvert par là. Je fis un billet au curé du montant de cet argent, & de ces chemises qui alloit à quarante-cinq francs. Cet argent qu'on me vit dépenser fit durer ma prison les deux mois & demi que je viens de dire, & même l'eut peut-être fait durer encore d'avantage par l'esperance qu'eut eu la justice, que celui qui me le donnoit m'eut encore donné de quoi me tirer de ses pattes, si ce n'est que le curé prit soin de publier que c'étoient des charités qui lui passoient par les mains, dont il m'avoit assisté: ainsi ces miserables croyans qu'ils ne gaigneroient rien de me garder plus long-tems, ils me mirent dehors au bout de ce tems là. Je ne fus pas plutôt sorti que je fus chez le curé pour le remercier de ses bons offices, & de toutes les peines qu'il avoit bien voulu prendre pour moi. Car outre ce que je viens de dire, il avoit encore sollicité ma liberté, & n'y avoit pas nui assurément. Je lui demandai s'il m'étoit permis d'aller voir mon créancier, pour lui témoigner ma reconnoissance, que j'étois bien aise aussi de l'assurer que je ne serois pas plûtôt en état de m'acquitter de ce que je lui devois, que je le ferois fidélement. Il me répondit, qu'il avoit ordre de lui de me prier de n'en rien faire, de peur que ma visite ne se prit en mauvaise part par son ennemi, & le mien; que cependant comme il avoit envie de me voir il se rendroit le lendemain à Orleans _incognito_; que je m'en fusse loger à l'écu de France, que je l'y trouverois, ou du moins qu'il s'y rendroit tout aussi-tôt que moi; qu'il me preteroit son cheval pour y aller à mon aise, & que comme il sçavoit bien qu'il ne me pouvoit plus guéres rester d'argent de celui qu'il m'avoit donné, ce Gentilhomme m'en preteroit encore pour achever mon voyage. J'en avois assez de besoin, comme il disoit, ainsi n'étant pas fâché de trouver ce secours, je partis le lendemain pour Orleans, bien resolu de revenir tout le plûtôt que je pourois en ce païs là, pour m'acquitter de l'argent que j'y avois emprunté, & pour me venger de l'affront qui j'y avois receu. Je n'en serois pas même parti sans satisfaire à mon juste ressentiment, si ce n'est que le Curé m'apprit que le Gentilhomme à qui j'avois eu affaire, sçachant que l'on me devoit faire sortir de prison, étoit monté à cheval pour s'en aller dans une terre qu'il avoit à cinquante ou soixante lieües de là. Je trouvai ce procedé digne de lui, & ne disant pas au curé ce que j'en pensois, parce que je sçavois bien, que ceux qui menaçoient d'avantage n'étoient pas toujours les plus dangereux, je partis le lendemain avant le jour pour m'en aller à Orleans. Je fus loger à l'écu de France comme le curé me l'avoit dit, & le Gentilhomme qui m'avoit obligé de si bonne grace, & qui s'appelloit Montigré, s'y étant rendu dès le même jour, il se fit connoître à moi, comme le curé m'avoit dit qu'il devoit faire, d'abord qu'il seroit arrivé. Je le remerciai en des termes les plus reconnoissans qu'il me fut possible, & m'ayant répondu que c'étoit si peu de chose, que cela ne valloit pas seulement la peine d'en parler, je le mis sur le chapitre de Rosnai. Il me dit, voyant que j'avois grande demangeaison de le joindre, que j'y serois bien empêché, que je m'y devois prendre finement, se j'y voulois réussir, parce qu'il étoit homme à me faire ce qu'il lui avoit fait, c'est à dire à en user si mal que je n'en serois jamais content: que s'il venoit par hasard à s'appercevoir que je lui en voulusse, il me feroit venir tout aussi-tôt devant les Marêchaux de France; que cela romproit toutes les mesures que je pouvois prendre, desorte qu'il étoit besoin que j'usasse d'une grande dissimulation, si je voulois l'attraper. Ce Gentilhomme voulut à toute force que je prisse le carosse pour m'en aller. Il me prêta encore dix pistoles d'Espagne, quoi que je fisse difficulté de les prendre, tellement que je me trouvai engagé avec lui, de près de deux cent francs devant que d'arriver à Paris. C'étoit presque, pour en dire le vrai, tout ce que je pouvois esperer de ma legitime, parce que, comme j'ai déja dit, mes richesses n'étoient pas bien grandes; mais me reservant l'esperance en partage, j'achevai mon chemin, après être convenu avec Montigré, qu'il me donneroit de ses nouvelles, & que je lui donnerois des miennes. Je ne fus pas plûtôt arrivé à Paris, que je fus trouver Mr. de Treville qui logeoit tout auprès du Luxembourg. J'avois apporté, en m'en venant de chez mon Pére, une lettre de recommandation pour lui. Mais par malheur on me l'avoit prise à St. Dié, & le vol qu'on m'en avoit fait avoit encore augmenté ma colere contre Rosnai. Pour lui il n'en étoit devenu que plus timide, parce que cette lettre lui apprenoit que j'étois Gentilhomme, & que je devois trouver de la protection auprès de Mr. de Treville. Enfin toute ma ressource étoit de lui dire l'accident qui m'étoit arrivé, quoi que j'eusse bien de la peine à le faire, parce qu'il me sembloit qu'il n'auroit pas trop bonne opinion de moi, quand il sçauroit que je serois revenu de là, sans tirer raison de l'affront que j'y avois receu. Je fus loger dans son quartier, afin d'être plus près de lui. Je pris une petite chambre dans la ruë des Fossoïeurs, tout auprès de St. Sulpice, il y avoit pour enseigne le gaillard Bois, il y avoit des jeux de boule, comme je crois qu'il y en a encore, & elle avoit une porte qui perçoit dans la ruë Ferou, qui est au derriere de la ruë des Fossoïeurs. Je fus dès le lendemain matin au lever de Mr. de Treville, dont je trouvai l'Antichambre toute pleine de Mousquetaires. La plûpart étoient de mon Païs, ce que j'entendis bien à leur langage; ainsi me croyant plus fort de moitié que je n'étois auparavant, de me trouver ainsi en païs de connoïssance, je me mis à accoster le premier que je trouvai sous ma main. J'avois employé une partie de l'argent de Montigré à me faire propre, & je n'avois pas aussi oublié la coutume du païs, qui est, quand on n'auroit pas un sou dans sa poche, d'avoir toûjours le plumet sur l'oreille & le ruban de couleur à la cravate. Celui que j'accostai s'appelloit Porthos, & étoit voisin de mon Pére de deux ou trois lieuës. Il avoit encore deux Freres dans la Compagnie, dont l'un s'appelloit Athos, & l'autre Aramis. Mr. de Treville les avoit fait venir tous trois du païs, parce qu'ils y avoient fait quelques combats, qui leur donnoient beaucoup de reputation dans la Province. Au reste il étoit bien aise de choisir ainsi ses gens, parce qu'il y avoit une telle jalousie entre la Compagnie des Mousquetaires, & celle des Gardes du Cardinal de Richelieu, qu'ils en venoient aux mains tous les jours. Cela n'étoit rien, puisqu'il arrive tous les jours que des particuliers ont querelle ensemble, principalement quand il y a comme assaut de reputation entr'eux. Mais ce qui est d'assez étonnant, c'est que les maîtres se piquoient tous les premiers d'avoir des gens, dont le courage l'emportoit par dessus tous les autres. Il n'y avoit point de jour que le Cardinal ne vantât la bravoure de ses Gardes, & que le Roi ne tâchât de la diminuer, parce qu'il voyoit bien que son Eminence ne songeoit par là, qu'à élever sa Compagnie par dessus la sienne, & il est si vrai que c'étoit là le dessein de ce Ministre, qu'il avoit tout exprès dans les Provinces des gens appostez pour lui amener ceux qui s'y rendoient redoutables par quelques combats particuliers. Ainsi dans le tems qu'il y avoit des Edits rigoureux contre les Duels, & même qu'on avoit puni de mort quelques personnes de la premiere qualité, qui s'étoient batus au préjudice de la Publication qui en avoit été faite, il leur donnoit non seulement azile auprès de lui, mais encore part le plus souvent, dans ses bonnes grâces. Porthos me demanda depuis quand j'étois arrivé, quand il sçut qui j'étois, & à quel dessein je venois à Paris. Je le contentai sur sa curiosité, & me disant que mon nom ne lui étoit pas inconnu, & qu'il avoit ouï dire souvent à son Pére qu'il y avoit eu de braves gens de ma Maison, il me dit que je leur devois ressembler, ou m'en retourner incessamment en nôtre païs. Le compliment que mes Parens m'avoient fait devant que de partir, me rendoit si chatouilleux sur tout ce qui regardoit le point d'honneur, que je commençai non seulement à le regarder entre deux yeux; mais encore à lui demander assez brusquement, pourquoi il me tenoit ce langage, que s'il doutoit de ma bravoure, je ne serois pas long-tems sans la lui faire voir, qu'il n'avoit qu'à descendre avec moi dans la ruë, & que cela seroit bientôt terminé. Il se prit à rire, m'entendant parler de la sorte, & me dit que quoi qu'en allant vite, on fit d'ordinaire beaucoup de chemin, je ne sçavois peut-être pas encore qu'on se heurtoit aussi le pied bien souvent, à force de vouloir trop avancer: que s'il falloit être brave, il ne falloit pas être querelleur; que de se piquer mal à propos, étoit un excés qui étoit tout aussi blamable que la foiblesse qu'il vouloit me faire éviter; que puisque j'étois non seulement de son païs, mais encore son voisin, il vouloit me servir de Gouverneur, bien loin de se vouloir batre contre moi; que cependant si j'avois tant d'envie d'en decoudre il me la ferait passer avant qu'il fut peu. Je crus, quand je l'entendis parler de la sorte, qu'après avoir fait le modeste, il me mettoit le marché à la main. Ainsi le prenant au mot, je croyois que nous allions tirer l'épée d'abord que nous serions descendus dans la ruë, quand il me dit lorsque nous fumes à la porte, que je le suivisse à neuf ou dix pas sans m'approcher de plus près de lui. Je ne sus ce que cela vouloit dire; mais songeant que devant qu'il fut peu j'en serois éclairci, je me donnai patience jusques à ce que j'en visse l'accomplissement. Il descendit le long de la ruë de Vaugirard du côté qui va vers les carmes deschaus. Il s'arrêta à l'hotel d'Aiguillon à un nommé Jussac qui étoit sur la porte, & fut bien un demi quart d'heure à lui parler. Ce Jussac est le même que nous avons veu depuis à Mrs. de Vendôme, & à Mr. le Duc de Maine. Je crus d'abord qu'il l'aborda qu'ils étoient les meilleurs amis du monde aux embrassades qu'ils se firent, & je n'en fus desabusé que lors qu'ayant passé outre, je retournai la tête pour voir si Porthos me suivoit. Je vis en effet qu'au lieu de continuer ainsi à se caresser Jussac lui parloit avec chaleur, & comme un homme qui n'étoit pas content. Je me mis sur la Porte du Calvaire, maison Religieuse qui est tout auprès de là; j'y attendis mon homme que je voyois répondre du même air que l'autre lui parloit, car ils s'étoient mis tous deux au milieu de la ruë, afin que le Suisse de l'hôtel d'Aiguillon n'entendit pas ce qu'ils disoient: je vis de là que Porthos qui m'avoit aperçu me montroit, ce qui me donna encore plus d'inquiétude que je n'en avois, ne sçachant ce que tout cela vouloit dire. Enfin Porthos l'ayant quitté après ce long entretien, me vint trouver, & me dit qu'il venoit de bien disputer pour l'amour de moi, qu'ils se dévoient batre dans une heure, trois contre trois, aux près aux Clercs, qui est au bout du Fauxbourg St. Germain; & que s'étant resolu, sans m'en rien dire, à me mettre de la partie, il venoit de dire à cet homme, qu'il falloit qu'il cherchât un quatriéme pour que je me pusse éprouver contre lui; qu'il lui avoit répondu qu'il ne sçavoit où en trouver un à l'heure qu'il étoit, que chacun étoit alors hors de chez soi, & que ç'avoit été là le sujet de leur contestation; que je voyois bien par ce qu'il venoit de me dire qu'il n'avoit pas été en son pouvoir d'accepter mon deffi, que l'on ne pouvoit pas courir deux lievres à la fois, mais qu'il avoit crû me faire voir que ce n'étoit pas manque de coeur en me rendant témoin moi même des raisons qu'il avoit euës de me refuser. Je compris alors tout ce que je n'avois pû deviner auparavant, & lui ayant demandé le nom de cet homme, & si c'étoit lui qui étoit le chef de la querelle, il m'apprit tout ce que j'en voulois sçavoir, il me dit qu'il s'appelloit Jussac, qu'il commandoit dans le Havre de Grace, sous le Duc de Richelieu, qui en étoit Gouverneur en survivance du Cardinal son Oncle, qu'il étoit le chef de la querelle, qui se devoit terminer presentement, qu'il l'avoit euë avec son Frere ainé, & qu'elle ne venoit que parce que l'un avoit soutenu que les Mousquetaires batroient les Gardes du Cardinal, toutes les fois qu'ils auroient affaire à eux, & que l'autre avoit soutenu le contraire. Je le remerciai du mieux que je pus, lui disant qu'après être parti de chez moi dans le dessein de prendre Mr. de Treville pour mon Patron, il me faisoit plaisir de me choisir avec ses autres amis, pour soutenir une querelle en l'honneur de sa compagnie: D'ailleurs que comme je sçavois qu'il avoit toujours fait gloire de prendre le parti du Roi, au préjudice de toutes les offres avantageuses que son Eminence lui avoit faites pour embrasser ses interêts, j'étois bien aise d'avoir à combattre pour une cause qui n'étoit pas moins selon mon inclination, que selon la sienne; que je ne pouvois mieux faire pour mon coup d'essay, & que je tâcherois de ne pas dementir la bonne opinion qu'il me témoignoit par là de mon courage. Nous marchâmes dans cet entretien jusques en deça des Carmes où nous tournâmes par la ruë Cassette; nous y descendîmes tout du long, & ayant gaigné le coin de la ruë du Colombier, nous entrâmes en suite dans la ruë St. Pere, puis dans celle de l'université, au bout de laquelle étoit l'endroit où se devoit faire nôtre combat. Nous y trouvâmes Athos avec son Frere Aramis, qui ne surent ce que cela vouloit dire, quand ils me virent avec lui. Ils le tirerent à part pour lui en demander la raison, & leur ayant répondu qu'il n'avoit pû faire autrement pour se tirer de l'embarras, où le jettoit le marché que je lui avois mis à la main, ils lui repliquerent qu'il avoit grand tort d'en avoir usé de la sorte, que je n'étois encore qu'un enfant, & que Jussac en tireroit un avantage qui ne manqueroit pas de tourner à leur préjudice; qu'il m'opposeroit quelque homme qui m'auroit bientôt expedié, & que cet homme tombant sur eux, après cela il se trouveroit qu'ils ne seroient plus que trois contre quatre, dont il ne leur pouroit arriver que du malheur. J'eusse été en grande colere si j'eusse sçû ce qu'ils disoient de moi. C'étoit en effet avoir bien méchante opinion de ma personne que de me croire capable d'être battu si facilement; cependant comme c'étoit une chose faite que ce que Porthos avoit fait, & qu'il n'y avoit plus de remede, ils se crurent obligez de faire bonne mine, comme on dit, à mauvais jeu. Ainsi faisant semblant d'être les plus contens du monde, de ce que je voulois bien exposer ma vie pour leur querelle, moi qui ne les connoissois point, ils me firent un compliment bien fleuri, mais qui ne passoit pas le noeud de la gorge. Jussac avoit pris pour seconds Biscarat & Cahusac qui étoient Freres, & créatures de Mr. le Cardinal. Ils avoient encore un troisiéme Frere nommé Rotondis, & celui-ci qui étoit à la veille d'avoir des benefices, voyant que Jussac & ses Freres étoient en peine de sçavoir qui ils prendroient pour se battre contre moi, leur dit que sa soutanne ne tenoit qu'à un bouton, & qu'il l'alloit quitter pour les en delivrer. Ce n'est pas qu'ils manquassent d'amis ni les uns ni les autres, mais comme il étoit déja dix heures passées, & qu'il approchoit même plus de onze, que de dix, ils avoient d'autant plus de peur que nous ne nous impatientassions, qu'ils avoient déja été en cinq ou six endroits sans trouver personne au logis, ainsi ils étoient tout prêts de prendre Rotondis au mot, quand par bonheur pour eux & pour lui, il entra un Capitaine du Regiment de Navare, qui étoit des amis de Biscarat. Biscarat sans un plus long compliment le tira à quartier, & lui dit qu'ils avoient besoin de lui, pour un different qu'ils avoient à vuider tout présentement; qu'il ne pouvoit venir plus à propos pour les tirer d'embarras, & qu'il étoit si grand que s'il ne fut venu il alloit faire prendre une épée à Retondis, quoi que sa profession ne fût pas de s'en servir. Ce Capitaine qui se nommoit Bernajoux, & qui étoit un Gentilhomme de condition de la Comté de Foix, se tint honoré de ce que Biscarat jettoit les yeux sur lui, pour rendre ce service à son ami: il lui fit offre de son bras, & de son épée, & étant montez tous quatre dans le Carosse de Jussac, ils mirent pied à terre à l'entrée du pré aux Clercs, comme si ç'eut été pour se promener. Ils laisserent là leur Cocher & leurs Laquais, & nous ne les aperçûmes pas plûtôt de loin que nous nous en rejouîmes, parce que comme il se faisoit déja tard, nous ne les attendions presque plus. Nous nous avançâmes du côté de l'isle Maquerelle, au lieu d'aller au devant d'eux, afin de nous éloigner d'avantage du monde, qui se promenoit de leur côté, nous gaignâmes ainsi un petit fonds d'où ne voyant plus personne, nous les y attendîmes de pied ferme. Ils ne tarderent guéres à nous joindre, & Bernajoux qui avoit une grosse Moustache, comme c'étoit la mode en ce tems là d'en porter, voyant que Jussac, Biscarat & Cahusac choisissoient les trois Freres pour avoir affaire à eux, tandis qu'ils ne lui laissoient que moi pour l'amuser, lui demanda, s'ils se moquoient de lui de vouloir qu'il n'eut affaire qu'à un enfant. Je me trouvai piqué de ces paroles, & lui ayant répondu que les enfans de mon âge & de mon courage en sçavoient bien autant que ceux qui les méprisoient, parce qu'ils avoient deux fois moins d'âge qu'eux, je mis l'épée à la main pour lui montrer que je sçavois joindre l'effet aux paroles. Il fut obligé de tirer la sienne pour se défendre, voyant que de la maniére que je m'y prenois, je n'avois pas envie de le marchander. Il m'allongea même quelque coups assez vigoureusement, pretendant qu'il ne feroit guéres à se défaire de moi. Mais les ayant parez avec beaucoup de bonheur, je lui en portai un par dessous le bras, dont je le perçai de part en part. Il fut tomber à quatre pas de là, je crus qu'il étoit mort, & étant allé à lui pour lui donner remede, s'il en étoit encore tems, je vis qu'il me présentoit la pointe de l'épée, croyant apparemment que je serois assez fou pour m'y aller enfiler moi même. Je jugeai bien par là, qu'on pouvoit encore le secourir: Ainsi comme j'avois été élevé Chrêtiennement, & que je sçavois que la perte de son ame étoit la chose la plus terrible qui lui pût jamais arriver, je lui criai de loin qu'il eut à penser à Dieu, & que je ne venois pas pour lui arracher les restes de sa vie, mais bien plûtôt pour la lui conserver: que j'étois même bien faché de l'état où je l'avois mis, mais qu'il considerât que j'y avois été obligé par la barbare fureur, qui faisoit consister l'honneur d'un Gentilhomme à oter la vie à un homme que l'on n'avoit souvent jamais veu, & même quelquefois au meilleur de ses amis. Il me répondit que puisque je parlois si juste, il ne faisoit point de difficulté de me rendre son épée, qu'il me prioit de lui vouloir bander sa playe, en coupant le devant de sa chemise; que j'empêcherois par là qu'il ne perdit le reste de son sang que je lui donnerois la main après cela, pour se lever, afin qu'il put regaigner le Carosse dans lequel il étoit venu, à moins que je n'eusse encore la charité de l'aller chercher moi-même, de peur qu'il ne tombât en deffaillance par le chemin. Il jetta son épée en même tems à quatre pas de là, pour me montrer qu'il n'avoit pas envie de s'en servir contre moi, quand je m'approcherois de lui. Je fis ce qu'il me dit, je coupai sa chemise avec des ciseaux que je tirai de ma poche, & lui ayant mis une compresse par devant, je lui donnai la main pour se lever à son seant, afin d'en pouvoir faire autant par derrière. Comme j'avois une bande toute prête que j'avois faite de deux pièces le mieux qu'il m'avoit été possible, j'eus bientôt fait cet ouvrage. Cependant, ce tems que j'y avois employé plûtôt que perdu, puisque c'étoit une bonne oeuvre que ce que je venois de faire, pensa couter la vie à Athos, & peut-être en même tems à ses deux Freres. Jussac contre qui il se battoit lui donna un coup d'épée dans le bras, & s'étant jetté sur lui pour lui faire demander la vie, il ne cherchoit qu'à lui mettre la pointe de son épée dans le ventre, parce qu'il ne vouloit pas la lui demander, quand je m'aperçus du peril où il étoit, je courus en même tems à lui, & ayant crié à Jussac de tourner visage, parce que je ne pouvois me resoudre à le prendre par derrière, il trouva qu'il avoit un nouveau combat à rendre, au lieu qu'il croyoit avoir achevé le sien. Ce combat même ne pouvoit lui être que très-desavantageux, parce qu'Athos après être ainsi delivré de danger, n'étoit pas pour demeurer les bras croisés, pendant que nous ferraillerions ensemble; & en effet voyant qu'il étoit dangereux qu'il ne le prit par derrière, pendant que je le prendrois par devant, il voulut s'aprocher de Biscarat son Frere, afin d'être du moins deux contre trois, au lieu qu'il étoit présentement seul contre deux. Je reconnus son dessein & l'empêchai de l'executer. Il se vit alors obligé lui même de demander la vie, lui qui la vouloit faire demander aux autres, & ayant rendu son épée à Athos, à qui je laissai l'honneur de sa deffaite, quoi que je pusse me l'attribuer, du moins avec autant de raison que lui, nous nous en fumes lui & moi à Porthos & à Aramis pour leur faire remporter la victoire sur leurs ennemis. Cela ne nous fut pas bien difficile, comme ils avoient déja assez de courage & d'addresse pour les embarrasser sans avoir besoin de nôtre secours, ce fut encore autre chose, quand ils virent que nous étions à portée de le leur donner. Il fut impossible aux autres effectivement de leur ressister, eux qui n'étoient plus que deux contre quatre, ainsi ayant été obligés de leur rendre leurs épées, & le combat fini de cette maniere, nous nous en fûmes alors tous à Bernajoux, qui s'étoit recouché sur la terre, à cause d'une foiblesse qui lui avoit prise. Comme j'étois plus allerte que les autres, & que j'avois de meilleures jambes que pas un de ceux qui étoient là, je m'en fus chercher le Carosse de Jussac, où nous le mimes. On le conduisit ainsi chez lui, où il demeura six semaines sur la litière, devant que de pouvoir guerir. Mais enfin sa blessure, quoi que très-grande, ne se trouvant pas mortelle, il en fut quitte pour le mal, sans qu'il lui en arrivât d'autre accident. Nous fûmes depuis bons amis, lui & moi, & quand je fus Sous-lieutenant des Mousquetaires, comme je le dirai tantôt, il me donna un de ses Freres pour mettre dans la compagnie. Il ne tint pas même à moi qu'il ne fit quelque chose, ce qui avec mon secours lui fut arrivé sans doute, si ce n'est qu'il prefera ses plaisirs à un établissement qui lui étoit assuré, pour peu qu'il eut voulu y contribuer par lui même. Le Roi sçut nôtre combat, & nous eûmes peur qu'il ne nous en arrivât quelque chose, à cause qu'il étoit fort jaloux de ses Edits; mais Mr. de Treville lui ayant fait entendre que nous étant trouvés fortuitement aux prés aux Clercs, sans penser à rien moins qu'à nous battre, Athos, Porthos & Aramis n'avoient pû entendre vanter à Jussac & à ses amis, la Compagnie des Gardes du Cardinal, au préjudice de celle de ses Mousquetaires, sans en être indignés, comme ils devoient être naturellement; que cela avoit causé des paroles entre les uns & les autres, & que des paroles en étant venus aux mains tout aussi-tôt, on ne pouvoit régarder cette action que comme une rencontre, & non pas comme un Duel; qu'au surplus le Cardinal en alloit être bien mortifié, lui qui estimoit Biscarat & Cahusac comme des prodiges de valeur, & qui les regardoit, pour ainsi dire, comme son bras droit. En effet il les avoit élevés au delà de ce qu'ils pouvoient esperer vraisemblablement par leur naissance, & peut-être par leur merite: la meilleure qualité qu'ils eussent étoit de lui être affectionnez, si néanmoins cela se doit prendre pour une bonne qualité, par rapport à ce qu'elle leur faisoit faire tous les jours contre le service du Roi. Ils prenoient son parti à tort & à travers, sans considerer si sa Majesté y étoit interessée ou non; ainsi pour soutenir sa querelle, ils se brouilloient non seulement de moment à autre avec les meilleurs serviteurs qu'elle pouvoit avoir, mais se battoient encore tous les jours contr'eux, parce qu'ils faisoient plus de cas du Ministre que du Maître. Ce que venoit de dire Mr. de Treville, étoit un trait d'un fin courtisan. Il sçavoit que le Roi n'aimoit pas ces deux Freres, par rapport à l'attache qu'ils avoient pour le Cardinal. Il sçavoit d'ailleurs, qu'il ne pouvoit faire plus de plaisir à sa Majesté, que de lui apprendre que les Mousquetaires avoient remporté la victoire sur les créatures de ce Ministre; aussi le Roi sans s'informer d'avantage si nôtre combat étoit une rencontre ou non, il donna ordre à Mr. de Treville de lui amener dans son Cabinet, Athos, Porthos & Aramis, par le petit escalier derobé. Il lui donna une heure qu'il devoit être tout seul, & Mr. de Treville s'y étant rendu avec ces trois Freres, ils lui dirent, comme ils étoient tout trois de braves gens, les choses comme elles s'étoient passées. Ils lui cacherent néanmoins, ce qui pouvait servir à lui faire connoître que ç'avoit été un duel & non pas une rencontre, & lui ayant aussi parlé de moi, sa Majesté eut curiosité de me voir, elle commanda donc à Mr. de Treville de m'amener le lendemain à la même heure dans son Cabinet, & Mr. de Treville ayant ordonné à ces trois Frères de me le dire de la part de sa Majesté, & de la sienne, je les priai de me mener le même jour au lever de ce commandant. Je fus ravi de ce que la fortune me guidoit ainsi si heureusement, pour être connu d'abord du Roi mon Maître. Je me mis sur mon propre ce jour là du mieux qu'il me fut possible, & come sans vanité, j'étois d'assez belle taille, d'assez bonne mine & même assez beau de visage, j'esperai que ma figure ne feroit pas le même effet auprès de sa Majesté, qu'avoit fait celle de Mr. de Fabert il y avoit déja quelque tems. Il avoit acheté une Compagnie dans un vieux corps, dont le Roi lui avoit refusé l'agrément, parce que sa mine, bien loin de lui être agréable, lui avoit extrémement déplu. Je n'eus plus besoin après le commandement de sa Majesté de regretter la perte de la lettre de recommandation, que j'avois pour Mr. de Treville. Ce que je venois de faire m'y alloit introduire plus avantageusement que toutes les lettres du monde, & même procurer l'honneur de faire la reverence à mon Maître. La joye que j'en eus, me fit trouver la nuit bien plus longue que pas une que j'eusse passée de ma vie. Enfin le matin étant venu, je sortis du lit, & m'habillai en attendant qu'Athos, Porthos & Aramis me vinssent prendre, pour me presenter à leur Commandant. Ils vinrent quelque tems après, & comme il n'y avoit pas loin de chez moi, chez Mr. de Treville, nous nous y rendîmes bientôt. Il avoit commandé à son Valet de Chambre, que d'abord que nous serions dans son Antichambre, il nous fit passer dans son Cabinet. La porte en étoit interdite à tout autre, & cela s'étant executé à nôtre arrivée, Mr. de Treville n'eut pas plûtôt jetté les yeux sur moi, qu'il dit à ces trois Freres qu'ils ne lui avoient pas dit la verité, quand ils lui avoient dit, que j'étois un jeune homme, qu'ils lui devoient dire, bien plûtôt, que je n'étois qu'un enfant, puisqu'en effet je n'étois pas autre chose. Dans un autre tems j'eusse été bien fâché de l'entendre parler de la sorte, parce que par ce mot d'enfant il sembloit que je dusse être exclus du service, jusques à ce que l'âge me fut venu: mais ce que je venois de faire parlant en ma faveur, bien plus que si j'eusse eu quelques années davantage, je crus que plus je paroissois jeune, plus il y avoit d'honneur pour moi. Cependant comme je sçavois que ce n'étoit pas le tout que de faire son devoir, si l'on n'avoit encore l'esprit d'assaisonner ses actions d'une honnête assurance, je lui répondis très-respectueusement, que j'étois jeune à la verité, mais que tout jeune que j'étois, je tuerois bien un Espagnol, puisque j'avois déja eu l'addresse de mettre un Capitaine d'un vieux corps hors de combat. Il me répondit fort obligeamment qu'en disant cela, je ne me donnois encore, que la moindre partie de la gloire qui m'étoit duë, que je pouvois dire aussi, que j'avois desarmé deux Commandans de Places, & un Commandant de gens d'Armes, qui valoient bien tout du moins un Capitaine de vieux corps; qu'Athos, Porthos & Aramis lui avoient conté la chose tout comme elle s'étoit passée, qu'ils convenoient de bonne foi, que sans moi ils n'eussent peut-être pas remporté sur leurs ennemis l'avantage qu'ils avoient fait, & principalement Athos, qui avouoit même que sans le secours que je lui avoit donné, il eût eu de la peine à se tirer des mains de Jussac; qu'il n'en avoit pas encore parlé à sa Majesté, parce qu'il ignoroit toutes ces circonstances, quand il avoit eu l'honneur de l'entretenir de nôtre combat, mais que maintenant qu'il les sçavoit il ne manqueroit pas de les lui apprendre; qu'il les lui diroit même en ma presence, afin que j'eusse le plaisir, d'entendre de sa propre bouche, les loüanges qui m'en étoient duës. Je fis le modeste à un discours comme celui-là, quoi que dans le fonds il ne m'en put guéres tenir qui me fut plus agréable, Mr. de Treville fit mettre dans le même tems les chevaux au carosse, & s'en fut voir Bernajoux qu'il connoissoit particulièrement. Il vouloit sçavoir de lui apparemment de quelle manière s'étoit passé nôtre combat, non qu'il revoquât en doute ce que les trois Freres lui en avoient dit, mais pour pouvoir assurer le Roi qu'il tenoit les choses d'un endroit qui ne lui devoit point être suspect, puis que c'étoit de la bouche même de ceux à qui nous avions eu affaire. Il nous dit cependant de venir dîner avec lui, & en attendant qu'il fut revenu de sa visite, nous nous en fumes dans un Tripot qui étoit tout auprès des Ecuries du Luxembourg. Nous ne fîmes que balloter, métier où je n'étois pas trop habile, & où, pour mieux dire, j'étois fort ignorant, puis que je ne l'avois jamais fait que cette fois là, aussi craignant de recevoir quelque coup dans le visage, & que cela ne m'empechât de me trouver au rendez-vous que le Roi avoit donné, je quittai la raquette, & me mis dans la Gallerie, tout auprès de la corde. Il y avoit là quatre ou cinq hommes d'épées; que je ne connoissois point, et entre lesquels étoit un Garde de Mr. le Cardinal, qu'Athos, Porthos, & Aramis ne connoissoient pas non plus que moi. Pour lui il les connoissoit bien, & sçavoit qu'ils étoient Mousquetaires: & comme il y avoit une certaine antipathie entre ces deux Compagnies, & que la protection que son Eminence donnoit à ses Gardes, les rendoit insolens, à peine me fus-je mis sous la Galerie, que j'entendis que celui-ci dit à ceux avec qui il étoit, qu'il ne falloit pas s'étonner que j'eusse eu peur, parce que j'étois apparemment un apprentis Mousquetaire. Comme il ne se soucioit guéres que j'entendisse ces paroles, puis qu il les disoit assez haut auprès de moi, pour me les faire entendre, je lui fis signe un moment après, sans que les gens avec qui il étoit en vissent rien, que j'avois un mot à lui dire. Je sortis en même tems de la Galerie, & Athos & Aramis, qui étoient du côté, par où il me falloit passer pour aller dans la ruë, me demandant, où j'allois, je leur répondis, que j'allois où ils ne pouvoient aller pour moi. Ils crurent donc que c'étoit quelque necessité qui m'obligeoit de sortir, & continuant toûjours de balotter, le garde, qui croyoit avoir bon marché de moi, parce qu'il me voyoit si jeune, me suivit un moment après sans faire semblant de rien. Ses camarades qui ne s'étoient point aperçus du signe que je lui avois fait, lui demanderent où il alloit, il leur répondit, de peur qu'ils ne se deffiassent de quelque chose, qu'il alloit à l'Hôtel de la Trimouille, qui étoit attenant de ce jeu de paume, & qu'il alloit revenir. Il y avoit déja passé avec eux devant que de venir là, & comme il y avoit un Cousin qui étoit Ecuyer de Mr. le Duc de la Trimouille, & que même il l'étoit allé demander auparavant, ils crurent aisément que ne l'ayant point trouvé, il alloit voir s'il ne seroit point revenu par hazard. J'attendois mon homme sur la porte, & je voulois le faire repentir de la parole qu'il avoit lâchée si insolemment, en lui faisant mettre l'épée à la main; ainsi lui voulant faire connoître le sujet que j'avois de le quereller, il ne m'eut pas plûtôt joint, que je lui dis en tirant mon épée hors du foureau, qu'il étoit bien heureux de n'avoir affaire qu'à un apprentis Mousquetaire, parce que s'il avoit affaire à un Maître, je ne le croyois pas capable de lui pouvoir resister. Je ne sçais ce qu'il me répondit, & j'y pris moins garde qu'à me venger de son insolence, avant qu'il survint quelqu'un pour nous separer. Je n'y réussis pas trop mal, je lui donnai deux coups d'épée, l'un dans le bras, & l'autre dans le corps, devant que personne se presentât pour nous rendre ce bon office. Enfin pour peu qu'on nous eut encore laissé faire, il y avoit apparence que j'en allois rendre bon compte, quand il s'éleva un bruit jusques dans le Jeu de paume, de ce qui se passoit devant la porte, les amis de celui-ci accoururent tout aussi-tôt: Athos, Porthos & Aramis en firent tout autant après avoir pris leurs épées, se méfiant presque qu'il ne me fut arrivé quelque chose, parce qu'ils ne me voyoient point revenir. Les premiers qui parurent furent les amis du Garde, dont bien lui prit assurément: je le serois de prés, & comme je lui venois encore de donner un coup d'épée dans la cuisse, il ne songeoit plus qu'à gagner l'hôtel de la Trimouille pour se sauver, quand leur presence lui donna quelque relâche. Au reste ses amis le voyant en cet état, mirent l'épée à la main en même tems, pour empêcher que je n'achevasse de le tuer; peut-être même ne se fussent-ils pas arrêtez-la, & qu'ils eussent converti leurs armes défensives en armes offensives, sans la venuë d'Athos, de Porthos & d'Aramis. Tout l'hôtel de la Trimouille se souleva en même tems contre nous, sçachant que le blessé étoit parent de leur Ecuyer, & nous en eussions été sans doute accablez, si ce n'est qu'Aramis commença à crier, à nous Mousquetaires. On accouroit assez volontiers au secours des gens, quand on entendoit ce nom là, les demêlez qu'ils avoient avec les Gardes du Cardinal, qui étoit haï du peuple, comme le sont presque tous les Ministres, quoi que le plus souvent l'on ne sçache pas trop pourquoi on les hait, faisoit que presque tous les gens d'épée, & tous les Soldats aux Gardes prenoient volontiers parti pour eux, quand ils en trouvoient l'occasion. Au reste un particulier, qui avoit plus d'esprit que les autres, étant venu à passer justement dans ce tems là, crut qu'il nous rendroit bien plus de service, s'il couroit promptement avertir chez Mr. de Treville, de ce qui se passoit, que s'il s'amusoit à mettre l'épée à la main pour nous secourir. Par bonheur pour nous, il y avoit alors une vingtaine de Mousquetaires dans la Cour, qui attendoient qu'il revint de la Ville, sur ce que le Portier leur avoit dit, qu'il ne serait pas long-tems sans arriver. Ils accoururent tout aussi-tôt où nous étions, & ayant reconnu les gens de Mr. de la Trimouille dans son hôtel, les amis de celui à qui j'avois affaire, furent trop heureux de s'y retirer, sans regarder seulement derriere eux. Pour le blessé, il y étoit déja entré, il y avoit quelque tems, & n'étoit pas en trop bon état, le coup qu'il avoit reçu dans le corps, étoit très-dangereux, & voila ce que lui avoit attiré son imprudence. L'insolence qu'avoient eu les Domestiques de l'hôtel de la Trimouille, de faire une sortie sur nous, comme ils en avoient fait une, fit que quelques uns de ces Mousquetaires qui étoient venus à nôtre secours, mirent en deliberation de mettre le feu à la porte de cet hôtel, pour leur apprendre une autrefois de ne se pas mêler de ce qu'ils n'avoient que faire: mais Athos, Porthos & Aramis avec quelques autres, qui étoient plus sages qu'eux, leur ayant remontré que tout ce qui venoit de se passer, n'étant qu'à la gloire de la Compagnie, il ne falloit pas par une action aussi indigne que celle-là, donner sujet au Roi de les blâmer, ils se rendirent à son conseil, qui étoit bien plus sage que le leur. Nous avions tout lieu effectivement d'en être contens; outre le Garde du Cardinal, que j'avois mis en l'état que je viens de dire, il y avoit encore deux de ses amis qui étoient blessés: Athos & Aramis leur avoient donné chacun un bon coup d'épée, & ils en avoient tous trois pour plus d'un mois à demeurer dans le lit, supposé toutefois que le Garde ne mourut pas de ses blessures. Nous nous en retournâmes après cela chez Mr. de Treville, qui n'étoit pas encore de retour. Nous l'attendîmes dans sa salle, chacun me venant faire compliment sur ce que j'avois fait. Ces commencemens étoient trop beaux, pour n'en être pas tout à fait charmé. Je me promettois même déja une grande fortune, quand je ne fus guéres à voir, qu'il me falloit beaucoup déconter. J'expliquerai cela dans un moment, mais il faut auparavant que j'achève cette journée, afin de faire toutes choses par ordre. Mr. de Treville étant venu bientôt après cela, Athos, Porthos & Aramis le prièrent de leur vouloir donner un petit mot d'audience en particulier, parce qu'ils avoient des choses de consequence à lui dire. Quand même ils ne se seroient pas servi de ce mot, pour lui annoncer quelle étoit la nature de celle dont ils avoient à l'entretenir, il eut bien reconnu à leur visage, qu'ils étoient plus intrigués qu'à l'ordinaire. Il les fit passer en même tems dans son cabinet, pour les entendre, & lui ayant demandé permission de m'y faire entrer avec eux, parce que ce qu'ils avoient à lui dire me regardoit plus que personne, ils ne l'eurent pas plûtôt obtenue, que je les y suivis. Ils lui dirent là ce qui venoit de m'arriver, & comment j'avois soutenu l'honneur de la Compagnie qu'un garde du Cardinal, avoit osé attaquer insolemment, sans qu'on lui en eut donné aucun sujet. Mr. de Treville fut ravi que je l'en eusse si bien puni, & sçachant qu'il y avoit encore deux de ceux qui avoient voulu le défendre qui étoient blessés, il envoya prier Mr. le Duc de la Trimouille de ne point donner retraitte à des gens, qui s'en montraient si indignes par leur procedé. Il lui demanda même justice de la sortie que ses gens avoient faite sur nous. Mr. de la Trimouille qui étoit prévenu par son écuyer, le lui envoya à son tour, pour lui dire que c'étoit à lui à se plaindre, & non pas à ses Mousquetaires; qu'après avoir assassiné devant sa porte un Garde de Mr. le Cardinal, qui étoit parent d'un de ses principaux domestiques, ils y avoient encore voulu mettre le feu; qu'ils avoient même blessé deux autres personnes qui les avoient voulu separer; de sorte que s'il ne punissoit les autheurs de ce desordre, il n'y auroit plus personne qui fut en sureté chez soi. Mr. de Treville entendant parler cet écuyer de la sorte, lui dit que son Maître ne l'en devoit pas croire, puis qu'il étoit trop interessé; qu'il sçavoit bien comment la chose s'étoit passée, & que des gens tout aussi croyables que lui, & qui en avoient été témoins la lui avoient racontée. Il s'en fut en même temps chez le Duc & m'y mena. Il avoit peur que s'il se laissoit abuser davantage, il ne prévint l'esprit de sa Majesté, en lui contant la chose tout autrement qu'elle n'étoit. Il craignoit d'ailleurs, que le Roi étant ainsi prévenu, Mr. le Cardinal ne vint encore à la charge, auprès de lui; qu'ainsi il ne fermât l'entrée par là, à tout ce qu'on lui pouroit dire en suite. Car sa Majesté avoit ce défaut, que quand elle étoit prévenue une fois, il n'y avoit rien de plus difficile que de la desabuser. Ce qu'il eut pû faire encore de mieux, que d'aller ainsi trouver le Duc, étoit d'aller lui même trouver le Roi, & de le prévenir le premier. C'eut été un coup de partie, mais sa Majesté par malheur étoit allé à la chasse dès le matin, & il ne sçavoit presque de quel côté elle avoit tourné: en effet quoi qu'elle eut dit la veille, qu'elle vouloit aller chasser à Versailles, elle avoit changé de sentiment depuis, & étoit sortie par la porte St. Martin. Mr. le Duc de la Trimouille réceut Mr. de Treville assez froidement, & lui dit en ma presence, qu'il lui conseilloit encore une fois en bon ami, de faire châtier ceux de ses Mousquetaires, qui se trouveraient coupables de l'assassinat, qui venoit d'être commis; que cette affaire n'en demeurerait pas là; que Mr. le Cardinal en avoit déjà connoissance, & que Cavois, Capitaine Lieutenant de ses Mousquetaires à pied, ne faisoit que de sortir de chez lui, pour le prier de la part de son Eminence, de se joindre avec elle, pour tirer raison d'une injure qui leur devoit être commune à tous deux; que Cavois lui avoit dit encore, que si le Garde de ce Ministre avoit été blessé, sa maison avoit pensé être brulée, que l'un étoit du moins aussi offensant que l'autre, parce que l'on prenoit querelle souvent contre un homme, sans songer au maître à qui il appartenoit, au lieu qu'on ne pouvoit avoir dessein de bruler une maison, sans faire reflexion que celui à qui elle étoit en seroit scandalisé, quand même il n'en recevroit point de dommage. Mr. de Treville qui étoit homme de bon sens, le laissa dire, afin de voir tout ce qu'il avoit sur le coeur; mais voyant qu'il avoit cessé de parler, il lui demanda, comme s'il eut reflechi à ce qu'il lui disoit, si l'homme qui étoit blessé l'étoit bien dangereusement: Mr. de la Trimouille lui répondit, qu'il l'étoit si fort, qu'il y avoit beaucoup moins d'esperance à sa vie, qu'il n'y avoit de danger pour sa mort; que le coup qu'il avoit dans le corps, lui avoit percé les poumons; qu'aussi la premiere chose, qu'on lui avoit conseillé de faire, avoit été de songer à sa conscience, parce qu'il étoit entre la vie & la mort. Mr. de Treville lui demanda alors si c'étoit lui, qui lui eut dit de quelle maniere il avoit été blessé, & le Duc étant convenu de bonne foi, que ce n'étoit pas lui, mais un de ceux qui étoient accourus à son secours, il le pria de le vouloir mener dans sa chambre, afin que pendant qu'il étoit encore en état de dire la vérité, on la put entendre de sa propre bouche. Il lui dit que cela serviroit à faire rendre à ce garde garde, une justice prompte & entiere, s'il se trouvoit qu'il eut été insulté; mais aussi que s'il se trouvoit qu'il eut été l'aggresseur, comme il avoit oui dire aux Mousquetaires, cela serviroit à ne pas accabler des malheureux, qui n'avoient fait ce qu'ils avoient fait, que pour repousser une injure, qu'ils n'eussent pû souffrir sans la perte de leur honneur. Le Duc qui étoit un assez bon homme, & qui ne se soucioit guéres de faire sa Cour au Cardinal, qu'il voyoit très-rarement aussi bien que le Roi, ne put trouver à redire à sa demande. Il s'en fut avec lui dans la chambre du blessé, & je ne voulus pas les y suivre, de peur de lui faire de la peine en me voyant, moi qui l'avois mis dans le pitoiable état où il étoit. Le Duc ne lui eut pas plûtôt demandé qui avoit tort, ou de lui, ou de celui qui avoit fait ses blessures, qu'il avoüa la chose tout comme elle s'étoit passée. Le Duc fut bien étonné, quand il l'entendit parler de la sorte, & ayant en même tems fait venir devant lui, celui qui la lui avoit contée tout autrement, il lui commanda de sortir de sa maison, & de ne se presenter jamais devant ses yeux, puis qu'il avoit été capable de lui imposer. Il n'y étoit demeuré que pour secourir le blessé qui étoit son parent, aussi bien que son écuyer. Cependant la parenté de ce domestique ne lui servant de rien, pour adoucir son ressentiment, il fut obligé de lui obéir à l'heure même, sans avoir pû obtenir seulement permission de les revoir ni l'un ni l'autre. Mr. de Treville s'en étant retourné chez lui, bien content de sa visite, nous y dînâmes Athos, Porthos, Aramis, & moi, ainsi qu'il nous en avoit prié dès la veille. Comme il y avoit aussi fort bonne compagnie, & que nous étions dix-huit à table, on ne s'y entretint presque d'autre chose que de mes deux combats. Il n'y eut personne qui ne m'en donnât beaucoup de gloire, ce qui n'étoit que trop capable de tenter un jeune homme, qui avoit déja de lui même assez de vanité pour croire qu'il valoit quelque chose. Quand nous eûmes diné, on se mit à joüer au lansquenet: les mains me demangeoient assez pour faire comme les autres, si j'eusse eu le gousset aussi bien garni que j'eusse voulu; mais mes Parens m'ayant entr'autres remontrances fait celle-là, avant que de partir, que j'eusse à fuir le jeu comme un écueil, qui perdoit la plupart de la jeunesse, je me tins si bien en garde, non seulement cette fois là, contre ma propre inclination, mais encore dans toutes les autres rencontres, où la même démangeaison me prenoit, que quelque tentation que je receusse, je ne m'y laissai succomber que de bonne sorte. L'après dînée s'étant passée de cette maniere, c'est à dire les uns en joüant, & les autres voyant joüer, nous nous en fûmes au Louvre sur le soir, Athos, Porthos, Aramis & moi. Le Roi n'étoit point encore revenu de la chasse, mais comme il ne pouvoit guéres tarder à venir, nous demeurâmes dans son Antichambre, où Mr. de Treville qui étoit monté en carosse l'après dînée nous avoit dit, qu'il nous viendroit prendre pour nous mener dans le Cabinet du Roi. Sa Majesté vint un moment après que nous fûmes là, & ses trois Freres qui avoient l'honneur d'en être connus particulierement, & même d'en être estimés, s'étant mis sur son passage, pour s'en attirer quelque regard, au lieu d'en obtenir ce qu'ils souhaitoient n'en furent regardez qu'avec un oeil de colere & d'indignation. Ils s'en revinrent tout tristes auprès d'une fenêtre où j'étois, n'ayant osé me montrer devant le Roi, avant que de lui être presenté, & lui avoir fait la reverence. Ils étoient si mortifiés tous trois, de ce qui leur venoit d'arriver, qu'il ne me fut pas difficile de reconnoître leur chagrin. Je leur demandai ce qui leur étoit survenu depuis un moment, pour les voir maintenant dans cet état. Ils me répondirent que nos affaires alloient mal, ou qu'ils se trompoient fort, que cependant il falloit attendre l'arrivée de Mr. de Treville, pour en juger sainement; qu'il demanderoit lui-même à sa Majesté ce qui en étoit, mais que du caractére dont étoit ce Monarque, il ne leur avoit pas fait la mine pour rien; qu'il étoit extremement naturel, & que si c'étoit une qualité absolument nécessaire, comme le prétendoit un certain Politique que de sçavoir dissimuler pour regner, jamais Prince n'y avoit été moins propre que lui. Je me sentis tout mortifié à ces paroles. J'eus peur, sans que je pénétrasse néanmoins ce qui pouvoit être arrivé, que la mauvaise humeur de sa Majesté ne s'étendit jusques sur moi; ainsi n'ayant plus d'autre impatience que de voir arriver Mr. de Treville, afin d'être feur plutôt de mon sort, il vint enfin, & augmenta encore mon inquiétude, par ce qu'il nous dit en arrivant. Il nous apprit que Mr. le Cardinal, après avoir envoyé Cavois au Duc de la Trimouille, n'avoit pas crû plûtôt l'avoir fait entrer dans son ressentiment, qu'il avoit depêché vers le Roi, pour lui apprendre ce qui s'étoit passé au sortir de nôtre jeu de paume; que son Eminence lui avoit écrit même une longue lettre là dessus, lui mandant que s'il ne punissoit ses Mousquetaires, ils feroient tous les jours mille meurtres, & mille insolences, sans que persone osât plus entreprendre de les reprimer. Mr. de Treville nous quitta après nous avoir dit, qu'il ne croyoit pas que l'occasion nous fut favorable ce jour là de voir sa Majesté, qu'il alloit entrer dans sa chambre, & que s'il ne revenoit pas nous trouver dans un moment, nous pouvions nous en retourner chacun chez nous; qu'il nous y iroit avertir de ce que nous aurions à faire, & qu'il n'y perdroit pas un moment de tems. Il nous quitta à l'heure même & étant entré chez le Roi, sa Majesté fut quelque tems sans lui rien dire, elle lui fit même la mine, comme elle l'avoit faite aux trois Frères. Mr. de Treville, qui ne s'en embarrassoit pas beaucoup, parce qu'il sçavoit qu'il la desabuseroit bientôt des impressions que le Cardinal lui avoit données, ne lui dit rien aussi de son côté, sçachant qu'il devoit remettre nôtre justification à un autre tems. Le Roi qui étoit fort naturel, comme je viens de dire, voyant qu'il ne lui parloit point de ce qui étoit arrivé, dont il croyoit qu'il lui devoit rendre compte, rompit le silence à la fin tout d'un coup, & lui demanda si c'étoit ainsi que l'on faisoit sa charge; qu'il étoit arrivé à ses Mousquetaires d'assassiner un homme & de faire beaucoup de desordre, & que cependant il ne lui en disoit pas un seul mot; qu'à plus forte raison n'avoit-il pas eu le soin de les faire mettre en prison pour les faire punir en tems & lieu; que cette conduite n'étoit guéres d'un bon Officier comme il l'avoit toûjours crû, & qu'il en étoit d'autant plus étonné qu'il connoissoit mieux que personne combien il étoit ennemi de toute violence & de toute injustice. Mr. de Treville ayant été bien-aise de le laisser dire pour lui faire decharger sa bile, lui répondit alors qu'il étoit informé de tout ce que Sa Majesté lui disoit, mais que pour elle elle ne l'étoit que très-mal, apparement, puis qu'elle lui parloit de cette sorte; qu'il lui demandoit pardon s'il osoit lui parler ainsi, mais que comme il s'en étoit informé à fond, jusques à aller lui-même chez Mr. le Duc de la Trimouille, elle ne trouveroit pas mauvais qu'il la priât d'envoyer querir ce Duc, avant que de lui en dire d'avantage; qu'il y avoit même un homme chez lui qui en pouvoit encore parler plus assurément que les autres; que cet homme étoit celui là même qu'on avoit fait accroire à Sa Majesté avoir été assassiné; qu'il l'avoit interogé lui-même en presence du Duc, & qu'il étoit convenu avec lui, que bien loin que ce fussent les Mousquetaires de Sa Majesté qui eussent tort, c'étoit lui qui par son insolence avoit été cause de son malheur; qu'au surplus ce n'étoit pas seulement eux qui l'avoient blessé, mais bien le même jeune homme qui avoit rendu le combat dont il avoit eu l'honneur de l'entretenir la veille. Le Roi fut surpris quand il l'entendit parler de la sorte. Neanmoins comme il étoit de sa prudence, après le ressentiment qu'il venoit de faire éclatter, de ne pas ajouter foi tellement à ses paroles, qu'il ne fut bien aise auparavant d'être éclairci si elles contenoient verité, il envoya dire au Duc de la Trimouille de ne pas manquer de se trouver le lendemain à son lever. Le Cardinal qui avoit des espions dans la Chambre du Roi pour lui rendre compte de tout ce qui s'y passoit, avoit déja appris la mauvaise mine que Sa Majesté y avoit faite à Treville. Cela lui avoit donné espérance qu'il le perdroit à la fin dans son esprit. Il s'y étudioit depuis long-tems, non qu'il ne l'estimât infiniment; mais parce que, quelque promesse qu'il lui eut faites, il n'avoit jamais pu le faire entrer dans ses intérêts; Mais quand il vint à apprendre ce qu'il lui avoit dit, non seulement pour se justifier, mais encore pour justifier ceux qu'il avoit accusez de cet assassinat, il eut bien peur de n'en avoir que le dementi. Il renvoya savoir dés la même heure chez Mr. le Duc de la Trimouille, pour savoir de lui si c'étoit qu'il eut changé d'avis, depuis la parole qu'il lui avoit rapportée de sa part. Ce Duc n'y étoit pas, il étoit allé souper en Ville; & comme ses gens ne pouvoient dire à quelle heure il reviendroit, Cavois prit le parti de s'en retourner dans sa maison & d'attendre au lendemain matin à executer les ordres de son Eminence. Il ne fit pas trop mal, le Duc ne revint qu'à deux heures après minuit, & son Suisse lui ayant rendu une Lettre que lui écrivoit Mr. Bontems, par laquelle il lui mandoit de la part du Roi qu'il eut à se trouver à son lever, il se leva de meilleur matin qu'il n'avoit de coutume, afin d'être ponctuel à ce qui lui étoit prescrit. Cela fut cause que quand Cavois y retourna il ne le trouva plus, le Suisse lui dit qu'il étoit allé au Louvre, ce qu'il eut peine à croire, parce que, comme j'ai déja dit, il ne se soucioit pas autrement d'aller faire sa Cour à Sa Majesté. Il avoit même accoutumé de dire qu'une des choses du monde qui lui faisoit croire qu'il étoit plus heureux que les autres, c'est qu'il avoit toûjours mieux aimé sa Maison de Touars que le Louvre, de sorte qu'il avoit plus de trente-cinq ans devant qu'il eut jamais vu le Roi. La Religion Protestante dont il faisoit profession étoit cause qu'il haissoit le métier de Courtisan, il savoit que le Roi n'aimoit pas ceux qui en étoient; il savoit dis-je qu'il se contentoit de les craindre & cela est si vrai, que le Roi d'aujourd'hui parlant un jour à des gens de cette Religion, qui avoient la hardiesse de lui remontrer que la rigueur de ses édits ne repondoient pas à leurs espérances, c'est, leur repliqua-t-il, que vous m'avez toûjours regardé comme le Roi mon Pere, & comme le Roi mon grand Pere: Vous avez cru sans doute que je vous aimois comme faisoit l'un ou que je vous craignois comme faisoit l'autre, mais je veux que vous sachiez que je ne vous aime ni ne vous crains. Le Duc de la Trimouille avoit déja parlé au Roi quand Cavois arriva, & lui avoit confirmé tout ce que Treville lui avoit dit. Sa Majesté ne fut plus en colere après cela contre ses Mousquetaires; mais le Cardinal y fut beaucoup contre Cavois, de ce qu'il avoit si mal executé ses ordres. Il lui dit qu'il devoit plûtôt attendre le Duc chez lui pendant toute la nuit, que de le manquer, comme il avoit fait; qu'ils eussent pris des mesures ensemble pour perdre un petit Gentillâtre qui s'en faisoit si fort accroire que d'oser toûjours lui resister; qu'il ne le lui pardonneroit de sa vie; qu'il eut à se retirer de devant ses yeux, & à ne s'y jamais presenter sans ses ordres. Cavois qui connoissoit l'humeur de son maître, ne voulut lui rien repliquer, de peur qu'étant innocent comme il l'étoit, il ne se rendit coupable en voulant lui faire connoître son injustice; il s'en retourna chez lui tout chagrin, & sa femme qui avoit bien autant d'esprit que lui, voulant savoir ce qu'il avoit fait, n'en eut pas plûtôt connoissance qu'elle lui dit en même tems qu'il se laissoit là abbattre de peu de chose, qu'il y avoit du remede à tout hors à la mort, & que devant qu'il fut trois jours elle le remettroit mieux avec son Eminence qu'il n'y avoit jamais été. Il lui repliqua qu'elle ne la connoissoit pas, qu'elle étoit têtue comme une mulle, & que quand elle prenoit une fois quelqu'un en aversion il n'y avoit pas moyen, quoi que l'on peut faire, de l'en faire jamais revenir. Madame de Cavois lui répondit qu'elle connoissoit tout aussi-bien que lui de quoi ce Ministre étoit capable, qu'ainsi il n'avoit que faire de se mettre en peine comment elle s'y prendroit pour le mettre à la raison, qu'elle en faisoit son affaire, & que comme elle n'entreprenoit jamais rien dont elle ne vînt à bout, il n'avoit plus qu'à dormir eu repos. Cette Dame effectivement faisoit une partie de ce qu'elle vouloit à la Cour, & faisoit rire souvent ce Ministre, lors qu'il n'en avoit point d'envie. Ce n'étoit pas cependant ni par des traits de femmes ni par des railleries fades, telles qu'on en voit souvent dans la bouche des Courtisans, qu'elle faisoit toutes ces merveilles. Tout ce qu'elle disoit étoit assaisonné d'un certain sel qui contentoit les plus difficiles en même tems qu'il repandoit une certaine estime pour elle qui faisoit qu'on ne se pouvoit plus passer de sa Compagnie. Son mari qui étoit redevable à son adresse d'une partie de sa fortune, se jetta entre les bras pour se tirer du mauvais état où il étoit: elle lui dit alors que puis qu'elle l'avoit amené au point qu'elle desiroit, il n'avoit plus maintenent qu'à bien executer ce qu'elle lui alloit recommander; qu'il se mit dans son lit, qu'il y fit bien le malade, & qu'il dit à tous ceux qui le visiteroient ou qui viendroient de la part de quelqu'un pour lui demander des nouvelles de sa santé, qu'elle ne pouvoit pas être en plus mechant état qu'elle étoit, qu'il affectat cependant de ne parler à personne, que le moins qu'il pourroit, & que quand il y seroit obligé il ne le fit que d'une voix engagée, & comme un homme qui auroit une oppression de poitrine. Pour elle, elle se tint tout le jour comme elle étoit au sortir de son lit, & tout de même que si la feinte maladie de son mari l'eut mise hors d'état de songer à son ajustement. Cet homme qui avoit beaucoup d'amis comme en ont tous ceux qui ont quelque faveur auprès du Ministre, car il avoit toûjours été fort bien avec lui, ne manqua pas de visites, quand le bruit de son mal se fut répandu par la Ville. Ils savoient bien pourtant les paroles que le Cardinal lui avoit dites; ce qui étoit plus que capable selon la coutume des courtisans de lui faire perdre leur amitié. Mais comme ils esperoient que sa disgrace ne dureroit pas, sur tout n'ayant rien fait qui pût le perdre dans l'esprit de son Eminence, ils continuerent d'en user avec lui comme ils avoient accoutumé. Le Cardinal qui venoit d'essuyer de grosses paroles du Roi qui lui avoit reproché qu'il n'avoit pas tenu à lui, par ses faux rapports, qu'il n'eut cassé Treville & sa Compagnie de Mousquetaires, étoit encore plus en colere que jamais contre Cavois. Ainsi apprenant que sa maison ne desemplissoit point de monde, il dit tout haut devant mille personnes, qu'il s'étonnoit grandement qu'on eut si peu de consideration pour lui, que d'aller visiter un homme qu'il jugeoit digne de son ressentiment. Ces paroles suffirent pour rendre la maison du feint malade tout aussi deserte qu'elle étoit frequentée auparavant. Madame de Cavois en fut ravie, parce qu'elle avoit peur que quelqu'un reconnut sa feinte, & qu'il n'en allât rendre compte au Cardinal. Cependant ses parens ne croyant pas que cette defense s'étendit sur eux, aussi particulierement que sur les autres, y envoyerent du moins des laquais, s'ils n'y osérent plus aller: ces laquais leur rapporterent ce que Madame de Cavois leur disoit, tantôt elle même quand ils montoient jusques dans son anti-chambre, & tantôt ce qu'on leur disoit à la porte quand ils ne prenoient pas la peine d'y monter. Toutes ces nouvelles ne pouvoient cependant être plus tristes qu'elles l'étoient; le malade se portoit, toûjours à ce qu'on disoit de moment à autre, de plus mal en plus mal, & afin qu'on le crut mieux dans le monde Madame de Cavois fit venir chez elle le premier Medecin du Roi, afin qu'il dit ce qu'il pensoit de son mal: elle ne risquoit pas beaucoup en faisant cela, jamais il n'y avoit eu de medecin plus ignorant que lui, ce qu'on reconnut si bien à la fin à la Cour qu'il en fut chassé honteusement. Au reste pour le mieux tromper, elle fit apporter dans la chambre de son mari le sang d'un de ses laquais qui étoit malade d'une pleuresie, & lui fit accroire que c'étoit le sien. Il ne falloit pas être trop habile pour décider que ce sang ne valloit rien il hocha la tête en le voyant, comme pour lui dire d'un ton misterieux qu'il y avoit là bien du danger. Madame de Cavois fit en même temps la pleureuse, métier qu'elle savoit naturellement, comme savent la plûpart des femmes & qu'elle avoit encore étudié avec beaucoup de soin, afin de s'en servir en tems & lieu. Peu s'en fallut que Bouvard, c'étoit le nom de ce médecin, ne pleurât de même quand il lui vit verser des larmes, & accompagner de mille sanglots le recit qu'elle lui faisoit de sa maladie. Il voulut tâter cependant le poux du malade, & il crut qu'il étoit tout en sueur, parce qu'il avoit dans son lit un petit vase d'eau tiede, dont il avoit arrosé sa main, jusques au dessus du poignet, afin de faire accroire la même chose à tous ceux qui auroient la curiosité de le vouloir tâter. On en avoit même repandu quelques gouttes sur une aleze dont on lui fit accroire qu'on avoit enveloppé le malade, & comme on l'avoit laissée ressuyer dans le lit, elle n'étoit plus que moette, afin qu'il donnât plûtôt dans le panneau. Il sentit cette aleze, & trouva à ce qu'il disoit que ce qui causoit sa moetteur sentoit extremement mauvais. Il tira encore des inductions delà que cette maladie étoit très dangereuse, & étant sorti de cette Maison, il en repandit le bruit par toute la Cour. M. le Cardinal le sut comme les autres, sans en paroître autrement touché, quoi qu'il le fut dans le fonds. Il crut que pour soutenir le caractere d'un grand Ministre, comme il étoit, il ne devoit pas changer sitôt de sentiment, qu'aussi bien cela lui seroit tout à fait inutile, s'il venoit à mourir, & que s'il en réchapoit il feroit toûjours bien sa paix avec lui. Pendant que cela se passoit le Roi, qui, du même moment qu'il avoit été desabusé, avoit rendu son amitié à Mr. de Treville & lui avoit redit de nous amener les trois freres & moi dans son Cabinet, comme il le lui avoit commandé auparavant. La nouvelle action que je venois de faire lui donnoit encore plus d'envie de me voir que jamais. Mr. de Treville nous y conduisit dés le même jour que le Duc de la Trimouille avoit confirmé à sa Majesté ce qu'il lui avoit dit. Le Roi me trouva extrémement jeune pour avoir fait ce que j'avois fait, & me parlant avec beaucoup de bonté, il dit à Mr. de Treville de me mettre Cadet dans la Compagnie de son beau Frere qui étoit Capitaine aux Gardes. Il s'appelloit des Essarts, & ce fut là où se fit mon apprentissage dans le metier des armes. Ce Régiment étoit alors tout autre qu'il n'est aujourd'hui: tous les Officiers étoient gens de qualité, & l'on n'y voyoit point de gens de Robe ni de fils de Partisan comme il s'y en voit maintenant, & même comme il en est tout rempli. Ce n'est pas que je veuille dire que les premiers soient à mépriser. Ils ont leur merite tout comme les personnes les plus qualifiées, & s'il leur étoit deffendu de porter les armes nous n'aurions pas eu deux Marêchaux de France que le Parlement de Paris nous a déja donnez. Le Maréchal de Marillac, quoi qu'il ait péri malheureusement, n'en est pas moins recommandable par mille honnêtes gens qui savent de quelle maniere arriva son malheur. Le Maréchal Foucaut étoit pareillement d'une famille de Robe, & quoi qu'il portât d'autres armes que n'en portent ceux qui viennent comme lui de la famille qui porte ce nom là, ce n'étoit qu'à cause qu'Henri IV. les avoit changées pour un service important que l'un de ses ancêtres lui avoit rendu. Le Roi avant que de me renvoyer voulut que je lui contasse non seulement mes deux combats, mais encore tout ce que j'avois fait depuis que j'avois l'âge de connoissance. Je contentai sa curiosité, à la reserve de ce qui m'étoit arrivé à S. Die, que je n'eus garde de lui dire. Je trouvois qu'il y alloit un peu trop du mien, & rien ne me faisoit souffrir avec patience l'affront que j'y avois reçu que l'esperance d'en pouvoir tirer vengeance bientôt. Je me fondois particulièrement sur les promesses que m'avoit fait Montigré de m'avertir quand Rosnay ne se deffieroit plus de rien, & qu'il reviendroit dans sa Maison. Je trouvois même qu'il ne m'avoit pas donné de méchantes arres de sa parole, en me prêtant son argent aussi genereusement qu'il avoit fait. J'avois cependant quelque inquiétude de savoir comment je le lui pourrois rendre, quand le Roi m'en tira heureusement. Il dit à l'Huissier de son Cabinet, avant que j'en sortisse, qu'il eut à lui faire venir son premier Valet de Chambre, & ce premier Valet de Chambre étant venu, il lui commanda de prendre cinquante Loüis dans sa Cassette, & de les lui apporter. Je me doutai bien, quand je l'entendis lui faire ce commandement, que ces cinquante Loüis étoient pour moi, & de fait le Roi ne les eut pas plûtôt qu'il me les donna à l'heure même. Il me dit en me les donnant que j'eusse soin seulement d'être honnéte homme, & qu'il ne me laisseroit manquer de rien. Je crus ma fortune faite d'abord que je l'entendis parler de la sorte, & comme je n'avois pas envie de m'éloigner du chemin qu'il me prescrivoit, je regardai comme une chose indubitable ce qui me venoit de la bouche d'un si grand Roi. Mais je reconnus bientôt que c'étoit à tort que j'avois adjouté foi à ce Discours, & que si j'eusse étudié cette parole de l'Ecriture, qui nous apprend que nous ne devons jamais mettre nôtre confiance dans les Princes, mais en Dieu seul qui ne trompe jamais, ni qui ne sauroit jamais être trompe, j'eusse beaucoup mieux fait que de conter là dessus. J'expliquerai cela dans un moment & il faut que je rapporte auparavant ce qui arriva de la tromperie que faisoit Madame de Cavois. Elle garda son mari pendant quatre jours de la maniere que je viens de dire, & Bouvart, pour mieux trancher de l'homme important, continuant d'assurer qu'il lui étoit impossible de rechaper, à moins que d'un miracle, en l'état qu'il l'avoit laissé, elle s'en fut le lendemain au Palais Cardinal dans l'habit de deuil, le plus grand que put jamais porter une femme. Les Officiers du Cardinal qui la connoissoient aussi-bien qu'ils faisoient leur Maître ne la virent pas plûtôt dans cet équipage, qu'ils ne douterent point qu'elle ne l'eut perdu. Ils l'accablerent là dessus de complimens qu'elle réceut d'un air tout aussi triste que si la chose eut été bien vraye. Ils voulurent l'annoncer en même tems à son Eminence, ce qu'elle ne voulut pas souffrir, elle leur repondit qu'elle l'attendroit quand elle iroit à la Messe, & qu'il lui suffiroit de se faire voir à elle pour lui apprendre le besoin, qu'elle avoit de son secours. On fut dire en même tems à ce Ministre que Cavois étoit mort, & que sa veuve l'attendoit sur le passage de sa Chapelle pour lui recommander ses enfans. Le Cardinal à cette nouvelle n'osa sortir de sa Chambre, craignant que ce ne fut bien plûtôt pour l'accuser d'avoir fait mourir son mari, que pour lui demander quelque chose. Ainsi aimant mieux qu'elle lui fit une Mercurialle dans son Cabinet que de la lui faire devant tous ses Courtisans, il commanda en même tems qu'on la lui amenât. Il s'en fut au devant d'elle: d'abord qu'il l'apperçut il l'embrassa & lui dit qu'il étoit bien faché de la perte qu'elle avoit faite, que le deffunt avoit eu tort de prendre les choses à coeur aussi fortement qu'il avoit fait, qu'il devoit connoitre son humeur depuis le tems qu'il étoit à lui, & savoir que quelque violente que fut sa colère contre ses veritables serviteurs, elle n'étoit pas de longue durée; que cependant si elle avoit beaucoup perdu en le perdant, la perte qu'il faisoit lui même en lui n'étoit guéres moindre que la sienne; qu'il reconnoissoit mieux que jamais combien il avoit été de ses amis, puis qu'il n'avoit pû souffrir de sa bouche une seule parole rude sans en mourir de douleur. Madame de Cavois ne l'entendit pas plûtôt parler de la sorte qu'elle lui dit qu'elle n'avoit que faire de pleurer ni de porter davantage son habit, qu'elle ne l'avoit pris que pour porter le deuil de la perte que son mari & elle avoient faite de l'honneur de ses bonnes graces; mais que puis qu'elle les leur rendoit elle n'avoir plus que faire ni de deuil ni d'armes; que son mari étoit bien mal à la verité, mais que comme il n'étoit pas encore mort il guériroit bientôt, quand il apprendroit cette bonne nouvelle. Le Cardinal fut bien surpris quand il lui vit quitter sitôt son personnage. Il se douta bien qu'elle ne l'avoit fait que pour l'obliger à le faire parler ainsi: il fut fâché de s'être si fort pressé, voyant bien qu'il ne feroit pas sans en être raillé dans le monde. Néanmoins Comme c'étoit une chose faite, & qu'il n'y avoit plus de remede, il se prit à en rire tout le premier. Il lui dit donc en même tems qu'il ne connoissoit point de meilleure Comedienne qu'elle, & il ajouta à cela qu'il vouloit, pour lui faire plaisir, demander au Roi qu'il lui plût créer en sa faveur une charge de Surintendant de la Comedie, tout de même qu'il y en avoit une de Surintendant des Bâtimens, afin de l'en gratifier; que quoique ce ne fut pas la coutume de donner le moindre emploi à une femme il ne laisseroit pas de tâcher de lui faire tomber celui-là, qu'il remontreroit sa capacité au Roi, & que comme il ne demandoit qu'à être bien servi, il ne doutoit pas qu'il ne la lui donnât preferablement à tout autre, puis qu'elle étoit plus capable que personne de l'exercer. Mr. le Cardinal s'étant ainsi amusé à badiner avec elle, fit entrer ses principaux Officiers dans son Cabinet, & leur dit qu'ils n'avoient pas tout tant qu'ils étoient à se moquer les uns des autres, puis qu'elle les avoit tous attrapez également, qu'ils avoient crû que Cavois étoit mort, & que cependant à peine croiroit-il presentement qu'il fut malade; qu'il étoit bien vrai que Bouvart, qui l'avoit été voir, l'assuroit, & même qu'il l'avoit été bien dangereusement, mais que comme ce n'étoit qu'un ignorant, il étoit persuadé qu'on pouvoit se dispenser de le croire, sans courre risque de passer pour heretique. Ses Officiers qui n'étoient pas trop prévenus en faveur de ce medecin, le voyant de si belle humeur lui répondirent qu'il faisoit bien d'en avoir cette opinion, parce que s'il n'y avoit que cela qui le persuadât il pouvoit bien encore se tromper; que Bouvart, comme il le disoit fort bien, étoit un grand asne en matiere de medecine, & que tout Paris en convenoit aussi bien qu'ils convenoient de bonne foi que Madame de Cavois les avoit tous trompés. Cette Dame ayant ainsi fait la paix de son mari avec le Cardinal, quelqu'un dit au Roi le tour qu'elle avoit joué à son Eminence, & en fit bien rire Sa Majesté. Treville qui lui en vouloit, parce que son Eminence lui en vouloit à lui même, ne fut pas un des derniers à s'en divertir avec elle. Il lui dit que c'étoit ainsi que les grands hommes avoient leur ridicule aussi bien que les autres, & prenant sujet de là de lui conter tout ce qu'il en savoit, il se donna carrière à ses depends, pendant je ne sais combien de tems. D'abord que j'eus les cinquante Loüis du Roi je ne songeai plus qu'à renvoyer à Montigré l'argent qu'il m'avoir prêté si honnêtement. Une personne d'Orleans qui logeoit dans mon même logis & qui y étoit fort connu, voyant que j'étois en peine à qui m'addresser pour faire les choses seurement, me dit que si je m'en voulais bien fier à lui il me rendroit ce petit service, qu'il connoissoit Mr. de Montigré, & qu'il lui feroit tenir cet argent par une personne sûre; qu'elle n'étoit jamais une semaine sans aller chez lui. Je fus ravi de cette occasion qui me tiroit d'embarras. Je lui donnai en même tems la somme que je devois à ce Gentilhomme, & y ayant voulu ajouter quelque chose pour la dépense de celui qui lui porteroit cet argent, l'homme à qui je le donnois me dit que je lui faisois injure d'oser seulement lui en parler, qu'il n'étoit pas homme à demander retribution de si peu de chose, & que le plaisir de me rendre service étoit tout ce qu'il désiroit. Je ne l'eusse pas fait avec un autre, mais comme c'étoit un homme qui tenoit Hotellerie à Orleans, & qui ne me paroissoit pas trop riche, je ne voulois pas avoir à me reprocher de lui avoir fait dépenser un sol pour l'amour de moi. Mon argent fut rendu fidelement à Montigré, d'abord qu'il eut écrit une Lettre à son ami. Montigré ne s'attendoit pas à le ravoir sitôt, & peut-être même à le ravoir jamais. Il savoit combien il étoit rare de recevoir des lettres de change de mon pais, & sur tout à un pauvre gentilhomme tel que j'étois. Richard, c'est le nom de l'homme qui me rendit ce service, avoit prié son ami de lui renvoyer le billet que j'avois fait à Montigré. Il me le remit entre les mains pour marque qu'il avoit eu soin d'executer ce dont je l'avois prié. Je le remerciai de la peine qu'il en avoit bien voulu prendre, quoi que je ne fusse pas à le faire, & que je m'en fusse acquitté dès le moment que je lui avois fait cette priere. Je mis ce billet dans ma poche, au lieu de le dechirer comme je devois, & l'ayant perdu ou le même jour ou le lendemain, en tirant peut-être mon mouchoir ou bien en prenant autre chose, je ne m'apperçus de sa perte que deux ou trois jours après. Je le dis à Richard qui me blama du peu de soin que j'en avois eu, & comme il vit que cela m'inquietoit comme si j'eusse prevû ce qui m'en devoit arriver un jour, il tâcha de m'en consoler. Il me dit que quand même quelqu'un le trouveroit, il ne m'en pouvoit arriver d'accident, que premierement je n'étois pas en âge pour faire un billet, & que secondement étant sous le nom de Montigré, il n'y avoit point de friponnerie à faire là dessus, à moins qu'il n'en fut de moitié avec quelqu'un; que j'avois dû reconnoître au procedé qu'il avoit tenu avec moi qu'il étoit honnête homme, mais que s'il avoit encore besoin, avec cela d'une caution pour me le certifier, il lui en serviroit en tout tems, & en tout lieu, quoi qu'il ne s'en reconnût pas capable. Cette dernière raison me toucha plus que la premiere, à laquelle j'avois mis obstacle moi même par un excès de delicatesse. Comme il savoit aussi bien que cet Aubergiste que je n'étois pas en âge de pouvoir m'obliger valablement, je n'étois engagé dans ce billet à en payer le contenu que parole d'honneur, ainsi il n'y avoit point là de minorité à alleguer pour s'exempter du payement, puis que les Maréchaux de France devant qui l'on faisoit venir pour l'éxecution de ces sortes de billets condamnoient & jeunes & vieux également, quand on étoit de si mauvaise foi que de ne le pas vouloir payer. J'avois appris cela d'une affaire que mon pere avoit euë devant eux, où il étoit porteur d'un semblable billet; ainsi je m'étois servi de ma propre connoissance contre moi même, parce que je croyois que quand on avoit bien envie de payer il devoit être indifferent ou de se bien lier ou de ne se point lier du tout. Cette circonstance entretint donc mon inquietude pendant quelques jours, mais comme il n'y a rien que l'on n'oublie à la longue, je n'y songeai plus au bout de quelque tems. Je tachai cependant de remplir mon devoir de Soldat tout du mieux qu'il me fut possible. Je trouvai Besmaux dans la même compagnie où j'étois. C'étoit un homme tout d'un autre humeur que moi, & nous ne nous ressemblions en rien ni l'un ni l'autre, si ce n'est que nous étions tous deux Gascons. Il n'y avoit rien effectivement de plus opposé que nos manieres d'agir. Il avoit de la vanité au delà de l'imagination. Il eut voulu presque que nous l'eussions crû de la côte de St. Loüis, tant il s'en faisoit accroire: tout cela n'étoit fondé cependant que sur ce qu'il étoit plus vain que les autres, quoi qu'il ne vallut pas mieux. Le nom de Besmaux qu'il portoit étoit le nom d'une petite metairie qui étoit plus chargée de taille qu'elle n'apportoit de revenu; mais comme lors que l'on s'entête une fois de vouloir paroître plus que l'on est, l'âge n'a guerres de coûtume de reformer ce deffaut, il fit porter le nom de Marquisat à cette chaumiere d'abord qu'il devint en fortune. Pour moi je fus toûjours mon chemin sans vouloir paroître plus que je n'étois. Je savois que je n'étois qu'un pauvre Gentilhomme: je vécus donc comme je devois faire, sans vouloir ni me relever au dessus de mon état ni me rabbaisser au dessous de ceux qui n'étoient pas plus que moi. J'avois peine ainsi à souffrir que Besmaux se donnât des airs de grandeur en vantant le nom de Montlesun qu'il portoit. C'étoit à la verité un nom qui étoit assez beau, mais comme tout le monde ne convenoit pas trop qu'il lui appartint, je me crus obligé de lui dire, & comme son camarade & comme son ami, que toute cette vanité lui faisoit plus de tort que de bien. Il receut mal mon compliment, & l'attribuant moins au desir que j'avois de lui rendre service, qu'à une certaine jalousie qu'il se figuroit que j'eusse conçuë aussi-bien que les autres Cadets de ce qu'il pretendoit s'élever au dessus de nous, il ne me regarda plus que comme un homme qui lui devoit être suspect, bien loin de prendre la moindre confiance en lui. Il avoit aussi cela de ridicule que sans considerer ses forces qui ne pouvoient pas être moindres qu'elles étoient, il vouloit imiter ceux qui avoient des ailes pour voler: s'il voyoit quelque nouvelle mode, il en prenoit aussi-tôt quelque chose, sans considerer qu'il y avoit plûtôt de l'extravagance à le faire qu'il ne pouvoit y avoir ni de raison ni de bon sens. Il pretendoit pourtant le contraire sans prendre garde qu'il s'en rendoit ridicule à tout le monde. Je me souviens là-dessus d'une chose qu'il fit, qui fit bien rire non seulement toute nôtre Compagnie, mais encore tout le Regiment. Nous étions alors à Fontainebleau où il étoit logé chez une hôtesse qui eut quelque bonne volonté pour lui. Il en profita tout autant qu'il pût, mais comme elle n'étoit pas riche, ce qu'il en tira ne se reduisit qu'à peu de chose. Il ne s'amusa point à en remplir son ventre, comme font quantité de nations qui aiment mieux l'avoir plein, que d'avoir toute la magnificence du monde sur leur dos. Il avoit cela de commun avec tous les Gascons qu'il croyoit devoir pratiquer le proverbe qui dit ventre de son & habit de velours. Ainsi il mit sur lui, tout ce qu'il avoit pû tirer de cette femme sans se mettre en peine de tout le reste. Il se donna un habit dont il avoit assez de besoin, parce que quoi qu'il eut celui de Soldat comme les autres, la coutume des Cadets étoit d'en avoir un distingué de ceux du commun. Pour moi c'est à quoi je n'avois pas manqué, & je m'en étois donné un assez beau de l'argent que le Roi m'avoit donné: J'y en avois employé une partie & j'étois bon ménager du reste, sachant qu'il falloit garder une poire pour la soif. Au reste comme on commençoit à porter en ce tems là des baudriers en broderie d'or qui coutoient huit ou dix pistoles, & que les finances de Mr. de Besmaux ne pouvoient pas atteindre jusques là, il prit le parti de se faire faire le devant d'un baudrier de cette façon, & le derriere tout uni. Il affecta cependant, afin qu'on n'en vit pas le defaut, de porter un manteau, sous prétexte d'une feinte incommodité, ainsi n'en étalant aux yeux du monde que le devant, il n'y eut personne qui ne crut pendant deux ou trois jours, qu'il avoit donné dans l'étoffe tout aussi bien que les autres. Mais le tour de nôtre Compagnie étant venu de monter la Garde au bout de ce tems là, & Besmaux ayant endossé un autre baudrier que celui que nous venions de lui voir, parce qu'il ne pouvoit pas là porter de manteau, il y eut un de mes camarades nommé Mainvilliers qui ne pouvoit souffrir sa vanité non plus que moi, qui me dit qu'il parieroit sa tête que son baudrier en broderie n'avoit point de derriere. Je lui répondis que cela n'étoit pas croyable, & qu'il étoit trop sage pour s'exposer à la raillerie qu'il s'attireroit par là, si cela venoit jamais à être reconnu. Il me repliqua que j'en pouvois croire tout ce qu'il me plaisoit, mais que pour lui il demeureroit dans sa pensée jusques à ce qu'il eut lieu de s'en desabuser. Qu'il ne tarderoit pas long tems à le faire, & que ce seroit alors que l'on verroit qui auroit raison de lui ou de moi. Nôtre garde étant descenduë Besmaux continua toûjours de feindre d'être incommodé pour avoir pretexte de prendre son manteau. Il ne vouloit pas perdre sitôt l'étalage de son baudrier, & comme il ne le pouvoit porter sans cela, il étoit bien aisé pendant que c'en étoit la mode de faire voir à tout le monde qu'il n'étoit pas homme du commun. Il craignoit qu'elle ne vint à changer par l'inconstance à laquelle nôtre nation est sujette. Il savoit qu'elle est fort grande, & que nos ennemis n'ayant guéres d'autre défaut à nous reprocher, que celui là ne manquaient pas de nous en faire le plus souvent un sujet de mepris. Mainvilliers qui étoit un éveillé & qui ne demandoit pas mieux qu'à rire & à faire rire les autres, voyant qu'il avoit repris son manteau, & cela le confirmant plus que jamais dans sa pensée, dit à cinq ou six de nos Camarades, qui se moquoient aussi bien que lui de Besmaux, tout ce qu'il pensoit là-dessus. Ils n'y avoient pas songé, jusques-là, & je n'y eusse pas songé non plus qu'eux, si ce n'est qu'il nous rebatoit toûjours la même chose. Mais ce qu'il nous faisoit remarquer me faisant entrer à la fin dans son sentiment, il y en eut un qui lui demanda comment il s'en pouvoit éclaircir. Il lui répondit que s'il en étoit en peine tant soit peu il se trouvât l'après dînée chez ce fanfaron, qu'il l'iroit prendre avec moi pour aller se promener dans la forest, qu'il eut soin seulement de marcher derriere lui & qu'il verroit lui-même de ses propres yeux s'il s'étoit trompé ou non. Il m'en dit autant à moi & à tous ces autres, & nous en étant allez chez Besmaux d'abord que nous eûmes diné, nous le trouvâmes son manteau sur les épaules qui étoit tout prêt de nous venir chercher pour passer l'après dînée avec nous. Nous lui proposâmes nôtre promenade, & s'y en étant venu avec nous, nous fîmes semblant cinq ou six que nous étions de nous arrêter à l'entrée de la forêt, pour considerer un nid qui étoit tout au haut d'un arbre. Mainvilliers s'amusoit à causer avec lui étant bien aise de lui ôter tout soupçon de ce que nous avions envie de faire. Nous les suivîmes donc comme nous avoit recommandé Mainvilliers, & celui-ci voyant, que nous n'étions plus qu'à quinze ou vingt pas d'eux, fit un pas au devant de lui sans lui faire rien paroître encore de son dessein. Mais lui disant en même tems qu'il faisoit bien le papelard avec son manteau, & que cela ne soit guéres bien à un jeune homme & encore à un Cadet aux Gardes, il s'envelopa dans un des coins de ce manteau & fit trois ou quatre demi tours à gauche, sans lui donner le tems de se reconnoître. Il le lui enleva ainsi de dessus les épaules, & ceux qui étoient alors derriere eux ayant reconnu les parties honteuses du baudrier, ils firent un éclat de rire qu'on pouvoit entendre d'un quart de lieuë de là. Besmaux tout Gascon qu'il étoit & même de la plus fine Gascogne, se trouva demonté en cette rencontre, chacun le railla sur sa feinte maladie, & comme c'étoit le railler en même tems sur son baudrier, il crut que rien ne le pouvoit sauver de l'affront que cela lui alloit faire dans tout le Regiment que de se battre contre Mainvilliers. Il l'envoya appeller dès le même jour par un bretteur de Paris, qui étoit de sa connoissance. Mainvilliers qui étoit un brave garçon le prit au mot, & m'étant venu dire ce qui lui étoit arrivé & qu'il avoit besoin d'un second, je lui fis offre de mes services, voyant bien qu'il ne me disoit cela que pour me prier de lui en servir. Le rendez-vous étoit pour le lendemain matin à cent pas de l'Hermitage de St. Louïs qui est en deça de Fontainebleau tout au milieu de la foret, mais devant que nous y arrivassions nous trouvâmes une escouade de nôtre compagnie qui nous cherchoit pour empêcher nôtre combat: nôtre Capitaine en avoit été averti dès le soir même, par un Billet du Breteur, qui se croyant plus fort sur le pavé de Paris qu'à la Campagne, ne voulût pas se hazarder de ne plus voir les commeres qu'il avoit laissées en ce Païs-là. Besmaux témoigna être bien fâché de ce qu'on l'empêchoit ainsi de contenter son ressentiment, pendant que nous ne nous en souciâmes gueres Mainvilliers & moi. Nous savions qu'il n'y alloit point du nôtre, quand même nous ne nous battrions pas, & cela nous suffisoit pour être contens. Pour ce qui est du Bretteur, il l'étoit encore bien plus que nous. Il avoit fait le brave à peu de frais, & il pretendoit que Besmaux lui en dut avoir la même obligation que s'il eut tué son homme, & qu'il lui eut aidé par-là à remporter la victoire. Cette escouade nous remena à nôtre quartier, où Mr. des Essarts nous fit mettre tous quatre en prison, parce que nous avions osé contrevenir aux ordres du Roi. Il parloit même de faire faire le procès au Bretteur, parce que c'étoit lui qui avoit porté parole à Mainvilliers. Celui-ci en eut bientôt nouvelle, par une femme de sa connoissance, qui le vint voir, sachant qu'il avoit été mis en prison. Mr. des Essarts qui n'étoit pas ennemi de la joye alloit à Paris voir quelquefois cette femme qui étoit une femelle commode, & où il y avoit toûjours fort bonne Compagnie. Au reste la rencontrant comme elle sortoit du Château, & qu'il y alloit entrer, pour demander au Roi qu'il lui plut faire un exemple de ce Bretteur, il lui demanda par hazard si elle ne le connoissoit point. Elle lui répondit en Gascon qu'elle écorchoit un peu, langage qui plaisoit beaucoup à des Essarts, si jou le connois Cadedis c'est lou meilleur de mes amis: des Essarts qui savoit son nom le lui avoit dit, & c'étoit là-dessus qu'elle lui parloit de la sorte, mais ce Capitaine lui ayant répondu serieusement qu'il ne falloit point railler, & que plus elle étoit de ses amis, plus elle le devoit plaindre, puis qu'il alloit travailler à le faire pendre, elle le pria de n'en point parler au Roi, qu'elle ne l'eut vû, elle lui dit par une espece de presentiment qu'il auroit peut-être quelque chose à alleguer pour sa justification; qu'elle l'iroit voir de ce pas, qu'elle lui en rendroit reponse avant qu'il fut une heure tout au plus. Des Essarts lui répondit qu'il étoit obligé d'informer le Roi de tout ce qui se passoit dans sa Compagnie, mais que comme il étoit encore de bon matin, il ne vouloit pas, en faveur de leur connoissance, lui refuser le tems qu'elle lui demandoit, qu'il alloit au lever de Mr. de Cinqmars grand Ecuyer de France, & qu'il s'en reviendroit ensuite chez lui, où il l'attendroit de pied ferme, pourvû qu'elle ne demeurât pas davantage qu'elle le lui promettoit, qu'elle savoit où il étoit logé, & qu'il donneroit ordre à ses gens de la faire parler à lui, quelque personne qu'il put y avoir dans sa Chambre, Mr. des Essarts fut faire sa visite après cela, & cette femme de son côté s'en étant allée faire la sienne, elle surprit extrémement le Breteur par les nouvelles qu'elle lui annonca. Il croyoit s'être tiré d'affaire habilement par le Billet qu'il avoit écrit, & d'avoir accordé également le soin qu'il devoit avoir de son honneur & de sa vie. Il savoit que son écriture n'étoit point connuë de Mr. des Essarts, & qu'il n'auroit garde de la montrer à personne qui la pût reconnoître, mais ce que lui venoit de dire cette femme le mettant dans l'obligation de la faire connoître lui-même, à moins que de s'exposer au hazard de tout ce qui lui en pouvoit arriver, il lui répondit, après y avoir un peu songé, qu'il faloit que Mr. des Essarts fut fol de lui vouloir faire une affaire de ce qui méritoit recompense, qu'il n'avoit jamais prétendu se battre pour une aussi méchante cause que celle de Besmaux, qu'il n'avoit jamais été homme à soutenir sa vanité aux depends de sa vie, que bien loin de là il eut été le premier à l'en railler, s'il l'eut suë aussi-tôt que les autres, qu'aussi avoit-ce été lui qui avoit averti des Essarts qu'il vouloit faire couper la gorge à quatre personnes pour son _nihil au dos_, que puis qu'il avoit gaigné le devant de son baudrier à la sueur de son corps, il devoit encore en gaigner le derriere avant que de le mettre, qu'il ne se fut fait aucune affaire par là ni à lui ni à personne, & qu'il avoit bien affaire qu'il fit le Gascon, pendant qu'il étoit gueux comme un peintre. Il tâcha de faire rire cette femme en lui apprenant ce qui avoit été cause de leur querelle. Il crût que le plaisir qu'elle y prendroit ne lui donneroit pas le tems de faire reflexion sur le grand soin qu'il auroit eu de conserver sa vie; elle ne lui dit pas ce qu'elle en pensoit, parce que si elle le lui eut reproché, il étoit homme à lui reprocher autre chose; elle se contenta donc de lui dire qu'elle étoit ravie qu'il se put si bien justifier, que cependant comme des Essarts étoit un fin Gascon, & qu'il ne se contenteroit pas de paroles, il falloit qu'il l'instruisit lui-même de tout ce qu'il venoit de lui dire, par un nouveau Billet. La proposition lui déplut, parce qu'il ne trouvoit pas qu'il lui fut autrement glorieux de lui apprendre lui-même le soin qu'il avoit eu de sa vie. Mais la même raison qui l'y avoit obligé l'y obligeant encore en cette rencontre, il vainquit ses scrupules, & écrivit tout ce que cette femme voulut. Il la chargea même de sa lettre, & celle-ci l'ayant renduë à des Essarts, il ne l'eut pas plûtôt lûë & confrontée avec celle qu'il avoit déja de lui qu'il le fit sortir de prison. Il prit pour pretexte, que, comme il n'étoit pas soldat comme nous, il n'avoit point de jurisdiction sur lui. Il parla cependant au Roi de nôtre affaire, mais d'une maniere à ne nous pas nuire. Le Roi lui dit qu'il l'en laissoit le maître, mais qu'il ne feroit pas trop mal de nous laisser quelques jours en prison, afin, qu'une autre fois nous prissions garde à ne pas manquer à nôtre devoir. Nous y demeurâmes cinq jours, ce qui est bien du tems à de la jeunesse qui ne demande qu'à avoir toûjours un pied en l'air. Au sortir de là nôtre Capitaine nous fit embrasser Mainvilliers & moi, avec Besmaux, & nous deffendit les voyes de fait de la part de sa Majesté. Il nous deffendit même de parler jamais à personne du baudrier, mais quand ç'eut été sa Majesté elle-même, qui de sa propre bouche nous eut fait cette deffense, je ne sçais s'il eut été en nôtre pouvoir de lui obéïr. En effet, bien-loin que nous gardassions le silence là-dessus, Besmaux n'eut plus d'autre nom dans le Regiment que Besmaux le Baudrier, tout de même qu'on appelloit le Lieutenant Colonel d'un certain Regiment de Fontenay coup d'épée, & qu'on apelle encore aujourd'hui un Conseiller du Parlement, mendat coup de poignard. Besmaux ne me voulut pas de bien de ce que j'avois ainsi voulu servir de second à son ennemi. Il trouva que j'avois mauvaise grace, moi qui étois son compatriote, ou peu s'en falloit, d'avoir pris le parti d'un Bausseron à son préjudice. Car Mainvilliers étoit de quelque part d'auprès d'Etampes, & si je m'en souviens bien d'entre cette Ville & celle de Pluviers. Le Roi qui aimoit son Regiment des Gardes, & qui en connoissoit tous les Cadets, jusques à leur parler bien souvent, & même avec assez de familiarité, me dit le même jour que je fus sorti de prison, que je ne durerois guéres, si je ne changeois de conduite; qu'il n'y avoit pas encore trois semaines que j'étois arrivé de mon païs, & que cependant j'avois déja fait deux combats, & que j'en eusse encore fait un troisiéme si on ne m'en eut empêché; qu'il falloit être plus sage, si l'on avoit envie de lui plaire, sinon que je ne m'en trouverois pas trop bien. Sa Majesté m'eut bien parlé encore d'une autre maniere si elle eut sçû ce qui m'étoit arrivé en m'en venant de chez moi. J'avois pourtant cette affaire autant à coeur que je l'avois jamais euë, & je ne comprenois point comment Montigré, après m'avoir témoigné tant d'honêteté, me laissoit si long-tems sans me donner de ses nouvelles de mon faiseur d'affront. Je lui avois écrit en lui renvoyant son argent, ma lettre étoit aussi honnête qu'elle le pouvoit être par raport à l'obligation que je lui avois, & à celle que je lui voulois encore avoir à cet égard. Cependant je n'en avois point eu de réponse, ce qui m'eut presque fait douter qu'on lui eut donné mon argent, si ce n'est qu'on m'avoit renvoyé le billet qu'il avoit de moi. Aussi-tôt que nous fumes de retour de Fontainebleau nôtre Regiment fit revûë devant le Roi, qui nous commanda de nous tenir prêts pour aller à Amiens, où sa Majesté devoit s'acheminer incessamment. Elle y alloit pour appuyer le Siege d'Arras que les Maréchaux de Chaulnes, de Châtillon, & de la Meilleraie avoient formé par ses ordres. Il y avoit déja quelque tems qu'il duroit, & le Cardinal Infant qui rodoit autour de leur Camp avec une armée qui n'étoit guéres moins forte que la leur, pretendoit leur faire lever le Siege sans coup ferir. Il n'y réüssissoit pas trop mal jusques-là, nôtre armée commençoit déja à manquer de toutes choses, & comme il n'y pouvoit rien venir qu'à force de convois, tout son soin fut de les empêcher d'arriver à bon port. Cela lui étoit assez facile, à cause de la quantité de monde qu'il avoit avec lui. Aussi y avoit-il d'ordinaire la moitié de ces convois pris, & les autres qui passoient étoient bientôt consumez, parce que nôtre armée étoit si considerable, qu'il lui en eut bien fallu davantage pour les tirer de nécessité. Ce malheureux succès rendoit les assiegez insolens. Ils mirent sur leurs murailles des Rats de carton qu'ils affronterent contre des Chats faits de même matiere; les assiegeans ne furent ce que cela vouloit dire, & ayant fait deux ou trois prisonniers dans une sortie, ils leur en demanderent l'explication. Ces prisonniers qui étoient de veritables Espagnols, Nation qui a beaucoup d'esprit, principalement la Soldatesque, où l'on en trouve d'ordinaire plus que dans les Officiers, parce que la plûpart de ces Officiers, du moins en ce tems-là, avoient été ou Marchands ou quelque chose de semblable, & qu'ils n'embrassoient cette condition que parce qu'ils avoient fait banqueroute en leur païs, ou que leurs affaires étoient en méchant état, aussi achetoient-ils tous leur emploi, & comme ils conservoient toûjours une certaine crasse de leur premier métier, il y avoit bien à dire qu'ils eussent le même feu qu'avoient les autres; quoi qu'il en soit ces prisonniers qui n'étoient ni bêtes ni honteux, ayant été conduits au quartier du Maréchal de Châtillon, & ce Maréchal leur ayant fait la demande que je viens de dire, ils lui répondirent hardiment, que si c'étoit un autre qui la leur fit, ils le lui pardonneroient aisément, mais que pour lui ils ne s'y pouvoient resoudre, parce qu'il leur sembloit qu'il devoit être plus intelligent qu'il n'étoit; s'il ne voyoit pas bien que cela vouloit dire, que quand les Rats mangeroient les Chats, les François prendroient Arras. Le Marêchal n'osa se moquer de ce rebus, ce qu'il eut peut-être fait si les affaires du siege eussent été en meilleur état qu'elles n'étoient. Il ne fit pas même semblant d'avoir entendu ce qu'ils lui disoient, comme si le mépris eut été le salaire que devoit avoir une sotte réponse, comme la leur. Le Roi partit cependant de Paris, & étant arrivé à Amiens, une partie de nôtre Regiment eut ordre de marcher à Doullens, où on preparoit un grand convoi pour les assiegeans. L'autre resta à Amiens, en partie pour la garde de Sa Majesté, & en partie pour escorter un autre convoi qu'on devoit joindre au premier. Ce n'est pas qu'il parut aucun danger depuis Amiens jusques à Dourlens qui n'en est qu'à sept lieües, mais comme un parti pouvoit passer la riviere qui est au de là de cette petite ville, & y venir mettre le feu, lors qu'on y penseroit le moins, on étoit bien aise de prendre toutes ses precautions, afin de n'avoir point de reproches à se faire. Le Roi qui faisoit son principal plaisir de voir defiler ses Troupes devant lui, faisoit venir quelques autres Regimens de Champagne, afin d'en grossir l'Armée de ces Marêchaux. Il y en avoit un entr'autres dont le Colonel étoit bien jeune, parce qu'en ce tems-là, comme dans celui-ci, la condition des personnes servoit bien plus à leur faire obtenir un poste comme celui-là, que leurs services, & en effet ce n'est pas sans raison qu'on a toujours eu plus d'égard à l'un qu'à l'autre, puisqu'une des qualités des plus essentielles pour un Colonel qui veut avoir un bon Regiment, est de tenir bonne table. Cela sert merveilleusement bien à ses Officiers, & ils l'estiment bien autant par là que par tout le reste. Celui-ci qui ne manquoit pas d'esprit; mais qui croyoit peut-être en avoir encore plus qu'il n'en avoit, n'étoit pas trop aimé des siens, soit qu'il ne s'acquittât pas trop bien de ce devoir, ou qu'il eut le malheur qu'ont presque tous les gens qui ont plus d'esprit que les autres, savoir de se faire beaucoup plus d'ennemis que d'amis. En effet comme on les apprehende toûjours, parce qu'ils ne pardonnent guéres les fautes dans lesquelles on peut tomber, on les regarde aussi presque continuellement comme des Pedagogues incommodes, qualité qui attire plus de haine que d'amour. Ce Colonel, qui par malheur pour lui étoit sur ce pied là, car pour moi, j'estime qu'il vaut mieux n'avoir point tant d'esprit & se faire d'avantage aimer, n'étant plus qu'à un quart de lieu d'Amiens avec son Regiment, le beffroi donna avis en même tems de son arrivée. Le Roi ne l'entendit pas plutôt sonner qu'il envoya savoir aussi-tôt ce qu'il avoit découvert. On lui raporta que c'étoit un Regiment qui marchoit en corps & qui faisoit un bataillon. Sa Majesté voulant le voir deffiler devant lui, devant qu'il se rendit au camp, qui lui avoit été marqué, lui envoya ordre de passer les long de remparts de la Ville sur lesquels elle se rendit. Le Major, que ce Colonel envoyoit au Roi pour prendre ses ordres, ayant trouvé à l'entrée de la Ville l'homme qui étoit porteur de celui dont je viens de parler, le renvoya sur ses pas, & le chargea de témoigner à son Colonel la volonté du Roi. Cependant comme il étoit bien aise de lui faire recevoir quelque mortification, afin de lui apprendre une fois pour toutes que, tout habile qu'il se croyoit, il y avoit encore beaucoup de choses sur lesquelles il feroit bien de prendre conseil des vieux Officiers, il renvoya un Capitaine qu'il avoit avec lui au Regiment pour avertir le Lieutenant Colonel de la reveuë que le Roi en vouloir faire, sans lui en dite un seul mot. Le Lieutenant Colonel fit passer cette nouvelle de bouche en bouche à tous les Capitaines, sans en faire part au Colonel, chacun prit ses mesures là dessus, en gardant toujours le même silence. Ceux qui étoient bottés se firent debotter, entendant, cela, & se mirent en souliers comme il faut que l'Infanterie soit quand elle passe en reveuë. Enfin quand le Regiment ne fut plus qu'à une portée de pistolet de la Ville, le Major en sortit pour aller dire au Colonel que le Roi étoit à cent pas de là pour le voir défiler devant lui. Ce Colonel qui ne s'étoit point apperçu de la manoeuvre de son Lieutenant Colonel & de ses Capitaines, mit alors pied à terre, & fit passer la parole, afin que chacun en fit autant que lui. Il ne songea qu'à prendre une pique, sans songer nullement à ses bottes. Ainsi passant devant Sa Majesté tout botté qu'il étoit, Mr. du Hallier Marêchal de Camp qui devoit être chargé de la conduite du convoi, & qui étoit parent de ce Colonel, dit au Roi à côté de qui il étoit, qu'il desireroit pour le bien de son service, que tous ceux qui portoient les armes pour lui eussent autant d'esprit qu'il en avoit. Sa Majesté détourna les yeux à cette parole de dessus le Regiment où il les tenoit attachés, pour regarder ce Marêchal. Il ne disoit rien cependant, ce qui étonnant celui-ci, il demanda à Sa Majesté ce que cela vouloit dire: c'est ce que je n'ose vous expliquer, lui répondit le Roi, de peur de vous desobliger, car s'il m'étoit permis de vous dire ce que je pense, je vous avouerois franchement que si vous croyez beaucoup d'esprit à un homme comme celui-là, il faut que vous n'en ayez gueres vous même. Mr. du Hallier fut fort surpris, quand il entendit le Roi parler de la sorte. Il le supplia de le vouloir redresser, puis qu'il n'avoit pas encore l'esprit de reconnoître sa faute. Je vous l'eusse pardonnée lui répondit le Roi, s'il vous fut arrivé de la faire devant que d'être Officier General. J'eusse cru qu'ayant toûjours servi ou dans mes Gardes du corps, ou dans mes Gendarmes, vous eussiez été tellement accoûtumé à voir des bottes que vous ne vous en seriez pas même étonné, quand vous en eussiez veus à des singes; mais qu'un Marêchal de Camp, qui en voit à un Colonel d'Infanterie qui passe en reveuë la pique en main devant moi, n'apperçoive pas que c'est une grande beveuë, c'est ce que je ne puis souffrir. Mr. du Hallier fut bien honteux quand il s'entendit faire ces reproches, il eut bien voulu retenir alors la parole qui les lui avoit attirez, mais n'en étant plus tems il envoya avertir, sous main, son parent de se préparer à recevoir une grande mercuriale de Sa Majesté, & en effet ce Colonel étant venu pour la saluer, après la reveuë de son Regiment, un tel, lui dit le Roi Mr. du Hallier me vient de dire que vous aviez bien de l'esprit, je lui ai répondu que je le croyois de bonne foi, mais qu'il falloit aussi qu'il crut avec moi, que vous aviez bien peu de service, ou que vous aviez bien mal profité du tems que vous y avez employé: où avez-vous jamais appris qu'un Colonel dût defiler devant moi, la botte levée. Sire lui répondit le Colonel, je n'ai sû que vôtre Majesté vouloit voir mon Regiment, que lors que je n'avois plus le tems de me débotter, j'étois déja aux portes de la Ville, ainsi je n'ai eu que celui de prendre ma pique; d'ailleurs qui eut cru que vôtre Majesté, parmi la chaleur & la poussiere qu'il fait aujourd'hui, eut voulu se donner la peine qu'elle se donne presentement. Croyez-moi, lui repliqua le Roi, quelque esprit que vous ayez, vous vous tirerez mal de cette affaire, il vaut bien mieux vous taire que de parler si mal à propos, c'est le meilleur conseil que j'aye à vous donner. Ce Colonel qui étoit fort en bouche, répondit au Roi qu'il n'avoit plus garde de s'excuser, puis que sa Majesté ne le trouvoit pas bon; mais que quelque grande que put être sa faute, elle avoit servi du moins à lui témoigner le premier l'admiration, ou tout le monde devoit être aussi bien que lui, de voir le plus grand Roi de la Chrêtienté à cheval, dans un tems où chacun ne demandoit qu'à se mettre à l'abri du grand chaud & des autres incommoditez de la saison. Ses flatteries ne lui servirent de rien, non plus que son chagrin contre son Major, qu'il fût lui avoir fait cette piece. Il tâcha inutilement de le faire casser aussi-bien que quelques Officiers de son Regiment, qu'il soupçonnoit d'avoir eu part avec lui à l'affront qu'il venoit de recevoir. Ce n'est pas que les Colonels en ce tems-là, n'eussent une grande authorité sur leurs Capitaines, mais enfin quand les Capitaines étoient reconnus pour braves gens, & qu'ils avoient des amis, s'il arrivoit aux Colonels de vouloir entreprendre quelque chose contr'eux, ils se liguoient tous contre lui; le démenti lui en demeuroit ainsi le plus souvent, parce que la Cour ne jugeoit pas à propos, pour satisfaire à la passion d'un seul, d'ôter de leurs postes des gens qui y servoient bien. Le Roi fit reveuë pareillement de toutes les autres Troupes qui arriverent dans le camp, que l'on avoit formé à un quart de lieuë d'Amiens. Il en fila bien ainsi, jusques à quinze ou seize mille hommes, entre lesquels étoit comprise la Maison du Roi. Quand elles furent toutes assemblées, nous nous mîmes en marche pour aller à Dourlens avec le convoi que nous y devions escorter. Nous n'y arrivâmes qu'en deux jours, à cause de la quantité de charettes que nous avions à conduire, & que quelque bon ordre que l'on puisse donner dans une marche comme celle là, elles ne laissent pas toûjours d'embarasser. Nous y prîmes l'autre convoi, que l'on y preparoit de longue main, & ayant marché le long des bois qui sont de la dependance de la Comté de St Paul, nous ne pûmes faire que deux lieües ce jour-là. Nous n'en fîmes guéres davantage le lendemain, quoi que nous partissions beaucoup plus matin que nous n'avions fait le jour precedent. La raison est, que les ennemis qui avoient resolu de nous donner une fausse alarme, pour couvrir le dessein qu'ils avoient de forcer les lignes des assiegeans, avoient jetté de l'Infanterie dans les bois qui regnent là à droit & à gauche. Elle parut en divers endroits, comme si elle eut eu dessein de faire de grandes choses: nous nous contentâmes de la repousser avec de petits pelottons à mesure qu'elle paroissoit, sans nous mettre autrement en peine de la deffaire. Mr. du Hallier considera que ce n'étoit pas là de quoi il étoit question pour lui, & que pourveu qu'il put conduire son convoi à bon port, c'étoit tout ce que la Cour lui demandoit. Nous campâmes ce jour-là entre deux bois, & nous allumâmes de grands feux dans nôtre camp, qui avoit pour le moins une lieuë de long, car comme la plaine est extrémement serrée en cet endroit, à cause des bois qui y sont à droit & à gauche, il falloit bien de toute nécessité se conformer à l'incommodité du terrain. Les ennemis pour faire toûjours acroire de plus en plus qu'ils ne laisseroient pas passer le convoi sans coup ferir, avoient envoyé de ce côté-là quelques petites pieces de campagne. Ils nous en batirent toute la nuit, mais sur nôtre gauche seulement, parce qu'ils en avoient les derrieres plus libres que sur nôtre droite, où nous les eussions pû couper. Nous avions fait un parc de toutes nos charettes, de sorte que quand même les ennemis eussent été plus forts qu'ils n'étoient, il ne leur eut pas été bien facile de nous y forcer. Leurs petites pieces de campagne nous tuerent quelques chevaux, mais ayant été remplacez le lendemain par d'autres, que les munitionnaires tenoient tout prêts, nous arrivâmes à la fin à la veuë de nos lignes. Les ennemis s'étoient postez entre deux, pour nous empêcher le passage, ce qui nous obligea de nous retrancher, de peur qu'ils ne nous tombassent tout d'un coup sur les bras. Ils vinrent même nous reconnoître pour nous faire toujours acroire de plus en plus que c'étoit à nous qu'ils en vouloient, mais après nous avoir ainsi amusés pendant deux jours, ils firent éclore à la fin leur dessein par l'attaque d'un Fort, que le Comte de Rantzau, qui fut depuis Marêchal de France, avoit élevé pour la seureté de nos lignes. Ce Comte étoit un bon homme de Guerre, & n'eut peut-être pas eu son pareil pour bien des choses, s'il eut été moins adonné au vin qu'il l'étoit. Mais autant qu'il étoit actif & vigilant, quand il étoit de sang froid, autant étoit-il assoupi & incapable de rien faire, quand il avoit une fois dix ou douze bouteilles de vin de Champagne sur l'étomach, car il ne lui en falloit pas moins pour l'abatre, & quand il n'en avoit que la moitié il n'y paroissoit, non plus que quand il tombe une goute d'eau dans la mer. Le Cardinal Infant qui avoit de bons espions, par lesquels il avoit appris le bon & le mauvais de tous nos Generaux, sachant qu'il avoit cette inclination, avoit toûjours depuis le commancement du siege, qui duroit dès près de deux mois, entreprit d'attaquer son quartier préférablement à tout autre, quoi qu'il fut peut-être le plus fort, mais le peu de resistance qu'il pretendoit y trouver s'il y prenoit bien son tems, lui en ayant applani toutes les difficultés, il avoit toûjours persisté jusques là dans la même resolution, sans que rien l'en eut pû retenir. Rantzaw qui s'étoit apperçu de son dessein, s'étoit empêché de faire aucune debauche, tant qu'il avoit cru qu'il y avoit du danger pour lui. Il s'étoit tenu à cheval & jour & nuit, pour lui ôter toute esperance d'y réüssir. Il avoit même perfectionné ce Fort d'une maniere, qu'il sembloit que c'étoit entreprendre l'impossible, que de le vouloir emporter, à la veuë d'une Armée telle qu'étoit celle des trois Marêchaux. Mais enfin Rantzaw qui avoit toûjours été jusques là si bien sur ses gardes qu'il en avoit édifié toutes les Troupes, commençant à croire que toute la vigilance qu'il pouvoit avoir dorésenavant lui seroit inutile, puis que le Cardinal Infant ne songeoit plus qu'à attaquer nôtre convoi, il en revint tout aussi-tôt à son vomissement. Il fit une debauche, où il appella les principaux Officiers de deux Regimens qu'il avoit, l'un d'Infanterie & l'autre de Cavalerie. Ils étoient campez tous deux auprès de lui, & étoient composez de personnes de sa Nation. Car la Cour n'avoit pas alors la Politique que je lui ai remarquée depuis, savoir de ne pas laisser le commandement à des étrangers, lors qu'ils étoient Officiers Generaux des Troupes qui leur appartenoient, de peur qu'ils n'en abusassent, ou qu'ils ne se rendissent trop puissans. Il est bien vrai qu'on a toûjours laissé leurs Regimens à des Brigadiers, comme on fit à Konisgmark, la premiere année de la Guerre de Hollande; mais quand ils ont été ou Lieutenans Generaux, ou Marêchaux de Camp, ou on les a obligez de s'en défaire, ou l'on a envoyé ces Regimens servir ailleurs, que là où ils devoient servir eux-mêmes, afin de prendre toutes ses précautions. Quoi qu'il en soit Rantzaw ne fut pas plûtôt à table que les espions du Cardinal Infant, qui savoient qu'il n'en sortiroit pas sitôt, en furent avertir ce Prince. Il n'y avoit pas loin d'un camp à l'autre, ainsi comme il ne lui falloit pas bien du tems pour arriver au fort, qu'il avoit resolu d'attaquer, il ne monta à cheval que plus de deux heures après. Il vouloit donner le loisir à ce Comte d'entamer, non seulement son pas, mais encore de le pousser si loin qu'il en fut hors d'état de se défendre. Les mesures qu'il prit ne purent pas être plus justes. Il n'arriva à ce fort que plus de quatre heures après que Rantzaw s'étoit mis à table; néanmoins, comme jusques à ce qu'il fut tout à fait enseveli dans le vin, il ne laissoit pas d'agir si vigoureusement qu'il sembloit n'en avoir que plus de courage, il courut à la défense de cette piece & en rendit la prise plus difficile, que le Cardinal Infant ne croyoit: le Marêchal de Chatillon courut aussi promptement de ce côté-là, sachant qu'il y étoit d'autant plus nécessaire qu'on lui venoit d'apprendre que Rantzaw avoit été surpris lors qu'il étoit encore à table. Il étoit pourtant alors plus de deux heures après minuit, & comme il savoit qu'il s'y étoit mis à dix heures du soir, il jugea qu'il s'étoit vuidé tant de bouteilles, pendant tout le tems qu'il y avoit été, qu'il ne devoit pas être trop en état de faire ce qu'il lui convenoit presentement. Il trouva Rantzaw à cheval, qui étoit cause qu'une partie des gens qui étoient à son repas avoient été tuez. C'étoit un miracle comment il ne l'avoit pas été lui même; car étant ainsi à cheval, au lieu que tous les autres qui s'étoient approchés des ennemis étoient à pied, on lui avoit tiré une infinité de coups, comme à un homme qui devoit être Officier General. Le Marêchal de Chatillon reconnut bien à la première parole qu'il lui dit, qu'il avoit bû un coup plus qu'il ne falloit; mais le tems ne lui paroissant pas propre pour lui en faire reproche, joint qu'il avoit alors d'autres affaires, il lui conseilla de mettre pied à terre, ou de se retirer un peu derriere les autres, parce que s'il avoit échapé jusques là, il ne lui falloit qu'un moment pour trouver ce qu'il avoit evité si heureusement. Il ne l'eut jamais fait, si nous eussions pû conserver le fort davantage; mais le Cardinal Infant s'en étant emparé après un assez long combat, & assez opiniatré, il commança alors à tourner contre lui quelques pieces de canon, qu'il avoit trouvées dans le Fort. Le Marêchal de Chatillon, qui avoit amené des Troupes avec lui, lors qu'il étoit arrivé là, leur commanda alors de reprendre ce Fort, qui étoit tout ouvert de son côté. Il y fût même tout le premier avec elles, afin de les encourager par son exemple, de sorte que ces Troupes, qui eussent eu honte de ne pas faire leur devoir en presence de leur General, s'y porterent si vaillament qu'elles ne laisserent guéres ce Fort entre les mains des ennemis. Nous perdîmes bien quatre cent hommes à cette premiere attaque, & les ennemis deux cent cinquante. Il se trouva parmi les nôtres soixante & quatre Officiers, & entr'autres vint-neuf des deux Regimens de Rantzaw. Le Cardinal Infant qui ne s'attendoit pas à ce revers de fortune, se trouva plus excité que jamais, à faire recommencer le combat. Il commanda des gens frais à la place de ceux, qui après s'être veus vainqueurs étoient devenus vaincus à leur tour. Il leur dit en peu de mots que le salut d'Arras, ou sa perte ne dependoient que de leur courage, & que pour peu qu'ils fussent affectionnez à leur Roi & à leur Païs, ils ne trouveroient peut-être jamais d'occasion plus importante que celle-là pour le témoigner. Cette Ville en effet, étoit d'une extrême consequence à sa Majesté Catholique, & le Roi la prenant couvroit non seulement par là sa frontière, mais se donnoit encore une grande entrée dans la sienne. C'étoit d'ailleurs la capitale de l'Artois, conquête qui devoit donner de la reputation aux armes de France, & en ôter à celles d'Espagne. La petite harangue du Cardinal Infant ne lui fut pas inutile: les Troupes qu'il venoit de commander, marcherent bravement contre celles qui venoient de se remparer du Fort. Celles-ci voulurent le défendre, & ne pas perdre sitôt la gloire qu'elles venoient d'acquerir; mais quoi qu'elles soutinssent vigoureusement leur effort, elles furent obligées à la fin d'y ceder, la plûpart d'entr'elles furent tuées sur la place ou mises hors de combat. Le Marêchal de Chatillon, qui avoit fait avancer de ce côté-là des gens frais, afin de les soutenir en cas de besoin, voyant qu'elles plioient non seulement, mais qu'elles se retiroient encore assez vite pour croire qu'elles s'en fuyoient plûtôt que de plier, mena encore lui-même à la charge ceux qu'il avoit amené pour leur secours. Il fit merveille & eux aussi, tellement que les ennemis n'ayant pas eu le tems de se loger dans ce Fort, ils en furent chassés pour la seconde fois. Mr. du Hallier qui étoit allé au camp pendant ce tems-là, avec huit ou neuf mille hommes, du nombre desquels étoit nôtre Regiment, fit peur au Cardinal Infant par cette marche. Il savoit qu'il amenoit avec lui la Maison du Roi, qui n'étoit pas les moindres Troupes qu'eut Sa Majesté. Ainsi ne songeant plus à reprendre ce Fort, nous eumes le tems de faire passer nôtre convoi. Il mit l'abondance dans le camp, & les assiegés qui s'étoient défendus jusques-là, fort vigoureusement en ayant perdu le courage, ils ne tarderent plus que deux jours à demander à capituler. Le Roi qui étoit demeuré à Amiens sans autre Garde que le guet des Gardes du corps, la Brigade des Gendarmes, & des chevaux legers, & la Compagnie de ses Mousquetaires, qui faisoient auprès de lui les mêmes fonctions que nôtre Regiment avoit accoutumé de faire, n'en fut pas plûtôt averti qu'il se mit en chemin pour visiter sa nouvelle conquête. Mais devant que de partir d'Amiens, trois Mousquetaires & trois Gardes du Cardinal se battirent encore les uns contre les autres, sans qu'ils voulussent demeurer d'accord à qui étoit resté l'avantage. Leur querelle étoit venuë dans un billard, où suivant la coutume de ces deux Compagnies, ils ne s'étoient pas plûtôt reconnus qu'ils s'étoient regardé de travers. Des gens qui joüoient ayant fini leur partie, & ne voulant plus joüer, un de ces Mousquetaires avoit pris un billard, & un de ces Gardes un autre. Ils n'étoient pas pour joüer ensemble, & ils ne s'aimoient pas assez pour cela; mais comme lors qu'on s'en veut l'on cherche à se faire piece de toutes façons, le Mousquetaire nommé Danneveu, qui étoit un Gentilhomme de Picardie, tira la bille que le Garde avoit devant lui, & comme il joüoit parfaitement bien à ce jeu là, il la fit sauter: elle donna par malheur dans le visage du Garde, qui, soit qu'il crut qu'il l'eut fait pour l'insulter, ou qu'il fut bien aise de prendre ce pretexte, lui fit signe de l'oeil qu'il eut à sortir, afin de voir s'il seroit aussi adroit à tirer l'épée qu'à tirer une bille. Les deux camarades du Garde le suivirent, & les deux du Mousquetaire ayant fait la même chose de leur côté, Danneveu tua son homme pendant qu'il y eut aussi un Mousquetaire de tué. Les quatre autres furent separés par des Bourgeois, qui furent obligés de crier aux armes, pour les obliger de cesser leur combat. Ils furent même contraints de leur jetter des pierres avant que d'en pouvoir venir à bout. Une Escouade de Mousquetaires fut commandée en même tems pour venir voir ce que c'étoit, sur ce que l'on crioit aux armes. Les deux Gardes s'enfuirent d'abord qu'ils la virent. Ils crurent qu'elle ne venoit que pour leur faire piece, & ayant ainsi abandonné le champ de bataille, les deux Mousquetaires contre qui ils se battoient, pretendirent avoir remporté la victoire, puis qu'il leur étoit demeuré. Leur prétention étoit fondée d'ailleurs, sur ce que les deux fuyards étoient encore blessés, & que pour eux ils ne l'étoient pas. Les Gardes disoient à cela, que leurs blessures n'étoient rien, & qu'elles ne les eussent pas empêché de mettre leurs ennemis à la raison, si on les eut laissé faire; qu'à l'égard de leur retraite c'étoit la prudence, & non pas la crainte qui les y avoit obligez, qu'il n'étoit pas extraordinaire que deux hommes se retirassent de devant une douzaine, sur tout quand cette douzaine venoit avec de bons Mousquets, & qu'ils n'avoient que leur épée pour toute défense. Et certainement quoi que j'aye toûjours eu l'ame Mousquetaire, ce qui m'est assez pardonnable, puis que c'est là, ou j'ai pris ma nouriture comme je le dirai en son lieu, je ne puis m'empêcher de dire que ces deux Gardes n'avoient pas trop de tort de soutenir leur bon droit. Cependant le Roi à qui il prenoit de tems en tems une certaine demangeaison de chagriner le Cardinal ne sçut pas plutôt cette histoire, que sans se mettre beaucoup en peine si elle devoit passer pour duel ou seulement pour rencontre, il se mit à l'en railler. Il lui dit qu'il voyoit tous les jours la difference qu'il y avoit entre ses Mousquetaires & la Compagnie de ses Gardes: mais que quand même il ne l'eut pas veuë jusques là, cette seule rencontre suffisoit pour la lui apprendre. Le Cardinal qui, quelque grand esprit qu'il eut, avoit souvent des momens, qui ne répondoient pas autrement à cette haute estime qu'il s'étoit acquise dans le monde, par une infinité de grandes actions, se trouva choqué de ces paroles, sans considerer que le respect qu'il devoit à Sa Majesté l'obligeoit à en entendre bien d'autres de sa bouche, quand même il lui eut plu de lui en dire, sans en paroître si délicat. Il lui répondit assez brutalement, si l'on ose ainsi parler d'un Ministre, qu'il falloit avoüer que ses Mousquetaires étoient de braves gens, mais que c'était quand ils se trouvoient douze contre un, le Roi fut piqué de ces paroles: il lui répondit que cela n'appartenoit qu'à ses Gardes, qui n'étoient qu'un ramassi de tout ce qu'il y avoit de bretteurs à Paris; que cependant Danneveu en avoit tué un; que ceux qui le servoient avoient aussi blessé les autres, & que quoi qu'il y eut eu un Mousquetaire de tué de son côté, cela ne l'avoit pas empêché de faire prendre le fuite à ses ennemis. Enfin qu'il n'y avoit point de Mousquetaire qui n'en fit autant qu'en avoit fait Danneveu & que tous ceux de ses Gardes qui auroient affaire à eux n'avoient que faire d'en esperer un meilleur traitement. Ces paroles en attirerent d'autres de la part du Cardinal, qui oublioit toujours de plus en plus qu'il avoit affaire à son Maître, & qu'il lui devoit toute sorte de respect. Ainsi l'on pouvoit dire au procedé de son Eminence, que dans ce tems même, qu'il lui prenoit des vertiges, ce qui lui arrivoit assez souvent, il n'avoit jamais été si extravagant qu'il étoit alors, quand le Comte de Nogent vint à entrer. Il reconnut d'abord au visage de Sa Majesté & à celui de son Eminence, qu'il y avoit quelque chose d'extraordinaire sur le tapis, étant donc fâché d'avoir pris un tems comme celui-là pour entrer, il vouloit resortir à l'heure même, quand le Cardinal qui commençoit à reconnoître sa faute, lui dit de ne s'en pas aller, qu'il avoit besoin de lui pour lui dire s'il avoit tort ou non, parce qu'un tiers étoit plus capable d'en juger que soi-même. Ce Comte étoit un Comte de nouvelle impression, & qui de fort peu de chose qu'il étoit naturellement étoit devenu extrémement riche. Il avoit passé quelque tems à la Cour pour un bouffon, mais enfin les plus sages avoient bientôt reconnu qu'il avoit plus d'esprit que les autres, puis qu'il avoit amassé plus de trois millions de bien, quoi qu'on crut qu'il ne dît que des sottises. Il aimoit le jeu au delà de tout ce que l'on en sauroit dire, & même il y avoit perdu de l'argent. Il n'étoit pas de bonne humeur quand cela lui arrivoit, parce qu'il étoit extrémement interessé. Il juroit & renioit pour ainsi dire créme & bâteme, ce qui étonna tellement un jour un des Freres du Duc de Luines qui joüoit très gros jeu contre lui, que pour ne le pas entendre blasphemer davantage, il lui remit plus de cinquante mille écus qu'il lui gaignoit. Il lui dit en brouillant les jettons qu'ils avoient devant eux, & qui valoient chacun cinquante pistoles, qu'il faisoit plus d'état de son amitié que de son argent, qu'il ne pouvoit se mettre en colere si fort sans altérer sa santé, & que de peur de le rendre malade, il aimoit mieux ne joüer jamais avec lui, que de l'exposer à ce peril. Cependant ce grand blasphemateur devint homme de bien sur la fin de ses jours, dont les Capucins ne se trouverent pas mal quelquefois. Comme il étoit voisin d'un de leurs Convens, quand il voyoit un bon plat sur sa table, il le faisoit ôter par mortification sans y vouloir toucher, il le leur envoyoit en même tems, & leur faisoit dire de le manger à son intention. Sa femme & ses enfans qui en eussent bien mangé eux-mêmes, & qui n'étoient pas si devots que lui, en enrageoient bien souvent, mais il leur falloit prendre patience, parce qu'il se faisoit obéir en depit qu'ils en eussent. Cet homme dont je viens en peu de mots d'ébaucher le portrait, vit bien à l'air dont lui parloit le Cardinal, qu'il avoit besoin de son secours pour le tirer de quelque affaire. Il ne pouvoit comprendre néanmoins ce que ce pouvoit être, puis qu'il ne le croyoit pas si fou ni si peu politique, que de manquer de respect envers Sa Majesté. Mais quand il lui eut raconté la chose de son consentement, il vit bien que les plus grands hommes étoient tout aussi capables que les autres de faire de grandes fautes. Il ne manqua pas de lui donner le tort, parce qu'il ne pouvoit lui dire qu'il eut raison, sans lui faire voir qu'il ne l'avoit pas lui même. Cependant bien loin de lui ressembler il étoit si politique & si flatteur, qu'il l'eut encore blamé, quand il eut veu que c'eut été le Roi qui le devoit être. Il voyoit que ce Prince qui se trouvoit choqué avec raison, de ce que lui avoit dit son Eminence, avoit le ressentiment peint sur le visage, qu'ainsi il n'y avoit point de moyen de l'appaiser qu'en donnant le tort à ce Ministre. Le Roi fut ravi que Nogent se declarât pour lui. Il se crut en droit d'en faire une plus grande correction à son Eminence, & lui avant dit qu'elle s'aveugloit tellement sur ses propres interêts, qu'elle en étoit incapable d'entendre raison, il lui reprocha que s'il ne fut survenu un tiers pour le condamner, il lui eut tenu tête jusques au jour du Jugement. Le Cardinal qui reconnut à ces paroles que sa Majesté étoit véritablement en colere, fut assez habile pour reparer ce qu'il avoit fait par une humble confession de sa faute. Il lui en demanda même pardon en presence de Nogent, & il dit à celui-ci en particulier, c'est à dire la premiere fois qu'il se trouva tête à tête avec lui, qu'il lui avoit rendu un si grand service en le tirant de ce mauvais pas qu'il lui en auroit obligation toute sa vie. Le Roi donna le Gouvernement d'Arras à un Officier nommé St. Preuil, qui avoit été Capitaine aux Gardes. Il étoit alors Gouverneur de Dourlens: & comme c'étoit de là que l'on avoit tiré la plûpart des convois qui avoient servi à faire subsister l'Armée, & par consequent à prendre la place, Sa Majesté crut que les services qu'il avoit rendus en cela meritoient bien cette recompense. Il étoit très brave homme, & très entendu dans son métier, infatigable d'ailleurs, de sorte que depuis quatre heures du matin qu'il avoit accoûtumé de se lever jusques à onze heures du soir qu'il se couchoit d'ordinaire, il ne s'appliquoit uniquement qu'à faire échoüer tous les desseins que les ennemis pouvoient avoir. Cependant quand sa garnison le croyoit enseveli le plus dans le sommeil, c'étoit alors qu'il alloit faire sa ronde, & qu'elle le voyoit sur les remparts. Il y alloit même souvent deux ou trois fois pendant une même nuit, tellement que quoi que les Soldats vinssent de le voir, ils n'étoient pas assurés de ne le pas revoir dans un moment. Cela les tenoit plus allerte, qu'ils ne l'étoient dans d'autres places, parce qu'il y avoit quantité de Gouverneurs qui croyoient, que quand on leur donnoit un Gouvernement, comme ce n'étoit qu'en veuë de les recompenser de leurs peines, & de leurs travaux passez, ils en devoient être exempts à l'avenir. St. Preuil n'étoit point marié, & même ne l'avoit jamais été. Ce n'est pas qu'il n'eut trouvé occasion de l'être avantageusement, & même plusieurs fois, mais il avoit toûjours cru, que le mariage ne s'accordoit gueres bien avec un homme de son métier. Néanmoins comme il n'étoit encore qu'à la fleur de son âge, & qu'il avoit les passions vives, il avoit toûjours eu quelque Maîtresse au deffaut d'une femme. Au reste étant allé, quelque jours après avoir eu son Gouvernement, visiter tout ce qui étoit alentour jusques à deux lieües à la ronde, il trouva dans un Moulin la femme du Meunier si jolie qu'il voulut l'avoir à toute force. Cette femme qui avoit d'aussi bons yeux que si elle eut été née autre chose, qu'elle n'étoit, ne fut qu'un moment pour faire la difference qu'il y avoit à faire entre le Gouverneur & son Mari. Le tems ni la conjoncture ne leur permirent pas ni à l'un ni à l'autre de se dire rien de ce qu'ils pensoient; mais comme l'usage avoit appris à St. Preuil, que dans une occasion comme cela là, on réussissoit mieux par un tiers que par soi-même, il lui mit aux trousses son valet de chambre, qui depuis deux ou trois ans étoit devenu son maître d'hôtel. Celui-ci fut trouver son mari avec le boulanger de St. Preuil, sous pretexte de lui faire faire de la farine pour le pain de son maître. Mais tandis que le boulanger entretenoit le mari, le maître d'hôtel entretint la femme, & lui dit, que son maître étoit devenu si fort amoureux d'elle, depuis qu'il l'avoit veuë, qu'il n'auroit point de repos jusques à ce qu'il la possedât, qu'il ne pretendoit pas cependant que ce ne fut qu'une passade; qu'il en voulait faire sa maîtresse, & ne pas souffrir que son mari partageât ses caresses avec lui. La Meuniere à qui le maître d'hôtel voulut faire present en même tems, d'un diamant qui valoit bien cinquante pistoles, sentit reveiller sa tendresse a une marque si assurée de son amour. Elle en savoit assez, toute grossiere qu'elle étoit, pour ne pas douter que lors que l'on se mettoit sur le pied de donner, ce ne fut une marque qu'on en tenoit tout de bon; ainsi elle eut fait son marché dés l'heure même, si ce n'est qu'elle crut que si elle se montroit si facile, ce seroit le moyen d'éteindre sa passion plutôt que de l'allumer. Elle en avoit peut-être fait l'experience dans les embrassemens de quelque autre, ou du moins dans ceux de son mari; quoi qu'il en soit ayant renvoyé le maître d'hôtel, sans vouloir recevoir son present, ils se separerent sans qu'il eut pu convenir de rien avec elle. Comme elle ne le renvoyoit néanmoins que d'une certaine maniere à lui faire connoître, qu'il n'y avoit que la honte qui la retenoit il en fit son rapport à son maître, qui ne fut pas fâché que sa maîtresse ne se fut pas renduë à la première proposition qu'il lui avoit fait faire. Il la fit épier quand elle viendroit à la Ville, afin de lui faire reparler, & cette femme y étant venuë à la nôtre Dame de Septembre ensuivant, le maître d'hôtel la convia avec deux autres femmes avec qui elle étoit, à venir faire collation chez le Gouverneur. Il ne parla pourtant qu'en son nom, & il n'avoit garde de le faire au nom de son maître devant ces deux témoins, à qui il n'étoit pas d'humeur de dire son secret. La Meuniere voulut bien accepter cette collation, & ces deux femmes le voulant encore mieux qu'elle, parce qu'elles s'attendoient qu'on leur feroit boire là de bon vin, dont les Flamandes ne sont pas moins amoureuses que leurs maris, elles s'y en furent toutes trois de compagnie. Le maître d'hôtel les y regala magnifiquement, & y ayant fait saouller les deux femmes, pendant qu'il fit signe à l'autre de se menager, il les mit bientôt dans un tel état qu'elles en perdirent la connoissance. On leur fit un lit à chacune, où on les mit coucher, sans qu'elles eussent aucune connoissance de ce qu'on leur faisoit; tant les fumées du vin qu'elles avaient bû, leur étoient montées à la tête. Elles y dormirent toute la nuit sans se reveiller, tandis que le maître d'hôtel livra la Meuniere entre les bras de son maître. Elle fit quelque façons devant que de s'y jetter, de peur qu'il ne la renvoyât, quand il en auroit passé sa fantaisie; mais St. Preuil lui ayant juré, que c'étoit à quoi il pensoit si peu qu'il lui avoit déja acheté de l'étoffe pour l'habiller, parce qu'il ne vouloit pas qu'elle fut toûjours vetuë comme elle étoit, il envoya chercher cette étoffe à l'heure même afin de la lui faire voir. Il ne l'avoit pourtant pas achetée pour elle, comme il disoit, ç'avoit été pour une maîtresse qu'il avoit euë avant elle; mais l'ayant soupçonnée de quelque infidélité, & celle-ci qui étoit fiere ne lui ayant pas fait grande satisfaction là dessus, soit qu'elle fut innocente, & qu'elle crut ne lui en point devoir, ou que se sentant coupable effectivement, elle ne voulut pas lui faire des excuses inutiles, celle-ci dis-je lui ayant encore donné par là un plus grand sujet de la haïr, bien loin qu'il lui eut fait ce present, elle s'étoit cruë encore trop heureuse d'emporter ce qu'il lui avoit donné auparavant. Au reste la veuë de cette étoffe ayant fait croire à la Meuniere qu'il n'y avoit point de fiction, à tout ce que le maître d'hôtel lui avoit dit de sa part, ni à ce qu'il lui disoit lui-même, elle ne se fit plus tant tirer l'oreille pour demeurer avec lui. Le Meunier fut extrémement en peine quand il ne vit point revenir la Meuniere, & comme il savoit qu'elle étoit allée dans la Ville en la compagnie des deux femmes, dont je viens de parler, il s'en fut chez elles, l'une après l'autre, pour savoir ce qu'elle étoient devenuës. Leurs maris en étoient aussi en peine qu'il pouvoit être de la sienne, & comme il commençoit à se faire trop tard pour les aller chercher dans une Ville de guerre, dont les Portes devoient être fermées à l'heure qu'il étoit, ils attendirent aux Portes ouvrantes à aller faire cette perquisition. St. Preuil qui s'en doutoit bien avoit embouché son maître d'hôtel pour aller au devant deux. Comme celui-ci savoit par quelle Porte ils devoient venir, il s'étoit rendu sur les avenuës, sous pretexte d'avoir affaire là dans la boutique d'un epicier. Il avoit l'oeil au guet, afin que le Meunier ne lui échapât pas, & le voyant passer il l'appella par son nom, & lui demanda en presence de l'epicier & de sa famille, s'il ne connoissoit point deux femmes qui étoient venuës la veille avec la sienne. Que c'étoient de plaisantes commeres, qu'elles s'étoient gorgées de vin dans son office, où elles étoient venuës avec lui, qu'il avoit été obligé de les faire mettre au lit, & qu'il ne croyoit pas qu'elles se fussent encore réveillées. Le maître d'hôtel avoit déja fait ce conte à l'epicier & à sa femme, afin de les prevenir. Les deux hommes ne furent plus en peine de chercher leurs femmes, puis qu'ils les savoient encore au gite, mais le Meunier n'apprenant point par là des nouvelles de la sienne, il fut plus en peine que jamais. Il demanda au maître d'hôtel si elle n'étoit point encore couchée comme les autres. Il feignit d'être étonné de sa demande, & lui dit qu'elle devoit avoir couché chez lui, puis qu'elle s'en étoit retournée de bonne heure. Cette réponse augmenta son inquiétude. Il la fut chercher en le quittant, par tout où il crut pouvoir apprendre de ses nouvelles; mais personne n'ayant garde de lui en dire, puis que St. Preuil la tenoit sous la clef, tout le recours de ce pauvre homme fut d'aller demander à ses deux compagnes ce qu'elle étoit devenuë. Elles s'étoient reveillées à la fin; mais elles ne se souvenoient d'aucune chose, ainsi le pauvre Meunier n'en ayant pas eu grand contentement, il commença à craindre qu'il ne lui fut arrivé quelque malheur, sans rien soupçonner néanmoins de ce qui en étoit. Il passa quelques jours à la chercher de tous côtés, car comme elle étoit fort jolie, il trouvoit que les peines qu'il y prendroit ne pouvoient être mieux employées. Le maître d'hôtel cependant le visitoit très souvent par l'ordre de son maître, & lui disoit de tems à autre, pour voir comment il prendroit son affliction, qu'il falloit que quelque Officier qui l'avoit trouvée à son gré, la lui eut enlevée. Le Meunier répondit à cela, que s'il le savoit il prendroit bien la peine de s'en aller tout exprès à Paris, pour se jetter aux pieds du Roi; que Sa Majesté ne portoit pas le nom de juste inutilement, qu'il lui demanderait justice d'une si grande violence, & qu'il ne doutoit pas qu'il ne la lui fit. Ce discours étant rapporté à St. Preuil, il crut qu'il étoit de sa prudence de ne pas faire paraître sitôt aux yeux du public, le rapt qu il venoit de faire de cette femme. Il la tint cachée pour le moins un mois ou deux, tandis qu'il fit tous les plaisirs qu'il put faire à ce Meunier, pour desarmer sa colere. Il s'y prit néanmoins fort adroitement, afin qu'il ne se doutât encore de rien. Il envoya une belle nuit bruler une étable qui étoit auprès de son Moulin, & où il n'y avoit que des Vaches. Le Meunier qui avoit querelle contre un de ses voisins, crut que c'étoit lui qui avoit fait le coup, & lui fit un procès criminel. Or le Meunier ne pouvant manquer qu'il n'y succombât, puis qu'il accusoit cet homme injustement, il eut recours à la protection du Gouverneur, voyant qu'il alloit être condamné faute de preuve, St. Preuil la lui accorda à l'heure même, & pour les mettre l'accord, il paya non seulement tous les frais, mais fit encore rebatir l'étable à ses dépens. Il lui donna aussi le double des Vaches qui avoient été brulées. Enfin croyant l'avoir addouci par là, & par quantité d'autres traits d'une generosité apparente, il se flatta qu'il n'y avoit plus tant de danger pour lui de lui découvrir ce qui se passoit. Ainsi l'envoyant chercher un beau matin, il lui demanda s'il étoit vrai ce qu'il avoit oui dire de sa femme, qu'on lui avoit rapporté qu'elle étoit entretenuë par une personne de grande distinction, qu'elle étoit fort bien traitée, & qu'afin qu'il se ressentit de son bonheur, elle lui avoit envoyé une somme de deux mille livres. Le Meunier qui savoit bien qu'une partie de ce discours n'étoit pas veritable, quand même l'autre l'auroit été, lui répondit que c'étoit là la premiere fois qu'il avoit entendu parler de pareille chose; qu'il ne pouvoit dire au juste si sa femme étoit tombée ou non entre les mains d'une personne qui en eut tant de soin, mais que toûjours savoit-il bien qu'elle n'en avoit guéres eu de lui, puis qu'il n'en avoit pas seulement oui parler depuis le tems qu'elle étoit perduë. Qu'ainsi qu'elle n'avoit eu garde de lui faire un present comme celui-là, & que si elle étoit si fort à son aise, elle se contentoit d'y être sans se mettre guéres en peine que les autres y fussent ou non. Comme ce discours sembloit plus interessé qu'amoureux, St. Preuil ne fit plus de façon de parler plus clairement. Il dit à cet homme que ce qu'il lui avoit dit par maniere de nouvelles, il le lui disoit maintenant comme une chose bien assurée; que même la personne qui avoit pris sa femme, lui avoit remis à lui même les deux mille francs dont il lui parloit, qu'il s'étoit chargé de les lui offrir de sa part, & s'il ne vouloit pas bien les recevoir. Ces paroles r'ouvrirent les blessures de ce pauvre homme, que le tems n'avoit pas encore bien fermées. Il ne se put empêcher de faire un soupir. Cependant, comme il pouvoit s'assurer de ces deux mille francs en consentant de les prendre, au lieu que quand il eut voulu ravoir sa femme, il n'étoit pas assuré qu'on voulut la lui redonner, il les demanda toûjours par provision. Il savoit que l'argent étoit d'une grande utilité dans le siècle où nous sommes, & qu'il n'y avoit point de consolation plus assurée que celle-là. St. Preuil qui ne manquoit pas d'esprit, & qui savoit qu'il avoit des ennemis puissans, fit un tour d'habile homme en lui contant cet argent, mais qui néanmoins ne lui servit pas de grande chose. Il prit quittance de cette somme, & il la fit causer pour affaire secrette qui s'étoit passée entr'eux deux. Il pretendoit par là, que si cet homme s'avisoit en suite de se plaindre qu'il lui eut enlevé sa femme, il feroit voir qu'il la lui auroit venduë lui même. Il contoit qu'on ne pouvoit donner un autre sens à ces paroles, & que quoi que ce pauvre cocu pût faire, il n'en auroit que le démenti. Quand il eut cette quittance, & que l'homme eut pris son argent, il crut qu'il n'y avoit pas grand peril à lui faire voir que c'étoit lui qui jouissoit de sa femme. Il le fit entrer dans une chambre où elle étoit: elle avoit des habits magnifiques, & à voir sa parure, on eut dit bien plutôt qu'elle eut été la femme du Gouverneur que du Meunier. Le pauvre mari, à qui St. Preuil n'avoit rien dit avant que de le faire entrer là, fut si saisi à cette veuë qu'il tomba évanoui aux pieds de l'un & de l'autre. Ils eurent bien de la peine à le faire revenir, mais en étant enfin venu à bout, St. Preuil lui donna encore mille francs pour moderer son affliction. Il lui promit même qu'il lui feroit encore du bien dans l'occasion, pourveu qu'il se montrât sage, & qu'il ne s'amusât pas à causer. Le Meunier prit encore ces mille francs, sans oser approcher de sa femme, & s'en étant retourné à son Moulin, il ne fut plus en peine comme il avoit été auparavant de ce qu'elle étoit devenuë. Comme ils s'étoient separez bons amis St. Preuil & lui, ou au moins que l'apparence étoit, que ce pauvre homme consentoit tacitement à toutes choses, ce Gouverneur ne crut plus devoir tenir sa maîtresse enfermée. Il lui laissa prendre l'effort, & comme il avoit le don, aussi bien de se faire aimer que de se faire craindre, l'on vit tout d'un coup que toute sa Garnison porta un aussi grand respect à la Meuniere, que si elle eut été sa femme. La Cour ayant été à Abbeville avant que de s'en revenir d'Arras, nôtre Regiment arriva à Paris vers le milieu du mois de Septembre. J'y trouvai une lettre de Montigré, par laquelle il me mandoit que Rosnay étoit revenu dans sa maison, mais qu'il n'y avoit couché qu'une seule nuit, que j'en étois cause apparemment, qu'il m'apprehendoit comme la mort, sur tout depuis qu'il avoit appris les deux combats que j'avois faits, qu'il jugeoit de là que je lui ferois mal passer son tems, si je venois jamais à le joindre, que le meilleur conseil qu'il eut cependant à me donner, étoit de me tenir sur mes gardes, parce que comme il étoit riche, il étoit homme à ne pas épargner l'argent, pour se mettre à couvert de ce qu'il apprehendoit. C'étoit me dire en peu de mots, qu'il étoit homme à me faire assassiner, ce que j'eus peine à croire, parce que naturellement je juge assez bien de mon prochain: en effet je n'ai jamais pû me mettre en tête, qu'on se puisse porter à une si grande méchanceté, qui est indigne non seulement d'un honnête homme, mais encore d'un homme qui n'en auroit que l'apparence. Je savois d'ailleurs, que bien loin de lui avoir jamais fait quelque mal, c'étoit lui au contraire qui m'avoit offensé si cruellement, que s'il pouvoit jamais être permis d'en venir à cette extremité, c'étoit à moi à le faire & non pas à lui. Quoi qu'il en soit dormant en repos sur la foi de ma conscience, je crus si bien que ce que me mandoit Montigré n'étoit que l'effet de la haine, qui regne entre deux personnes qui ont procès ensemble, que je n'en eus pas un moment d'inquietude. Je lui fis réponse, cependant, pour le remercier de son avis, comme si je l'eusse cru veritable, quoi que je n'y ajoutasse aucune foi. Je le priois par cette lettre de me mander s'il croyoit qu'il fut à Paris, afin que soit qu'il me voulut du mal ou non, je pusse toûjours en le prevenant, mais en galant homme & non pas en assassin, lui faire voir que quand une fois on avoit receu un affront pareil à celui qu'il m'avoit fait, on ne le pouvoit oublier, qu'on ne se fut mis en état auparavant d'en tirer vengeance. La réponse que m'y fit Montigré, fut qu'il en avoit pris le chemin, & que personne ne m'en pouvoit dire mieux des nouvelles, qu'un nommé Mr. Gillot, qui avoit été Conseiller Clerc au Parlement de Paris, qu'il logeoit quelque part vers la Charité, & que si les gens de ce quartier là ne me pouvoient dire sa demeure, je la saurois toûjours chez Mr. le Bouts, Conseiller, ou chez Mr. Encellin, Officier de la Chambre des Comptes, qui étoient ses neveux; que ce Mr. Gillot avoit été autre fois ami intime de mon ennemi, mais qu'ayant aujourd'hui procès ensemble pour quelque bagatelle, leur inimitié alloit encore plus loin que n'avoit jamais été leur amitié. Je crus à ces nouvelles que je ne risquerois rien d'aller voir ce Mr. Gillot, puis que nous étions de moitié tous deux dans la haine que nous portions à Rosnay. Je le cherchai dans le quartier qui m'étoit indiqué par ma lettre, & l'ayant bientôt trouvé, parce qu'il y logeoit effectivement, peu s'en fallut que je ne hâtasse ma perte par là, au lieu de hâter ma vengeance, comme c'étoit mon dessein. Un des laquais de ce vieux Conseiller m'ayant introduit dans sa chambre il me fallut, parce qu'il étoit sourd, lui dire dans un Cornet qu'il approchoit de son oreille ce qui m'amenoit chez lui. Ce laquais qui étoit resté dans sa chambre, étoit un espion de Montigré, & m'ayant depeint à lui, il lui fut redire dès le même jour, le propos que j'avois tenu avec son maître. Mr. Gillot m'avoit appris où il demeuroit; j'étois seur de l'y trouver sans cette circonstance, & par conséquent de n'être pas encore long-tems sans m'en venger. Mais le portrait que lui avoit fait ce laquais, lui faisant connoître que ce ne pouvoit pas être un autre que moi, qui l'eut été demander, il delogea à l'heure même, & me fit perdre par là toutes mes mesures. Cependant il ne se contenta pas de cela, il chercha encore des Soldats aux Gardes pour me donner mon fait, sans considerer qu'étant leur camarade, comme je l'étois, ils ne voudroient peut-être pas tremper leur main dans mon sang, quand même ils seroient d'humeur à n'y pas prendre garde de si prés avec un autre. Il contoit que comme l'argent faisoit tout faire à mille sortes de gens, ceux là feroient aussi tout ce qu'il voudroit, sur tout si l'on avoit soin de les lui choisir comme il les vouloit avoir. Il s'addressa pour cela au tambour major des Gardes, qui étoit de son païs, & qui avoit été autre fois tambour dans une autre Compagnie qu'avoit un de ses freres. Il ne lui dit pas néanmoins son dessein, parce que quoi qu'il contât beaucoup sur son ancienne connoissance, & sur la consideration qu'il devoit avoir pour lui, à cause qu'il n'étoit que de sa porte, il ne savoit pas si se voyant dans un poste assez considerable pour un homme comme lui, il n'auroit point de peur de perdre sa fortune, en cas qu'il vint à faire quelque chose qui ne fut pas bien. Le Tambour le refusa effectivement, & même d'une maniere assez brusque. Il lui dit, que quoi qu'il connut tous les braves gens, qui étoient dans le Regiment & qu'il se fourât même quelque fois avec eux, quand il étoit question de servir un ami, il ne se mêloit point d'en donner, quand on lui faisoit mystere du service qu'on en pretendoit. Rosnay s'addressa à un Sergent, au refus du Tambour Major, & celui-ci n'étant pas si délicat que lui, quoi qu'il le dût être davantage par rapport à son emploi, lui amena le lendemain matin quatre Soldats, qui faisoient à peu près à Paris le même métier que font en Italie, ceux à qui l'on donne le nom de _braves_. Ce nom ne leur convient guéres néanmoins, puis que toute leur bravoure ne consiste qu'à tuer un homme de sang froid, sur tout quand ils sont six contre un, & qu'ils le peuvent faire sans peril. Je ne me doutois guéres de ce qui se brassoit contre moi, & je ne songeois, au contraire, qu'à aller guetter Rosnay à l'endroit où Mr. Gillot m'avoit dit qu'il logeoit, quand je sus qu'il avoit changé de demeure dès le jour même que j'avois été chez ce Conseiller. Je demandai à son hôtesse qui étoit une fort jolie femme, & qui valoit bien la peine qu'on lui en contât, où il étoit allé loger; elle me répondit qu'elle n'en savoit rien, mais que tout ce qu'elle me pouvoit dire, c'est qu'il falloit de toute necessité, qu'il lui fut arrivé quelque affaire qui l'inquietoit extrémement; que ce qui le lui faisoit croire, c'est qu'il n'avoit point eu de cesse qu'il n'eut fait emporter ses hardes, quoi qu'il fut déja tard; que tout ce qu'elle pouvoit m'apprendre encore, c'est qu'il n'en parloit pas un moment auparavant; mais qu'un laquais vêtu de vert lui étant venu parler il étoit descendu tout d'un coup dans sa chambre, lui avoit demandé à compter, & s'en étoit allé à l'heure même. Je reconnus à ces livrées qu'il falloit que le laquais, dont elle me parloit, fut celui de Mr. Gillot, qui m'avoit introduit dans sa chambre, car il étoit justement de cette couleur. Ainsi étant bien aise ou de me confirmer toûjours de plus en plus dans ma pensée, on de ne pas faire davantage de méchant jugement, je la priai de me dire comment il étoit fait; elle m'en fit le portrait en même tems, & comme il étoit tout pareil à l'original que j'avois veu, je ne doutai point que je n'eusse donné droit au but, quand j'avois cru que c'étoit là justement le personnage qui avoit fait décamper mon homme si vite. Il ne me fallut pas bien du tems pour faire ces demandes à l'hôtesse, & pour en entendre la réponse, mais ce peu de tems me suffisant pour m'en rendre amoureux, & peut-être pour la rendre amoureuse elle-même de moi, je lui dis qu'elle venoit de perdre un hôte en perdant Rosnay; mais que je voulois lui en redonner un autre, pourveu qu'elle le voulut recevoir: que sa bourse à la verité ne seroit peut-être pas aussi bien garnie que la sienne; mais que toûjours pouvois-je lui assurer qu'il lui payeroit fidélement ce qu'il lui promettroit, & que de plus il seroit du moins aussi porté que pas un autre à tout ce qui seroit de ses interêts, & que j'étois prêt de l'en cautionner. Elle comprit bien, quand je lui parlai de la sorte, que c'étoit moi-même qui m'offrois à elle pour venir loger dans sa maison, & comme elle avoit déja quelque bonne volonté pour moi, comme elle m'avoüa elle-même depuis, elle me répondit à l'heure même, qu'il ne lui importoit pas que ses hôtes fussent riches ou non, pourveu qu'ils la payassent bien; qu'elle faisoit plus d'état de l'honnêteté que des richesses, & que puis que je voulois lui faire l'honneur de vouloir venir loger chez elle, je n'avois qu'à prendre la chambre que Rosnay venoit de quitter, qu'il y avoit une garderobe qui étoit assez commode, qu'elles étoient même toutes deux assez proprement meublées, & que quand je serois là, il y en auroit mille autres à Paris, qui n'y seroient pas si bien logés que moi. Quoi que je fusse Gascon, & que du Païs d'où je suis l'on ne tombe guéres d'accord volontiers de sa pauvreté, je ne laissai pas de lui dire que ce qu'elle me disoit là, étoit justement une raison qui m'empêchoit d'accepter ses offres; qu'il falloit que chacun se mesurât selon sa bourse, que cette chambre étoit trop belle pour moi, & que je n'en voulois qu'une des plus communes, afin d'être en état de la payer; que je n'avois que faire ni de garderobe, ni d'anti-chambre, ni d'écurie, parce que n'étant qu'un pauvre Gentilhomme de Bearn, je n'avois ni chevaux, ni valet. Une autre que cette femme, & qui eut fait le métier qu'elle faisoit, eut peut-être été rebutée d'une declaration aussi ingenuë que la mienne, mais celle-ci qui étoit plus genereuse que beaucoup d'autres, me répondit que quelque pauvre que je pusse être, elle vouloit que j'occupasse cet appartement, ou que je ne vinsse point loger chez elle, que je ne lui en donnerois que ce que je voudrois presentement, & même rien du tour, pour peu que cela me fit plaisir, qu'elle se contenteroit que je me ressouvinsse d'elle, quand j'aurois fait fortune, & qu'elle étoit bien trompée, si cela ne m'arrivoit quelque jour. J'aimai sa générosité, & sa prediction. Je lui répondis en même tems que si d'abord que je l'avois veuë, je m'étois resolu de prendre un grenier chez elle, plûtôt que de ne la pas avoir pour mon hôtesse, elle pouvoit bien juger dans quels sentimens je pouvois être, maintenant qu'elle m'offroit de si bonne grace un de ses plus beaux appartemens; que je tâcherois de ne lui être à charge que le moins qu'il me seroit possible, & que si l'horoscope qu'elle venoit de me tirer pouvoit jamais se trouver véritable, je serois ravi de partager ma fortune avec elle, ou que je changerois bien de sentiment. Il ne falloit pas s'étonner si cette femme avoit des sentimens si éloignez de ceux qu'ont d'ordinaire les personnes qui font le même métier qu'elle faisoit; elle étoit née quelque chose de plus qu'elle ne paroissoit être, elle étoit Demoiselle d'extraction, & même d'une famille assez ancienne de Normandie; mais la méchante conduite de sa Mere, avoit été cause de la ruine de sa maison, cette femme s'étant amourachée d'un Gentilhomme de son voisinage, & lui d'elle pareillement; son mari n'avoit pû souffrir leur commerce, & avoit tué le galant un jour qu'il étoit venu voir sa femme, & qu'il le croyoit bien loin de là. Ce meurtre avoit ruiné ces deux maisons, qui étoient fort à leur aise auparavant, l'une avoit consumé tout son bien, en poursuivant la mort de l'assassin, l'autre en se défendant. Enfin le meurtrier avoit obtenu grace, & fait enfermer sa femme sans lui vouloir jamais pardonner. Il s'étoit chargé de l'éducation de ses enfans, qui étoient en grand nombre; car il en avoit huit, savoir trois garçons, & cinq filles; les garçons ne l'avoient guéres embarassé, parce qu'il contoit, comme il avoit fait effectivement de les envoyer à la guerre. Il contoit aussi de jetter les filles dans des Convens, mais soit qu'elles tinssent un peu de la mere, c'est à dire qu'elles aimassent le libertinage un peu plus que de raison, ou qu'elles ne se pussent resoudre à s'enfermer pour toute leur vie, il n'y en eut pas une seule qui en voulut tâter. Il fut donc obligé de les marier au premier venu, parce que quand on n'a point de bien, comme il n'en avoit plus, bien loin que l'on soit en état de se choisir des gendres, on est encore trop heureux de les prendre comme ils se presentent. L'une avoit été mariée à un pauvre Gentilhomme, qui faisoit abstinence la moitié de l'année, & qui la faisoit faire pareillement à sa femme, non par devotion, ni par aucun commandement de l'Eglise, mais parce qu'il n'avoit pas le plus souvent de quoi manger. Une autre avoit épousé un Maître Chicanneur, qui dans une jurisdiction assez proche de l'endroit où elle étoit née, faisoit le métier d'Avocat & de Procureur. Celle-là n'étoit pas la plus malheureuse, parce que ces sortes de gens trouvent toûjours moyen de vivre aux dépens d'autrui; deux autres avoient épousé à peu près des gens de même étoffe, & vivottoient, du moins, si elles ne vivoient pas splendidement. Enfin celle chez qui je devois aller loger, avoit eu pour mari, un homme qui étoit absent, il y avoit cinq ou six mois, & qui après avoir été Lieutenant d'Infanterie, avoit changé son métier en celui de louer des Chambres Garnies. Il avoit cru que si cette profession n'étoit pas aussi honnête que l'autre, il y vivroit du moins plus à son aise. Je ne sai si sa femme qui se sentoit toûjours du lieu, d'où elle venoit, ne se mit point en tête en me voyant, que quoi qu'elle fut pour le moins de cinq ou six ans plus veille que moi, je serois encore trop heureux de faire auprès d'elle ce que celui que son Pere avoit tué avoit fait auprès de sa Mere. Son mari étoit allé en Bourgogne, pour une succession qu'il y pretendoit. Cela lui donnoit un procès au Parlement de Dijon, & elle n'étoit point fâchée de son absence, parce qu'elle ne l'aimoit nullement. D'abord que je fus établi chez elle, & qu'elle m'eut fait prendre malgré moi l'appartement de Rosnay, elle ne voulut pas souffrir, ni que je mangeasse dans ma chambre, ni que je fusse manger dehors, comme je m'y attendois; elle me fit manger avec elle, & voyant que j'avois peine encore à y consentir, à cause de la depense que je craignois que cela ne me fit, elle me dit que je démentois ma Nation d'être si façonnier, qu'il n'y avoit point de Gascon à ma place, qui ne se tint bien heureux de sa fortune, principalement si elle lui disoit, comme elle faisoit encore à moi, que tout cela se trouveroit un jour, lors que j'aurois fait fortune. J'étois encore si jeune, & si peu accoutumé avec les femmes, que je n'en fus guéres plus hardi. Cependant devinant à peu près ce que tout cela vouloit dire, j'étois comme resolu de m'en expliquer avec elle, quand je me vis sur les bras une affaire bien plus embarrassante que celle-là. Les quatre Soldats que le Sergent, dont je viens de parler, avoit donnez à Rosnay, lui ayant promis de m'assassiner moyennant quarante pistoles, ne mirent de distance entre l'execution & le dessein, que le tems qu'il leur falloit pour en trouver l'occasion. Depuis le premier combat que j'avois fait, je m'étois tellement acquis Athos, Porthos & Aramis, que non seulement ces trois freres étoient mes intimes amis, mais encore que la plûpart de leurs amis étoient les miens. Ainsi je sortois rarement tout seul, & je revenois presque toûjours chez moi pareillement en compagnie. La beauté de mon hôtesse y contribuoit peut-être, autant que l'amitié que tous ces gens là disoient avoir pour moi. Je logeois dans la ruë du vieux Coulombier au Faubourg St. Germain; & comme cette ruë n'est pas éloignée de l'hôtel des Mousquetaires, & que ce chemin de ces trois freres pour aller & pour revenir de la Ville étoit de passer chez moi, les quatres Soldats furent quelques jours sans pouvoir tenir leur parole. Sur ces entrefaites un autre Soldat de la Compagnie dont j'étois, & qui étoit ami de l'un de ces quatre assassins, n'ayant pas d'argent pour faire accoucher une fille avec qui il avoit eu commerce, eut recours à lui pour lui en emprunter. Il lui demanda quatre ou cinq pistoles, & lui dit la nécessité où il en étoit, afin qu'il ne le refusât pas sitôt. Celui à qui il s'addressoit lui répondit, qu'il étoit au desespoir d'être obligé de l'éconduire; mais qu'enfin il étoit impossible de prêter de l'argent, quand on n'en avoit point soi-même, que si c'étoit pour une autre affaire que pour celle qu'il lui annonçoit presentement, il lui diroit de se donner patience trois ou quatre jours, parce qu'il étoit comme impossible qu'il n'en eut entre ci & là, mais que comme la chose pressoit, & qu'il pouvoit être pris à toute heure au depourveu, il lui conseilloit en bon ami d'avoir recours à quelque autre. Cet emprunteur qui savoit le metier qu'il faisoit, & qui ne croyoit pas qu'en hasardant sa vie, comme il faisoit tous les jours, il pût manquer d'une si petite somme, l'accusa en même tems de l'éconduire plûtôt manque de bonne volonté que de pouvoir. Celui-ci pour lui faire voir le contraire, lui dit de s'en venir avec lui, qu'ils étoient quatre qui avoient entrepris de tuer un homme, & que s'ils y pouvoient réüssir, ils auroient quarante pistoles tout aussi-tôt; qu'il partageroit volontiers avec lui, les dix qu'il auroit pour sa part, que cet argent étoit consigné entre les mains d'un ami commun, & qu'il ne s'agissoit plus que de le gâgner. L'envie ou plûtôt le besoin que celui-ci avoit d'avoir ce qu'il demandoit, fit qu'il s'accorda de faire compagnie aux quatre assassins. L'autre lui donne rendez-vous à cent pas de chez moi, & l'ayant tenu avec lui plus de deux heures en embuscade, je vins à y passer au bout de ce tems-là. Porthos & Aramis, avec deux de leurs camarades, m'étoient venu prendre au logis pour me mener à la Comedie. Ainsi ayant moins de commodité que jamais de faire leur coup, celui à qui l'on demandoit de l'argent à emprunter, dit à l'emprunteur en lui faisant connoître que c'étoit à moi qu'ils en vouloient, qu'il falloit que je me defiasse de quelque chose, parce que je ne sortois plus qu'en compagnie. De tous les quatre assassins il n'y en avoit pas un qui me reconnut encore pour être du Regiment. Comme ils étoient du premier bataillon, & que je n'étois que du second, nous ne nous étions point encore trouvé ensemble. A l'affaire d'Arras, un de ces Bataillons avoit été à Dourlens, pendant que l'autre étoit demeuré à Amiens, & depuis ce tems là, quand ils m'avoient veu ce n'avoit été qu'avec un autre habit que celui du Regiment. Je m'en étois fait faire un qui étoit assez modeste, mais qui ne laissoit pas d'être fort propre. Au reste l'emprunteur qui étoit comme je viens de dire, de même Compagnie que moi, & qui ne m'eut pas méconnu quand même je me fusse encore deguisé davantage n'eut pas plûtôt jetté les yeux sur moi qu'il resolut de m'avertir de leur dessein. Il crut qu'en me rendant ce service, je ne lui refuserois pas l'argent qu'il demandoit à l'autre que si je n'en avois point, je l'emprunterois plûtôt dans mille bourses que d'y manquer, sur tout lui ayant déja paru plein de coeur à une garde, où je l'avois regalé lui & trois de ses camarades. Il n'eut garde de rien dire aux autres de ce qu'il pensoit, & comme il étoit assez habile pour un Soldat, & qu'il savoit bien que pour rendre son avis plus considerable auprès de moi, il devoit savoir tous les tenans, & tous les aboutissans de celui qui l'avoit mis en besogne, il s'informa de lui adroitement qui étoit celui qui l'employoit. Celui-ci ne fit point de difficulté de lui dire tout ce qu'il en savoit. Il lui avoüa que c'étoit Rosnay, & même qu'il ne le faisoit, que parce qu'il craignoit, que je ne tirasse vengeance d'un affront que j'en avois receu; qu'il n'étoit venu à Paris que pour cela, & qu'il devoit s'en retourner d'abord que le coup seroit fait. Ce Soldat s'étant si bien instruit, me vint trouver le lendemain matin dans ma chambre, lors que j'étois encore au lit. Je n'étois pas déja trop mal avec mon hôtesse, ainsi l'ayant introduit elle-même à mon chevet, parce que sur la réponse qu'elle lui avoit faite, lors qu'il lui avoit demandé à me voir, qu'il étoit encore trop matin pour me réveiller, il lui avoit repliqué qu'il falloit pourtant qu'il me vit à cette heure même, pour une affaire de grande conséquence, & au reste l'interêt qu'elle commençoit à prendre en moi, la rendant sensible à cette parole, elle n'avoit pas voulu permettre qu'il entrât sans elle, & pretendoit entendre tout ce qu'il me diroit. Le Soldat ne le pretendoit point, & alleguoit pour ses raisons, que l'affaire dont il s'agissoit n'étoit pas de la competence d'une femme; mais celle-ci qui étoit obstinée comme une mulle, ne voulut jamais se retirer. J'eus beau lui faire signe que cela lui feroit tort, & qu'il ne faudroit que cela seul à ce Soldat pour lui faire croire bien des choses d'elle & de moi, elle ne m'obeït pas plus qu'à lui. Cet entêtement n'étoit causé que par la crainte qu'elle avoit qu'il ne vint pour m'appeller en duel, & que ce ne fut là l'affaire de grande consequence, pour laquelle il s'étoit fait ouvrir la porte malgré elle. Pour moi, ce n'étoit point là ma pensée, je savois que je n'avois donné sujet à personne de me haïr, & que par consequent je ne devois avoir aucun ennemi à apprehender. Je crus bien plûtôt qu'il venoit pour m'emprunter quelque écu, & que la confusion qu'il en avoit l'empêchoit d'oser parler devant elle. Comme je me fortifiois de moment à autre dans ce sentiment, à cause de toutes les façons qu'il faisoit, je lui demandai franchement si ce n'étoit point cela qui m'attiroit sa visite, que je me faisois toujours plaisir, quand je le pouvois, d'obliger mes amis, & particulierement lui que je connoissois pour honnête garçon. Je croyois que cette avance ne me couteroit qu'une écu ou une demie pistole, tout au plus, & je contois cela pour rien en comparaison de la peine où je voyois mon hôtesse. Le Soldat voyant que je l'avois mis en si beau chemin de parler, me répondit qu'il m'avoit toûjours reconnu assez genereux pour assister mes amis quand ils étoient dans le besoin, qu'à la verité il avoit affaire de moi dans l'état où il étoit, & que c'étoit en partie ce qui l'amenoit. Mais qu'il pouvoit se vanter que si je lui allois rendre un signalé service en lui accordant sa demande, il me recompenseroit bien en même tems en m'apprenant une chose où il n'y alloit pas moins que de ma vie; que le hazard & son bonheur la lui avoient fait découvrir; qu'il venoit pour m'en rendre compte, afin que je prisse toutes les precautions qu'il y avoit à prendre là dessus. Comme je ne croyois point avoir d'ennemi qui songeât à conspirer contre moi, j'avoüe que je pris d'abord son discours pour un pretexte qu'il cherchoit pour couvrir la demande qu'il avoit à me faire. Mon hôtesse qui étoit plus sensible que l'on ne sauroit croire à tout ce qui me regardoit, n'en fit pas le même jugement que moi, elle lui demanda avec beaucoup de précipitation, & avec tout aussi peu de jugement qu'une femme en put jamais avoir, puis qu'il ne falloit que cela seul pour faire découvrir qu'elle prenoit plus de part en moi qu'elle ne devoit, de ne pas tenir davantage mon esprit en suspens, que des paroles comme les siennes ne pouvoient qu'elles ne fissent un grand boulversement dans l'esprit; qu'il ne falloit que cela pour me faire malade, & qu'elle lui seroit obligée en son particulier de me découvrir le mystere d'iniquité dont il parloit. J'eus peine à souffrir l'imprudence de cette femme, bien plûtôt par rapport à elle que non pas par rapport à moi. Ce qu'elle disoit là ne me faisoit nul tort, puis que tout au contraire il n'y avoit que de l'estime pour moi à acquerir, quand on eut sû que j'eusse eu ses bonnes graces: quoi qu'il en soit je persistois toûjours dans la pensée que j'avois de mon Soldat, quand il me la fit perdre à la premiere parole qu'il me dit. Il me demanda si je connoissois Rosnay, & lui ayant répondu, que je ne le connoissois que trop bien, puis que j'avois à me venger sur lui d'un affront qu'il m'avoit fait faire, il me repliqua que si je n'y prenois garde il m'en empêcheroit bien, qu'il avoit promis quarante pistoles à quatre Soldats pour m'assassiner, & que je ne m'étois tiré de ce peril, que parce que je n'étois sorti depuis quelques jours qu'en bonne compagnie, qu'il y avoit je ne sais combien de tems qu'ils me guettoient soir & matin, resolus de m'attaquer tôt ou tard, dans la pensée qu'ils avoient, que je ne prendrois pas toûjours si bien mes précautions; qu'il me feroit prendre ces quatre Soldats, si je voulois, & que des coquins comme ils étoient ne meritoient pas qu'il eut aucune consideration pour eux. Il me conta en même tems comment étant venu demander à emprunter de l'argent à l'un d'entr'eux, il s'étoit excusé de lui en préter, sur ce qu'il n'en avoit point. Il me conta aussi tout ce qui s'en étoit ensuivi, jusques au moment qu'il m'étoit venu trouver. Il tâcha en me faisant ce récit de me couvrir la part qu'il avoit voulu avoir à leur crime, puis qu'il leur avoit tenu compagnie pour m'assassiner. J'en crus tout ce qu'il voulut m'en dire, ou du moins j'en fis le semblant, & enfin ayant fini son discours par l'emprunt qu'il me vouloit faire, sans me cacher ce que c'étoit, quoi que la presence de mon hôtesse, l'obligeât à se montrer plus discret, je lui pretai, ou plûtôt je lui donnai les quatre pistoles dont il me disoit avoir tant de besoin. Je lui fis jurer pourtant, avant que de les lui donner qu'il déposeroit tout ce qu'il venoit de me dire, quand il en seroit tems, & l'ayant congedié à l'heure même, sous pretexte qu'il devoit aller dire à sa maîtresse, sans perdre un moment de tems qu'il avoit de quoi l'assister, je m'amusai à raisonner avec mon hôtesse, sur ce que j'avois à faire dans une occasion si delicate. Son avis fut que, sans me hazarder à sortir davantage, de peur que ces quatre Soldats voyant la peine qu'il y avoit à m'attraper n'en apostassent encore quatre autres pour me prendre à leur avantage, j'envoiasse querir un Commissaire pour lui rendre ma plainte, que sur la permission qu'il me donneroit d'informer j'aurois un decret, que je ferois exécuter ensuite, tant à l'encontre d'eux qu'à l'encontre de Rosnay. Je ne trouvai pas son avis bon dans toutes ses parties, sachant que pour obtenir un decret, il falloit avoir deux témoins, & que je n'en avois qu'un; mais je resolus de m'y conformer à l'égard de la plainte, jugeant qu'elle ne me seroit pas inutile pour justifier tout ce qui pouroit s'ensuivre de cette affaire. Mon hôtesse s'offrit à aller chercher elle-même le Commissaire qui étoit de ses voisins, & de ses amis. Je la pris au mot, & lui dis de l'amener en manteau court, de peur d'effaroucher le gibier s'il étoit par hazard aux environs pour me guetter, comme il y avoit beaucoup d'apparence. Je m'habillai en attendant qu'elle revint, & pendant que je m'habillois un Mousquetaire des amis d'Athos, de Porthos, d'Aramis & des miens entra. Il me trouva tout inquiet, à ce qu'il me témoigna à l'heure même, & m'en ayant demandé la raison, je lui contai ce qui venoit de m'arriver, & les mesures que je prennois là dessus. Comme il étoit encore jeune, & qu'il n'avoit pas plus de jugement qu'il lui en falloit, il me répondit que je n'y pensois pas d'avoir recours à la Justice, qui étoit toûjours lente & quelquefois incertaine, que j'avois d'autres voyes plus assurées pour me venger, & que j'y aurois recours si je le croyois, qu'il alloit faire venir une brigade de Mousquetaires, pour faire main basse sur ces coquins, qu'on iroit en fuite jusques dans la maison de Rosnay, lui faire le même traitement, de sorte qu'il ne me faudroit qu'une demie heure, ou trois quart d'heure de tems tout au plus, pour être défait de mes ennemis. Il vouloit sortir à l'heure même pour executer ce qu'il disoit, mais l'ayant retenu par le bras, je lui répondis qu'il ne falloit pas aller si vite dans une affaire de si grande consequence; qu'une resolution aussi précipitée que celle-là étoit sujette d'ordinaire à répentir; qu'il falloit, pour bien faire, réflechir sur toutes choses, parce qu'après cela on n'avoit plus rien à se reprocher. Il voulut encore me prouver qu'il avoit raison, & battit bien du païs pour me le persuader. Je ne me laissai pas aller à son opinion, & n'en ayant voulu croire que la mienne, je le retins en dépit qu'il en eut. Le Commissaire vint un moment après, & ayant pris des mesures avec lui, pour attraper mes droles, voici ce qu'il fit de son côté, & ce que je fis du mien. Il envoya chercher un exempt, & lui dit de faire mettre une trentaine d'archers dans l'endroit où le Soldat m'avoit dit qu'ils me guettoient. L'exemt les fit déguiser pour aller là, & il les fit tous aller l'un après l'autre. Je fus averti d'abord qu'ils y furent, & étant alors sorti tout seul, afin d'amorcer mes assassins, je me tins sur mes gardes de peur d'en être surpris. Ils debusquerent sur moi d'abord qu'ils virent qu'ils me pouvoient prendre à leur avantage, mais les Archers ayant fait à l'heure même une sortie, ils furent pris tous quatre, sans avoir eu le tems de me faire aucun mal. Le Commissaire qui n'attendoit que cette execution pour aller se saisir de la personne de Rosnay, dont mon donneur d'avis m'avoit indiqué la maison, s'y en fut en même tems. Par bonheur pour lui, il étoit déjà sorti quand le Commissaire y arriva, ainsi n'en ayant trouvé que le nid, il s'assembla un nombre infini de peuple devant sa porte, comme il arrive d'ordinaire en ces sortes de rencontres. Ce qui fit faire cette beveuë au Commissaire qui ne devoit pas entrer chez lui, qu'il ne sçut s'il y étoit ou non, c'est qu'une servante qui ne l'avoit point veu sortir, lui avoit assuré qu'il le trouveroit encore au giste, qu'il étoit tout au beau milieu de son lit, & qu'il n'y avoit qu'un moment qu'elle l'y avoit veu. Rosnay n'étoit pas allé bien loin, ainsi étant revenu sur ces entrefaites, il ne vit pas plûtôt tant de peuple assemblé devant sa porte, qu'il jugea à propos de n'y pas rentrer. Il se defia qu'il étoit arrivé quelque chose à ses braves, & que l'ayant accusé sans doute on vouloit le mettre en prison, pour savoir de lui la verité. Il tourna donc tout d'un coup dans une ruë qui traversoit dans sienne, & s'étant mis en seureté par là, il n'eut point de repos qu'il ne s'en fut allé en Normandie chez un de ses beau freres, qui étoit un Gentilhomme de cette Province. Son beau frere écrivit de là à Paris à un de ses amis, pour s'informer s'il avoit pris l'alarme à bon tiltre, ou s'il s'étoit épouvanté sans sujet. Cet ami lui répondit qu'il en avoit sagement usé, quand il s'en étoit allé, parce que cette affaire faisoit grand bruit, que les prisonniers après avoir pris le parti de nier la chose, croyant qu'il n'y eut point de témoins, l'avoient avoüée à la fin, sur ce qu'on leur en avoit confronté un, & qu'on les menaçoit de la question, qu'il y avoit eu tout aussi-tôt une prise de corps contre Rosnay, & que son procès lui alloit être fait & parfait par contumace. Rosnay qui avoit besoin de braves quand il en vouloit à quelqu'un, eut eu besoin de plus de resolution qu'il n'en avoit naturellement pour soutenir une nouvelle comme celle-là. Il crut avoir déja tous les Archers de Paris à ses trousses, & ne se croyant plus en seureté chez son beau frère, quoi que personne ne sut qu'il en eut pris le chemin, il passa en Angleterre, où il savoit bien que la justice de France n'osoit aller faire executer ses décrets. Mon hôtesse qui savoit qu'il avoit du bien, croyant qu'il n'y eut rien à perdre à poursuivre contre lui, fut assez folle pour se fourer dans ce procès, jusques par dessus la tête. Je la laissai faire, étant encore trop jeune pour savoir ce que c'étoit que de plaider. Toutes ces procedures se firent sous mon nom, & il lui en couta pour le moins deux mille francs, devant que d'avoir arrêt definitif contre mes assassins. Rosnay fut condamné à perdre la tête, & les quatre Soldats à aller aux Galeres. Ce jugement fut executé réellement contre ceux-ci, sans que leur Capitaine nommé du Boudet, qui les reclamoit, put obtenir leur grace. Mr. de Treville qui me faisoit mille amitiés, tant en consideration que nous étions compatriotes, que de ce que j'étois ami d'Athos, de Porthos & d'Aramis, qu'il consideroit beaucoup, s'y opposa sous main. Ainsi le Roi qui faisoit gloire de se montrer digne du surnom de _Juste_, qu'on lui avoit donné, se tint roide là dessus, & voulut que ces quatre Soldats fussent mis à la chaine. Pour ce qui est de Rosnay l'arrêt ne fut executé contre lui qu'en effigie, mais mon hôtesse fit saisir tous ses biens, & lui fit encore je ne sais combien de frais devant qu'il y put donner ordre. Comme elle n'avoit pas eu les reins assez forts pour soutenir toute cette procedure sans emprunter, son mari trouva qu'elle devoit beaucoup quand il revint de Dijon. Il y avoit gaigné son procès & en avoit ramené de bon vin, ce qui l'eut mis de belle humeur, si ce n'est que dès le lendemain de son arrivée, on lui vint faire commandement de payer huit cent livres, que sa femme devoit à un seul homme: elle les avoit empruntés d'un creancier incommode, en vertu d'une procuration qu'il lui avoit laissée, avant que de partir. Il lui demanda à quoi elle les avoit employés, & cette femme n'ayant garde de le lui dire, parce qu'avec la perte de son argent, il se seroit peut-être encore apperçu qu'il auroit perdu quelque autre chose, elle lui donna de si méchantes raisons, qu'ils se brouillerent ensemble dés ce jour-là. La poursuite qu'on leur faisoit pour l'amour de moi, me mit dans une grande inquiétude, & ne sachant comment faire pour empêcher la vente de leurs meubles, que l'on devoit faire au bout de la huitaine, que la saisie avoit été faite, je pris le parti d'aller voir le creancier pour implorer sa misericorde. Il se montra inexorable, de sorte que me trouvant encore plus chagrin qu'auparavant, je pris le parti de le menacer, s'il étoit si hardi que d'en venir à cette execution. Il me répondit que ce que je lui disois là, seroit qu'il ne donneroit pas un moment de quartier à ses debiteurs, qu'il me conseilloit cependant de sortir promptement de sa maison, parce que s'il envoyoit chercher un Commissaire, il me feroit voir que nous vivions sous un regne où il n'étoit pas permis de venir menacer un homme qui avoit prêté son argent de bonne foi. Ce que je venois de faire là, étoit un veritable trait de jeune homme, sans faire reflexion que cela étoit bien plus capable de nuire à mon hôte & à mon hôtesse, que de leur servir. Enfin les huit jours pour la vente des meubles étant prêts d'expirer, j'offris à celle-ci quinze louis d'or, qui me restoient encore des cinquante que le Roi m'avoit donnés, elle eut la generosité de ne les pas vouloir recevoir d'abord, mais enfin l'en ayant pressée extraordinairement, & lui ayant dit, que si elle en pouvoit encore trouver huit ou dix, & qu'elle les portât à son creancier, il surseoiroit peut-être les poursuites, elle me prit au mot à la fin. Elle le fut trouver avec ce secours, & y ayant joint encore quinze autre louis, c'étoit presque la moitié de la somme qu'elle lui devoit, de sorte que nous crûmes qu'il ne seroit pas si turc que de lui refuser sa demande. Mais ce que je lui avois fait, avoit tellement aigri son esprit, qu'il lui dit de se retirer, sinon qu'il lui feroit sauter les degrés de sa maison, qu'elle lui avoit envoyé un bretteur qui étoit venu le menacer jusques chez lui, qu'il vouloit qu'elle s'en ressouvint toute sa vie, & que puis qu'il avoit cette prise sur elle, que de pouvoir faire vendre ses meubles, il n'y manqueroit pas d'abord que le délai que l'on donne aux parties saisies se trouveroit expiré. La pauvre femme s'en revint au logis bien desolée, & voulut que je reprisse mon argent, puis qu'il ne lui pouvoit plus servir de rien. Je fis ce que je pus pour m'en défendre, mais me l'ayant commandé absolument, je remis ces quinze louis dans ma bourse, tout aussi affligé de mon côté qu'elle le pouvoit être du sien. Nous étions au jeudi l'après dinée, & c'étoit le samedi que se devoit faire la vente de ses meubles: or voulant, pour ainsi dire, faire l'impossible pour empêcher que cet affront ne lui arrivât, je m'en fus dans l'antichambre du Roi, ou j'avois veu plusieurs fois qu'on joüoit beaucoup d'argent à trois dès. Je ne possedois pas ce jeu, là à fonds, parce que bien loin d'être joueur, j'avois resolu au contraire de ne joüer de ma vie. Tout ce que j'en savois étoit de faire une _masse_, & de savoir quand on la gaignoit ou qu'on la perdoit. Ainsi n'ayant plus pour toute ressource que de hazarder mes quinze louis à ce jeu là, je m'approchai de la table où on joüoit assez gros jeu, afin d'y prendre place, d'abord que quelqu'un en sortiroit. Je fus plus d'une heure & demie avant que d'en pouvoir avoir une; car il y avoit là plus de presse, qu'il n'y en pouvoit avoir au Sermon du plus habile Predicateur de Paris. Je tremblois cependant de peur de perdre mon argent, & d'aggraver encore par là mon afliction. Enfin ayant trouvé à me placer avec bien de la peine, je reconnus le terrain avant que de prononcer la parole sur laquelle devoit rouler tout mon bonheur. Je vis que l'on joüoit un jeu effroyable, les moindres couches étoient de douze ou quinze pistoles, & l'on en faisoit le paroli, le quinze & le va tout de même, que s'il ne se fut agi que d'une épingle. Cela me faisoit trembler encore plus qu'auparavant, me disant de moment à autre qu'il ne me faudroit qu'un coup comme ceux-là, pour me tirer de peine moi & ma pauvre hôtesse, ou pour nous envoyer à l'hospital. Après que j'eus ainsi regardé pendant un demi quart d'heure ou environ, je me hazardai à la fin de faire une masse de cinq louis. Mr. le Duc de St. Simon tenoit le dé, & regarda cette masse comme indigne de sa colere, ainsi ne me répondant rien tant qu'il tint le Cornet, le dé vint après lui au Chevalier de Montchevreuil, Gentilhomme du Vexin François, qui étoit attaché à Mr. de Longueville. Il ne me meprisa pas comme avoit fait le Duc de St. Simon, soit qu'il voulut m'enroller dans la Confrairie des joueurs, où il joüoit un grand rolle, soit que n'ayant guéres d'argent en ce tems là comme en effet c'étoit la vérité, il trouvât ma masse plus proportionnée à ses forces, que quantité d'autres, qu'on lui faisoit autour de la table. Il amena hazard bas, & comme j'avois gaigné, je fis le paroli aussi hardiment, que si j'eusse eu cent pistoles dans ma poche. Il prit dix pour sa chance, & ayant tiré ensuite quatre ou cinq coups en amenant toûjours quinze sur d'autres masses, qu'on lui faisoit, il grossit son argent de beaucoup, parce que la droite étoit douze. Un nommé Phisica, qui étoit alors Capitaine dans Turenne, & qui, quoi qu'il ne fut qu'un avanturier, faisoit quitter le dés aux plus gros joueurs, voyant que ce Chevalier avoit déjà fait quatre hazards avantageux pour lui, lui dit masse son reste, qui étoit pour le moins de soixante pistoles, le Chevalier à qui il ne manquoit que de l'argent, pour être aussi gros joueur que lui, lui répondit tope & tingue, tout de même que s'il eut été assuré de gagner. Il amena la droite, & gaigna ainsi la masse de Phisica pendant qu'il perdit mon paroli. Le jeu s'échauffa après ce coup là. Le Chevalier qui se voyant en fortune topa à tout le monde, & gaigna douze ou treize cent pistoles en un moment. Je fus assez sage tout jeune que j'étois pour ne le pas attaquer dans ce tems là. Cependant le Chevalier ne voulant pas se contenter de ce gain, qu'il trouvoit encore trop petit par rapport à son appetit qui étoit extraordinaire, il continua à joüer & dejoüa bientôt. Je pris ce tems là pour lui masser tout de nouveau, & je lui emportai encore un paroli, qui étoit plus fort que l'autre. Comme je lui avois massé huit pistoles, j'en gagnai vint quatre, c'étoit déja plus de la moitié de l'argent qu'il me falloit pour être content, tellement que l'assurance m'étant venuë à la place de la crainte, dont j'étois saisi à mon arrivée, j'esperai que je ne m'en retournerais point au logis sans y porter ce que je desirois. Mon attente ne fut point trompée, je gagnai quatre vint seize louis ou pistoles d'Espagne, qui ne valoient alors que dix francs, c'etoit encore quelques pistoles plus que je n'avois desiré, tellement que m'en étant retourné au logis, plus content que ne pouvoit être le Roi, je trouvai en arrivant qu'il venoit de s'y passer des choses qui eurent de quoi rabattre une partie de ma satisfaction. L'hôte voyant qu'il n'avoit plus guéres que vingt quatre heures pour empêcher que ses meubles ne fussent vendus, avoit été trouver son creancier sans en rien dire à sa femme n'y sans savoir que j'y eusse été avant lui: le creancier qui étoit non seulement un brutal, mais encore un méchant homme, non content de le rabrouer extraordinairement, lui dit encore qu'il eut à mieux prendre garde une autre fois à sa femme, parce qu'elle avoit bien la mine d'avoir mangé avec moi l'argent qu'elle lui devoit presentement. Ce compliment mit ce mari de méchante humeur, & il s'en revint au logis, où il usa de main mise sur elle. Je la trouvai ainsi toute en pleurs, de sorte qu'au lieu de songer à la rejouir, par le récit de ma bonne fortune, tout mon soin ne fut que de savoir d'elle ce qu'elle avoit; elle me le dit sans façon, & ayant tâché de la consoler je lui appris ce qui m'étoit arrivé dans la garderobe, parce que je crus que cela étoit bien capable d'y contribuer. Elle reprit effectivement vigueur à ces paroles, & me dit que puis que cela étoit ainsi, il falloit que je me fisse adjuger ses meubles qu'elle ne vouloit pas que son mari les revit jamais, c'est pourquoi je ferois mal si j'en empêchois la vente. Je vis bien à ces paroles qu'elle avoit envie de le quitter, & que les coups qu'elle avoit receus lui tenoient bien fort au coeur. Je lui témoignai en même tems que je ne pouvois approuver son divorce: elle ne me fit point d'autre réponse, sinon qu'elle n'étoit pas accoutumée à être battuë, qu'il falloit bien d'ailleurs lever le masque du commencement, à moins que de vouloir que son mari n'en abusât encore d'avantage à l'avenir; qu'il voudroit apparemment nous empêcher de nous voir, ce qu'elle ne permettroit jamais, du moins de son bon gré. Je l'aimois assez & j'en avois grande raison, puis qu'outre sa beauté elle en avoit toûjours usé avec moi, depuis le premier jusques au dernier jour que je l'avois veuë, d'une maniere si honnête qu'il eut fallu que j'eusse été bien ingrat pour ne lui en pas avoir obligation; aussi je lui dis toutes les douceurs que la reconnoissance & l'amitié me pouvoient mettre à la bouche. Je l'assurai que cette nouvelle marque de tendresse, m'étoit tout aussi sensible que pas une qu'elle m'eut donnée jusques-là; mais après l'avoir ainsi preparée à ajouter plus de foi à ce que j'avois envie de lui dire, je lui representai qu'elle ne pouvoit ainsi quitter son mari sans appreter à parler à tout le monde, que je l'aimois d'une manière que sa réputation ne m'étoit pas moins chere que la mienne propre, que... Elle m'interompit à ces paroles, & me dit que la langue étoit un bel instrument, & qu'on lui faisoit dire tout ce qu'on vouloit, que quand un homme aimoit bien une femme, on ne lui pouvoit persuader qu'il ne fut assez delicat pour n'être pas bien aise de partager ses faveurs avec un mari; que pour elle, elle n'aimeroit pas un homme qui auroit une femme, à moins qu'il ne se resolut en même tems de la quitter pour l'amour d'elle. Je la laissai dire & tâchai de la rassurer par mes caresses, afin de l'amener au point que je desirois: enfin après m'avoir témoigné bien de la repugnance de demeurer avec lui, nous convinmes ensemble, que le lendemain à dîner, je dirois sans faire semblant d'être instruit de leur mesintelligence, que j'avois trouvé un homme qui leur preteroit de l'argent pour payer leur creancier, qu'il leur donneroit trois mois pour le leur rendre, & qu'il demandoit qu'ils lui en passasent une obligation. Elle pretendoit par là le tenir dans une étroite dépendance, & que la crainte qu'il auroit d'être poursuivi pour le payement de cette somme, l'obligeroit d'avoir de grands egards pour moi. Je fis le lendemain ce que nous étions convenus ensemble, & comme son mari n'aimoit pas à voir vendre ses meubles, il me prit bientôt au mot. Je priai Athos de me vouloir prêter son nom, pour cette affaire, & m'en ayant passé une contre-lettre, nous vêcumes tout l'hiver dans un assez bon commerce le mari, la femme & moi. Je mangeai toûjours avec eux; au reste les trois mois que l'on avoit pris pour rendre cet argent, étant expirés le mari me pria de demander un nouveau delai à mon ami; parce qu'il n'étoit pas en état encore de payer, sa femme vouloit que je lui disse qu'Athos avoit besoin de son argent, afin de lui faire peur, & de le tenir par là dans une dependance plus étroite. Mais je crus qu'il ne falloit pas ainsi lui tenir le pied sur la gorge, & qu'il étoit déja assez maltraité sans le maltraiter encore davantage. La Campagne qui alloit commencer m'en donnoit un beau pretexte à ce que sa femme pretendoit. Cependant lui ayant fait entendre raison, nous fumes les meilleurs amis du monde le mari & moi, parce que je lui dis qu'à ma priere Athos attendroit volontiers jusques à ce que nous revinssions de l'armée. Les Espagnols qui s'étoient veu enlever Arras à la barbe de leur General, avoient encore perdu dans la même Province quelques autres Villes de grande importance, qui leur faisoient craindre que celles qui leur y restoient ne tardassent guéres à avoir le même sort: ainsi comme ils jugeoient que la conquête que le Roi avoit faite d'Aire ne tendoit qu'à s'approcher de la Flandres maritime, ils tâcherent non seulement d'en donner de la jalousie aux Anglois & aux Hollandois, mais encore de se mettre en état de la reprendre. Il ne leur eut pas été difficile de réussir à l'égard des Anglois, parce que cette Nation a de tout tems été opposée à la nôtre, & qu'il semble que l'aversion qu'elle a toûjours euë pour elle, se soit encore augmentée depuis quelque tems; mais le Cardinal de Richelieu, qui n'attendoit pas que les choses arrivassent pour y pourvoir, avoit si bien pris ses mesures, que bien loin que cette Nation se pût ainsi mêler des affaires d'autrui, elle étoit assez embarrassée comment se demêler des siennes. Elle étoit devenuë jalouse de la protection secrête que son Roi accordoit aux Catholiques de son Royaume, & de l'étroite liaison qui paroissoit alors entre ce Prince Louis le Juste, & dont il avoit épousé la soeur. Cette Princesse étoit belle, & d'une humeur tout à fait charmante, ainsi comme elle attiroit beaucoup de monde à la Cour du Roi son mari, contre la coutume des Anglois, qui croyent d'ordinaire qu'il y a une espece d'esclavage & de bassesse dans les assiduités que l'on rend à son souverain, cela faisoit encore que tout devenoit suspect à ceux qui couservoient dans le coeur cette independance & cette liberté que leur Nation affecte par dessus toutes les autres Nations du monde. L'obstacle que le Cardinal de Richelieu avoit mis de ce côté là aux desseins des Espagnols, consistoit en ce qu'il allumoit ce feu au lieu de l'éteindre. La Politique qui est la regle ordinaire de tous les mouvemens des Ministres, l'exigeoit de lui au préjudice de la charité, qui l'en devoit detourner. Cependant comme la charité est une vertu que l'on ne connoit guéres, non seulement dans toutes les Cours, mais que l'on traite encore souvent de chimere, parmi les Courtisans & les Politiques, bien loin qu'il en fut blâmé de personne, chacun au contraire prenoit sujet de là de l'élever jusques au troisiéme Ciel. Les Espagnols aussi n'ayant pas été long-tems à reconnoître qu'ils se tromperoient lourdement, s'ils esperoient quelque secours de ce côté-là, & ayant aussi reconnu la même chose, du côté de la Hollande, ou les interêts de Frederic Henri Prince d'Orange, Stadhouder & Admiral-General de leur Etat, s'opposoient à leur contentement, ils ne mirent plus leur confiance qu'en leur propres forces soutenuës de leur addresse. Le pouvoir, comme absolu, que le Cardinal de Richelieu s'étoit acquis à la Cour, y avoit fait de tout tems un grand nombre de jaloux; les Grands sur tout lui en vouloient, parce que pour s'élever par dessus eux, il avoit interessé adroitement le Roi, & l'Etat dans sa querelle. Ce Prince qui étoit aussi bon qu'il étoit peu pénétrant avoit veu avec plaisir, que sous pretexte d'établir la Souveraine puissance dans son Royaume, il avoit ruiné insensiblement tous ceux qui eussent pû s'y opposer, par leur credit & par leur prudence: je dis prudence, parce que quoi que ce soit une espece de paradoxe, que de dire qu'on peut être prudent, & s'opposer aux volontés de son Prince; il est constant, néanmoins que quand la volonté suprême, ne va qu'à renverser les loix d'un Etat, il arrive souvent qu'on rend plus de service à son Souverain, de s'y opposer en conservant le respect qui lui est dû, que d'y consentir par un esprit de lâcheté & d'esclavage. C'est ainsi souvent que le Parlement de Paris a fait des remontrances à Sa Majesté dans des conjonctures delicates, aussi ont-elles été écoutées quelque fois avec succès; pendant qu'il y a eu des tems où elles ont été rejettées, parce qu'il est arrivé comme il se voit presque toûjours que ceux qui les faisoient, ou du moins une bonne partie, au lieu de les faire avec le respect convenable, se laissoient emporter ou à leurs passions ou à leur interêt. Quoi qu'il en soit les Espagnols ne se fians pas tant à leurs propres forces, qu'ils ne fussent bien aises encore de fomenter la jalousie qui regnoit dans nôtre Etat, envoyerent alors à la Cour un homme de confiance nommé... sous pretexte d'y faire quelques propositions d'accommodement. Le Cardinal de Richelieu qui y gouvernoit avec un pouvoir presque aussi absolu que s'il eut été le Roi lui même, lui eut refusé volontiers le passeport qu'il lui falloit pour y entrer, si ce n'est qu'il eut peur que le peuple ne lui en voulut du mal. Il savoit qu'il se lasse bientôt de la guerre, parce que c'est dans ce tems là, qu'il est le plus accablé d'impots; qu'ainsi il ne manqueroit pas de dire, que s'il la vouloit continuer, c'étoit plûtôt pour ses interêts particuliers, que pour ceux de la Nation en general. Cependant ils n'eussent pas dit vrai, quand ils eussent parlé de la sorte; puis que pour en dire la verité, il y avoit long-tems que les affaires de la France n'avoient été en si bon état qu'elles étoient alors. Ses armes du côté de l'Allemagne s'étoient renduës formidables jusques au delà du Rhin par là prise de Brisac, & de toute l'Alsace. En Italie par celle de Pignerol, & en Flandres par celle d'Arras. Ses brigues n'avoient pas fait un moindre effet en Portugal & en Catalogne, si néanmoins on ne doit pas dire plûtôt que ce qui y étoit arrivé, étoit encore d'une autre consequence, que tout ce qui étoit arrivé ailleurs. Ce Royaume & cette Province s'étoient revoltés contre les Espagnols, l'un s'étoit rangé sous la domination des Ducs de Bragance, qui pretendoient en être les légitimes héritiers; l'autre sous celle de France, qui y avoit fait entrer des Garnisons. Au reste comme le Cardinal, en faisant soulever ces Etats contre leurs anciens Maîtres, leur avoit montré le chemin qu'ils devoient suivre, quand même ils ne l'eussent pas sû déja d'eux-mêmes, celui dont je viens de parler, ne fut pas plûtôt arrivé à la Cour qu'il y vit secrêtement le Duc de Bouillon. Ce Prince avoit toûjours des liaisons secrêtes avec l'Espagne, quoi qu'il fut né François, & qu'il eut encore obligation à la Couronne de lui avoir mis sur la tête celle qu'il portoit. Il l'avoit heritée de son Pere que Henri IV en avoit revétu le premier, en lui faisant épouser l'Heritiere de la Mark, à qui appartenoit la Duché de Bouillon, & la principauté de Sedan. Il avoit encore bien fait plus pour lui. Cette Princesse étant morte quelque tems après sans lui laisser d'enfans, Sa Majesté l'avoit maintenu par sa protection dans la possession de cette Principauté, au préjudice de Mrs. de la Boullaye, à qui elle devoit appartenir légitimement, car il y en avoit un qui avoit épousé une Soeur de la deffunte, & à qui par consequent devoit venir cet heritage. Mais comme l'on est obligé, quand on change ainsi une condition privée en celle de Souverain, de changer aussi de conduite, toutes ces grandes obligations s'étoient evanouies à la veuë de la jalousie, que lui causoit la situation de son Etat. Il ne doutoit point qu'étant à la bienseance de la France comme il l'étoit, puis que c'étoit une clef de ce Royaume, il ne vint un tems qu'on ne lui demandât la restitution de ce qui ne lui appartenoit pas, qu'ainsi à proprement parler, il ne se devoit regarder que comme un homme à qui l'on avoit confié un fidei-commis, & dont on l'obligeroit bientôt malgré lui à rendre compte. Voila quelle étoit la cause des engagemens secrêts que Mr de Bouillon avoit avec les Espagnols. Il pretendoit que par leur moyen il se pourroit maintenir dans son nouvel état, & recevoir garnison dans un besoin dans son Château de Bouillon, & dans celui de Sedan. Le premier passoit pour imprenable dans ce tems-là, où l'on ne savoit pas encore ce que c'étoit que d'assieger une place, & où l'on faisoit la Guerre tout autrement qu'on ne fait dans ce tems ci. Le second étoit très fort, & du moins il en avait la reputation, quoi qu'à dire le vrai, il y eut bien à dire qu'il le fut tant que l'on disoit. Le Roi se défioit bien que Mr. de Bouillon ne lui étoit pas trop fidéle; mais comme il avoit des affaires de tous côtés, il étoit persuadé aussi qu'il devoit faire tout de même, que s'il n'y eut pas pris garde, d'autant plus qu'il ne doutoit pas qu'il ne fit tout cela par précaution; & en effet tous les traités qu'il avoit faits jusques-là, n'avoient été qu'en cas qu'il vint à être attaqué; & comme le Roi n'avoit nul dessein de le faire presentement, il croyoit qu'il devoit toujours aller son train, jusques ce que la conjoncture lui permit de faire éclater le ressentiment qu'il pouvoit avoir de sa conduite. L'Espagnol qui étoit venu à Paris, & qui étoit bien instruit des interêts de ce Duc, ce qui n'étoit pas difficile, puis qu'ils sautoient aux yeux de tout le monde, ayant ordre du Roi son maître de le voir, en fut fort bien receu, comme il ne lui pouvoit arriver autrement. Il apprit à son arrivée à la Cour, que Louis de Bourbon Comte de Soissons, étoit mécontent du Cardinal, ce qui lui fit dire à l'autre que la qualité de Prince du Sang qu'il avoit, suffisant toute seule pour faire entrer quantité de personnes de condition dans son parti, l'on pouroit par son moyen, s'il vouloit se donner la peine de le gâgner, rendre à la France ce qu'elle venoit de prêter à l'Espagne, en lui faisant soulever ses Provinces; que le Cardinal de Richelieu avoit beaucoup d'ennemis, & que s'ils voyoient entrer une Armée d'étrangers dans le Royaume, ils prendroient ce tems-là pour se revolter contre lui; que ce Ministre en entreprenoit tant qu'il ne falloit rien pour le faire succomber, qu'il envoyoit des Troupes en Portugal & en Catalogne, & que les Frontieres de Royaume demeurant dégarnies par ce moyen, il ne seroit pas difficile maintenant d'y percer, pour peu qu'on prit bien ses mesures. Le Duc de Bouillon mouroit d'envie depuis long-tems de se faire une barriere du côté de la Champagne, en obligeant la Cour de lui donner Damvilliers de gré ou de force. Il avoit même osé témoigner un jour son ambition au Cardinal de Richelieu, qui plus Politique que tout ce que l'on en sauroit dire, lui en avoit laissé entrevoir quelque esperance, afin de l'embarquer dans quelque mauvais pas, qui lui fit perdre le sien, au lieu d'acquerir celui d'autrui. L'Espagnol, qui savoit quelle étoit sa demangeaison là dessus, lui en parla comme d'une chose tout à fait facile, & que la France seroit trop heureuse de lui ceder, pour appaiser la guerre qu'il allumeroit de ce côté-là. Il se laissa aller à ces flatteries, & ayant veu le Comte de Soissons secrêtement, il n'eut pas de peine à le gâgner. Ce Prince avoit sur le coeur que le Cardinal après lui avoir fait perdre un procès qu'il avoit intenté à l'encontre de Henri de Bourbon Prince de Condé pour le faire declarer illegitime, eut encore marié sa Niece au Duc d'Anguien son fils ainé. Il voyoit par là que tant que ce Ministre vivroit, il ne devoit pas attendre grand succès d'une requête civile, qu'il avoit prise contre l'arrêt qui étoit intervenu. Il avoit encore d'autres mécontentemens personnels. Le Cardinal diminuoit tout autant qu'il pouvoit les prerogatives de sa charge de Grand Maître de la Maison du Roi, & lui avoit fait refuser d'ailleurs quantité de graces qu'il avoit demandées à Sa Majesté. Ce qui étoit cause que ce Ministre lui étoit ainsi opposé en toutes choses, c'est qu'il avoit été plus fier que le Prince de Condé. Il avoit refusé son alliance qu'il lui avoit fait proposer par Sennetere. Celui-ci qui étoit son Intendant d'épée, ne s'en étoit pas trop bien trouvé. Le Comte fâché de voir qu'un de ses Domestiques se fut chargé d'une commission comme celle là, parce que la vertu de la Dame qu'on lui offroit lui étoit un peu suspecte, l'avoit non seulement maltraité de paroles, mais encore chassé de sa maison. Ce Prince qui depuis ce tems là, avoit toûjours été prevenu de pis en pis contre le Cardinal, écouta volontiers tout ce que Mr. de Bouillon voulut lui proposer contre l'Etat. Il crut que plus les choses iroient mal en France, plus le Roi s'en dégouteroit. Il savoit qu'il ne l'aimoit déja pas trop, & qu'ainsi il ne faudroit presque rien pour le perdre. Tous leurs desseins, quelque pernicieux qu'ils pussent être contre la fortune de ce Ministre, ne leur pouvant servir, s'ils n'étoient soutenus des forces des Espagnols, Mr. de Bouillon envoya à Bruxelles un Gentilhomme qui étoit un ancien Domestique de sa maison, nommé Campagnac. Il crut que son voyage ne pouroit être suspect à la Cour, parce que ce Gentilhomme avoit un neveu qui avoit été pris auprès de Courtrai, par un parti Espagnol, qui l'avoit conduit dans la capitale de Brabant. Il avoit été blessé dans cette rencontre, & c'étoit là un pretexte qui paroissoit plausible de passer en ce Païs là, sans qu'on y put trouver à redire. Les Espagnols le receurent bien, & le Cardinal Infant lui eut volontiers rendu son neveu à l'heure même, s'il n'eut eu peur qu'on n'eut pris quelque soupçon. Ce Prince fut ravi que le Comte de Soissons, à la suscitation du Duc de Bouillon, fut d'humeur à vouloir troubler l'Etat. Il promit à ce Gentilhomme de faire donner à ce Prince cinquante mille écus de pension par le Roi d'Espagne, d'abord qu'il se seront retiré de la Cour, & cent mille francs au Duc de Bouillon, qu'il secourroit d'une Armée de douze mille hommes, qui agiroit sous ses ordres, sans pretendre rien des conquêtes qu'il pouroit faire avec elle. Campagnac ayant fait ce traité par écrit avec le Cardinal Infant, s'en revint à Paris sans amener son neveu, qui crut qu'il n'avoit fait ce voyage, que pour l'amour de lui. Il rendit compte de sa negotiation à ces deux Princes, & en ayant été très satisfaits, le Duc de Bouillon, s'en fut à Sedan au bout de quelques jours, sous pretexte que la Duchesse sa femme y étoit incommodée. Il y donna ordre sans faire semblant de rien, à ce que les Officiers de la Garnison, dont les Compagnies n'étoient pas complettes, eussent à les mettre en état avant la fin du mois de Mars, qui n'étoit pas bien éloigné. Il leur fit ce commandement sous peine de son indignation, & ils eurent soin de s'en acquitter. Il remplit aussi en même tems ses Magasins de toutes les Munitions de guerre & de bouche, dont il pouvoit avoir besoin, & afin que le Cardinal de Richelieu ne s'imaginât pas qu'il songeât à se declarer contre le Roi, il lui fit accroire non seulement que l'Empereur envoyoit une Armée dans le Luxembourg; pour faire quelque entreprise sur la Meuse de concert avec les Espagnols, mais encore qu'il avoit avis qu'ils en vouloient à Luxembourg. La marche de cette Armée n'étoit pas une fiction comme on se pouroit l'imaginer par ce que je viens de dire, s'il y en avoit une, comme le mot dont je me suis servi pour l'exprimer le témoigne assez, ce n'étoit que parce qu'il disoit, que cette Armée venoit contre lui, au lieu qu'elle ne venoit qu'en sa faveur. Il fit bien plus, il leura le Cardinal d'un Mariage du Vicomte de Turenne son frere, avec l'une de ses Parentes, & le Vicomte en fit l'amoureux, parce qu'il avoit encore plus d'envie que son frere de rentrer dans Sedan. En effet quoi qu'il ait passé sur la fin de ses jours pour un homme modeste, & exemt de toute ambition, ce n'a été que dans l'esprit de ceux qui ne l'ont jamais connu à fonds. Si jamais homme s'est enteté de la vaine gloire ç'a été lui, plûtôt qu'un autre, puis que tout ce qu'il y a de gens qui l'ont pratiqué particulierement savent que pour s'en faire haïr, il n'y avoit qu'à lui refuser le titre d'Altesse au lieu qu'en le lui donnant, il étoit content comme un Roi. Au reste ce Vicomte ayant si bien secondé son frere, le Comte de Soissons partit un beau jour de Paris, sous pretexte de s'en aller à sa maison de Blandy; mais ayant pris sur la gauche avant que d'arriver à Melun, il fut passer la Marne à un gué qu'il avoit fait reconnoître en deçà de Château Thierri & se rendit à Sedan, sur les relais que Mr. de Bouillon avoit envoyés à sa rencontre. D'abord que le Cardinal sut le chemin que ce Prince avoit pris, il reconnut qu'il s'étoit laissé amuser comme une dupe. Il fit marcher en même tems des couriers pour l'aller trouver. Ils lui proposerent de la part du Roi de revenir, & lui offrirent de lui donner toute sorte de contentement. Mais comme, quelque belles promesses qu'on put faire à ce Prince, il ne s'y pouvoit fier, tant que ce Ministre resteroit au poste où il étoit, ces couriers eurent beau faire plusieurs allées & venuës en ce Païs-là, ils ne le purent jamais persuader. L'Armée que l'Empereur devoit envoyer dans le Luxembourg, y fila cependant sous le commandement de Lamboi, au devant de qui le Comte de Soisson envoya un Gentilhomme pour savoir de lui quand il pouroit arriver sur la Meuse. La marche de ses Troupes allarma la Cour qui avoit peur que l'exemple du Comte de Soissons, ne fut suivi de la desobeïssance de quantité de Grands, qui n'avoient pas plus de lieu que lui, d'aimer le Cardinal de Richelieu. Elle se défioit sur tout du Duc d'Orleans, dont le genie étoit extrémement variable, & qui avoit fait plus de mal lui seul à l'Etat par les diverses revoltes qu'il y avoit excitées de tems en tems, que tous ses ennemis ensemble n'eussent pû faire en plusieurs années Ainsi pour prevenir les mauvais desseins qu'il pouroit avoir, on mit des gardes à tous les passages, afin de l'arrêter, s'il venoit à s'y presenter. Nonobstant toutes ces précautions, quantité d'autres mécontens se rendirent auprès du Comte de Soissons, afin qu'ayant part avec lui au hazard qu'il alloit tenter, ils l'eussent aussi à sa bonne fortune, supposé qu'il put triompher de son ennemi. Ce contre-tems faut cause que l'Armée que le Roi destinoit pour la Flandres sous la conduite du Marêchal de Bresé, ne put être si forte que l'on croyoit. Il en fallut prendre une partie pour l'envoyer de ce côté-là, sous le commandement du Marêchal de Chatillon, pendant que le Marêchal de la Meilleraye eut un Camp volant pour couvrir les places sur lesquelles les ennemis voudroient entreprendre quelque chose. Le genie de ces trois Marêchaux étoit tout different; le premier n'avoit obligation de ce qu'il étoit qu'à l'alliance qu'il avoit avec le Cardinal de Richelieu. Il avoit épousé une de ses Soeurs, dont il avoit deux enfans, savoir le Duc de Bresé, & Madame la Duchesse d'Anguien. Jamais homme ne fut plus fier sans merite. Il poussa même la fierté jusques à l'insolence & à la tirannie, faisant dans son Gouvernement d'Anjou, & dans celui du Saumurois, dont il étoit pourveu pareillement, tout ce que les tirans les plus horribles & les plus detestables ont jamais pû faire de plus cruel. En effet non content d'y maltraiter la Noblesse, à un point qu'elle fut obligée à la fin de se revolter contre lui; il enleva encore une femme non seulement à son mari, mais eut deplus la reputation de l'avoir fait tuer pour en joüir tout à son aise; mais c'étoit assez qu'il fût beau-frere de son Eminence, pour pouvoir tout faire impunément. Le Marêchal de Chatillon étoit tout aussi civil que l'autre étoit peu traitable. Il avoit d'ailleurs en partage toute la valeur, qu'avoient jamais eu ses ancêtres, dont nôtre Histoire fait mention honnorablement. Il avoit aussi beaucoup d'experience & de conduite, mais toutes ces bonnes qualitez étoient obscurcies en quelque façon, par l'amour qu'il avoit pour le repos & pour la vie tranquile; ainsi quand il se trouvoit bien dans un Camp, il avoit toutes les peines du monde à le quitter, parce qu'il craignoit de n'être pas aussi bien dans un autre qu'il étoit dans celui-là. Le Cardinal le connoissoit bien, ce qui étoit cause qu'on s'étonnoit qu'il lui eut donné ce commandement où il devoit avoir affaire à un Prince, qui étoit aussi vif & aussi vigilant qu'il étoit pesant & endormi. Pour ce qui est du Marêchal de la Meilleraie, quoi qu'il eut obligation aussi bien que le Marêchal de Bresé, de son élevation à l'alliance du Cardinal, veu que sa femme étoit fille d'une soeur de son Pere, il ne laissoit pas d'avoir du merite personnellement. Il étoit brave & entendu dans son métier, ce qui étoit cause qu'il eut pû esperer de faire son chemin, quand même il n'eut pas été si proche parent du Ministre. Cependant il avoit cela de commun avec le Marêchal de Bresé, qu'il abusoit souvent aussi bien que lui de sa faveur, au lieu de l'honnêteté qui sied si bien à tout le monde, & principalement à ceux qui se voyent élevés par dessus les autres, ou par leur naissance, ou par leur merite, ou par la fortune, il n'avoit que de la hauteur, & pour ainsi dire du mépris, pour ceux qui de peu de chose s'étoient élevés comme lui à des dignitez, où qui étoient prêts de s'y élever. Il craignoit que sa gloire n'en fut offusquée, ainsi pour en rechercher une fausse, il perdoit la veritable, & se faisoit un nombre infini d'ennemis, au lieu des amis qu'il eu pû se faire. Il s'étoit brouillé par là avec St. Preuil, sans qu'il y eut eu autre chose que sa jalousie, qui eut été cause de plusieurs incartades qu'il lui avoit faites. St. Preuil ne les avoit pas souffertes sans rien dire, & comme on fait d'ordinaire, quand ceux dont l'on est offensé appartiennent de si près au Ministre, qu'on peut craindre qu'en les offensant on ne l'offense pareillement. Pour lui il les avoit repoussées en brave homme, & qui ne voyoit rien tant à apprehender, que de souiller sa gloire par quelque lâcheté. Ce Marêchal avoit encore bien fait pis à Mr. de Fabert, à qui le Roi avoit enfin donné une Compagnie aux Gardes, après lui avoir refusé l'agrément d'une Compagnie dans un vieux corps qu'il vouloit acheter. Il avoit cru qu'il pouroit lui marcher sur le ventre comme bon lui sembleroit; parce que cet Officier étoit d'une extraction très-mediocre, & qu'il ne croyoit pas que le baton de Marêchal de France dût jamais venir à son secours, pour purger son mauvais sang. Mr. de Fabert s'étoit toûjours revolté contre lui, & avoit trouvé de la protection dans le Cardinal même, qui avoit été le premier à blâmer le procedé de son parent. Il est vrai que Fabert avoit eu l'addresse de parler toûjours très respectueusement au Marêchal afin que quand il viendroit à s'en plaindre à son Eminence, elle en sut plus disposée à écouter ses raisons. Il eut été à souhaiter pour St. Preuil qu'il se fut conduit aussi sagement, non seulement avec lui, mais encore avec le Duc de Bresé, contre qui il venoit d'avoir tout nouvellement une espece de querelle. Etant venu à la Cour par ordre du Roi pour conferer avec lui des affaires de la Frontiere, & de ce qu'on pouroit y entreprendre la Campagne suivante, il demeura près de quinze jours à Paris, devant que le Conseil de Sa Majesté eut pris aucune resolution là dessus. Mr. Desnoiers Secretaire d'Etat de la Guerre, qui ne l'aimoit pas, parce qu'il ne s'étoit jamais pû resoudre à lui faire la Cour, vouloit qu'on fit le siege de Doüay, qui est à cinq lieuës au delà d'Arras, afin que cette Ville n'étant plus Frontiere, quand on auroit pris l'autre, St. Preuil se vit privé de la gloire, qu'il y a à un Gouverneur de se trouver le plus près des ennemis. St. Preuil vouloit au contraire que devant que d'aller ainsi en avant, on nétoyât ce qui étoit derriere lui. Il y avoit Bapaume qui lui ôtoit la communication des Places de la Somme, & qui n'étoit qu'à quatre lieuës de son Gouvernement. Il y avoit outre cela Cambrai, qui quoi que plus éloigné sembloit encore plus nécessaire à conquerir qu'une grande Villasse comme étoit Doüay, qu'on ne pouroit jamais conserver qu'avec une puissante garnison. Desnoyers répondoit à cela, qu'on en feroit une Place d'Armes, & qu'une partie de la Cavalerie y passant l'hiver, elle porteroit la terreur & l'effroi jusques au coeur de la Flandres Vallone, dont on pouroit aussi faire la conquête avec le tems. Le Marêchal de la Meilleraie étoit du sentiment de Mr. Desnoyers, plûtôt pour avoir le plaisir de contredire à St. Preuil, que pour croire qu'il eut raison. Enfin le Conseil ayant peine à se determiner là dessus, parce que la force du raisonnement de St. Preuil combattoit, dans l'esprit de Sa Majesté, tout ce que les brigues des autres pouvoient faire ce Gouverneur passa ces quinze jours à aller se divertir dans le tems qu'il n'étoit point obligé d'être au Louvre. Il aimoit extrémement la paume, & comme tout ce qu'il y avoit de personnes de qualité alloient en ce tems là au tripot de la Sphére qui est situé dans le Marais, il y fut un jour dés le matin, afin de jouer contre quelque marqueur, pour avoir le plaisir de se faire frotter. Il y trouva en arrivant le Duc de Bresé, qui étoit sorti de l'Academie, il n'y avoit encore que trois ou quatre mois. Quoi que son Pere fut extrémement fier, & même jusques au point qu'il passoit pour brutal dans l'esprit de tout le monde, il l'étoit néammoins encore plus que lui. Cela lui étoit plus pardonnable qu'à ce barbon, parce qu'il étoit encore si jeune qu'il n'avoit pas le jugement de connoître, qu'il prenoit là un méchant pli. Il balottoit déja avec un marqueur, à qui il avoit dit de prendre une raquette, quand St. Preuil arriva sous la Gallerie. Il y avoit là un grand nombre de pages & de laquais qui avoient la tête nuë, & comme St. Preuil connoissoit la livrée de son Père, il jugea tout aussi-tôt que c'étoit lui, quoi qu'il ne l'eut jamais veu. Pour lui comme il n'étoit venu qu'avec un seul laquais, le Duc n'en fit pas beaucoup de cas. Il ne l'avoit jamais veu pareillement, tellement que ne sachant qui il étoit, il continua à pelotter avec le marqueur, sans prendre garde seulement qu'il fut arrivé. St. Preuil étant entré dans la Salle du logis, & voyant que le maître n'y étoit pas revint dans le jeu de paume, & demanda en attendant qu'il fût revenu sa raquette au marqueur. Il étoit à peu près de même force que le Duc, & le marqueur qui les regardoit balotter, leur ayant dit qu'ils feroient mieux de prendre des chaussons, & de jouer partie, que de s'amuser comme ils faisoient à se lasser, ils y consentirent tous deux en même tems. Le Duc fut deshabillé le premier, & s'en étant allé dans le jeu de paume, St. Preuil y vint un moment après, & ils commencerent leur partie. Au reste y ayant eu chasse bientôt comme c'est l'ordinaire à ce jeu là, le Duc à qui deux de ses laquais levoient la corde pour le faire passer, quand il devoit aller de l'autre côté, commença à vouloir faire le petit souverain, c'est à dire à ne pas vouloir que St. Preuil fit comme lui. Comme il ne le connoissoit pas, & que quand même il l'eut connu, il n'eut pas laissé de croire, tant il avoit de vanité, qu'il y avoit toûjours bien de la difference entr'eux, il trouva non seulement mauvais qu'à son exemple il se fit lever la corde, mais encore qu'il ne passât pas par la galerie comme on a coûtume de faire, quand on a l'honneur de jouer avec le Roi. Ainsi il commença à quereller les marqueurs, de ce qu'au lieu de s'amuser à lever la corde, ils n'alloient pas chercher les balles, dont il feignoit de manquer. St. Preuil reconnut bien son chagrin, & se rit en lui même de sa vanité, et de sa jeunesse. Le Marqueur qui étoit du côté du dedans, courut en même tems au Cordillon, croyant effectivement qu'il n'y avoit plus de balles, mais trouvant qu'il y en avoit encore plus de la moitié, il ne se put empêcher de le dire tout haut. Cela eut été plus que suffisant à St. Preuil, pour lui faire connoître, qu'il ne s'était pas trompé, quand même il en eut été en doute. Cependant comme il étoit fier tout aussi-bien que lui, mais d'une belle fierté, & qui avoit été precedée par un nombre infini de belles actions, il prit plaisir à le mortifier encore davantage en rabbaissant sa vanité. Il se hâta de palier le premier sous la corde, & un Gentilhomme qui étoit au Duc, le trouvant tout aussi mauvais que son Maître, lui dit alors en se montrant aussi fol que lui, qu'il ne savoit peut-être pas contre qui il jouoit: que c'étoit contre le Duc de Bresé. St. Preuil lui répondit en même tems, que c'étoit lui apparemment qui ne savoit pas contre qui son Maître jouoit, & qu'il jouoit contre St. Preuil. Le Duc qui avoit bonne envie de le quereller avant que de savoir son nom, rentra dans sa coquille d'abord qu'il l'eut oüi se nommer. Son Gentilhomme en fit tout autant de son côté. Ils avoient ouï parler tous deux de lui, & comme ils savoient qu'il ne faisoit pas trop seur de s'y jouer, le Duc ne songea plus qu'à achever sa partie, afin de n'être pas exposé d'avantage à la même mortification. Le Marêchal de la Meilleraie vint dîner ce jour là chez le Marêchal de Bresé, & lui ayant parlé de St. Preuil, en des termes qui faisoient connoître au Duc, qui étoit à table avec eux, qu'il n'en étoit pas content, celui-ci prit la parole & lui dit, qu'il n'en étoit pas fort étonné, parce que cet homme là étoit si fier, que quand même il seroit Connestable, il ne pouroit l'être davantage. Le Marêchal qui ne pardonnoit guéres, quand il en vouloit une fois à quelqu'un, étant ravi de l'entendre parler de la sorte, voulut savoir de lui d'où il le connoissoit. Le Duc lui conta ce qui lui étoit arrivé le matin à la Sphere, & comme ces trois hommes n'avoient guéres moins de vanité l'un que l'autre, ils lui firent son procès en même tems. Ils en parlerent même au Cardinal qu'ils tâcherent de faire entrer dans leur ressentiment, comme si c'eut été l'insulter lui même que de ne pas vouloir plier sous eux. Ce Ministre avoit ses foiblesses comme les autres, & étoit sensible lui même à la vanité. Ainsi faisant la mine tout le premier St. Preuil, lorsqu'il vint pour lui faire sa cour sur le soir, celui-ci ne s'en mit pas beaucoup en peine, parce qu'il crut qu'en continuant de faire son devoir, comme il avoit toûjours fait, il trouveroit un bon Protecteur dans la personne de Sa Majesté. Les affaires qui l'arretoient à Paris, s'étant terminées à la fin à sa satisfaction, il s'en retourna dans son Gouvernement, où il recommença à harceler les ennemis qui avoient eu quelque relâche, pendant son absence. La campagne commença cependant, & le Regiment des Gardes ayant eu ordre de marcher en Flandres, je rendis mon hôte bien joyeux en m'en allant en ce Païs-là. En effet quelque bonne mine qu'il me fit, il se doutoit que je n'étois pas mal avec sa femme, mais comme il devoit à Athos, & qu'il me savoit de ses amis, il avoit cru être obligé de me ménager jusques au jour de mon départ. Quand je fus parti, il n'en usa plus avec sa femme comme il faisoit auparavant. Il lui reprocha quantité de choses dont il croyoit s'être aperçu, & elle me le manda en des termes qui me firent croire qu'elle en étoit encore bien plus maltraitée qu'elle n'avoit jamais été. Je ne pus que la plaindre, parce que c'étoit tout le secours que je lui pouvois donner. Je lui fis réponse à une addresse qu'elle m'avoit indiquée, & la part que je prenois à ses affaires fit qu'elle supporta son malheur plus patiemment. Son mari qui vouloit se défaire de moi absolument, & que je ne la revisse plus quand je serois revenu, s'avisa alors de changer non seulement de maison, mais encore de changer aussi de condition; au lieu de loüer davantage des chambres garnies, il se fit marchand de vin, & leva un gros cabaret; le voyage qu'il avoit fait à Dijon, lui avoit fait connoitre des gens qui lui avoient vanté ce commerce, & il pretendoit que quand même il ne lui réüssiroit pas mieux que celui qu'il faisoit auparavant, toûjours en retireroit-il cet avantage, qu'il se déferoit par là d'un homme qui lui étoit extrémement suspect. Le cabaret qu'il leva fut dans la ruë Montmartre, tout auprès & du même côté qu'est aujourd'hui l'hôtel de Charôt. Il vendit tous ses meubles, & ne garda que ceux qu'il lui falloit de toute necessité pour le métier qu'il embrassoit. Sa femme à qui il avoit trop témoigné sa jalousie, pour oser lui demander où il me mettroit, quand je serois revenu, me le manda & qu'elle étoit au desespoir de sa conduite. Il acheta cependant quantite de marchandises de l'argent qu'il avoit eu de ses meubles, esperant que devant que la campagne finît il en feroit beaucoup plus qu'il ne lui eu faudroit pour rendre à Athos ce qu'il croyoit lui devoir. Je fus fort affligé de cette nouvelle, parce que je trouvois sa femme fort aimable, & que d'ailleurs, elle me faisoit subsister fort honnêtement, sans que j'eusse l'embarras de mettre la main à la bourse. Cela ne devoit pas être aussi fort indifferent à un Gascon, qui s'accommode d'ordinaire assez bien d'une bonne table. Je m'attendois même auparavant, que cela m'aideroit à faire mon chemin à la guerre, & que comme les graces sont lentes à venir à la Cour, je pourois plus aisément me résoudre à prendre patience, que si je n'avois point ce secours. Enfin comme il n'y a rien dont on ne se doive consoler, je ne songai plus qu'à chercher quelque occasion de me signaler, afin qu'après avoir été si heureux que d'acquerir quelque reputation dans le monde, je pusse pas à pas m'avancer vers les honneurs qu'on est en droit de pretendre, quand on tâche, comme je faisois, de s'aquitter de son devoir. Nous ne fumes pas les plus forts cette campagne. Les Troupes que l'on avoit été obligé de détâcher pour envoyer au Marêchal de Chatillon, nous firent demeurer sur la défensive en Flandres, où le Cardinal Infant avoit une grosse Armée. Il s'attâcha à reprendre Aire, pendant que le Marêchal de Chatillon fut se camper à..... pour observer de là, les mouvemens que feroit le Comte de Soissons. Ce qui se passoit de ce côté-là inquiétoit bien plus le Cardinal que ce qui se passoit ni en Flandres, ni ailleurs. Il n'en devoit pas être moins puissant qu'il l'étoit quand les ennemis reprendroient Aire, & qu'ils feroient même d'autres conquêtes; mais comme il ne savoit pas s'il resteroit encore dans le Ministere, en cas que le Comte de Soissons eut quelque avantage sur le Marêchal, il manda au Marêchal de Bresé de lui envoyer encore trois bataillons des meilleures Troupes qu'il eut avec lui, afin de les lui envoyer. Nôtre Régiment demanda à en être, jugeant qu'il n'y avoit plus d'apparence de secourir Aire, puis que nôtre Armée, qui étoit déjà très foible, s'affoiblissoit encore par ce détâchement. Mais il ne voulut pas le lui accorder, parce qu'il trouvoit que tant qu'il l'auroit avec lui, c'étoit un honneur qui le rendroit superieur aux autres Marêchaux. Nôtre Armée ne fut pas de plus de douze mille hommes après cela. Nous ne laissâmes pas néanmoins de prendre Lens, pendant que le Marêchal de Chatillon se laissa battre, faute d'avoir voulu de bonne heure aller occuper le poste de..... d'où il eut pû empêcher le Comte de Soissons d'étendre ses Troupes dans la plaine. Tous les Officiers Generaux le lui avoient conseillé, néanmoins sans qu'il les en eut voulu croire, soit qu'il n'aimât pas à rien faire qui ne vint de sa tête, soit que sa paresse le retint dans une belle maison, où il se trouvoit logé dans le camp de..... Le Cardinal à qui l'on en avoit écrit de l'Armée, voyant qu'il y avoit de sa faute, jura tout aussi-tôt en lui même qu'il s'en vengeroit, pourveu néanmoins que le Comte de Soissons lui donnât le tems de respirer: car il craignoit bien qu'il ne profitât de sa victoire, & que toutes les Villes de Champagne ne lui ouvrissent les portes. Cependant dans le tems qu'il méditoit de terribles choses contre lui, il lui vint un Courier, qui lui ôta non seulement tout le venin qu'il avoit dans le coeur, mais qui lui fit encore le regarder comme le meilleur de ses amis. Ce Courier lui rapporta la nouvelle de la mort du Comte de Soissons, sans que personne pût dire au vrai, de quelle maniere elle étoit arrivée. Aussi est-on encore à savoir aujourd'hui s'il est vrai, qu'il se tua lui même, comme quelques uns ont voulu dire, ou si ce coup lui fut donné de la main de quelque assassin, après avoir été corrompu par ses ennemis. Ceux qui croyent qu'il fut assassiné, disent qu'un de ses Gardes ayant couru après lui, pour lui dire qu'on faisoit ferme encore en un endroit, lui lâcha un coup de Mousqueton dans la tête, quand il vint à se retourner, pour regarder qui lui donnoit cet avis. Les autres au contraire, qu'ayant voulu lever la visiere de son casque avec le bout de son Pistolet, qu'il avoit encore à la main, le Pistolet tira de lui même, & le jetta roide mort sur le careau. Cependant j'ai veu des gens qui m'ont dit que ses Pistolets étoient encore chargez, quand on le trouva mort; ce qui fait qu'il est bien difficile de savoir qui l'on doit croire des uns ou des autres. Le Marêchal de Chatillon qui se rendoit assez de justice pour se condamner lui même, comme y ayant eu de sa faute à tout ce qui s'étoit passé, fit le malade en même tems, où le tomba effectivement de chagrin. Cela fut cause que le Marêchal de Bresé eut ordre d'aller prendre sa place, & ce fut alors que ce General nous fit aller de ce côté-là avec lui. Il laissa le reste de son Armée au Marêchal de la Meilleraye, qui fut assieger Bapaume, pendant que nous reprimes Damvilliers, où le Duc de Bouillon n'avoit pas laissé de mettre le siege après la mort du Comte de Soissons. Le Roi vint nous trouver lui même, lors que nous étions devant cette Place, & le Duc ayant recours à la misericorde de Sa Majesté pour lui pardonner la faute qu'il avoit faite, il trouva grace auprès d'elle. Il lui eut été difficile d'y réüssir dans un autre tems, mais la mort du Comte du Soissons mettoit le Cardinal de si belle humeur, qu'il conseilla à ce Prince de faire paroître en cela, que sa bonté étoit encore au dessus de sa justice. Il est vrai que Mr. le Prince aida beaucoup à porter son Eminence à interceder pour lui, & comme il etoit parent du Duc, & son bon ami, il n'eut garde de l'oublier dans une rencontre aussi importante que celle-là. Mr. de Bouillon ayant fait sa paix, St. Preuil ne fut pas si heureux que de faire la sienne, quoi qu'il fut bien moins coupable que lui. C'étoit assez qu'il eut les parens du Cardinal à dos, pour avoir lieu de tout craindre. Cependant comme s'il eut oublié le peril où cela le jettoit, il se fit encore un ennemi de consequence, qui ne le lui pardonna pas. Mr. Desnoyers qui n'etoit pas de la côte de St. Louis, avoit de pauvres parens, ce qui n'étoit pas fort extraordinaire à lui, qui n'étoit redevable qu'à la fortune du poste où il se trouvoit élevé, puis que de plus grands Seigneurs qu'il n'étoit encore, en ont bien qui ne sont pas de même fort accommodés. Au reste ce Secretaire d'Etat en ayant mis un dans les vivres, il fut envoyé à Arras en qualité de Commissaire. Les Gouverneurs alors se chargeoient de la fourniture du pain de munition pour leurs Garnisons, & celui-ci ayant remarqué que celui que St. Preuil faisoit faire, n'étoit pas du poix, ni de la qualité qu'il devoit être, en donna avis en Cour. St. Preuil qui savoit qu'il en avoit déjà parlé à quelqu'un de ses camarades, au lieu de songer à pourvoir à cet abus, qui ne venoit pas de lui, mais des boulangers, ne songea qu'à intercepter ses lettres. Il en vint à bout facilement, parce que tout lui obéïssoit dans Arras, aussi bien qu'on eut pû obéïr au Roi même. Ainsi il n'eut pas plûtôt veu ce que contenoit sa lettre, qu'il le fut trouver sur la place où il se promenoit avec quelques Officiers. Il lui donna la plusieurs coups de canne, & l'ayant encore fait mettre en prison, cela ne vint pas plûtôt aux oreilles de Desnoyers, qu'il voulut persuader au Cardinal que s'il souffroit que cet homme fit ainsi le petit tiran, il arriveroit avant qu'il fut peu, qu'il ne voudroit plus reconnoître les ordres de personne. Le Cardinal qui aimoit les braves gens & ceux qui comme St. Preuil faisoient leur Capital de bien servir Sa Majesté, ne voulut pas le condamner sans l'entendre. Il lui manda de mettre le Commissaire des vivres en liberté, de l'envoyer en Cour & de se laver des accusations que celui-ci pretendoit intenter contre lui. Cela ne lui étoit pas bien difficile, s'il y avoit de l'abus dans le pain de munition, il n'y trempoit nullement. Il avoit fait marché avec des boulangers de le fournir de la qualité & du poids qu'il devoit être; mais le Ciel, dont les ressorts sont inconnus aux plus habiles, ayant resolu apparement de le punir du rapt qu'il avoit fait, il arriva qu'étant monté à cheval quelques jours après pour aller chercher les ennemis qu'on lui disoit être sortis de Douay, il rencontra la Garnison de Bapaume, qui venoit de se rendre à la Meilleraye, & qui n'étoit escortée que d'un trompette. Ce n'étoit pas la coutume, & l'on avoit toûjours vû au contraire qu'à toutes les Capitulations qui s'étoient faites tant de nôtre côté que de celui des Espagnols, l'on avoit donné un Corps de Cavallerie pour escorte à ceux qui avoient capitulé. Mais le hazard ou la bizarrerie du Maréchal ayant voulu que cela se passât d'une autre maniere, les coureurs que l'on avoit détachez de part & d'autre pour se reconnoître se firent tirer l'oreille avant que de vouloir repondre au qui vive qui leur étoit demandé. Ils se fussent reconnus les uns les autres si c'eut été pendant le jour, mais comme on étoit au plus fort de la nuit, les François presserent tant des Espagnols de repondre qu'ils crierent à la fin vive Espagne. Une Réponse comme celle-là meritoit bien ce qui leur arriva. En même-tems St. Preuil les fit charger & les defit devant qu'ils se fissent reconnoître pour avoir une escorte. On ne sait pourquoi ils ne parlerent pas plûtôt, & si ce fut par obstination, ou que la confusion qui régnoit parmi les cris des mourans eut empéché de pouvoir écouter leur voix. Ceux qui resterent du combat s'étant retirez à Douay en grand desordre n'eurent pas plûtôt conté leur avanture à celui qui y commandoit, qu'il en informa le Cardinal Infant. Ce Prince envoya en même tems un Courier à la Cour pour se plaindre de cette action qu'il qualifioit de terrible, parce qu'il étoit bien aise de cacher tout ce qui pouvoit servir à la justification de St. Preuil. Il savoit les ennemis qu'il s'étoit fait à la Cour, & comme Sa Majesté n'avoit point dans toutes les places de Gouverneur qui lui fut si incommode que celui-là, il n'eut pas été fâché en être defait. D'abord que ce Courier fut arrivé, Desnoiers qui avoit sur le coeur ce qui s'étoit passé à l'égard de son parent, mena le Courier au Cardinal de Richelieu, à qui il exagera lui-même les choses encore toute d'une autre maniere que ne faisoit le Cardinal Infant. Le Maréchal de la Meilleraye vint aussi à la charge, en mandant à ce Ministre de dessus les lieux où il étoit encore, que cette affaire étoit en mauvaise odeur aussi-bien parmi les François que parmi les ennemis; que ceux-ci avoient fait serment de ne plus donner de quartier à personne, à moins qu'on ne leur en rendit justice, qu'ainsi l'on alloit voir comme une boucherie de leur part, pendant que de la nôtre il étoit dangereux qu'on ne songeât à se cacher pour éviter un ressentiment qui paroissoit si juste à tout le monde, qu'il n'y avoit personne qui y trouvât à redire. Le Maréchal de Bresé qui étoit aussi animé contre St. Preuil, parce que sa vanité le faisoit entrer dans les plaintes que son fils en faisoit, ne demeura pas non plus dans le silence. Il n'entendit pas plûtôt murmurer de cette affaire, qu'il parla contre lui comme faisoient les autres, tellement que le Cardinal se laissant aller à leurs Conseils consentit à le faire arrêter. L'on en envoya l'ordre au Marêchal de la Meilleraye, qui pour ôter tout sujet de défiance à ce Gouverneur qui eut pû, s'il en eut été averti, tenir bon dans sa place, & appeller les Espagnols à son secours, fit semblant de marcher du côté de Douai. Il vint ainsi camper aux portes d'Arras qui en étoit le chemin, & St. Preuil n'ayant pû s'empêcher de lui aller rendre ses devoirs, quoi qu'il n'eut pas grande estime ni grande amitié pour lui, le Marêchal le prit lui-même par le baudrier, & lui commanda de lui rendre son épée. Un autre que St. Preuil eut été tout étonné, ou pour mieux dire tout abbattu d'un compliment aussi terrible que celui là; neanmoins conservant non-seulement son courage, mais encore une presence d'esprit qui n'est gueres ordinaire dans ces sortes de rencontres-là, la voila Mr. lui dit-il, elle n'a pourtant jamais été tirée que pour le service du Roi. Il disoit cela pour faire connoître non-seulement qu'il avoit toûjours été fidele à sa Majesté, mais encore pour faire honte à quelques personnes qui étoient alors auprès du Marêchal, & qu'il avoit vûs les armes à la main contr'elle à la journée de Castelnaudari. Au reste, comme il savoit que bien loin que ces gens fussent de ses amis, ils ne cessoient d'animer le Marêchal contre lui, il n'étoit pas faché de leur faire sentir la difference qu'il y avoit à faire entre leur procedé & le sien. D'abord qu'il fut arrêté on parla au Meunier, afin qu'il rendit des plaintes du rapt qu'il avoit fait. Il n'y pensoit presque plus, & les mille écus qu'il en avoit reçûs de present & qui avoient encore été accompagnez de quelques autres bien-faits, lui en avoient ôté toute l'amertume. Mais comme il est bien difficile de faire changer de peau à ceux qui sont nez dans la Crasse, ce Meunier ne vit pas plûtôt ce Gouverneur dans l'infortune que toute sa jalousie & toute sa haine se reveillerent contre lui. Le Marêchal établit en même tems un autre Gouverneur dans la place, suivant le pouvoir qu'il en avoit de son Eminence. Il y mit un certain Mr. de la Tour qui étoit Pere du Marquis de Torcy d'aujourd'hui. Il dit aux Artesiens en lui conferant cette dignité, qu'il leur donnoit un agneau au lieu d'un loup qu'il leur ôtoit. On trouva qu'il ne faisoit pas trop bien de parler de la sorte, parce que chacun pouvoit inferer de la qu'il n'avoit pas peu contribué à sa disgrace comme son ennemi secret. Son discours étoit neanmoins veritable, pourvû qu'on l'entendit dans le sens qu'il falloit. Il faut savoir que de toutes les Villes que l'on avoit conquises jusques-là, il n'y en avoit point qui supportât avec plus d'impatience que celle-ci le changement de maître qui leur étoit arrivé, ainsi plus St. Preuil se montroit affectionné au Roi, plus il leur paroissoit un loup ravissant. Quoi qu'il en soit, ayant été mené à Amiens pour lui être son procès fait & parfait, le Cardinal lui donna des Commissaires qui y travaillerent incessamment. C'étoit une coutume contre laquelle les Parlemens s'étoient recriez plusieurs fois, peut-être plûtôt pour leur interêt particulier que pour celui du public. Ce Ministre avoit été le premier à l'introduire, & le Conseil du Roi qui ne demandoit qu'à voir l'authorité souveraine au suprême degré, n'avoit eu garde de s'y opposer, parce que cela l'authorisoit à tout faire sans que personne y put mettre remede. C'étoit ainsi qu'avoient été jugez & condamnez le Marêchal de Marillac & plusieurs autres, quoi qu'on ne leur pût imputer d'autre crime que d'avoir osé déplaire au Cardinal. Le nommé Grandier avoit été entr'autres une de ces malheureuses victimes. On lui avoit fait accroire qu'il étoit sorcier & qu'il avoit envoyé une legion de demons dans le corps des Religieuses de Loudun. Sur cette accusation le Sr. de Lauberdamont qui étoit à la tête de ses Commissaires l'avoit condamné, contre le sentiment de quantité de ses Juges à être brûlé tout vif. Il leur avoit dit franchement, pour les obliger à souscrire à un jugement si rempli d'injustice, que s'ils s'y opposoient avec toute la vigueur que devoient avoir des gens de bien, on leur donneroit des Commissaires à eux mêmes qui les convaincroient bientôt d'avoir eu part à ses sortileges, parce qu'il n'étoit pas plus sorcier qu'ils le pouvoient être. Il avoit bien moins de tort en leur parlant de la sorte qu'il n'en avoit de vouloir faire mourir un innocent. Tout le crime du pauvre Grandier étoit d'avoir debauché ces Religieuses, & s'il leur avoit fait entrer quelque demon dans le corps, ce ne pouvoit être que celui d'impunité. Or comme ces juges avoient été voir ces Religieuses tout aussi-bien qu'il avoit pû faire, & peut-être eu commerce avec elles tout aussi-bien que lui, car il y avoit bien à dire que ce fut des Vestales, ils hesiterent quelque tems sur ce qu'ils avoient à faire; mais s'étant laissé gagner à la fin à la faveur, ils aimerent mieux se montrer injustes en condamnant un innocent, que de se mettre eux-mêmes en sa place en voulant le sauver. Car on les eut pû accuser après tout aussi-bien que lui d'être sorciers, & je ne sais pas ce qui en fut arrivé, son Eminence étant toute puissante comme elle l'étoit. St. Preuil ressembla à ce malheureux Prêtre; on fit venir mille & mille témoins contre lui tant du Gouvernement de Dourlens qu'il avoit eu avant que d'avoir celui d'Arras, que de plusieurs autres endroits. Le Meunier lui fut confronté par plusieurs fois, mais quoi que tout son crime, aussi-bien que celui de Grandier, ne fut que d'avoir déplu aux Puissances, il ne laissa pas d'avoir le cou coupé. Le Régiment des Gardes s'en étant revenu à Paris dans le même tems, je ne pus loger chez mon Hôtesse, parce que son Mari n'avoit eu garde de se fournir d'une Chambre pour moi. Il n'avoit pas pourtant encore tout ce qu'il lui falloit pour me payer, ce qui l'obligea de me faire bonne mine à mon arrivée. Je trouvai sa femme encore plus amoureuse que quand j'étois parti, ainsi étant au desespoir de ce qu'elle ne me voyoit pas à tous momens, comme quand j'étois chez-elle, elle fit tout ce qu'elle put pour m'obliger à faire des frais à son Mari, afin de le mettre hors d'état de pouvoir jamais satisfaire. Elle prétendoit qu'en mettant ainsi ses affaires en desordre, elle se separeroit de lui, & qu'après cela nous irions tenir ménage ensemble. Ce n'étoit pas là mon humeur, si je voulois bien avoir une maîtresse je ne voulois pas ainsi m'en charger à longues années. D'ailleurs j'eusse crû en faisant un coup comme celui là que Dieu m'eut puni en même tems, puis qu'il eut autant valu que je l'eusse égorgé que de lui faire ce qu'elle me conseilloit. Je la vis cependant le plus souvent qu'il me fut possible, parce que bien que je ne me pusse empêcher de l'accuser de cruauté pour lui, l'amour propre me la faisoit excuser aussi-tôt, parce que j'y trouvois mon contentement. Je n'étois pas long-tems à me dire qu'elle ne faisoit tout cela que pour l'amour de moi, & que si elle m'eut moins aimé je n'eusse pas eu lieu de trouver à redire à sa conduite. La connoissance que je commençois à avoir des sentimens de son Mari, dont la jalousie qui sembloit dormir en mon absence s'étoit reveillée à mon retour, fit que je lui cachai mes visites tout autant que je pus. Je m'y pris même si finement qu'il eut eu bien de la peine à en appercevoir quelque chose, si ce n'est qu'il gaigna un de ses Valets pour l'avertir si nous nous donnerions quelque rendez-vous. Ce Valet qui demeuroit tout le jour au logis & pendant que son Maître y étoit, & pendant qu'il n'y étoit pas, m'y vit entrer plusieurs fois sans se douter que ce fut sa maîtresse qui m'y amenât. Comme je n'y venois qu'en bonne Compagnie & sous pretexte du bon vin qui étoit dans son Cabaret, il fut pour le moins deux ou trois mois à me croire plus yvrogne qu'amoureux. Mes Camarades qui étoient ceux avec qui je venois-là, & qui savoient mon intrigue me donnoient le tems de satisfaire aux devoirs de l'amour, quoi qu'ils m'enviassent souvent ma bonne fortune. J'appelle mes Camarades les Mousquetaires avec qui j'avois fait connoissance, & non pas les Soldats aux Gardes. Porthos, qui étoit mon meilleur ami & qui avoit à-peu-près une Maîtresse comme moi, c'est-à-dire une Maîtresse jeune, belle, bien faite, & qui lui donnoit de l'argent, affectoit toujours de nous faire mettre dans une petite Chambre à côté de celle de la Cabaretiere, afin que je n'eusse pas bien loin à aller. Elle s'y tenoit le plus souvent pendant que son Mari n'y étoit pas, & même elle s'y fut tenuë toujours, si ce n'est que j'étois le premier à lui dire qu'elle devoit descendre en bas de fois à autre, de peur de donner du soupçon à ses garçons. Elle avoit bien de la peine à me croire tant elle se plaisoit avec moi. La chose nous ayant réüssi pendant quelque tems, le garçon se douta à la fin non seulement de nôtre intrigue, soit par la trop grande affectation que nous avions de vouloir toûjours cette Chambre, soit par la trop grande demangeaison que sa Maîtresse avoit de monter en haut, d'abord qu'elle me sentoit dans la Chambre dont je viens de parler. Si j'eusse sçu qu'il eut été ainsi gagné par son maître, je ne me fusse pas mis en peine de lui faire quitter ses interêts pour les miens, soit par presens ou par menaces, mais étant d'autant plus éloigné de le croire qu'il faisoit toûjours le jovial avec nous, & qu'il entendoit même assez bien le mot pour rire, il arriva qu'un jour que son soupçon s'étoit encore augmenté par quelques oeillades qu'il vit que nous nous jettions sa Maîtresse & moi en entrant, il monta par plusieurs fois tout doucement à la porte de notre Chambre pour écouter s'il entendroit toûjours ma voix. Ce qui le rendoit si curieux c'est que quelque tems ensuite de ces oeilades sa Maîtresse étoit montée en haut, sans qu'il lui parut qu'elle y eut beaucoup d'affaires. Tant qu'il m'entendoit parler il n'entroit point où il nous avoit mis mes Camarades & moi, à moins qu'on ne frappât pour l'appeller. Mais y étant venu une fois sans m'entendre, il vint voir si j'y étois, & ce qui pouvoit être cause de mon silence. Mes Camarades furent bien étonnez de le voir sans mander, & ce drôle qui étoit fin & rusé ayant pris pour pretexte de sa venuë qu'il venoit voir si nous ne manquions point de quelque chose, il ne vit pas plûtôt que je n'y étois pas, qu'il se douta que je n'étois pas allé loin. Il en fit son rapport à son maître, & accrut si bien sa jalousie par-là que celui-ci resolut de me jouer un méchant tour. Il me pria un jour à diner, & sur la fin du repas comme nous n'étions que lui, sa femme & moi, son garçon lui vint dire qu'on le demandoit. Il me pria d'excuser s'il étoit obligé de me quiter. Je n'eus pas de peine à lui accorder sa priere: sa femme de même la lui eut accordée volontiers, pour peu qu'il en eut voulu savoir son sentiment. Il monta cependant de ce pas à sa Chambre & s'y étant caché dans un Cabinet avec deux bons Pistolets bien chargez & bien amorcez, il crut qu'il me devoit attendre là, parce que si nous étions bien ensemble la femme & moi, comme il en eut juré volontiers, nous ne tarderions gueres à y venir. Ce qui lui donnoit cette pensée c'est que le lieu où il nous avoit laissez n'étoit nullement propre pour des amans. Il n'étoit separé du cabaret que par une cloison qui étoit toute garnie de vitre jusques au plancher. Ainsi l'on voyoit de là dans le cabaret & du cabaret l'on y étoit vû également, à moins que de tirer des rideaux qui étoient devant. Nous étions alors dans les plus cours jours de l'année, & j'y avois donné rendez-vous à Athos & à un autre Mousquetaire nommé Briqueville, afin que si je n'avois pas le tems d'en dire deux mots à ma maîtresse, à cause de la presence de son Mari, j'eusse du moins la commodité de le faire par leur moyen. Je savois que la vûë d'un creancier étoit toûjours redoutable à son debiteur, & qu'ainsi le cabaretier ne verroit pas plûtôt le sien qu'il prendroit ou le parti de nous laisser en repos, ou de l'entretenir avec tant de complaisance que je pourois peut-être trouver un moment pour faire ce que bon me sembleroit. Athos & Briqueville n'arriverent que sur les cinq heures du soir, & comme il en étoit déja près de quatre, quand le cabaretier nous avoit quittez, il avoit eu le tems de s'ennuyer, & de se morfondre dans le lieu où il étoit. Il nous y attendoit pourtant de pied ferme, parce qu'il étoit convenu avec son garçon que si je venois à sortir par hazard, il l'en avertiroit en même tems, ainsi il étoit bien assuré que j'étois encore avec elle, puis qu'il n'avoit point eu de ses nouvelles. D'abord qu'Athos & Briqueville furent arrivez on nous mit dans la petite Chambre où l'on avoit coutume de nous mettre. J'avois dit à ce garçon de nous la garder, parce que je savois qu'ils devoient venir, & que cela me faciliteroit mes amourettes. Le Cabaretier fut ravi quand il nous y entendit, car les jaloux ont cela de propre qu'ils se rejouïssent seulement des choses qui leur font connoître leur malheur. C'est une maladie dont ils ne sauroient se defendre, tant il est vrai que la jalousie est un goût dépravé qui fait haïr ce qu'on devroit aimer, & qui fait aimer ce que l'on devroit haïr. En effet un jaloux ne cherche qu'à voir sa femme ou sa maîtresse entre les bras de son rival. Tout ce qui peut le confirmer que ce qu'il s'est mis en tête est véritable a des charmes non pareils pour lui, & il n'en trouve jamais d'avantage qu'à verifier son malheur. La cabaretiere monta quelque tems après nous, & ayant laissé sa porte entre-ouverte afin que j'y pusse entrer à mon ordinaire, elle ne me vit pas plûtôt qu'elle se jetta sur moi pour m'embrasser. Je commançois à repondre à ses caresses en amant passionné, quand je crus entendre remuer quelqu'un dans le cabinet. Cela me fit lui faire signe de l'oeil, & ayant entendu ce que je voulois dire par là, nous nous arretâmes court tous deux comme si on nous eut donné un coup de massuë. Le bruit que j'avois entendu étoit que le cabaretier avoit voulu regarder ce que nous faisions par le trou de la serrure, parce qu'il ne nous entendoit point parler. Il savoit bien, ou du moins il se doutoit que j'étois-là, parce qu'il avoit ouï entrer quelqu'un après sa femme: enfin ayant vû que nous nous approchions de près, quoi qu'il ne nous vit que jusques à la ceinture à l'endroit où nous étions, il ouvrit la porte du cabinet & me salua d'abord d'un coup de Pistolet. Il étoit si pressé de se faire justice qu'il manqua son coup: au lieu de me donner dans le corps comme il croyoit, la balle passa à plus de dix pas de moi. Je me jettai en même tems sur lui, de peur qu'il ne fut plus adroit du second, qu'il ne l'avoit été du premier. La Cabaretiere ne put venir à mon secours, parce qu'elle tomba evanouie, du moment qu'elle vit son mari un Pistolet à chaque main. Athos & Briqueville se douterent bien de ce que c'étoit d'abord qu'ils entendirent le coup, & voulurent venir à mon secours; mais comme j'avois fermé la porte en entrant, ils y donnerent plusieurs coups de pied pour l'enfoncer, mais ils n'en purent jamais venir à bout, quelque effort qu'ils y pussent faire. Nous nous colletions cependant le cabaretier & moi, & tout ce que je tâchois étoit de lui faire lâcher son Pistolet sans en être blessé, & de l'empêcher de mettre la main sur mon épée, que je n'avois pas eu le tems de tirer. Je vins enfin à bout de l'un & de l'autre, pendant qu'Athos & Briqueville crierent au voleur par la fenêtre. Ils ne savoient si je ne serois point blessé du coup, & cela les mettoit en inquiétude. Le Commissaire du quartier vint avec quelques Archers qu'il ramassa à la hâte, & comme les Mousquetaires étoient fort estimés & fort craints en ce tems-là, Athos & Briqueville ne lui eurent pas plûtôt parlé, qu'il leur promit de châtier ce jaloux, si j'avois seulement la moindre égratignure. Ce Commissaire étant venu à la porte de la chambre où nous étions, je la lui ouvris sans y trouver aucun obstacle, parce que le cabaretier se tira alors dans le cabinet, où il rechargea ses Pistolets, que je n'avois jamais pû lui ôter. Le Commissaire crut d'abord que la femme étoit morte, parce qu'il ne lui voyoit remuer, ni pieds ni mains, mais l'ayant assuré que les coups que son mari avoit tirés, avoient passé bien loin d'elle, & qu'elle n'étoit qu'évanouie, il s'en fut au cabinet pour se le faire ouvrir. Le cabaretier ne le vouloit pas, & lui disoit pour ses raisons, que ce n'étoit pas à lui qu'il en devoit vouloir, mais à moi, qu'il avoit trouvé couché avec sa femme. Le Commissaire en croyoit bien quelque chose, quoi que cela ne fut pas vrai, si j'en avois eu la volonté, je n'en avois pas eu le tems, & le mari l'eut bien pu témoigner lui même, s'il en eut voulu dire la verité. Ce que lui avoit dit le Commissaire ne le persuada pas, il ne voulut point lui ouvrir le cabinet; & comme il avoit retenu quelque chose de l'assurance que donne le métier de la guerre qu'il avoit fait pendant quelque tems, il lui répondit ou fort brutalement, ou fort vigoureusement, (car je ne sais lequel c'étoit des deux) que s'il pretendoit se mêler de ce qui n'étoit pas de sa competance, il n'auroit pas grand respect pour sa robe; que sa charge seroit bien d'une autre consideration qu elle n'étoit, si elle lui donnoit inspection sur tous les cocus dont il étoit malheureusement du nombre; qu'il lui conseilloit en bon ami de se retirer, s'il ne vouloit qu'il lui eu prit mal; qu'il lui appartenoit de corriger sa femme quand elle manquoit à son devoir, sans qu'il lui fut permis de s'en mêler; qu'il m'enmenât seulement hors de chez lui, parce que bien que la chose ne le touchât pas en son particulier, il savoit bien que la veuë d'un homme qui causoit le deshonneur d'une famille, n'étoit pas agréable à un mari. Enfin il lui dit mille choses comme celles-là au travers de la porte, continuant toujours de le menacer, que s'il persistoit comme il témoignoit en avoir envie à se la faire ouvrir de force, il ne lui répondroit pas de ce qui en arriveroit. Ce discours enflamma de colere cet Officier, qui étoit petulant. Il commanda à ses archers d'enfoncer la porte, ce qui ayant été bientôt fait, le Cabaretier chercha le Commissaire entre les autres pour lui tenir la parole qu'il venoit de lui donner. Il le coucha en jouë, que la porte n'étoit pas encore enfoncée entierement; mais son Pistolet ayant pris un rat, à cause que l'amorce en étoit tombée, il n'eut pas le tems d'y en remettre d'autre, parce qu'il fut accablé tout d'un coup de la multitude. Un de ces archers lui déchargea un coup d'un gros rondin sur le bras, & lui ayant fait tomber son Pistolet, il se jetta sur lui, sans lui donner le tems de se reconnoître: on l'emmena aussi-tôt au Châtelet, pendant qu'on mit garnison chez lui. Cela ne me plut pas, parce qu'on ne le pouvoit ruiner qu'on ne ruinât en même tems ma maîtresse. Je priai Athos d'en dire un mot à Mr. de Treville, qui étoit beau-frere d'un homme de robe, fort accredité dans le Parlement. Mr. de Treville lui répondit, que si je continuois à faire parler de moi, comme j'avois fait depuis que j'étois arrivé de Bearn, j'étendrois bien loin ma reputation, avant qu'il fut peu; qu'il croyoit que je ne me mêlasse que de me battre, mais que puis qu'il voyoit par ce qu'il venoit d'entendre, que je me mêlois aussi de debaucher les femmes d'autrui, il eut à m'avertir de sa part, que le Roi ne trouvoit bon ni l'un ni l'autre. C'étoit une correction qu'il vouloit bien me donner, d'autant plus qu'il affectoit de paroître homme de bien, soit qu'il le fut effectivement comme je n'en veux point douter, ou qu'il se contentât d'en garder les apparences. Il savoit qu'il se rendroit par là encore plus agréable au Roi, qui étoit un Prince fort craignant Dieu, & qui n'avoit jamais eu d'amourettes. En effet comme sa Majesté, qui se voyoit d'une santé languissante, ne croyoit pas avoir encore long-tems à vivre, elle songeoit de bonne heure à finir sa vie Chrêtiennement, afin de ne pas avoir tant de lieu d'apprehender ce dernier moment, qui doit faire encore plus trembler les Rois que les autres, à cause de la quantité d'affaires qui leur passent par les mains. Et à la verité plus on s'est mêlé de choses, plus le compte que l'on a à en rendre doit être grand; même quand il n'y auroit que le sang, que les plus pacifiques font verser dans les guerres qu'ils entreprennent, cela est plus que suffisant pour les troubler, quand ils viennent à y penser serieusement. Athos crut quand il entendit parler Mr. de Treville de la sorte, qu'il n'y avoit pas pour moi grand secours à esperer de lui en cette occasion. Ainsi il ne savoit presque que lui repliquer en ma faveur, & il vit bien qu'on devoit se donner patience un moment, quand on vouloit juger sainement de toutes choses. Mr. de Treville après lui avoir dit cela y adjouta ensuite, que bien que mon crime, & celui de cette femme ne meritassent pas, que personne s'interessât pour nous, il étoit juste néanmoins de le faire par rapport au pauvre mari, qui étoit assez malheureux d'être cocu & battu, sans qu'on prit encore la peine de le ruiner, qu'il en parleroit à son beau-frere, & que devant qu'il fut peu, il lui donneroit soulagement. Ce beau frere étoit Conseiller à la grand Chambre, & comme ces Magistrats commençoient déja à avoir un grand credit, ce qui augmenta encore beaucoup depuis; & ce qui a duré jusques à ce qu'il ait plu au Roi, comme je le dirai tantôt, d'y mettre des bornes, celui-ci sans autre façon s'en fut lui même au Châtelet, où il commanda qu'on lui amenât le prisonnier. Le Geollier ordonna en même tems à ses Guichetiers de l'aller chercher, & étant venu dans une chambre où l'on avoit fait entrer ce Magistrat, il lui demanda en presence du Geollier, pourquoi il avoit été arreté. Le prisonnier lui répondit, que c'étoit parce que ne pouvant souffrir de bon coeur qu'on le fit cocu, il avoit voulu écarter de sa maison celui qui lui faisoit cette honte; que cela avoit causé quelque bruit dans le quartier, & que le Commissaire s'étant transporté chez lui, dans le moment, au lieu de prendre le parti de la justice, il avoit pris celui de l'adultere de sa femme; qu'ainsi il l'avoit amené en prison, sans qu'il eut voulu jamais entrer dans les justes raisons qu'il avoit de faire tout ce qu'il avoit fait. Le Magistrat qui avoit été averti par son beaufrere de la verité de toutes choses, mais qui n'avoit garde de le confirmer dans ses soupçons, parce que c'eut été l'animer encore davantage contre sa femme & contre moi, lui repliqua que quelque apparence qu'il y eut souvent à bien des choses, il ne falloit pas en juger selon sa premiere pensée; que quand on venoit à les approfondir elles changeoient souvent de nature, sur tout quand il s'y agissoit de jalousie, comme en cette occasion; que d'ailleurs les visions connuës étoient frequentes à bien des gens, quoi qu'il y eut souvent plus d'entêtement que de realité; que le métier de Cabaretier qu'il faisoit étoit cause que sa femme étoit exposée aux discours de ceux qui hantoient son Cabaret; que ce n'étoit pas à dire pour cela qu'elles ne fut pas sage, quand même elle feroit la mine d'y prêter l'oreille; qu'il devoit croire bien plûtôt que ce n'étoit qu'afin de ne pas perdre la chalandise de ces causeurs, sans pourtant avoir envie de leur peau, qu'il n'avoit pas bien fait de prendre l'allarme si chaudement pour si peu de chose, & qu'il en seroit toûjours blâmé par les gens sages; qu'au surplus il ne laissoit pas d'avoir pitié de son sort, c'est pourquoi il vouloit le tirer d'affaire, pourveu qu'il lui voulut promettre d'être plus prudent à l'avenir; qu'il vouloit qu'il se raccommodât avec sa femme; qu'elle apartenoit à d'honêtes gens, comme il savoit; c'est pourquoi il devoit croire qu'elle n'étoit pas personne à se deshonnorer elle même, ni à le deshonnorer en même tems. Le prisonnier qui s'envoyoit déja beaucoup d'avoir un pourpoint de pierre, & qui d'ailleurs craignoit, que la Justice ne mangeât tout ce qu'il avoit, & ne le mit sur le pavé, lui promit tout ce qu'il voulut. Le Magistrat le voyant si bien ressigné à sa volonté, commanda au Geollier de lui aporter son registre, & l'ayant dechargé en même tems, selon le pouvoir que s'en attribuoient, en ce tems-là, les Conseillers de la grand Chambre, il le fit sortir de prison, sans autre forme de procès. Il l'amena chez lui après cela, où ayant fait venir sa femme, il les mit en presence l'un de l'autre, après que Mr. de Treville & lui eurent fait une correction en particulier à celle-ci. Ils l'emboucherent bien cependant tous deux, devant que de la faire passer où étoit son mari. Ils lui dirent que quoi qu'ils ne voulussent pas croire qu'elle fut coupable, comme elle se pouroit trouver toute surprise & toute étonnée devant lui, il falloit qu'elle lui soutint que tout son crime, n'étoit que d'être obligée par le métier qu'elle faisoit de faire bonne mine à tout le monde; qu'elle pouvoit lui dire aussi, qu'il n'avoit qu'à la mettre en état de n'ouvrir sa porte à personne, & qu'il verroit bientôt qu'il ne lui seroit pas difficile de le contenter. Le mari fit semblant de se payer de ces excuses, afin de ne se pas montrer ingrat de la grace qu'il venoit de recevoir du Magistrat. Il avoit besoin cependant qu'il lui en fit encore une autre, qui étoit de lever la garnison de chez lui. C'est ce qui fut fait le lendemain, de sorte que toutes choses se fussent trouvées alors au même état qu'elles étoient, il y avoit huit jours, s'il m'eut été permis comme auparavant de retourner voir ma maîtresse; mais outre que le scandale qui étoit arrivé me le défendoit suffisamment; Mr. de Treville me le défendit encore, après m'avoir fait une grande mercuriale. Je n'osai passer ses ordres de quelque tems; mais comme quand on est jeune comme je l'étois, & dans une plaine vigueur, on ne voit rien de comparable à l'amour, j'oubliai bien-tôt sa défense pour contenter ma passion. Je vis dix ou douze fois la Cabaretiere chez une de ses bonnes amies, sans que son mari s'en doutât. Elle voulut que je fisse agir Athos pour être payé de ce qu'il lui devoit, afin que s'il venoit encore à se brouiller avec elle, j'eusse du moins cet argent pour la secourir dans son besoin. Je lui promis de faire tout ce qu'elle voudroit, mais dans le dessein néanmoins de n'executer que la moitié de ma promesse. Je fis bien demander à la verité mon payement à mon debiteur, mais je ne voulus pas qu'on le mit sur le careau, s'il n'étoit pas en état de me payer. Cela fit trainer la chose pendant quelque tems, ce qui ne me déplut pas, parce que comme le Cabaretier ne pouvoit trouver mauvais qu'Athos fut chez lui, tant qu'il resteroit son debiteur, j'avois moyen par là de faire tenir tant de lettres que je voulois à ma maîtresse. L'hiver s'étant passé de cette maniere, le Roi envoya une partie de son Regiment des Gardes en Roussillon, dont on avoit ébauché la conquête dès la Campagne precedente. Cette petite Province nous étoit absolument necessaire pour la conservation de la Catalogne, où l'on ne pouvoit rien transporter que par mer, tant qu'elle demeureroit aux Espagnols. Car comme elle est située entre le Languedoc & elle, & même en deça des Pyrennées, & que c'étoit du seul Languedoc, qu'on pouvoit tirer toutes les choses dont la Catalogne avoit besoin, il falloit s'afranchir de cette necessité, qui étoit d'autant plus grande que les Espagnols étoient en ce tems là, bien aussi forts que nous par mer. Le reste de nôtre Regiment demeura auprès du Roi pour l'accompagner dans cette expedition, où il vouloit s'acheminer lui même, ce qui étoit pourtant fort extraordinaire, parce que des Troupes après avoir fait un si long voyage devoient être assez fatiguées, pour avoir plus de besoin de repos, que de se charger d'un nouveau travail; aussi y avoit-il du mystere à tout cela, & c'est ce que je dois éclaircir ce me semble avant que de passer outre. Mr. le Cardinal de Richelieu étoit assurément un des plus grands hommes qu'il y eut eu depuis long-tems, non seulement en France, mais encore dans toute l'Europe. Cependant quelque belles qualitez qu'il eut, il en avoit quelques unes de mauvaises, comme de trop aimer la vengeance & de dominer par dessus tous les grands, avec une puissance aussi absoluë que s'il eut été le Roi lui même. Ainsi sous pretexte d'élever l'authorité Royale au plus haut point, il avoit tellement élevé la sienne en se servant de son nom, qu'il s'étoit rendu odieux à tout le monde. Les Princes du Sang dont il avoit commencé à abbaisser la puissance, que le Roi d'aujourd'hui a achevé de detruire entierement, ne le pouvoient souffrir, parce qu'il n'avoit pas eu plus de consideration pour eux, que pour tout le reste. Le Duc d'Orleans qui avoit toûjours conspiré contre luit toutes les fois qu'il en avoit trouvé l'occasion étoit encore tout prêt à le faire, quand elle se trouveroit: pareillement le Prince de Condé ne l'aimoit guéres d'avantage, quoi qu'il eut marié le Duc d'Anguien à sa nièce: les Grands dont il s'étoit toûjours declaré l'ennemi, avoient les mêmes sentimens pour son Eminence: enfin les Parlemens ne lui vouloient pas moins de mal, parce que comme j'ai dit ci devant, il avoit retranché leur authorité par l'établissement des Commissaires qu'il faisoit nommer, quand il s'agissoit de faire le procès à quelqu'un, & par l'élevation du Conseil à leur prejudicel. Ce Ministre, qui étoit le plus politique de tous les hommes, s'étoit servi adroitement de la jalousie, que le Roi portoit au Duc d'Orleans pour lui faire approuver toutes ces nouveautez. Il lui avoit fait approuver de cette maniere tout ce qu'il avoit entrepris contre lui. Il n'y avoit même trouvé aucune difficulté, parce qu'il avoit tout coloré du bien public, qui étoit un pretexte merveilleux pour lui. Pour ce qui est de l'abbaissement des autres, le Roi y avoit encore consenti facilement, parce qu'il lui avoit fait entendre qu'il y trouveroit son compte, comme en effet c'étoit la verité. Le Roi n'étoit pas si peu éclairé qu'il ne vit bien que plus il les abbaisseroit aussi-bien que les Parlemens, plus son authorité en deviendroit formidable, puis qu'il n'y avoit qu'eux qui fussent en état de s'y opposer. Cependant, comme ce Ministre savoit que malgré l'avantage que le Roi y trouvoit, il étoit sujet aisément à prendre ombrage de tout ce qui venoit de lui, il avoit eu soin toûjours d'avoir auprès de Sa Majesté des gens qui rejettassent les mauvaises impressions qu'on lui pouvoit donner de sa conduite, sur la haine que lui causoit son attachement à ses interêts. Il y avoit alors auprès du Roi un jeune homme qui n'étoit encore que sur sa vingt & uniéme année, mais qui ne laissoit pas d'y être en grand credit. C'étoit un fils du Marêchal Deffiât qui dès l'âge de dix-sept ans avoit été fait Capitaine aux Gardes, puis Maître de la Garderobe de Sa Majesté, & enfin grand Ecuyer de France, jamais fortune ne fut égale à la sienne. Le Roi ne pouvoit demeurer un moment sans lui; dés qu'il le perdoit de vûë il l'envoyoit chercher tout aussi-tôt. Il le faisoit même coucher avec lui comme il eut pu faire une Maîtresse, sans prendre garde qu'une si grande familiarité, & sur tout avec une personne de cet âge-là, qui étoit fort different du sien, avoit non-seulement quelque chose qui repugnoit à la Majesté Royale, mais qui étoit encore sujet à l'en faire repentir. En effet comme la prudence & la jeunesse sont rarement d'accord ensemble, tout étoit à craindre d'un jeune homme qui se méconnoissoit déja si fort, qu'au lieu de tacher par ses complaisances de mériter l'honneur que lui faisoit Sa Majesté, il étoit téméraire quelque fois, ou pour mieux dire, si insolent qu'il ne feignoit de dire à ses amis qu'il eut voulu être moins bien dans son esprit & avoir plus de liberté; & on n'osoit rapporter au Roi un discours comme celui là, de peur plûtôt de lui déplaire que pour l'amour de ce favori: car comme la charité ne regne gueres à la Cour, sa faveur faisoit assez de jaloux pour leur inspirer le dessein de la perdre s'il n'y eut eu que cela qui les eut retenus. Ce jeune homme portoit le nom de Cinqmars qui étoit celui d'une terre que son Père avoit dans le voisinage de la Riviere de Loire. Le Cardinal l'avoit lui-même installé à la Cour comme un instrument dont il feroit tout ce qu'il voudroit, parce qu'il étoit ami de son pere, à l'élevation de qui il n'avoit pas peu contribué. Car la Maison d'Essiat, bien loin d'être une des plus anciennes du Royaume étoit si nouvelle qu'elle avoit tout lieu d'être contente de sa fortune par rapport à son origine. Toutes ces raisons obligeoient donc ce favori à demeurer dans une grande union avec le bien-faiteur de son Pere, & le sien particulier, mais voulant être Duc & Pair & êpouser la Princesse Marie qui étoit fille du Duc de Nevers, & qui fut depuis Reine de Pologne, il ne vit pas plûtôt que le Cardinal s'y opposoit sous main, & même quelque fois ouvertement, qu'il oublia tous ses bien-faits avant qu'il fut peu. Son ingratitude donna d'autant plus de chagrin à Son Eminence qu'elle le voyoit bien auprès du Roi, elle craignit qu'au lieu de lui rendre service comme il lui avoit promis lors qu'elle l'avoit mis auprès de Sa Majesté, il ne fut capable de lui nuire. Ainsi la haine & la jalousie qu'il commcençoit à lui porter augmentant de moment à autre, les choses commencerent tellement à s'envenimer entr'eux qu'ils ne se purent plus souffrir l'un l'autre. Le Roi qui n'aimoit point du tout le Cardinal fut bien aise de leur mesintelligence, & prit plaisir à tout ce que son favori lui peut dire contre lui. Cependant comme malgré cette haine il voyoit que ce Ministre lui étoit absolument necessaire, pour le bien de son Royaume, il ne laissa pas toûjours de s'en servir, quoique Cinqmars lui donnât de tems en tems diverses attaques pour lui faire donner sa place à un autre. Au reste ce favori voyant que le Roi y faisoit la sourde oreille, & que ce Ministre s'opposoit plus que jamais à ses desseins, en sorte que quelque bien qu'il fut avec Sa Majesté il n'en pouvoit obtenir ni la Princesse Marie qu'il aimoit passionnément, ni un Brevet de Duc & Pair, il resolut de se défaire de son Eminence, en le faisant assasiner, puis qu'il n'y avoit pas moyen de s'en defaire autrement. Il résolut donc de le tuer, croyant que quand il auroit fait ce coup-là il ne lui seroit pas difficile d'obtenir sa grace d'un Prince qui l'aimoit non-seulement, mais qui haïssoit encore mortellement son ennemi. En effet il croyoit avoir rémarqué que si Sa Majesté ne le chassoit pas d'auprès d'elle, c'étoit bien moins manque de bonne volonté que parce qu'elle l'apprehendoit. Elle lui avoit répondu effectivement, quand il lui en avoit parlé, que ce qu'il lui proposoit là étoit bien difficile, qu'il ne faisoit pas reflexion que ce Ministre étoit maître de toutes les places de son Royaume & de toutes les armées tant de mer que de terre; que c'étoit ses parens & ses amis qui les commandoient, & qu'il pouvoit les faire revolter contr'elle toutes fois & quantes que bon lui sembleroit. Il croyoit donc que quand il l'auroit tué le Roi seroit bien aise tout le premier d'en être défait, bien loin de songer à le venger; ainsi se confirmant toûjours de plus en plus dans son dessein, il ne songea qu'à mettre Treville dans ses interêts afin d'être plus assuré de son coup. L'interêt que celui-ci avoit à desirer la perte du Cardinal qui s'opposoit de toutes ses forces que le Roi l'avançât aux plus grands honneurs, comme Sa Majesté témoignoit le désirer, lui fit croire avec assez de vraisemblance que lui faire cette proposition & la voir accepter en même-tems seroient une même chose en lui. Mais Treville qui étoit sage & prudent lui répondit quand il lui en parla qu'il ne s'étoit jamais mêlé d'assassiner personne, & que c'étoit tout ce qu'il pouroit faire si Sa Majesté lui témoignoit elle-même qu'il y allât du bien de son Etat. Cinqmars lui repliqua que s'il ne tenoit qu'à le lui faire dire, la chose seroit bien-tôt faite, qu'il s'en faisoit fort avant qu'il fut deux fois vingt-quatre heures, & qu'il ne lui demandoit sa parole qu'à cette condition. Treville la lui donna sans faire trop de reflexion à ce qu'il faisoit. Cependant soit qu'il ne le fit, que parce qu'il ne crut pas que le Roi consentit jamais à pareille chose, lui qui ne faisoit que dire tous les jours qu'il étoit au desespoir d'avoir fait tuer comme il avoit fait le Marêchal d'Ancre, ou qu'il se laissât un peu trop aller à son ressentiment, Cinqmars n'eut pas plûtôt sa parole qu'il pressentit à Sa Majesté là-dessus. Le Roi qui étoit naturel lui avoüa qu'il ne seroit pas trop faché d'être défait de son Eminence, sans penser à quel dessein il lui faisoit cette proposition. Il crut que ce qu'il lui en disoit n'étoit qu'une chose en l'air, & comme quand l'on demande à quelqu'un, si l'on seroit joyeux ou faché que telle ou telle chose arrivât. Quoi qu'il en soit Cinqmars tirant avantage de cette réponse, fut retrouver Treville, & lui dit qu'il concourut avec lui à persuader à Sa Majesté de garder auprès d'elle une partie de son Regiment des Gardes, parce qu'ils en pouroient avoir besoin avant qu'il fut peu pour executer leur coup: qu'il lui permettoit cependant de tâter le Roi, sur ce qu'il lui avoit dit, en attendant qu'il lui fit faire en paroles formelles l'aveu qu'il lui avoit dit que Sa Majesté lui feroit. Treville qui eut été bien aise aussi-bien que lui d'être defait du Cardinal mit dés le même jour Sa Majesté sur son Chapitre. Elle ne lui répondit rien qui ne fut conforme à ce que Cinqmars avoit tâché de lui persuader. Ainsi s'étant acquitté dès ce jour-là de la promesse qu'il lui avoit faite de porter le Roi à faire rester une partie de nôtre Regiment pour la seureté de sa personne, Sa Majesté commanda elle-même au Colonel des Gardes de faire rester quelques compagnies de son Regiment auprès de lui, pendant que les autres prendroient le chemin du Roussillon. Mr. de Treville fit en sorte que celle de son beaufrere fut du nombre de celles qui ne s'en iroient point. Il s'y fioit plus qu'à tout autre, & dans un coup de la conséquence de celui où il s'engageoit, il lui étoit important de savoir qu'il ne seroit ni abandonné ni trahi. Cinqmars qui tout jeune qu'il étoit savoit déja tout le manege que l'on apprend à la Cour à force de routine, Cinqmars, dis-je, qui savoit déja tromper adroitement & faire passer pour des veritez des mines & des oeillades, crut qu'au lieu de faire dire à Treville tout ce qu'il lui avoit promis, il lui suffisoit de lui faire témoigner par le Roi les mêmes choses qu'il lui avoit dites. Treville qui en avoit oui dire tout autant au Roi, non pas une seule fois, mais plus de cent n'en fut pas si content qu'il pensoit. Il souhaitta que Sa Majesté s'en expliquât plus positivement avec lui, & la chose ayant trainé jusques à son depart, ils résolurent qu'ils excuteroient leur coup à Nemours. L'un ne s'y obligea que sous promesse que l'autre lui fit toûjours de lui faire dire par le Roi ce qu'il lui avoit promis; & l'autre le faisant, parce qu'il croyoit toûjours l'amuser & l'obliger insensiblement à faire la chose sans y faire une grande reflexion. Quand la Cour fut arrivée à Melun, Treville ayant sommé Cinqmars de sa parole, celui-ci le remet à Fontainebleau où le Roi devoit séjourner un jour. Il en parla effectivement à Sa Majesté & la pressa même d'y consentir, mais le Roi ayant cette proposition en horreur, & lui ayant fait réponse qu'il n'y pensoit pas d'oser seulement lui en parler, il la cacha à Treville & lui dit que Sa Majesté lui avoit répondu qu'on devoit entendre les choses à demi mot, sans obliger un Roi à faire un commandement comme celui-là; que c'étoit ainsi qu'en avoit usé le Marêchal de Vitry, quand il l'avoit defait du Marêchal d'Ancre; que le Connétable de Luines n'avoit fait que lui dire, qu'il étoit bien assuré qu'on l'obligeroit fort si l'on ôtoit du monde ce Marêchal dont il n'avoit pas lieu d'être content, qu'il n'y avoit répondu ni oui ni non, mais que ç'en avoit été assez pour le Marêchal qui avoit toûjours oui dire, que quand on ne s'opposoit pas formellement à une chose c'étoit y donner un consentement: qu'au reste il savoit assez quel étoit le sentiment du Roi là-dessus, sans vouloir l'obliger, sans une indiscretion nompareille, à ce qu'un sujet ne devoit jamais exiger de son Prince. Treville ne fut point content du tout de cette réponse, & bien que toutes les mesures fussent déja prises pour faire cet assassinât, il rompit tout d'abord qu'il vit que le Roi ne vouloit point consentir. Cinqmars à qui le Cardinal continuoit toûjours de faire paroître sa méchante volonté, en fut au desespoir, parce qu'il pretendoit que quand il l'auroit ôté une fois du monde, il ne trouverait plus d'obstacle ni à son amour ni à son ambition, ainsi persistant à s'en vouloir défaire à quelque prix que ce fut, il fit faire un poignard pour le tuer lui-même. Il le pendit au pommeau de son épée comme c'étoit la coutume de ce tems-là, ce qui surprit assez toute la Cour, qui savoit que si à la verité cette coutume s'étoit introduite c'étoit plûtôt à l'égard des gens de guerre que des Courtisans. Le Cardinal se défia, il fut averti par quelqu'un de son dessein. Cela l'obligea de se tenir sur ses gardes, & de se trouver le moins qu'il pouroit tête à tête avec lui. Le hazard voulut neanmoins qu'il s'y trouva par deux fois durant le chemin, mais quelque resolution qu'eut pris ce favori, il se trouva si interdit quand il fut question d'executer son coup, qu'il n'eut pas la force de mettre la main au poignard, qu'il n'avoit fait faire néanmoins que pour lui ôter la vie. La Cour ayant achevé ce voyage à petites journées, le Cardinal qui voyoit que le Roi se laissoit aller aux méchans conseils de son favori, en tomba malade de chagrin. Il fut ainsi obligé de s'arrêter à Narbonne, où croyant mourir, il adjouta à son Testament qu'il avoit fait, il y avoit déja long tems, qu'il avoit quinze cent mille francs au Roi, dont Sa Majesté ne savoit rien; qu'il avoit crû, dès le commencement de son Ministere, être obligé de faire ce petit fonds, pour subvenir à point nommé aux nécessitez de l'Etat; qu'il s'en étoit fort bien trouvé en plusieurs rencontres, & que comme ce n'avoit jamais été dans la veuë d'en faire son profit, mais bien celui de Sa Majesté, il esperoit qu'elle lui en seroit plus obligée que scandalisée. Néanmoins Mr. de Cinqmars qui après n'avoir osé s'en défaire de la maniere qu'il avoit projetté, n'oublioit rien pour le perdre, fit tout ce qu'il put pour rendre cette reserve suspecte. Il montra à Sa Majesté qu'il n'en eut jamais parlé, s'il n'eut cru mourir, & que ce n'étoit que la crainte des jugemens de Dieu qui la lui avoit fait avoüer. Le Cardinal après avoir eu quelque relâche s'en vint au Camp devant Perpignan, où le Roi s'étoit déja rendu depuis quelques jours. Cette place étoit assiégée avant qu'il y vint, par les Marêchaux de Schomberg & de la Meilleraye. Mais quoi que le premier fut l'ancien, le second avoit presque tout l'honneur de ce qui se passoit. Cela deplaisoit à l'autre qui étoit d'une bien plus grande qualité, & comme il attribuoit cette preference à la parenté, qui étoit entre le marêchal de la Meilleraye & le Cardinal, il se declara secrêtement ennemi de l'un & de l'autre. Ainsi sçachant que Cinqmars n'étoit pas des amis du Cardinal, il entra dans de secrêtes liaisons avec lui. La venuë du Cardinal changea l'esprit du Roi à son égard. Comme ce Prince, bien loin d'être immuable dans ses sentimens, comme nous voyons aujourd'hui le Roi son fils, avoit cela de mauvais en lui, qu'il se laissoit aller aisément à ceux qu'il voyoit les derniers; sa confiance se ranima tout d'un coup pour son Eminence. Il est vrai que le Marêchal de la Meilleraye, dont le Roi croyoit avoir besoin en cette rencontre, ne servit pas peu à son Eminence, pour la raccommoder avec Sa Majesté. Il lui fit entendre que ce que les ennemis de ce Ministre publioient touchant la reserve dont je viens de parler, étoit honteux seulement à penser, d'un homme qui s'étoit toûjours sacrifié pour les interêts de l'Etat; qu'à plus forte raison, il y avoit de l'insolence à le debiter, puisque cette calomnie se détruisoit d'elle même; que sans cette précaution l'on n'eut pas repris Corbie si aisément que l'on avoit fait, en 1636. ni forcé quelques années auparavant le pas de Suse: que ce secrêt devoit être permis à un Ministre, parce que l'on savoit bien que quand un Prince étoit assuré qu'il y avoit de l'argent dans son trésor, c'étoit le premier qu'il faisoit prendre, sans se mettre en peine bien souvent s'il n'en auroit point affaire à l'avenir. Le Marêchal qui ne faisoit que de prendre Couilloure, Port de mer sur la Mediterranée à l'extrémité du Roussillon, & qui étoit encore sur le point de faire la même chose de Perpignan, s'étant rendu encore plus persuasif par là, que par toutes les raisons qu'il rapportoit pour prouver son dire; Cinqmars en conçut tant de rage que la tête lui en tourna. Au lieu d'attendre que le Roi changeât encore de sentiment, suivant cette vicissitude ordinaire qui paroissoit dans la plûpart de ses actions, il resolut de faire entrer en France une Armée d'Espagnols. Il savoit qu'ils seroient toûjours prêts à le faire, d'abord qu'ils en seroient requis, par quelque personne en qui ils pussent prendre confiance, ainsi ne s'étant plus attaché qu'à mettre dans son parti des gens aussi mal intentionnées que lui, il fit aprouver sa resolution au Duc d'Orléans, & au Marêchal de Schomberg. Le Duc de Bouillon qui étoit toûjours prêt à brouiller l'Etat, par les raisons que nous avons deduites ci-dessus, entra aussi dans cette conspiration. Au reste n'étant plus question, que de la faire réüssir, Fontrailles, qui étoit des amis de Cinqmars, & à qui il avoit fait part de son secrêt, fit semblant de prendre querelle contre un des principaux Officiers de l'Armée, afin d'avoir sujet de là de passer en Espagne. La chose s'executa de même qu'ils l'avoient resoluë ensemble, Fontrailles ayant non seulement querellé devant bien du monde, celui dont je viens de parler, mais l'ayant encore appellé en duel, il ne sçut pas plûtôt qu'il y avoit ordre de l'arrêter, comme il étoit impossible que cela arrivât autrement, après l'éclat qu'il avoit fait, qu'il s'en allât en Espagne. Quoi que Cinqmars prit des mesures si honteuses, & qui ne pouvoient manquer de le perdre dans l'esprit de Sa Majesté, il ne laissa pas de ramener auprès d'elle ses complaisances que l'on avoit veu sur le point de s'éteindre bien souvent. Le Roi raluma son amitié pour lui à cette veuë, & comme il savoit que Sa Majesté concevoit aisément du soupçon de peu de chose, il lui fit peur du pouvoir excessif, qui etoit entre les mains de son Eminence. Il lui dit qu'elle étoit maîtresse de la Mer, par l'Admirante qu'elle avoit mise dans sa maison; que sur Terre, elle n'étoit pas moins puissante; que le Marêchal de Bresé son beaufrere pouvoit, quand il voudroit, s'emparer de la Catalogne, dont elle lui avoit fait donner la Vice-Royauté; que l'Armée qui étoit presentement devant Perpignan, obéissoit aussi entierement au Marêchal de la Meilleraye, quoi qu'elle parût avoir encore un autre Chef; que ceux qui commandoient en Flandres étoient pareillement maris de ses nieces, tellement que comme la plûpart des Governeurs de Provinces, étoient encore entre les mains de gens qui lui étoient tout devouez, l'on pouvoit dire qu'il ne tenoit plus qu'à elle de s'emparer de sa Couronne. Il n'en falloit pas davantage au Roi pour le mettre aux champs; ainsi ayant fait dés le jour même à ce Ministre, le plus méchant visage que l'on sauroit jamais faire, son Eminence en fut d'autant plus étonnée, qu'elle savoit que Sa Majesté étoit bien éloignée de cette dissimulation que l'on voit d'ordinaire dans toutes les Cours. Ce fut encore bien pis les jours suivans, & Cinqmars voyant qu'il en prenoit l'allarme lui fit donner avis sous main, que s'il ne pourvoyoit de bonne heure à sa seureté, il lui en pouroit bien arriver pis que tout ce qu'on lui en pouvoit dire. Le Cardinal avoit toûjours paru ferme dans les plus fâcheux evenemens, qui étoient arrivez durant son ministere. Du tems de la prise de Corbie, ses ennemis faisant courir le bruit que les Peuples l'accusoient de tous les desordres de l'Etat, & que dès qu'il paroitroit public, ils l'immoleroient à leur ressentiment, il avoit si peu craint ces menaces qu'il étoit monté en carosse tout seul, & s'étoit allé promener par tout Paris. Mais s'il avoit été si hardi cette fois là, ce n'avoit été peut-être que parce qu'il savoit bien que tous ces bruits étoient faux, ou que les Peuples menacent bien souvent des gens en leur absence, devant qui ils tremblent, quand ils se trouvent une fois devant eux. Quoi qu'il en soit ce Ministre considerant qu'il n'en étoit pas de même en cette rencontre, où il avoit affaire à un favori, qui étoit non seulement insolent de sa faveur, mais encore capable de tout entreprendre contre lui, parce qu'il l'accusoit hautement de s'opposer lui seul à son amour & à sa vanité, il fit semblant d'être encore bien plus mal qu'il n'avoit été à Narbonne. Sous ce pretexte il demanda permission au Roi de s'y en retourner, & Sa Majesté le lui ayant accordé; au lieu de s'y arrêter, il passa jusques à Tarascon, parce qu'il ne s'y croyoit pas en seureté. Il avoit resolu même de se retirer plus loin, suivant les avis qu'il recevroit de la Cour, où il avoit encore quelques amis, malgré qu'il y eut fait pieces á bien du monde. Cinqmars ne le vit pas plûtôt parti que Mr. de Thou Conseiller d'Etat, à qui il avoit dit en secret comme à son ami particulier ce que Fontrailles étoit allé faire en Espagne, lui remontra qu'il s'étoit un peu trop pressé, qu'il lui conseilloit maintenant qu'il avoit donné la chasse à son ennemi de se contenter de ce Triomphe, sans persister dans un engagement qui le rendroit criminel auprès de Sa Majesté, si elle venoit jamais à le savoir; qu'il devoit faire revenir Fontrailles tout le plûtôt qu'il lui seroit possible, & lui mander de trouver un pretexte de rompre tout ce qu'il avoit ébauché. Cinqmars lui répondit que les choses étoient trop avancées presentement pour en venir là, que les Espagnols étoient gens à abuser de son secret, s'ils voyoient qu'il voulut se moquer d'eux. Il se servit même de ce terme (pour lui montrer qu'il n'en étoit plus le maître) que puis que le vin étoit tiré il le faloit boire; qu'aussi-bien le Roi vouloit tantôt une chose & tantôt une autre, de sorte qu'il n'y avoit nul fonds à faire sur la disposition presente de son esprit. Mr. de Thou ne put repliquer, voyant qu'il ne le payoit que de méchantes raisons, ou plûtôt d'une obstination qui le menaçoit si visiblement de sa perte. Il lui dit pourtant tout ce qu'il crut lui devoir dire là-dessus, mais cela n'ayant fait aucune impression sur lui, il laissa aller les choses selon leur courant, voyant qu'il ne pouvoit l'empêcher. Le Cardinal ne fut pas plûtôt arrivé à Tarascon que ses amis lui manderent que Cinqmars continuoit toûjours de le perdre dans l'esprit de Sa Majesté, qu'ils en faisoient des railleries continuelles ensemble, & que si cela venoit à durer ils ne savoient pas ce qui en arriveroit: qu'en effet on parloit déja de lui faire rendre compte de tous les deniers qui avoient été levez sous son ministere; qu'on l'accusoit hautement d'en avoir converti une partie à son profit particulier; qu'on faisoit, à propos de cela, sonner bien haut la depense qu'il avoit faite à Richelieu, à Ruel & au Palais Cardinal; qu'on disoit même que Sa Majesté ne lui devoit pas être bien obligée du don qu'elle lui faisoit de ce Palais par son Testament, parce que c'étoit plûtôt une restitution, qu'un don. Le Cardinal fut allarmé à ces nouvelles. Il les regarda comme les avant-coureurs de quelque disgrace qui ne pouvoit être que très-grande à son égard, parce que quand les Ministres viennent à tomber une fois ils ne tombent jamais que de bien haut. Néanmoins comme il trouvoit des ressources dans son esprit que tous les autres ne trouvoient pas, il le banda tellement qu'il vit quelque jour à pouvoir reveiller le besoin que Sa Majesté avoit toûjours eu de lui, quand il s'étoit presenté quelque affaire épineuse. Comme les ennemis étoient forts en Flandres, & que le Comte de Harcourt, & le Marêchal de Grammont, qui y commandoient chacun une armée separée l'une de l'autre, n'y étoient que sur la défensive, il manda à ce dernier de faire quelque fausse demarche dont il ne se pût retirer, que par une fuite honteuse. Il n'osa en demander autant à l'autre, parce que le soin de sa reputation qu'il avoit élevée au plus haut point par un nombre infini de grandes actions, le touchoit de plus près que le desir qu'il pouvoit avoir de lui plaire. Le Marêchal qui n'avoit pas tant de choses à ménager ne se montra pas si scrupuleux, il fit le pas que son Eminence vouloit qu'il fit, & les ennemis l'ayant chargé en même-tems, il prit si fort à tâche de se sauver que cette journée fut nommée la journée des éperons, autrement la défaite de Honrecourt. Le Roi n'eut pas plûtôt avis de cet accident qu'il n'eut plus d'envie de rire avec Cinqmars. Il regretta l'éloignement du Cardinal, dont il trouvoit que les conseils lui étoient absolument necessaires dans une rencontre comme celle-là. Il lui envoya même couriers sur couriers pour le faire revenir, lui mandant qu'il eut à pourvoir à la seureté de la Frontiere qui alloit être exposée au ravage des Espagnols, maintenant qu'ils ne trouveroient plus d'Armée pour leur faire tête. Le Cardinal ravi d'avoir si bien reüssi dans son dessein, ne partit ni à l'arrivée du premier Courier ni même à celle du second. Il voulut que le mal devint encore plus pressant avant que d'y apporter remede. Il laissa faire aux ennemis une partie de ce que l'on a accoutumé de faire quand on a remporté une grande Victoire. Le Roi qui se voyoit à plus de deux cent lieuës delà, & qui s'en étoit toûjours réposé sur lui de bien des choses, se trouvant encore plus incapable qu'auparavant d'y mettre ordre, lui envoya de nouveaux couriers par lui commander de hâter son depart. Il ne s'en pressa pas plus qu'auparavant, & ayant continué de faire le malade, il manda au Roi qu'il étoit dans un si pitoyable état qu'il lui étoit impossible de lui obeïr, sans se mettre en danger de mourir en chemin. Le chagrin qu'il avoit eu depuis quelque tems l'avoit si fort changé qu'il pouvoit faire accroire aisément ce qu'il lui plairoit de dire de sa maladie, outre que pour en dire la verité il avoit des hemorroïdes qui le desoloient depuis quelque-tems. Le Roi fut sur le point de partir tout aussi-tôt pour l'aller trouver, & il l'eut fait indubitablement si ce n'est que Cinqmars qui vouloit empêcher à quelque prix que ce fut qu'il ne le vit point lui dit, que s'il s'éloignoit du Camp tant soi peu, les affaires du siege, au lieu de bien aller seroient bien-tôt dans un étrange desordre. On lui dit à propos de cela que la jalousie qui regnoit entre le Marêchal de Schomberg, & le Marêchal de Meilleraie causeroit bientôt d'étranges revolutions; qu'il n'y avoit que sa presence seule qui le put empêcher, tellement que la Conquête ou la perte de cette place ne dépendoit que de la resolution qu'elle prendroit en cette occasion; que le Marêchal de la Meilleraie étoit haï terriblement de toutes les troupes, à cause de la vanité insupportable; qu'il avoit tous les jours des demêlez avec les principaux Officiers, si-bien que quand ce ne seroit que pour lui faire perdre la gloire qu'il pretendoit se donner de la prise de cette Ville, ils ne se soucieroient guéres d'y faire leur devoir. Ce discours qui étoit fondé sur l'apparence, parce qu'effectivement le Marêchal s'en faisoit beaucoup accroire, mit le Roi dans une étrange perplexité. Cependant dans le tems qu'il croyoit tout perdu, le Cardinal eut avis de ce que Fontrailles qui étoit revenu d'Espagne y avoit été faire. Cet avis lui vint d'Italie où étoit le Duc de Bouillon, à qui Sa Majesté avoit donné le commandement de ses armées en ce païs-là. On croit qu'il lui fut donné par un domestique de ce Duc qui étoit son Pensionnaire, & à qui son maître se confioit entierement, parce qu'il le croyoit bien éloigné de lui être infidèle. D'abord que le Cardinal l'eut reçû avec une copie du traité qui lui fut envoyée en même-tems, afin qu'il ne doutat point qu'il ne contint verité, il partit de Tarascon pour aller trouver le Roi. Mr. de Chavigny Secretaire d'Etat, que Cinqmars n'avoit jamais pû gaigner, donna avis à Sa Majesté de sa venuë. Il en avoit été averti lui-même par un Courier exprès, & qu'il apportoit avec lui dequoi confondre ses ennemis. Chavigny qui étoit des bons amis de Mr. de Fabert le lui dit en confidence, & celui-ci qui l'étoit du Marêchal de Schomberg lui en fit part, afin qu'il renonçât de bonne heure à l'amitié d'un homme qu'il croyoit perdu. Il savoit le particulier qu'il avoit depuis quelque tems avec Mr. de Cinqmars, & il ne doutoit pas que son avis ne lui dut être agréable, parce qu'il avoit encore assez de tems pour en profiter. Le Marêchal fut bien surpris quand il entendit parler de la sorte Fabert, qui étoit un homme sincere & incapable d'en donner à garder à personne. Il envoya chercher un moment après Fontrailles, pour lui dire ce qu'il venoit d'apprendre. Fontrailles lui répondit que ce qu'il lui disoit-là ne le surprenoit point, & qu'il avoit déja soupçonné qu'il y avoit quelque chose de conséquence sur le tapis, parce que depuis quelques jours, le Roi ne faisoit plus si bonne mine à Cinqmars, qu'il avoit accoutumé de lui faire. Il disoit vrai, mais sans que la nouvelle que le Marêchal venoit de lui apprendre en fut cause: Tout le chagrin de Sa Majesté ne venoit que de la défaite du Maréchal de Grammont. Cependant, comme tout fait peur quand on se sent coupable, il n'en falut pas davantage à l'un & à l'autre pour leur faire prendre leur parti. Le Marêchal, sous pretexte d'être malade, quitta l'armée pour voir de loin sur qui l'orage dont on étoit menacé viendroit à fondre; Fontrailles en fit tout autant, après avoir tâché de persuader à Cinqmars de ne pas attendre la foudre. Le Cardinal étant arrivé devant Perpignan n'eut pas plûtôt instruit le Roi de ce qu'il avoit découvert, que Sa Majesté fit arrêter Cinqmars. On envoya ordre aussi en même-tems d'arrêter Mr. de Bouillon. Mr. de Couvonges que le Comte du Plessis, qui commandoit en ce païs-là les troupes du Roi, avoit chargé de cet ordre, l'executa fort adroitement. Mr. de Thou fut arrêté, & celui-ci ayant été conduit à Lion avec Mr. de Cinqmars, leur procès leur fut fait & parfait. Ils furent condamnez tout deux à perdre la tête, celui-ci pour avoir voulu faire entrer les ennemis dans le Royaume, celui là pour en avoir eu connoissance & ne l'avoir pas revelé. Pour ce qui est de Mr. de Bouillon on parloit bien de lui faire la même chose, mais comme il avoit dequoi racheter sa vie, il en fut quitte pour donner sa place de Sedan. Fabert qui faisoit sa Cour au Cardinal depuis plusieurs années, fut pourvû de ce Gouvernement que plusieurs Officiers plus considérables que lui demandoient. Le Cardinal ne survecut guéres à ce triomphe: les Hemorroïdes continuant toûjours de lui faire mille ravages, il ne pût plus n'y s'asseoir ni même durer dans une même situation. Ainsi il fut obligé de se faire rapporter du Roussillon par des Suisses qui le portoient sur leurs épaules. Dans tous les lieux où il logea on l'entra par les fenêtres qu'on élargissoit à proportion du besoin que l'on en avoit, afin de l'y faire passer plus commodément. On l'amena ainsi jusques à Rouanne, où on le mit jusques à Briare dans un batteau; de Briare les Suisses recommencerent à le porter comme ils avoient fait auparavant, & étant arrivé de cette maniere à son Palais, il y mourut deux mois & vingt deux jours après avoir fait mourir Cinqmars & de Thou. Perpignan se rendit au Marêchal de la Meilleraie que le Roi ne faisoit encore que d'arriver à Paris, & il prit Salée ensuite, pendant que nôtre Régiment s'en revint à la Cour. Je vis pour la premiere fois, lors que j'étois encore devant Perpignan, le Cardinal Mazarin à qui le Roi avoit Procuré la pourpre deux ans auparavant, mais qui n'en reçût la _Barethe_ que lors que nous étions encore à ce siege. Sa fortune a été si prodigieuse qu'il y a quantité de Souverains dont les richesses n'ont jamais approché des siennes; aussi n'y a-t-il jamais eu d'homme qui se soit prevalu comme lui du poste où il fut bientôt placé. Il y a cependant lieu de s'étonner comment il put resister au grand nombre d'ennemis & de jaloux qu'il se fit bientôt par sa haute conduite; mais ce qu'il y a encore de plus étonnant ce me semble, c'est qu'un Peuple qui a toûjours aimé la liberté autant que le nôtre, ait jamais pû souffrir de se voir la proye de son avarice. Le Roi l'avoit mis de son Conseil après quelques services qu'il avoit rendus en Italie; & comme il avoit l'esprit souple, le Cardinal de Richelieu à qui il avoit grand soin de faire sa Cour, l'employa bientôt dans des affaires de grande importance. Le Roi le chargea d'aller prendre possession de la Ville de Sedan, & y ayant installé Fabert il s'en revint en Cour où la mort de ce premier Ministre arriva bientôt après. L'on crut, d'abord qu'il fut mort, que comme le Roi ne l'avoit jamais guéres aimé, sa famille ne seroit pas long-tems dans le lustre où il l'avoit mise. Mais Sa Majesté qui prevoyoit que si elle faisoit un coup comme celui là, ce seroit témoigner trop ouvertement, comme on l'avoit dit souvent dans le monde, que ce Ministre l'avoit toûjours tenuë en tutelle, & qu'il n'y avoit que sa mort qui l'en eut fait sortir, elle l'y maintint non-seulement, mais lui accorda encore de nouveaux honneurs. Elle fit recevoir au Parlement le fils du Marêchal de Bresé Duc & Pair, ce qui ne plut point du tout à la Reine, qui ayant toûjours été maltraitée durant son ministere, esperoit que maintenant que son Eminence avoit les yeux fermez Sa Majesté la vengeroit elle-même de tout ce qu'elle lui avoit fait. Elle le croyait d'autant plus, qu'il sembloit qu'en la vengeant elle se vengeroit elle-même en même tems de quantité de choses, où l'on pouvoit dire qu'il avoit manqué de respect envers elle, comme dans les rencontres dont j'ai parlé ci-devant. Cependant quoi que le Roi usât de cette Politique à cet égard, cela ne l'empêcha pas de mettre en liberté quantité de Prisonniers que ce Ministre avoit fait arrêter sous divers pretextes. Il y en avoit quelques-uns entr'autres comme le Marêchal de Bassompiere & le Comte de Carmain qui étoient renfermez à la Bastille depuis dix ans, & à qui l'on n'eut jamais fait voir le jour, si le Cardinal eut toûjours vécu; mais bien que Sa Majesté ne le fit que pour rejetter sur lui la cause de leur prison, & se disculper par là de la haine publique, il arriva qu'en voulant acquerir la réputation d'un Prince rempli de bonté, puis qu'il rendoit la liberté à des malheureux, qui ne l'avoient perduë que parce qu'ils avoient osé déplaire à ce Ministre, elle acheva de persuader à tout le monde, comme on le croyoit déja tout aussi-bien, qu'elle n'avoit jamais eu la force de gouverner son état par elle-même. En effet elle n'eut jamais souffert qu'on leur eut fait cette violence si elle se fut montrée maîtresse comme elle devoit l'être. C'est ce que tous ses bons sujets, qui avoient beaucoup souffert sous ce Cardinal desiroient qu'elle fit, mais à quoi ils ne purent jamais parvenir tant qu'elle vécut. Ce qu'il y a d'assez extraordinaire en cela, c'est que ce Ministre avoit joint souvent la raillerie à la violence envers ceux qu'il prenoit à tâche d'opprimer. Madame de St. Luc qui étoit soeur du Marêchal de Bassompiere l'étant allé voir plusieurs fois pour le prier de vouloir addoucir les peines de son frere, il avoit feint, comme il y avoit bien à dire qu'elle n'eut autant d'esprit que lui, d'être le premier à y entrer: ainsi en lui parlant là dessus il lui avoit demandé, comme elle lui disoit qu'il étoit malade, si ce n'étoit point qu'il s'ennuyât. C'étoit une plaisante demande à faire d'un homme qui étoit renfermé depuis dix ans entre quatre murailles, & sur tout d'un homme qui avoit été autant du monde que l'avoit été ce Marêchal: aussi Mr. de S. Luc, & tous ceux que prenoient part dans le malheur de ce prisonnier ne voulurent plus qu'elle retournât voir son Eminence, trouvant qu'il y avoit tout autant de peine, & même peut-être d'avantage, à souffrir cette insulte que la violence qu'il faisoit au Marêchal. D'abord que je fus de retour à Paris la cabaretiere mit en usage toute sorte d'industrie pour me voir malgré son mari, elle me donna divers rendez-vous, tantôt chez une de ses amies tantôt chez une autre &c. Ce pauvre jaloux avoit toûjours toute aussi méchante opinion que jamais de sa femme, & comme le parti qu'ils avoient pris l'un & l'autre de ne plus coucher ensemble mettoit encore une plus grande aversion entr'eux, il ne songea qu'à la surprendre en flagrant delit, afin d'avoir lieu de la faire raser & de la mettre dans un couvent. C'est pourquoi il fit semblant que son Commerce l'appelloit en Bourgogne. Et prepara toutes choses comme s'il eût eu effectivement envie d'y aller: ainsi pendant que nous croyons qu'il alloit partir, il ne songeoit qu'à demeurer à Paris, afin d'observer lui même toutes nos demarches. Il fit cependant tout ce qu'il devoit faire, afin de nous mieux tromper. Il graissa ses bottes, accommoda sa valise, s'acheta un cheval & fit parti avec trois ou quatre Marchans de vin pour faire leur Voyage ensemble de Compagnie. Sa femme qui fut temoin de tout cela, me le dit dans un rendez-vous que j'eus avec elle. Nous n'étions encore alors qu'au commencement du mois d'Octobre, & la saison avoit été si chaude cette année là, que toutes les vendanges étoient déja faites. Par tout l'Automne étoit même toute aussi-belle que l'Eté l'avoit pu être, de sorte que je me souviens encore comme si ce n'étoit qu'aujourd'hui que le jour que le cabaretier fit semblant de partir il avoit fait ce jour là une si grande chaleur qu'à peine en avoit-il fait d'avantage à la S. Jean. Les soirées qui commencent d'ordinaire à être fraisches en ce tems là, ne l'étoient pas même encore devenuës, & on le va bien voir par ce que je vais dire tout presentement. Il faisoit d'ailleurs ce soir là un grand clair de l'une, & encore il sembloit que l'on fut en été, tant il y avoit de monde à toutes les promenades. Quoi qu'il en soit, comme les ténébres sont plus commodes aux amans que la lumiere, ce grand clair de lune ne m'eut point accommodé du tout, si j'eusse cru devoir apprehender quelque chose; mais étant hors de toute inquiétude là dessus je m'en fus sur le soir chez une confidente de ma maîtresse où je devois trouver la clef de sa chambre, afin que j'y pusse entrer devant qu'elle vint à s'y retirer. Cette confidente l'étoit allée voit une heure auparavant, & m'ayant fait souper avec elle, comme elles en étoient convenuës ensemble, je partis sur les neuf heures de sa maison pour m'acheminer à mon rendez-vous. Le mari faisoit le guet de l'autre côté de la ruë, tout vis-à-vis de sa porte. Il avoit le nez enveloppé dans un manteau d'écarlatte qu'il avoit acheté tout exprés à la fripperie pour se mieux déguiser. Il l'apperçus bien, quoi qu'il fut sur le pas d'une porte; mais comme je le croyois déja à plus de dix lieuës de là & que ce manteau le defiguroit encore si bien qu'il eut fallu être sorcier pour le reconnoître, il ne me vint pas seulement dans la pensée que ce fut lui. J'entrai donc dans l'allée de son logis, tout en sa presence, & comme il me reconnut mieux que je ne le reconnoissois, il fut ravi de se voir si près du tems qu'il attendoit de se pouvoir venger de sa femme & de moy; car il avoit resolu de me faire une méchant parti au hasard de tout ce qui lui en pourroit arriver. Il pretendoit, m'estropier tout du moins s'il ne me tuoit pas, & c'est ce que je sçu depuis de son garçon même qui lui avoit promis de lui prêter main forte pour l'exécution de son dessein. D'abord que je fus entré dans ce logis je montai le plus doucement qu'il me fut possible à la chambre où j'avois rendez-vous; elle étoit au second étage, parce que cet homme avoit laissé la premiere pour les escots de consequence, qui lui pouvoient venir: elle étoit même assez parée d'ordinaire; mais ne voulant pas que la justice pût mordre sur lui quand il auroit fait le coup qu'il pretendoit, il l'avoit fait démeubler la veille, sans que personne le sçut que son garçon. Il en avoit fait porter les meubles chez un cousin de ce garçon qui étoit un de ses locataires, & qu'ils avoient mis tous deux de leur secret. J'ouvris la porte de la chambre où je devois entrer, tout aussi doucement que j'étois monté le degré. Je la refermai sur moi tout de même, & me tins tout auprès sans bouger de ma place, tant, de peur de faire du bruit & que l'on ne m'entendit au dessous, que pour entendre moi même quand la cabaretiere monteroit. J'étois convenu avec elle de lui ouvrir cette porte d'abord qu'elle grateroit, & il falloit que je fusse ainsi tout auprès pour ne pas prendre pour elle des gens qui pouroient y venir, si je manquois à y prendre garde. Le tems me dura assez long tems devant que de l'entendre monter, parce que quoi qu'il fut déja tard, quand j'étois arrivé elle vouloit voir retirer tous ses gens devant que de s'aller coucher. Son mari avoit averti son garçon de mon arrivée, sans qu'elle eut pû s'en deffier, ce garçon étoit allé sous pretexte de quelque necessité dans l'allée du logis, où le Maître étoit convenu qu'il iroit lui même le trouver pour lui dire à l'oreille, ce qu'il auroit découvert. Cela s'étoit exécuté tout de même qu'ils l'avoient concerté ensemble. Le garçon ayant paru sur la porte, le Maître lui étoit venu dire de se tenir prêt & que la bête étoit dans les toilles. C'étoit ainsi qu'il m'avoit nommé à lui, & il croyoit sans doute ma mort toute aussi proche que celle d'un pauvre sanglier ou de quelque autre animal qu'on y fait donner. Quoi qu'il en soit la femme s'étant retirée après avoir vu passer tous ses gens où ils avoient coutume de s'aller reposer, elle vint à la porte de la chambre où elle n'eut pas plûtôt gratté, qu'elle lui fut ouverte. Nous nous mimes au lit un moment après, & il n'y avoit pas une demie heure que nous y étions que le garçon fut ouvrir la porte de la ruë à son Maître. Il s'étoit muni d'un pistolet & d'un poignard pour ne me pas marchander. Nous étions bien éloignez sa femme & moi de songer à ce qui s'alloit passer, & nous ne pensions uniquement qu'à nous donner du bon tems, quand ce mari qui étoit monté tout doucement avec son garçon voulut ouvrir nôtre porte avec une double clef qu'il avoit fait faire; nous fumes bien surpris elle & moi quand nous entendîmes ce manége; mais comme par bonheur j'en avois fermé le verrouil, j'eus le tems de prendre le parti que me conseilloit la prudence, car je me doutai aussi-tôt de ce que c'étoit, ce qui fut cause que je ne fus pas long-tems à prendre mon parti. Mais comme je voulois m'habiller & me jetter dans la Cour d'un Rotisseur qui étoit sous les fenêtres d'un cabinet à côté de la Chambre, je me trouvai tellement pressé que je n'eus pas le tems de mettre seulement, ni mon justaucorps ni mon haut de chemise. Le cabaretier qui étoit homme de precaution aussi-bien que moi, avoit apporté avec lui une barre de fer pour casser la porte en cas qu'elle lui fit la moindre resistance, & comme cette porte n'étoit pas trop bonne, il l'eut bientôt fenduë en deux. Je fus sage: dès le premier coup qu'il y donna, j'ouvris la fenêtre de ce cabinet, & m'étant jetté du haut en bas, dans la Cour dont je viens de parler, je fus tomber sur une vingtaine de garçons rotisseurs qui étoient assis les uns auprès des autres. Ils profitoient du beau clair de Lune qu'il faisoit pour piquer leur viande, & ne songeoint guéres à moi. Comme j'etois nud en chemise, je laisse à penser combien ils furent surpris me voyant en cet équipage: j'en étois connu, parce que depuis le gain des quatre-vingt pistoles que j'avois fait, j'avois toûjours continué à carabiner dans l'antichambre du Roi, & n'y avois pas été trop malheureux; ainsi comme cet argent qui ne me coutoit rien ne me coutoit guéres aussi à depenser, j'en avois fait grand chere, & bon feu, de sorte que les rotisseurs & les cabaretiers s'en étoient ressentis aussi-bien que les plumassiers, les Marchands d'étoffes & les Marchands de ruban. Or tandis qu'il m'avoit été permis de voir ma maîtresse chez elle, ce rotisseur avoit toûjours eu ma pratique, & même je ne la lui avois pas encore ôtée depuis, parce qu'il me sembloit qu'il avoit de meilleure viande que les autres. Ces garçons qui avoient ouï parler de mon intrigue avec la femme de leur voisin, parce qu'après l'éclat qu'il avoit fait, il étoit impossible qu'ils n'en sçussent quelque chose, se douterent bien alors de ce qui m'étoit arrivé. Leur maître & leur maîtresse qui ne l'aimoient point, parce qu'il étoit extrémement avare, & peu traitable avec ceux à qui il avoit affaire, me donnerent en même-tems des souliers avec un manteau & un chapeau. Ils m'eussent bien donné l'habit tout complet, si j'eusse eu le tems de l'endosser, mais comme ils craignoient que le jaloux ne me vint chercher chez-eux quand il verroit que je ne me pourois être sauvé autre part, ils me conseillerent de gagner païs, sans perdre un moment de tems. Je crus que leur Conseil n'étoit pas mauvais, & l'ayant suivi à l'heure même, je m'en fus chez le même Commissaire qui l'avoit emmené en prison, lors qu'il m'avoit fait sa premiere incartade. Je me donnai bien de garde étant arrivé chez lui de lui conter mon affaire, comme elle étoit, il n'y eut pas eu pour moi le mot pour rire; Car s'il est vrai qu'il n'y ait point de Ville au monde où il se fasse tant de cocus impunément qu'il s'en fait à Paris, il ne laisse pas d'être constant que cet abus se punit dans de certains cas, comme étoit le mien; du moins s'il ne m'en fut pas arrivé grand mal, toûjours est-il certain que ma maîtresse dont j'étois bien aise d'épargner la réputation & le repos, n'en eut pas été quitte à si bon marché. Ayant donc eu l'esprit assez present pour lui conter un mensonge au lieu de la verité, je lui dis que m'étant engagé au jeu toute l'après dînée, & y ayant demeuré jusques à dix heures du soir, la faim m'avoit tellement pressé au sortir de là, que j'avois demandé qu'on m'appretât quelque chose dans le premier cabaret que j'avois trouvé en mon chemin; mais que l'heure induë qu'il étoit ayant été cause qu'on m'y avoit refusé, j'avois cru que si j'allois en païs de connoissance, on y auroit plus de charité pour moi; que dans cette esperance j'étois allé chez le cabaretier en question, qui m'avoit assez bien reçû en apparence; qu'il m'avoit fait monter dans une petite chambre à côté de la sienne, où il m'avoit dit qu'il m'alloit faire apporter à manger; qu'un moment après, il y étoit venu lui-même comme faisant semblant de vouloir s'aller coucher; qu'il m'avoit dit d'entrer dans sa chambre, en attendant que mon souper fut prêt, que je l'avois fait sans penser aucunement à ce qui m'alloit arriver; mais qu'un moment après au lieu de me voir apporter à manger, il étoit entré dans cette chambre accompagné de ses deux garçons & de deux Bretteurs que je ne connoissois point; qu'ils s'étoient jettez tous cinq sur moi, & qu'après m'avoir dépouillé nud comme la main à la reserve de ma chemise, le cabaretier m'avoit dit de me recommander à Dieu, parce qu'il alloit me poignarder dans un moment; que j'avois été bien surpris à un compliment si terrible; mais qu'ayant été si heureux que de conserver le jugement, quoi qu'il y ait bien des rencontres où on le perd, qui néanmoins à beaucoup près ne sont pas aussi embarrassantes que celle là, je l'avois prié que je me pusse retirer, en quelque coin, pour y faire ma priere, qu'il me l'avoit permis, & qu'étant entré dans le cabinet où je savois qu'il y avoit une fenêtre sur la Cour d'un Rotisseur, je m'y étois jetté, aimant mieux m'exposer à me rompre le cou que d'être poignardé si miserablement; que graces à Dieu, je ne m'étois pas fait grand mal; que le Rotisseur & sa femme m'avoient donné le manteau, le chapeau & les souliers qu'il me voyoit; qu'au surplus je ne pouvois dire, pourquoi le cabaretier m'avoit voulu ainsi assassiner, si ce n'est que je lui avois conté que j'avois gagné la veille soixante Louis dans l'Antichambre du Roi, & que je les lui avoit montrez dans ma bourse. Le Commissaire, qui savoit le sujet que ce mari avoit de ne me pas vouloir de bien, ne crut tout ce qui je lui disois que par benefice d'inventaire. Il crut bien plûtôt que ce qui avoit pensé m'arriver venoit de sa jalousie; de sorte que j'eus beau lui repêter qu'il avoit voulu sans doute me voler mon argent, je ne fis pas grand impression sur son esprit. Il étoit vrai, comme je venois de le dire, que j'avois gagné soixante loüis la veille, mais il n'étoit point vrai ni que je les lui eusse montrez, ni que je les eusse dans ma bourse, je les avois laissez au logis avec le reste de mon argent, à cause de la quantité de voleurs qui regnoient alors à Paris: comme impunément le Lieutenant criminel les protegeoit, moyennant une certaine retribution qu'il recevoit d'eux à ce qu'on pretendoit, je ne sais pas si l'on disoit vrai ou non, & tout ce que je sais, c'est que du moment que les boutiques étoient fermées, il ne faisoit pas seur de mettre son nez dans les ruës. Il n'y avoit encore ni Lieutenant de Police ni guet, & ceux qui devoient avoir soin de veiller à la seureté publique, étoient accusez aussi-bien que le Lieutenant criminel d'avoir part aux vols qui s'y faisoient, moyennant qu'ils fissent semblant de ne pas savoir qui les faisoit. Le bel ordre que l'on voit aujourd'hui n'est dû qu'aux soins paternels du Roi envers son Peuple, & à la vigilance d'un grand Ministre qui en a été haï mortellement jusques à present, quoi que si l'on examine bien sa conduite, l'on verra qu'il n'y en a guéres eu dans le Royaume qui ait travaillé aussi utilement qu'il a fait à sa grandeur. C'est à lui que nous devons l'établissement de quantité de Manufactures ausquelles on n'avoit jamais pensé auparavant. Le bon ordre qu'il y a aujourd'hui dans les Finances, la Puissance de la Marine, & mille autres belles choses qui seroient trop longues à specifier sont aussi les effets de son grand genie. Mais sans m'arrêter à cela, dont il ne s'agit pas ici, & dont aussi je n'ai parlé que par occasion, & parce que la force de la verité m'y à contraint, je dirai que le Commissaire ne fut pas faché de la plainte que je venois de lui rendre. Il avoit trouvé de la brutalité dans le cabaretier, lors qu'il avoit eu affaire à lui, & ne croyant pas qu'il en eut été assez puni, à cause de la protection que nous avions fait trouver Athos & moi, sans qu'il en sçut rien, auprès de Mr. de Treville, il eut bien voulu qu'il n'en eut pas été quitte cette fois là à si bon marché qu'il l'avoit été l'autre. J'eus permission d'informer contre lui, & n'ayant point d'autres témoins à produire que les garçons rotisseurs que j'avois pensé abimer en tombant sur eux, le Commissaire reçût leur deposition. Ils lui dirent qu'il falloit que j'eusse été bien pressé pour me jetter, comme j'avois fait, d'un second étage en bas; qu'il y avoit deux de leurs camarades qui en étoient blessés, parce que c'étoit sur eux que j'étois tombé principalement, qu'ainsi ils le requeroient qu'ils eussent part aux dommages & intérêts qu'il pouroit y avoir contre le cabaretier. Je ne sais si leurs dépositions meritoient qu'on decretât contre lui, j'en doute même beaucoup. Cependant soit que le Commissaire fit là un tour de son metier, ou que l'argent que je prodiguois pour n'avoir pas le dementi de cette affaire fit un bon effet auprès du Lieutenant Criminel, j'eus de lui tout ce que je pouvois desirer. Il m'accorda un decret, & l'ayant fait executer dès le jour même, je fis loger mon homme dans la prison du grand Chatelet. Il fut bien étonné quand il se vit là, & ne se pouvant empêcher d'accuser d'injustice celui qui avoit decreté contre lui, cela ne fut pas plûtôt rapporté à ce juge, qu'il le fit mettre dans un cachot. On ne l'y laissa parler à personne, & les guichetiers l'ayant maltraité d'ailleurs par son ordre, il commença à connoitre qu'il eut mieux fait de souffrir d'être cocu sans rien dire, que d'être exposé à tant de peines & d'affronts pour s'en être voulu plaindre. Sa femme ne fut point fachée du tout de sa méchante fortune, parce que sans cela il pretendoit bien la faire raser. Il l'avoit déja enfermée dans sa chambre, où il contoit de ne la nourir que de pain & d'eau, en attendant qu'il obtint un arrêt tel qu'il lui en falloit un, pour la loger ou aux Magdelonettes ou dans quelque autre maison semblable; mais elle ne vit pas plûtôt que les Archers l'avoient non-seulement emmené en prison, mais qu'ils y avoient encore emmené son garçon, qu'elle changea bien de langage. Elle s'étoit jettée d'abord à genoux devant lui, parce qu'elle voyoit qu'il l'avoit prise en flagrant delit, mais se doutant bien, parce qui venoit d'arriver, que j'avois été au conseil quelque part, & que l'on avoit si-bien tourné l'affaire que tout cocu qu'il étoit il avoit encore la mine d'être battu, elle rendit sa plainte de son côté contre lui. Il est vrai qu'elle ne le fit que parce que je lui fis dire, ce qu'elle devoit faire si elle vouloit sauver sa réputation. Sa plainte fut assez conforme à la mienne, si ce n'est que je ne voulus pas qu'elle accusât son mari de m'avoir voulu voler. Je trouvois que cela ne conviendroit guéres à une femme, & qu'il valloit mieux le laisser deviner aux autres, que de le dire elle-même; mais à cela près elle fit assez entendre qu'il avoit en dessein de me maltraiter, & que c'étoit là le souper qu'il me preparoit, au lieu de celui que je lui avois demandé en entrant chez-lui. Elle l'accusa aussi de n'avoir fait tout cela, que par jalousie, & par une suitte de cette malheureuse passion qui l'avoit déja fait mettre une fois prisonnier. Cette femme n'eut pas plûtôt la liberté qu'elle fut bien surprise de voir sa premiere chambre demeublée. Nous découvrîmes à force de nous en informer que c'étoit lui qui l'avoit fait, & même le lieu où il avoit fait mettre ces meubles. Nous fortifiâmes nôtre affaire par là, & en ayant tiré des inductions qu'il avoit premedité son coup, & qu'il savoit bien qu'il faisoit mal, puis qu'il avoit ainsi cherché à mettre ses meubles à couvert, je fis dire sous main à ses deux garçons, qu'il y alloit de la corde pour eux s'ils ne trouvoient moyen de se sauver. Il y en avoit un qui étoit plus coupable que l'autre, puis qu'il étoit venu avec lui pour lui prêter main forte; mais quoi que son camarade fut non-seulement innocent, mais qu'il ne sçut pas même pourquoi on l'avoit emprisonné, il ne laissa pas de trembler. Il eut peur particulierement quand on lui eut appris qu'il étoit accusé du recellement de ces meubles, & de m'avoir voulu voler. Il savoit qu'il se faisoit bien des injustices à Paris, & que l'on n'y condamnoit pas moins d'innocens que l'on y sauvoient de coupables. Quoi qu'il en soit l'autre qui trouvoit sa conscience un peu plus chargée ayant été le premier à lui conseiller de se sauver avec lui, il lui fit voir que cela ne leur seroit pas impossible, s'ils ôtoient quelques pierres qui les empêchoient de se jetter dans la ruë, à côté de laquelle, ils avoient été mis. Ils y travaillerent de concert, & les ayant ôtées adroitement ils passerent par le trou & s'y sauverent eux & toute leur chambre. Ils firent ce coup là pendant une nuit, qui leur parut d'autant plus favorable qu'elle étoit plus obscure. Il y eut un prisonnier cependant qui en se sauvant se cassa une jambe, tellement qu'ayant été repris, il accusa les deux garçons cabaretiers d'avoir excité les autres à faire ce trou. Cela fit encore beaucoup de tort à leur maître. Il n'y eut plus personne qui ne le soupçonnàt d'être coupable, & comme il craignoit que son innocence ne succombât sous l'artifice, il écrivit une Lettre au beau Frere de Mr. de Treville à qui il exposoit son malheur. Ce Magistrat qui étoit homme de bien fut frapé de cette Lettre; aussi étoit-elle tout à fait touchante, d'autant plus qu'il y reconnoissoit un certain air de sincerité qui ne régne jamais parmi le mensonge. Il la montra à Mr. de Treville à qui il dit, que comme il auroit plus de pouvoir que lui sur mon esprit, quand ce ne seroit qu'à cause que j'étois de son païs, il lui conseilloit d'empêcher que je ne misse d'avantage de divorce dans ce ménage; qu'ainsi si je me montrais rebelle à ses remontrances, il eut à me menacer d'y employer l'authorité pour me renvoyer chez mon Pere. Mr. de Treville qui avoit beaucoup de defference pour lui, lui promit aussi-tôt de faire tout ce qu'il voudroit. Il envoya dire en même tems à Athos de m'amener chez lui le lendemain matin à son lever. J'y fus, sans savoir ce qu'il me vouloit, ni même sans m'en douter aucunement. Mr. de Treville n'étoit pas encore tout à fait habillé quand j'y arrivai, mais ayant achevé de l'être dans un moment, il me dit de passer avec lui dans son cabinet, & qu'il avoit à m'entretenir de quelque chose. Quand nous y fumes il m'obligea d'y prendre un siege, & en ayant pris un lui-même, il me demanda à quel dessein j'étois venu à Paris, & si ce n'étoit pas pour y faire fortune; qu'il n'avoit pas encore songé à s'en enquerir de moi, mais que comme il avoit reçû il n'y avoit que deux jours des lettres du païs, par lesquelles je lui étois recommandé, il ne vouloit pas differer d'avantage à me faire cette demande. Je lui fis une grande reverence pour m'attirer encore sa protection par moi-même, croyant qu'il me parloit de bonne foi; ainsi lui ayant répondu que je n'avois jamais eu d'autre dessein en sortant du païs que celui qu'il me disoit, je fus bien surpris qu'il me tourna la medaille lors que j'y pensois le moins; car il me repliqua que je devois être de meilleure foi avec lui, & ne pas craindre de lui dire naïvement ma pensée. Je repris la parole à l'heure même pour lui demander ce qu'il vouloit dire par là. Je tâchai de lui faire entendre que je n'avois jamais eu d'autre pensée que celle que je venois de lui témoigner, qu'ainsi il étoit fort inutile qu'il m'en demandât d'autre explication que celle que je lui avois faite tout presentement, puis que je n'avois pas autre chose à lui dire. Mr. de Treville me répondit encore avec un sang froid qui pensa me desoler, & même en branlant la tête pour me mieux témoigner qu'il n'ajoutoit pas foi à mes parolles, que si je voulois toûjours ainsi avoir de la reserve pour lui, il ne faloit pas que je m'attendisse qu'il me rendit jamais aucun service, qu'il aimoit la sincerité par dessus toutes choses, de sorte que quand il voyoit qu'on lui en manquoit, il ne faisoit plus de cas de toutes les autres belles qualitez qu'un homme put avoir d'ailleurs. J'eusse autant aimé qu'il m'eut parlé grec que de me parler de la sorte, & j'eusse autant entendu l'un que l'autre. Ainsi le priant de s'expliquer mieux lui-même, s'il vouloit en savoir d'avantage, il me répondit qu'il le vouloit bien, puis qu'il n'y avoit point d'autre moyen que celui là de me faire entendre ce qu'il me vouloit dire. Il me demanda là dessus quel chemin j'avois pris jusques là pour faire fortune, & s'il n'avoit pas eu raison de croire que je lui imposois, quand je lui avois dit que je n'étois point venu à Paris dans d'autre dessein que celui là: si j'avois jamais oüi dire qu'on la fit en s'attachant auprès d'une cabaretiere comme j'avois fait depuis que j'étois arrivé; que quand on se mettoit une fois sur ce pied là, ce n'étoit pas le moyen de faire autre chose; que bien loin d'y acquerir de la réputation parmi les honnêtes gens, on ne faisoit que se deshonnorer auprès deux; qu'il ne disconvenoit pas à la verité que les bonnes graces d'une Dame ne servissent à faire briller le merite d'un jeune homme; mais que pour que cela fut, il falloit que la Dame fut d'un autre rang, que celle que je voyois; que l'intrigue que l'on avoit avec une femme de qualité passoit pour galanterie, au lieu que celle que l'on avoit avec celles qui ressembloient à ma maîtresse, ne passoit que pour debauche & pour crapule. Je trouvai de l'injustice dans ce qu'il me disoit là; parce qu'après tout le vice est toujours vice, & qu'il n'est pas plus permis à une femme de qualité de faire l'amour qu'à celles de la lie du Peuple; mais comme l'usage autorisoit ses reproches, je m'en trouvai si étourdi que je n'eus pas la force de lui répondre une seule parole. Il prit ce tems là pour me demander à quoi j'étois résolu, & si c'étoit à quitter cette femme ou à renoncer à ma fortune; qu'il n'y avoit point d'autre parti à prendre pour moi, parce que si je ne le faisois de bonne grace, il seroit obligé d'en parler au Roi, de peur que je ne deshonnorasse mon païs par une vie molle & indigne d'un homme de ma naissance; que je ne savois peut être pas que tous ceux qui étoient mes compatriotes & qui avoient tous ouï parler de mon attache, se moquoient de moi; que si j'en doutois il n'avoit rien à me dire pour m'en faire connoitre la verité, sinon qu'il falloit bien qu'il en fut quelque chose, puis que cela étoit parvenu jusques à lui. Je fus si touché de ces reproches qu'il m'est impossible de l'exprimer. Je baissai les yeux contre terre, comme un homme qui eut été pris en flagrant delit, & Mr. de Treville me croyant à demi convaincu de ma faute par la posture que je tenois, acheva de me rendre le plus confus de tous les hommes par des traits piquans qu'il lança contre tous ceux qui menoient la même vie que j'avois menée jusques là. Il fut ravi de m'avoir amené au point qu'il desiroit & me demandant si je ne voulois pas bien lui promettre presentement de ne plus revoir cette femme, je balançai quelques momens à lui en donner ma parole, en effet je savois qu'il étoit d'un homme d'honneur de ne la jamais donner sans la tenir & qu'il valloit bien mieux ne rien promettre. Mr. de Treville voyant que je rendois encore quelque combat n'en fut point du tout étonné, parce qu'il savoit que la victoire que l'on remporte sur soi-même dans ces sortes de rencontres ne se remporte pas sans effort: aussi se contentant de faire succeder presentement les persuasions aux reproches, il me prit de toutes sortes de façons pour achever de me tirer de la fange où j'étois. Enfin m'étant fait toute la violence qu'un homme de courage & de resolution se pouvoit faire, je lui dis d'un ton qui lui plut merveilleusement, que c'en étoit fait, à ce coup-là, & que je lui aurois obligation toute ma vie, de m'avoir retiré du précipice où je m'étois engagé si imprudemment, que je ne reverrois jamais cette femme, & que je consentois à ne passer jamais que pour un infame s'il se trouvoit que je lui manquasse de parole. Je fut ravi que je m'imposasse cette peine à moi-même, parce qu'il jugeoit delà que mon intention étoit bonne. Cependant comme il y avoit alors deux choses à faire; l'une de tirer son mari de prison, l'autre de les remettre bien ensemble & de tacher de la consoler de la banqueroute que je lui allois faire, je laissai à Mr. de Treville & à son beau-frère le soin de faire les deux premiers articles, & ne me reservai que le troisiéme. J'écrivis à cette femme qu'ayant été si malheureux que de l'avoir perduë de réputation par deux fois, je ne voulois pas m'exposer une troisiéme à la même chose; que le Ciel qui l'avoit preservée, comme par miracle, de ce qui lui en devoit arriver, se lasseroit peut-être à la fin, de la secourir s'il voyoit que nous abusassions de sa bonté; que je lui conseillois de retourner avec son mari, s'il vouloit bien se raccommoder avec elle; que le beau frere de Mr. de Treville qui les avoit déja raccommodez une fois ensemble vouloit bien encore avoir la charité d'y travailler une seconde; que pour moi, tout ce que je pouvois faire presentement pour lui marquer que je l'avois estimée véritablement étoit de desirer qu'elle ne fit jamais de part de ses faveurs à d'autre qu'à son mari; qu'une femme n'étoit jamais plus estimable que quand elle étoit sage, & que pourvu que j'apprisse qu'elle le fut, elle pouvoit conter que je serois toûjours d'autant plus son ami que je ne voulois plus être son amant, par rapport seulement à ses intérêts, sans considerer les miens en aucune façon. J'accompagnai cette lettre de la moitié de mon argent que je lui envoyai pour lui témoigner que si elle avoit bien voulu me donner son coeur, je voulois bien aussi lui donner tout ce que j'avois de plus précieux. Elle fut bien surprise à la réception de cette lettre, & m'ayant renvoyé mon argent, elle me récrivit en des termes si tendres & si touchans que si j'eusse été encore à donner ma parole à Mr. de Treville, je ne sais si je l'eusse voulu faire presentement. Mais enfin me trouvant lié heureusement par-là, parce que c'est souvent un bonheur que de n'oser faire ce que nous conseille nôtre foiblesse, je tins ferme contre une infinité de mouvemens qui me representoient à toute heure que c'étoit être cruel à moi-même que l'être à cette femme. Je lui fis réponse néanmoins en des termes qui étoient tout aussi honnêtes que les siens, quoi qu'ils ne fussent pas si passionnez. Mais comme rien ne lui pouvoir plaire, si je ne lui rendois mon coeur, que je lui voulois ôter, elle me renvoya encore mon argent que j'avois jugé à propos de lui offrir tout de nouveau. Je l'avois fait afin de lui faire voir que je n'aurois pas manqué ni d'amour ni de reconnoissance si des raisons aussi importantes que celles que j'avois presentement ne m'eussent obligé de lui vouloir ôter mon coeur. Pour abréger tout d'un coup bien des choses qui furent la fuite de ce que je viens de dire, tout ce qu'elle put faire lui ayant été inutile pour me faire revenir à elle, nous primes chacun de nôtre côté le parti que nous conseilloit la prudence, elle se raccommoda avec son mari que le beaufrere de Mr. de Treville fit sortir pour la seconde foi de prison; mais soit que ce pauvre homme eut pris un tel chagrin de la maniére dont sa femme en avoit usé avec lui, soit qu'il en fut devenu inconsolable, ou qu'il lui arrivât une maladie de langueur, il mourut après avoir trainé cinq ou six mois. Sa veuve fit alors tout ce qu'elle put pour me revoir, se flattant apparement que comme elle étoit aussi-bien Demoiselle que je pouvois être Gentilhomme, & que nous n'avions guéres plus de bien l'un que l'autre, je serois peut-être si fol que de l'épouser: je savois pourtant bien que non, & je le lui eusse bien dit à l'oreille pour peu qu'elle m'en eut pressé. Cependant, comme je ne pouvois l'empêcher de croire tout ce que bon lui sembloit, je me vis exposé à ses persecutions, jusques à ce que je fus obligé, pour m'en delivrer tout d'un coup, de lui declarer pour une bonne fois que non-seulement elle ne seroit jamais ma femme, mais encore que je ne la verrois de ma vie. Son mari étant mort elle reprit son premier métier qui étoit de loger en chambre garnie, elle prit une maison dans la ruë des vieux Augustins, & comme si elle eut oublié toutes mes duretez, elle m'excita encore à y aller loger avec elle. Cela étoit bien tentatif pour un homme qui n'avoit guéres d'argent, & qui d'ailleurs en avoit été assez amoureux, mais y ayant bien pensé je n'en voulus rien faire. Cela la mit aux champs tout à fait; son amour se tourna en fureur; de sorte qu'il n'y eut rien qu'elle ne fit pour se venger du mépris qu'elle croyoit que j'eusse pour elle. Pendant qu'elle avoit logé dans la ruë Montmartre un Capitaine Suisse nommé Straatman qui s'étoit adonné à visiter son logis, à cause de la bonté du vin qui étoit dans sa cave, après avoir contenté ses sens d'une autre maniére, l'ayant trouvée jolie comme elle l'étoit effectivement, il commença à lui en conter. Elle ne le voulut pas écouter tant que nous demeurâmes bons amis, mais enfin voyant que de la maniére que je la traitois il n'y avoit plus rien à esperer avec moi, elle commença à changer de conduite à son égard. Il s'en fut tout aussi-tôt loger chez-elle, afin de poursuivre sa pointe plus vivement, & en étant devenu plus amoureux de jour en jour, il lui dit, voyant qu'elle ne lui vouloit rien accorder, qu'il étoit resolu de l'épouser plûtôt que de ne pas contenter sa passion. C'étoit un grand avantage pour elle, parce que quoi qu'il n'eut rien épargné depuis qu'il étoit dans le service, il avoit toûjours un emploi de distinction & qui lui produisoit un gros revenu, aussi l'eut-elle pris au mot à l'heure même, si ce n'est qu'elle eut peur que quand il auroit passé sa fantaisie, il ne vint à la maltraiter. Elle consideroit qu'il étoit comme impossible qu'il n'eut oui parler de nos affaires, & qu'il ne les lui remît quelque jour devant le nez. Ainsi la crainte de l'avenir lui faisant mépriser le present, elle lui dit franchement que la médisance n'épargnoit personne, & que son mari ayant eu la foiblesse de devenir jaloux de moi elle ne vouloit pas s'exposer à de secondes nôces, de peur que le second mari qu'elle prendroit ne lui fit les mêmes reproches, que lui avoit fait le premier. Le Suisse qui n'étoit pas trop scrupuleux sur l'article, lui répondit que s'il n'y avoit que cela qui l'empêchât d'être sa femme, elle ne devoit pas s'y arrêter; que son foible n'étoit pas de croire tout ce que l'on disoit, que s'il étoit capable d'en avoir à cet égard ce n'étoit tout au plus qu'en cas qu'il se mariât avec une fille, & qu'il vint à la trouver femme, qu'hors delà il n'avoit garde de devenir jaloux, principalement à l'égard d'une femme qui avoit déja été mariée, puis que de la trouver veuve d'un homme ou de deux étoit à-peu-près la même chose, pour une personne de bon sens, qu'il n'y paroissoit pas plus à l'un qu'à l'autre, & même quand au lieu des deux maris elle en auroit eu une douzaine. Cependant comme cette femme étoit bien aise de se servir de lui pour se venger de moi, elle lui dit que si ce qu'elle venoit de lui dire ne l'interessoit pas, il n'en étoit pas de même d'elle, qu'elle ne se remarieroit jamais que je ne fusse mort, parce qu'elle ne pouvoir souffrir la vûë d'un homme qui étoit cause qu'on avoit mis son honneur en compromis. Je veux bien croire que le Suisse étoit brave quand il y alloit de son devoir, mais ne trouvant pas qu'il dut ainsi hasarder sa vie selon la fantaisie de sa maîtresse, il lui offrit de lui donner des Suisses de sa compagnie pour en faire tout ce qu'elle voudroit. Elle lui promit de l'épouser à cette condition, & son amant lui en donnant deux qu'il disoit être les plus braves du Regiment des Gardes, ils vinrent dans la ruë où je logeois à dessein de me faire insulte, lors qu'ils me verroient sortir de ma maison. Ils n'y manquerent pas, m'ayant apperçu de loin, ils s'en vinrent à ma rencontre en faisant les yvrognes. Je voulus les éviter, ne me doutant nullement de ce qui se passoit, mais me venant heurter tout exprès peu s'en fallut qu'ils ne me renversassent par terre. Comme j'attribuois cela à leur yvrognerie, je me contentai de leur dire quelques paroles pour les obliger à s'éloigner de moi. Ils revinrent alors à la charge, ce qui me faisant voir qu'il y avoit à leur fait du dessein premédité, je mis l'épée à la main pour les empêcher de m'approcher d'avantage; ils mirent aussi-tôt la main à la leur, faisant toûjours les yvrognes. Je me trouvai un peu surpris de leur maniére de batailler à laquelle je n'étois pas accoutumé. Je crois pourtant que si je n'eusse eu affaire qu'à un seul j'en eusse bientôt rendu bon compte, mais comme ils étoient deux contre moi je me rangeai contre la muraille de peur que l'un ne me prit par derniere, pendant que l'autre me prendroit par-devant. Enfin je ne sais ce qui seroit arrivé de tout cela, parce qu'un homme qui a deux ennemis en tête en a toûjours trop d'un, quand les bourgeois me tirerent de ce peril en venant sur eux avec de longs bâtons pour les atteindre de plus loin. Ils leur en dechargerent plusieurs coups sur les épaules, & les deux Suisses se voyant si-bien regalez tournerent tête contr'eux, & me laisserent en repos. Ceux qui les avoient chargez ne se mirent pas en peine de les arrêter, & leur laisserent faire retraite. Je me trouvai blessé cependant d'un coup d'estramacon que l'un des deux m'avoit donné sur l'épaule droite; par bonheur pour moi mon baudrier avoit paré la plus grande partie du coup, & ma blessure se trouvant legere je n'en gardai la Chambre que deux ou trois jours. Le Suisse demanda aussi-tôt sa recompense à la Dame, lui promettant que ses Soldats acheveroient bientôt la besogne qu'ils avoient commencée. Comme elle le vit si perseverant, elle crût qu'il méritoit bien qu'elle eut quelque consideration pour lui: elle l'épousa selon son desir, mais quand il en eut fait sa femme, il jugea à propos de ne se pas charger d'un assassinât pour l'amour d'elle. Voilà comment finirent les premiéres amours que j'eus à Paris, heureux si je m'en fusse tenu là, & que ce qui m'y étoit arrivé m'eut rendu sage. Le Roi qui n'avoit souffert qu'avec peine l'ascendant que le Cardinal de Richelieu avoit pris sur son esprit, ne voulant pas s'exposer à se trouver à la même peine sous un autre Ministre, ne voulut point faire remplir sa place à personne tant qu'il vivroit. On en fut tout étonné, parce qu'il ne paroissoit guéres propre pour se charger lui-même des affaires, outre qu'il n'avoit pas beaucoup de santé. Mais il crût qu'au moyen d'un conseil qu'il établit il viendroit à bout de toutes choses, principalement si les Secretaires d'Etat vouloient remplir leur devoir. Il y en avoit deux assez habiles, savoir Mr. Desnoiers & Mr. de Chavigny, mais pour les deux autres ce n'étoit pas grand chose, & il ne faloit pas beaucoup conter sur eux. Du moins l'on avoit vû qu'ils s'étoient conformez jusques-là sur l'exemple du Roi, & comme ils l'avoient toûjours vu se decharger des affaires sur son Ministre, ils s'étoient dechargez de même sur leurs Commis de toutes celles qui étoient entre leurs mains. D'abord que le Cardinal de Richelieu eut les yeux fermez, Chavigny qui étoit sa creature, & qui en cette qualité avoit épousé toutes ses passions tant qu'il avoit vécu, considerant qu'il s'étoit fait beaucoup d'ennemis par-là, tâcha de les regaigner par une conduite toute opposée à celle qu'il avoit tenuë à leur égard. La Reine le haïssoit particulierement, parce qu'il avoit toûjours suivi l'exemple de son maître qui avoit eu peu de consideration pour elle, tant qu'il avoit eu entre les mains le Souverain pouvoir. Ceux qui croyent savoir la source d'où procedoit ce peu de consideration, disent que c'est qu'il en avoit eu trop autrefois pour cette Princesse, & qu'étant trop sage pour y répondre de la maniére qu'il eut peut-être bien voulu, il prit à tâche de la persecuter pour la punir du mépris qu'elle avoit pour lui. Je ne saurois dire au vrai si cela est ou non, parce que quoi que ce bruit se soit si-bien répandu dans le monde qu'il y passe maintenant pour une verité, dans l'esprit de plusieurs personnes, l'on sait assez jusques où va la haïne que l'on porte ordinairement aux Ministres, pour ne pas ajouter foi entierement à tout ce qui se peut publier à leur desavantage. Il n'y a rien que l'on n'invente malicieusement pour les dechirer, & il semble que ce soit assez d'en medire pour faire ajouter foi à tout ce qu'on en dit. Ainsi sans authoriser ni aussi sans détruire cette accusation, je me contenterai de dire que la Reine devant être fort outrée contre tous ceux qui auroient aidé au Cardinal à la persecuter, Chavigny qui savoit qu'elle l'en devoit accuser encore plus qu'un autre par la part qu'il avoit aux conseils de son Eminence, fit tout ce qu'il pût pour faire oublier à cette Princesse le sujet qu'elle avoit de ne lui pas vouloir de bien. Il y eut peut-être réüssi, s'il n'eut eu qu'à desarmer sa colere. Comme cette Princesse étoit bonne, elle oublioit facilement les injures qu'on lui faisoit, mais par malheur pour lui, elle n'avoit déja que trop donné d'entrée dans son esprit au Cardinal Mazarin. Cet homme qui étoit fin & adroit s'y étoit insinué par une grande complaisance, & par des assurances reïterées de se devouër entierement à son service, envers & contre tous, sans même en excepter le Roi. Cela avoit plu extremement à cette Princesse, qui à l'exemple de toutes les autres femmes aimoit non-seulement qu'on lui rendit une obeïssance aveugle, mais encore à être flattée. Le Cardinal ne risquoit pas beaucoup en lui promettant ainsi tant de choses sans aucune reserve. Il voyoit le Roi moribond & sans aucune esperance de pouvoir guerir d'une fiévre lente qui le minoit depuis long-tems; son corps n'avoit plus l'air que d'un véritable squelette, & quoi qu'il ne fut encore que sur sa quarante deuxiéme année il en étoit reduit à ce point de misere que tout Roi qu'il étoit, il eut desiré la mort tous les jours pour s'en delivrer, si ce n'est qu'il ne lui étoit pas permis de le faire en qualité de Chrêtien. Il ne pouvoit s'empêcher néanmoins de regarder de fois à autre le Clocher de St. Denis qu'il voyoit de St. Germain en Laye, où il étoit presque toûjours & de soupirer en le voyant. Il disoit même à ses Courtisans que ce seroit là où s'alloient terminer toutes ses grandeurs, & que comme il esperoit que Dieu lui feroit misericorde il n'y seroit jamais si-tôt qu'il voudroit. Au reste ce qui avoit été cause que le Cardinal Mazarin s'étoit ainsi promis sans reserve à la Reine, c'étoit la crainte du raccommodement que Mr. de Chavigny vouloit faire avec elle. Son Eminence s'y opposa sous main tout autant qu'il pût. Comme il prevoyoit bien que suivant la coutume de France dont il tâchoit à se faire instruire, la Reine devoit avoir la tutelle du Roi d'aujourd'hui qui n'avoit encore guéres que quatre ans, & que par consequent elle auroit toute l'authorité entre les mains, il ne vouloit pas que ce Secretaire d'Etat se mit en passe de lui disputer le Ministere, auquel il aspiroit déja secretement. Ainsi pour y parvenir avec plus de facilité, il n'y avoit rien qu'il ne fit pour gaigner les personnes qu'il voyoit bien auprès de la Reine, jusques à faire l'amoureux d'une de ses femmes de Chambre nommée Beauvais, qu'il croyoit n'y être pas le plus mal. La Beauvais qui aimoit d'autant plus cet encens qu'elle s'étoit déja mise sur le pied de l'acheter bien cher quand elle en vouloit avoir, étant ravie qu'on lui en offrit ainsi pour rien, fit auprès de sa maîtresse tout ce qu'il voulut. Elle la pria cependant de donner non-seulement l'exclusion à Chavigny, mais encore de tenir secrettes toutes les promesses que lui faisoit le Cardinal Mazarin. Elle lui dit qu'elle y avoit encore plus d'intérêt que lui, parce que comme le Roi son mari n'avoit pas grande confiance en elle, & qu'avant que de mourir il pouroit prendre des resolutions qui ne lui plairoient pas, il étoit bon non-seulement qu'elle eut dans son conseil un homme qui en put détourner le coup, sans être soupçonné de le faire par son propre intérêt, mais encore qui l'en pût avertir; qu'elle pouroit par là remedier de bonne heure à toutes choses, au lieu que si elle ne savoit rien qu'après coup, elle y trouveroit plus de difficulté. La Reine se laissa aller à ce conseil, croyant qu'elle ne le lui donnoit que pour l'amour d'elle, & sans qu'elle y eut la moindre part, par rapport à ses propres intérêts. Mr. de Chavigny n'ayant pû ainsi rien obtenir de ce qu'il desiroit dressa ses batteries d'un autre côté, afin de n'être pas pris au dépourvû quand le Roi viendroit à mourir. Il se raccommoda avec le Duc d'Orléans avec qui il n'étoit pas trop bien auparavant. Le sceau de leur reconciliation fut qu'il lui promit de faire faire un Testament à Sa Majesté par lequel il limiteroit si bien le pouvoir de la Reine, que s'il ne pouvoit l'empêcher d'être tutrice de son fils, elle seroit toûjours obligée d'avoir recours à lui, quand elle voudroit entreprendre quelque chose. Le Duc d'Orleans qui bien loin d'avoir jamais eu aucun credit à la Cour y avoit été tantôt proscrit, & tantôt dans un si grand mépris que si on ne l'eut pas connu on n'eut jamais dit qu'il eut été Frere du Roi, fut ravi de cette proposition. Il y consentit de tout son coeur, & ayant promis mille belles choses à Chavigny pourvû qu'il put venir à bout de son entreprise, celui-ci y travailla sans perdre de tems. Il dit au Roi, dont la santé diminuoit de moment à autre, que s'il ne prévenoit de bonne heure tout ce qui pouvoit arriver après sa mort, il avoit un fils qui au lieu d'être un jour le plus puissant Prince de l'Europe, comme il sembloit devoir l'être par le rang où Dieu l'avoit élevé, pouroit bien peut-être se trouver fort éloigné de ce bonheur; que la Reine depuis qu'elle étoit venuë en France, avoit toûjours entretenu commerce avec le Roi son Frere au préjudice de toutes les deffenses qui lui en avoient été faites; qu'il étoit bien fâché d'être obligé de lui en rafraichir la memoire, parce que cela ne lui pouvoit pas être fort agréable, mais qu'enfin comme il faloit pourvoir à cet abus, à moins que de vouloir tout perdre, il lui valoit mieux encore qu'il lui renouvellât pour un moment le chagrin que cette intelligence lui avoit donné de tems en tems que de manquer à lui faire prendre toutes les mesures qui étoient necessaires dans une occasion si importante. Cette pretenduë intelligence avoit été le pretexte dont le Cardinal de Richelieu s'étoit servi pour persecuter la Reine. Il lui avoit fait faire là-dessus des choses toutes extraordinaires & que la posterité ne croiroit jamais, si ce n'est que tous ceux qui voudront écrire l'histoire fidelement seront obligez de le rapporter. Il avoit pretendu lors que la Reine recevoit des lettres d'Espagne qu'elle les cachoit pour elle. Enfin pour mortifier d'avantage cette Princesse il avoit fait consentir Sa Majestè qui n'entendoit point de raillerie sur tout ce qui regardoit l'intelligence avec cette Couronne, comme il avoit bien paru à l'égard de Cinqmars, de la faire visiter par le Chancellier. C'étoit une étrange Commissaire pour un homme qui avoit été deux fois Chartreux, & il ne lui en eut pas falu d'avantage pour le faire entrer en tentation. Car cette Princesse étoit belle, & quoi que personne n'eut jamais vû son corps pour en pouvoir parler positivement, il y avoit bien de l'apparence, par ce qui paroissoit au dehors, que ce qui étoit sous le linge n'étoit pas moins beau que tout le reste. Elle avoit une gorge & un bras fait au tour, & la blancheur dont ils étoient l'un & l'autre surpassoient celle des lis. Aussi le Chancellier ne se fut jamais chargé de cette commission si en sortant du couvent il eut conservé les sentimens qui l'y avoient fait entrer. Mais il s'y étoit trouvé tourmenté de tant de tentations differentes tant qu'il y étoit demeuré, qu'il en avoit reveillé souvent les Religieux. Il avoit été affligé particulierement de celles de la chair, & comme on lui avoit permis dans leur violence d'aller sonner une Cloche afin que tous ses freres se missent en priéres à son intention, l'on n'entendoit plus à toute heure que sonner cette Cloche; de sorte que ceux qui logeoient autour de ce monastere ne savoient ce que cela vouloit dire, de l'entendre sonner si souvent. Mais soit que Dieu n'exauçât pas leurs prieres, ou qu'il ne se mit pas en état lui-même de meriter qu'il les exauçât, il avoit renoncé à la fin à cette vocation, & avoit embrassé celle du Palais. Il n'y avoit pas trop mal réüssi, puis qu'il étoit devenu Chancellier, & même à un âge qu'il y avoit esperance qu'il le devoit être long-tems. En effet il vit encore jusques aujourd'hui & toûjours avec de si grandes tentations, sur tout de celles dont je viens de parler, que l'on en conte d'étranges choses. Cependant si l'on en veut croire ce qu'on en dit, l'on pretend qu'il y employe bien une autre cloche que celle des Chartreux pour les faire passer. Chavigny ne lui ressembla pas à l'égard des conseils qu'il venoit de donner au Roi; Sa Majesté qui étoit susceptible de ces sortes d'impressions gouta son avis, & travailla en même-tems à une declaration, par laquelle il pretendoit après sa mort partager l'authorité entre la Reine, le Duc d'Orleans & le Prince de Condé. La Reine en fut avertie par le Cardinal Mazarin; elle le pria d'en parler au Roi, & de lui remontrer que ceux qui lui donnoient ce conseil abusoient bien du credit qu'ils avoient sur son esprit; que le Duc d'Orleans avoit toûjours été un boutte-feu dans son Royaume, & que de lui donner le moindre pouvoir, c'étoit justement y faire vivre la guerre civile qu'il y avoit allumée tant de fois; qu'il n'étoit pas moins dangereux de lui associer le Prince de Condé, parce que n'y ayant que lui qui eut des garçons de toute la famille Royale, il tâcheroit peut-être à les élever au prejudice de ceux de Sa Majesté. Le Roi d'aujourd'hui avoit un frere qui étoit plus jeune que lui de deux ans, & quelques jours. C'est Mr. qui vit presentement, Prince qui après avoir porté le nom de Duc d'Anjou dans sa jeunesse, a pris celui de Duc d'Orleans après la mort de son Oncle. Cependant l'on peut dire qu'il ne lui a ressemblé en rien que par rapport à ce nom: autant que l'un étoit disposé à prêter l'oreille aux ennemis de l'Etat, autant celui-ci a été soumis aux ordres de son Souverain. Le seul écart qu'il ait jamais fait fut quand il quitta la Cour pour s'en aller à Villers Cotterets, à cause de la disgrace qui étoit arrivée au Chevalier de Lorraine son favori, mais il ne dura qu'autant de tems qu'il en falut à Mr. Colbert pour l'aller trouver. Il s'en revint en même tems qu'il l'eut averti de son devoir, & l'on n'a pas vû qu'il lui soit rien arrivé depuis de pareil. Le Cardinal Mazarin étoit trop politique pour vouloir se charger de la commission que la Reine lui vouloit donner. Il eut peur que le Roi ne le trouvât mauvais, & qu'il ne vécut assez long-tems pour l'en faire repentir. Cependant en même tems qu'il se ménageoit ainsi avec Sa Majesté, étant bien aise de faire la même chose avec la Reine, il lui dit que s'il ne le faisoit pas, ce n'étoit qu'à fin de lui pouvoir rendre plus de service dans l'occasion: que si elle faisoit rompre cette glace par un autre, le Roi ne manqueroit pas de lui en parler, qu'il pouroit alors lui en dire son sentiment, & faire plus, d'un parole, qu'il ne feroit maintenant avec cent. La Reine le crut de bonne foi sans se donner la peine de pénétrer d'où procedoit son refus. Elle eut recours à Mr. Desnoiers pour faire auprès du Roi le personnage dont il ne vouloit pas se charger. Celui-ci qui étoit bien aise d'obliger cette Princesse, accepta cette commission sans refléchir trop à ce qui lui en pouroit arriver. Il se fia sur ce qu'ayant assez de credit sur l'esprit de ce Prince par la conformité qu'il avoit avec lui d'être assez devot, il en seroit écouté favorablement. Mais Sa Majesté qui avoit fouré bien avant dans sa tête qu'elle se devoit défier de la complaisance que la Reine sa femme avoit pour le Roi d'Espagne son Frere, en particulier, & pour toute sa Nation en general, ayant mal reçû sa proposition il lui fit deffense de lui en reparler jamais sous peine d'encourir son indignation. Une réponse comme celle là avoit de quoi le rendre sage, sur tout de la maniere que le Roi la lui avoit faite. En effet il avoit accompagné les paroles de l'air du monde le plus significatif. Il lui étoit aisé de juger de là que s'il lui arrivoit jamais de faire la même faute qu'il venoit de faire, il pouroit bien avoir tout le tems qu'il lui faudroit pour s'en repentir. Mais soit qu'il voulut servir la Reine à quelque prix que ce fut, ou qu'il eut peur qu'il n'entrât du ressentiment dans l'esprit de Sa Majesté en traitant cette Princesse comme il faisoit, & que la charité lui fit desirer de le voir mourir avec des sentimens plus Chrêtiens, il se servit de ce pretexte pour mettre le Confesseur du Roi dans ses interêts. Il lui dit que s'il vouloit l'obliger il faloit qu'il convertit le Roi là dessus, & comme ils étoient bons amis, & qu'il avoit même son argent à la Maison professe de St. Loüis, dont étoit ce Jesuïte, celui-ci lui promit tout ce qu'il voulut. Sa charge lui en donnoit la commodité toutes fois & quantes que bon lui sembloit, ainsi n'ayant pas été long-tems à lui tenir parole, le Roi ne le reçût pas mieux qu'il avoit fait Desnoiers. Le Confesseur crut qu'il ne se devoit pas rendre du premier coup, & qu'ayant l'authorité de lui parler fortement là dessus il pouvoit s'en servir en faveur de son ami. Ainsi étant retourné à la charge il se rendit si desagreable par là à Sa Majesté qu'elle le chassa de la Cour. Les Jesuïtes n'approuverent pas cette recidive qu'il avoit faite à leur insu, & comme le Roi les menaçoit de prendre à l'avenir un Confesseur dans un autre couvent, parce qu'ils se méloient de trop de choses, ils revelerent à Sa Majesté qu'elle devoit bien moins s'en prendre à eux de ce qui venoit d'arriver, qu'à Mr. Desnoiers, que c'étoit lui qui étoit cause de la faute que venoit de faire son Confesseur, & que sans lui il n'y eu jamais pensé. Le Roi n'eut pas de peine à le croire, parce que ce Secretaire d'Etat avoit voulu lui-même ébaucher ce que l'autre avoit tâché d'accomplir, ainsi lui ayant fait commandement de se retirer de la Cour sa charge fut donnée à Mr. le Tellier. Desnoiers se retira dans sa Maison de Dangu qui n'étoit qu'à dix-huit ou vingt lieuës de Paris. Il crut que sa disgrace ne seroit pas longue, parce que le Roi ne pouvoit pas vivre encore long-tems. Il crut aussi que n'ayant point donné la demission de sa charge la Reine l'y feroit rentrer tout aussi-tôt que ce Prince auroit les yeux fermez. Il étoit en droit de l'esperer sans se flatter lui-même, puis que ce n'étoit qu'à son sujet qu'il avoit perdu les bonnes graces de sa Majesté, ainsi supportant son mal avec d'autant plus de patience qu'il étoit persuadé qu'il ne seroit pas bien long, il attendit du benefice du tems, ce qu'il ne pouvoit plus esperer par aucune intrigue. Chavigny se voyant Triompher ainsi & de son Collegue & du Confesseur de Sa Majesté dressa une declaration avec elle telle qu'il la lui avoit suggerée. Le pouvoir de la Reine y avoit des bornes bien étroites, quoi qu'elle y fut declarée tutrice de son fils. Le Roi établissoit aussi un conseil à cette Princesse, afin que quand il seroit mort, elle n'eut rien à faire sans son avis. Chavigny s'y fit mettre & crut s'y maintenir, malgré la Reine, parce que le Duc d'Orleans & le Prince de Condé avoient été jusques là d'intelligence avec lui. Enfin pour rendre celle déclaration plus authentique le Roi la fit enregistrer au Parlement, Sa Majesté declarant que sa derniere volonté étoit qu'elle fut suivie de point en point après sa mort. Le Roi fut plus mal quelques jours après qu'il n'avoit encore été, & comme il étoit aisé de voir qu'il n'avoit pas plus de cinq ou six jours à vivre la Reine fit des brigues dans le Parlement, afin que d'abord qu'il ne seroit plus on cassât cette declaration. Elle pretendoit qu'elle ne pouvoit se soutenir, parce qu'elle étoit non-seulement contraire aux loix du Royaume, mais encore contre le bon sens. Chacun voyoit bien effectivement que Sa Majesté n'y avoit pas trop bien pensé, quand elle avoit mis la principale Puissance entre les mains des deux premiers Princes du sang, eux qui ne voyoient point d'autre obstacle à leur élevation que les deux jeunes Princes qu'elle laissoit à un âge si tendre. Ce n'est pas qu'on les crut capables de rien faire au préjudice de leur devoir, principalement leur authorité étant temperée par celle de la Reine, qui en qualité de mere avoit encore plus d'intérêt que les autres d'empêcher qu'ils n'entreprissent rien contre ses enfans; mais comme il étoit souvent arrivé des choses plus extraordinaires que celle-là, & même que la conduite passée du Duc d'Orleans devoit tout faire apprehender de lui, chacun trouva que la Reine n'avoit pas trop mauvaise raison de vouloir mettre les choses sur un autre pied qu'elles n'étoient. Le Roi, quelques jours devant que de mourir, tira la plûpart de ses Officiers à part, tant de sa maison que celles armées, pour leur faire promettre que quelque brigues que l'on pût jamais faire contre son fils, ils lui seroient toûjours fidéles. Il n'y en eut pas un qui ne le lui promit, & même qui ne s'y engageât par serment: cependant la plus grande partie se montrerent bientôt parjures. Les Espagnols qui savoient l'état où étoit le Roi, & que les brigues qui se faisoient à la Cour alloient bientôt la diviser, se preparoient à profiter de nos desordres. Le Cardinal infant n'étoit plus en Flandres, & le Roi d'Espagne avoit envoyé en ce païs-là Dom Francisco de Mellos pour lui succeder. Il mit alors en deliberation dans son Conseil s'il ne devoit point se servir d'une conjoncture si favorable pour réprendre Arras & nous restraindre en deça de la Somme. Mais le Comte de Fontaine qui étoit Mestre de Camp General de toutes les forces Espagnoles, comme l'est aujourd'hui le Comte de Martin, ayant été d'avis qu'il valoit bien mieux entrer en France, parce que ces places tomberoient d'elles-mêmes, s'ils pouvoient jamais y exciter quelques troubles, Mellos ne vit pas plûtôt que la plûpart des autres Officiers Generaux étoient de même sentiment qu'il s'y rendit. Il s'approcha de la Somme, & l'état où étoit le Roi donnant encore une plus grande apprehension de leurs forces, le Duc d'Anguien qui étoit à la tête de nôtre armée de Flandres eut ordre de les cotoyer sans s'engager au combat. Il étoit encore si jeune qu'il n'y avoit pas d'apparence de s'en fier à lui seul, c'est pourquoi le Marêchal de l'Hospital lui fut donné, pour temperer ce que le feu bouillant de sa jeunesse lui pouvoit faire entreprendre de mal à propos. Nôtre Regiment ne sortit point de la Cour, parce que bien que l'armée du Duc fut plus foible que celle des ennemis, comme il y avoit tout à craindre de l'ambition des grands, il ne faloit pas se trouver tellement denué de toutes choses, qu'on fut hors d'état de s'y opposer. La Reine sur les derniers jours de la vie du Roi fit pressentir le Parlement, s'il ne seroit point d'humeur à passer par dessus là declaration qu'il avoit verifiée, en lui decernant la tutelle de son fils dans toute l'étenduë qu'une mere pouvoir desirer. L'Evêque de Beauvais son premier Aumonier qui étoit d'une famille des plus considerables de la Robe fut celui qu'elle y employa. Il y réüssit parfaitement bien, & ses parens qui se flattoient que la récompense de ce service seroit le commencement de sa fortune, lui firent tout esperer, dans la vûë que quand il seroit parvenu aux grandeurs qu'ils lui desiroient il leur feroit part de son bonheur. La Reine étant assurée de ce côté-là, laissa mourir le Roi avec plus de tranquilité qu'il ne sembloit qu'elle ne dût avoir dans un état comme le sien. Peut-être n'étoit-elle ainsi consolée que par la joye qu'elle avoit de voir que la fortune du Roi son fils seroit maintenant en seureté entre ses mains, au lieu qu'elle craignoit auparavant que le Duc d'Orleans & le Prince de Condé n'abusassent de l'authorité que le Roi leur donnoit par sa declaration. Peut-être aussi que sa douleur ne pouvoit pas être si vive qu'elle eut été, si cette mort eut été imprevûë mais comme ce Prince languissoit depuis long-tems, & qu'il y avoit déja plus d'un mois qu'on s'attendoit tous les jours qu'il dût expirer, il n'étoit pas étonnant qu'elle se fut fait comme une espece de calus qui la rendoit plus disposée à cette séparation qui est d'ordinaire si sensible a une femme. Enfin le Roi étant mort la Reine, qui avoit trouvé moyen de faire renoncer le Duc d'Orleans à l'authorité que le Roi lui donnoit par sa declaration, monta au Parlament avec lui. Cette Compagnie dont les principaux étoient gagnez par l'Evêque de Beauvais lui decerna la Regence avec une Puissance absoluë, malgré les dernieres intentions de Sa Majesté. Quelques jours avant la mort du Roi Mellos, après avoir fait mine pendant quelque-tems de vouloir entrer en France par la Somme, marcha tout d'un coup du côté de la Champagne où il mit le Siege devant la Ville de Rocroy. Cette Ville qui en est comme le boulevart du côté que les Païs-Bas confinent avec elle, est scituée avantageusement. Elle a une grande quantité de bois d'un côté qui en rendent les approches extrémement difficiles, de l'autre un Marais qui la rendroit imprenable s'il regnoit tout allantour. Avec une situation si avantageuse c'eut été dequoi faire échouer le dessein de Mellos, si elle eut été munie suffisament de toutes choses, & que ses fortifications eussent été en bon état; Mais, soit que le Cardinal de Richelieu eut crû avant que de mourir que les Espagnols n'étoient pas en état d'entreprendre un siege de cette conséquence, ou que les affaires qu'il leur avoit faites en Portugal, en Catalogne & dans l'Arthois leur feroient employer leurs forces de ce côté-là plûtôt que d'un autre, il avoit assez negligé d'y pourvoir. Le Roi defunt n'en avoit pas eu plus de soin après sa mort; ainsi quand Mellos arriva devant il y avoit un des dehors qui étoit presque éboulé, & si peu de Garnison pour les défendre qu'elle perdit courage à son approche. Le Duc d'Anguien dont on s'étoit bien apperçû de la valeur dans deux ou trois Campagnes qu'il avoit faites auparavant en qualité de volontaire, conclut d'abord à la secourir promptement. Le Marêchal de l'Hospital s'y opposa, sous pretexte des difficultez qui s'y presentoient, mais en effet parce qu'il avoit des ordres secrets d'empêcher qu'on ne hazardât une bataille. La Reine mere qui les lui avoit envoyez avoit consideré qu'on ne pouvoit la perdre sans ouvrir tout le Royaume aux ennemis, & peut-être sans renverser tous les projets qu'elle feroit à cause de sa fortune presente, qui lui promettoit plus de bonheur que par le passé. Le Duc ne fut point content de tout ce que ce Marêchal lui pouvoit remontrer pour lui faire approuver sa retenuë: son courage lui faisoit voir de la facilité dans les plus grandes difficultez, & il aimoit mieux l'en croire que tout le reste; ainsi ayant commandé à Gassion de marcher par les bois avec quelque Cavallerie qui porteroit des fantassins en croupe, pour voir s'il ne les pouroit point jetter dans la Ville, il le suivit lui-même comme pour l'appuyer seulement. Gassion qui croyoit mériter du moins avec autant de justice le Baton de Marêchal de France que l'Hospital qui l'avoit obtenu sur la fin de la vie du feu Roi, connut bien le dessein du Duc, soit qu'il lui en eut fait confidence, comme l'apparence n'en sauroit donner d'autre pensée, ou qu'il le pénétrât de lui-même: ainsi regardant cette occasion comme une chose qui lui pouvoit procurer cet honneur, sans lui pouvoir faire jamais de peine, puis qu'il n'agissoit que par les ordres de son general il couvrit si-bien sa marche qu'il passa tout au travers du quartier des Italiens que Mellos avoit avec lui, sans être obligé de rendre qu'un médiocre combat. La plûpart des fantassins qu'il avoit entrerent dans la place, & ce secours l'ayant un peu rassurée, Gassion envoya dire au Duc ce qu'il venoit d'executer selon qu'il le lui avoit ordonné lors qu'il l'avoit fait partir. Le Duc qui après avoir levé en marchant tout ce qu'il avoit pû des Garnisons qui étoient sur son passage, avoit rendu son armée forte de vingt-un à vingt-deux mille hommes, en sorte que celle de Mellos n'étoit plus superieure à la sienne que de quatre mille tout au plus, le Duc, dis-je, qui étoit resolu plus que jamais de combattre, lui manda que s'il pouvoit se maintenir dans une petite plaine qui est entre les bois & la place, il le verroit bientôt accourir à son secours. Gassion ne pût executer cet ordre, parce que bien qu'il eut des défilez qu'il pouvoit mettre devant lui, il apprehenda d'être obligé à la fin de succomber sous le nombre; ainsi étant revenu au devant du Duc, il lui fit rapport de tout ce qu'il avoit reconnu devant la place. Ces nouvelles ne firent qu'augmenter l'ardeur que ce general avoit de combattre. Il lui donna un plus grand nombre de troupes qu'il n'en avoit pour retourner dans la plaine, & Mellos n'ayant pas eu la précaution d'en faire garder les défilez, soit qu'il méprisât la jeunesse du Duc ou qu'il ne fit guéres de cas de son armée, qu'il ne consideroit que comme des troupes ramassées & par conséquent peu capables de se mesurer avec les siennes qui étoient l'élite de tout ce que l'Espagne avoit de meilleur, Gassion y rentra sans y trouver aucun obstacle. Mellos n'avoit peut-être pas trop crû jusques-là que le Duc ôsât se presenter devant lui. Il savoit qu'il lui étoit inferieur non-seulement en nombre, mais encore dans la valeur de ses troupes, du moins à ce qu'il pensoit; Mais voyant qu'il devoit changer maintenant de sentiment il eut été faché sans doute de ne pas avoir mieux pris qu'il n'avoit fait ses précautions, si ce n'est qu'il se flattât en même tems que cela n'arrivoit que pour lui faire acquerir plus de gloire. Ainsi sans vouloir attendre le secours qui lui venoit d'Allemagne & qui marchoit pour se joindre à lui, il quitta ses lignes où il ne laissa que des gens suffisamment pour les garder, & fut à la rencontre du Duc d'Anguien. Gassion s'étoit déja emparé d'une hauteur qui lui étoit favorable pour le combat, & les deux armées s'étant avancées en presence l'une de l'autre qu'il étoit déja presque nuit, rien ne retarda le combat, que parce que de part & d'autre ils étoient bien aises d'avoir le jour pour témoin de leurs actions. Mais la nuit ne fut pas plûtôt passée que les deux armées en vinrent aux mains dès la pointe du jour. Le Combat fut étrangement opiniatré de part & d'autre; mais enfin le Duc ayant fait des actions prodigieuses de conduite & de valeur, & ayant été parfaitement bien secondé par toutes les troupes, principalement par Gassion, la victoire se declara tellement pour lui qu'il y avoit long-tems qu'il ne s'en étoit remporté une pareille. Toute l'infanterie ennemie fut taillée en piece, & le Comte de Fontaine ayant été tué à la tête en donnant ses ordres d'une litiére où il étoit, à cause qu'il étoit tellement mangé de goûtes qu'il ne pouvoit se tenir à cheval il n'y eut plus rien qui fit resistance. Ce grand évenement n'arriva pas néanmoins sans qu'il en coutât beaucoup de sang aux nôtres, le Comte se défendit en lion, & il falut du canon pour rompre un Bataillon quarré au milieu duquel il avoit paru si intrepide qu'on eut dit qu'il se croyoit au milieu d'une citadelle. Un grand nombre de drapeaux & d'étendarts servirent encore de trophée à la gloire du Duc avec quantité de pieces de canon qu'il avoit prises dans le combat. Comme nous ne sommes plus du tems des Romains, qui punissoient de mort ceux qui osoient donner bataille contre leurs ordres, quelque heureux succès qu'elle pût avoir, la Reine mere oublia en faveur de sa victoire la hardiesse qu'il avoit euë de combattre nonobstant que le Marêchal lui eut dit à la fin de sa part, le voyant résolu de le faire, que ce n'étoit pas là son dessein. Cette victoire qui arriva cinq jours après la mort du Roi, ne pouvoit aussi venir plus à propos pour faire évanouïr quantité de brigues qui s'élevoient contre l'autorité naissante de la nouvelle Regente, principalement quand ceux qui croyoient avoir le plus de part dans ses bonnes graces s'en virent éloignez. L'Evêque de Beauvais en fut du nombre, le service qu'il avoit rendu à la Reine Mere lui faisant croire qu'elle ne le pouvoit bien reconnoître qu'en lui donnant la place de premier Ministre, il y aspira si ouvertement qu'il ne fit point de difficulté de lui en parler lui-même. La Reine Mere tâcha, sans être obligée de lui dire qu'il n'en étoit pas capable, de lui faire sentir qu'il seroit plus heureux mille fois de demeurer en l'état où il étoit que de chercher à s'élever davantage par un poste tout rempli d'épines & de traverses. Mais il ne voulut pas l'entendre à demi mot, si-bien que fâché de ne pas trouver en elle toute la reconnoissance qu'il esperoit, il se fit chasser à la fin de la Cour, pour avoir osé faire paroître le mécontentement qu'il avoit, de ce que cette Princesse eut jetté les yeux sur un autre que lui pour lui faire remplir cette place. Ce fut sur le Cardinal Mazarin que la Reine fit tomber son choix, & il ne fut pas plûtôt parvenu à cette dignité qu'il fit tout ce qu'il pût pour ruïner Chavigny. Il lui fit ôter sa charge de Secretaire d'Etat, sous pretexte que le Cardinal de Richelieu ne l'en avoit revétu qu'après l'avoir ôtée assez injustement au Comte de Brienne. Il fut bien aise ainsi de couvrir, sous ombre de justice, la haine qu'il lui portoit; mais comme il ne cessa point de le persecuter depuis, & même que cette persecution dura jusques à sa mort, on ne fut pas long-tems à reconnoître au travers de tous ses deguisemens le principe qui le faisoit agir. Cette aversion procedoit de ce qu'il ressembloit à beaucoup de gens qui sont bien aises quand ils sont dans le besoin, de trouver qui les assistent; mais qui ne peuvent plus souffrir leur vûë du moment qu'au lieu de la necessité où ils étoient, ils se voient dans l'opulence. Mazarin à son avenement à la Cour y étoit venu si miserable qu'il avoit eu besoin que quelqu'un lui fournit ses necessitez. Il n'avoit eu d'abord qu'une pension fort modique, & qui n'étant pas suffisante pour le faire subsister, il avoit été trop heureux que Mr. de Chavigny, qui le connoissoit pour s'être servi de lui dans les affaires d'Italie, lui eut donné une chambre chez lui & la table de ses commis. Au reste comme il se voyoit élevé maintenant à un poste qui lui faisoit honte de son premier état, il étoit bien aise de n'en pas avoir à tous momens devant les yeux un témoin d'autant plus incommode, qu'il se figuroit qu'il ne lui jettoit pas un regard que ce ne fut pour lui reprocher ce qu'il avoit fait pour lui. Le choix que la Reine avoit fait de son Eminence pour premier Ministre, ne déplut pas au Duc d'Orleans ni au Prince de Condé, avec qui Sa Majesté étoit résolu de bien vivre pour ne leur pas donner sujet de troubler le commencement heureux du régne de son fils. Le Cardinal la confirma dans cette resolution, & il s'y conforma lui-même de peur de se les attirer tous deux à dos. Il sçavoit que quantité de gens, jaloux de sa fortune, commençoient à murmurer de ce que la Reine mere lui avoit fait cet honneur au préjudice de tant de François, comme s'il n'y en eut pas un parmi eux qui fut capable de remplir un poste comme celui-là. Ainsi au lieu de faire paroître d'abord son avarice, & sa vanité, comme il fit depuis, il demeura non-seulement dans un grand respect auprès d'eux, mais il sembla encore n'emprunter tous ses mouvemens que de leurs volontez. Il se contenta cependant durant quelque tems de vivre de ses pensions & de quelques bien-faits que la Reine mere lui faisoit de fois à autre, tellement qu'ils se crurent trop heureux tous deux de ce que cette Princesse eut choisi un homme si raisonnable & qui songeoit plus à remplir son devoir qu'à acquerir des richesses. La protection que ces deux Princes lui donnerent tant qu'il ne s'éloignât point de ce Principe, n'empêcha pas que d'autres que l'Evêque de Beauvais ne se montrassent jaloux de son élevation. Le Duc de Beaufort à qui la Reine mere avoit témoigné tant de confiance le jour de la mort du Roi, que de lui remettre entre les mains la garde des deux Princes ses enfans, fâché qu'une action qui lui promettoit beaucoup de faveur fut demeurée sans aucune suite, s'unit avec Madame la Duchesse de Chevreuse qui étoit un esprit bien entreprenant. Elle s'étoit fait exiler du vivant du feu Roi, parce que Sa Majesté la soupçonnoit de donner de méchans conseils à la Reine. Elle avoit demeuré pour le moins dix ans à Bruxelles, où on l'accusoit encore d'avoir voulu de concert avec Marie de Medicis veuve de Henri le Grand, qui s'y étoit aussi retirée, tâcher de fois à autre de brouiller l'Etat. Elle en étoit enfin revenuë après la mort de Louïs le Juste, parce que la Reine avoit jugé que n'ayant été exilée qu'à sa consideration, il n'étoit pas juste qu'elle demeurât plus long-tems dans la souffrance. Cette Duchesse qui avoit été bien autrefois avec Sa Majesté avoit esperé d'abord qu'elle ne seroit pas plûtôt de retour auprès d'elle qu'elle auroit grande part au Gouvernement. Son ambition & sa vanité lui faisoient croire que si elle en étoit incapable par son sexe, elle éleveroit toûjours quelqu'un au ministere qui lui seroit si soumis, qu'il n'auroit que le nom de Ministre pendant qu'elle en auroit toute l'authorité. Elle jettoit les yeux pour cela sur Châteauneuf le garde des sceaux, qui avoit été encore bien plus maltraité qu'elle sous le régne du feu Roi. Car si elle avoit été obligée de passer dix ans hors du Royaume, il en avoit passé du moins autant dans le Château d'Angouléme, où il avoit été renfermé. Il n'y avoit eu que la mort du Roi qui lui avoit fait recouvrer la liberté, & elle croyoit que comme il étoit son ami particulier, & capable de remplir un poste comme celui-là, elle ne pouvoit mieux faire que de l'opposer au Cardinal Mazarin. Ses esperances s'étant trouvé trompées à son arrivée, & la Reine au lieu de répondre à son attente l'ayant reçûë non-seulement avec assez d'indifference, mais encore avec assez de mépris, elle s'unit avec le Duc de Beaufort dont le mécontentement étoit reconnu si generalement de tout le monde, qu'il n'y avoit personne qui ne crût que le Cardinal ne feroit pas trop mal de prévenir les menaces qu'il ne pouvoit s'empêcher de faire dans son emportement. Car quoi qu'il ne fut pas si fou que de les lui faire à lui-même, comme il avoit si peu de discretion que de ne pas prendre garde devant qui il parloit, c'étoit presque la même chose que si c'eut été en sa presence. Châteauneuf dont la mère étoit de la Maison de la Chastre voyant qu'il ne tiendroit pas à la Duchesse & au Duc de Beaufort qu'ils ne le fissent premier Ministre, ne voulut pas s'y opposer, quoi qu'il eut lieu de craindre que cela ne le fit remettre en prison; ainsi après avoir surmonté le trouble que cette pensée lui pouvoit apporter, il mit dans cette intrigue Mr. de la Chastre Colonel General des Suisses son proche parent. Celui-ci avoit eu cette charge à la mort du Marquis de Coaislin gendre du Chancelier. Ce Marquis avoit été tué au Siege d'Aire, il y avoit deux ans, & il avoit laissé trois garçons de sa femme, savoir le Duc de Coaislen d'aujourd'hui, l'Evêque d'Orleans & le Chevalier de Coaislin, le Marêchal de Bassompierre avoit possedé cette charge auparavant, & avoit eu bien de la peine à y être reçû, parce que les Suisses pretendoient qu'ils ne devoient avoir qu'un Prince à leur tête, & que n'en ayant jamais eu d'autre, il leur étoit honteux d'avoir maintenant un simple Gentilhomme. Cependant après avoir fait la planche pour lui, ils firent la même chose ensuite, pour Mr. de Coaislin, & pour Mr. de la Chastre, jusques à ce qu'enfin ils sont revenus aujourd'hui sous le commandement de Mr. le Comte de Soissons Prince de la Maison de Savoye qui a épousé une niece du Cardinal Mazarin. Mr. de la Chastre n'eut point d'autre motif en entrant dans cette intrigue que d'en rendre sa fortune meilleure. Ainsi quoi qu'il ait fait des memoires tout exprès pour insinuer au public qu'il a été bien plus malheureux que coupable, tout ce qu'il y a de vrai c'est qu'il considera uniquement, que Mr. de Châteauneuf n'ayant point d'enfans, & se faisant honneur de son Alliance, il prendroit plaisir de l'élever, s'il se voyoit jamais en état de le pouvoir faire. Cette ligue fut nommée la caballe des importans, & eut un succès bien different de ce qu'esperoient les conjurez. L'on croit que leur dessein étoit de se défaire du Cardinal à quelque prix que ce fut, & de l'assassiner, plûtôt que d'y manquer, mais ce Ministre ayant eu vent de leur complot fit arrêter le Duc de Beaufort & le Comte de la Chastre; le premier fut mis à Vincennes & l'autre à la Bastille. Celui-ci en fut quitte pour la perte de sa charge, où le Marêchal de Bassompierre rentra, en lui rendant l'argent qu'il en avoit donné. L'autre après avoir été trois ou quatre ans en prison s'en sauva heureusement, & s'étant caché pendant quelque tems en Berri, il revint enfin à Paris, quand il vit que cette grande Ville s'étoit revoltée contre le Roi. C'est ce que je dirai en son lieu, & ceci n'est seulement qu'en passant. La Reine mere se voyant assurée, par la prison de ces deux hommes & par l'exil de la Duchesse de Chevreuse qui passa en même-tems en Espagne, croyant qu'il n'y auroit plus personne d'assez hardi dans le Royaume pour rien entreprendre contre sa volonté, envoya la plus grande partie de nôtre Regiment sur la Frontiere de Lorraine où Mr. le Duc d'Anguien s'étoit acheminé après la bataille de Rocroi. Il y assiegea Thionville, & l'ayant prise par composition il fut ensuite au secours du Marêchal de Guébriant, qui se trouvoit serré de bien près entre deux armées. Il le tira de peril, mais ce Marêchal ayant assiegé Rotwiel, sur la fin de la campagne, il y reçût un coup de fauconneau dont il mourut deux jours après s'être emparé de cette place. La compagnie dont j'étois ne fut pas du detâchement qui avoit été envoyé au Duc d'Anguien & ainsi me voyant comme inutile à Paris je demandai permission à mon Capitaine de m'en aller en Angleterre avec Mr. le Comte de Harcourt que la Reine envoyoit en ce païs-là, pour moyenner quelque accommodement entre Sa Majesté Britannique & son Parlement. Le Cardinal de Richelieu qui avoit fomenté les desordres qu'il y avoit entr'eux, n'avoit pas prevû qu'ils dussent aller si loin qu'ils avoient été. Ce peuple qui ne se gouverne pas comme les autres, après avoir accusé son Roi de vouloir introduire une authorité absoluë dans son Royaume & d'y changer la Religion, avoit pris les armes contre lui. Il s'étoit déja donné plusieurs batailles là-dessus, & le sang qui y avoit été versé avoit plûtôt aigri les esprits qu'il ne les avoit disposez à entendre à une bonne paix. Le Comte d'Harcourt, auprès de qui je trouvai de la recommandation, me reçût parmi ses Gentilshommes qui étoient en grand nombre. Car comme c'étoit un Prince fameux par quantité de grandes actions, il ne vouloit pas que rien dementit chez les étrangers la réputation qu'il savoit bien s'y être acquise. Nous fumes d'abord trouver le Roi d'Angleterre qui étoit à Exester dont son armée, qu'il avoit mise sous le commandement des Princes Robert & Maurice ses neveux fils de Frederic V. Roi de Bohéme & Electeur de Palatin, s'étoit emparée il n'y avoit que peu de tems. Le Comte de Harcourt trouva ce Prince mou & qui n'avoit aucune résolution, de sorte qu'il avoit déja manqué diverses occasions dont il eut pû se servir pour faire rentrer sous son obeïssance la Vile de Londres qui s'étoit revoltée contre lui. Le Comte d'Harcourt qui étoit aussi entreprenant que ce Roi étoit timide, voulut lui inspirer de la vigueur comme la seule chose qui étoit capable de rétablir son authorité; mais il lui répondit qu'il en parloit bien à son aise, qu'il croyoit apparement que les Anglois ressemblassent aux François, qui ne s'écartoient guéres du respect qu'ils devoient à leur Souverain, & qui quand ils s'en écartoient une fois pouvoient être contraints d'y rentrer par toutes sortes de voyes, quelque rudes & quelque extraordinaires qu'elles pussent être; que cependant il vouloit bien qu'il fût que s'il étoit permis de tenir ainsi le baton levé aux uns c'étoit tout autrement à l'égard des autres; que ce seroit justement le moyen de se perdre; que les Anglois vouloient être ramenez par la douceur, c'est pourquoi il le prioit d'aller faire un Tour à Londres pour essayer d'en faire plus par ses conseils qu'il n'en pouroit jamais faire avec une armée, tout grand Capitaine qu'il étoit. Le Comte de Harcourt vit bien où le mal le tenoit, & ne croyant pas que ce Prince réüssit jamais tant qu'il en useroit de la sorte, il partit plûtôt pour le contenter que pour aucune esperance de venir about de ce qu'il desiroit. Il y en a beaucoup qui ont prétendu que le Cardinal Mazarin qui se conduisoit sur les Memoires du Cardinal de Richelieu, bien loin de desirer ainsi la paix de ce Royaume avoit ordonné au contraire à ce Prince d'y semer encore la division & le trouble. Pour moi c'est ce que je ne saurois dire au juste, si je le voulois faire ce seroit parler contre ma connoissance. Je crois même que la plûpart de ceux qui en parlent ainsi ne le sont que par conjectures, c'est-à-dire parce que la politique que l'on voit s'observer entre les Puissances est de tirer avantage de tout sans se mettre en peine ni de ce que le sang ni la charité les obligent de faire. Quoi qu'il en soit le Comte de Harcourt étant arrivé à Londres il y eut de grandes conferences avec le Comte de Bedfort qui étoit le plus grand ennemi que le Roi d'Angleterre eut dans son Parlement. Il en eut aussi quelques-unes avec quelques autres personnes de distinction qu'il eut pû amener à son sentiment sans ce Comte, qui s'opiniatra si fort à vouloir ruïner l'authorité de son Souverain, que le Comte de Harcourt ne se pût empêcher de lui dire d'y prendre bien garde, & que si jamais Sa Majesté Britannique trouvoit moyen de regagner la confiance de ses sujets, il étoit comme impossible qu'il oubliât jamais l'obstacle qu'il y auroit apporté. Bedfort lui répondit avec beaucoup de hardiesse, & peut-être avec assez peu de raison, que quand il lui faisoit cette menace, il égaloit apparement le pouvoir des Rois d'Angleterre avec ceux des Rois de France en ces derniers tems; qu'il y avoit bien à dire de l'un à l'autre, & que les Anglois étoient trop sages pour souffrir jamais que leur Souverain se vengeât directement ou indirectement d'une personne qui se seroit attiré sa haine, pour avoir embrassé, comme il faisoit, leurs intérêts; que leur Nation avoit des loix sur lesquelles il faloit que leurs Princes se conformassent, à moins que de la voir tout aussi-tôt se declarer contr'eux; que c'est ce qui étoit toûjours arrivé toutes fois & quantes qu'ils avoient voulu entreprendre quelque chose au delà de leur pouvoir, & ce qui arriveroit encore à l'avenir, parce qu'il n'y avoit pas un Anglois qui ne sut que c'étoit en cela que dependoit leur liberté & leur repos. Tout ce que je viens de dire se sût tout aussi-tôt dans la Ville, quoi que cela se fut passé tête à tête & secretement. Je crois que ce fut le Comte de Bedfort qui prit plaisir de le divulger, afin de faire voir au Peuple qu'il étoit toûjours le même, & que rien n'étoit capable de le fléchir. Cependant ce qui se disoit des ménaces que le Comte de Harcourt lui avoit faites, si néanmoins on peut appeller de ce nom-là ce qu'il lui avoit dit, le rendit odieux au Peuple, les Anglois ne firent non plus d'état de lui que si c'eut été un simple particulier. Il passoit tous les jours dans les ruës sans qu'on lui donnât le moindre coup de chapeau. Un Cocher même d'un Carosse de place, comme il y en a quantité en ce païs-là, s'étant rencontré avec le sien, eut l'insolence de vouloir passer devant lui. Je ne sais à quoi il tint que ses valets de pied ne le tuassent sur le Champ, aussi crois-je aisément qu'ils n'y eussent pas manqué, si ce Prince qui avoit peur de commettre legerement son authorité, en armant une vile populace contre lui, ne leur eut commandé de s'abstenir d'aucune voye de fait. Soucariere, qui étoit batard du Duc de Bellegarde grand Ecuyer de France, se trouvant alors dans son Carosse avec lui, mit pied à terre, comme il vit qu'il s'assembloit déja beaucoup de peuple, & que peut-être en arriveroit-il quelque accident. Il n'en connoissoit les maniéres d'agir, parce qu'il avoit fait déja plusieurs voyages en ce païs-là qui ne lui avoient pas été infructueux; car il y avoit gaigné des sommes immenses à la Paulme, & la Cour n'avoit pas été fâchée qu'il fut à la suite du Comte, parce que comme il y étoit connu de tout ce qu'il y avoit de grands Seigneurs, elle esperoit qu'il ne lui seroit pas inutile dans ses Negociations. Soucariere qui parloit Anglois parla au Cocher, & ne lui auroit peut-être parlé qu'inutilement, si ce n'est qu'un nommé Smit avec qui il joüoit tous les jours, se trouva par hazard dans le Carosse que menoit cet insolent. Il fit semblant de se reveiller comme d'un profond sommeil, ou plûtôt comme s'il eut été assoupi par le vin, afin de se mettre à couvert de la faute qu'on lui eut imputée, d'avoir gardé le silence dans une occasion où il avoit tant de sujet de le rompre. Il sortit alors du Carosse, & après avoir embrassé Soucariere, il fut le premier à menacer son Cocher que s'il ne se montroit plus sage ce seroit à lui qu'il auroit à faire. Sa voix fit plus d'effet que le caractere du Comte, qui à la dignité d'Ambassadeur joignoit encore celle de Prince, qui n'est guéres moins recommandable chez toutes les Nations. Le Comte de Harcourt fut fort loué de sa moderation, & le Parlement ayant ouï parler de ce qui lui étoit arrivé fit mettre le Cocher à Nieugatte, prison où l'on met les malfaiteurs. Il fit mine même de le vouloir punir, mais le Comte de Harcourt ayant demandé sa grace, il en fut quitte pour quelques jours de captivité. Le Roi d'Angleterre attendoit toûjours la réponse du Comte d'Harcourt, & soit qu'il esperât qu'elle lui seroit favorable, ou qu'il ne voulut répandre le sang de ses sujets qu'à l'extremité, il avoit differé de combattre le Comte d'Essex qui commandoit l'armée du Parlement; mais enfin le Comte de Harcourt lui ayant mandé que bien loin qu'il dut s'attendre à les voir ainsi rentrer dans le devoir, il devoit conter qu'ils ne le feroient jamais que par force, il lui fit sentir si-bien la necessité où il étoit de ne les pas ménager d'avantage que Sa Majesté Britannique résolut de donner un nouveau combat. Le bruit en étant parvenu jusques à Londres nous demandâmes permission au Comte de Harcourt, tous tant que nous étions de Gentilshommes auprès de lui, de nous en aller dans l'armée de Sa Majesté Britannique. Il nous le donna secrettement, parce que s'il l'eut fait d'une autre maniére, il eut eu peur de contrevenir par-là à ce que son caractere demandoit. Nous partîmes donc les uns après les autres, & par differens chemins, comme si la route que nous voulions prendre eut été toute opposée l'une à l'autre, mais nous étant bien-tôt rassemblées nous fîmes un petit escadron, sans être obligez de recevoir parmi nous d'autres personnes que celles qui étoient venuës à la suite de cet Ambassadeur. Nous fumes offrir nôtre service au Roi qui n'étoit qu'à deux lieuës de son armée. Il nous reçût parfaitement bien, & nous donna des lettres pour ses Generaux. Nous n'étions pas encore arrivez auprès d'eux que le Parlement fut averti de ce qui se passoit. Il en fit de grandes plaintes au Comte de Harcourt, lui disant que s'il lui arrivoit quelque chose, qui fut contraire au droit des gens, il n'eut qu'à s'en prendre à lui-même; que c'étoit lui qui y contrevenoit le premier, & qui donnoit lieu par-là qu'on lui manquât de respect, sans qu'on y pût mettre remede. Ce discours qui étoit une espece de menace n'étonna pas ce Prince, quoi qu'il eut tout à apprehender de l'esprit inquiet de ces Peuples. Il répondit à ceux qui le lui tenoient, que ceux dont ils faisoient des plaintes n'étant ses Domestiques que par accident, c'est-à-dire, que parce qu'ils avoient voulu voir le païs & l'accompagner dans son Ambassade, ils ne lui avoient pas demandé permission de faire ce qu'ils avoient fait; que la Noblesse Françoise avoit cela de propre, que quand elle avoit une bataille elle n'y courait pas seulement, mais encore qu'elle y voloit; que s'ils en avoient pris son avis, ils se fussent bien donné de garde de le faire; mais que de jeunes gens comme nous étions tous la plûpart ne faisoient pas toûjours reflexion à ce qu'ils devoient faire. Ces raisons ne contenterent pas le Parlement. Il donna des ordres rigoureux contre nous, & écrivit même au Comte d'Essex que si nous pouvions tomber par hazard entre ses mains, il nous traitât le plus rigoureusement qu'il lui seroit possible. Le Comte d'Essex qui ne cherchoit qu'à lui plaire, mit un parti en campagne pour nous joindre devant que nous nous pussions rendre à l'armée de l'endroit où nous avions été trouver le Roi, mais ce parti en ayant rencontré un autre des troupes de Sa Majesté l'attaqua, parce qu'il se voyoit plus fort que lui. Il croyoit qu'après en avoir eu la victoire, il lui seroit facile de poser son embuscade & de nous surprendre sur nôtre passage: en effet il avoit déja beaucoup d'avantage sur ses ennemis, quand par malheur pour lui nous arrivâmes à la vûë du lieu où se rendoit le combat. Nous y courûmes aussi-tôt pour donner secours à ceux que nous voyons combattre pour Sa Majesté Britannique. Il nous fut facile de les reconnoître & de reconnoître les autres pareillement au differentes marques qu'ils avoient mis sur leur chapeau. Ainsi ayant pris ceux-ci par derriere nous les tuâmes tous à la reserve de cinq ou six qui se trouverent si-bien montez qu'il nous fut impossible jamais de les attraper. Ils se sauverent dans leur armée, où ayant conté à leur General comment sans nôtre arrivée, ils étoient sur le point de défaire plus de deux cent cinquante chevaux de l'armée du Roi, ils nous firent si noirs par là auprès de lui, qu'il résolut s'il nous pouvoit prendre de ne nous faire aucun quartier. Ce qui l'animoit encore d'avantage contre nous c'est qu'il se voyoit à la veille d'une bataille, & que venant de perdre trois cent chevaux comme il y en avoit bien autant à l'égard de ceux que nous venions de passer au fil de l'épée, ils lui pouvoient faire faute dans une occasion comme celle là. Nous apprîmes dès le lendemain par le Prince Robert, à qui ses espions l'avoient rapporté, que cette rencontre le mettoit non-seulement en grande colere; mais encore que pour s'en venger il avoit consigné à l'ordre, que le jour de la bataille on eut à ne nous donner aucun quartier. Il commanda même deux escadrons qui étoient les troupes de son armée en qui il avoit le plus de confiance, de s'attacher à nous particuliérement, sans se mettre en peine des autres. Il leur dit que nous voudrions faire apparement les avanturiers, & que comme nous nous mettrions à la tête de tout en guise d'enfans perdus, il leur seroit aisé non-seulement de nous reconnoître, mais encore de venir à bout de leur dessein. Toutes ces circonstances étant venuës à la connoissance du Prince Robert, il voulut nous persuader de nous mêler dans ses escadrons, trois ou quatre dans l'un, autant dans un autre, & ainsi du reste; Quelques-uns y toperent assez, mais un nommé Fondreville, Gentilhomme de Normandie très brave homme, & qui avoit fait plusieurs campagnes sous le Comte de Harcourt, nous ayant representé que nous ne pouvions accepter cette proposition sans nous deshonorer, ou tout du moins sans nous derober la gloire que nous pouvions acquerir dans cette journée, il fit revenir chacun à son sentiment. Nous priâmes donc le Prince Robert de nous laisser faire corps à part, & il ne fut pas trop fâché de nôtre priere, parce qu'il jugea qu'animez comme nous étions, à cause du procedé du Comte d'Essex, nous ne manquerions pas de donner bon exemple à ses troupes, pour peu qu'elles eussent de bonne volonté. Le mépris que nous témoignions faire de nôtre seureté, parce que nous croyons qu'il y alloit de nôtre gloire, le toucha; ainsi ne voulant pas laisser perir de si braves gens sans nous donner tout le secours qu'il lui seroit possible, il commanda la compagnie de ses gardes, & celle du Prince son Frere pour nous soutenir. C'étoit bien les deux plus belles compagnies que j'eusse vûës jusques-là, & je ne saurois mieux les comparer, qu'à la maison du Roi sur le pied qu'on la mise, depuis que Sa Majesté la purgée des parties honteuses qui la deshonoroient avant la reforme qu'il en a faite. Car pour en dire la vérité il ne doit y avoir pour la garde d'un si grand Prince que des gens de qualité ou des gens de service, tels qu'il y en a presentement. Ce n'étoit pas à des fermiers, comme toutes les compagnies des Gardes du corps & celle des Gendarmes étoient remplies, à avoir entre leurs mains une personne aussi precieuse que celle de Sa Majesté, & bien que je sache que ce n'a peut-être pas été dans cette vûë que cette reforme a été faite, comme je le dirai tantôt, la chose n'en a pas été moins utile. Ce n'est pas là la premiere fois qu'il est arrivé un bien, quoi que l'on eut peut-être une autre vûë: qu'importe quelle qu'elle soit, pourvû que le Prince & l'Etat y trouvent leur compte. Mais pour en revenir à mon sujet, le combat étant ainsi resolu de la part du Roi, & le Comte d'Essex ne le fuyant pas, parce qu'il se croyoit non-seulement aussi fort que lui, mais qu'il vouloit encore obliger le Parlement, qui parloit de le destituer de son emploi à cause de quelques fautes, qu'il y avoit faites, à le lui continuer, les deux armées s'approcherent l'une de l'autre. Au reste n'y ayant plus qu'un ruisseau qui les séparât, nous demandâmes au Prince Robert de nous laisser prendre la tête de tout, comme le Comte d'Essex s'y étoit bien attendu; mais les Anglois qui font peu d'état de toutes les autres nations en comparaison de la leur, n'ayant garde de souffrir qu'il nous accordât nôtre demande, ce Prince nous fit entendre qu'il l'eut bien voulu, mais qu'il ne lui étoit pas permis de le faire; que tout ce qu'il pouvoit pour nôtre service, si nous étions d'humeur à l'accepter, étoit de nous mêler dans les escadrons qui marcheroient les premiers aux ennemis, que nous eussions à voir si nous voulions nous contenter de ces offres, parce que sans cela tout ce qu'il pouvoit faire étoit de nous placer sur les ailes. Fondreville qui nous avoit déja empêché de recevoir une pareille proposition, nous en empêcha encore; ainsi nous étant mis où il vouloit, le combat se donna, & fut allez opiniatré d'abord, mais les Parlementaires ayant bientôt lâché le pied, la victoire fut si-bien à nous que si le Roi eut voulu faire marcher son armée du côté de Londres, il y a grande apparence que cette Ville se fut soumise à toutes les conditions qu'il lui eut plû d'imposer. Fondreville prit la liberté de lui en témoigner sa pensée, après que Sa Majesté fut venuë joindre le Prince Robert, mais comme elle étoit toûjours remplie non-seulement de timidité, mais encore infatuée de la pensée qu'il ne faloit pas pretendre ramener les Anglois comme on faisoit les autres nations, il fut si facile que d'écouter quelques propositions que le Parlement lui fit faire, à dessein seulement de l'amuser. Devant que la bataille se donnât, comme nous avions reçû avis du Comte de Harcourt de nous donner bien de garde de le venir retrouver à Londres, parce que le Parlement sans aucune consideration pour lui auroit bien la mine de nous y faire arrêter, nous obtinmes adroitement du Comte d'Essex des Passeports pour nous en retourner dans nôtre païs. Il est vrai que Sa Majesté Britannique s'y employa elle-même. Elle les lui demanda sous le nom de quelques Anglois qui vouloient aller voyager en France avec un gros train, & nous fit passer pour leurs Domestiques. Je ne sais si le Parlement ne fit point semblant de s'aveugler lui-même, de peur de se faire une affaire avec nôtre Roi en nous faisant arrêter; quoi qu'il en soit m'en étant revenu en France sans qu'il m'arrivât aucun accident, non plus qu'à sept ou huit autres François qui passerent la mer avec moi en la compagnie du fils de Milord Pembroc, je fus retrouver mes amis qui me témoignerent que je leur ferois plaisir de leur raconter tout ce que j'avois vû en ce païs-là. Mon Capitaine fut épris aussi du même desir, & trouvant que le compte que je lui en avois rendu étoit assez bien circonstancié, il me mena le lendemain chez la Reine d'Angleterre pour lui conter moi-même tout ce que je lui avoit conté. Cette Princesse s'étoit réfugiée en France pour éviter les tristes effets qu'elle apprehendoit de la haine des Anglois, qui lui vouloient du mal encore bien autrement qu'au Roi son mari. Ils l'accusoient d'être cause toute seule des nouveautez qu'il avoit voulu introduire dans son Royaume, & sur cette prévention, ils avoient osé lui demander, en lui faisant quelques propositions, de la chasser d'auprès de lui. Sa Majesté Britannique n'en avoit voulu rien faire, comme de raison: mais enfin se voyant dans la suite engagé dans une guerre civile dont il n'étoit pas trop assuré du succès, il avoit jugé à propos de lui faire passer la mer, plûtôt pour mettre sa personne en seureté que pour condescendre à une demande aussi insolente que celle-là. Cette Princesse me reçût fort bien, & me demandant si j'avois vû le Roi son mari, & les Princes ses enfans, elle m'interogea ensuite sur ce que je pensois de ce païs-là. Après que j'eus satisfait à la demande. Je lui répondis sans hesiter, quoi qu'il y eut deux ou trois Anglois avec elle, & même quatre ou cinq Angloises dont la beauté meritoit que j'eusse plus de complaisance, que je trouvois l'Angleterre le plus beau païs du monde, mais habité par de si méchantes gens que je prefererois toûjours toute autre demeure à celle-là, quand même on ne m'en voudroit donner une que parmi les ours; qu'en effet il faloit que ces Peuples fussent encore plus feroces que les bêtes pour faire la guerre à leur Roi, & pour lui avoir demandé de chasser d'auprès de lui une Princesse qui devoit faire leurs delices, pour peu qu'ils eussent de connoissance & de jugement. Si mon discours fut agréable à cette Princesse qui le prit pour une civilité qu'elle devoit attendre d'un galant homme, il ne le fut guéres à un de ces Anglois, & même peut-être à tous ceux de cette nation qui étoient-là; Quoi qu'il en soit celui-ci qui se nommoit Cox s'en trouvant tout scandalisé, m'envoya dès le lendemain matin un autre Anglois qui me dit de sa part que j'avois tenu des propos si insolents de sa nation, qu'il vouloit me voir l'épée à la main. Je lui eusse répondu volontiers, insolent vous même, puis qu'on ne s'étoit jamais servi d'un pareil mot, en parlant à personne, à moins que ce ne fut parmi les harangeres, ou parmi quelques personnes semblables à celles-là; mais comme il ne parloit pas trop bon François, & qu'il pouvoit l'avoir fait aussi-bien faute d'entendre la veritable signification de ce mot, que dans le dessein de m'offenser, je crûs que j'avois déja assez d'une querelle sur les bras sans m'en attirer encore une seconde. C'est ce qui ne me pouvoit manquer, si je lui faisois connoître qu'on ne me parloit pas de la sorte impunément. Le rendez-vous qu'il me donna fut derriere les Chartreux, où le Plessis Chivrai avoit été tué il n'y avoit que peu de jours, en se battant en duel contre le Marquis de Coeuvres fils aîné du Marêchal d'Estrées. Je lui demandai une heure de tems pour aller chercher un de mes amis pour se battre contre lui, parce qu'il lui devoit servir de second, & comme je sortois de chez moi je trouvai un autre Anglois qui me rendit un billet, où il y avoit un compliment bien different de celui que l'autre m'avoit fait. Voici ce que contenoit ce billet. _J'étois chez la Reine lors que vous avez dit des choses si desobligeantes de ma Nation que je ne doit jamais vous les pardonner: aussi après avoir bien revé comment j'en tirerai vengeance je n'ai point trouvé de meilleur moyen d'en venir à bout, que de vous prier de vous donner la peine de venir chez moi. Celui qui vous rendra la presente vous dira où vous me trouverez, nous verrons là si vous aimeriez mieux, comme vous dites, demeurer avec des ours que de vivre avec des personnes de mon pais._ Jamais homme ne fut si étonné que je le fus à la vûë de ce billet. J'entendis bien ce qu'il vouloit dire, & comme il y avoit plusieurs Angloises lors que j'avois tenu le discours que celle-ci me reprochoit, je fus en peine de deviner de laquelle me pouvoit venir ce message. Cependant comme elles m'avoient paru belles toutes tant qu'elles étoient, je crus que je ne pouvois toûjours tomber que de bout. J'eus donc grand soin de m'informer, où je trouverois celle qui me défioit ainsi au combat, & l'homme qu'elle m'avoit envoyé m'ayant répondu que ce seroit dans l'Hôtel même ou étoit logée la Reine d'Angleterre il ajouta que je n'aurois qu'à demander, Miledi..... & qu'on me feroit parler à elle. Si j'eusse pû me dispenser honnêtement du combat que j'avois à faire avec l'Anglois je l'eusse fait de bon coeur, maintenant que j'avois une autre affaire sur les bras qui me touchoit de plus près, mais ne le pouvant faire sans y intéresser ma réputation, je m'en fus à l'Hôtel des Mousquetaires pour prendre avec moi celui des trois freres, que je trouverois le premier sous ma main. Je ne trouvai qu'Aramis qui avoit pris medecine, il n'y avoit qu'une heure ou deux, parce qu'il avoit eu quelques accès de fiévre quelques jours auparavant. Athos & Porthos étoient sortis, & lui demandant où ils pouvoient être, à cause que je ne le croyois pas en état de me pouvoir servir, il me répondit qu'il lui étoit impossible de m'en rien apprendre, parce qu'ils ne lui avoient point dit où ils alloient. Cela m'embarassa, dans la crainte que j'eus que tous ceux que j'irois chercher pareillement ne fussent pas aussi chez eux. Aramis s'en aperçût, & devinant tout aussi-tôt ce que je voulois à ses frères, il me dit en prenant son haut de-chausse & en se jettant hors du lit, que pour une medecine de plus ou de moins dans le ventre, il ne laisseroit pas de suppléer à leur défaut. Il ajouta à cela quelques paroles qu'on eut prises pour pure gasconnade, si ce n'est qu'il n'y en avoit jamais à son fait. Il me dit que le plaisir de me servir lui feroit plus de bien que la medecine qu'il avoit pris, & que je n'avois seulement qu'a lui dire où il faloit aller. Il s'habilloit toûjours en me disant cela, & le trouvant de si bonne volonté, je crus que je ne devois point faire de finesse avec lui. Je lui avouai ingenuement ce qui m'avoit amené là, en même-tems que je m'excusai de recevoir ses offres par l'état où je le trouvois. Je lui dis que si je le prenois au mot, je ne doutois point que cela ne lui fit plaisir, parce que je le connoissois extrémement genereux, mais que sachant aussi le préjudice que cela feroit à sa santé, si je lui faisois prendre l'air, je ne pouvois souffrir qu'il s'exposât comme il vouloit à ce danger. Il ne fit nul cas de mon objection, & ayant achevé de s'habiller, quoi que je m'y opposasse toûjours, nous nous en fumes de compagnie où l'Anglois m'avoit donné rendez-vous. Il n'y étoit pas encore arrivé avec son ami, ce qui me fit de la peine, parce que tout le tems que je passois presentement, sans aller voir celle qui me provoquoit à un autre combat, me sembloit autant de tems perdu pour moi. Les deux Anglois se firent bien encore attendre une demie heure, ce qui fut cause que nous ne savions presque que dire Aramis & moi, mais enfin ayant paru le long des Murs du Luxembourg qui sont hors de la Ville, nous nous en fumes à eux mon ami & moi, tant j'avois d'impatience de terminer nôtre querelle. Aramis sentit quelques tranchées en y allant, & me dit qu'il eut bien voulu s'arrêter s'il eut pû le faire avec honneur, mais que se trouvant presentement en presence de ceux à qui nous devions avoir affaire, il avoit peur qu'ils n'interpretassent en mal une nécessité dont ils ne connoîtroient pas la cause. Je lui répondis qu'il se faisoit là un scrupule bien mal à propos, & qu'il avoit une pensée que nul autre que lui n'auroit jamais, que tous ceux qui le connoissoient savoient qu'il étoit un si brave homme qu'ils ne l'accuseroient jamais de foiblesse; que j'étois d'ailleurs pour rendre compte de l'état où je l'avois trouvé, quand il avoit voulu à toute force s'en venir avec moi, ce qui le justifieroit entierement, quand même on seroit capable de concevoir quelque chose à son desavantage, de ce que la necessité lui imposoit. Il ne m'en voulut jamais croire, & m'ayant repliqué pour toute raison que ces Anglois ne le connoissoient pas, & que c'étoit à eux qu'il craignoit de ne pas donner bonne opinion de son courage, s'il faisoit ce que je lui conseillois, nous marchâmes toûjours, & arrivâmes ainsi en presence les uns des autres. Nous nous visitâmes tous quatre pour voir s'il n'y auroit point de supercherie à nôtre fait. Car il étoit arrivé, avant que l'on prit cette precaution, que quelques faux braves s'étoient armez des cottes de maille, & qu'ils s'étoient précepitez ensuite sur leurs ennemis, parce qu'ils savoient bien que leur épée ne leur pouvoit faire de mal; quoi qu'il en soit pas un de nous n'étant capable de faire une action comme celle-là, nous ne trouvâmes rien qui ne fut dans les formes. Cependant dans le tems que cela se faisoit, & que celui qui se devoit battre contre Aramis le tâtoit de tous côtez, ses tranchées le presserent tellement qu'il ne fut pas maître de faire tout ce qu'il eut bien voulu; l'effort qu'il faisoit pour se retenir le faisant changer de visage l'Anglois qui étoit fort vain, comme le sont presque tous ceux de sa Nation, soupçonna aussi-tôt qu'il avoit peur, mais il n'en douta plus du tout lors qu'à ce que ses yeux lui en disoient, il se répandit en même-tems une mauvaise odeur qui l'obligea de se boucher le nez. Cependant comme il étoit fort insultant, ce que j'avois assez reconnu à la parole qu'il m'avoit dite, lors qu'il étoit venu chez moi, il dit en même-tems à Aramis qu'il trembloit de bonne heure, & que si pour le tâter seulement de la main, il lui arrivoit ce que l'on sentoit presentement, qu'est-ce que ce seroit lors qu'il le tâteroit avec son épée. Aramis qui étoit toûjours de moment à autre pressé de plus en plus de ses tranchées, & qui avoit à souffrir d'avantage des peines qu'elles lui faisoient, qu'il n'aprehendoit son épée, prit le parti alors de lâcher la gourmette à son ventre, pour n'en être plus tant incommodé, l'Anglois qui avoit bon nez se recula bien vite de peur d'en être empoisonné, mais quoi que tout son soin fut alors de se le bien boucher avec la main, il fut obligé dans ce moment de quitter cette precaution pour en prendre une autre: Aramis s'en vint à lui l'épée à la main sans le marchander & l'Anglois craignant qu'il n'en fut de lui, comme d'un Marêchal de France que l'on disoit n'aller jamais au combat qu'il ne lui prit la même incommodité, & qui cependant se faisoit craindre plus que nul autre de tous ceux qui avoient affaire à lui, il quitta le soin qui avoit pour en prendre un autre qu'il crût plus necessaire; il songea à se deffendre, mais il le fit si mal qu'à peine Aramis le peut-il joindre, tant il savoit bien lacher le pied. Aramis lui demanda alors par forme de ressentiment qui avoit plus de peur des deux, & si c'étoit-là ce qu'il lui avoit voulu faire accroire, quand il lui avoit dit qu'il le feroit bien trembler autrement qu'il ne faisoit, quand il viendroit à le tâter avec la pointe de son épée. Aramis en disant cela le suivoit toûjours de fort près, & lui donna enfin un bon coup d'épée sans que la precaution qu'il avoit de bien reculer l'en pût garentir. Pour ce qui est de son Camarade il faisoit mieux son devoir avec moi, & se battoit du moins de pied ferme, s'il ne se battoit pas plus heureusement. Je lui avois déja donné deux coups d'épée, un dans le bras l'autre dans la cuisse, & lui ayant fait en même-tems une passe au colet je lui mis la pointe dans le ventre, & l'obligeai de me demander la vie. Il ne s'en fit pas trop presser, tant il avoit de peur que je ne le tuasse. Il me rendit son épée, & le combat qui se faisoit entre nous deux ayant fini par-là, je m'en courus en même-tems à mon ami pour lui aider s'il avoit besoin de mon secours; mais il n'en n'étoit pas necessaire, & il eut bientôt fait la même chose que je venois de faire, si celui contre qui il se battoit eut voulu ne pas reculer si fort devant lui. Cependant quand celui-ci vit que je m'avancois encore pour le combattre, suivant l'usage ordinaire des duels, & qu'au lieu d'un homme à qui il avoit affaire presentement & qui n'étoit encore que trop pour lui, il alloit maintenant en avoir deux sur les bras, il n'attendit pas que je le joignisse pour faire ce que son camarade avoit fait. Il rendit son épée à Aramis & lui demanda pardon de ce qu'il lui avoit pû dire de desobligeant. Aramis le lui pardonna volontiers, & les deux Anglois s'en étant allez en même-tems sans nous redemander leurs armes que nous avions envie de leur rendre, Aramis entra dans une Maison au Fauxbourg St. Jaques, ou pendant qu'il se fit allumer du feu pour changer de linge, il me pria de lui aller acheter une chemise & un calleçon. Je pris l'un & l'autre chez la premiere lingere tels que je les pûs trouver, & l'ayant remené ensuite chez lui, je le quittai tout aussi-tôt pour aller voir ma Miledi. Je demandai aux gardes qui étoient à la porte de la Reine d'Angleterre ou étoit son appartement. Il y en eut un qui m'enseigna par où je devois monter pour y aller, mais i me dit en même-tems qu'il ne croyoit pas que je lui pusse parler presentement, parce qu'elle alloit monter en Carosse pour aller voir son frere, qui venoit d'être blessé. Cette parole me fit soupçonner à l'heure même qu'il falloit que ce fut l'un des deux contre qui nous avions eu affaire, Aramis & moi. Comme ce garde étoit François & qu'il me paroissoit assez honnête par me dire tout ce qu'il en sauroit, je lui demandai comme feignant d'y prendre grande part, où ce malheur lui étoit arrivé. Il me répondit que ç'avoit été derriere les Chartreux ayant voulu servir de second à un de ses amis qui l'en avoit prié, qu'on en avoit déja parlé à la Reine d'Angleterre, afin qu'elle prit ses mesures à la Cour pour faire punir celui qui l'avoit mis en cet état. Je n'en voulus pas savoir d'avantage pour me retirer. Je crûs que je ne devois pas me presenter devant ma Miledi, après être cause, comme je l'étois, du malheur de son frere, & que quelque bonté qu'elle eut pour moï, il faloit lui donner le tems du moins de voir ce qui arriveroit de sa blessure. Ainsi je dis au garde que puis qu'elle étoit maintenant si embarrassée j'attendrois un autre fois à la venir voir. Je m'en allai cependant bien chagrin de ce contre-tems, craignant qu'il ne me fit manquer une fortune dont je m'étois fait un grand plaisir, sans savoir néanmoins ce que c'étoit. Le garde me répondit que je ne faisois pas trop mal de prendre ce parti-là, parce que comme elle aimoit fort son frere, elle ne seroit guéres en état de me parler. Je m'en retournai chez moi plus fâché de ce que ce combat là touchoit de si près, que de l'intérêt que le garde m'avoit dit qu'y prenoit la Reine d'Angleterre. Je savois qu'elle ne pouvoit parler contre moi ni contre Aramis, qu'elle ne parlât en même-tems contre les deux Anglois. Ainsi dormant en grand repos de ce côté-là, je n'eus point d'autre inquiétude que celle qui me venoit de l'autre côté. Trois jours se passerent ainsi sans que j'entendisse parler de ma Miledi, qui avoit toûjours été occupée de son frere dont la blessure avoit paru d'abord beaucoup plus dangereuse qu'elle n'étoit. Mais enfin en étant desabusée heureusement au bout de ce tems-là, j'en reçûs au quatriéme jour une seconde Lettre qui étoit conçûë en ces termes. _Je vois bien qu'au lieu de reconnoître la faute que vous avez faite & de m'en venir demander pardon, vous voulez outrer la matiere en gardant encore une épée dont vous ou vôtre second ne vous seriez pas emparez, aussi facilement que vous avez fait; si au lieu d'avoir affaire à Cox & à mon frere, vous eussiez eu affaire à moi. Renvoyez moi leurs armes, ou plutôt apportez-les moi vous même, sans craindre que je m'en veuille servir contre vous. J'en ai bien de plus dangereuses que celles-là, & qui sont d'une telle nature qu'au lieu de m'en vouloir du mal, quand je daigne les employer à l'égard de quelqu'un, l'on m'en a obligation._ Ce billet me charma comme avoit fait l'autre, & m'estimant déja le plus heureux de tous les hommes, d'avoir fait cette Conquête, je fus trouver Aramis pour le prier de me donner l'épée dont il étoit en possession. Je lui dis que ceux contre qui nous nous étions battus me les avoient fait redemander, par une personne à qui je ne pouvois rien refuser. Il ne s'enquit point qui c'étoit, & je ne le lui eusse pas dit aussi-bien, parce que je me faisois une affaire très serieuse de celle-là. Il me rendit cette épée, & les ayant mises toutes deux sous un manteau dont je me munis tout exprès, je m'en fus de ce pas chez Miledi..... Je me jettai à ses pieds en arrivant, & les lui ayant remises entre les mains, je lui dis que quand elle m'en perceroit elle-même, elle ne feroit que son devoir, puis que j'avois été si malheureux que de lui deplaire; que cependant si elle reservoit à prendre sa vengeance par les autres armes dont elle m'avois menacé, j'avoüois que je ne pouvois mourir d'une plus belle mort. Je disois la verité, ou du moins je la croyois dire en lui parlant de la sorte. Il n'y avoit jamais eu de plus belle personne que celle-là, & quoi qu'il y ait bien du tems que ce que je dis ici m'arriva, j'avouë que je n'y saurois encore penser sans sentir rouvrir mes blessures. D'ailleurs elle n'avoit pas moins d'esprit que de beauté, ce qui fait que les engagemens où l'on entre avec de telles personnes, sont tout autrement de durée que ceux où l'on entre avec les autres. Mon Angloise me répondit que j'en serois quitte à trop bon marché, si elle faisoit ce que je lui demandois; que ce n'étoit pas avec une épée qu'elle pretendoit m'attaquer; mais avec des armes qui me feroient connoître bientôt ce qu'elle savoit faire. Je lui répondis, voyant qu'elle en parloit si ouvertement, que je n'en étois point en doute, & que sans attendre plus long-tems j'éprouvois déja assez bien le pouvoir que ses yeux avoient sur moi sans en vouloir d'autre experience que celle-là. Elle me repliqua que je n'avois que faire d'en rire, parce que si j'en riois presentement je n'en rierois peut-être pas toûjours. Son enjoüement me plut, & en étant devenu amoureux dès cette premiere visite, je le devins toûjours si fort de plus en plus, que je ne pouvois avoir de contentement que lors que je me trouvois auprès d'elle. Je fis plus d'un jaloux, parce qu'elle témoignoit avoir de la bonté pour moi. Je me laissai encore enflammer d'avantage par-là, & comme c'étoit une fille de qualité & qui me paroissoit avoir tout le mérite qu'une personne sauroit jamais avoir, je ne pûs m'empêcher de lui dire dans l'excès de ma passion, que quoi que je me tinsse très-heureux de lui avoir donné mon coeur, comme je ne pouvois jamais esperer de l'être parfaitement que je ne possedasse le sien, j'allois faire plûtôt l'impossible que de n'en pas venir à bout. Elle me demanda, comme en se moquant de moi, comment je pretendois m'y prendre pour y réüssir. Je lui répondis que ce seroit en tâchant de faire fortune à la guerre, afin de me mettre dans un état à lui pouvoir offrir de l'épouser; que bien que je cherchasse à être heureux en la possedant, je ne pretendois pas acheter mon bonheur aux dépens du sien, que j'aimois mieux ne lui être rien jamais, que de parvenir à mes desseins sans la mettre à son aise, que j'avois l'honneur d'être Gentilhomme, & même d'assez bonne Maison; qu'ainsi comme il ne me manquoit que du bien pour être comme les autres, j'allois travailler de toutes mes forces à en acquerir. Jusques-là cette fille m'avoit toûjours fait la meilleure mine du monde, & tout autre eut crû aussi-bien que moi, principalement après m'avoir prévenu par deux de ses lettres, qu'il n'eut pas pû être mal dans son esprit, mais je ne lui eus pas plûtôt tenu ce discours que je lui vis changer tout d'un coup de visage. Elle me demanda, avec un air aussi capable de me glacer qu'elle l'avoit été auparavant de me rendre tout de flamme, si je savois bien qui elle étoit pour lui oser parler de la sorte, que si je ne le savois pas elle étoit bien aise de me l'apprendre, qu'elle étoit fille d'un Païr d'Angleterre, & qu'une personne de sa qualité n'étoit pas pour un petit Gentilhomme de Bearn; d'ailleurs qu'elle ne feindroit point de me dire que j'étois d'une nation qui lui étoit si odieuse, que quand même je serois ce que je pretendois devenir, elle ne voudroit pas seulement me regarder, qu'ainsi si elle m'avoit témoigné le contraire, jusques-là, ce n'avoit été que pour me mieux marquer la haine qu'elle avoit pour les François, & pour se venger plus assurément du mépris que j'avois osé faire de sa nation devant la Reine d'Angleterre. J'avouë que je fus si surpris quand je l'entendis parler de la sorte, que peu s'en fallut que je ne crusse réver. Je lui demandai si ce n'étoit point pour m'éprouver qu'elle disoit tout cela, & lui voulant témoigner qu'en l'état où elle m'avoit mis, il lui étoit inutile, puisqu'elle me possedoit si absolument, & que j'étois bien plus à elle qu'à moi même, elle me répondit avec une barbarie sans exemple, qu'elle s'en réjouïssoit, parce que j'en aurois d'autant plus à souffrir que je serois plus engagé. Je laisse à penser ce qu'une recidive comme celle-là fit d'effet sur moi. Je me jettai à ses pieds pour la prier de ne me pas desesperer, comme elle faisoit, mais joignant le mépris à des parolles aussi cruelles que celle dont elle s'étoit servie, elle me dit qu'un autre à sa place me deffendroit peut-être de la revenir voir, mais que pour elle, elle seroit bien aise que j'y revinsse, afin d'avoir plus d'occasion de se moquer de moi. S'il y eut eu quelque chose capable de me guerir, il ne m'eut fallu sans doute que ces parolles, qui devoient produire non seulement cet effet, mais encore me la faire haïr tout autant que je la pouvois aimer; cependant je l'aimois de bonne foi, & comme l'on ne passe pas si aisément que l'on pense n'y de l'amour à la haine, ni de l'amour à l'indifference, je m'en allai dans un desespoir plus aisé à s'imaginer qu'à décrire. Je ne fus pas plûtôt au logis que je mis la main à la plume. J'écrivis mille choses que je rayai les unes après les autres, parceque je ne les trouvois pas à mon gré. Enfin après avoir fait ce manége je ne sais combien de fois, je me tins aux paroles que voici, par où il me sembloit que j'exprimois mieux ma pensée que par tout le reste. _Il y a plus d'inhumanité à ce que vous faites que si vous me donniez mille coups de poignard l'un après l'autre; vous aviez raison de me menacer que vous vous vengeriez plainement de ce que j'avois dit sans y penser. Vous ne pouviez mieux vous y prendre pour en venir à bout. C'est en cela seulement que je reconnois vôtre bonne foi. Ce qui me desespere c'est que je ne saurois encore vous haïr, bien que vôtre procedé vous dût rendre encore plus haissable à mes yeux que vous ne paroissez aimable aux yeux des autres._ J'envoyai cette lettre à Miledi par un valet que j'entretenois depuis quelque tems aux dépends de mon jeu. Il la trouva dans sa chambre qu'elle n'avoit avec elle qu'une femme de chambre qui avoit grande part à sa confidence. Elle dit à ce garçon qu'elle m'alloit faire réponse; mais voici toute la réponse qu'elle me fit. Elle envoya chercher les filles de la Reine sa maitresse, & leur ayant montré ma lettre, & s'en étant moquée avec elles, vous direz à vôtre maître, dit-elle à ce valet le cas que je fais de ce qu'il m'écrit, vous en avez été temoin vous même, & je ne doute point que sur un si bon témoignage il n'ait tout le lieu possible d'en être content. Ce fut un surcroit desespoir pour moi que cette réponse. Je me fis conter par trois ou quatre fois par mon valet ce qu'il avoit vû; quoique je n'y dusse pas prendre grand plaisir. Je fis tout ce que je pus pour m'exciter non seulement à la quitter, mais encore à en prendre vengeance. Je trouvois qu'il y avoit de la justice, & que ce qu'elle me faisoit ne pouvant passer que pour un guet à pan, je ne pourois être blâmé de personne de tout ce que je pourois faire contr'elle; mais ces pensées qu'exite d'abord un grand ressentiment, ne pouvant pas subsister long-tems dans une ame touchée comme étoit la mienne elle firent bientôt place à d'autres qui avoient plus de rapport à l'amour dont je me sentois possedé. Je continuai malgré tous les mépris de lui faire ma cour, & elle eut encore la cruauté de le souffrir, parce qu'elle jugea bien que plus je la verrois plus je deviendrois miserable. Je le devins si fort effectivement que tout ce que je pourois dire ici pour l'exprimer n'en approcheroit en aucune façon. Elle prit grand plaisir à me voir en cet état, & me demandant de tems en tems si je croiois toûjours qu'il vallut mieux faire sa demeure avec les ours qu'avec des personnes de sa nation, elle me fit voir par-là que si sa figure étoit bien éloignée de celle de ces bêtes, elle avoit un coeur qui ne leur ressembloit pas trop mal. Pendant que son procedé étoit ainsi si terrible envers moi, le hazard me procura une chose qui me fit croire que je la pourois faire revenir de son aversion. Son frere qui étoit gueri, il y avoit déja long-tems, de sa blessure, & qui étoit extrémement débauché, étant venu voir des filles de joye qui logeoient assez prés de ma maison, il lui arriva ce qui arrive assez souvent à des gens qui se mettent sur le pied de faire la vie qu'il faisoit. Il y fut insulté par des bretteurs, qui ayant envie de lui prendre ce qu'il avoit lui firent une querelle d'allemand. Il y en eut un qui lui dit qu'il étoit bien hardi de venir voir sa femme & qui mit l'épée à la main contre lui, sans autre compliment. Les camarades de ce breteur dégainerent aussi en même tems en sa faveur, & tout ce que put faire l'Anglois dans une surprise comme la sienne, fut de se jetter dans un cabinet dont il eut le tems de tirer la porte sur lui. Il y avoit par bonheur un anneau en dedans avec un crochet, & s'en étant servi pour se faire un rempart de cette porte, en attendant qu'il lui put venir du secours, il se mit à en implorer par une fenêtre de ce cabinet, qui repondoit sur la rûë. Je passois heureusement pour lui avec trois ou quatre Gentilshommes Gascons, à qui j'avois donné à déjeuner devant la porte de ce logis. Comme je savois que c'étoit un mauvais lieu, je leur dis en même tems que c'étoit peut-être quelqu'un de nos amis qui étoit dans l'embarras: que s'ils m'en vouloient croire nous y entrerions & tâcherions de l'en tirer. Ils toperent à cette proposition d'abord qu'ils m'eurent entendu parler, & étant tous montez en haut, nous commençames à faire à la porte de la chambre où étoient ces breteurs, ce qu'ils tâchoient de faire à celle du cabinet où étoit l'anglois. Ils s'efforçoient de l'enfoncer & n'eussent guerres tardé à en venir à bout; mais la diversion que nous faisions en sa faveur, lui donnant du relâche, ces assassins, ou ces voleurs, ou peut-être l'un & l'autre, puisque de tels gens étoient capables de tout, accoururent de nôtre côté pour s'enfuir s'ils pouvoient devant que la justice mit la main sur eux. Ainsi ouvrant eux mêmes la porte contre laquelle nous avions déja donné plusieurs coups inutiles; ils ne virent pas plûtôt à nôtre mine que nous n'étions pas des archers, qu'ils nous dirent qu'ils ne pretendoient pas se deffendre contre nous, comme ils eussent pû faire contre un Commissaire, qu'ils nous croyoient assez raisonnables pour vouloir écouter leur raisons, & qu'ils nous prioient de ne nous y pas rendre inexorables. Nous le voulumes bien, nous ayant deduit ce que je viens de dire, savoir qu'il y en avoit un d'eux qui étoit mari d'une femme que nous voyons devant nos yeux, & qui ne pouvant souffrir qu'un anglois la vint voir, l'avoit poursuivi jusques dans le cabinet, ils conclurent qu'ils ne croioient pas que nous fussions personnes à approuver qu'un étranger vint faire une pareille insulte à un François, jusques dans sa maison. J'avois tant de lieu de haïr les Anglois de la maniere que j'étois traité de Miledi... que j'avoué que je ne fus plus si en colere que je l'étois auparavant contre ces miserables. Nous leur fîmes graces en faveur de leur harangue. Cependant comme nous avions tous trop d'humanité pour permettre qu'ils maltraitassent cet étranger nous le tirâmes de son cabinet, dont il eut bien de la peine à nous ouvrir la porte, tant il étoit saisi de frayeur. Mais enfin s'étant laissé persuader aux assurances que nous lui donnions qu'après être venus à son secours, nous n'étions pas gens à laisser nôtre ouvrage imparfait, il sortit à la fin de sa niche. Il fut bien surpris & bien joyeux tout ensemble, quand il me reconnut, car comme il savoit que j'étois amoureux de sa soeur, & que même il étoit de moitié avec elle de toutes les cruautez qu'elle me faisoit, il jugea tout aussi-tôt qu'à moins que je n'eusse bien changé de sentiment à son égard, je prendrois son parti avec la même chaleur que je pourois faire le mien propre. Je lui en donnai parolle effectivement, d'abord que j'eus jetté les yeux sur lui, & que je l'eus reconnu. Je lui dis aussi-tôt, en lui presentant la main en signe d'amitié, quoi Milord vous qui avez de si belle poullettes chez vous, venez vous donc faire l'amour à de vieilles bêtes épaulées pareilles à celles que je vois ici. Car j'en voiois deux devant moi qui n'étoient ni belles ni jeunes; & qui même quand elles eussent eu ces deux qualitez n'en eussent été guerres plus considerables dans mon esprit au villain metier qu'elles faisoient. J'avois raison de faire ce reproche au Milord, parce qu'effectivement la Reine d'Angleterre avoit auprès d'elle cinq ou six filles d'honneur, qui quoi qu'elles ne me parussent pas si belles que Miledi... l'eussent peut-être paru tout autant aux yeux d'un autre qui n'eut pas été si fort prévenu en sa faveur. Il me répondit que c'étoit une folie qui étoit pardonnable aux gens de son âge, & dans laquelle il ne retomberoit plus, après ce qui venoit de lui arriver. Il s'approcha en même tems de mon oreille & me dit tout bas, M. d'Artagnan, vous venez de me rendre presentement un service qui ne mourra jamais chez moi. Je veux que ma soeur change de conduite à vôtre égard, & si elle ne fait tout ce que je lui dirai je vous réponds que ce sera à moi qu'elle aura affaire. Cette promesse me fut plus agréable mille fois que s'il m'eut donné cent mille écus; quoi que je me fusse bien accomodé d'un tel présent. Je l'embrassai à l'heure même, croyant que je lui témoignerois mieux ma réconnoissance par là que par tout ce que je lui pourois dire. Je lui demandai aussi en même tems à l'oreille s'il vouloit que nous jettassions les bretteurs par les fenêtres. Il me repondit qu'ils l'avoient assez insulté pour lui en faire naître le desir, mais que comme il avoit de secrettes raisons de cacher cette avanture, il renonçoit non seulement de tout son coeur à la démangeaison qu'il en pouvoit avoir; mais qu'il me prioit encore de n'en rien dire à personne. Les raisons secrettes dont il vouloit parler c'est qu'il étoit amoureux d'une femme de qualité de son Païs, & que si elle eut appris par hasard qu'il eut été ainsi d'humeur de hanter ces sortes de lieu, il n'eut plus eu que faire jamais d'esperer qu'elle le laissât approcher d'elle. La paix fut faite avec ces bréteurs d'abord que le Milord m'eut parlé de la sorte, & n'aiant plus donc que faire avec eux nous emmenâmes le Milord mes amis & moi, sans nous informer de ce qui leur arriva avec un Commissaire qui entra dans cette maison que nous n'en étions encore qu'à quatre pas. Ce Commissaire envoya après nous pour nous prier d'aller déposer contr'eux, sachant que nous emmenions celui à qui ils avoient voulu faire insulte: nous n'en voulumes rien faire, & nous trouvâmes à propos de lui mander de faire ses affaires comme il pourroit, & que pour nous nous ne servirions jamais de témoins pour faire faire le procés à personne. J'étois alors si rempli des esperances que le Milord m'avoit données, que mon plus grand desir n'étoit que de me trouver plus vieux que je n'étois de quelques heures, afin de voir si Miledi... ne seroit point un peu plus traitable. Mais j'avois tort d'en avoir tant d'empressement, puis que le tems ne me devoit rien apprendre de bon. Ce ne fut pas neanmoins la faute du Milord. Je sus de bonne part qu'il avoit fait tout son possible auprès de sa soeur pour que j'en receusse un autre traitement. Il lui demandai même, voyant qu'elle ne pouvoit se resoudre à me rendre justice, de feindre du moins qu'elle n'avoit pas tant d'aversion pour moi; mais quoi qu'il lui put dire, & qu'il lui avouât même l'obligation qu'il m'avoit, afin de l'y engager plûtôt, il lui fut impossible de gaigner ni l'un ni l'autre auprès elle. J'allois toûjours chez cette belle & aimable personne, &je n'y allois que trop pour mon repos, parce qu'elle avoit toûjours la cruauté de permettre que je la visse, afin de me faire payer plus cherement le plaisir qu'elle m'accordoit de la voir. Son frere n'avoit osé me dire les sentimens où il l'avoit trouvée, & m'avoit laissé à les déméler dans les visites que je lui rendrois. Je m'en fus donc chez elle le lendemain partagé entre l'esperance & la crainte; mais je n'y demeurai pas long-tems, elle ne me vit pas plûtôt qu'elle me demanda comment je prétendois qu'elle me traittât presentement, que j'avois joint à l'aversion qu'elle avoit déja pour moi, un outrage qu'elle ne me pardonneroit de sa vie, quand elle vivroit encore mille ans. Je ne sus d'abord ce qu'elle vouloit me dire par là, d'autant plus qu'elle me parloit d'un air enjoué, & comme une personne qui eut eu plûtôt sujet de rire que de se fâcher comme elle prétendoit. Au reste cela m'eut rassuré contre ses parolles, quelque menaçantes qu'elles pussent être, si ce n'est qu'elle ne m'avoit jamais fait de mal autrement: Tout celui qu'elle m'avoit fait avoit toujours été comme si elle eut eu plûtôt dessein de railler que d'autre chose, & ce caractere étoit un caractere si nouveau pour moi, & même si nouveau à ce je crois pour tout le monde, qu'il n'y avoit pas moien de s'y accoutumer. Quoi qu'il en soit étant bien aise de savoir quel étoit ce nouvel outrage dont elle pretendoit m'accuser, elle me repondit avec le même enjouëment qu'elle m'avoit fait ce reproche, qu'il falloit que j'eusse l'esprit bien bouché, se je ne le reconnoissois pas de moi même; que je croiois peut-être lui avoir fait un grand plaisir en sauvant la vie à son frere, & que cependant je devois savoir que je l'avois plus mortiffiée par là que par tout ce que j'eusse pû faire d'ailleurs; si je contois pour rien de lui ôter cent mille livres de rente qui lui fussent revenuës sans moi, que c'étoit une action qu'elle n'oublieroit de sa vie, & qui étoit capable toute seule de produire en elle l'avertion du monde la plus effroyable, quand même il n'y eut pas eu déja des semences capables de germer en tems & lieu. J'attribuai tout ce discours à la continuation de son caractere, dont elle ne se dementoit non plus en cette occasion qu'elle avoit fait dans toutes les autres, où j'avois eu quelque chose à démêler avec elle. Cependant j'en devois faire un autre jugement, si j'eusse eu connoissance, comme je l'eus depuis, de ce qui se passoit de secret dans son coeur. La verité est qu'elle étoit au desespoir de ce que je l'avois empêché de devenir heritiere; ainsi au lieu de prendre ses parolles en raillant, j'eusse bien mieux fait de les prendre au pied de la lettre, afin de me servir de tout pour me pouvoir guerir. Je ne sus presque que répondre à un discours comme le sien, parceque bien que je crusse le devoir faire sur le même ton qu'elle le prenoit, c'est à dire lui repondre en raillant tout de même comme elle me parloit, il eut fallu que j'eusse eu l'esprit plus libre que je ne l'avois pour prendre un parti comme celui là. Cependant si j'eus le malheur de ne pouvoir jamais addoucir son esprit, je fus regardé plus favorablement de sa femme de chambre, soit qu'elle eut pitié de m'en voir si maltraité, ou, comme il est plus vraisemblable, qu'elle eut plus de goût pour moi que n'en avoit sa maitresse. Comme cette femme de chambre étoit assez jolie, & qu'elle croyoit qu'à l'âge que j'étois je devois avoir assez bon appetit, elle me dit qu'elle mouroit d'envie que je voulusse me consoler avec elle des rigueurs de sa maitresse. Elle prit son tems un jour que celle-ci ni étoit pas & que j'étois allé pour la voir, pour me tenir ce discours. Elle debuta d'abord par medire, qu'elle étoit plus sensible que je ne croyois peut-être à mon malheur, qu'une marque de cela c'est qu'elle vouloit faire tout ce qu'elle pourroit pour me guerir, jusques là même qu'elle ne feindroit point d'être infidelle pour l'amour de moi à celle qui me rendoit ainsi si malheureux. J'entendis bien ce que cela vouloit dire, & commençant à lui conter des douceurs, parceque je me doutois bien qu'il n'y avoit rien de plus capable de la faire parler, après lui avoir dit tout ce que je pus d'obligeant par rapport à elle, je lui parlai sur un autre ton de sa maitresse. Je lui dis que si elle me voioit encore la revenir voir après tout ce qu'elle m'avoit fait, il ne falloit pas qu'elle crut que ce fut l'amour qui m'y obligeât, & que le dessein de trouver quelque occasion de m'en venger avoit plus de part à mes visites que tout le reste, que c'étoit elle que je voulois aimer doresenavant, & qu'il ne tiendroit pas à moi que je ne lui en donnasse toutes les marques qu'elle pouroit desirer. La jeunesse où j'étois qui me rendoit sensible à toutes les femmes, pour peu qu'elles en vallussent la peine, quoi que tout mon coeur fut reservé pour sa maîtresse, fit que je commençai dès ce moment à lui montrer que je disois vrai à son égard. Elle ne voulut pas m'en croire si-tôt, de peur d'avoir lieu de s'en repentir, elle fit la sage, quoi qu'elle ne le fut guéres. Cependant pour ne se pas montrer ingrate aux témoignages que je venois de lui donner de mon amour, elle me fit une confidence qui me surprit extrémement. J'étois bien éloigné aussi d'en avoir jamais rien deviné, quoi qu'elle ne me dit rien qui ne fut vrai, & que je n'experimentasse bientôt après d'une maniére à n'en pouvoir douter aucunement. Elle me dit que si sa maîtresse ne me rendoit pas justice, ce n'étoit pas pourtant tant par l'aversion qu'elle avoit pour les François, comme elle prenoit à tâche de me le persuader, que parce qu'elle avoit donné son coeur à un autre; qu'aussi bien loin de haïr nôtre Nation au point qu'elle en faisoit semblant, elle y avoit placé toutes ses affections, qu'elle étoit amoureuse éperduement du Marquis de Wardes, jeune Seigneur des mieux faits de la Cour, quelle étoit mêmes assez folle pour se mettre en tête, comme elle étoit d'aussi bonne Maison que lui, qu'il seroit encore trop heureux que de l'épouser; que cela auroit bien pû être à la verité, sans le secours que j'avois donné à son frere, parce que s'il eut été tué dans cette occasion, elle seroit devenuë une si grosse heritiere que c'eut été une grande fortune pour lui que d'en pouvoir faire sa femme. Bien que ce discours eut dequoi m'affliger cruellement par la découverte que je faisois d'un rival, & encore d'un rival qui étoit extrêmement à craindre par son mérite; je ne laissai pas de lui faire une demande qui sentoit plus l'homme curieux que l'homme affligé. Je m'enquis d'elle si elle ne savoit point de quelle maniére elle avoit reçû la nouvelle du secours que j'avois donné à son frere, parce que quoi qu'elle m'en eut parlé, comme ce n'avoit été que par forme de raillerie, je ne pouvois croire que c'eut été de l'abondance du coeur qu'elle m'eut parlé. Elle me répondit que j'en croirois tout ce que bon me sembleroit, mais qu'à moins que de me vouloir tromper moi-même, je devois prendre au pied de la lettre tout ce que j'en avois entendu; qu'elle en avoit été touchée amerement, & que si elle eut pû me manger dans ce tems-là ou me dechirer avec les ongles, elle l'eut fait de tout son coeur; qu'elle le feroit bien encore presentement, si elle le pouvoit; qu'ainsi je devois être persuadée que quand bien même elle m'eut voulu autant de bien qu'elle me vouloit de mal lorsque cela étoit arrivé, cela étoit plus que suffisant pour ne me le pardonner de sa vie, que lorsqu'elle m'en avoit parlé comme elle avoit fait, je devois savoir qu'elle ne le faisoit que par adresse, & aun que je ne réconnusse pas ni moi ni personne ses veritables sentimens, qu'il n'y avoit qu'à elle seule à qui elle en eut parlé confidemment, & que si je savois en quels termes elle l'avoit fait, cela ne me donneroit pas grande estime pour elle. Quand la femme de chambre m'eut instruit de toutes ces choses, je voulus savoir d'elle en quels termes en étoit le Marquis de Wardes avec elle, & s'il en avoit obtenu des faveurs: elle me répondit qu'il n'avoit eu garde encore d'en obtenir, parce qu'il ne lui avoit jamais parlé; qu'il venoit bien à la verité voir quelque fois la Reine d'Angleterre, mais que comme Sa Majesté veilloit sur la conduite de ses filles d'honneur, parmi lesquelles étoit toûjours Miledi... quoi qu'elle n'en fut pas du nombre, il auroit été impossible à ce Marquis de lui parler, quand même il en eut eu le dessein; que cependant elle ne pouvoit dire au juste s'il n'avoit point connoissance de l'amour qu'elle avoit pour lui, parce qu'il éclattoit si fort dans ses yeux, toutes les fois qu'elle le voioit, qu'il ne falloit pas être trop clair voiant pour s'en appercevoir; qu'elle pouvoit dire même que si elle ne le lui avoit pas encore apris de sa propre bouche d'une maniere plus intelligible que ne faisoient ses yeux, ce n'étoit qu'à elle qu'elle en avoit l'obligation; qu'elle lui avoit voulu écrire plusieurs fois, mais qu'elle l'en avoit toûjours detournée, en lui répresentant qu'il ne pouroit jamais avoir grande estime pour elle du moment qu'elle en viendroit là avec lui. Je fus touché sensiblement de ces nouvelles qui ne pouvoient être de plus grande conséquence qu'elles l'étoient à mon amour. Je tâchai néanmoins de cacher les remuements qu'elles excitoient en moi, de peur de détruire par-là ce que j'avois tâché d'insinuer à la femme de chambre. Je croiois qu'il m'étoit important de ne lui pas faire voir quelle étoit ma foiblesse là-dessus, & de lui faire accroire au contraire que si je voulois être instruit de tout ce qui arriveroit de la suite de cette passion, & s'il y en avoit quelqu'une en moi, ce n'étoit qu'elle qui en étoit cause. Je réussis assez bien dans mon dessein; & nous étant séparez fort bons amis cette fille & moi, quoi qu'il ne se fut rien encore passé entre nous qui me dut faire compter tout à fait sur elle, elle me convia à la revenir voir à des heures que sa maîtresse ne seroit pas au logis. Je le lui promis comme un homme qui n'avoit garde d'y manquer par l'amour que je lui portois déja. Elle le crut facilement, parce que je lui avois paru amoureux, & que les femmes croient aisément ce qu'elles desirent; quoi qu'il en soit m'attachant dés ce jours là à observer le Marquis de Wardes depuis les pieds jusques à la tête, je commençai à m'appercevoir que ce sont d'étranges yeux que ceux d'un rival. Quoi que je ne lui pusse refuser la justice que chacun devoit à son mérite, je ne laissai pas de trouver à redire à tout ce qu'il faisoit; tant je trouvois qu'il regnoit un certain air de vanité dans toutes ses manières, tantôt qu'à ce de vouloir paroître avoir de l'esprit il en avoit moins qu'il ne croioit. Je voulois aussi tantôt que pour avoir trop bonne opinion de sa personne les autres n'en devoient pas avoir beaucoup, & ainsi toûjours disposé à en juger desavantageusement, je m'en faisois un portrait terrible, dans le tems qu'il ne songeoit pas seulement si j'étois au monde. Pendant que cela se passoit il se fit un mariage à la Cour qui eut eu des suites qui m'eussent fait beaucoup d'honneur, si ce n'est qu'on empêcha celui que M. de Treville me vouloit faire, comme je le dirai dans un moment. La Marquise de Coaslin qui étoit une jeune veuve belle & riche étoient devenuë amoureuse du Chevalier du Boisdauphin qui étoit un Cadet de bonne Maison, & parfaitement bien fait; elle l'épousa malgré le Chancelier & la Chancelliere, comme aussi malgré tous les parens de son premier mari. Il n'étoit pas fort extraordinaire que ceux-ci ni voulussent pas consentir, puisque ce second mariage étoit capable de ruiner les enfans du premier lit; mais pour le Chancelier & la Chancelliere comme ils n'eussent pu se choisir un gendre qui leur eut fait plus d'honneur, quand même ils en eussent cherché un par toute la France, l'on vit bien que ce qui faisoit leur chagrin, c'est qu'ils étoient moins amateurs du merite dont ce Chevalier avoit bonne provision que du bien de la fortune dont il étoit assez mal partagé. Comme il changea de nom aussi-tôt après son mariage, & qu'au lieu de celui de Chevalier de Boisdauphin il prit celui de Comte de Laval, je ne l'appellerai plus autrement quand j'aurai à en parler. Au reste comme ce Comte avoit fait l'amour à sa femme sans le sçu du pere & de la mere, la Chancelliere ne le connoissoit point encore, quoi qu'il y eut déja quelque tems qu'il couchât avec sa fille, ainsi l'ayant vû venir un jour aux Minimes de la place Royale où elle étoit allée à quelque devotion, elle dit à une Dame avec qui elle étoit & que ce nouveau Comte avoit saluée, qu'il falloir avouër que cet homme là étoit bien fait, & qu'il lui plaisoit extrémement: la Dame qui étoit bien aise de se donner carriére voiant qu'elle ne le connoissoit point, ne se mit pas en devoir de lui apprendre si-tôt qui il étoit, quoi qu'elle le lui eut demandé, en lui témoignant combien elle étoit charmée de son air & de sa bonne mine; ainsi au lieu de lui répondre aux autres choses qu'elle lui avoit dites, elle lui répliqua qu'elle ne s'étonnoit pas que le Cavalier fut si sort de son gout, puis qu'il l'étoit aussi de celui de beaucoup de dames, qu'il y en avoit bon nombre qui en faisoient leurs delices, & une entr'autres de par le monde qui en faisoit plus de cas que de tout le reste des hommes. Ces parolles firent croire à la Chancellerie qu'il y avoit de la galanterie au fait de la dame dont celle-ci lui vouloit parler, cela ne lui donna que plus de curiosité, qu'elle n'en avoit encore auparavant, de connoître le Cavalier. Ainsi disant à son amie de ne la pas tenir plus long tems en suspens, & de lui apprendre son nom sans différer, & en même tems celui de la dame qui en faisoit tant d'état, elle lui répondit malicieusement, afin d'augmenter encore son impatience, qu'elle se faisoit un scrupule de la contenter, que ce qu'elle venoit de lui dire avoit quelque air de medisance, qu'ainsi elle ne croioit pas à propos de lui dire le nom ni de l'un ni de l'autre, parceque ce qu'elle lui en diroit lui pouroit peut être faire faire quelque méchant jugement. La Chancelliere prit cela pour argent comptant. Cependant comme elle étoit femme, c'est à dire extrémement curieuse, elle dit tout bas à un de ses laquais en sortant de l'Eglise, d'aller devant une telle chapelle; & de demander à des valets vetus de telles livrées, qui étoit le nom de leur maitre. Comme il y a des livrées qui se ressemblent les unes aux autres, ce laquais confondit celles d'un certain Genois qui étoit à la Cour depuis un mois ou deux avec celles du Comte de Laval, ainsi s'étant addressé à ses gens au lieu des siens, ils lui répondirent que leur maitre s'appelloit le Marquis Spinola. La Chancelliere qui venoit de prier la dame d'aller dîner chez elle, ne voulut pas monter en carosse que son laquais ne lui eut rendu réponse de ce qu'elle l'avoit envoyé savoir. Il lui vint dire à l'oreille le nom que les laquais du Genois lui avoient dit, & cette dame ne croiant pas qu'il put s'être trompé après les enseignes qu'elle lui avoit données, dit alors à l'autre qu'elle n'eut pas couru grand risque quand elle lui eut nommé l'homme qu'elle avoit eu envie de connoître, puis qu'elle lui pouvoit jurer que c'étoit là la premiere fois qu'elle en avoit oui parler; qu'ainsi si sa maitresse ne lui étoit pas plus connuë que lui, elle pouvoit la lui nommer encore toute à l'heure, puis qu'on ne pouvoit faire de mechant jugement d'une personne que l'on ne connoissoit point. Le dame vit bien qu'il y avoit de la méprise & même du galimatias en tout cela, & ne voulant pas la redresser, elle souffrit que la Chancelliere l'entretint de la bonne mine du prétendu Marquis sans s'y opposer en aucune façon. Mais ce qui ne fut pas le pire de tout, c'est que celle-ci ne se pouvant lasser d'en parler lui dit, qu'encore passe si sa fille de Coaslin eut epousé un homme comme celui-là, qu'au moins on pouroit dire qu'elle n'auroit pas trop mal choisi, & que qui diroit autrement, elle seroit la premiere elle même à prendre son parti. L'autre avoit là un beau champ de ne lui plus faire de mistere d'avantage, & de lui avouër que celle-ci qu'elle prenoit pour le Marquis de Spinola étoit son gendre, mais se doutant bien qu'après avoir cet homme si fort sur le coeur, elle ne s'en tiendroit pas là, & qu'elle en voudroit parler en dinant au Chancellier, elle fut assez malicieuse pour ne la pas detromper si-tôt; elle voulut se donner la comedie tout entiere & se contenta d'applaudir à ce qu'elle disoit. Cela arriva justement comme elle l'avoit pensé. Le Chancelier ayant demandé à sa femme si elle étoit sortie le matin, & où elle avoit été, elle lui répondit qu'elle étoit allé aux Minimes, où elle avoit veu quantité des personnes de grande distinction; que cependant elle lui diroit franchement & sans craindre de le rendre jaloux que si elle étoit encore à marier & qu'elle fut maitresse d'elle même, elle y avoit veu un homme qui tout étranger qu'il étoit auroit bien la mine d'avoir grande part à son coeur; que Chabot n'en approchoit pas ni avec sa belle danse, ni quelque bon air qu'il put avoir; qu'ainsi il étoit bien heureux que cet homme là ne fut pas venu à Paris devant que d'épouser la Duchesse de Rohan, parceque si cette Duchesse l'eut veu, elle lui eut bien-tôt donné la préference à son prejudice. La Chancelliere ajouta encore quantité de choses pour exalter son heros, tellement que le Chancellier étant en peine de sa voir qui pouvoir être une homme si bien fait, d'un si grand air & de si bonne mine, il lui demanda s'il n'y avoit pas moien de savoir son nom; elle lui répondit qu'elle n'y entendoit point de finesse, comme faisoit une certaine Dame de par le monde qui ne le lui avoit jamais voulu dire, quoi qu'elle le lui eut demandé par plusieurs fois. Elle faisoit par là le procès à celle qu'elle avoit amenée diner chez elle, & la regardant avec un souris, elle croioit la punir par là comme elle meritoit, de lui avoir fait mistere d'une chose qu'elle pouvoit savoir si facilement d'ailleurs. Au reste ayant autant d'impatience pour le moins d'apprendre à son mari quel étoit le nom de son Adonis qu'il en avoit eu à le lui demander, elle ne lui eut pas plu-tôt nommé le Marquis Spinola qu'il lui répondit ou que l'on s'étoit moqué d'elle, ou qu'elle se vouloit moquer de lui; qu'il avoit veu ce Marquis plus d'une fois en allant chez le Roi, & que bien loin qu'il fut homme d'aussi bonne mine qu'elle prétendoit, il étoit bien plus capable de donner du degoût que de l'admiration. Cette réponse surprit la Chancelliere qui voulut appeller son laquais pour témoigner qu'elle lui disoit vrai. Le Chancellier lui répondit qu'elle n'y pensoit pas de vouloir qu'un laquais fut plus croiable que lui, comme s'il avoit de meilleurs yeux qu'il n'en avoit. La Dame que la Chancelliere avoit convié à diner rioit en elle même de tout son coeur de cette dispute, & en eut encore bien autrement ri, si elle n'eut point eu peur que la Chancelliere l'appellât aussi en temoignage à son tour, mais la chose se passa tout d'une autre maniere, & voici comme s'en fit le denouëment. Le Chancellier fâché de voir que sa femme lui soutint toûjours que son Marquis de Spinola étoit non seulement fait à paindre, mais encore qu'avec beaucoup de beauté, il avoit aussi l'air avec lequel on nous depeint le Dieu Mars, lui répondit qu'il ne se contentoit pas ainsi d'une description en général & qu'il vouloit qu'elle lui fit celle de cet homme en détail. Elle lui répliqua qu'elle le vouloit bien, & y aiant satisfait en même tems, il vit bien après un moment de conversation que celui aussi dont elle lui vouloit parler étoit son gendre, ainsi lui disant à l'heure même qu'elle ne devoit plus blâmer sa fille d'en être devenuë amoureuse, puisque sans être obligé de lui donner la question elle avouoit elle même qu'il lui en fut bien arrivé autant qu'à elle si elle eut été encore à marier, il la surprit extremement par ce reproche. Elle voulut un peu de mal à la Dame de ce qu'elle étoit cause par le mistere qu'elle lui avoit fait, de ce qu'elle s'étoit attiré cette piece. Mais le droit d'hospitalité demandant qu'elle ne lui en témoignât rien, ou du moins que ce ne fut qu'honnêtement, on en demeura là à l'égard du Comte sans remettre davantage cette affaire sur le tapis. Cependant la Chancelliere prit tant de goût par-là pour son gendre, que s'il n'eut tenu qu'à elle, elle eut pardonné non-seulement à sa fille à l'heure même, mais fut encore demeuré d'accord avec elle, que puisqu'elle avoit voulu se remarier elle n'avoit pû faire un meilleur choix que celui-là. Il eut été à souhaiter pour ces nouveaux mariez, que le Chancellier eut été de même humeur. Cela les eut fait bientôt entrer en grace auprès de lui; mais comme il étoit têtu comme une mulle, quoi que bon homme dans le fonds, il continua non-seulement de leur faire la guerre, mais il fut encore si injuste que de se plaindre de ce qu'ils avoient si peu de soin de desarmer son couroux, qu'ils ne feignoient point de se montrer tous les jours aux endroits où il alloit par les devoirs de sa charge. Il vouloit parler du Louvre où le Comte & la Comtesse se trouvoient souvent pour faire leur Cour, & comme leurs amis communs eussent été bien aises de les raccommoder, ils conseillerent à ceux-ci de s'éloigner pour quelque tems de Paris pour lui marquer plus de respect. Le Comte & la Comtesse prierent alors Mr. de Bellievre que nous avons vû depuis premier President du Parlement de Paris, de leur prêter sa Maison de Berni qui n'est qu'aux portes de cette grande Ville. Il fut ravi de leur faire ce plaisir, & s'y en étant allez, toute la Cour les y fut voir sans se soucier autrement de ce que le Chancellier en pouvoit dire, aussi étois-ce deux personnes très estimables que ces nouveaux mariez, outre qu'on savoit bien dans le fonds que quand le Chancellier auroit passé sa fantaisie, bien loin de trouver à redire, qu'on fut ainsi allé les visiter, il auroit même obligation à ceux qui leur auroient donné ces marques de leur estime. Au reste, comme il n'y avoit personne qui ne fut dans la même prévention, il se presenta divers Negociateurs pour moyenner un accommodement entre des personnes si proches. Le Comte & la Comtesse ne demandoient pas mieux, & disoient à tous ceux qui leur en parloient, que s'il ne faloit qu'aller demander pardon à genoux au Chancellier ils étoient tout prêts de le faire, pourvû qu'il voulut s'en contenter; qu'au surplus s'ils eussent sçû que leur mariage lui devoit être desagreable, ils se fussent bien abstenus de le faire pour ne lui pas donner sujet de se chagriner contr'eux. Il n'y avoit rien de plus soumis que ces paroles, & leurs amis tâchoient de les faire valoir au Chancelier, mais comme il n'étoit pas duppe, il leur répondit qu'il n'y avoit rien de plus aisé que de parler de la sorte après coup, parce que l'on savoit bien qu'il n'en seroit toûjours ni plus ni moins. Ainsi il paroissoit dur comme un vieux Caporal, quand il s'addoucit tout d'un coup, & lors qu'il y pensoit le moins. Voici comment cela arriva. Mr. de Treville qui avoit osé resister au Cardinal de Richelieu qui étoit la terreur de tous les Grands, se faisant encore valoir bien d'avantage presentement qu'il n'avoit plus affaire qu'à un Ministre mol, & de qui l'on commençoit à dire déja qu'il n'y avoit qu'à lui montrer les dents pour en avoir tout ce qu'on vouloit, Mr. de Treville, dis-je, en ayant arraché une grace qu'il ne lui eut jamais accordé s'il ne l'eut pas plus craint qu'il ne l'aimoit, en fut presenter lui-même les Lettres au Chancellier, de peur que s'il les lui faisoit presenter par un autre, il ne refusât de les sceller. Le Chancellier qui n'étoit pas tout-à-fait si mol que le Cardinal, quoi qu'il aimât bien à faire sa Cour aux Puissances, ayant pris ces lettres & vû par la lecture qu'il en fit que s'il les scelloit cela donneroit sujet de murmurer à ceux qui y pouvoient avoir intérêt, les lui rendit sans vouloir les sceller. Il lui dit qu'il faloit qu'il en parlât auparavant à la Reine Mere, & que quand il lui auroit fait entendre de quelle conséquence il lui étoit de ne les pas faire passer au sceau, il esperoit que ni elle ni lui ni penseroient plus. Treville qui n'étoit pas accoutumé à se voir resister en face, lui répondit d'un air de gascon que la Reine avoit bien sû apparement ce qu'elle faisoit quand elle lui avoit accordé la grace qu'il lui presentoit presentement, qu'il y avoit un peu trop de vanité à lui à vouloir controller ses actions, & que s'il ne scelloit ces lettres de bonne grace, il n'étoit pas en peine de le lui faire faire de force; que la Reine le lui commanderoit bientôt absolument, qu'enfin tout le conseil qu'il avoit à lui donner & même s'il vouloit qu'il en usât en bon ami, étoit de ne se pas attirer cette affaire sur les bras. C'étoit s'en faire un peu trop accroire, que de parler de la sorte au premier Officier de la Couronne; mais comme quelque esprit que l'on ait, il y a des rencontres où bien loin de se rendre maître de ses passions, l'on s'y laisse tellement emporter qu'il semble que l'on ait perdu la raison, Mr. de Treville au lieu de rentrer dans lui-même & d'en devenir plus sage, ne se contenta pas seulement de ce qu'il venoit de dire, mais fit encore une action qui scandalisa toute la compagnie. C'étoit un jour de sceau, & la chose n'en etoit que plus remarquable par la grande assemblée qui étoit-là, quoi qu'il en soit ne se mettant gueres en peine d'avoir tant de témoins de son emportement, il lui demanda tout de nouveau s'il ne vouloit pas sceller ces lettres, & comme il vit qu'il n'en vouloit rien faire, après lui avoir dit qu'il ne lui feroit jamais l'honneur ni de les lui presenter une seconde fois ni de lui en presenter jamais d'autres, il commença à les lui dechirer au nez. Il lui dit de plus en même tems comme par une espece de menace que ce n'étoit plus son affaire, que c'étoit celle de la Reine & qu'il lui laisseroit le soin de se faire obeïr. Un Procedé si violent & si public vola tout aussi-tôt par tout Paris, & ne tarda gueres à se répandre jusques à Berni. Mr. le Comte de Laval en partit aussi-tôt sans en rien dire à sa femme, & étant allé descendre chez un de ses amis, il le pria d'aller appeller Treville de sa part. Treville étoit allé au sortir du sceau chez la Reine, & chez le Cardinal pour prendre les devans sur ce qui venoit d'arriver, & s'étant arrêté à dîner chez Mr. de Beringuen premier Ecuyer de la petite écurie du Roi, il s'en revint ensuite faire un tour chez lui. J'y étois allé pour lui porter une lettre du païs qu'un Gentilhomme m'avoit adressée, pour la lui remettre en main propre. Il me demanda de qui elle étoit avant que l'ouvrir, & lui ayant dit le nom de celui qui me l'avoit envoyée, il me répondit en goguenardant que ce Gentilhomme eut bien mieux fait de demeurer dans la compagnie des Mousquetaires où il avoit été trois ou quatre ans que de la quitter, comme il avoit fait pour aller s'encornailler dans la Province, qu'il parieroit bien qu'il me diroit mot à mot tout le contenu de cette lettre, sans la lire, que c'étoit assurément pour implorer son secours afin de venir étaller ses cornes au Parlement de Paris, comme s'il ne devoit pas être assez content que celui de Pau en eut pris connoissance. S'étant mis ainsi à railler avec moi, il ouvrit cette lettre où il trouva effectivement tout ce qu'il venoit de me dire. Ce Gentilhomme lui mandoit que le galant de la femme, étant parent de deux ou trois Presidens de ce dernier Parlement, & n'y ayant point de justice à esperer pour lui, dans ce Tribunal, il couroit grand risque d'entasser affront sur affront, s'il ne lui servoit de Pere & de Protecteur. Mr. de Treville qui m'avoit lû tout haut ces derniers mots me demanda ce que j'en pensois, & s'il ne devoit pas plûtôt prendre parti contre lui que de se declarer en sa faveur. Je crûs lors qu'il me parla de la sorte qu'il faloit qu'il fut aimé du galant ou du moins qu'il lui fut recommandé de bonne part. Et comme la partie souffrante étoit des amies de la Maison, & que l'avis que Mr. de Treville me demandoit me mettoit en droit de lui recommander la justice au préjudice de la faveur que l'autre pouvoit avoir trouvée auprès de lui, je me mettois déja sur mon bien dire pour le persuader, quand il m'interompit pour me faire des reproches de ce que je lui conseillois de se declarer le pere d'un cocu. Il me dit en même tems que mon ami n'y pensoit pas de lui faire cette priere ni que je n'y pensois pas moi-même, puis que je l'exposerois par-là, s'il étoit si simple que de me croire, à le faire montrer au doigt. Comme je vis qu'il étoit ainsi de si bonne humeur & qu'il ne demandoit qu'à rire j'entrai dans la raillerie où je ne réüssissois pas trop mal, quand je m'en voulois mêler. Cependant dans le tems que nous commencions à nous y enfoncer tous deux, un laquais l'en vint retirer, en lui annonçant qu'un Gentilhomme qui n'avoit pas voulu dire son nom demandoit à lui parler. C'étoit justement l'ami du Comte de Laval qui venoit pour s'acquiter de la commission qu'il lui avoit donnée, mais Mr. de Treville ne s'en doutant nullement commanda à ce laquais de le faire entrer. Ce Gentilhomme entra un moment après, & Mr. de Treville qui le connoissoit pour le voir tous les jours à la Cour, lui ayant demandé ce qui l'amenoit, & s'il pouvoit quelque chose pour son service, celui-ci lui répondit pour me depaiser qu'il venoit lui demander une casaque de Mousquetaire pour un Gentilhomme de ses parens. Mais que comme il lui étoit arrivé des affaires dans son païs, il étoit bien aise de l'en entretenir en particulier, afin qu'il jugeât s'il seroit en seureté dans sa compagnie. Je voulus m'en aller pour les laisser en repos, mais Mr. de Treville m'ayant dit de ne me pas éloigner, parce qu'il avoit à me dire quelque chose sur la lettre que je lui avois apportée, je m'en fus dans son Anti-Chambre où je me mis à causer avec un Mousquetaire qui lui servoit d'Ecuyer. Je ne fus pas plûtôt sorti que le Gentilhomme après avoir changé de langage avec lui, lui dit que Mr. le Comte de Laval vouloit le voir l'épée à la main, qu'il avoit appris ce qu'il avoit fait à son beau-pere, & que comme sa robe l'empêchoit d'en tirer raison c'étoit à lui qui devoit être un autre lui-même à se charger de sa querelle, qu'il l'attendoit hors de la porte St. Jâques en bonne devotion qu'il le meneroit s'il vouloit; qu'il n'avoit qu'à prendre un de ses amis avec lui, afin qu'il ne fut pas un témoin inutile de leur combat. Mr. de Treville, qui bien loin de manquer du côté du coeur en avoit plus qu'homme du monde, lui répondit qu'il lui faisoit plaisir de s'être chargé d'une commission comme celle-là, que le Comte de Laval lui en faisoit aussi beaucoup de s'être chargé de la querelle de son beau-pere, parce que du metier dont il étoit il eut été obligé de boire impunément l'affront qu'il pretendoit avoir reçû de ce Magistrat, s'il ne s'étoit presenté quelqu'un heureusement pour lui en faire reparation. Ce Gentilhomme lui repliqua qu'il n'étoit point question de savoir qui avoit tort ou qui ne l'avoit pas, puis que cela s'alloit terminer l'épée à la main, que des plaintes ne pouvoient être bonnes que dans une justice reglée ou devant des arbitres, mais que la fortune allant decider comme il lui plairoit qui avoit raison de l'un ou de l'autre, il étoit sûr que de quelque maniere que les choses se passassent son ami seroit toûjours content, pourvû qu'il eut le plaisir de faire deux coups d'épée contre lui; qu'il croyoit qu'il n'en seroit pas autrement de son côté, parce que quand de braves gens comme ils étoient s'etoient mis en devoir de se tirer du sang l'un à l'autre, celui qui étoit répandu, de quelque côté que ce pût être, avoit dequoi effacer tout ce que des differens encore bien plus grands que le leur faisoient naître de ressentiment dans un esprit. Comme les discours les plus court ont plus de grace dans une rencontre comme celle-là, que tout ce que l'on sauroit se dire de part & d'autre, ils en demeurerent là tous deux. Cependant Mr. de Treville ayant appellé son laquais qui étoit demeuré de garde à la porte, il lui dit de me faire rentrer. Le laquais n'eut pas loin à m'aller chercher, puis que je n'étois qu'à trois pas delà, & m'étant presenté devant lui, il me dit en presence de ce Gentilhomme que lui étant venu faire un appel de la part du Comte de Laval, il ne jettoit point les yeux sur d'autre que sur moi pour lui servir de second, qu'il ne me demandoit point si je m'aquitterois bien de cet emploi, parce qu'il avoit tant de preuves de ce que je savois faire qu'il seroit plûtôt tort par-là à son jugement, qu'il ne m'en feroit à moi même. Le Gentilhomme fut surpris qu'il lui donnât ainsi un jeune homme de mon âge pour se battre contre lui, & n'ayant pût empêcher de lui en témoigner sa pensée, Mr. de Treville lui répondit que s'il avoit lieu de ne pas approuver son choix, c'est qu'il le mettoit en plus grand danger qu'il ne croyoit de perdre sa réputation, que quand on venoit à être battu par un homme de mon âge, c'étoit un bien plus grand chagrin que de l'être par un homme fait, que voilà tout ce qui le pouvoit chagriner, parce que pour le reste, il trouveroit en moi un ennemi qui se battroit de pied ferme & qui lui feroit la moitié de la peur. Je me tins non-seulement honoré d'un discours qui m'étoit si avantageux, mais encore d'un choix qui ne me l'étoit pas moins. Etre second de Mr. de Treville me parût un honneur qui n'alloit pas faire moins parler de moi que faisoit l'ami de ma Maison avec ses cornes qu'il pretendoit promener de Parlement en Parlement; ainsi ayant déja beaucoup d'impatience de me trouver sur le prez depeur de me voir arracher cette gloire par quelque accident imprevû, je n'attendis que la sortie de l'un & de l'autre, pour les suivre de bon coeur; mais ce que je prevoyois arriva justement dans le tems que nous y pensions le moins tous trois. Comme nous allions monter en carosse il vint un Officier de la Connêtablie signifier à Mr. de Treville que Mrs. les Marêchaux de France l'avoient envoyé pour demeurer auprès de lui, jusques à nouvel ordre, sur ce qu'ils avoient appris que le Comte de Laval s'étoit mis en Campagne pour tirer vengeance de l'insulte qu'il pretendoit qu'il eut fait à don beau-pere. Il n'est impossible de bien representer la mortification que je receus à un compliment si peu attendu. Elle fut égale à l'honneur que je me faisois auparavant d'avoir été choisi par un homme comme M. de Treville pour une action comme celle qu'il avoit bien voulu me confier. Le Comte de Laval eut un garde de son côté, & cette affaire ayant été accommodée quelques jours après, le Chancellier que tout le monde blâmoit de ce qu'il ne vouloit pas pardonner à sa fille; & qui n'en étoit plus retenu que par la honte qu'il avoit de se retracter si-tôt, après avoir fait paroître tant de ressentiment, prit sujet de ce que le Comte venoit de faire pour lui pour les recevoir tous deux en grace. La Comtesse de Laval qui aimoit son mari éperduëment en pensa mourir de joye, trouvant qu'il ne manquoit plus rien après cela à son bonheur. La Chancelliere de son côté se mira pour ainsi dire dans son gendre, & ne fut pas fâchée que la proximité qui étoit entr'eux l'empécha d'en devenir amoureuse, comme elle l'eut peut-être été d'un autre qui ne lui eut pas été si proche, & qu'elle eut pu régarder sans faire tort à sa vertu. Je fus ravi que la fille du premier Officier de la Couronne eut ainsi épousé un cadet, & quoique je ne me ventasse pas d'être de si bonne Maison que lui, je ne laissai pas de me flatter que son exemple seroit capable de produire un bon effet sur ma maîtresse, pour peu qu'elle fut disposée à écoûter la raison & à me rendre justice. Mais elle étoit toûjours si fort entêtée de son Marquis de Wardes, qu'il étoit aisé de voir qu'il y avoit de la vision à son fait. Ce Seigneur n'étoit pas pour épouser une étrangere, étant un des hommes de la Cour des plus à son aise, & c'est tout ce qu'elle eut pû esperer si elle eut été heritiere comme elle l'avoit pensé être sans moi. Cependant comme l'esperance ne meurt guéres, & que c'est ce qui fait vivre les plus miserables, il arriva que pendant que je me flattois encore de pouvoir surmonter la haine qu'elle avoit pour moi, elle se flatta aussi que son frere pourroit mourir, & que son bien & sa beauté lui feroient obtenir un coeur, sans lequel elle ne pouvoit vivre. Mais son frere s'en étant retourné quelques mois après en Angleterre, & s'y étant marié fort richement, ses esperances s'en allerent bientôt en fumée, par les nouvelles qui lui vinrent presque en même tems, que sa belle-soeur étoit déja grosse, elle en pensa mourir de douleur, ne voyant plus de jour de parvenir à ses desseins. Sa femme de chambre que j'étois allé voir de fois à autre pour apprendre des nouvelles de sa maîtresse, & de qui j'avois jugé à propos de recevoir toutes les faveurs qu'une femme sauroit donner à un homme, afin de la mettre davantage dans mes interêts, m'ayant appris sa folie, je fis tout ce que je pus pour l'oublier; mais n'en ayant jamais pû venir à bout, quelque effort que je pusse faire, je deguisai si bien mes sentimens à cette femme de chambre, qu'elle ne crut plus du tout que j'en fusse amoureux. Un autre s'y seroit pû tromper tout aussi bien qu'elle, parce qu'elle recevoit elle-même de si grandes marques de mon amitié qu'il lui étoit pardonnable de s'y méprendre. Cette femme de chambre étant ainsi fort contente de moi, & moi l'étant pareillement assez d'elle, parce qu'avec ses faveurs sa maîtresse ne faisoit pas un pas qu'elle ne m'en avertit, elle me dit deux ou trois mois après que nous fûmes bien ensemble, que j'avois fort bien fait de me guérir de la passion que j'avois euë pour elle; parce qu'elle n'avoit plus ni raison ni honneur. J'en étois si peu guéri comme elle croyoit, que je me sentis pénétrer de desespoir à ces paroles. Cependant ne voulant pas lui faire connoître ce que j'en pensois, & étant bien aise au contraire de lui faire accroire que tout ce qu'elle disoit de moi étoit vrai, je me pris à rire, comme si j'eusse été ravi de ne plus aimer une folle. Je lui demandai en même tems, mais d'une maniere peu empressée, & comme si cela m'eut été indifferent, ce qu'elle faisoit donc tant pour lui donner du scandale, & m'ayant répondu à l'heure même qu'elle n'en faisoit que trop, & qu'elle n'en vouloit point d'autre juge que moi elle ajouta tout aussi-tôt que sa folie ne pouvoit guéres aller plus loin, puis qu'elle vouloit à toute force lui faire porter un billet au Marquis de Wardes pour lui donner un rendez-vous, qu'elle ne l'avoit pas voulu faire, qu'elle ne m'en eut parlé auparavant; afin de lui donner là-dessus le conseil qu'elle attendoit d'une personne qui lui étoit aussi affectionnée que je le paroissois. Je m'étonnai comment elle ne s'apperçut pas de l'effet que ces paroles produisirent en moi. J'y demeurai interdit; mais enfin m'étant remis en quelque façon de mon trouble, je lui demandai de quelle espece étoit ce rendez-vous, que quoi qu'ils fussent tous criminels à une fille, il y en avoit néanmoins qui l'étoient bien plus les uns que les autres; d'ailleurs, que du petit l'on en venoit bientôt au grand, principalement avec une homme comme de Wardes, qui étoit trop habile pour demeurer en si beau chemin. Elle me répondit que le rendez-vous dont elle me parloit étoit d'une nature à ne lui plus laisser aucun pas à faire; que Miledi... vouloit passer une nuit avec lui, & que si je voulois voir le billet qu'elle lui écrivoit là-dessus elle me le montreroit à l'heure même, parce qu'elle l'avoit dans sa poche. J'avois trop d'interêt à la chose pour ne la pas prendre au mot, je lui demandai à le voir, & me l'ayant donné en même tems j'y lûs des choses que je n'eusse jamais cruës, si je ne les eusse vûës de mes propres yeux. Je ne pus m'empêcher de pâlir à cette vûë, & l'état où je devins au même instant lui ayant fait connoître ce qui se passoit en moi, elle pâlit à son tour, voyant combien elle s'étoit trompée quand elle avoit cru que j'avois quitté sa maîtresse pour elle. Elle me fit mille reproches de mon déguisement, & ne lui pouvant rien dire qui me put justifier, après ce qu'elle voyoit presentement, je pris le parti de lui demander du secours contre moi-même. Ainsi lui avoüant ma foiblesse, dont aussi bien je ne pouvois plus disconvenir, je me jettai à ses piez, & lui dis que mon repos étoit desormais entre ses mains; que je ne pouvois plus avoir d'estime pour sa maîtresse, après ce qu'elle me montroit d'elle, mais qu'étant encore assez foible pour desirer de l'éteindre dans la possession des desirs qu'elle avoit allumez par sa beauté, il ne tenoit qu'à elle de me procurer cette satisfaction, que je n'en aurois pas eu plûtôt ce que je desirois que je ne penserois plus à elle que pour la mépriser; qu'il n'y avoit que l'amitié reciproque qui fut capable de faire revivre des feux qu'on avoit éteints dans la jouïssance; & que comme je lui deroberois ses faveurs plûtôt qu'elle ne me les accorderoit, puisque je ne jouïrois d'elle que sous la figure de son amant, je ne demanderois pas à en jouïr une seconde fois, puis que je n'y trouverois plus de plaisir; qu'ainsi je retournerois à elle avec un coeur degagé de toute autre passion; de sorte qu'il n'y avoit plus qu'elle qui en fut maîtresse à l'avenir. Quelque éloquent que je pusse être je ne l'eusse jamais persuadée, si j'eusse voulu la laiser decider de mon sort. Mais lui ayant témoigné que si elle vouloit que j'eusse un plus long commerce avec elle, elle devoit me donner cette satisfaction, je lui fis faire la chose moitié de force & moitié de bon gré. Elle me demanda alors comment je voulois qu'elle s'y prit pour tromper sa maîtresse, exigeant de moi un serment, qu'en cas qu'elle vint à s'en appercevoir, je la prendrois sous ma protection pour lui faire éviter sa colere. Je lui dis que puisque ce rendez-vous étoit pour la nuit, elle me pourroit substituer aisément à la place du Marquis de Wardes, que cela lui seroit d'autant plus facile que sa maîtresse desiroit elle-même qu'il n'y eut point de lumiere dans sa chambre, ni quand j'y arriverois, ni tant que j'y demeurerois, d'ailleurs que comme j'en devois encore sortir une heure avant le jour, elle voyoit bien qu'elle ne risquoit rien à lui faire cette tromperie. Elle fut bien aise que je lui applanisse toutes les difficultez qu'elle se faisoit, & ne lui en restant plus dans l'esprit que celle que lui pouvoit faire la connoissance qu'elle avoit de ma voix, je lui promis de la déguiser si bien qu'elle crut qu'elle s'en pouvoit fier à moi. La femme de chambre m'ayant ainsi promis ses services, elle fit accroire à sa maîtresse qu'elle avoit porté son billet au Marquis, & qu'il ne manqueroit pas de se rendre incognito dans sa chambre à l'entrée de la nuit, qu'elle l'y garderoit jusques à ce qu'il fut heure de passer dans la sienne, & qu'il avoit tout autant d'empressement qu'elle en pouvoit avoir que l'heure du rendez-vous arrivât. Miledi.... fut ravie d'être si près du bonheur qu'elle attendoit. La journée lui dura mille fois plus que les autres qu'elle eut jamais passées, & elle m'eut duré tout de même, & peut-être encore davantage, si ce n'est que de tems en tems, il me prenoit une frayeur qu'elle ne vint à me reconnoître. Enfin la Reine d'Angleterre s'étant retirée & toutes les Dames qui étoient de sa Cour ayant fait la même chose de leur côté, Miledi... ne fut pas plûtôt dans son lit que sa femme de chambre m'y conduisit par une petite allée qui menoit dans son appartement. Comme j'étois obligé de lui faire compliment sur la grande fortune à laquelle il lui plaisoit de m'appeller, je n'y manquai pas, mais en contrefaisant si bien ma voix, que quand même elle se fut doutée de la fourberie qui lui étoit faite, elle ne s'en seroit jamais apperçûë. Je ne crus pas à propos & pour cette raison, & pour lui marquer plus d'amour, de lui faire un long compliment, mais ayant fait succeder des caresses à mes paroles, je la rendis si contente de moi, & le fus aussi tellement d'elle, que nous ne croyons pas encore être à la moitié de la nuit quand la femme de chambre me vint avertir qu'il étoit tems de décamper. Peut-être que par malice, ou pour mieux dire par jalousie, elle y vint un peu de meilleure heure qu'il ne faloit; mais comme Miledi.... ne vouloit pas que le jour la surprit entre mes bras, elle me dit tout bas à l'oreille de m'en aller, & qu'elle me feroit avertir par sa femme de chambre quand elle voudroit que je la revinsse voir. La femme de chambre me prit par la main pour me mener hors de la Chambre, parce qu'elle y étoit revenuë me querir sans lumiere, tout comme elle m'y avoit amenée, elle me fit passer dans sa chambre, & me dit que l'on ne sortoit pas de chez la Reine d'Angleterre comme l'on faisoit sans qu'on prit garde qui y entroit ou qui en sortoit, qu'il faloit que je demeurasse là tout le jour, afin de prendre mon tems de ne m'en aller qu'à la brune, que par ce moyen j'en sortirois sans qu'on s'apperçût que j'y fusse entré, que c'étoit là l'ordre que lui avoit donné sa maîtresse, afin de ne la pas commettre mal à propos, ordre dans lequel je devois entrer moi même, parce qu'un galant homme doit avoir toûjours soin de la réputation des Dames. Je ne sçaurois dire au juste si sa maîtresse avoit eu cette precaution ou non, mais enfin ce qu'elle me disoit étant toûjours de la nature des choses dont l'on dit communément que si elles ne sont pas vrayes elles sont du moins bien inventées, je n'eus pas le petit mot à y repliquer. Je pris à toute force un bouillon qu'elle me donna, lui disant néanmoins pour m'en excuser, que bien que j'eusse souhaitté de passer la nuit avec sa maîtresse, la pensée dont j'étois rempli que c'étoit à un autre qu'à moi qu'elle avoit donné ce rendez-vous m'avoit tellement degoûté que je n'y avois pas trop épuisé mes forces. Je m'imaginois qu'en lui disant cela, elle m'en croiroit sur ma parole, sans m'en demander d'autre preuve; mais comme elle avoit plus d'esprit que je ne pensois, elle me répondit que si cela étoit comme je le lui voulois persuader, elle s'en appercevroit bien dans un moment; que comme elle avoit été obligée de faire le pied de gruë toute la nuit, & qu'elle n'avoit pas dormi un seul moment non plus que moi, il faloit que nous nous missions ensemble au lit, qu'aussi-bien elle n'avoit affaire qu'à midi dans la chambre de sa maîtresse, ce qui nous donneroit à l'un & à l'autre tout le tems qu'il nous faudroit pour nous reposer. Si j'eusse pû m'excuser honnêtement de ce qu'elle me demandoit, je n'y eusse pas manqué: sortir du lit de la personne du monde que j'aimois le plus, pour entrer dans celui d'une fille dont je ne m'aprochois que par débauche, n'étoit pas une chose trop accommodante pour moi. Mais comme j'eusse eu mauvaise grace à lui resister, & que d'ailleurs j'avois besoin de repos, je me mis à la carresser pour lui faire accroire que les faveurs de sa maîtresse ne m'avoient pas fait oublier le cas que je devois faire des siennes. En suite dequoi je lui dis que j'avois envie de dormir, & lui fis mes excuses tout du mieux qu'il me fut possible; & m'étant assoupi un moment après, je dormois encore sans m'être reveillé un seul moment qu'il étoit déja près de midi, ainsi elle fut obligée de se lever pour aller rendre le service qu'elle devoit à sa maîtresse. Elle n'eut garde de lui dire où j'étois, elle lui dit que le pretendu Marquis de Wardes étoit si charmé de la nuit qu'il avoit passée avec elle qu'il contoit pour rien la prison qu'il lui faloit essuyer ce jour-là. Miledi fut ravie de ces assurances, & comme elle croyoit en devoir donner des marques de reconnoissance à ce trop heureux Marquis, elle se fit donner du papier & de l'ancre & lui envoya ce billet que la femme de chambre ne m'eut jamais rendu si ce n'est qu'elle y demandoit réponse. Voici ce qu'il contenoit. _Je n'ai jamais sû jusques où vont les forces d'un homme pour en pouvoir parler assurément, mais comme à l'age que j'ai je ne suis pas sans en avoir oui discourir plusieurs fois, je crois que vous avez maintenant plus de besoin de repos que de travail. Le soin que j'ai de votre santé fait donc que je vous sais si près de moi sans vouloir profiter d'avantage de vôtre vûë pour vôtre intérêt & pour le mien. Mandez moi quand vous croyez être en état de soutenir une nouvelle épreuve. C'est être bien hardie que de vous parler de la sorte. Je ne le ferois pas face à face, & vous n'en sauriez douter, puis que vous avez vû que je ne vous ai laissé approcher de moi de si près qu'en cachant la confusion que j'en avois sous l'ombre de la nuit, oui c'est l'obscurité qui a été cause que j'ai fait cet effort sur moi; les murailles qui sont entre nous deux font encore que j'ose vous écrire ce que je fais ici. Pardonnez le moi & croyez que je serois plus retenue si j'étois moins charmée de votre merite._ La femme de chambre me trouva encore endormi quand elle m'apporta ce billet, & m'ayant reveillé pour y répondre, tenez menteur me dit-elle, & quand je ne saurois pas par ma propre expérience que vous êtes paralitique ce billet ne me l'apprendroit que trop. Je ne sus que répondre à ce juste reproche ni encore moins que répondre à ce billet. Ce n'est pas que je ne fusse encore assez amoureux de Miledi.. pour lui promettre des merveilles, mais comme cette réponse devoit passer par les mains de la femme de chambre, & que je savois bien qu'elle trouveroit mauvais que j'y fisse le Soyecourt, je me trouvai tout à fait embarrassé. Cependant l'esprit & l'addresse d'un homme ne lui etant donnez que pour s'en servir dans l'occasion, je dis à celle-ci que le peu d'expérience que sa maîtresse avoit dans ce qui s'étoit passé entre nous deux, lui faisant considerer comme quelque chose de grand & de merveilleux ce qui y étoit arrivé, il ne me couteroit pas beaucoup de l'entretenir dans la bonne opinion qu'elle avoit de moi, qu'ainsi si elle le trouvoit bon je lui offrirois un second rendez-vous pour le soir même, ou du moins pour le lendemain; que plus il seroit proche de celui qu'elle m'avoit donné, moins elle en auroit de jalousie, parce que m'accusant déja elle même d'être paralitique elle voyoit bien que je ne pourois être encore rescuscité en si peu de tems, que par ce moyen je ne lui donnerois pas de grandes allarmes, & que si elle en prenoit elle auroit grand tort. La femme de chambre qui étoit plus fine que je ne pensois, ne donna point dans le panneau, elle me répondit que quelque jalouse qu'elle pût-être elle avoit encore plus de soin de ma santé que de son contentement, qu'ainsi elle ne souffriroit jamais que je prisse un rendez-vous si près l'un de l'autre, que nous étions ce jour-là au Samedi, & que quand je manderois à sa maîtresse que je me tiendrois prêt le Mecredi suivant pour la faire jouïr encore de ma conversation, c'étoit tout ce qu'elle me pouvoit accorder. Je fis ce qu'elle voulut, parce que comme j'avais affaire d'elle je ne pouvois faire autrement. Je fis donc réponse à Miledi... conformement à ses desirs, & comme elle ne connoissoit ni mon écriture ni celle du Marquis de Wardes, elle prit aisément l'une pour l'autre. La femme de chambre cependant en rendant mon billet à sa maîtresse lui dit que je m'étois ravisé après l'avoir écrit, que je m'étois souvenu que le Roi devoit aller coucher ce soir-là à Vincennes & qu'étant obligé d'y aller avec lui, je la priois de remettre la partie au lendemain, qui étoit le Jeudi. Miledi... crut la chose de bonne foi, quoi que tout cela ne fut inventé que par les raisons que j'expliquerai dans un moment. Au reste le Mecredi étant venu & m'étant rendu chez la femme de chambre qui me devoit toûjours conduire à mon rendez-vous, elle me dit que sa maîtesse ne me pouvoit voir cette nuit la, parce qu'il venoit une de ses amies coucher avec elle. Je fus très mortifié de ce compliment, quoi qu'elle me dit en même tems que je n'aurois que vingt quatre heures à attendre, & que ce seroit pour le lendemain. Enfin ayant été obligé de me consoler malgré moi, je voulois m'en retourner à mon logis quand la femme de chambre me dit que si je ne pouvois pas me réjouïr avec sa maîtresse, je pourois bien le faire avec elle, qu'elle avoit fait mettre des draps blancs à son lit, & qu'au moins auroit-elle le plaisir de me mettre au même état en sortant d'avec-elle, que je l'avois été il n'y avoit que trois jours en sortant d'avec Miledi... qu'elle y feroit toûjours tout son possible, & qu'il n'étoit pas juste qu'elle eut toûjours les restes d'une autre. Ces paroles qui étoient plus que suffisantes pour me faire voir combien elle étoit fine & intéressée, me chagrinerent extrémement; mais enfin me trouvant pris sans verd, & n'ayant pas le moindre mot à y répondre toute ma ressource fut de me ménager si-bien que cela ne me fit point de tort quand je serois auprès de sa maîtresse. Mais comme j'avois affaire à une femme rusée, ce qui n'est pas bien difficile de juger, par ce que je viens de dire, elle me mena beaucoup plus loin que je ne voulois. La matinée étant venuë, & l'heure de se lever étant arrivée, elle ne voulut pas me souffrir au lit, sous prétexte qu'il devoit venir des Marchands dans sa chambre pour apporter quelque chose à sa maîtresse. Elle leur avoit donné effectivement rendez-vous ce jour-là, afin de ne me pas laisser le tems de reparer mes forces, elle me fit passer ainsi dans un cabinet à côté de sa chambre, dont ayant fermé la porte sur moi, elle m'y laissa sans feu, quoi que la saison ne permit pas encore de s'en passer. Elle fit bien plus, elle m'y laissa même tout le jour, sans m'apporter seulement un morceau de pain à manger, parce qu'elle vouloit achever de me mettre sur les dents, devant que de me faire passer dans la chambre de sa maîtresse. Je reconnus bien la malice, mais enfin ni pouvant mettre remede, quoi que j'en eusse bonne envie, il me falut prendre patience jusques à ce qu'il lui plut de me tirer de captivité, & de l'état pitoyable où elle me reduisoit. Le moindre de mes maux étoit d'avoir les dents longues, quoi que je d'eusse avoir bien faim, car tout après avoir passé la nuit comme j'avois fait & n'avoir point mangé depuis près de trente heures, j'étois gelé jusques au fonds de l'ame & jamais homme ne fut moins disposé que je l'étois à me trouver à un rendez-vous. Enfin entre minuit & une heure la malicieuse femme de chambre m'étant venu ouvrir la porte du cabinet, & m'ayant voulu faire des excuses de m'avoir laissé là si long-tems sans secours, comme s'il lui eut été impossible de faire autrement, je ne crus pas devoir les recevoir sans lui dire ce que j'en pensois. Elle avoit eu encore une autre malice qui étoit d'avoir éteint le feu qui avoit accoutumé d'être dans sa chambre, depuis qu'elle se levoit jusques à son coucher. Ainsi ne pouvant me rechauffer comme je le pretendois devant que d'aller voir sa maîtresse, je la priai de me donner du moins un fagot, afin d'y mettre le feu dans un moment, mais elle me répondit avec un certain air de méchanceté & de jalousie qu'elle feroit mal ma Cour à sa maîtresse, si elle lui disoit que je lui demandois du feu quand il étoit question de l'aller voir, qu'elle ne lui en parleroit pas de peur de me perdre de réputation auprès d'elle, qu'un amoureux qui avoit toutes ses chaleurs comme je les devois avoir à mon âge seroit bien-tôt rechauffé, de sorte que tout mon soin ne devoit être que de l'aller trouver sans perdre un moment de tems. Elle ne s'amusa pas à attendre ma réponse pour me faire passer dans sa chambre, & me prenant par la main, je la pensai glacer, tant la mienne étoit froide: la joye qu'elle eut de me voir en cet état fit qu'elle ne prit pas garde à la peine que cela me faisoit. Je me laissai conduire, voyant qu'il me seroit inutile de lui rien demander d'avantage, & qu'elle ne seroit jamais d'humeur à me l'accorder, elle me laissa quand je fus auprès du lit de Miledi... & n'osant l'approcher de peur de la glacer elle-même, elle me demanda à quoi il tenoit que je ne me misse auprès d'elle. Je lui répondis que sa femme de chambre m'ayant tenu quelques heures dans son cabinet sans me donner du feu, & que n'en ayant point encore trouvé au sortir de là j'étois gelé à un point que cela étoit inconcevable, mes dents qui alloient les unes contre les autres lui certifioient encore mieux la chose que tout ce que je lui en pouvois dire, ayant donc pitié de moi, elle me dit de me coucher promptement, afin de me pouvoir rechauffer. Je le fis comme elle le vouloit, mais sans me sentir amoureux en aucune façon. Elle s'approcha de moi en même tems, & me serrant entre ses bras, l'amour qu'elle avoit non pas pour moi, mais pour celui qu'elle me croyoit être, fit qu'elle ne sentit pas d'abord le glaçon qu'elle embrassoit: elle eut toutes les peines du monde à me rechauffer, & n'en étant venuë à bout qu'à la longue elle me dit les choses du monde les plus tendres pendant ce tems-là, pour me faire comprendre combien elle m'étoit obligée de m'exposer à cette incommodité pour l'amour d'elle. Ne pouvant comprendre cependant pourquoi sa femme de chambre m'avoit fait attendre si long-tems dans le lieu où elle m'avoit renfermé, & encore moins pourquoi elle m'y avoit laissé sans feu, elle me demanda si je n'en savois point la raison. Je n'eus garde de la lui apprendre, ni le tems que j'avois été dans ce cabinet: quoi qu'il en soit, soit que le tems que j'avois souffert eut tellement abattu mes forces, qu'elle ne pussent se rétablir si-tôt, ou que la femme de chambre les eut épuisées elle même par l'excès qu'elle m'avoit fait faire avec elle, Miledi... eut si peu de contentement du rendez-vous qu'elle n'eut pas été portée à m'en demander un autre, si elle eut crû que les choses eussent dû s'y passer comme elles faisoient dans celui-là. Je me levai d'auprès d'elle tout comme je m'y étois couché, & la femme de chambre eut encore la malice de me venir chercher quatre heures avant le jour. Je trouvai alors non-seulement un bon feu dans sa chambre, mais encore de quoi remplir mon ventre, comme il faut. Je mangeai comme un homme qui en avoit bon besoin, & ayant essuyé quantité de railleries de cette manteuse, rien ne me consola que la pensée que j'eus que sa maîtresse lui feroit une bonne mercuriale de la maniere qu'elle m'avoit traité. Elle n'y manqua pas effectivement, & je sus de la femme de chambre même qu'elle avoit eu bien de la peine à lui faire entendre que ce qu'elle en avoit fait, n'avoit été que parce que ce jour-là sa chambre n'avoit point desempli de monde. Miledi... qui avoit trouvé goût au premier rendez-vous qu'elle m'avoit donné n'étant pas assez dégoutée du second pour ne m'en pas demander un troisiéme, la femme de chambre à qui cela commençoit à déplaire resolut d'y mettre fin par un conseil qu'elle fit semblant de donner à sa maitresse, comme si ce n'eut été que par le penchant qu'elle avoit de lui procurer une plus grande satisfaction. Elle lui fit entendre qu'elle se deroboit la moitié du plaisir qu'elle pouroit avoir si elle jouïssoit de mes embrassemens ou en plein jour, ou du moins à la faveur d'une autre lumiere que celle que nous donne le Soleil. Qu'après ce qu'elle m'avoit permis, elle ne devoit plus se faire de scrupule de voir son galant en face, outre que les rendez-vous qu'elle lui donnéroit seroient bien plus longs, & par conséquent bien plus agréables pour elle. Elle eut bien de la peine à l'y faire consentir, mais enfin en étant venuë à bout à force de raisons, Miledi convint avec elle qu'elle m'ameneroit encore dans sa chambre le lundi ensuivant tout comme elle avoit accoutumé, c'est à dire sans apporter de lumiere avec elle, mais qu'au lieu de me venir querir deux ou trois heures devant le jour, elle nous laisseroit ensemble jusques à ce qu'il fut tems de se lever. Ce conseil n'étoit qu'afin que je m'abstinsse de moi même de revenir la voir, de peur d'encourir le juste ressentiment qu'elle auroit, si elle venoit à reconnoître la fourberie dont je m'étois servi pour lui derober ses faveurs. Il est vrai que comme elle en étoit de moitié avec moi elle avoit autant de lieu que j'en pouvois avoir d'apprehender cette découverte; mais comme elle se la pouvoit prevenir soit en m'avertissant du dessein de Miledi... ou en quittant son service plutôt que de s'y exposer, elle croioit devoir prendre ces mesures pour n'être plus exposée à la jalousie que lui causoient nos frequens rendez-vous. Je fus bien surpris quand la femme de chambre m'apprit le dessein de sa maitresse, & n'ayant garde de deviner que c'étoit elle même qui lui avoit donné ce conseil, je lui dis que je ne savois pas trop bien comment nous nous tirerions de cette affaire ni elle ni moi; qu'il étoit presque aussi dangereux de se trouver presentement à un rendez-vous avec sa maitresse, que d'y manquer après l'avoir accepté, comme j'avois fait; qu'en y manquant cela lui donneroit lieu d'avoir recours à un autre qu'à elle, pour savoir du Marquis de Wardes d'où en seroit venu la faute, principalement quand elle veroit qu'elle ne lui en donneroit point de bonnes raisons; que si je m'y trouvois d'un autre côté, il étoit aisé de voir qu'il en arriveroit encore pis que tout cela. La femme de chambre après m'avoir écouté attentivement, me repondit que tout ce que je lui disois étoit veritable, que voilà à quoi elle s'étoit engagée pour l'amour de moi, mais que puisque j'étois cause du mal je devois y apporter le remede, qu'elle avoit eu tort d'avoir eu tant de complaisance, sans en prevoir toutes les suittes, que neanmoins comme il n'y avoit rien où l'on ne put pourvoir, si ce n'étoit à la mort, elle étoit prête de me donner un conseil qui me seroit salutaire, si je m'en voulois servir. Je lui répondis à l'heure même que dans l'embarras où j'étois il n'y avoit rien que je ne fisse pour m'en tirer, & lui ayant juré en même tems que j'executerois tout ce qu'elle me conseilleroit, elle me fit écrire une lettre que je devois donner à Miledi... quand je serois couché avec elle. Je la trouvai extrémement de mon goût parce qu'elle me la fit écrire sous le nom du Marquis de Wardes, & qu'elle ne devoit pas être trop agreable à cette fille. Cependant ayant accepté le nouveau rendez-vous qu'elle me donnoit, la femme de chambre ne voulut jamais me dire comment elle me tireroit d'intrigue cette nuit là, qu'elle ne me vit prét de passer dans la chambre de sa maitresse; mais enfin comme il étoit tems ou jamais de m'en avertir, elle me dit que lorsqu'il arriveroit quelque chose d'extraordinaire, je prisse ce tems là pour me derober d'entre ses bras. Elle ne m'en voulut pas dire d'avantage, tant elle étoit misterieuse, ou plûtôt tant elle avoit d'envie de me laisser de trouble dans l'esprit: elle vouloit que ce troisiéme rendez-vous se passât comme avoit fait le second; mais j'étois toûjours si amoureux de cette belle personne qu'au lieu que cela se passât comme elle se l'imaginoit, je recouvrai auprès d'elle, la reputation que j'y pouvois avoir acquise à nôtre premier rendez-vous. Je lui donnai cependant la lettre que sa femme de chambre m'avoit fait écrire, & l'ayant priée d'y ajouter une entiere foi, j'attendis avec plus de tranquilité que je n'en devois avoir aparemment, qu'il plut à cette fille de donner le signal qu'elle m'avoit promis quand il seroit tems de faire ma retraite. Elle ne le fit paroître qu'entre quatre & cinq heures du matin qu'elle fut mettre le feu elle même à une mechante paillasse qui étoit dans une gallerie assez éloignée de sa chambre: c'étoit à quoi je songeois le moins, aussi bien que Miledi... qui ne pensoit qu'à ce qu'elle auroit à me dire, pour s'exemter de la confusion qu'elle ne pouvoit s'empêcher de se faire d'avance, quand elle faisoit reflexion que je l'allois voir face à face, mais le bruit que l'on fit en même tems par tout cet hôtel, d'abord que l'on s'y fut apperçu du feu l'ayant bientôt retirée de ces pensées pour songer que dans ce tems de desordres, & de confusion l'on me pouvoit surprendre avec elle, elle fut la premiere à me prier de m'en aller. Je ne me le fis pas dire deux fois, & étant allé trouver la femme de chambre, elle me dit que comme la porte de l'hôtel étoit ouverte maintenant à tous allans & à tous venans pour en recevoir du secours, je pouvois me servir de cette occasion pour me retirer chez moi. Je fis ce qu'elle me conseilloit, & le feu ayant été éteint avant le jour, Miledi... fut bien fâchée de cet accident qui m'avoit tiré d'entre ses bras plûtôt qu'elle n'avoit resolu. Au reste sa femme de chambre qui lui avoit apporté de la lumiere, afin qu'elle se precautionnât, en cas que le feu eut fait quelque ravage, s'étant retirée dans sa chambre après avoir veu qu'il n'y avoit rien à en craindre, ne se vit pas plûtôt en seureté, & Miledi.. toute seule, qu'elle eut la curiosité de lire le billet, que je lui avois laissé, mais elle n'eut pas beaucoup de lieu d'en être contente, puis qu'elle ni trouva que ce que l'on va lira ici. _Je suis tellement accablé de rendez-vous que si ce n'est que vous êtes étrangere & que j'ai voulu étendre ma reputation au delà de la mer, qui separe vôtre pais d'avec le mien, je n'eusse jamais accepté ceux que vous m'avez donnez. Ne vous attendez donc pas que je mes rende aussi ponctuel à l'avenir que je l'ai été ces jours-ci. Il faut que chacun ait son tour, & tout ce que je puis faire pour vous est de vous embrasser tout au plus trois ou quatre fois en un an._ Miledi... n'eut jamais cru ce qu'elle voioit, si ce billet lui eut été donné par un autre que par moi. Je lui avois paru trop amoureux, il n'y avoit qu'un moment, pour lui laisser comprendre ce que vouloit dire deux choses aussi opposées que l'étoient tant d'amour & un si grand mépris. Elle se remit au lit où elle ne fit que pleurer toute la matinée. Je m'en doutai bien sans le voir, & étant allé chez elle l'après dinée pour me réjouir un peu de sa confusion, elle ne fut visible ce jour là ni pour moi ni pour personne. Ce fut encore la même chose le lendemain, mais ayant dit le soir à la femme de chambre qu'elle eut bien voulu me parler si je revenois la voir le jour suivant, elle lui ordonna de me faire entrer dans sa chambre, pendant qu'elle en refuseroit la porte à tout autre. La femme de chambre qui savoit bien le sujet qu'elle avoit d'être si triste, ne fut pas dans une petite peine de deviner ce qu'elle me vouloit. Elle ne le put jamais pénétrer, quelque gehenne qu'elle donnât à son esprit. Ainsi étant obligée de prendre patience jusques à ce que je l'eusse vûë, afin d'en être instruite par moi même, je fus bien surpris quand y étant encore retourné ce jour là elle me dit le compliment qu'elle avoit à me faire de la part de sa maitresse. Il me fut impossible tout aussi bien qu'à elle de deviner ce qu'elle me vouloit, mais enfin sachant que je n'attendrois pas long tems à le savoir, puisque je n'avois qu'à entrer dans son appartement pour en apprendre quelque chose, je me fis annoncer, afin de voir si elle n'auroit point changé de sentiment. Sa femme de chambre dont je m'étois servi pour lui faire dire que j'étois là, étant revenuë incontinent, & m'ayant dit que je pouvois entrer, je le fis tout aussi-tôt. Je trouvai sa maitresse sur son lit qui étoit dans un grand negligé, mais qui ne m'en parut pas moins belle. Cela me fit penser en même tems que rien ne manquoit plus à mon bonheur que de jouïr de gré à gré d'une si belle personne, sans être obligé d'user de supercherie comme j'avois fait, pour la posséder. Je la trouvai si méconnoissable d'humeur qu'il ne pouvoit y avoir un plus grand changement que celui que j'y trouvois: aussi, au lieu de le prendre avec moi sur un ton railleur comme elle avoit accoutumé de faire auparavant, elle me demanda d'un grand serieux, si je lui disois vrai quand je lui avoit dit que je l'aimois avec la derniere passion. Je me mis à genoux à côté de son lit l'entendant parler de la sorte, & lui ayant confirmé là avec tous les sermens que je crus les plus capables de la persuader, que s'il y avoit quelque deffaut dans les assurances que je lui en avois données, il ne venoit que de ce qu'il m'étoit impossible de lui dire veritablement jusques à quel point je l'aimois, elle me repondit que puisque cela étoit ainsi, il étoit juste qu'elle me traitât mieux qu'elle n'avoit fait par le passé; qu'elle changeroit doresenavant de conduite avec moi; mais à condition que je ne me dementirois jamais des promesses que je lui avoit toûjours faites de l'aimer plus que moi même, qu'elle m'en demanderoit bientôt des marques, & qu'elle s'attendoit que je les lui donnerois de tout mon coeur. Je lui pris la main que je baisai avec des transports tout extraordinaires pour lui témoigner par là aussi-bien que par mes parolles, qu'elle n'avoit qu'à commander pour être obeie inviolablement; elle me laissa faire sans y apporter la moindre resistance, ce qui me charma bien autant que toutes les faveurs que je lui avois derobées, quoi qu'elles fussent d'une autre nature que celles là. Car enfin tout ce qui se derobe n'a pas le même agrement que ce qui se donne volontiers, à moins que ce ne soit de ces sortes de larcins où il est bien aisé de voir que celle à qui on les fait est bien aisé de les laisser faire. Miledi... en demeurera là ce jour là sans vouloir me rien dire d'avantage. Je la vis les jours suivans, & j'en fus toûjours bien traité, elle me fit même meilleur mine de moment à autre, desorte que si je n'eusse point su la foiblesse qu'elle avoit pour le Marquis de Wardes, je me fusse estimé le plus heureux de tous les hommes. La femme de chambre ne demeura pas indifferente sur toutes ces visites; elle en vouloit savoir le secret, & j'eus bien de la peine à lui faire prendre le change. J'en vins à bout néanmoins assez adroitement. Je lui fis accroire qu'elle m'avoit rendu une lettre de son frere qui avoit eu querelle avec le Marquis de Winchester, qu'il me mandoit qu'il passeroit en France incessamment pour se battre contre lui, n'osant le faire en Angleterre, qu'il me prieroit d'être son second & que c'étoit pour cela que sa maîtresse me caressoit. Elle goba cette nouvelle comme une verité, & à cause du bonheur que j'avois eu jusques là dans les combats que j'avois faits, elle crut aisément que quand on en avoit quelqu'un à faire il y avoit plus de seureté à s'y servir de moi que d'un autre, & que c'étoit pour cela que j'éprouvois le changement dont je viens de parler. Le nouveau procedé de Miledi... ne pouvant qu'il ne m'étonnât, moi qui savois toutes ses affaires, & qui d'ailleurs en avois toujours été maltraité, je me mis à faire reflexion d'où il pouvoit venir. Enfin après y avoir bien songé tout ce que je trouvai de plus vraisemblable, fut qu'elle ressembloit à beaucoup de Dames, lesquels après avoir passé leur fantaisie avec un homme en cherchoient un autre, avec qui elles pussent trouver ce qu'elles ne trouvoient plus en lui. La pensée que j'avois ne se trouva pas veritable cependant, & je ne tardai guerres à en être éclairci l'étant retournée voir le lendemain que je l'avois accusée si injustement d'aimer le change. Elle me dit que le tems étoit venu de me mettre à l'épreuve, & qu'elle vouloit savoir aujourd'hui si je ne lui refuserois rien de ce qu'elle me demanderoit. Je lui répondis sans hésiter qu'elle n'avoit qu'a parler, & que quand même elle me demanderoit ma vie, elle verrait bien-tôt par le sacrifice que je lui en ferois, le plaisir que ce me feroit de lui obéïr. Elle me répliqua que ce n'étoit pas ma vie qu'elle demandoit, mais bien celle d'un autre, & que si je la lui voulois promettre il n'y avoit rien que je ne puisse esperer. Cette parolle m'ouvrit les yeux à l'heure même, & comprenant tout aussi-tôt l'effet qu'avoit produit le billet que je lui avois laissé, dans nôtre derniere entrevuë, je ne feignis point de lui dire qu'elle n'avoit qu'à me nommer son ennemi, & qu'elle en seroit bien-tôt deffaite. Cette promesse ne me couta rien, parce que je contois de profiter auprès d'elle de celle qu'elle m'avoit fait elle même dans le violent desir qu'elle avoit de se venger. Je contois aussi que quand j'en aurois eu ce que je pretendois pour recompense de mes promesses, je lui avouerois ingenuement qu'elle ne devoit plus être tant en colere qu'elle l'étoit contre le Marquis de Wardes, puisque c'étoit moi qui l'avoit trompée sous son nom. Elle fut ravie de la chaleur avec laquelle je lui promettois mon secours, ainsi après m'avoir encore confirmé qu'il n'y avoit rien que je ne dusse espérer auprès d'elle si je lui rendois ce service, elle me dit que cet ennemi dont elle demandoit le sang étoit le Marquis de Wardes. Je feignis d'être extrémement surpris l'entendant nommer, Miledi... ne put meconnoître ma surprise & me demanda ce qu'étoit devenu mon courage moi qui semblois il n'y avoit qu'un momen vouloir affronter le ciel pour lui plaire. Je lui repondis que quoi que je lui eusse paru tout étonné, je n'en avois pas moins de courage qu'auparavant, mais que considerant que de quelque maniere que tournât le combat qu'elle me demandoit contre ce Marquis, j'allois être reduit à ne la voir de ma vie, je lui avouois ingenuëment que toute ma confiance m'abandonnoit à cette pensée. Elle me demanda pourquoi je ne la verrois plus, si j'en sortois vainqueur, comme elle l'esperoit; parceque lui répondis-je qu'il n'y aura point de grace pour moi à esperer de Sa Majesté. En effet je n'aurai pas seulement contrevenu par là à ses ordres, mais j'aurai tué encore un Seigneur qui est parfaitement bien auprès de la Reine sa mere, ainsi le mieux qui m'en sauroit jamais arriver est de m'enfuir & par consequent de ne nous voir jamais. Miledi me répondit que puisque cela étoit ainsi, je n'aurois qu'à passer en Angleterre, & qu'elle m'y viendroit trouver. Elle n'en avoit nulle envie comme il me fut bien tôt facile de le reconnoître. Je m'en doutai bien aussi, mais feignant de donner dans le panneau comme une duppe, je lui repliquai en même tems qu'à ces conditions, je ne me batrois pas seulement contre le Marquis de Wardes mais encore contre tous ceux qu'il lui plairoit de me nommer, que cependant comme rien ne me donneroit plus de courage que la seureté qu'elle me garderoit sa parole je la prirois de ne pas trouver mauvais que je lui en demandasse des arrhes avant que de m'engager dans ce combat; que les meilleures & les plus assurées qu'elle me put donner étoit de m'accorder d'avance les faveurs qu'elle me promettoit: que si elle vouloit faire un vainqueur, elle devoit faire un heureux; puisque sans cela je ne ferois que combattre en transe, & serois plûtôt vaincu par la peur qu'elle me feroit elle même, que par celle que me feroit mon ennemi. Elle me répliqua qu'il n'y avoir que moi qui fût capable de faire une demande comme celle là, qu'on n'avoit jamais veu qu'on demandât à être payé d'avance, sur tout quand on avoit un peu d'estime pour une personne. Elle avoit raison dans le fonds, & j'eusse peut être rougi moi même de mon procedé si ce n'est que la connoissance que j'avois de ses affaires, me rassuroit bien quand je venois à y penser. Je savois qu'elle avoit franchi le pas qui coute tant d'ordinaire à une fille, & je me disois que puis qu'elle l'avoit bien franchi pour un autre, elle pouroit bien le franchir encore pour moi. Au reste ne me laissant point ébranler par tout ce qu'elle me put dire pour me détourner de ma resolution, je persistai dans ma demande, sous pretexte que je ne pouvois être en seureté sans cela, & que si elle vouloit remporter la victoire, il y alloit de son intérêt tout aussi-bien que du mien de ne me pas refuser ce que je lui demandois. Enfin lui faisant presque entendre que mes services n'étoient qu'à ce prix là, quoi que ce fut modestement, & comme un homme qui en étoit passionnément amoureux, je la mis dans la fatale nécessité ou de m'accorder ce que je lui demandois ou du moins de me le laisser prendre. Elle aima mieux l'un que l'autre, & nous devinmes bons amis dans le même instant ou du moins il n'y eut eu personne qui ne l'eut jugé ainsi, si l'on eut sçu ce qu'elle venoit de me permettre. Elle voulut me persuader alors fort adroitement, & comme si ce n'eut été que pour l'amour de moi, de se venger sans être obligé de mettre ma vie au hazard, elle me dit pour me le faire agréer que quelque brave qu'un homme put être il n'étoit pas assuré de triompher d'un autre, principalement quand il étoit de la trempe dont étoit l'ennemi que j'avois sur les bras. Que j'eusse donc à considerer le chagrin que ce lui seroit de me perdre, si je venois par malheur à succomber dans cette querelle; qu'elle en mourroit de douleur, & que c'étoit dequoi je ne devois faire nul doute, après ce qu'elle venoit de m'accorder: elle se donna bien de garde de me parler de sa vengeance, qu'elle pretendoit assurer par là; mais comme je me doutois bien que c'étoit là l'unique but qui la faisoit agir, je me le tins pour dit sans lui en rien témoigner néanmoins. Je me contentai de lui répondre que quand même je saurois être tué dans ce combat, j'aimerois beaucoup mieux l'être que de souiller mon honneur par aucune lâcheté. Elle se mit à pleurer comme si elle eut eu peur de me perdre. J'en crus presque quelque chose, tant on croit aisément ce qui nous flatte; ainsi tâchant de la rassurer par mes caresses, je lui promis que j'allois être invincible, maintenant que j'étois si heureux que de posseder son amitié. Je ne risquois pas beaucoup en lui promettant d'être invincible de ce côté-là. Je n'avois nulle envie de me battre, & charmé plus que jamais de cette Syrenne, je ne songeois qu'à lui avoüer la tromperie que je lui avois faite, afin que la délivrant par-là de tout ressentiment, & que me delivrant aussi en même-tems du combat que j'avois à faire, je pusse jouïr en repos de ma bonne fortune. Il m'étoit necessaire de le faire bien-tôt, par les persecutions qu'elle me faisoit déja de lui tenir ma parole, sans differer d'un moment, mais dans le tems que je me trouvois le plus embarassé comment m'y prendre, j'eus quelque relâche sans y songer. Je sûs que le Marquis de Wardes étoit tombé malade de la fievre, & comme elle lui faisoit garder le lit ce me fût une excuse à laquelle elle ne put trouver à redire. Cette fievre lui dura sept ou huit jours, pendant lesquels ayant demandé à cette fille la grace de pouvoir passer une nuit avec elle, elle chercha à s'en excuser, sous pretexte qu'elle ne vouloit pas que sa femme de chambre le sut. Je me voulus charger de la gagner, croyant qu'après ce qui s'étoit passé entr'elle & moi elle seroit bien obligée de mettre bas sa jalousie, quand je lui dirois resolument que c'étoit un faire le faut; mais elle n'y voulut jamais consentir, me disant qu'elle ne voudroit pas pour tout l'or du monde lui donner cette prise sur elle. J'eusse bien pû, si j'eusse voulu, lui dire tout ce que je savois de ses affaires, & lui apprendre par-là que quelque mesures qu'elle fit semblant de prendre, j'étois bien persuadé qu'elle ne passeroit jamais pour une Vestalle dans son esprit. Mais ne croyant pas qu'il fut encore tems de lui en dire ma pensée, je feignis de me rendre à ses raisons. Ainsi je lui proposai un autre parti qui fut de me laisser cacher dans sa chambre, pendant qu'elle envoyeroit sa femme de chambre quelque part, afin que quand elle reviendroit elle crut que je fusse sorti. Elle y voulut encore trouver quelque difficulté, mais lui ayant representé que le Marquis de Wardes étant sur le point de sa convalescence elle ne me devoit pas refuser ce contentement, parce que devant qu'il fut trois jours je ne serois plus en état de lui demander la même chose, elle y consentit à la fin. Je ne fus donc point en peine de gagner la femme de chambre, ce qui m'eut été peut-être plus difficile que je ne pensois, parce qu'elle devenoit jalouse tous les jours de plus en plus. J'avois resolu de ne pas laisser passer cette nuit, sans avoüer à la belle qu'elle n'avoit plus que faire d'en vouloir tant au Marquis de Wardes, puis que le sujet qu'elle en croyoit avoir n'étoit qu'une fiction. Je me figurois que cette nouvelle ne lui pouroit être qu'agréable, parce qu'au lieu d'un amant qu'elle croyoit la mepriser, elle en trouveroit un qui lui avoit toûjours été si affectionné qu'il avoit eu recours à une si grande tromperie pour l'empêcher de se jetter entre les bras d'un autre. Chacun à ma place eut eu sans doute la même pensée, & celui devoit être aussi une grande consolation de savoir que si elle avoit fait faux bons à son honneur se n'étoit qu'en faveur d'un homme qui l'aimoit passionnément. Je crus être obligé de bien prendre mon tems pour lui en parler, afin d'en être bien reçû. Je n'en pouvois pas souhaiter un apparement plus favorable que celui-là, & ayant encore étudié le moment où elle seroit plus disposée à entendre raison je fus tout surpris de voir qu'au lieu de l'ardeur où elle me paroissoit auparavant, elle devint de glace tout à coup. Je tâchai de la ranimer non seulement par un discours qui me paroissoit très persuasif, mais encore par mes caresses. Je croiois qu'il n'y avoit rien de plus capable de la toucher, & que par amitié ou par raison elle me remerciéroit de l'avoir delivrée d'un courtisan à qui elle se vouloit donner sans savoir s'il auroit la moindre amitié pour elle. Je contois même de lui remontrer dans un moment que quand même il en eut eu il eut été à craindre qu'il n'eut abusé de sa confidence suivant la coutume ordinaire de ses semblables, qui font de grands scelerats en amour; mais elle ne me permit pas de faire tout ce que je voulois, elle me donna un coup de pied de si grande furie que s'il eut été poussé avec autant de force que de colére, elle m'eut jetté hors du lit. Cette action me surprit au point qu'il est aisé de se l'imaginer. Je ne crus plus à propos de lui parler raison, ni d'avoir recours à la tendresse, & lui demandant pardon avec autant d'instance que si j'eusse eu à me delivrer de la corde, elle fut tout aussi peu sensible à mes soumissions qu'elle l'avoit été à tout le reste. Elle eut même si peu de discretion qu'elle reveilla sa femme de chambre par le bruit qu'elle faisoit. Il est vrai qu'elle ne s'en soucioit gueres, & que comme elle avoit appris, parce que je venois de lui dire, qu'elle avoit été de moitié avec moi de la tromperie qui lui avoit été faite, elle prétendoit bien la reveiller d'une autre façon. La femme de chambre qui ne savoit point ce que cela vouloit dire, & qui bien loin de croire sa maîtresse avec moi, me croioit sorti comme elle le lui avoit dit elle même, étant venuë pour voir ce que c'étoit avec une bougie à la main elle fut fort surprise de me trouver là moi, qu'elle en croioit si loin. Elle eut peut-être bien été la premiere à se plaindre si elle eut osé, mais sa maîtresse ne lui en donnant pas le tems, lui dit toutes les injures qui peuvent jamais sortir de la bouche d'une femme. Elle lui reprocha de m'avoir aidé à la tromper, & la femme de chambre ayant été assez hardie pour lui répondre, que si elle l'avoit trompée comme elle avoit fait veritablement par trois fois, ce n'étoit pas elle qui m'avoit introduit cette nuit là dans son lit, je crois qu'elle l'eut tué de bon coeur ou du moins qu'elle l'eut bien batuë, si elle eut pu le faire sans reveiller toute la maison. Enfin un peu de raison étant revenuë chez elle à la place d'un si grand emportement elle lui dit de faire son pacquet dés qu'il feroit jour, puis qu'elle ne vouloit jamais la voir. Pour moi elle me fit un compliment qui ne devoit pas me plaire d'avantage, elle me commanda de ne me jamais montrer devant elle, à moins que de vouloir qu'elle ne me plongeât un poignard dans le sein. Je pris mes habits à l'heure même sans me le faire dire deux fois, & de peur qu'elle ne se saisit de mon épée pour faire avec, ce qu'elle ne pouvoit faire avec un poignard faute d'en avoir un, ce fut la premiere chose dont je me nantis. Je passai le reste de la nuit dans la chambre de sa femme de chambre qui n'avoit pas envie du rire, non plus que moi. Sa maîtresse lui devoit tous ses gages, depuis qu'elle étoit entrée à son service, & comme son frere, quelque riche qu'il fut, ne lui envoioit point d'argent, elle ne savoit où aller, en cas, comme il y avoit bien de l'aparence, qu'elle tint sa colére. Je vis bien que c'étoit là où le mal lui tenoit; parce qu'au lieu de me faire des reproches comme elle m'eut fait sans doute, dans une autre rencontre, elle ne faisoit que se plaindre comme une personne qui ne savoit que devenir, ainsi, ne voulant pas qu'elle se desesperât je lui dis de mettre son esprit en repos, & que si sa maîtresse en usoit mal avec elle, elle me trouveroit toûjours prêt quand elle auroit besoin de quelque chose. Cette parolle lui rendit la tranquilité qu'elle avoit perduë & m'eut ôté la mienne, si j'en eusse encore eu après ce qui venoit de m'ariver, car au lieu de me remercier de la bonne volonté que j'avois pour elle, elle commença à me traiter de traitre & de perfide, tout de même que si je lui eusse promis mariage, & que je lui eusse manqué de foi. Je l'eusse bientôt rappaisée si j'eusse été d'humeur à lui proposer de passer le reste de la nuit avec elle, mais n'ayant nulle envie de rire & même en étant bien éloigné, j'allumai du feu en attendant que le jour parût, & tachai de mâcher mon frein. Le jour vint enfin après s'être fait bien attendre, & m'en voulant aller chez moi, la femme de chambre me retint par le bras, me disant de ne pas sortir si matin; parceque ceux qui me verroient ne pouroient croire autre chose sinon que j'aurois passé la nuit où avec elle ou avec sa maîtresse. Je ne devois gueres ménager l'une de la maniere qu'elle en usoit avec moi, & pour ce qui est de l'autre si je devois avoir un peu plus d'égard ce n'étoit tout au plus que par raport à son sexe, que tous les honêtes gens doivent considerer. Car par rapport à sa vertu comme je la croiois mince, je ne me sentois pas obligé d'avoir pour elle une grande consideration. Je ne dis pas tous ce que je pensois à cette fille, elle n'y eut pas trouvé son compte, ni moi non plus. En effet c'eut été alors qu'il lui eut été pardonnable de me dire toutes les injures qu'elle m'avoit dites; quoi qu'il en soit ma complaisance, ou pour mieux dire mon honnêteté, ayant été jusques à la croire, bien qu'on ne put s'ennuyer plus que je faisois là, sa maîtresse fit raisonner une petite sonnette sur les neuf à dix heures du matin afin qu'elle entrât dans sa chambre. C'étoit le signal qu'elle avoit coutume de lui donner quand elle avoit quelque chose à lui dire. Il y avoit déja sept ou huit heures tout du moins que nôtre affaire étoit arrivée, tems qui étoit suffisant pour l'avoir fait rentrer en elle même, mais elle y étoit si peu disposée qu'elle ne faisoit cet appel à cette fille que pour lui continuer le commandement qu'elle lui avoit déja donné de vuider de chez elle incontinent. Une autre moins emportée s'en seroit bien gardée: neanmoins elle eut consideré que le desespoir où elle l'alloit mettre de la renvoyer sans argent, alloit être cause qu'elle ne feindroit point de la dechirer d'une étrange maniere; mais bien loin d'y faire reflexion elle lui dit encore que si elle apprenoit jamais qu'elle eut fait d'elle aucun discours, elle pouvoit s'assurer qu'il lui en couteroit la vie. La femme de chambre eut beau lui repliquer qu'on ne mettoit pas ainsi une fille sur le pavé & qu'on la paioit du moins quand on la renvoioit. Il eut autant vallu pour elle de ne rien dire du tout, que de lui tenir ce langage. Ainsi ayant été obligée de lui donner les clefs de ce qu'elle avoit en maniment, elle me vint dire devant que ne s'en aller que je ferois bien de sortir avec elle, maintenant que l'heure n'étoit plus induë. Je vis bien à ce discours qu'elle n'avoit plus tant de soin ni de sa reputation ni de celle de sa maîtresse, puis qu'au lieu de me deffendre comme elle avoit fait autrefois de sortir que l'on ne fut sur la brune, elle étoit la premiere à me le conseiller. Elle me conseilloit même encore de sortir avec elle, ce qui étoit lâcher tout à fait la gourmette à la retenuë dont elle m'avoit fait parade quelques heures auparavant. Je ne crus pas devoir suivre son conseil, plus pour l'amour de moi même que par aucune consideration que j'eusse pour elle. Je trouvai que je n'aurois gueres d'honneur dans le monde si on alloit dire que j'eusse découché de ma maison pour aller passer la nuit avec une soubrette, ainsi lui ayant dit de s'en aller & que puisque j'avois tant tardé à sortir j'attendrois encore à le faire jusques à la nuit, afin de ménager la maîtresse comme elle me l'avoit conseillé elle même: elle me repondit que j'en ferois tout ce que bon me sembleroit; mais que si je l'en voulois croire je m'en donnerois bien de garde, que quand elle m'avoit donné ce conseil c'est qu'elle avoit cru que le jour venant elle mettroit de l'eau à son vin; mais que puis qu'elle ne l'avoit pas encore fait à l'heure qu'il étoit, il n'y avoit pas d'apparence qu'elle songeât à se raviser; qu'ainsi après y avoir bien pensé, il étoit à craindre qu'un tas d'anglois la venant voir comme ils avoient de coutume, elle n'en priât quelqu'un de me poignarder, lors que j'y penserois le moins. Qu'elle la connoissoit assez pour douter que son emportement ne put aller jusques-là; que je proffitasse de son avis, sinon que je voudrois peut-être le faire lorsqu'il n'en seroit plus tems. Ce discours me fit penser en moi même qu'elle pouroit bien avoir raison, sur tout après avoir reflechi que m'ayant tout sacrifié moyennant la promesse que je lui avois faite de tuer le Marquis de Wardes, elle pouroit bien faire la même chose à l'égard d'un autre, pourvû qu'il lui promit pareillement de venger dans mon sang l'affront qu'elle croioit que je lui eusse fait. Ainsi n'ayant plus ni tant de consideration pour elle ni tant de consideration pour moi même, je dis à la femme de chambre que je la voulois croire au peril de tout ce qui en pouroit arriver; qu'elle me laissât passer devant elle, & qu'elle ne me suivit qu'un demi quart d'heure après; afin qu'on ne prit pas tant de garde à nous, que si nous sortions tous deux ensemble. Elle consentit à tout ce que je voulois, & étant sorti le premier, elle sortit quelque tems après comme nous en étions convenus. Cette précaution n'empêcha pas qu'on ne me remarquât, & comme on savoit que je ne pouvois sortir que de chez Miledi... où l'on savoit que j'allois ordinairement on m'eut peut-être soupçonné de venir de chez la maîtresse, si ce n'est que l'on vit la servante sortir peu de tems après moi; Elle emportoit son paquet, & un homme ayant eu la curiosité de la suivre; il vit que je l'attendois à cent pas de là, où je lui avois donné rendez-vous. Je voulois savoir si sa maîtresse ne lui auroit rien dit quand elle lui seroit allée dire à Dieu, & je lui avois conseillé d'y aller, quoi qu'elle lui eut donné son congé, si absolument que cela me paroissoit superflu en quelque façon. Ce que cet homme fit justifia Miledi.... comme je le vais dire dans un moment, quoique néanmoins, ce ne fut pas une preuve bien convainquante pour elle. En effet, on pouvoit croire, & cela étoit même fort vraisemblable, que si j'avois quelque commerce avec elle, ce ne pouvoit être que par le moyen de sa femme de chambre, & qu'ainsi je pouvois bien lui parler sans que ce fut à elle que j'en voulusse. Mais ce paquet fit merveille pour sa maîtresse, & voici comment cela se passa. Celui qui m'avoit vû sortir peu de tems avant elle, & qui nous avoit suivis, en ayant fait rapport à la Reine d'Angleterre, soit qu'il en voulut à Miledi... & qu'il crut que cela ne pourroit faire qu'un méchant effet pour elle, ou qu'il ne songeât seulement qu'à divertir sa Majesté, la Reine en parla à Miledi... dans des termes qui lui firent voir que si elle ne se justifioit auprès d'elle, elle auroit peine à ne pas croire qu'elle n'eut été l'objet de mes visites. Miledi... qui ne manquoit pas de ruse ni d'esprit ne s'émut point à un compliment où une autre se seroit peut-être trouvée bien embarassée à sa place; elle répondit à Sa Majesté qu'avec tout le respect qu'elle lui devoit, elle lui permettroit de lui dire que comme il n'y avoit que les veritez qui offensassent, elle ne se trouvoit nullement scandalisée de ses soupçons, que ce qui étoit cause à la verité de la tranquilité de son esprit, n'étoit pas tant encore son innocence que la preuve qu'il lui étoit bien aisée d'en donner, qu'elle ne disconvenoit pas que je n'eusse passé la nuit dans son appartement, mais que ç'avoit été dans le lit de sa femme de chambre, & non pas dans le sien; qu'elle avoit été la premiere à s'en appercevoir, & qu'elle ne s'en étoit pas plûtôt apperçûë qu'elle l'avoit chassée honteusement sans vouloir écouter les menteries qu'elle pretendoit lui dire pour sa justification; qu'elle m'avoit menacé aussi de me faire jetter par les fenêtres, & qu'elle l'eut même peut-être fait, si elle eut eu du monde tout prêt pour executer ses volontez, mais que ma fuite ayant prevenu son ressentiment, elle avoit cru en pouvoir demeurer là, sans faire un éclat qui lui pouroit peut-être plus préjudicier à elle-même qu'à personne: qu'elle avoit consideré que comme on n'étoit pas toûjours disposé à rendre justice à tout le monde, on pourroit lui imputer comme on faisoit presentement, un commerce qui n'avoit nul rapport à elle; qu'une marque de cela c'est que si ce qu'on disoit contre elle étoit vrai, elle n'eut pas fait faire en même-tems son pacquet à cette fille, avec ordre de ne se presenter jamais devant ses yeux. Comme il y avoit beaucoup de vraisemblance à cela, la Reine d'Angleterre crut aisément tout ce qu'elle lui disoit. Ainsi toute sa colere se tournant contre moi, quoi que je n'eusse pas l'honneur d'en être connu particulierement, elle envoya dire à Mr. des Essarts qu'elle le prioit de la venir voir l'après dînée. Il n'eut garde d'y manquer & Sa Majesté lui ayant fait de grandes plaintes, de ce que j'avois eu si peu de consideration pour elle, que je n'avois point fait de difficulté de deshonnorer sa maison, il lui promit qu'il m'en feroit toute la correction qu'elle pouvoit attendre du profond respect qu'il avoit pour elle. La correction qu'il m'en fit fut grande effectivement. Il m'envoya en prison à l'Abbaye S. Germain d'abord qu'il s'en fut revenu chez lui. J'y demeurai deux mois tout entiers, & je crois que j'y serois même encore, si ce n'est que la Reine d'Angleterre eut la bonté d'elle-même de me pardonner. Elle dit à Mr. des Essarts un jour qu'elle le trouva au Louvre, que ma punition avoit été assez longue, & que comme il y avoit apparence que j'en serois devenu sage, il n'y avoit point de danger à me donner la liberté. Je crus être obligé de l'en aller remercier, & y étant allé elle me dit qu'elle pardonnoit tout ce que j'avois fait à ma jeunesse, mais à condition de n'y plus retourner. Je jugeai à propos de ne lui rien répondre, trouvant qu'un respectueux silence convenoit mieux dans une occasion comme celle-là que toutes les excuses que j'eusse pû chercher en ma faveur. Elle dit, d'abord que je fus sorti, à quelques Dames qui étoient avec elles, entre lesquelles étoit Miledi... que j'étois très bien fait, & que celle que j'avois été voir n'étoit pas trop degoutée, que je n'étois pas un morceau pour une soubrette, & qu'il y avoit bien des maitresses qui s'en contenteroient. Voila comment finit mon Histoire avec mon Angloise, si néanmoins je n'en dois pas regarder comme une suite quantité de perils dont je me tirai heureusement sans savoir comment j'y étois tombé. Quelques tems après je pensai être assassiné au sortir de la Foire S. Germain. Trois hommes me pousserent l'un après l'autre comme s'ils n'eussent fait semblant de rien. Ils croyoient apparement que comme je n'étois pas fort endurant de mon naturel, je leur dirois quelque chose en même-tems, qui leur donneroit pretexte d'executer le méchant coup qu'ils avoient prémédité; mais comme à mesure qu'on avance en âge on met ordinairement du plomb dans sa tête, j'étois devenu bien plus temperé que je n'étois lorsque j'étois arrivé du pais. D'ailleurs comme je savois que j'avois une ennemie bien dangereuse en la personne de Miledi... je marchois avec plus de précaution que je n'eusse peut-être fait s'il ne me fut rien arrivé avec elle ainsi je continuai mon chemin comme si je n'eusse pas pris garde à cette insulte. Ils me suivirent, cependant, & je n'étois pas encore dans la ruë des mauvais garçons; car j'étois sorti par la porte qui est dans la ruë de Tournon, qu'un de ces trois coquins me vint barrer le chemin, & me dit de mettre l'épée à la main. Je regardai aussi-tôt derriere moi & à côté, & voyant non-seulement les deux autres qui s'apprétoient de lui donner secours, mais encore quatre autres hommes que je ne connoîtrois point, & qui avoient l'air de veritables assasins, je me rangai à l'entrée d'un cul de sac qui est là tout proche. Je crus qu'il me seroit plus facile de m'y deffendre qu'en plaine ruë; mais enfin tous ces sept malheureux m'étant venu attaquer tout à la fois, j'allois bientôt succomber sous le nombre si je ne me fusse avisé de crier à moi Mousquetaires. Par bonheur pour moi Athos, Porthos & Aramis étoient là auprès avec deux ou trois de leurs amis. C'étoit chez un traiteur qui demeuroit à côté de la Porte de la Foire, & comme il ne faut rien à Paris pour faire assembler tout le peuple, ils n'eurent pas plûtôt mis la tête à la fenêtre que la populace dont il y avoit bon nombre de tous côtez, leur dit que c'étoit un Mousquetaire qu'on assassinoit. Il étoit tems qu'ils vinssent à mon secours, j'avois déja reçu deux coups d'épée par devers moi, & je ne pouvois manquer d'être bientôt expedié de la maniere que mes assassins s'y prenoient. C'étoient de braves gens & on le va bien voir par ce qui me reste à dire, si néanmoins on peut donner ce nom-là à des malheureux qui avoient resolu de faire une aussi méchante action que la leur. Enfin ils contoient déja d'avoir achevé bientôt leur ouvrage quand ils se virent obligez de tourner tête contre des ennemis ausquels ils ne s'attendoient pas. Nôtre combat commençant alors à n'être plus si dangereux pour moi, je fus si heureux que de tuer un de ces assassins qui m'avoit toûjours serré de plus près que les autres. Mes amis en firent autant à deux de ses compagnons, mais nous perdîmes aussi de nôtre côté deux Gentilshommes de Bretagne qui furent tuez sur la place. Athos même reçût un grand coup d'épée dans le corps, & ce combat avoit bien la mine encore d'être plus funeste qu'il n'étoit, quoiqu'il le fut déja assez quand ces assassins prirent la fuite tout d'un coup. La raison est qu'il sortit de la Foire cinq ou six Mousquetaires qui accouroient à nôtre secours, sur le bruit qui s'étoit répandu jusques-là qu'il y avoit de leur camarades qui en étoient aux mains avec des gens qui en avoient voulu assassiner un d'entr'eux. Si l'on eut bien fait, une partie de tout tant que nous étions eut couru après eux, pendant que l'autre nous eut donné secours, à Athos & à moi. Nous en avions bon besoin, nous perdions beaucoup de sang, mais l'état où nos amis nous voyoient leur faisant croire qu'ils devoient courir au plus pressé, ils laisserent sauver ces assassins pour nous secourir. Cependant au sortir de ce combat, il nous en falut presque rendre un autre contre un Commissaire qui vint avec une Troupe d'Archers pour s'emparer des corps morts. Nous ne voulumes jamais souffrir qu'ils emportassent ceux des deux Bretons, & quatre Mousquetaires les gardant pendant que nous nous faisions penser Athos & moi, nous envoyâmes chercher un carosse où l'on mit ces deux cadavres. Nous les emportâmes dans un endroit où nous savions bien qu'on ne nous les viendroit pas enlever. Ce fut à l'Hôtel des Mousquetaires où étant inutile de les garder, nous les fîmes enterer dés le soir même à St. Sulpice. Le Commissaire n'ayant eu ainsi que les corps des trois assassins, il dressa son procès verbal de tout ce qui venoit d'arriver, & proceda à leur reconnoissance de la maniere que son metier le lui apprenoit. Il ne trouva rien sur eux qui lui put indiquer certainement qui ils étoient, & personne ne les ayant reclamez, il fit exposer leurs corps au Chatelet, comme il se pratique d'ordinaire quand on trouve quelqu'un de mort qui n'est ni connu ni que personne ne veut reconnoître. Les soupçon que j'avois que cette affaire ne m'étoit venuë que de Miledi... fit que quoi que je fusse assez mal de ma blessure, je ne laissai pas de la suivre. J'en fis parler au Commissaire par un ami que je trouvai auprès de lui, afin de savoir si c'étoit tout de bon qu'il disoit ne pas savoir qui étoient ces assassins, ou s'il ne tenoit ce langage que parce qu'il avoit été gaigné. Mon ami me rapporta que ce qu'il en disoit étoit de bonne foi, que tout ce qu'il en savoit, c'est que les morts étoient Anglois, & que ce qui le lui faisoit juger, c'est qu'il avoit trouvé sur eux des mémoires écrits en cette langue avec des tablettes qui en étoient remplies pareillement; qu'il les avoit fait dechiffrer, mais qu'il n'y avoit trouvé que des choses indifferentes comme des remarques de ce qu'ils avoient vû de beau depuis qu'ils étoient à Paris & d'autres choses pareilles à celles-là. Cette circonstance me confirma plus que jamais dans le soupçon où j'étois, & étant résolu de prendre bien garde à moi, si j'étois si heureux que de rechaper de ma blessure, je fis ce que je pus pour me defaire de l'amour qui me restoit encore pour une personne si dangereuse. Il sembloit pourtant après tout ce qui étoit arrivé, que je n'en dusse plus avoir du tout, principalement après la méchante action dont je la croyois capable. Mais comme on ne fait pas toûjours ce que l'on doit, je ne l'aimois encore que trop, & il n'y eut que le tems qui m'en put guerir. La foiblesse qui accompagne toûjours toutes les minoritez des Rois fit que la justice ne prit pas d'avantage de connoissance de cette affaire, quoi qu'on eut donné des memoires à Sa Majesté comme si c'eut été un duel. Je ne fais qui pouvoit avoir fait ce coup-là, puis qu'il n'y avoit rien de plus faux, & que même cela fut dénué de toute apparence. En effet les deux coups que j'avois reçûs devant que mes amis fussent venus à mon secours étoient une assez grande marque que j'avois été assassiné, & non pas que je me fusse battu; mais comme le Roi avoit renouvelle à son avenement à la Couronne les Edits que le Roi son pere avoit publiez de son vivant contre les duels, où ils avoient été bien aises de faire leur Cour par-là, ou de me donner cette mortification par la méchante volonté qu'ils avoient pour moi. Je ne savois pas néanmoins avoir jamais desobligé personne, si ce n'étoit Miledi.... C'est à savoir encore si ce que je lui avois fait devoit passer pour une injure, puisque bien loin de l'avoir desobligée dans le fonds je n'avois fait que me sustituer à la place d'un homme qui n'en eut peut-être pas usé avec elle aussi-bien que j'avois fait. Enfin cette affaire qu'on prétendoit remuer contre moi s'en étant allé en fumée je ne songai plus qu'à me guerir, afin de songer à mon établissement d'un autre façon que je n'avois fait jusques-là. Athos en fit autant de son côté, & sa blessure alloit assez bien de même que les miennes, quand tout à coup son Chirurgien commença à en desesperer. Comme on nous avoit mis l'un auprès de l'autre, & que j'entendis qu'il disoit que sa playe étoit devenuë toute noire, & qu'elle ne suppuroit plus, je dis à ce pauvre blessé qui avoit entendu aussi-bien que moi la mauvaise opinion que le Chirurgien en avoit, que je ne m'en étonnois pas, qu'il étoit cause de son malheur, & que s'il venoit à mourir il ne faudroit s'en prendre qu'à lui-même, qu'ainsi il ne seroit plaint de personne ni que je ne le plaindrois pas non plus tout le premier, quoi que je fusse de ses amis plus qu'aucun autre. Il me demanda pourquoi je disois cela; je lui répondis qu'il le pouvoit bien deviner, sans que je fusse obligé de le lui dire, que quand on faisoit ce qu'il faisoit on n'étoit pas moins homicide de soi même que si l'on prenoit un Pistolet, & qu'on se le tirât dans la tête; que dans l'état où il étoit, il n'avoit point de jugement ou qu'il vouloit mourir, comme pouroit faire un desesperé; qu'on n'avoit jamais ouï dire qu'un homme blessé comme il étoit fit venir sa maîtresse auprès de son lit, s'il ne savoit pas combien cela étoit contraire à une blessure, & que la cangréne y viendroit bien-tôt s'il continuoit de faire la même vie. Il me répondit que je me moquois, de lui parler de la sorte que j'avois été témoin moi-même de sa sagesse, tellement qu'à moins que de lui vouloir faire un procès sur la pointe d'une aiguille, je ne devois pas mettre une chose comme celle-là en avant; qu'aussi-bien il aimeroit tout autant mourir que de ne pas voir une personne qu'il aimoit si tendrement; que je me gardasse bien cependant d'en rien dire à ses freres, parce qu'ils seroient peut-être assez scrupuleux pour ne la pas laisser entrer après cela. Comme je le vis de cette humeur, & qu'il faisoit si peu de cas de ce que je lui disois, qu'il pretendoit persister dans sa faute, je lui repliquai que je ne leur en parlerois pas, jusques à ce qu'ils vinssent dans la chambre, que s'il assez étoit enragé que de se vouloir faire mourir quand il le pouvoit empêcher, je n'étois pas si imprudent que de le permettre, lorsque j'y voyois un remede. Nous contestâmes fort là-dessus lui & moi, tant il étoit amoureux & fou, & ses freres étant venus à entrer que nous en étions encore sur cette contestation, je leur dis, sans attendre qu'il m'en eut donné la liberté, que s'ils vouloient le tirer d'affaire & éviter les predictions de son chirurgien, il faloit qu'ils suivissent mon conseil. Je leur expliquai ce que c'étoit, & il ne falut pas leur en dire davantage pour le leur faire executer au pied de la lettre. Ils furent prier eux-mêmes la maîtresse de leur frere de ne le point venir voir jusques à ce qu'il fut gueri entierement. Comme elle y avoit plus d'intérêt que personne, elle n'eut pas de peine à s'y resoudre, elle n'y vint plus, & la playe de son amant étant rédevenuë au même état qu'elle étoit avant sa visite, il fut bientôt sur pied aussi-bien que moi. Gaffion avoit été fait Marêchal de France peu de tems après la Bataille de Rocroy à la recommandation du Duc d'Anguien qui avoit paru un Heros à cette memorable journée. Ce nouveau Marêchal avoit été nouri Page du Prince de Condé, & l'on pouvoit dire que c'étoit comme une école pour y devenir quelque chose de grand, puis que l'on en avoit vû quatre parvenir au sortir de là au Baton de Marêchal de France. C'étoit un honneur que l'on eut en peine à trouver dans la Maison de quelque autre Prince que ce fut, quand même c'eut été chez le Roi. Il avoit pourtant bien une plus grande quantité de pages que les autres & par conséquent la chose eut été bien moins extraordinaire chez lui que chez personne; mais ce qui la rendoit plus remarquable c'est qu'il sembloit que ce Prince eut laissé toute la valeur & tout ce qui regardoit l'art Militaire à son fils, & qu'il se fut contenté de se reserver la politique. Ce n'est pas que je veuille dire par-là qu'il manque de courage, à Dieu ne plaise que je le fasse, je parlerois contre ma pensée, & je sais bien que les Princes de la Maison de Bourbon n'en ont jamais manqué; mais ce que je veux dire ici c'est que comme il avoit toûjours été malheureux dans les expeditions où il avoit été employé, l'on apprenoit bien plûtôt avec lui à lever des sieges & à faire une retraite qu'à forcer des places & à gaigner des batailles. Le Vicomte de Turenne avoit aussi reçû le même honneur qui avoit été fait à Gaffion. Il n'y avoit pas été indifferent, comme on n'y a vû depuis: le titre & le Baton de Marêchal ne lui avoit pas paru indignes d'être mis au devant de son nom, & au devant & au derriere de son Carosse: mais enfin la foiblesse du Ministére ayant bien-tôt donné de la hardiesse aux grands, il s'en trouva avant qu'il fut peu un assez bon nombre qui demanderent à être faits Princes. Toute la haute Noblesse s'y opposa d'abord, parce que cela ne pouvoit arriver qu'à leur abaissement: au préjudice de leur autorité. La plûpart neanmoins rengainerent leurs pretentions pour les remettre sur pied dans une occasion plus favorable, mais enfin la Maison de Bouillon ayant été plus perseverante que les autres, sous pretexte qu'elle ne demandoit rien, qui ne lui fut dû, puis que du tems qu'elle étoit en possession de Sedan plusieurs Puissances la reconnoissoient en cette qualité, elle obtint à la fin ce qu'elle vouloit. Cela fit dire au Marêchal de Grammont une parole qu'il eut depuis souvent à la bouche, quand il vouloit témoigner que l'on venoit à bout de tout quand on perseveroit dans sa résolution; tout de même, dit-il, que le Roure est devenu Paris par la perseverance, ainsi la Maison de Bouillon est parvenuë à sa Principauté. Le Roure est un Fauxbourg de Paris qui en étoit autrefois bien éloigné, mais comme on a toûjours aggrandi cette Ville, il s'est trouvé à la fin qu'on y tant bâti qu'il en fait maintenant une partie. Voilà ce que dit ce Maréchal, pendant que de son côté il aspiroit lui même au même honneur. Il fit même tout ce qu'il put au mariage du Roi pour qu'il lui fut accordé; mais comme on ne pouvoit faire cela pour lui qu'on ne le fit en même tems pour quelque autre, la consequence en parut si grande à la Cour, quoi qu'il y fut fort bien, qu'elle ne jugea pas à propos de lui accorder sa demande. Il est vrai, comme s'en ventoient Mrs. de Bouillon, que quelques Puissances étrangeres les reconnoissoient pour Princes, du tems qu'ils étoient Maîtres de Sedan: l'Empereur & l'Espagne le faisoient pour les brouiller avec la France qui se moquoit de leur donner cette dignité, elle qui les avoit veus ses sujets pendant tous les siécles passez, & qui les comptoit toûjours de ce nombre. Les Hollandois là lui donnoient pareillement pour plaire au Prince d'Orange qui étoit proche parent de ces nouveaux Princes; car le feu Maréchal de Bouillon pere de Mr. de Bouillon & de Mr. de Turenne avoit épousé Elisabeth de Nassau soeur du Comte Maurice. Ce Prince de son vivant avoit fait tout ce qu'il avoit peu pour porter Henri IV avec qui il étoit fort bien, à lui accorder cette prerogative pour lui; mais ce Grand Roi n'avoit jamais voulu avoir cette complaisance là. Louis XIII. en avoit été de même pour ses succeseurs qui l'en avoient prié les uns après les autres. Ce n'est pas qu'il ne le reconnut pour Prince de Sedan, mais de traiter sa Maison comme une Maison Souveraine comme il pretendoit, c'est dequoi il n'avoit jamais voulu entendre parler. Mais enfin ce que le pere & le fils n'avoient pas voulu faire le Roi d'aujourd'hui la fait. Cela fait connoître que nos Souverains font des Princes, quand ils veulent, tout aussi bien que l'Empereur; car enfin si cela n'étoit pas où en seroient aujourd'hui les Princes de cette Maison qui ne se peuvent qualifier tels que par la grace du Roi, & non pas par la grace de Dieu. D'abord que le Cardinal Mazarin fut installé dans le Ministere, & qu'il s'y vit comme affermi par le succès de la Bataille de Rocroi, & par la prison du Duc de Beaufort & de ses autres ennemis, il étudia l'inclination des grands de la Cour, afin d'amuser les uns & les autres par tout ce qu'il verroit y avoir du rapport. Il reconnut que le jeu étoit une passion qui ne leur déplaisoit pas, & comme il ne s'y deplaisoit pas lui même, il étoit chez lui un jeu de hoca & quelques autres jeux qu'il avoit apporté d'Italie. Ceux qui avoient assez d'esprit pour l'examiner reconnurent bien-tôt son avarice, par l'envie qu'il avoit de gagner. Cependant comme il y avoit bien à dire qu'on ne l'estimat autant qu'on avoit fait le Cardinal de Richelieu, il n'y eut presque que des miserables qui voulussent d'abord être domestiques chez lui: le fils d'une lingere de Paris eut la principale charge de sa maison: un autre qui étoit encore moins que celui-ci, puis qu'il n'étoit que le fils d'un Meunier de Bretagne ne fut pas encore un de ses moindres Officiers, & il eut l'Intendance de ses finances. Elles étoient petites au commencement, & il n'eut pas besoin d'un gros journal pour les y employer, mais par succession de tems elles devinrent si grosses que si ce n'est qu'on s'en pouvoit bien rapporter à lui, il eut presque eu besoin d'une chambre des comptes pour y prendre garde. Il eut l'addresse parmi tout son ménage d'en faire un dont un autre que lui ne se fut jamais avisé. Il fit faire du bien à ceux à qui il gagnoit leur argent; & ceux qui lui gagnoient le sien, ne pouvoient être payez de leurs apointemens, quelque instance qu'ils lui en pussent faire. Il en étoit de même de ceux qui gagnoient aussi l'argent des autres, & il leur repondoit à tous quand ils lui en parloient, qu'ils avoient le moyen d'attendre, & qu'ils devoient laisser passer les plus pressez. Il n'avoit garde de leur dire qu'ils n'auroient point d'argent tant qu'ils gaigneroient celui d'autrui. Il ne vouloit pas leur couper la bourse si malhonnêtement, & il s'y prenoit avec bien plus d'addesse. Ce procéde donna peu d'estime pour lui à ceux qui se donnoient la peine de comparer ses actions avec celles du Cardinal de Richelieu. Ils savoient que tant que celui-ci avoit vêcu il n'avoit rien fait que de grand, & de recommandable, si l'on en excepte la cruauté. Pour ce qui est de l'autre il n'en vouloit point à la vie de personne; il n'en vouloit qu'à leur bourse, & il n'y eut point de finesse qu'il ne mit en oeuvre pour remplir la sienne. Il n'en avoit que faire pourtant, ce sembloit, la Reine qui étoit une bonne Princesse & peu capable d'affaires le laissant le maître de tout, sans lui faire rendre compte. Mais soit qu'il apprehendât qu'il n'y eut des yeux plus perçans que les siens, ou qu'étant Italien comme il l'étoit, il crut que tout ce qui étoit de meilleur ne valloit rien, s'il n'étoit assaisonné de quelque fourberie, il apprit bien-tôt à ceux qui étoient capables de se gâter à devenir fourbes à son exemple. Et en effet l'on ne voioit point avant ce tems là que l'on accusât les François comme on fait aujourd'hui d'être sujets à manquer à leur parolle, la duplicité ne regnoit point chez eux, & s'ils avoient quelque defaut comme il n'y a gueres de Nation qui n'en ait, qui ne lui soient propres, ce n'étoit que ceux dont on les a toûjours accusez avec justice. Nous aimons par exemple plus qu'il ne faut la femme de nôtre prochain, nous aimons aussi à paroître plus que nôtre moyen ne le porte souvent, nous aimons de même à dominer par dessus les autres, & ainsi mille choses semblables qui seroient trop longues à deduire. Cependant quoi qu'on ne puisse nier que ce ne soit mal fait que tout cela, l'on peut dire neanmoins que ce n'est rien en comparaison de ce qu'on nous vit pratiquer bien-tôt les uns à l'égard des autres, d'abord que nous eumes étudié ses leçons. La premiere année de la regence s'étant passée de cette maniere, celle de 1644 ne fut pas plûtôt venuë que son Eminence pour demeurer la maîtresse toute seule des affaires du cabinet, envoya le Duc d'Orleans commander en Flandres, & le Duc d'Anguien en Allemagne. Il n'y avoit plus que le Prince de Condé qui lui put faire ombrage, mais l'ayant envoyé adroitement en Bourgogne, sous pretexte des affaires de la Province dont il étoit Gouverneur, ce Ministre commença alors à tailler en plein drap à la Cour, tout de même que s'il eut été lui-même le Souverain. Les François qui ne sont pas duppes quoi que bien souvent, ils ne disent rien, soit par complaisance ou par politique, ne furent pas long-tems à reconnoître son dessein. Ils en murmurent entr'eux & commencerent à trouver étrange que les Princes du sang lui laissassent faire tout ce qu'il vouloit. Le Regiment des Gardes dans lequel j'étois toûjours sans avoir pû entrer jusques-là dans les Mousquetaires, quoi que j'y eusse fait tout mon possible, fut commandé pour aller servir dans l'Armée du Duc d'Orleans. Ce qui avoit été cause que je n'y étois pas encore entré, c'est que ce Ministre devoroit déja des yeux cette compagnie. Il avoit des neveux qu'il n'avoit pas encore fait venir d'Italie, mais à qui il pretendoit faire bien-tôt part de sa bonne fortune. Toutes les plus belles charges ne lui sembloient pas encore trop belles pour eux, & comme celle-là n'étoit pas une des moindres il tâchoit de donner d'avance à Mr. de Treville tous les dégouts qu'il pouvoit, afin que quand il la voudroit avoir, il n'eut pas tant de regret à s'en défaire, ainsi il lui avoit fait ordonner par la Reine de ne point recevoir de Mousquetaire qu'il ne l'eut fait voir au Roi auparavant. C'étoit une vraye Mommerie que celle-là. Sa Majesté n'avoit encore que cinq ans & demie, & on lui devoit bien plûtôt presenter une raquette & un volant pour le divertir que de lui demander son avis sur une chose qui passoit encore si fort sa connoissance; car quelque disposition qu'il pût avoir naturellement pour tout ce qui étoit de grand & de relevé, comme cela, s'est bien vû depuis il étoit aisé de reconnoître, que c'étoit une raillerie que de le rendre juge si un homme étoit capable d'entrer dans cette compagnie ou non. Aussi quand je lui avois été presenté comme c'étoit assez que j'étois du pais de Mr. de Treville pour n'être pas agreable au Ministre, ce Prince qui ne parloit encore que par la bouche me dit que j'étois encore trop jeune pour y entrer, & que devant que j'y pusse pretendre, il falloit que je portasse encore le mousquet dans les gardes pour le moins deux ou trois ans. C'étoit me faire acheter bien cher une place comme celle-là, d'autant plus que la coutume étoit alors que quand on l'y avoit porté dix-huit mois, ou deux ans, tout au plus, le Roi donnoit quelque enseigne dans un vieux corps, & même permettoit quelquefois si l'on étoit en état de le faire, d'y acheter une compagnie, ou dans quelque autre Regiment s'il y en avoit quelqu'une à acheter. Car il ne s'opposoit pas souvent que ceux qui en avoient les vendissent, sur tout quand ils avoient vieilli dans le métier, & que ce leur étoit comme une espece de recompense de leurs services. Avant que Mr. de Fabert fut devenu ce qu'il étoit presentement il en avoit ainsi traité d'une, & il se tenoit d'autant plus assuré de l'agrément qu'il avoit servi beaucoup au delà du tems requis dans les gardes. Louïs XIII. avoit même dit à celui l'avoit à vendre, que pourvû que celui qui se presenteroit pour l'acheter y eut été seulement dix huit mois, il pouvoit compter qu'il l'agréeroit sur le Champ. Mais Mr. de Fabert étoit tellement denué de ce qui s'appelle bonne mine, que le Roi ne l'avoit pas plûtôt vû qu'il avoit dit à celui qui se vouloit deffaire de sa compagnie, qu'il eut à la garder, s'il n'avoit point d'autre marchand en main pour l'acheter. Voilà quel avoit été le debut d'un homme, que nous avons vû depuis Marêchal de France, & comme je le voyois déja Gouverneur d'une des meilleures places du Royaume, je me consolai facilement du refus que Sa Majesté me faisoit d'une casaque de Mousquetaire. Je me disois que pour avoir de si tristes commencemens, la suite n'en seroit peut-être pas plus mauvaise. Il est vrai que ce qui aida encore à ma consolation, c'est que je fus, au travers des deguisemens de Mr. de Treville qui n'étoit pas bien aise qu'on s'apperçût qu'il étoit mal auprès du Ministre, que ce refus étoit plûtôt par rapport à lui que non pas par rapport à moi. Quoi qu'il en soit étant parti avec le Regiment des Gardes qui prenoit le chemin de Flandres, nous arrivâmes à Amiens au commencement de Mai. Nous y séjournâmes deux jours fort resserrez dans cette Ville qui étoit toute remplie de troupes, dont les unes prenoient le chemin d'Abbeville, & les autres d'Arras, afin que les ennemis ne sussent où l'on en vouloit veritablement. On faisoit courir le bruit cependant que c'étoit à Douai, tandis que c'étoit à quoi l'on songeoit le moins; le dessein qu'on avoit étoit sur Gravelines, & l'on avoit fait un traité pour cela avec les Hollandois qui en ce tems-là étoient de nos amis. Ils s'étoient obligez de nous fournir des Vaisseaux pour empêcher le secours que les ennemis y pouvoient faire venir par mer. Les Espagnols commençoient pourtant déja à n'être pas trop à craindre de ce côté-là, parce qu'ils avoient jetté la plûpart de leurs forces en Portugal & en Catalogne, dont le recouvrement leur paroissoit de si grande conséquence, qu'ils ne se croyoient point en seureté, jusques à ce qu'ils en fussent venus à bout. Le Marêchal de Gaffion vint joindre le Duc d'Orleans, du côté de Bapaume, par où il avoit pris son chemin, & nôtre Regiment ayant trouvé l'armée de ce côté-là, nous tournâmes tout d'un coup sur la gauche, ce qui fit connoître aux ennemis où étoit veritablement nôtre dessein. Nous trouvâmes la Riviere d'Ax où nous fumes obligez de faire des ponts pour la pouvoir passer, & comme les ennemis avoient bâti un Fort entre Gravelines & St. Omer pour se conserver la communication de ces deux Villes, nous ne fumes pas plûtôt au-delà que nous l'attaquâmes. Ce Fort s'appelloit le Fort de Baiette, & étoit fortifié assez regulierement, mais il ne fit pas grande resistance contre le Marêchal de Gaffion, que le Duc d'Orleans avoit envoyé pour s'en saisir. Le Marêchal ne s'en fut pas plûtôt rendu maître, ce qui fut fait dès le même jour, que nous nous saisîmes encore des Forts de la Cappelle & de St. Folquin que les ennemis avoient élevez pour rendre les avenuës de Gravelines plus difficiles. Le Marêchal de la Meilleraie, à qui les troupes donnoient le nom de preneur de places, parce qu'effectivement il y étoit plus entendu que beaucoup d'autres, arriva devant celle-ci quelques heures après qu'elle eut été investie. Le Comte de Ransau qui avoit pris sa marche par Abbeville fut celui qui avoit été chargé de cette Commission. Le Duc d'Orleans mit le quartier du Roi tout auprès d'un Couvent de Religieuses du côté de Bourbourg, & ayant distribué les autres quartiers aux Comtes de Ramzau & de Grancé, qui furent tous deux bientôt après Marêchaux de France, il en donna aussi un au Marquis de Villequier qui lui avoit amené la noblesse du Boulonnois dont il étoit Gouverneur. Ce Marquis fut aussi Marêchal de France ensuite, & se fit appeller le Marêchal d'Aumont. Cependant comme le Duc d'Orleans eut avis que les ennemis faisoient dessein d'aller ravager la petite Province dont Villequier étoit Gouverneur, pendant qu'il en seroit éloigné, il l'y renvoya tout aussi-tôt, & fit prendre son poste au Marêchal de Gaffion qu'il avoit resolu de tenir auparavant sur les aîles. Tout ce que je viens de dire s'étant fait en trois jours de tems, l'on commença à travailler aux lignes de circonvallation & de contrevallation, avec toute la diligence possible. L'on avoit également besoin de l'un & de l'autre, parce que la Garnison étoit forte, & qu'il n'y avoit point du tout d'apparence que les Espagnols laissassent prendre cette place sans coup ferir. Ils avoient encore conservé un Fort que l'on appelloit le fort de St. Philipes, & qui étoit bien plus considerable que ceux que l'on avoit pris, aussi fit-il une bien plus belle resistance. Cependant ceux qui le gardoient ne jugeant pas qu'ils le pussent conserver encore long-tems, contre une armée de la force de la nôtre, ils l'abandonnerent la nuit, & se retirerent à la sourdine. Ils rentrerent dans la place & nous ne le sûmes pas si-tôt. Nôtre Regiment qui avoit ouvert la tranchée devant ce Fort, & qui l'y avoit remontée ce jour-là pour la deuxiéme fois, n'entendant plus tirer, Mr. des Essarts dit à un Sergent qui étoit à un poste avancé où j'étois, de prendre quelques Soldats avec lui & de monter sur la pointe d'une demie Lune que nôtre canon avoit fait ébouler pour voir d'où provenoit ce silence. Le sergent qui étoit un brave homme lui répondit qu'il lui alloit obeïr, mais qu'il ne croyoit pas avoir besoin de grande compagnie pour faire ce qu'il lui commandoit; que plus il y meneroit de monde, plus il en feroit tuer, qu'ainsi il étoit d'avis, sous son bon plaisir de n'y mener qu'un seul homme, parce que cela feroit moins de bruit que s'il y en menoit beaucoup. Il jetta les yeux sur moi pour cette expedition, & me demanda en presence de mon Capitaine si je ne voulois pas bien le suivre pour faire cette découverte avec lui. Il lui répondis moins de la langue que du geste que j'étois prêt à le faire, & m'étant rangé auprès de lui, je n'attendis qu'à le voir marcher pour marcher en même-tems. Cela plût extrémement à Mr. des Essarts, qui ne me haïssoit pas. Cependant comme nous allions partir le Sergent & moi, Mr. de Grancé qui étoit de garde ce jour-là à la tranchée, étant arrivé, sur ces entrefaites, où nous étions, & Mr. des Essarts lui ayant dit le dessein qu'il avoit, il ne voulut pas que le sergent se hazardât ainsi à y aller tout seul. Il lui fit prendre encore neuf Soldats, tellement que nous fumes onze en tout. Je n'étois pas le moins vif ni le moins allerte; ainsi ayant devancé bientôt tous les autres qui marchoient en grand silence, & avec toutes les precautions que l'on a accoutumé de prendre dans ces sortes de rencontres, j'étois déja bien avant dans la demie Lune qu'ils n'étoient pas encore sur la pointe. Je n'y trouvai qu'un seul homme, qui lâcha d'abord le pied devant moi. Je lui criai tue, afin de faire avancer mes camarades, & l'ayant perdu de vûë un moment après, à cause de l'obscurité, le sergent envoya demander à Mr. des Essarts ce qu'il vouloit que nous fissions, parce qu'il avoit trouvé la demie Lune abandonnée. Mr. des Essarts nous envoya un renfort de trente hommes avec des pionniers, pour nous y retrancher. Il vint de plus nous y visiter lui-même, nous recommandant de faire le moins de bruit que nous pourions, de peur que les ennemis ne nous attaquassent devant que nôtre logement fut achevé. Il s'en fut rendre compte au Comte de Grancé de ce qu'il venoit de faire, & comme je vis que les ennemis ne nous tiroient pas un seul coup du Fort d'où ils nous devoient entendre travailler, quelque precaution que nous pussions prendre, je dis au sergent que s'il vouloit que je lui en disse mon sentiment, je croyois que le travail que nous faisions-là nous étoit bien inutile, que je parierois toutes choses que les ennemis avoient abandonné le Fort tout comme ils avoient déja fait la demi-Lune. Il me répondit qu'il le croiroit bien, si ce n'est que j'avois vû un homme lors que j'y étois arrivé. Il me demanda en même-tems si je l'avois vû effectivement, & si je ne m'étois point trompé. Je lui répondis que non, surquoi reprenant la parole, il me dit que cette circonstance l'empêchoit d'être de mon avis, parce que cet homme n'eut pas été là s'il n'y eut plus eu personne dans le Fort. Je ne voulus pas lui contredire, parce que comme il y avoit très long-tems qu'il servoit, il devoit savoir son metier beaucoup mieux que moi qui n'avois encore rien vû en comparaison de lui, & que ce m'eut été une grande temerité que de lui vouloir faire sa leçon: Cependant comme tout habile que je le croyois j'avois peine à me deffaire de mon sentiment pour m'accommoder au sien, je lui dis que s'il vouloit me donner permission d'aller reconnoître le Fort, je lui rapporterois bientôt si c'étoit lui ou moi qui se trompoit. Il me dit que ce n'étoit pas à lui à qui je le devois demander; puis qu'il avoit là un superieur, que je pouvois lui aller dire ma pensée, & qu'il ne doutoit point qu'il ne me l'accordât, du moins que si c'étoit lui il ne me le refuseroit pas, parce que si ce que je pensois se trouvoit vrai on pouroit profiter plus utilement du reste de la nuit qu'on l'on ne feroit, si l'on ne s'occupoit que d'un travail inutile. Je trouvai qu'il avoit raison de ne pas vouloir faire le maître, où il n'avoit pas droit de l'être; ainsi ayant suivi son avis je fus demander à Mr. de la Selle qui étoit Lieutenant dans nôtre Regiment & qui commandoit là ce que je venois de demander au sergent. Il me répondit qu'il le vouloit bien, & m'ayant donné un autre cadet avec moi nommé Mainville pour m'y accompagner, à peine fus-je descendu de la demie-Lune que je le vis disparoître comme un éclair. Il remonta même en même-tems dans la demie-Lune où il fut dire que j'étois tombé entre les mains d'un petit corps de Garde qui m'avoit tué aussi-tôt à coups d'épée. Mr. de la Selle en fut bien fâché, & eut bien voulu ne m'avoir pas accordé la permission que je lui avois demandée. Il la regardoit comme la cause de ma mort, & ne savoit comment s'en disculper envers Mr. des Essarts dont il apprehendoit le ressentinent, parce qu'il n'ignoroit pas qu'il n'eut quelque sorte de consideration pour moi. Je n'étois pas neanmoins tant à regretter qu'il pensoit. Mainville ne lui avoit fait accroire ma mort que pour mieux couvrir la lacheté qu'il avoit eue de ne pas oser me suivre. Comme il n'étoit pas homme de grand jugement non plus que de grand coeur, il n'avoit pas jugé que ce Fort dut être abandonné, sur tout après que je disois moi-même avoir poursuivi un homme, lorsque j'étois entré dans la demi-Lune: il croyoit donc fermement que je ne rechapperois jamais du peril où je m'engageois, selon lui, avec une temerité sans pareille. Enfin lors que mes amis me regrettoient déja comme un homme mort, & que la nouvelle en avoit été portée à la tranchée où Mr. des Essarts n'étoit pas le dernier à me plaindre, je revins sain & sauf dans la demi-Lune. D'abord que l'on me vit on m'eut pris sans doute pour un esprit, tant on avoit ajouté de foi à Mainville, si ce n'est que les gens de guerre sont rarement susceptibles de ces sortes d'impressions. Mr. de la Selle m'avoua qu'il me croyoit mort sur son recit, & qu'il avoit déja dit un de profundis à mon intention: J'eusse bien voulu, si j'eusse pû, ménager la réputation de mon camarade. Je voyois bien que j'allois lui donner une étrange atteinte, en faisant connoître à Mr. de la Selle que ce n'étoit qu'une terreur panique, qui lui avoit fait voir des ennemis, lors qu'il n'y en avoit pas un seul, mais ne pouvant l'excuser, quelque bonne volonté que j'en eusse, tout ce que je pus faire fut de lui dire, que si Mainville avoit vû le corps de garde dont il parloit, il faloit qu'il eut les yeux plus perçans que moi, puis que je n'avois rien apperçû, pas même un seul homme dans tout le Fort, quoi que je l'eusse visité d'un bout à l'autre. La Selle fut ravi de cette nouvelle, autant que Mainville en fut affligé. Celui-ci avoit grande raison d'avoir des mouvemens si differens de l'autre, puis qu'il voyoit bien qu'il n'y avoit plus de retour pour lui dans l'estime de ses camarades, après une bevuë comme la sienne. Aussi quitta-t-il l'armée dès la même nuit, de peur d'essuyer des railleries dont il ne pouvoit éviter grand nombre après ce qui venoit d'arriver. Le Fort de S. Philipes ayant été abandonné de la sorte, nous attaquâmes Gravelines qui fit une belle resistance. Cela eut donné le tems aux ennemis d'y faire entrer du monde & des vivres, si les Hollandois ne l'eussent serré de si près par la mer qu'il n'y eut point d'apparence pour eux de rien tenter de ce côté-là. De celui où nous étions nous ne la serrions pas moins, ce qui les mit dans une grande perplexité. Cependant comme ils avoient de belles troupes, & qu'il leur étoit honteux de voir tomber sous nôtre Puissance une aussi bonne place que celle-là sans faire du moins quelque tentative pour la sauver, Picolomini qui les commandoit s'avança jusques à la vûë de nôtre armée. Cela nous fit croire à tous qu'il y auroit bien-tôt une bataille, & les Generaux le croyant aussi-bien que les autres, le Duc d'Orleans commanda de distribuer de la poudre à tous les Regimens. On fut à l'Artillerie pour en avoir; Mais il ne s'y en trouva point, ou du moins celui à qui s'étoit à la donner dit aux Majors que l'on en avoit tant employé depuis que l'on étoit devant cette place, qu'il faloit attendre qu'il en fut revenu pour en avoir. Il est vrai que cette place s'étoit fait extrémement battre; mais cette excuse étoit si mince, que bien loin d'être recevable, celui qui la faisoit meritoit qu'on en fit punition. Aussi en porta-t-on ses plaintes à l'heure même au Marêchal de la Meilleraie, à qui il appartenoit d'en faire justice en qualité de grand maître de l'Artillerie. Ce n'est pas qu'on n'eut pû s'en plaindre directement au Duc d'Orleans qui étoit encore au dessus de lui de toutes façons; mais comme ce Marêchal étoit honnête homme, & que l'on savoit bien que s'il se faisoit des friponneries dans l'Artillerie, il n'y avoit aucune part, tout ce qu'il y avoit d'Officiers jugerent qu'il falloit s'addresser à lui à l'exclusion de tout autre. Le Marêchal ne fut pas plûtôt informé de la chose qu'il envoya chercher celui dont on se plaignoit, résolu de lui faire un méchant parti. Il n'avoit garde pourtant de le faire, sans en parler au Duc d'Orleans, & il contoit bien de n'y pas manquer d'abord qu'il auroit sçu de l'autre la raison pour laquelle il avoit fait la réponce que je viens de dire. L'Officier de l'Artillerie qui savoit bien qu'il avoit affaire à un homme violent, & qui n'entendoit point de raillerie, sur tout à l'égard de ceux qui prévariquoient à leur devoir, ne voulut pas aller trouver le Marêchal sans user auparavant de précaution. Il fouilla dans une cassette, & s'étant muni d'un papier il partit alors pour savoir ce qu'il desiroit de lui. D'abord que le Marêchal le vit, il lui dit sans autre compliment, qu'il alloit le faire pendre, & qu'il ne lui donnoit qu'un quart d'heure pour se preparer à la mort: Il avoit envoyé effectivement vers le Duc d'Orleans pour lui representer la necessité qu'il y avoit de faire faire cette punition, pour empêcher les autres de lui ressembler. Le Duc n'avoit garde de l'en dédire, puis que le cas le requeroit, & que d'ailleurs le Marêchal en devoit encore mieux connoître l'importance qu'un autre, lui qui étoit superieur particulier du coupable. Mais cet homme lui laissant jetter son feu sans paroître autrement ému de tout ce qu'il lui pouvoit dire, lui répondit à la fin qu'il le feroit pendre s'il vouloit, principalement si le Duc d'Orleans y donnoit les mains, mais que quand il leur auroit dit à l'un & à l'autre ce qu'il avoit à dire pour sa justification, il ne croyoit pas qu'ils allassent si vite. Le Marêchal n'entendit pas plûtôt sa réponse qu'il se mit encore plus en colere, qu'auparavant. Il lui demanda s'il ne lui avoit pas ordonné de faire provision de tant de miliers de poudre pour le siege, & s'il ne lui en devoit pas encore rester plus de la moitié. L'autre lui répondit qu'il ne disconvenoit pas de ce qu'il lui disoit, qu'il lui avouoit même que tout cela étoit vrai, mais qu'il avoit un ordre superieur, auquel il avoit cru devoir obeïr. Le Marêchal entendant parler d'ordre superieur, craignit qu'après avoir fait tant de bruit il n'en eut encore le dementi. Il ne se put imaginer autre chose à ce qu'il venoit d'entendre, si-non que c'étoit du Duc d'Orleans qu'il vouloit parler. Ainsi le prenant à l'heure même sur un autre ton, il eut bien voulu retenir les paroles qu'il croyoit avoir lâchées imprudemment, après ce que l'autre venoit de lui dire. Il n'eut pas le tems de lui demander d'éclaircissement de ses soupçons, l'homme qu'il avoit envoyé vers le Duc d'Orleans étant rentré en même tems dans sa tante, il le regarda plûtôt pour découvrir sur son visage ce qu'il avoit à craindre ou à esperer, qu'il ne prit soin de le demander à celui à qui il venoit de témoigner tant de mal. Il n'y vit rien de fâcheux, & en étant encore plus assuré par sa réponse, qui fut que le Duc d'Orleans lui mandoit de faire tout ce que bon lui sembleroit, il reprit en même tems son premier air & dit à celui qu'il venoit de condamner devant tant de monde, qu'il ne croyoit donc pas être assez coupable après ce qu'il avoit fait, puis qu'il joignoit encore le mensonge à l'impudence. L'homme le laissa dire sans en paroître plus étonné, ce qui rendant encore le Marêchal moins traitable, il fit un nouveau serment que devant qu'il fut on quart d'heure il ne le laisseroit pas en vie ou qu'il en mourroit à la peine. L'homme comme s'il eut été insensible, lui repartit de rechef qu'il ne l'empêcheroit pas le faire tout ce qu'il voudroit, puis que cela étoit au dessus de son pouvoir; mais que tout grand Seigneur qu'il étoit il ne croyoit pas qu'il le put faire impunément, qu'il n'avoit rien fait que par l'ordre du premier Ministre, qu'il croyoit encore plus puissant que lui, & que s'il en doutoit, il alloit le lui montrer. Il tira en même-tems de sa poche une Lettre du Cardinal qui étoit conçûë en ces termes. _Ressouvenez-vous du serment que vous avez fait lorsque vous avez été reçû dans vôtre charge. Vous avez promis au Roi de lui être fidelle. La fidélité qu'il vous demande est que vous empêchiez, autant qu'il sera en vôtre pouvoir, qu'on ne le vole. Il se fait une grande dissipation de poudre tous les ans, sans qu'on sache ce qu'elle devient. A la moindre allarme vos superieurs prennent pretexte de délivrer des ordres d'en distribuer une grande quantité, cependant ou ils ne s'executent pas, ou la distribution rentre dans leurs bourses par des detours que Sa Majesté connoit bien & qu'il n'est pas necessaire d'expliquer. En cette rencontre & en toute autre semblable faites vous reiterer toûjours vos ordres pour le moins trois ou quatre fois, cherchez quelque pretexte pour ne pas obéir promptement, autrement vous vous rendrez non seulement indigne de la recompense qui vous a été promise, mais l'on croira que vous participerez à leurs larcins._ Le Marêchal fut bien étonné à cette lecture où il se voioit designé lui même comme larron, & même comme le principal de tous les autres, puis qu'il étoit le chef de toute l'Artillerie. Cependant comme il ne vouloit pas se mettre à dos le premier Ministre, il ne voulut rien faire de son chef, après ce qu'il venoit de voir. Il en parla au Duc de d'Orleans, qui lui dit que pour un homme d'esprit comme il étoit, il lui paroissoit choqué de peu de chose; car ce Marêchal en vouloit bien autant presentement au Cardinal qu'il faisoit auparavant à son confident; s'il ne savoit pas que dés qu'on étoit d'une humeur on se laissoit aller aisément à croire des autres tout ce que l'on ressentoit en soi, que ce Ministre aimoit l'argent éperdüement, & que ce qui le lui avoit fait connoître, c'est qu'il lui avoit dit quelques jours avant que de partir que le Regiment des Gardes coutoit une infinité d'argent au Roi, & que neanmoins il ne voioit pas que les Officiers y fussent plus braves que les autres, que depuis qu'il étoit premier Ministre il n'y en avoit pas eu encore un seul de tué, d'où il jugeoit que c'étoit autant de perdu que tout ce qu'on leur donnoit. Il est vrai que son Eminence avoit tenu ce discours à ce Prince, ou du moins qu'il lui avoit dit quelque chose d'approchant. Car comme ils parloient ensemble des depenses de l'Etat, il lui avoit dit en lui parlant de ce Regiment qu'à la dépense qu'il faisoit au Roi il ne s'y pouvoit sauver qu'en revendant les charges lors qu'il viendroit à en vaquer quelqu'une; mais comme on lui connoissoit déja du penchant au ménage, pour ne pas dire quelque chose de pis, & qu'on prend plaisir à gloser sur les parolles de ceux en qui l'on trouve quelque chose à redire, le commentaire avoit servi le texte de si prés qu'il n'y avoit que ceux qui y avoient été presens, qui fussent veritablement comment les choses s'étoient passées. Le Marêchal ne se paya point de cette reponse. Il repartit au Duc que de quelque humeur que fut ce Ministre il ne falloit point souffrir, à ce qu'il croioit, qu'un petit Officier, sous pretexte de lui plaire, s'ingerât de desobéïr à ses superieurs; que cette desobéïssance avoit même de soi quelque chose que les autres n'avoient pas, qu'il y alloit du salut de l'armée, & que si Picolomini eut sçu cela, & qu'il en eut proffité, il ne vouloit que lui pour juge de ce qui en seroit survenu; qu'il y avoit encore plus d'intérêt que lui, lui qui étoit Général, que son honneur en dépendoit, c'est pourquoi il n'avoit rien à lui dire. Le Duc vit bien qu'il tâchoit de lui mettre le feu sous le ventre, afin de lui faire faire sa propre cause de la sienne. Cependant comme il s'en falloit bien qu'il ne fut toûjours aussi complaisant qu'on l'eut bien desiré, il lui dit pour toute réponse qu'il ne vouloit rien empiéter sur sa charge, & que s'agissant en cette rencontre d'un délit, commis par l'un de ses Officiers, il le laissoit le maître de lui ordonner telle punition qu'il jugement à propos. Le Marêchal ne fit pas semblant de voir, qu'il y avoit plus de malice à sa reponse, que de bonne volonté, comme il sembloit vouloir qu'on le crut, & ayant fait mettre cet homme entre les mains du Prevôt il se trouva étranglé la nuit sans qu'on ait jamais pû sçavoir au vrai, si ce fut cet Officier qui s'en deffit, ou si quelque autre personne lui prêta la main pour lui rendre ce service. On publia pourtant tout autant que l'on put que c'étoit le desespoir qui lui avoit fait attenter lui même à sa vie. Mais si cela est on avoit bien voulu lui prêter une corde & un clou pour se pendre au plancher d'une méchante maison, où ce malheureux avoit fini sa vie. Cette affaire n'eut gueres fait de bruit sans les circonstances qui l'avoient précedées, mais comme elles avoient fait beaucoup d'éclat, cette mort n'en fit pas moins. Comme on prend même beaucoup de plaisir à médire, on prit sujet de là de repandre dans le monde que le Marêchal avoit été bien aise de se delivrer d'un témoin incommode. C'étoit marquer un grand penchant à la medisance, que de tenir un tel discours, puisque bien loin qu'on lui pût faire aucun reproche dans sa charge, jamais homme ne l'avoit exercée avec plus d'integrité ni moins d'intérêt. Aussi tout ce qu'en pouvoit croire le Cardinal partoit plû-tôt de son humeur defiante que d'aucune preuve qu'il en eut contre lui. D'ailleurs il eut été bien aise, pour en dire la verité, de pouvoir faire une querelle d'Allemand au Marêchal, pour avoir pretexte de le dépouiller de sa charge. Il convoitoit déja des yeux & du coeur tout ce qu'il y avoit de grand & de beau dans le Royaume, & comme ce morceau n'étoit pas vaquant, tous les jours, il en avoit bien autant d'envie que de tout le reste. Ce n'est pas qu'il lui fut propre à lui même, quoi qu'on eut veu auparavant un homme revêtu de la Pourpre aussi-bien que lui être Amiral de France, & Général d'Armée en Piemont. Mais il avoit des neveux & des nieces à qui il pretendoit faire part de sa fortune, & qu'il vouloit faire venir en France tout au plûtôt, afin de les y établir le plus avantageusement qu'il pouroit. La poudre ne manqua pas à l'Armée après la punition qui venoit d'arriver. Celui qui eut la place du deffunt ne se fit pas presser pour en donner. Mais elle ne servit de tout cette Campagne qu'à tirer aux moineaux. Picolomini après s'être avancé jusques à la portée du canon de nos lignes, comme s'il eut dessein de les forcer, se retira sans oser rien entreprendre. Gravelines ne tint plus gueres après cela, & s'étant renduë le 28 de Juillet nous demeurâmes encore quelques jours devant cette place, pour en faire reparer les fortifications. Quand elles furent achevées, nous fîmes semblant alors d'en vouloir aux autres places maritimes de Flandres, afin d'attirer toutes les forces ennemies de ce côté là. Nos bons amis les Hollandois, avec qui nous agissions de concert, tinrent la mer, cependant, comme s'ils n'eussent eu aucun dessein de leur chef. Les Espagnols se laisserent surprendre à ces fausses apparences, tellement que lors qu'ils y pensoient le moins ils les virent tomber sur le Sas de Gand. Ils y voulurent courir pour le sauver, mais y étant arrivés trop tard, ils eurent le regret de le voir rendre le 7. de Septembre. Pour nous nous finîmes nôtre Campagne par la prise de l'Abbaye de Houatte & de quelques autres Forts que les ennemis avoient pris soin de fortifier, pour nous empêcher l'entrée de leur païs. Ce fut la dernière Campagne que je fis dans les Gardes, & étant entré dans les Mousquetaires un mois ou environ après être arrivé à Paris, je crus que ma fortune étoit faite, puisque j'étois enfin parvenu à ce que je desirois le plus. Je ne saurois bien representer la joye que j'en eus, me croyant déja quelque chose, quoi que je ne fusse encore rien. Je me fis valoir ensuite autant que je pus auprès des Dames dont le secours ne m'avoit pas été indifferent depuis que j'étois venu de Bearn. Je comptois même de faire fortune aussi-tôt par leur moyen que par les armes, & comme j'étois encore jeune, & que je n'avois pas toute l'expérience que je puis avoir presentement, mon esperence étoit fondée bien plûtôt sur la bonne opinion que j'avois de moi même que sur tout le reste. Cependant si j'étois à recommencer je n'eusse pas fait mon compte tout à fait là-dessus. Quelque bonne mine que je pusse avoir il y en avoit une infinité à la Cour & dans Paris qui me valoient bien. Aussi, si j'avois eu quelque bonne fortune jusques là j'en étois redevable bien plûtôt à la foiblesse que je trouvois parmi le beau sexe, & dont, ne lui en deplaise, il est tout rempli, qu'à aucune de mes prétenduës belles qualitez. Cependant il faut que j'avouë à ma confusion une étrange pensée que j'avois de toutes les femmes en général; je n'en croiois pas une à l'épreuve de mes fleurettes, & parceque j'en avois trouvé quelques-unes qui avoient pris plaisir à les écouter, je contois qu'il en étoit de même de toutes les autres. Il ne falloit neanmoins que me ressouvenir de mon Angloise pour en avoir une autre opinion. Mais comme on est ingénieux à se tromper soi même, principalement quand il y va de sa satisfaction, ou je la rajois du nombre des femmes raisonnables quand je venois à y penser, ou j'en attribuois la faute au peu d'experience que j'avois alors, & dont je croiois bien être revenu depuis ce tems là. Le Cardinal Mazarin persevera cependant, à vouloir avoir la Compagnie de Mousquetaires pour l'ainé des Manchini que l'on commença à voir à la Cour. Il étoit bien fait & de bonne mine, & sentoit son homme de qualité, comme il l'étoit effectivement. Car la Maison Manchini n'est pas une des moindre parmi la Noblesse Romaine, quoi que dans la medisance qui s'éleva bien-tôt après contre son Eminence, elle ne fut pas épargnée non plus que la Puissance & la personne de ce Ministere. Mr. de Treville qui pour avoir perdu le feu Roi qui avait été son soutien, contre les assauts que lui avoit livré le Cardinal de Richelieu, n'avoit rien rabattu de sa fierté, crut qu'après avoir resisté à la puissance d'un homme comme celui là, il pourroit bien resister encore à celle de celui-ci. Ainsi n'étant pas plus complaisant envers l'un qu'il l'avoit été envers l'autre, il tint ferme contre lui, sans vouloir écouter toutes ses promesses. Il répondit à ceux qui lui en parlerent de sa part, que cette charge lui ayant été donnée comme le prix de ses bonnes actions, il vouloit la conserver tout autant qu'il auroit un moment de vie. Il étoit bien aise que Sa Majesté, dont il n'avoit point l'honneur d'être connu particulierement, comme en effet il étoit impossible que ce jeune Prince connut encore personne à l'âge qu'il avoit, il étoit bien aise, dis-je, que Sa Majesté l'en trouvant révêtu à sa Majorité, il se put informer de ceux qui approcheroient alors le plus près de sa personne, des raisons qui avoient pû obliger le feu Roi son pere à l'en révêtir plûtôt qu'un autre. Cette réponse ne plut point au Cardinal, qui ne voioit point de poste plus propre que celui là pour son neveu, & qui vouloit l'y placer à quelque prix que ce fut. Il voioit que le Roi, tout enfant qu'il étoit, se portoit déja aux grandes choses, & que cette Compagnie avoit bien la mine de faire un jour ses delices, comme elle les fit effectivement. Mais si son Eminence agissoit par ces vûës, elles étoient communes à Treville. Il avoit un fils qui étoit à peu près de l'âge de Sa Majesté, & il esperoit bien l'établir à sa place avant que Dieu vint à le retirer du monde. Neantmoins le Cardinal lui ayant declaré la guerre secretement, il fit tout ce qu'il put auprès de la Reine pour l'obliger à lui faire commandement de se deffaire de sa charge. Le pretexte qu'il en prit fut qu'il avoit quantité d'amis dans les gardes, & qu'étant comme maître par là & par la Compagnie qu'il commandoit de la personne de Sa Majesté, il seroit en pouvoir d'en abuser quand bon lui sembleroit. La Reine qui avoit toûjours fait beaucoup de cas de Treville ne crut pas à propos de donner dans ces soupçons. Elle se ressouvenoit que bien loin que cet Officier eut jamais épousé aucunes brigues, il avoit toûjours signalé sa fidelité par un attachement inviolable à la personne du Roi; elle se ressouvenoit même que c'étoit ce qui lui avoit attiré sa persecution; d'où elle concluoit que ce seroit une injustice à elle, de le traiter comme le Cardinal le prétendoit. Ce Ministere n'étoit pas encore assez bien établi auprès de cette Princesse pour l'obliger à se faire une necessité de son Conseil; ainsi feignant que ce qu'il lui en disoit n'étoit que l'effet de son zéle, il remit la poursuite de cette affaire jusques à un tems plus favorable. Il prit grand soin cependant de faire remarquer à Sa Majesté tout ce qui pouvoit seconder son intention, & comme Treville étoit un homme franc, & qui se croioit à couvert de tout soupçon par sa fidelité, il ne tint pas aloi qu'il ne fit interprêter en mal quantité de ses actions qui étoient non seulement fort innocentes, mais qui partoient encore d'une bonne intention. Toute nôtre Compagnie fut cela par quelques parolles que Mr. de Treville ne put retenir, & comme il n'y avoit pas un Mousquetaire qui ne l'adorât pour ainsi dire, s'il y en avoit quelqu'un de nous qui se trouvât par hazard sur le chemin où passoit le Cardinal, il s'en detournoit en même tems, pour n'être pas obligé de lui rendre le respect qui lui étoit du. On le fit remarquer à son Eminence, qui comme il étoit tout politique, ne fit pas semblant d'y prendre garde. Il savoit que s'il venoit à faire connoître qu'il en eut connoissance, il seroit contraint d'en faire paroître quelque ressentiment. Or il consideroit que cela alieneroit l'esprit de cette Compagnie de son neveu, & que ce seroit le moyen, s'il réussissoit jamais dans ses desseins, de lui en faire avoir la haine au lieu de l'amitié. Pendant que cela se passoit, je devins amoureux d'une jeune Dame de condition qui étoit assez jolie, mais qui croyoit l'être encore beaucoup plus qu'elle ne l'étoit effectivement. Elle avoit sur tout un si grand foible de se voir donner de l'encens, que ses Domestiques qui connoissoient son deffaut en profitoient si bien qu'il n'y en avoit pas un qu'elle n'eut enrichi. Tout leur merite cependant ne consistoit qu'en ce qu'ils lui savoient débiter adroitement leurs fleurettes. Celui qui l'admiroit le plus & qui avoit le plus de complaisance pour elle, en étoit le mieux venu. Je reconnus bien-tôt son foible, aussi bien que les autres, & comme j'en étois amoureux, il ne me fut pas difficile de m'établir assez bien dans son esprit. Je n'eus pas de peine à lui dire qu'elle étoit belle, parce qu'elle sembloit telle à mes yeux. Enfin quoi que je n'admirasse pas également quantité de choses qu'elle faisoit, je ne laissai pas de faire comme si je les eusse admirées, parce que je voyois bien que c'étoit-là le chemin que je devois prendre, si je voulois continuer de lui plaire. Elle étoit veuve & n'avoit été que dix-huit mois en ménage avec son mari. Il avoit été tué à la Bataille de Rocroi, & quoi qu'il y eut déjà assez long-tems qu'elle fut veuve pour songer à se remarier, la pensée ne lui en étoit pas encore venuë, parce qu'elle n'avoit pas été trop heureuse avec lui. Comme il avoit une maîtresse, quand il l'avoit épousé, il n'en avoit pas fait tout le cas qu'il devoit. Il avoit continué à voir l'autre, & cela lui avoit été d'autant plus sensible qu'elle ne manquoit pas de bonne opinion d'elle-même. Elle avoit cru, comme c'étoit la verité, meriter toute sa tendresse, aussi le peu de justice qu'il lui avoit renduë lui eut fait prendre sans doute la résolution de ne s'exposer jamais à pareille chose que celle qui lui étoit arrivée, si elle eut pû s'abstenir de recevoir de l'encens. Il étoit dangereux de s'embarquer avec une telle femme, & c'étoit un écueil tout assuré pour une personne qui eut été né jaloux. Mais comme je ne me sentois aucune disposition à une passion si fatale au repos des hommes, je ne laissai pas de poursuivre ma pointe, dans la vûë de mêler ses richesses avec ma gueuserie. La Dame étoit extrêmement riche, qualité qui m'acommodoit bien autant que sa beauté, quoi que je n'y fusse pas indifferent. Je contois d'ailleurs que si elle étoit jamais ma femme, je la ferois revenir bien-tôt de ses foiblesses, sur tout parce que je pretendois en user si bien avec elle, qu'elle prendroit aisément confiance en moi. Je fus le premier, si je l'ose dire, qui lui fis naître le dessein de changer son état de veuve en celui de femme mariée. Je lui plus par le debut que j'eus avec elle. Je lui avouai franchement que si elle vouloit m'écouter elle feroit ma fortune de toutes façons, qu'ainsi la reconnoissance & l'amour agissant en moi egalement elle pouroit conter que je l'aimerois bien moins en mari, qu'en amant. Elle trouva de la bonne foi dans ce compliment, moi qui different de ceux de mon païs, qui ne sont jamais pauvres si on les en veut croire, convenois sans en être pressé, qu'il n'y a un pas grand fonds à faire sur les lettres de change qui me venoient de Bearn. Ainsi mes affaires allant tous les jours de mieux en mieux auprès d'elle, je commençois déja en moi-même à regler l'equipage que j'aurois quand nous serions une lois mariez ensemble, lors que je vis s'elever une cruelle guerre contre moi; elle ne me vint pas de la part de mes rivaux, quoi que j'en eusse un bon nombre, & même de personnes de grande condition, & d'un merite assez destingué pour me faire apprehender avec raison. Le plus redoutable de tous ces rivaux étoit le Comte de... qui aussi-bien que moi en vouloit au mariage, & qui outre qu'il étoit parfaitement bien fait, tenoit un rang à la Cour qui me devoit faire peur, aussi bien que le reste de ses belles qualitez: mais soit que la fortune s'en mêlât, ou comme je l'ai toûjours cru qu'elle eut oüi parler d'une certaine chose qui couroit à son desavantage, savoir qu'il n'avoit que l'apparence de valoir beaucoup avec les Dames, & que l'effet n'y répondoit pas, il se trouva qu'un petit Gascon l'emporta sur un des plus fameux Courtisans qu'il y eut en ce tems là. La Dame me fit bien valoir ce triomphe dont elle eut bien diminué le prix, si elle eut voulu peut-être convenir de la vérité; mais étant trop habile pour le faire, je ne lui fit point d'enquête fâcheuse là dessus, depeur de lui faire révoquer la grace qu'elle me faisoit. Je la lui exagerai même tout autant qu'il me fût possible, afin qu'elle jugeât de la reconnoissance que j'aurois de celles qu'elle me feroit à l'avenir par les sentimens que j'avois de celles qu'elle m'avoit déja faites. Mais lors que j'y pensois le moins, l'orage dont je viens de parler s'éleva sur ma tête, & ne tarda gueres à m'écraser. Les Domestiques de la Dame voyant qu'elle ne seroit pas plûtôt remariée que ses bien-faits tariroient pour eux en même tems, commencerent à me rendre tous les mauvais offices, dont ils se purent aviser, & n'y réüsirent que trop bien. L'un lui dit que j'avois été coquet toute ma vie, & que je le serois encore tant que je vivrois, qu'elle savoit bien la peine que cela lui avoit fait du tems de son premier Mari, & que cela ne lui en feroit pas moins présentement si elle étoit si folle jamais que de m'épouser. Un autre lui dit que j'avois épousé ma première Maîtresse, & un autre que l'Angloise n'avoit eu du mépris pour moi, que parce que j'avois plus d'apparence que d'effet; que nous avions été bien ensemble, mais qu'elle ne m'avoit pas plûtôt connu qu'elle avoit jugé à propos de me casser aux gages. De toutes ces accusations qui n'étoient pas plus vrayes l'une que l'autre, il n'y eut que la premiere qui fit quelque impression sur elle. Elle eut peur comme elle avoit oüi parler de la foiblesse qu'ont ceux qui sont d'un temperament à peu près comme on me dépeignoit, que je n'entrevinsse à ma premiere maniere de vivre, d'abord que je l'aurais épousée. Cela la fit marcher bride en main avec moi, de sorte que n'ayant pas été long tems à le reconnoître, je lui en demandai la raison sans qu'elle daignât m'en éclaircir. Comme je ne reconnoissois point d'où me venoit le coup, & même que j'étois bien éloigné de le deviner, bien loin d'y pouvoir apporter le remede qui y étoit néccessaire, je fis une faute qui rendit le mal irreparable. J'avois jugé à propos dès les commencemens de chercher à gaigner sa Demoiselle, qui selon le bruit commun avoit beaucoup de pouvoir sur son esprit. C'étoit une fille d'assez bonne Maison, mais son Pere ayant mal fait ses affaires, elle avoit été trop heureuse dans le tems du mariage de sa Maitresse, d'entrer auprès d'elle en qualité de sa suivante. C'étoit une brune assez piquante, & comme elle tenoit quelque chose du lieu d'où-t-elle sortoit, il y en avoit beaucoup, qui personne pour personne & mettant tout le reste à part, l'eussent bien autant aimée que sa Maîtresse. Cette fille depuis qu'elle étoit avec elle n'y avoit pas trop mal fait ses affaires, quoi qu'il n'y eut encore que trois ans, qu'elle y fut. Comme elle avoit reconnu d'abord son esprit, elle n'avoit pas manqué de la prendre par son foible, elle lui avoit dit plus de douceurs que l'amant le plus passionné, & ses complaisances avoient été si loin qu'il falloit que l'interest eut un extréme pouvoir sur elle, pour lui faire faire tout ce qu'elle faisoit tous les jours. Elle ne souffroit plus que personne lui rendit aucun service, à moins qu'elle ne fut incapable de le lui rendre elle même, elle ne la quittoit non plus que l'ombre fait le corps, & comme l'interest lui faisoit faire toutes ces choses, sans que l'amitié y eut la moindre part, elle prit d'abord de l'argent que je lui offris pour me rendre service auprès d'elle. Elle prenoit déja le sien pour récompense de ses fleurettes, mais avec l'un & l'autre elle eut pris encore celui de tout le genre humain, parce que tout ce qui pouvoit la tirer de la misére où elle s'étoit veuë avoit pour elle des charmes inconcevables. Si ma bourse eut été assez bien garnie pour ne pas tarir si-tôt j'eusse été long tems de ses amies, tant elle avoit bon appetit, mais son avidité & mon impuissance m'en ayant fait voir le fonds bien-tôt, au lieu de me rendre les services qu'elle me promettoit auprès de sa Maîtresse, j'éprouvai avant qu'il fut peu que je n'y avois point d'ennemie plus dangereuse. Un jour qu'elle étoit couchée avec elle; car elle l'avoit mise sur le pied de la traiter plutôt comme sa soeur que comme sa suivante, elle se mit à pleurer & à sanglotter comme si elle eut perdu tous ses parens. Sa Maîtresse lui demanda aussi-tôt ce qu'elle avoit, & cette fille, qui étoit plus fourbe & plus interessée que je ne saurois dire, faisant semblant d'avoir toutes les peines du monde à lui répondre, il fallut que l'autre lui reïterât deux ou trois fois la même demande, avant que de l'en vouloir éclaircir. Enfin croyant avoir assez bien joué son Personnage, elle lui répondit que le jour approchant qu'elle alloit se donner à un nouveau Mari, elle n'y pouvoit songer sans en mourrir de douleur: elle recommença à sanglotter ou du moins à en faire le semblant, & ces feints sanglots faisant croire à sa Maîtresse que son affliction ne partoit que de l'amitié qu'elle avoit pour elle, elle lui en fut si bon gré qu'elle l'embrassa tendrement. Elle lui dit même pour la consoler que je ne me rendrois pas tellement maître de son coeur, qu'il n'y restât encore quelque place pour elle. Cette fille qui avoit autant d'esprit qu'elle étoit méchante, & qui étoit encore plus méchante qu'elle n'étoit agréable, lui répartit que si elle s'affligeoit comme elle faisoit, c'étoit bien moins par rapport à ses propres interêts, qu'aux siens; que si elle épousoit un autre que moi, elle ne serait pas dans la peine où elle étoit présentement, parce que du moins elle se flatteroit qu'elle en seroit considerée comme elle méritoit. Elle ne lui en dit pas d'avantage, parce qu'elle savoit bien, que les plus longues parolles ne contiennent pas toûjours le venin le plus subtil, mais lui laissant faire là dessus les reflexions qui lui étoient inévitables, sa Maîtresse lui demanda bien-tôt ce qu'elle vouloit dire par là. Cette fille qui pour mieux jouër son rolle avoit feint jusques là de prendre mon parti auprès d'elle, lui dit alors que si l'état où elle étoit lui permettoit de se jetter à ses pieds, elle le ferait sans perdre de tems pour lui demander pardon de sa méprise, qu'elle lui avoit soutenu quand on lui avoit dit que je ne l'aurois pas plûtôt épousée que je lui serois infidele, que ceux qui portoient cette accusation contre moi ne le faisoient que pour ne me pas connoître, ou pour me vouloir du mal, mais qu'elle changeoit maintenant de sentiment en depit qu'elle en eut, que j'étois encore plus scelerat qu'on ne pouvoit dire, desorte que sans attendre qu'il fut plus tard, elle aimoit mieux se laver les mains devant elle, que d'être cause d'un malheur irreparable, faute de convenir de la vérité. C'étoit parler sans fard que de parler de la sorte. Cependant comme il manquoit encore une dose à son poison, pour lui donner toute la force qu'elle desiroit, & que cette dose consistoit à lui apprendre les raisons qu'elle avoit de changer si-tôt de sentiment, elle lui dit que je gardois si peu de mesures dans mes fourberies, que c'étoit à elle même que je m'addressois pour faire éclater le commencement de mon infidelité, qu'il ne tenoit pas à moi que je ne lui fisse accroire que c'étoit elle qui avoit mon coeur, pendant qu'elle n'avoit que mes complimens, qu'elle avoit feint de m'écouter afin de l'en avertir, & que quand elle voudrait, elle lui feroit entendre cette verité de ses propres oreilles. Ce fut un coup de massuë pour cette Dame que ce qu'elle lui dit, elle m'aimoit, aussi en ressentit-elle beaucoup d'affection; elle n'en témoigna rien neanmoins, parce qu'elle ne trouvoit pas qu'il lui fût glorieux de faire paroître tant de bonne volonté pour un homme qu'on lui en faisoit si indigne, cependant malgré tous les deguisemens cette fille n'eut pas eu grande peine à decouvrir ce qui se passoit dans son coeur, si les ténébres ne lui eussent derobé la veue de son visage. A ce deffaut elle ne laissa pas d'en croire ce qu'il falloit à la surprise ou elle s'apperçut un moment après que la jettoient ces parolles. La Dame demeura toute interdite, & ayant gardé un assez long silence, elle ne le rompit que pour lui demander des circonstances, qui ne lui permirent pas de douter de ce qu'elle venoit d'écouter. Cette fille qui m'accusoit de fourberie pour mieux couvrir la sienne, & pour mieux abuser sa Maîtresse, avoit feint quelques jours auparavant ne pouvoir deffendre son coeur contre quelque mérite qu'elle disoit avoir reconnu en moi. J'avois été bien surpris de l'entendre parler de la sorte, elle que j'avois toujours reconnuë fort sage, & qui l'étoit veritablement, aussi n'étoit-ce pas par un principe tel qu'on pourroit peut-être s'imaginer qu'elle m'avoit parlé de la sorte; mais pour garder toûjours le même pouvoir sur l'esprit de sa Maîtresse qu'elle avoit eu jusques là. Elle pretendoit en me faisant donner dans le panneau qu'elle me tendoit si subtilement lui faire rompre l'engagement qu'elle avoit avec moi sans qu'il fut en ma puissance de renouer jamais avec elle. Elle ne réussit que trop bien dans ses malheureuses prétentions: Je me laissai aller, soit par complaisance, ou par crainte que j'avois de la rendre mon ennemie, à lui protester que si elle m'aimoit je ne l'aimois pas moins. Il ne tint pas même à moi que je ne lui en donnasse des marques sensibles, l'usage du monde me faisant croire que je lui pouvois donner cette satisfaction sans qu'il y allât du mien, ni que je manquasse en aucune façon à ce que je devois à sa Maîtresse. Elle étoit trop sage pour le permettre, & trop méchante en même temps pour me faire croire que le refus qu'elle en faisoit dût m'ôter l'esperance de ne pas mieux réussir une autrefois. Nous en demeurâmes là pour ce coup, & la force de mon temperament & un peu d'honneur me faisant entreprendre la premiere fois que je la revis de lui parler toûjours sur le même ton, je ne fus gueres sans m'en repentir. Je ne pouvois effectivement prendre mon temps plus mal que je faisois alors, elle avoit fait cacher sa Maîtresse sous une tapisserie, d'où elle pouvoit entendre & voir, tout ce que je pouvois lui dire ou faire sans que je pusse découvrir aucunement où elle étoit. Cette Dame sortit alors de sa niche, & qui fut bien surpris ce fut moi, quand je la vis devant mes yeux. L'étonnement où j'étois me rendit si interdit que je n'eus pas l'esprit de deviner la piece qui m'étoit faite, & quand j'eusse été surpris en faisant l'action du monde la plus noire je n'eusse pas été plus confus. Je n'eus pas la force de dire une parolle, de sorte que la Dame me fit mille reproches, sans que je trouvasse un seul mot pour m'excuser. Enfin je crois que je fusse encore demeuré muet tant que j'eusse été là, si ce n'est qu'elle finit son discours par une deffense qu'elle me fit de remettre jamais le pied dans sa Maison. Si je n'eusse été qu'amoureux peut-être lui aurois-je obeï sans oser lui répondre, mais comme il y alloit de ma fortune, aussi bien que du repos de mon coeur, à lui faire révoquer cette deffense, je pris la parolle & lui dis tout ce que je crus capable d'adoucir son ressentiment. Si je lui eusse dit la pure verité peut-être en fus-je venu à bout; mais comme je croyois indigne d'un honete homme d'aller se vanter des avances de la Demoiselle, je lui tus cette circonstance qui étoit seule capable de me justifier dans son esprit; car elle lui eut fait connoitre sa malice qu'elle n'avoit garde de croire au point qu'elle étoit. La Dame sortit de la Chambre en même tems sans me vouloir écouter d'avantage, & tout mon reconfort n'étant plus que dans sa Demoiselle, que j'accusois bien en moi même d'être cause de mon malheur, mais non pas dans le sens qu'elle l'étoit, je la conjurai de se servir du credit qu'elle avoit sur son esprit pour me rétablir dans ses bonnes graces. Elle me répondit pour m'oter même toute sorte d'esperance, qu'elle ne me promettoit pas de pouvoir rien obtenir sur elle, après ce qui venoit d'arriver, qu'elle auroit même peut être besoin elle même d'un intercesseur pour y faire sa paix, parce qu'elle la voyoit si fort en colere qu'elle ne se souvenoit pas qu'elle y eut jamais tant été. Enfin tout ce que j'en pus tirer fut qu'elle agiroit pour moi selon la disposition où elle la trouveroit. Je ne pus lui rien dire, parce que je trouvois quelle avoit raison, & que je croiois même que la Dame devoit être tout aussi en colere contr'elle que contre moi. Il est aisé de juger après tout ce que je viens de dire, que je fus bien-tôt sacrifié par cette fourbe. Elle me dit quelques jours après qu'il n'y avoit plus de retour pour moi à la misericorde de sa Maîtresse, & que bien loin de me vouloir pardonner elle ne vouloit pas seulement entendre parler de mon nom. Je n'eus pas de peine à le croire, parce que l'ayant trouvée par hazard dans deux ou trois maisons où j'allois, à peine fit-elle semblant de m'avoir jamais connu. Elle n'y mit plus même le pied, depeur de m'y retrouver une autrefois; de sorte que me voyant donner mon congé si cruellement, j'en conceus tant de melancholie que je ne tardai gueres à m'en ressentir. Il me prit une fievre lente qui me défigura étrangement. Je crus que je devois me faire voir à elle, en cet état, & qu'il seroit capable de lui donner de la compassion. Mais il en arriva tout autrement que je ne pensois, la Dame ne voyant plus rien en moi qui lui fut agréable, ne me regarda pas, ou du moins si elle le fit, ce ne fut que pour m'en mépriser encore d'avantage. J'en eus un dépit qu'on ne sauroit exprimer, & bien que j'eusse peine à me consoler d'avoir ainsi manqué ma fortune, je resolus de ne pas essuyer d'avantage ses mépris, puisqu'aussi bien cela ne me serviroit de rien. C'est beaucoup quand on peut une fois gagner cela sur soi. On vient bien-tôt à bout de tout le reste, & c'est ce qui m'arriva heureusement. Je trouvai que je devois mépriser qui me méprisoit, & qu'il y avoit assez d'autres femmes pour me consoler de celle là. Je gueris ainsi peu à peu, & le jeu où je m'adonnai & où je continuai de trouver du secours, dans la rareté des lettres de change qui me venoient de mon païs, ne contribua pas peu à me procurer la guerison. Je gagnai au trictrac d'une seule sceance au Marquis de Gordes fils aine de Mr. de Gordes Capitaine des Gardes du Corps, neuf cent Pistoles. Il m'en paya trois cent comptant qu'il avoit sur lui, & comme on étoit fort exact en ce tems là comme on l'est encore aujourd'hui parmi les honnêtes gens, de paver ce que l'on perdoit sur sa parolle, les six cent autres me furent envoyées le lendemain matin à mon lever. Je fis un bon usage de cet argent, & en même tems beaucoup d'amis. J'en pretai à quantité de mes camarades qui n'en avoient point, & Besmaux qui étoit toûjours dans les Gardes & qui n'étoit pas trop à son aise, ayant oüi parler de ma fortune, me pria de le traiter comme les autres. Je le fis volontiers, quoi qu'il n'y eut pas grande ressource avec lui, & même que sa maniére de vivre & la mienne fussent toutes differentes l'une de l'autre. Il s'étoit mis sur le pied de ce qui s'appelle breteur, & cela lui avoit aidé à subsister dans son indigence. Ce secours ne l'avoit pas pourtant tiré si bien de la necessité qu'on ne l'eut veu souvent sans savoir où prendre le premier sol pour aller dîner. Quand j'y pense & que je le vois maintenant si opulent je ne puis assez admirer les divers effets de la fortune, ou plûtôt de la divine Providence, qui prend plaisir à humilier les uns & à élever les autres, quand bon lui semble. Car enfin pendant que celui-ci a amassé des biens immenses, le Comte de la Suse dont il a eu la plûpart des Terres est tombé dans une si grande pauvreté que peu s'en faut qu'il ne soit réduit à aller mourir à l'Hospital. L'un avoit néanmoins plus à depenser en un jour que l'autre en toute l'année, & même quand je dirois trois fois on ne pouroit pas m'accuser de mentir. Ayant ainsi répandu une partie de mon argent, je me servis de l'autre pour tâcher de m'avancer. Je n'oubliai pas aussi de faire ma Cour aux Dames, & comme je n'avois pas oublié si bien celle dont je viens de parler que je ne m'en ressouvinsse encore quelque fois, je revis sa Demoiselle pour lui demander si elle ne lui avoit point reparlé de moi. La reponse que j'en eus ne me fus pas plus avantageuse que la précedente. Je m'en consolai facilement, & voulant en reconter à la Demoiselle & en tirer toûjours pied ou aile, pour me dedommager d'autant de la perte qu'elle me causoit, je fus tout surpris de la voir toute autre que je ne l'avois vûë jusques-là. Elle me fit réponse que je m'y prenois trop tard, pour la gaigner, & qu'après l'avoir négligée comme j'avois fait, il n'y avoit plus rien pour moi à espérer auprès d'elle. Je crus qu'elle ne parloit ainsi que pour m'obliger à lui témoigner plus d'empressement, & comme à l'âge où j'étois l'on est toûjours amoureux auprès d'une jolie fille, je n'eusse pas eu de peine à lui témoigner que je l'étois éperdüement, si elle m'eut voulu écouter. Mais comme elle ne l'avoit jamais été de moi, quelque semblant qu'elle en eut fait, elle fut si indifferrens à toutes les marques que je lui en pus donner, qu'il ne me fut pas difficile de reconnoître que j'avois été sa duppe. La fin de l'année 1644. & le commencement de l'année 1645. s'étant passez de la sorte, je me preparai à faire la Campagne sous le Duc d'Orleans que la Cour renvoioit en Flandres. Le Cardinal Mazarin qui étoit bien aise de demeurer seul à la tête des affaires, l'y renvoioit encore cette année là, sous pretexte de lui faire honneur. Il étoit bien aise de l'amuser par ce vain commandement, & l'Abbé de la Riviere qui avoit beaucoup de credit auprès de ce Prince y donnoit les mains moiennant des benefices qu'il obtenoit de tems en tems du Cardinal; aussi bien que de bonnes pensions. Son Eminence eut bien voulu pouvoir amuser de même Mr. le Prince; mais comme c'étoit un autre esprit que le Duc d'Orleans il n'étoit pas homme à donner si grossierement dans le panneau. Il vouloit avoir part à tout ce qu'il faisoit, & il se maintint dans cette possession jusques à la fin de ses jours. Et en effet quoi que le Cardinal en qualité de premier Ministre parut seul donner tout le poids aux affaires, il n'osoit rien entreprendre de consequence qu'il ne l'eut concerté auparavant avec lui. Le Duc d'Anguien cependant étoit toûjours à la tête d'une armée, & comme le succès qu'il avoit eu à la Bataille de Rocroy avoit été suivi de quantité d'autres qui avoient encore augmenté sa reputation, il se trouvoit que le pére tout considerable qu'il étoit par lui même l'étoit moins, cependant par là presentement qu'il ne l'étoit par son fils. Ce jeune Prince après avoir cueuilli des lauriers en Flandres en avoit moissonné en Allemagne ou il avoit remporté une grande Victoire auprès de Fribourg. Elle lui étoit même d'autant plus glorieuse qu'elle avoit été long-tems disputée, & qu'il y avoit fait le devoir de Soldat, aussi bien que celui de capitaine. Cette grande gloire ne plaisoit point du tout au Cardinal, parce que le pére en étoit plus hardi à demander, & lui plus timide à refuser. Il voioit que chacun couroit après ce jeune Duc & qu'il sembloit que tous les autres ne fussent plus rien au prix de lui. Son Eminence qui avoit une infinité de ruses en partage, mais de ces ruses qui sont plus d'un petit particulier que d'un grand Ministre, voyant que le Prince de Condé étoit trop sage pour faire jamais un faux pas qui lui donnât prise sur lui, gagna une personne de grande qualité pour faire faire au fils ce qu'il ne pouvoit esperer du pere. Cette personne avoit beaucoup de part à sa confiance, par un certain rapport d'humeur qui se trouvoit entr'eux. Ils avoient tous deux beaucoup d'esprit, & ils avoient encore d'autres qualitez assez approchantes les unes des autres, ce qui les rendoit plus unis. Il étoit assez difficile de se deffier d'un homme comme celui là, sur tout ayant l'esprit de faire venir les choses de loin & comme s'il n'y eut pas pensé. Au reste le Cardinal, qui consideroit que s'il y avoit quelque chose qui fut capable de porter coup à la fortune du pere & du fils, ce devoit être s'il leur arrivoit de se brouiller avec le Duc d'Orleans, il y travailla de concert avec l'Abbé de la Riviere. Le Prince de Condé qui étoit un grand Politique s'aperçut bien-tôt de leur dessein. Il en avertit son fils & lui recommanda d'y prendre garde. Il tâcha cependant de gagner l'Abbé de la Riviere, & lui faisant connoître qu'il ne trouveroit pas moins d'avantage avec eux qu'il feroit avec le Cardinal, il le retira peu à peu des engagemens qu'il avoit avec lui. Cela déconcerta son Eminence, & comme il n'esperoit presque plus rien de ce côté là, il arriva une chose qui eut été capable de rallumer son esperence si le Prince de Condé n'y eut remedié par sa sagesse. Le M. de... étoit bien avec le Cardinal, & c'étoit de lui qu'il se servoit pour faire faire quelque faux pas au Duc d'Anguien. Au reste celui-ci après avoir imprimé à ce jeune Prince peu de respect pour la personne du Duc d'Orléans le laissa sur sa bonne foi, dans l'esperance que ses conseils auroient leur effet en tems & lieu. Le Duc ne s'apperçut point du piége, & le même M. de... lui ayant dit qu'il y auroit une debauche ce jour là au Palais d'Orleans il le convia de s'y trouver, afin d'en avoir sa part. Il lui promit d'y aller lui même, & y il fut effectivement après l'y avoir donné rendez-vous. Cependant comme il étoit plus des amis du Cardinal que des siens, il ne fut pas plûtôt à ce Pallais qu'il y fit donner ordre de n'y laisser entrer personne, sous pretexte qu'ils étoient assez bonne Compagnie pour ne pas avoir besoin de surcroit. Le Duc d'Orleans ne songea point au Duc d'Anguien, ou s'il y songea, il crut que sa qualité le mettant au dessus de cette deffense, ses gardes n'y auroient aucun égard. Cependant soit qu'un exempt eut été gaigné ou qu'il se montrât circonspect à faire tout ce qui lui étoit ordonné, le Duc ne se presenta pas plûtôt dans la salle qu'il s'en fut au devant de lui pour lui annoncer le commandement qu'il avoit reçû. Le Duc lui repondit en se moquant de lui que ce commandement regardoit les autres, & qu'il n'y avoit aucune part. L'exemt lui repartit qu'il étoit indifferement pour tout le monde, & lui ayant voulu barer le passage de l'appartement où étoit son maître, le Duc s'en trouva si scandalisé, qu'il lui arracha son bâton des mains, le cassa devant lui, & lui en jetta les morceaux au visage. Toute la Salle prit part à l'affront que recevoit cet Officier, qui n'avoit fait que son devoir, après le commandement qu'il avoit reçû de ne laisser entrer personne. L'on entendit aussi-tôt un murmure universel qui eut été peut-être suivi de quelque soulévement, si le Comte de St. Agnan, qui étoit alors Capitaine des gardes du Duc d'Orleans, ne fut sorti de la chambre de son maître pour voir ce que c'étoit. Comme il étoit grand courtisan, & que s'il aimoit à se battre ce n'étoit pas contre le Duc d'Anguien, il donna en même tems le tort à son exemt. L'exemt se retira voyant que celui à qui il appartenoit de le soutenir, étoit le premier à le condamner. Le Duc d'Orleans ne fut pas neanmoins du sentiment de son Capitaine des gardes, & l'on eut eu bien de la peine à le faire revenir de la pensée où il étoit que cet affront s'addressoit à lui plûtôt qu'à un autre, si ce n'est qu'il étoit homme à se laisser prevenir. Mr. le Prince gaigna ceux qui approchoient le plus près de la personne, pour lui faire oublier ce que lui avoit fait son fils. Je ne le pardonna pas neanmoins au Comte de St. Agnan, & comme celui-ci s'en fut apperçu, il vendit sa charge & acheta chez le Roi celle de premier gentilhomme de la chambre. Il ne fit pas trop mal comme la suitte l'a fait voir, puisque s'il fut toûjours demeuré chez le Duc il ne fut jamais devenu Duc & Pair comme il a été depuis. Le Cardinal fit tout ce qu'il put sous main pour apporter de l'obstacle à cette reconciliation; mais le Duc d'Orleans qui avoit cela de propre qu'il haïssoit les Ministres ne vit pas plûtôt qu'il s'en mêloit qu'il leva les difficultez qu'il y apportoit auparavant. Ceux qui n'aimoient que le trouble furent fâchés de sa condescendance. Il y en eut plusieurs qui accuserent le Comte St. de Agnan de foiblesse, pendant que ceux qui avoient plus de jugement & moins de passion trouverent qu'il s'étoit tiré bien heureusement d'un pas aussi delicat que celui où le hasard l'avoit engagé. Nous entrâmes en Campagne sur ces entrefaites; & je demandai d'être du détachement des Mousquetaires que le Roi envoyoit en Flandres. Pour ce qui est du Duc d'Anguien, il retourna en Allemagne où le Vicomte de Turenne s'étoit laissé surprendre à Mariandal. Le Général Merci lui avoit donné là un tour de son metier, & après avoir tenu la Campagne pendant le coeur de l'hiver, il avoit feint d'aller prendre des quartiers d'hiver bien loin, afin de le surprendre plus facilement. Le Vicomte de Turenne l'avoit cru de bonne foi, & ayant trouvé à propos d'y envoyer les siennes, Merci étoit revenu sur ses pas & l'avoit deffait sans peine parcequ'il étoit separé. Cette deffaite faisoit que nous n'osions plus montrer le nés en ce pays là, & il y falloit un Général de la réputation du Duc d'Anguien pour y rassurer les trouppes qui en étoient toutes effrayées. Mercy sachant qu'il alloit avoir affaire à lui, & que son courage, ne trouveroit rien d'impossible, ne pouvant pas lui deffendre le passage du Rhin, dont il étoit le maître, par la conquête qu'il avoit faite l'année precedente de la Forteresse de Philisbourg, tâcha de l'arrêter sur le Necre. Il y jetta Garnison; & comme il pretendoit que c'étoit faire beaucoup à l'égard de nôtre Nation que d'arrêter sa premiere fougue, il ordonna à ceux qu'il jetta dans ces places de se deffendre jusques à l'extremité. Le Gouverneur de Wimphem qui fut attaqué le premier, se ressouvint mal de ce commandement. L'on n'eut pas grand peine à le prendre, & l'Armée étant allée de là devant Rottembourg celui qui y commandoit se montra plus soigneux de lui obéïr. Il soutint l'assaut qui lui fut livré, dans l'esperance que de quelque maniere que les choses tournassent, il auroit toûjours le tems de se retirer sain & sauf lui & sa Garnison. Il croioit dis-je qu'il ne lui seroit pas difficile de mettre le feu au pont qu'il avoit sur cette riviere. Mais ayant été attaqué la nuit, & les gens du Duc ayant mis eux-mêmes le feu à la Ville avant qu'il eut encore songé à la retraitte, il se trouva si surpris que devant qu'il put executer son dessin, il se trouva enseveli sous les flammes. Le Duc s'étant ainsi rendu maître de ces deux passages, ne voulut pas s'arrêter à Hailbron où les ennemis avoient jette leurs principales forces. Comme ils regardoient cette place comme un poste que le Duc ne voudroit jamais laisser derriere soi, ils l'avoient fortifié tout de nouveau, quoi qu'il le fut déja de longue main. Ils contoient qu'il lui seroit dangereux de laisser une puissante Garnison derriere lui, & qu'ainsi pendant qu'il seroit occupé à l'attaquer, ils prendroient toutes les précautions que la prudence leur suggereroit pour se tirer de danger. Mais le Duc, qui savoit qu'ils ne cherchoient qu'à l'amuser, ayant passé la riviere, au lieu de s'arréter à cette place, il les suivit de si près qu'ils ne purent gaigner Nortlinguen où ils avoient dessein de se retirer. Chacun fut étonné de leur voir lâcher le pied, après la victoire qu'ils avoient remportée à Mariendal, laquelle avoit tellement étonné nos Alliez qu'ils étoient tout prêts de nous quitter. Ils se rassurerent, nous voyant superieurs aux autres, lors qu'ils y pensoient le moins, & la Landgrave de Hesse qui commandoit elle-même les troupes du Landgrave son fils, étant venu trouver le Duc avec elles, il fut résolu d'attaquer Mercy qui avoit planté son camp sur deux Montagnes, dont il croyoit les avenues inaccessibles. Il s'y deffendit fort bien, & tint long-tems la victoire en balance. Les deux premieres charges lui furent même si avantageuses que le Duc eut cru tout perdu, s'il eut été capable de s'effrayer. En effet il vit deffaire devant lui & même prendre prisonnier le Marêchal de Grammont qui commandoit son aisle gauche; mais lui ayant donné secours en même-tems, il repara si-bien toutes choses par là, que les ennemis, qui croyoient déja avoir tout gaigné, se virent bien éloignez de leur compte. En effet ils se virent repoussez lors qu'ils ne songeoient plus qu'à poursuivre leur pointe; & trouvant le Duc par tout où ils portoient leurs pas, ils ne se purent empêcher de dire, pour rendre témoignage à sa valeur, qu'il falloit qu'il y eut autant de Ducs d'Anguien qu'il y avoit de Soldats. Leur desfaite suivit de près leur premier desavantage. Ils ne se purent plus rallier, & Mercy qui après s'être flatté de la victoire ne pouvoit se resoudre de survivre à sa disgrace, ayant voulu passer d'un aile à l'autre pour empêcher le desordre qui commençoit à y régner, il y fut tué comme il y faisoit tout ce qu'on pouvoir desirer d'un grand General. Sa mort fut suivie de tout ce qui suit d'ordinaire un malheur comme celui-là, d'autant plus que le General Gléen qui eut pû commander à sa place, avoit déja été pris prisonnier. Il fut échangé quelques jours après avec le Marêchal de Grammont que l'on n'avoit pû reprendre, quoi que l'aile qu'il commandoit y eut fait tout son possible. Nous apprîmes ce succès dans nôtre armée, ce qui acheva de mettre le Duc d'Anguien dans une si grande réputation, que si l'on eut été du tems du Paganisme on lui eut élevé des autels, comme on faisoit autrefois à ceux qui se distinguoient du commun des hommes. Je ne sais si le Duc d'Orleans en fut tout aussi content que les autres, mais enfin je m'apperçûs qu'un Officier ayant exageré devant lui, tout ce qui s'étoit passé de ce côté là, ce Prince lui demanda d'un air chagrin, s'il y avoit été present, pour en parler aussi affirmativement qu'il faisoit. L'Officier lui répondit avec beaucoup de respect que les lettres qu'il eu avoir reçûës étoient conformes au recit qu'il en venoit de faire, mais qu'il faloit que celui qui les lui avoit écrites se fut trompé, puis que son Altesse Royale y trouvoit à redire. Cela nous fit connoitre que la jalousie étoit commune aux grands, aussi bien qu'aux autres, & personne n'osant plus parler devant lui, l'on se reserva à admirer les actions de ce jeune Prince quand on se trouveroit hors de sa presence. Le Duc d'Orleans avoit pourtant eu sur les ennemis quelques avantages qui lui devoient faire esperer que si l'on parloit de ce jeune Prince avec éloge, on parleroit aussi de lui assez glorieusement, s'il n'avoit pas remporté à la verité une grande victoire, comme lui, il avoit du moins eu le plaisir de voir encore une fois Picolomini plier en sa presence. Ce general ayant pretendu l'arrêter au passage de la riviere de Colme, il s'y donna une escarmouche assez chaude, où il eut du pire. Cela l'obligea de se retirer plus vite que le pas, & ce petit desavantage ayant été suivi de la perte de Mardik nous fumes attaquer Bourbourg. Je me trouvai dans les premiers jours de ce siege, si animé à la poursuite des ennemis qui avoient fait une sortie sur la tranchée, que peu s'en falut que je n'entrasse pêle mêle avec eux dans la place. Cinq autres de mes camarades qui étoient à la tranchée avec moi m'ayant accompagné dans cette entreprise, nous nous trouvâmes tout aussi embarrassez l'un que l'autre, quand il nous fallut revenir. Les ennemis nous passerent pour ainsi dire par les armes, & quatre de nous étant tombez roide morts de leur premiere decharge, celui qui restoit avec moi, me dit que les plus courtes folies étoient les meilleures, & que comme il n'y avoit rien de pire que la mort, il aimoit mieux se rendre que de s'exposer au peril qu'il y avoit encore à courir à nous vouloir retirer. A ces mots il retourna vers la Ville en demandant quartier à ceux qu'il voyoit dans les dehors, mais soit qu'ils l'eussent déja couché en jouë, & qu'ils ne l'entendissent pas, ou qu'ils ne se missent guéres en peine de lui accorder ce qu'il demandoit, ils firent une nouvelle decharge sur lui & l'envoyerent tenir compagnie aux autres. Pour moi j'eus trois coups dans mes habits, & un dans mon chapeau, sans que j'eusse seulement la moindre égratignure sur mon corps. Cela me fit connoître que quand Dieu garde quelqu'un il est bien gardé, & qu'il n'y a qu'à se recommander à lui dès le matin & ne rien craindre de tout le reste de la journée. On me tira encore quelques autres coups, mais comme c'étoit de loin, ce ne fut que de la poudre & du plomb perdu. Je rentrai dans la tranchée par la tête, & y ayant trouvé M. des Essarts qui m'en avoit veu sortir, il me demanda ce qu'étoient devenus mes camarades. Je lui appris leur destinée, & comment le dernier s'étoit perdu en voulant se sauver. Il me répondit que s'il avoit su cela, il m'eut prié de le fouiller avant que de m'en revenir, parce qu'il se trompoit fort s'il n'avoit sur soi des marques de l'estime qu'une Dame de grande condition avoit pour lui. Il offrit en même tems dix Pistoles d'or à un Soldat de sa Compagnie s'il vouloit lui aller prendre dans ses poches ce qui le trouveroit. Il lui dit qu'il en étoit encore tems, & que comme on voyoit les ennemis de la tête de la tranchée, il n'y en avoit pas un qui eut osé sortir de leurs dehors. Le Soldat le voulut bien, & s'y en étant allé à l'heure même on lui tira plus de cinq cent coups de mousquet, sans que pas un l'attrapât. Il fit ce que des Essarts desiroit, & ayant pris le haut de chausse du mort sans s'amuser à le fouiller, depeur d'y perdre trop de tems, il le rapporta à la tranchée, après en avoir ôté tout ce qu'il croyoit en valloir la peine. Des Essarts ne voulut point que d'autre que lui en fit la reveuë, & en ayant examiné les lettres, avec grand soin, nous nous apperçumes à son visage qu'il y en avoit une où il prenoit plus intérêt que dans les autres. Car nous le vîmes changer de couleur en même tems, sans qu'il nous en voulut dire la raison. Ce ne fut pas manque toutesfois de la lui demander, quoi qu'il ne fut peut-être pas trop bien à nous de nous montrer si curieux. Je crus pour moi comme je me deffiois de toutes les Dames qu'il avoit trouvé quelque lettre de sa Maîtresse, par où il apprenoit qu'elle lui avoit fait faux bond. Je le dis à l'oreille à un Officier qui étoit auprès de moi, & qui s'étoit apperçû tout aussi bien que j'avois pû faire qu'il n'avoit pas été indifférent à la lecture qu'il en avoit faite. Celui-ci me fit signe de la tête qu'il approuvoit ce que je lui disois. Cependant nous nous trompions tous deux, la chose le regardoit d'encore plus près que nous ne pensions. Si ce n'eût été qu'une Maîtresse il en eut été quitte pour en chercher quelque autre plus fidele, mais il s'agissoit d'une de ses plus proches parentes, à la conduite de laquelle il ne prenoît guerres moins de part que si elle eut été sa femme. Je le découvris sans y penser deux jours après que je fus de retour à Paris. Cette Dame que je ne connoissois que mediocrement m'envoya prier de l'aller voir, ce que je ne crus pas lui devoir refuser, parce qu'elle en valloit bien la peine. Elle me dit qu'elle avoit appris que j'étois avec le deffunt lors qu'il avoit été tué, & qu'elle me prioit de lui apprendre toutes les circontances que je savois de sa mort. Je lui répondis que cela seroit bien-tôt fait & qu'en ayant été témoin moi-même elle ne pouvoit mieux s'addresser qu'à moi, pour savoir tout ce qui en étoit. Je lui racontai en même tems tout ce que je viens de dire, je vis qu'elle rougissoit, lors que ce vint à l'Histoire du Soldat, elle me demanda même si je ne pourois point le lui amener, & lui ayant répondu que je m'en faisois fort, & que ce seroit quand elle voudroit, elle se mit à rêver un moment comme une personne qui peze une affaire dans sa tête. Enfin après un moment de silence, elle réprit la parolle, & me dit qu'elle me remercioit de ma bonne volonté, & du zele avec lequel je m'offrois de lui rendre service; que cependant après y de lui rendre service; que cependant après y avoir bien pensé, elle aimoit mieux me faire une confidence que d'avoir recours à ce qu'elle m'avoit proposé, qu'elle m'avoueroit franchement que cela lui avoit pas haï le deffunt, & que cela lui avoit fait une grande affaire avec des Essarts; qu'il falloit que ce Soldat lui eut donné une de ses lettres; mais que ne sachant ce qu'il avoit fait de son portrait, que le mort avoit sur lui, lorsqu'il avoit été tué, elle me prioit de le vouloir savoir de lui; qu'elle m'auroit même obligation de le retirer de ses mains, s'il y étoit encore, & de n'y rien épargner pour en venir à bout; que c'étoit pour cela qu'elle m'avoit dit d'abord de lui faire venir le Soldat; mais qu'après y avoir bien pensé, elle ne le jugeoit plus à propos. Je lui promis de faire ce qu'elle me disoit, & trouvant la Dame tout à fait à mon gré je m'y employai non seulement de bonne sorte, mais je resolus encore, si je pouvois, d'ocuper dans ses bonnes graces la place qu'y tenoit le deffunt. Je fus trouver le Soldat en même tems, & comme nous avions été camarades, & que la familiarité que j'avois avec lui ne me faisoit pas avoir besoin d'user d'un fort grand circuit pour en venir où je voulois, je lui demandai sans compliment, s'il s'étoit deffait du portrait qu'il avoit trouvé au Mousquetaire qu'il étoit allé fouiller devant Bourbourg. Je vis qu'il rougissoit, & jugeant que cela ne provenoit que de la crainte qu'il avoit que je ne le fusse denoncer à son Capitaine, comme un homme qui lui avoit caché une partie de ce qu'il avoit trouvé sur le deffunt, je lui dis de mettre son esprit en repos, & que mon intention n'étoit pas de lui faire piece; que le peril où il s'étoit exposé étoit assez grand pour mériter une plus grande recompense, que celle qu'il avoit reçûë, qu'ainsi bien loin de lui vouloir ôter ce qu'il avoit pris je serois le premier à le cacher. Je le rassurai par ces parolles, & m'ayant avoué sans user d'aucun detour qu'il savoit bien dequoi je voulois parler, il me dit franchement que si je ne voulois que cette peinture il étoit prêt de me la rendre à l'heure même, mais que si je lui demandois la boette où elle étoit renfermée, il n'étoit pas en son pouvoir de me satisfaire, qu'il l'avoit venduë avec les diamans qui étoient dessus & qui plus est qu'il en avoit encore mangé l'argent, ce qui le mettoit dans l'impuissance qu'il venoit de me dire. Je le cru de bonne foi sans l'obliger à m'en faire aucun serment. Je savois qu'il avoit assez bon appetit pour cela, & que quand même c'eut été quelque chose de bien plus grande conséquence il en fut encore venu à bout tout aussi facilement que de celle là. Cependant comme je croiois que c'étoit à la peinture que la Dame en vouloit plûtôt qu'à tout le reste, je le priai de me la donner. Il le fit, & n'ayant pas eu la curiosité de la regarder, tant j'étois pressé de la porter à cette Dame, je la laissai enveloppée dans du papier tout comme il me la donnoit. La Dame ne me vit pas plûtôt qu'elle me demanda si mon message avoit été heureux. Je lui répondis qu'il ne l'avoit pas été tout à fait, mais que du moins elle auroit une partie de ce qu'elle demandoit, que le Soldat ne m'avoit pû rendre la boette, parce qu'il en avoit disposé; mais que je lui rapportois la peinture. Elle me répartit que cela suffisoit, & l'ayant developée en même tems elle fut toute surprise de trouver, au lieu de son portrait, celui d'une rivale dont elle avoit été extrémement jalouse. Le deffunt ne lui avoit jamais voulu avoüer la vérité; mais n'en pouvant plus douter après ce qu'elle voioit présentement, elle me dit d'un air naturel, & qui faisoit voir qu'elle pensoit ce qu'elle me disoit, ha! que les hommes sont fourbes & que les femmes sont foles de se fier à eux. Je lui demandai ce qu'elle vouloit dire par là, & si pour en connoitre un infidele elle devoit soupçonner tous les autres de lui ressembler. Elle me répondit que puisque celui dont elle parloit l'étoit bien tous les autres le pouvoient bien être, qu'elle vouloit que moi pour témoin de ce qu'elle valloit, & que sans se venter elle croioit que si on la quittoit pour une autre il pouvoit bien arriver la même chose à celles qui étoient cause qu'on lui faisoit infidelité. Elle m'expliqua en même tems cet enigme, où je n'eusse rien compris sans elle, & m'ayant montré cette peinture elle me demanda si je savois de qui elle étoit. Je ne trouvai pas ce portrait la moitié si beau que j'eusse fait le sien, & ne sachant de qui ce pouvoit être je lui témoignai l'un & l'autre à l'heure même. Elle me dit que j'étois bien complaisant de lui donner l'avantage par dessus la femme que ce portrait répresentoit, qu'elle vouloit bien me dire son nom, & que quand je le saurois je lui donnerois peut être la préference, que c'étoit Madame.... femme d'un des plus riches partisans qu'il y eut dans tout Paris. Je lui repartis que cette qualité me pouroit peut-être faire pencher de son côté, si je me laissois gouverner par l'intérêt; mais que comme j'avois toûjours fait plus de cas du merite que des richesses, je continuois à lui dire que je l'aimois mieux au bout de son doigt que je ne faisois l'autre en tout son corps. Elle me répondit qu'elle ne donnoit plus là dedans, après la tromperie dont elle venoit d'avoir des preuves si authentiques; mais que toute galanterie à part elle me seroit obligée de revoir le Soldat, afin de savoir de lui si en trouvant ce portrait au deffunt, il ne lui en avoit point encore trouvé un autre. Je fis ce qu'elle vouloit, & le Soldat m'ayant dit qu'il en avoit encore un, mais qu'il n'avoit pas cru la premiere fois que ce fut celui là que je lui voulusse demander, parce qu'il étoit dans une boette si commune qu'il étoit aisé de voir que celui à qui il l'avoit pris n'en faisoit pas tout le cas qu'il devoit, il me le donna dans la même boette où il l'avoit trouvé; elle étoit effectivement fort commune, puis qu'elle n'avoit jamais couté plus de vingt sols. Cependant, ne voulant pas faire la même faute, que j'avois déjà faite, c'est à dire le porter à la Dame sans le regarder auparavant, j'ouvris cette boette, & je vis que c'étoit le portrait qu'elle demandoit. Je le lui portai, & je vis en le lui donnant qu'elle étoit bien contente de l'avoir trouvé. Je pris cette occasion pour lui dire ce que je commençois à me sentir pour elle, & traitant cela de la galanterie, quoi qu'il fut facile de voir que je parlois serieusement, elle me répondit que venant d'être trompée, elle me croioit rempli de tant de droiture, que si elle me demandoit conseil elle ne doutoit nullement que je ne lui conseillasse moi-même, de ne se jamais fier à des parolles. Tout ce que je lui pus dire pour lui persuader que je lui disois vrai, ne me servit de rien. Ainsi il me fut inutile de la prier de me laisser ce portrait, quoi que je lui protestasse que j'en ferois tant de cas qu'elle verroit bientôt qu'elle pourroit s'assurer sur ma fidelité. J'en devins effectivement si amoureux qu'il me fut comme impossible de le cacher. J'y fis pourtant tout mon possible, & principalement à l'égard de Des Essarts dont je reconnoissois trop la jalousie pour m'y pouvoir fier. Ma conduite plut extrémement à cette Dame qui jugea par là plus de choses en ma faveur que par tout ce que je lui eusse pu dire de ma passion; elle permit que je la visse assez souvent, & comme j'en devenois amoureux tous les jours de plus en plus, elle crut qu'elle me devoit rendre justice de peur qu'en finassant davantage avec moi, je ne devinsse indiscret à force de me croire malheureux. Elle me recommanda le secret à l'égal de la fidélité, me disant que l'un se jugeoit par l'autre, & que qui n'étoit pas discret ne pouvoit jamais être fidèle. Cette bonne fortune me fit oublier entièrement la perte que j'avois faite des bonnes grâces ce la Dame dont j'ai parlé ci-devant. Il m'en étoit toujours resté un triste souvenir juques-là, & il ne commença à se bien effacer que du jour que je fus assura que celle-ci étoit disposée à me rendre justice. Ce n'est pas que cette conquête put égaler l'autre par rapport à mon établissement, la Dame à qui j'en voulois presentement étoit mariée, & quand même elle ne l'eut pas été je n'étois pas homme à épouser une femme qui m'avoit avoué elle même une autre attache. Mais enfin comme la pensée de ma fortune ne remplissoit pas tous mes desirs, je me trouvai assez content de celle qui m'étoit arrivée, pour mettre sous le pied tout ce qui pouvoit me chagriner d'ailleurs. Quoi qu'il en soit nôtre intrigue ayant demeuré secrette, pendant quelque tems, on n'en eut jamais rien su selon toutes les apparences, si nous eussions pû nous passer des autres pour l'entretenir; mais les amans ayant cela de fâcheux pour eux qu'ils se trouvent dans la nécessité de se fier à quelqu'un, nous remîmes nos affaires entre les mains d'une Demoiselle qui nous trompa. Je m'en deffiai d'abord que la Dame me la proposa pour nôtre confidente. Je la trouvois & coquette & intéressée, qualitez toutes opposées à celles que l'on doit desirer dans une personne telle que nous la cherchions; mais la Dame m'ayant dit qu'elle la connoissoit mieux que moi, & qu'elle avoit eu le tems de reconnoître sa discrétion, depuis dix ans qu'elle étoit à elle, je fus contraint de la croire au préjudice de ce que le coeur m'en disoit. Cependant ce ne fut pas à cause de la coqueterie qu'elle lui manqua de fidelité, mais parce que la femme du partisan qui faisoit gloire & même qui avoit juré de lui enlever tous ses amans, trouva moyen de la gagner. Ces deux Dames étoient devenuës jalouses l'une de l'autre dans un couvent où elle s'étoient trouvées toutes deux avant que d'être mariées, & comme elles ne manquoient pas de bonne opinion d'elles mêmes elles avoient eu souvent querelle ensemble, tantôt fut un sujet & tantôt sur un autre. Le Marquis de Villars Orondate, étant devenu amoureux au sortir de la femme du partisan qui venoit d'être mariée, l'autre n'avoit point été fâchée de le lui enlever, soit que cette conquête lui parut digne d'elle, ou qu'elle ne le fit que pour la faire enrager. Elle en avoit effectivement pensé mourir de regret, mais enfin comme on se console de tout avec le tems, elle avoit à la fin oublié cet affront. Elle s'en étoit même consolée d'autant plutôt, que Villars qui voloit de belle en belle, comme les abeilles font d'une fleur à l'autre, avoit quitté sa rivale, pour se donner à une personne de grande condition. Le Mousquetaire avoit pris ensuite la place de Villars, ce que la femme du partisan ayant sû elle l'avoit débauché avec son argent. Or croiant que ce qu'elle avoit fait avec lui elle le feroit de même avec moi, elle m'écrivit une Lettre dont je trouvai le stile si plaisant que je ne crois pas l'oublier de ma vie. Au reste comme je suis persuadé qu'il paroîtra toûjours tel à tous les gens de bon goût je veux bien rapporter ici cette lettre tout au long, afin que l'on me dise si j'ay raison ou si je ne l'ai pas. Voici ce qu'elle contenoit. _Je suis assez bien faite pour croire que quand on vient à me voir, on peut devenir amoureux de moi sans que j'aye besoin de faire un pacte pour y réussir. Mais quand je presumerois trop à mon avantage, que d'avoir cette pensée, je vous apprends que mon mari à un coffre fort, bien garni où je mets la main quand il me plaît. J'en ai la clef pour y fouiller à toute heure, & c'est le premier present que je fais à ceux que je trouve dignes de mon estime. Comme vous en êtes du nombre, ou plûtôt, que vous êtes le seul qui avez trouvé le secret de me paroître aimable, voyez à quelle fortune vous êtes appellé si vous ne vous en montrez indigne, en vous piquant mal à propos d'une sotte constance. Je sais que vous aimez Mademoiselle de... mais enfin quelque aimable qu'elle puisse être, elle ne le sauroit être en comparaison de mon coffre, d'ailleurs si vous prenez la peine de venir demain à neuf heures à la Merci, regardez bien une Dame qui tiendra un petit chien noir & blanc entre les mains, & vous conviendrez peut-être que quand je vous proposerois de vous aimer but à but vous auriez encore tout sujet de vous louer de vôtre bonne fortune_. Je fus bien étonné quand je reçûs cette lettre, & comme je ne connoissois point l'écriture de la Dame, je crus pour en dire la vérité qu'elle m'étoit supposée par l'autre, qui, parce qu'elle étoit extrémement jalouse de son naturel, me paroissoit la personne du monde la plus capable de me faire une telle piece. Cette pensée me fit résoudre de lui en faire un sacrifice, quoi que je me representasse quelquefois que cela n'étoit pas bien, & que si on venoit à le savoir parmi les honnêtes gens, il étoit impossible que je n'en fusse blamé, supposé toutefois que cette lettre ne vint pas d'elle. Cependant quelque reflexion que j'y fisse, je ne laissai pas de succomber à la tentation; la crainte que j'eus que ma pensée ne fut veritable l'emporta sur tout le reste. La Dame fut ravie que je lui donnasse cette marque de mon attachement, & se trouvant au rendez-vous au lieu de moi, elle y insulta l'autre d'une si étrange maniere qu'elle ne put douter qu'elle ne fut sacrifiée. Ce n'est pas qu'elle lui dit rien à elle même, elles ne se parloient pas, & si elles l'eussent fait dans les sentimens qu'elles avoient l'une pour l'autre, je suis persuadé que c'eut été une conversation bien picquante. Mais n'ayant cessé de la regarder avec des yeux pleins de mépris, ses yeux lui en dirent tout autant qu'eut pû faire sa langue. D'ailleurs comme je ne parus point à ce rendez-vous, & que la femme du partisan savoit d'original que la lettre m'avoit été rendue en main propre, la chose étoit si claire d'elle même qu'elle eut été la premiere à vouloir s'abuser que de la rovoquer en doute. Son dépit fut extréme à cette vûë, & son ressentiment ne l'étant pas moins, il est aisé de juger que la messe qu'elle entendit fut une messe bien mal entenduë, & qu'elle eut bien mieux fait de n'y point aller. Pour surcroit de peine elle se trouva au benitier avec ma nouvelle Maitresse, & celle-ci lui dit d'un ton railleur, afin qu'elle ne put douter qu'elle n'eut connoissance de ce qui se passoit, que si elle avoit amené sa chienne avec elle pour lui faire trouver un petit mari, elle n'avoit perdu que ses peines; que le mari qu'elle lui destinoit ne la trouvoit pas assez belle, pour daigner seulement la considerer, & que c'est ce qu'elle avoit reconnu de la maniere qu'il l'avoit regardée. La pauvre femme fut interdite à ces paroles, quoi qu'elle eut d'ordinaire la langue assez bien penduë, & que sa coutume ne fut pas de manquer par là. D'ailleurs comme elles étoient dans un lieu qui demandoit du respect, & où d'un autre côté, elles ne pouvoient s'écarter d'avantage sans faire préjudice à elles mêmes également, la chose en demeura là & ne passa pas plus avant. Chacune remonta dans son carosse, mais avec des mouvemens si differens, qu'il est impossible de le dire. L'offensée ne roula dans sa tête que des sentimens de vengeance, pendant que l'autre s'applaudit de lui avoir donné une si grande mortification. Je fus voir celle-ci le jour même, & m'ayant dit ce qu'elle avoit fait, je l'en blamai fortement. Je lui dis qu'elle n'avoit gueres fait de reflexion à ce qui en pouvoit arriver, qu'elle devoit se contenter de ce que j'avois manqué au rendez-vous, & que de rendre la victoire plus éclatante c'était ne pas prendre garde qu'elle s'exposoit par-là aux mêmes inconveniens qui arrivent quelque fois à la guerre, où à force d'en vouloir trop faire, on ne fait souvent que détruire ce qu'on avoit fait. La Dame n'étoit pas la personne du monde du plus grand jugement, elle avoit beaucoup plus de beauté que d'esprit; ainsi mes remontrances ne firent aucun effet auprès d'elle, outre qu'elles venoient un peu tard, pour qu'elle en put proffiter. Je ne me trouvai par malheur que trop bon prophête dans ce que je lui avois prédit. Son ennemie voyant l'affront qu'elle lui avoit fait, resolut d'en tirer vengeance, & quoi que de la maniere qu'elle méditoit de s'y prendre, elle dût retomber sur elle, sa passion fut si grande qu'elle ne se soucia pas de tout ce qui lui en pouvoit arriver, pourveu qu'elle put se satisfaire. Ma Maitresse avoit un mari qui n'étoit ni beau ni bien fait, aussi ne l'avoit-elle pris que parceque ses parens le lui avoient fait prendre de force; son bien lui avoit tenu lieu de merite; & comme il est rare que ces sortes de mariages réussissent, principalement quand il y a un peu de penchant à la galanterie du côté de la Dame, il en étoit arrivé que le Mousquetaire dont j'ai parlé tantôt n'étoit peut-être pas le second des amans de celle-ci, & par consequent Villars Orondate le premier. Je n'étois peut-être pas aussi le troisiéme. Quoi qu'il en soit, bien que ce mari n'eut aucune des qualitez qui rendent un homme aimable à une Dame, la femme du partisan ne laissa pas de vouloir faire connoissance avec lui, aux dépends de son honneur. Elle crut que quand ils seroient bien ensemble, il lui seroit plus facile de le porter à tout ce qu'elle voudroit, qu'ainsi sa vengeance en deviendroit plus assurée, & contre sa femme & contre moi, moi qu'elle croioit devoir haïr autant qu'elle, après le tour que je lui avois joué. Si le Mari eut été bien sage, il eut pû reconnoître facilement que cette Dame avoit quelque dessein caché dans les avances qu'elle lui faisoit. Comme il n'étoit pas accoutumé non-seulement qu'on lui en fit, mais encore qu'on voulut écouter les siennes, tout lui devoit être suspect: mais comme quelque lieu que l'on ait de se plaindre de la nature, il est rare qu'on se rende justice, il se rendit tellement aveugle sur soi-même, qu'il crut valoir la fortune qui s'offroit à lui. Il en profita comme si elle lui eut été duë, & la Dame ne voulant point précipiter sa vengeance, de peur de la manquer, le traita pendant quelque tems comme un favori, sans lui parler de rien, elle crut qu'elle se l'attacheroit davantage par-là, & qu'elle en joueroit à coup seur. Je ne fus pas long-tems sans m'appercevoir de leur commerce, & je ne m'en apperçûs pas plûtôt que je devinai bien l'orage qui se preparoit contre ma maîtresse & moi. Je l'en avertis, afin qu'elle ne se laissât pas surprendre, & que nous prissions de bonne heure toutes les mesures que la prudence nous conseilloit; Néanmoins comme on ne sauroit jamais éviter son malheur, tout ce que nous pûmes faire fut inutile; peu s'en fallut que je ne succombasse sous les artifices de la Dame, & si je m'en sauvai ce ne fut que par miracle. Pour ce qui est de ma maîtresse elle ne fut pas si heureuse, & il lui en coûta sa liberté. Cependant les mesures que la Dame vouloit prendre pour assurer sa vengeance, ayant fait trainer les choses pendant quelque tems, la Campagne commença, & je la fis encore comme j'avois fait l'autre, quoi que ce ne fut pas à moi à la faire. En effet comme on n'envoyoit tous les ans qu'un detachement des Mousquetaires à l'armée, ce n'étoit pas la coutume, que ceux qui y avoient été une Campagne y fussent encore l'autre; chacun y devoit aller à son tour, & cela se pratiquoit tous les ans. Mais l'envie que j'avois de m'éloigner de Paris pour éviter ce que je prevoyois, l'ayant emporté sur tout ce qui m'y pouvoit retenir, je briguai auprès de Mr. de Treville d'y aller à la place d'un de mes Camarades qui étoit malade. Il eut bien de la peine à me l'accorder, de peur de mettre sa compagnie sur le pied de ne pas servir, quand c'étoit le tour de quelqu'un à le faire; mais Mr. des Essarts qui commençoit à devenir jaloux des assiduités que je rendois à sa parente étant intervenu pour moi, auprès de lui, sans que je l'en priasse, je pris encore le chemin de Flandres où l'on jettoit cette année là une plus grosse Armée, que l'on n'avoit de coutume. Le Duc d'Anguien s'étoit raccommodé avec le Duc d'Orleans, & lui avoit fait excuse de ce qui s'étoit passé. Ainsi ils paroissoient les meilleurs amis du monde, quoi que dans le fonds il y eut de la jalousie de part & d'autre. Le Duc d'Orleans ne voyoit qu'à regret que la reputation de ce jeune Prince offusquât la sienne, & le Duc d'Anguien de son côté n'étoit pas trop content que le rang que l'autre tenoit au dessus de lui, l'obligeât à lui rendre des defferences auxquelles son esprit avoit peine à s'accoutumer. Comme il étoit hautain naturellement & disposé à croire que toutes choses devoient se régler par le merite, il présumoit tout du sien, pendant qu'il ne rendoit pas toûjours justice aux autres. Ceux qui approchoient de plus près de sa personne l'entretenoient encore dans cette humeur; tellement que n'en étant que plus suspect par-là au Duc d'Orleans, il obtint de la Cour que ce Jeune Prince serviroit sous lui, afin de lui donner quelque mortification. Le Duc d'Anguien en eut beaucoup effectivement, quand il sût la destinée qu'on lui préparoit, & ne l'ayant pû éviter, quoiqu'il y employât tout son credit, & celui de son pere, ces deux Princes prirent le chemin de Flandres pour y aller servir l'un de Général & l'autre de Lieutenant-Général. Ils y trouverent de la besogne; les ennemis y avoient repris Mardik, & comme ils voyoient bien que nous en voulions à Dunquerke, ils avoient crû ne pouvoir mieux empêcher la prise de cette place qu'en reprenant celle-là. Le Cardinal qui songeoit à faire sa bourse préférablement à tout le reste, mais qui pour amuser les François faisoit semblant d'avoir les plus beaux desseins du monde, s'avisa pendant qu'on méditoit de grandes choses de ce côté-là d'entreprendre la Conquête d'Orbitelle. Cette place qui est en Italie ne nous accommodoit nullement. Quoi qu'il en soit l'entreprise ne réüssit pas, & comme on commençoit déja à n'être pas trop content de lui, ce fut un nouveau sujet de lui vouloir encore du mal. Ses ennemis publierent qu'il ne s'y étoit porté, que par ses intérêts particuliers; que sans cela il n'eut jamais rien entrepris si loin, puis qu'il étoit tout visible que nous n'avions que faire de Conquêtes en ce païs-là, pendant que nous en avions à nôtre porte qui nous accommodoient bien davantage. Pour faire cesser ces bruits qui nuisoient à sa réputation & pour faire parler plus avantageusement de lui, il mena le Roi sur la Frontiere de Flandres. Il avoit ôté les femmes à ce jeune Prince entre les mains de qui il avoit été jusques-là: il lui avoit donné à la place le Marquis de Villeroy en qualité de Gouverneur. Ce choix avoit fait bien des jaloux à la Cour, parce que ce Marquis n'étoit pas des plus anciennes Noblesses de France; Mais comme c'étoit un homme tout devoué à la faveur, & qui faisoit profession de faire tout ce que vouloient les Ministres, son Eminence avoit crû le devoir preferer à tous les autres, parce qu'il étoit bien plus soeur d'en être le maître que de quantité d'autres qu'il y avoit. Au reste pour le rendre plus digne d'un si grand honneur, il avoit été envoyé peu de tems auparavant commander devant la Motthe, Chateau scitué en Lorraine, qu'un certain Gouverneur avoit promis de deffendre jusques au dernier soupir. Il s'y étoit renfermé avec un tas de braves gens, mais grands voleurs, & qui desoloient tout le païs à plus de vingt lieuës à la ronde. Ils y avoient déja fait perir un Italien nommé Magalotti parent du Cardinal que son Eminence y avoit envoyé pour le rendre digne du bâton de Marêchal de France qu'elle lui preparoit, s'il eut pû survivre à cette Conquête. Ce fut dans le même dessein qu'elle y envoya aussi le Marquis de Villeroy, afin que non-seulement il en fut plus soumis à ses volontez, par ce bien-fait, mais encore qu'on eut moins de jalousie, quand on le verroit revêtu de cette dignité. Il savoit que l'honneur qu'on lui auroit fait de l'appeller au Gouvernement de la personne de Sa Majesté feroit parler bien du monde, & que le petit fils d'un homme qui avoue dans ses memoires que son fils n'étoit pas d'assez grande qualité pour aller en Ambassade à Rome, ne le paroîtroit pas non plus pour occuper un poste comme celui-là. Mais il en arriva tout autrement qu'il ne pensoit. Comme on ne sauroit plaire à tout le monde, les ennemis que pouvoit avoir ce nouveau Marêchal trouverent qu'il meritoit l'un tout aussi peu que l'autre. Il les laissa dire, & le Cardinal s'étant arrêté à Amiens avec le Roi, il donna ordre au Marêchal de la Meilleraie d'aller reparer l'affront que les troupes du Roi avoient reçû devant Orbitelle, par la prise de Portolongone, & de Piombine. Il avoit dessein, à ce qu'on l'accusa depuis, de se former une Souveraineté de ce côté-là, afin que, si comme il avoit sujet de le craindre, le nombre de ses ennemis venoit à croitre en France, il s'y put sauver & se consoler de sa mauvaise fortune. J'avois suivi le Roi à Amiens, d'où je n'étois pas encore parti pour me rendre à l'Armée du Duc d'Orleans, ou je devois aller servir, quand son Eminence demanda à Mr. de Treville de lui donner deux Mousquetaires qui fussent Gentilshommes, & qui n'eussent que la cape & l'épée, afin qu'ils lui eussent l'obligation de leur fortune. Mr de Treville qui avoit toûjours de la bonté pour moi, me choisit sans hesiter pour me presenter à lui, & étant un peu plus retenu sur le choix de l'autre, il tomba à la fin sur Besmaux qui étoit entré quelque tems après moi dans les Mousquetaires. Nous crûmes tous deux nôtre fortune faite quand nous nous vîmes ainsi appellez si heureusement auprès du Ministre. Chacun qui eut été à nôtre place l'eut crû aussi-bien que nous, mais comme il y avoit bien à dire qu'il fut aussi-bien faisant que l'avoit été le Cardinal de Richelieu, nous languîmes long-tems devant que de voir réüssir nos esperances. Bien loin de nous faire le bien que nous prétendions, tout ce que la nouvelle qualité que nous eumes de ses Gentilshommes nous procura fut qu'il nous employa à des courses pour récompense desquelles il nous fit donner des ordonnances tantôt de cinq cent écus tantôt de cent pistoles & tantôt de moins. Or comme il y en faloit depenser une bonne partie, ce qui nous en restoit étoit si peu de chose, que nous sentions toûjours ce que nous étions. Je veux dire par-là que si nous avions des bas non n'avions pas de souliers, principalement Besmaux qui n'avoit pas trouvé la même ressource que moi dans le jeu, & qui ne m'avoit pas encore rendu l'argent que je lui avois prêté. Cependant je devins bien-tôt tout aussi miserable que lui, la fortune me tourna le dos tout d'un coup, & je commençai à perdre tout ce que j'avois, ainsi comme je me voyois déchu de mes prétentions par l'avarice de mon nouveau maître, il arriva que lors que je croyois devoir être le mieux, ce fut justement lors que je me trouvai le plus mal. Je fus bien-tôt denué de toutes choses par les pertes que j'entassai les unes sur les autres, & comme un joueur tel que je l'étois devenu par accident, quoi que je ne l'eusse jamais été d'inclination, croit toûjours reparer les brêches qu'il a faites, je m'enfoncai d'autant plus dans le bourbier, que je fis plus d'effort pour en sortir. Cela me rendit sage à la fin, & considerant que Dieu m'ayant suscité ce secours dans le temps que je n'avois rien, il lui plaisoit de me le refuser maintenant que je devois avoir quelque ressource, je fis dessein de ne plus jouer du tout. Ainsi quoi que l'on dise ordinairement que qui a joué jouera, & que l'on croye ce Proverbe infaillible, je fis voir bientôt par ma conduite qu'il n'y a point de regle sans exception. S'il m'arriva de jouer d'avantage ce ne fut rien en comparaison de ce que j'avois joué auparavant, & ayant gagné cela sur moi que de me rendre maître de ma conduite, la fortune fut obligée malgré elle de me donner du relâche de ce côté là. Elle me suscita cependant un autre malheur qui me fut bien aussi sensible; quoi qu'il ne me jettât pas dans la nécessité. La Dame que j'avois avertie de sa beveuë l'ayant été trop tard pour en faire son profit, l'autre avertit son mari de nôtre Commerce quelque tems après que je fus parti de Paris. Il fut sensible à cet affront, comme chacun à coutume de l'être dans une pareille rencontre. Il y prit donc feu tout aussi-tôt, & n'ayant point douté de la chose aux preuves qu'elle tâchoit de lui en donner, il résolut de s'en venger ou d'en mourir en la peine. Par malheur pour nous il surprit encore deux lettres que nous nous écrivions, tellement que perdant patience après cela, il envoya à Amiens un homme pour m'assassiner. Il y arriva deux jours après que j'en étois parti par l'ordre de Mr. le Cardinal, qui m'avoit envoyé vers le Marêchal du Plessis. Il étoit en Italie, & il lui ordonnoit de passer en Provence pour s'y embarquer avec le Marêchal de la Meilleraie. Ce contre-tems empêcha cet assasin de pouvoir executer son coup, & ne sachant où me prendre, parce que son Eminence tenoit mon message secret, il s'en retourna à Paris où il dit à celui qui l'avoit envoyé la raison pour laquelle il s'en revenoit sans rien faire. Mon jaloux écrivit à la Cour à quelqu'un de ses amis pour savoir ce que j'étois devenu; mais nul ne lui en pouvant rien dire, il ne voulut pas faire éclater son ressentiment contre sa femme, de peur de manquer ce qu'il projettoit contre moi. Il se donna patience jusques à ce que je fusse revenu, & n'ayant gueres tardé à mon voyage, je ne fus pas plûtôt de retour à Amiens qu'il en fut averti par ceux à qui il avoit écrit. Il y depêcha en même tems le même homme qui m'y avoit déja manqué, & celui-ci m'y ayant encore manqué cette fois là, parce que son Eminence ne me vit pas plûtôt de retour qu'il me renvoya devant Courtray pour porter quelques ordres au Duc d'Orleans, il me suivit devant cette place, parce qu'il savoit bien que j'y étois allé. Le Comte Delpont, Savoyard de Nation, y commandoit, & comme c'étoit un homme intelligent dans l'attaque & dans la deffense des places, il avoit demandé à cor & à cri au Gouverneur des Païs-Bas, de lui envoyer des munitions de guerre & de bouche dont il manquoit. Ce Gouverneur qui ne croyoit pas qu'on dût attaquer cette place, parce qu'elle étoit bien avant dans le païs, prit ses précautions pour des allarmes, & lui ayant fait réponse de ne se point inquieter, & qu'on ne songeoit point à lui, Delpont n'en fut point content, & lui recrivit, que quoi qu'il déferat toutes choses à ses conseils, & qu'il reverât ses ordres, il lui permettroit de lui dire ou qu'il étoit mal servi par ses espions, ou qu'il ne prenoit pas garde aux mouvemens de ses ennemis; qu'il étoit aisé de connoître leur dessein par leurs demarches, & qu'il faloit qu'il eut bien perdu son tems à la guerre, s'il s'abusoit dans la pensée qu'il avoit que sa place seroit attaquée avant qu'il fut peu. Comme il suffit d'avoir du merite pour se faire des ennemis & des jaloux, Delpont qui en avoit auprès du Gouverneur ne manqua pas d'y être raillé, comme un homme susceptible de terreur panique. Quelqu'un de ses amis le lui ayant mandé, & qu'on le faisoit passer pour un visionnaire, il se contenta de recrire encore une fois à ce Gouverneur, afin qu'il ne put lui imputer d'avoir manqué à son devoir pour écouter un peu trop son ressentiment; mais sa lettre ayant été tout aussi mal reçûë que l'avoit été la premiere, il s'en tint là, & ne dit plus rien, il fut assiegé cependant, & l'experience ayant fait voir à ses ennemis qu'il en savoit plus qu'eux tous, ils furent bien confus d'avoir tant parlé mal à propos. Comme il n'y a rien capable d'abatre un brave homme, le mauvais état de cette place ne fit point perdre courage à celui ci. Il donna le tems au Général de l'Armée d'Espagne de se preparer à le secourir, & ce général s'étant aproché de nos lignes les reconnut, & fit tout ce que l'on fait ordinairement quand on a dessein de ne pas laisser prendre une place sans coup ferir. Les choses étoient en cet état quand j'arrivai à nôtre camp, & le Cardinal ne m'ayant point recommandé de faire diligence, je crus que j'aurois mauvaise grace de revenir si-tôt auprès de lui, maintenant que l'on étoit à la veille d'une bataille. Je me mêlai même avec quelques volontaires qui demanderent permission au Duc d'Orleans d'aller reconnoître les ennemis. Par ce moien nous les attirâmes hors de leur Camp en les provoquant de venir faire le coup de pistolet. Nous nous engageâmes ainsi dans une espece de combat, qui eut été plus loin que nôtre Général n'eut voulu s'il n'eut pris soin de retenir nôtre ardeur. Comme c'étoit à lui à attendre qu'on le vint attaquer, il fit sonner la retraitte, en quoi il se montra beaucoup plus sage que nous. Nous nous retirâmes suivant ses ordres, & ayant été fort exact après cela à ne pas permettre que ni volontaire ni autres fissent une semblable chose que celle que nous venions de faire, nous les attendîmes de pied ferme, quand ils voudroient venir à nous. Leur Général n'osa l'entreprendre, tant qu'il demeura maître de sa raison; mais l'ayant perduë dans une débauche qu'il fit avec ses principaux Officiers, parmi lesquels il y avoit quelques Allemans, qui ne voyoient rien au dessus de leur courage quand ils avoient une fois quatre verres de vin dans la tête plus qu'il ne falloit, il permit qu'ils vinssent nous attaquer lors que nous n'y pensions presque plus. Il parut bien du côté qu'ils firent éclater cette entreprise qu'ils y faisoient entrer plus de chaleur que raisonnement; car ils vinrent droit au quartier du Marêchal de Gassion, qui étoit un homme aussi vigilant qu'il savoit bien se deffendre. Encore passe s'ils fussent venus à celui du Marêchal de Rantzau, qui avoit cela de commun avec eux qu'à quelque heure qu'on le put prendre on ne le trouvoit guéres à jeun. Ils eussent pû esperer du moins qu'étant but à but de ce côté-là, il n'y eut plus eu que la fortune qui eut decidé du reste; mais en s'addressant à Gassion, ils trouverent un homme qui ne pouvoit jamais être surpris, & qui les repoussa aussi de telle sorte, que tout hardis que le vin les rendoit, ils ne tarderent gueres à prendre la fuite. Ayant si mal réüssi dans leur entreprise, ils en firent une autre du côté du Marêchal de Rantzau, qui parut toute aussi éloignée de la raison que l'avoit été celle-là. Comme il avoit fortifié son quartier par des redoutes qu'il avoit élevées de distance en distance, ils furent à lui par tranchées. C'étoit le moyen justement de le faire precautionner, & de l'empêcher de boire. Mais soit qu'ils eussent oui dire, comme il étoit vrai, que quand il avoit bu, il n'en frapoit que mieux, pourvû qu'il n'eut pas bu par excès, ou qu'ils crussent qu'ils viendroient à bout de leur dessein plus facilement par-là, que par tout le reste, ils employerent beaucoup de tems à cette tranchée sans en receuillir aucun fruit. Rantzau dont on renforça le quartier, fit de frequentes sorties sur eux, & si les assiegez en eussent fait autant sur nous & avec autant de succès, ils eussent éloigné la perte de leur place beaucoup mieux que par tout ce qu'ils firent. Mais le peu de monde qu'avoit le Comte Delpont le mettant hors d'état de rien entreprendre, il fut obligé de se contenter de se deffendre selon ses forces & d'être spectateur de ce qui se passoit au quartier Rantzau. Il n'en espera neanmoins rien de bon, voiant que dans toutes les sorties que ce Marêchal faisoit il étoit bien rare qu'il n'y eut de l'avantage. Il jugea que c'étoit un prejugé de ce qui devoit arriver, & ne se trompa pas: ils furent obligez d'abandonner leur dessein, après l'avoir poursuivi pendant quelque tems. Le Duc d'Orleans proffita de la consternation que cela devoit jetter dans l'esprit des assiegez. Il les fit sommer de se rendre; mais le Gouverneur dont le courage ne s'affoiblissoit point au milieu des malheureux évenemens qui arrivoient à son parti, ne croyant pas qu'il y eut de l'honneur à lui à la faire, tant qu'il verroit une armée préte à le secourir, il attendit qu'elle se fut retirée pour entendre à une capitulation; mais il ne l'eut pas plutôt perdu ce vûë, qu'il crut à propos de ne pas attendre davantage & se rendit. Deux jours devant que cela arivat l'homme qui avoit été envoyé pour m'assassiner, & qui sans que je m'en apperçusse me suivoit à vue depuis qu'il m'avoit trouvé, etant venu à la tranchée ou j'étois, receut un coup ce Mousquet, lorsqu'il ne cherchoit que l'occasion de faire le sien. Le coup étoit mortel, & lui ayant été annoncé qu'il faloit se preparer à la mort, il demanda à me parler, & m'avoua en secret à quel dessein & de quelle part il étoit venu là. Il me dit en même tems de prendre garde à moi, parce que celui qui l'avoit envoyé étoit si rempli de ressentiment qu'il avoit bien la mine de n'en pas demeurer là. Je profitai de l'avis, & me tins sur mes gardes. Cependant croyant être obligé d'en avertir la Dame qui étoit cause de tout ce fracas, afin qu'elle prit ses precautions aussi-bien que moi, je lui envoyai une lettre par mon valet de chambre, que je depêchois à Paris pour quelque argent, que j'y avois prêté lors que j'avois gagné les neuf cent pistoles, dont j'ai parlé tantôt. Il la lui rendit en main propre, & sans que son Mari en eut connoissance, parce que je lui avois dit avant que de le faire partir, comment il s'y prendroit pour cela. Elle fut bien surprise quand elle vit ce qu'elle contenoit, & se doutant bien que s'il en venoit là contre moi, il y avoit bien de l'apparence qu'il ne la ménageroit pas davantage, elle resolut de la prevenir. Elle gaigna un Apotiquaire qui moyennant cinquante pistoles lui donna une dose de poison; elle le lui fit prendre adroitement, & comme ce poison ne devoit faire son effet que peu à peu, son mari qui avoit d'étranges desseins contr'elle & contre moi eut le tems de songer à sa vengeance. Il chercha un autre assassin pour m'envoyer en l'autre monde, pendant que ne se pouvant resoudre à la traiter si cruellement: après l'amitié qu'il avoit eu pour elle, il fit dessein de l'envoyer en Religion. Comme il étoit prudent il fut quelque tems devant que de fixer son choix sur l'homme qu'il cherchoit à mon égard. Pour ce qui est d'elle comme il croyoit pareillement que le moins d'éclat qu'il pouroit faire ne seroit que le mieux, il l'envoya chez son pere, qu'elle avoit encore, & qui étoit un Gentilhomme de distinction de la Province de Normandie. Il feignit d'avoir reçû des lettres de ce païs-là, qui lui aprenoient qu'il se portoit mal; il lui dit qu'il etoit necessaire qu'elle y fut faire un tour, afin que s'il venoit à mourir elle eut l'oeil qu'une autre fille qu'il avoit pour tous enfans, & qui etoit mariée à un homme de qualité de la Province ne mit pas la main, à son préjudice, à sa succession. La Dame le crut de bonne foi, & comme elle ne l'aimoit pas trop, & que quand on a de tels sentimens pour un mari, on ne demande pas mieux que d'en être éloignée, elle partit non-seulement sans répugnance; mais encore avec beaucoup de joye. Elle crut que tant qu'elle seroit chez son Pere, ou chez ses Parens, elle n'avoit rien à en craindre; mais en y arrivant elle y trouva un grand sujet de mortification, au lieu d'y voir son pere ou mort ou moribond comme elle s'y attendoit, elle le vit se portant bien, & n'ayant nulle envie de mourir. Elle en eut eu sans doute beaucoup de joye, si ce n'est qu'elle reconnut à son abord, qu'il n'étoit pas tout à fait bien intentionné pour elle. Il lui sembla même qu'il la menaçoit déja par ses regards, en quoi elle ne se trompoit pas trop. Il avoit reçû une lettre de son mari, par laquelle après l'avoir averti de sa petite vie, il la finissoit en le priant de l'en deffaire tout au plûtôt, de peur de succomber à la tentation qu'il avoit quelquefois de lui faire un méchant parti. Le bon homme qui entendoit à demi mot, lui eut bien caché son chagrin, s'il eut été aussi dissimulé que le sont d'ordinaire les gens de sa nation; mais ayant cela de particulier en lui qu'il ne leur ressembloit pas à cet égard, il ne lui fit pas non-seulement mauvaise mine, mais il lui en dit encore le sujet. La Dame fut bien surprise à ces reproches. Cependant ne sachant que lui dire pour s'excuser, parce que son mari en lui écrivant lui avoit aussi envoyé les deux lettres qu'il avoit interceptées, elle baissa les yeux qu'elle n'eut pas levez si-tôt de terre, si ce n'est que ce Gentilhomme après avoir paru assez moderé dans son ressentiment, s'emporta de telle sorte qu'elle eut peur qu'il n'en vint à d'étranges extremitez. Ainsi croyant que quelque méchante excuse qu'elle lui put donner, elle vaudroit toûjours mieux que rien, elle lui répondit que s'il vouloit se donner la patience de l'entendre, peut-être ne la trouveroit-il pas si coupable qu'il pretendoit: qu'il se devoit souvenir que quand il l'avoit mariée à son mari c'avoit été contre son gré, qu'elle l'avoit conjuré de lui en donner un autre, parce qu'elle sentoit bien qu'elle ne le pouroit jamais aimer; qu'il n'en avoit voulu rien faire, ce qui l'avoit obligée de recourir aux larmes; mais que ses larmes n'ayant non plus operé que ses prieres, elle étoit ainsi passé dans la maison d'un homme encore plus desagréable par son humeur que par sa mine, quoi qu'elle ne fut pas fort ragoutante pour une femme; que pour peu de delicatesse qu'elle put avoir, cela suffisoit tout seul pour rebutter la plus vertueuse; qu'elle n'avoit pû par ce moyen lui faire toutes les caresses qu'elle eut faites à un autre; qu'il n'avoit pas été trop content; que cependant tout cela se seroit peut-être raccommodé, s'il n'eut sçû je ne sais comment les sentimens qu'elle avoit pour lui, dès qu'elle étoit fille; qu'il en avoit été au desespoir, & que comme il n'étoit pas naturellement trop raisonnable, il avoit pris sujet de là de l'accuser d'avoir quelque galant; que même il n'en étoit pas demeuré aux reproches, qu'il étoit bientôt passé aux extremitez, jusques à mettre plusieurs fois la main sur elle, qu'elle n'avoit pas voulu s'en plaindre ni à lui ni à personne, se flattant qu'à la longue il rentreroit en lui même, mais que puis que sa jalousie le menoit encore si loin que de lui supposer des amourettes, pour quelques lettres écrites innocemment, elle ne pouvoit plus s'empêcher de lui découvrir son malheur. Le bon homme qui ne croyoit pas tout ce qu'on lui disoit, & principalement quand cela venoit d'une femme contre qui les soupçons étoient aussi forts qu'ils l'étoient contr'elle, il lui répondit que si ce qu'elle disoit étoit vrai, cela rendoit sa faute plus legere, quoi que cela ne l'excusât pas entierement; qu'un mari avoit tort d'en venir jamais là, pour quelque raison que ce pût être, mais que c'étoit encore bien pis d'une femme qui pour avoir le plaisir de s'en venger se portoit aux choses dont elle étoit accusée. Elle voulut encore lui dire que ce n'étoit qu'un jaloux, & qui ne meritoit pas qu'on ajoutât foi à ses paroles: Il lui repartit qu'il desiroit pour l'amour d'elle, & pour l'amour de lui-même qu'elle dit vrai; mais que comme c'étoit une chose à éclaircir avant que de la croire il alloit toûjours la mener dans un couvent. Il commanda en même tems de mettre les chevaux au carosse, & l'ayant conduite à Roüen il l'y laissa entre les mains d'une Abbesse qui étoit de set parentes. Elle souffrit qu'on l'y menât sans se laisser faire aucune violence, parce qu'elle se flattoit que sa captivité ne seroit pas de longue durée; elle savoit qu'elle avoit mis son mari dans un état à ne pas vivre encore long-tems, ainsi elle contoit que lui mort, elle seroit sa maîtresse sans être tenuë de reconnoître la domination de personne. Quand elle fut là, elle y fit la devote, si bien que l'Abbesse s'y laissant tromper elle manda à son pere qui lui avoit fait confidence de son chagrin, afin qu'elle prit garde de plus près à sa conduite, que tout ce qu'on lui avoit dit de sa fille avoit tout l'air de medisance, qu'il n'y avoit point de personne ni plus sage ni plus modeste, & que bien loin d'en être mécontent il devoit en être satisfait au dernier point. Le pere ne l'en justifia pas davantage dans son esprit, pour avoir bonne réputation auprès d'elle. Comme il savoit, que les femmes qui veulent tromper les autres sont celles d'ordinaire qui s'efforcent le plus de paroître vertueuses, il suspendit son sentiment, jusques à ce qu'il sut faire un tour à Paris. Il étoit resolu de s'en éclaircir avec son gendre à qui il avoit mandé le lieu où il avoit mis sa femme; afin que s'il lui prenoit envie de la ravoir, il le put faire toutes fois & quantes que bon lui sembleroit. Il savoit que c'est une démangeaison qui prend souvent aux pauvres cocus, & que cocu pour cocu, ils aiment autant l'être d'une femme que d'une Maîtresse qu'ils pouroient prendre. Mais devant qu'il y put aller le boucon qu'avoit pris l'autre le faisant tomber en langueur, il n'osa lui en parler, parce que le bruit couroit dans le monde qu'il n'étoit malade que de chagrin. Il eut peur de renouveller sa playe, principalement, parce qu'il penchoit plûtôt à croire sa fille coupable qu'innocente. Le mal de ce pauvre homme augmenta cependant tous les jours, & son beau pere qui l'avoit toûjours trouvé de moment à autre en plus mauvais état, comme il étoit impossible qu'il fut autrement, après ce qu'il avoit pris, craignant que sa vûë ne lui fut desagréable partit, après lui avoir souhaité une promte guerison. Il étoit bien éloigné de l'esperrer de la maniere que les choses se passoient, ainsi se voyant decliner à chaque moment, son Confesseur lui demanda s'il ne pardonnoit pas à sa femme. Car il lui avoit dit à confesse dequoi il la soupçonnoit, & que c'étoit ce qui le faisoit mourir. Il ne lui répondit ni ouï ni non, ce qui obligeant le Confesseur de lui réiterer la même demande, jusques à quatre fois, il lui fit à ce coup-là une réponse toute pareille à celle qu'un Admiral de France fit un jour au sien sur une chose assez semblable à celle-là. Cet Admiral n'avoit qu'une fille unique à qui un Gentilhomme, qu'il avoit fait un enfant. L'engrosseur s'en étoit enfui en Angleterre après son coup, non-seulement pour éviter la bâtonnade qui ne lui pouvoit manquer après cela, mais encore la pendaison qui est inévitable dans ces sortes de rencontres, ou tout du moins d'avoir le col coupé. Aussi l'Admiral l'y avoit déjà fait condamner quand il tomba malade dangereusement. Le Confesseur ne lui cacha pas l'état où il étoit, & comme il étoit gaigné par les amis du Gentilhomme il demanda à son penitent s'il vouloit porter sa vengeance jusques en l'autre monde? que Dieu vouloit qu'il pardonnât & que s'il ne pardonnoit il ne voudroit pas être à sa place. L'Admiral lui répondit qu'il lui demandoit là une chose bien difficile, mais que puis qu'on ne pouvoit se sauver que par là, il pardonnoit à lui & à sa fille s'il venoit à mourir. Le Confesseur lui repartit que cela ne suffisoit pas, & que soit qu'il mourut ou qu'il guerit il faloit le faire; mais l'autre lui répondit que ce qui étoit dit étoit dit, & qu'il n'avoit que faire d'en attendre davantage. Il mourut effectivement sans y vouloir ni ajouter ni diminuer, & comme c'étoit assez pour procurer le repos de ces deux amans, l'engrosseur revint d'abord qu'il eut les yeux fermez, & épousa sa Maîtresse. Ils ont été la tige de quantité de cordons bleus, & d'autres personnes de grande consideration, quoi que le mari ne fut qu'un petit Gentilhomme de Provence, & même si petit, que quoi qu'il s'en trouve de si miserables en Berri qu'ils labourent eux-mêmes leur charuë, je doute fort qu'il ne le fut encore davantage, qu'ils le sauroient être. Au reste le mari de ma Maîtresse n'ayant fait à son Confesseur qu'une réponse conditionnelle ainsi que l'Admiral avoit fait au sien, il s'en alla de même en l'autre monde sans vouloir y rien changer. La Dame sortit du couvent tout aussi-tôt sans y vouloir demeurer davantage, & son Pere crut y devoir donner son consentement sans se faire tirer l'oreille, depeur qu'en resistant on ne fut persuadé dans le monde que son gendre avoit eu raison de faire ce qu'il avoit fait. Quand elle fut ainsi retournée à Paris je crus que rien ne m'empêchoit plus d'aller chez elle, & j'y fus comme de coutume. J'y fus tout aussi-bien reçû en apparence que je l'avois jamais été, mais lui ayant voulu demander les mêmes faveurs qu'elle m'avoit faites auparavant, elle me dit franchement que le tems n'en étoit plus, que si elle avoit été folle elle ne le vouloit plus être; mais que si ces faveurs m'étoient cheres, elle me les rendroit quand je voudrois, pourvû que je les voulussent meriter par un mariage. Il y en eut eu beaucoup à ma place qui l'eussent pris au mot. Jeune belle & riche comme elle étoit déja, & comme elle le devoit être encore davantage après la mort de son pere, étoit plus qu'il n'en falloit pour tenter un Gascon qui n'avoit que la cape & l'épée; mais trouvant qu'il y avoit assez de cocus, sans en augmenter encore le nombre, je demeurai si froid & si interdit à cette proposition, qu'il lui fut impossible de le méconnoître. Elle m'en fit quantité de reproches, & me dit que voila ce que c'étoit que d'obliger un ingrat. J'eus la bouche ouverte pour lui répondre que si elle n'eut jamais obligé que moi, peut-être ni eusse-je pas pris garde de si près, mais faisant reflexion que je la desobligerois plus par cette parole, que par quelque méchante excuse que je pusse trouver, je lui répondis que j'accepterois de bon coeur l'honneur qu'elle me voudroit faire si ce n'est que j'avois tant d'aversion pour le mariage, que j'avois peur de la rendre malheureuse, aussi-bien que moi. Elle entendit bien ce que cela vouloit dire, dont me sachant très mauvais gré, elle chercha un autre Marchand, puis que je ne voulois pas être le sien. Elle n'en manqua pas à Paris où les cornes ne font pas de peur à quantité de gens, pourvû qu'elles se trouvent dorées. Le Chevalier de... Cadet de bonne maison, mais qui n'avoit pour toutes choses qu'une pension assez modique que son frere ainé lui faisoit, se mit sur les rangs & l'emporta. Je ne lui enviai point sa fortune, puis qu'il n'avoit tenu qu'à moi de l'avoir, mais comme j'eusse été bien aise d'en faire ma Maîtresse, je me presentai devant elle, quand ils furent mariez pour voir si elle seroit d'humeur de me traiter comme elle avoit fait, du vivant de son premier mari. Le Chevalier dans l'esprit de qui elle ne passoit pas pour une Vestale, & qui avoit peur de sa foiblesse, crut qu'il m'en devoit parler plûtôt qu'à elle. Il me dit sans autre compliment que chacun étoit le maître chez soi, & qu'il ne trouvoit pas bon que j'y revinsse davantage. Je n'eus rien à dire à cela, & étant obligé de faire ce qu'il disoit, je me serois beaucoup ennuyé si Paris ne m'eût fourni mille autres Maîtresses qui me consolerent bien-tôt de celle là. En effet je ne fus pas long-tems sans en trouver une, non pas à la verité aussi belle qu'étoit la femme du Chevalier, mais qui en recompense étoit encore bien plus riche. Le compliment qu'elle me fit d'abord que nous fumes bons amis, fut extrémement de mon goût. Elle me dit que quand on étoit bien ensemble, il falloit que tout fut commun; qu'ainsi je pouvois mettre la main dans son Cabinet quand j'aurois besoin de quelque chose, & qu'elle n'y trouveroit jamais à redire. Son mari étoit President, & ils ne vivoient pas trop bien ensemble, sans qu'ils s'en souciassent trop ni l'un ni l'autre. C'étoit lui qui étoit cause de leur desordre. Au lieu, dans les commencemens de vivre avec elle comme il devoit, il avoit debuté d'abord par mille amourettes. Elle s'en étoit trouvée toute scandalisée, & lui en avoit dit son sentiment; mais comme il ne la vouloit pas mettre sur le pied de le controller, quand bon lui sembleroit, il lui dit qu'il ne se plaisoit nullement à ses corrections, & qu'il la prioit de s'en deffaire. Ce compliment avoit bien plus l'air d'un commandement que d'une priere, & comme un mari n'aime point que sa femme le controlle, & qu'une femme aussi n'aime point de se voir méprisée par son mari, celle-ci se trouva si outrée de sa conduite & de sa réponse, qu'elle résolut de lui ôter son coeur. Le procedé qu'il continua de tenir avec elle la convia bien-tôt à éxecuter sa résolution. Il eut toûjours un nombre infini de Maîtresses, & comme dans peu de tems l'on mange beaucoup de bien à un métier comme celui là, il n'y eut Personne qui ne conseillât à la Presidente de se faire separer de biens d'avec lui. Ses parens l'en presserent même avec beaucoup de chaleur, & comme elle ne pouvoit pas trop considerer son époux de la maniere qu'il en usoit avec elle, elle y donna les mains sans se mettre beaucoup en peine de la confusion que cela lui alloit donner dans le monde. Le President se servit de toute son authorité pour empêcher que le Châtelet n'ajugeat à sa femme ce qu'elle demandoit. Cela traina l'affaire en longueur, mais enfin comme la dissipation dont elle l'accusoit étoit manifeste, & qu'il y a des regles dans la justice que l'on ne sauroit passer, sans se rendre coupable de prevarication, ce tribunal alloit prononcer contre lui quand il s'avisa d'un tour de chicanne pour reculer sa condamnation. Il lui fit un incident sur ce que le Lieutenant civil étoit de ses parens, & l'ayant attirée par là au Conseil, il y demanda d'autres juges. Le Conseil où il avoit des amis aussi-bien que dans les autres tribunaux ne voulut pas juger l'affaire si-tôt, pour donner le tems à sa femme de se raccommoder avec lui & à leurs amis communs d'y travailler. Ce President y fit tout son possible, mais comme l'amitié qu'elle avoit euë pour lui au commencement s'étoit non-seulement évanoui, mais qu'il y avoit encore succedé beaucoup de haine, elle ne voulut jamais écouter ni aucune des propositions qu'il lui fit, ni aucune de celles qu'il fit faire par ses parens, & par ses amis. Comme il vit cela, & que quelque credit qu'il eut au Conseil il y seroit bientôt debouté de ses demandes, il lui fit une autre chicanne qui suffisoit toute seule pour la perdre dans son esprit, quand même il n'y eut pas déja été assez perdu. Il trouva deux ou trois faux témoins qui lui promirent de desposer comment ils l'avoient veuë entrer dans le carosse d'un homme, ses coeffes baissées, & comme une femme qui ne vouloit pas être connuë, pour couvrir apparement le mal qu'elle alloit faire. Ces faux temoins lui promirent aussi de dire que le Carosse avoit été ensuite du côté du Bois de Boulogne, & que s'étant arrêté dans le Village qui porte ce nom là, elle y étoit descenduë & entrée dans une Hostellerie où elle avoit demeuré deux ou trois heures tête à tête avec celui qui étoit dans le Carosse avec elle. Cette accusation étoit grave, & comme il y alloit de l'honneur & de la reputation de la Dame, elle ne servit qu'à éloigner encore son coeur de son mari. Cependant comme ce n'étoit qu'une medisance, & qu'elle en vouloit avoir reparation à quelque prix que ce fut; elle entreprit les témoins, & les convainquit de fausseté. Il se trouva par bonheur pour elle que le même jour qu'ils l'accusoient de ce rendez-vous elle avoit été enfermée toute l'après dinée dans un Couvent, ainsi toutes les religieuses deposant en sa faveur, son innocence, que son mari voulait opprimer pour se delivrer du procès qu'elle lui faisoit, fut reconnuë generalement de tout le monde. Le cours de cette affaire ayant interrompu l'autre, elle recommença à poursuivre la premiere avec toute la chaleur que demandait l'affront qu'il lui avoit voulu faire. Elle vint à bout de ce qu'elle desiroit, & le Conseil ayant debouté le President de sa requête, le Chatelet lui adjugea après cela tout ce qu'elle desiroit. Elle fut separée de biens d'avec lui: & fut toute prête en même tems de le poursuivre en separation de corps, sur ce qu'il l'avoit accusée d'adultere; mais ayant consulté cette affaire avant que de s'y engager, & les Avocats lui ayant dit qu'elle n'y réussiroit pas, parce qu'il n'avoit rien fait que sur le temoignage dont il ne s'étoit pu deffendre, elle en demeura là, quoi que dans son coeur, elle lui en voulut bien du mal. Il tâcha de l'adoucir par une conduite plus réglée que celle qu'il avoit tenuë jusques là, mais comme il ne faisoit rien que par contrainte, & que quand on est une fois debauché, on revient bientôt à son premier train de vie, il lui arriva une avanture fâcheuse, quoiqu'il crut d'abord que ce ne fut qu'une galanterie. Il avoit une belle maison à quatre lieuës de Paris, où il alloit souvent s'en donner à coeur joye avec ses Maîtresses. Or sa femme se trouvant incommodée pendant quelques jours, il s'y en fut tout seul & y donna rendez-vous à une de ses amies. Il l'y garda pendant deux ou trois jours, & s'y étant bien diverti avec elle il la renvoya à la Ville, pendant qu'il y demeura encore le reste la semaine avec elle. Le voisinage de Paris lui ayant attiré bonne Compagnie pendant qu'il étoit là, il y vint un de ses amis avec une Dame qu'il lui fit passer pour une de ses cousines germaines. Il lui dit qu'elle étoit mariée à un Gentilhomme de distinction de la Province de Bourgogne, & qu'un procès qu'elle avoit au Parlement l'avoit attirée à Paris. Il en avoit une effectivement qui étoit mariée en ce Pays-là, & qui y demeuroit actuellement, mais elle étoit bien éloignée de ressembler à celle-ci. Celle-ci étoit aussi peu cruelle que l'autre étoit sage: & ils avoient choisi son ami & elle la maison du President pour y venir passer quelques jours ensemble, croyant tous deux qu'il n'étoit pas homme à prendre garde de si près à leurs affaires, & que quand même il y prendrait garde, il n'étoit pas assez ennemi de nature pour se scandaliser de ce qu'ils auroient fait servir sa maison à leurs plaisirs. En effet il n'étoit pas grand formaliste là dessus. Cependant s'étant douté qu'ils étoient bien ensemble, quoi qu'ils lui en fissent mistere, il resolut de le découvrir de lui même sans qu'il lui fut besoin de leur donner la question. Pour cet effet il les mit coucher dans deux chambres qui étoient l'une auprès de l'autre, & qui avoient communication ensemble. Il donna un lit d'ange à la Dame, qui au lieu d'être sur une couche ordinaire, étoit au milieu de la chambre suspendu par quatre coings. Il contoit que s'ils étoient bien ensemble l'homme viendroit l'y trouver, & il batissoit là-dessus un dessein qui devoit servir à l'eclaircissement de ce qu'il cherchoit. Au reste après leur avoir fait fort bonne chere, l'heure de se coucher étant venue, il les fit passer tous deux chacun dans leur appartement. Ils furent ravis quand ils virent qu'ils étoient si près l'un de l'autre, & sur tout quand après avoir regardé la porte de communication qui y étoit, ils reconnurent que rien ne les empêcheroit de se visiter. L'homme fut trouver la Dame comme le Président s'y étoit bien attendu, & s'étant mis avec elle dans le lit, qui étoit en l'air, & qui ressembloit plûtôt à une branloire qu'à un veritable lit, le President ne les crut pas plûtôt endormis, qu'ils furent guindés au haut de la chambre par le moien des cordons qui étoient dans des poulies attachées aux quatre coins. Ils étoient si fatiguez soit du voiage qu'ils avoient fait de Paris à cette maison, soit d'autre chose, qui ne se dit point, mais qui se devine aisément, qu'ils ne se sentirent point enlever. Ils se trouverent ainsi le lendemain matin bien étonnés quand ils se virent tout au haut de la chambre. Elle avoit pour le moins quinze pieds d'élevation, & ne pouvant sauter du haut en bas sans courre risque de se rompre ou un bras ou une jambe, leur état leur parut tout aussi triste que celui d'un homme qui se voit pris dans un piege, lors qu'il y pense le moins. Ils demeurerent là jusques à midi que le President jugea à propos de les aller relever de sentinelle. Il fit le surpris quand il les vit couchez ensemble, & guindez si haut; mais enfin ayant converti bien-tôt son feint étonnement en raillerie, il leur dit qu'il se fussent épargnez cette confusion, s'ils eussent voulu: qu'ils n'avoient qu'à lui avouer leur intrigue, & que comme il n'étoit pas scrupuleux, il se fut fait un plaisir de leur rendre service. Il goguenarda beaucoup après cela, & bien que la Dame ne fut pas sans confusion non plus que son ami, ils feignirent d'entendre le mot pour rire; parce qu'ils ne pouvoient rien faire de mieux. Cependant un secret sentiment leur en demeurant gravé dans le coeur, ils ne furent pas plûtôt de retour à Paris que l'homme resolut d'en prendre vengeance. Il rumina bien comment il s'y devoit prendre pour l'assurer, & comme il ne voioit rien qui lui promit un succès plus favorable qu'une pensée qui lui venoit, voici ce qu'il fit incontinent pour la mettre à execution. Comme il se doutoit qu'en apostant quelque jolie fille à ce magistrat, il donneroit tête baissée dans le panneau, il en choisit une qui étoit toute aussi gâtée qu'elle étoit belle. Il la fit venir chez lui avec une autre femme qui lui ressembloit quant aux moeurs. Il les fit habiller en religieuses & donna à celle qui ne se portoit pas bien & qui étoit la plus jolie tous les ornemens qu'une Abbesse a coutume de porter, afin qu'on la reconnoisse d'avec les autres. Quand cela fut fait, il lui donnât aussi une carosse à six chevaux avec des livrées grises. Ce carosse prit le chemin des eaux de Bourbon, sur lequel étoit la maison du President. La fausse Abbesse à qui le mal qu'elle avoit ne donnoit pas bonne couleur, s'étant arrêtée dans son village sur les cinq heures après midi, sous prétexte qu'elle étoit si incommodée qu'elle ne pouvoit passer outre, envoia une heure après demander au President s'il trouveroit bon qu'elle se fut promener dans son parc d'abord qu'elle se seroit reposée. L'on étoit alors au mois de mai où les journées sont longues, & assez chaudes; & s'y en étant allée sur les sept heures du soir après avoir sçû que le President le trouvoit bon, non seulement, mais encore qu'il lui feroit voir lui-même tout ce qu'il y avoit de beau dans sa maison, il vint au devant d'elle jusques à la porte quand il sut qu'elle étoit arrivée. Il trouva qu'il ne lui manquoit que le teint pour être une des plus belles personnes du monde, l'attribuant à ce dont on a de coutume d'accuser les Dames, savoir d'être amoureuses. La charité qu'il avoit naturellement pour le beau sexe lui fit songer à lui offrir un remède que l'on fait passer pour souverain dans ces sortes de maladies. Il ne lui voulut pas dire tout d'un coup jusques où s'étendoit la bonne volonté qu'il avoit pour elle, & étant bien aise de la prévenir auparavant en sa faveur, il n'y eut sorte d'honnêteté qu'il ne lui fit, ni de douceur qu'il ne lui contât. La feinte Abbesse feignoit de n'y être pas insensible, & lui faisant accroire qu'elle n'avoit nulle inclination au couvent, lors que ses parens l'avoient obligée de s'y jetter, il lui témoigna de son côté de prendre grande part à la violence qui lui avoit été faite. Enfin s'enflammant toûjours de plus en plus auprès d'elle, il lui debita quantité de fleurettes qu'il ne crut pas perduës de la manière qu'elle les receut. Elle le fit comme une femme qui n'eut pas sçû ce que c'étoit que du monde, c'est à dire comme une innocente qui croyoit tout ce qu'on lui disoit. Le President l'attribua à ce qu'elle avoit été enfermée dans un couvent dés la bavette, de sorte que la croiant aussi neuve en amour qu'elle y étoit vielle & usée, il se crut le plus heureux de tous les hommes. Il se fit donc une bonne fortune de ce qu'un morceau comme celui-là lui étoit reservé. Il s'abusoit bien dans sa pensée, aussi en ayant tâté après quelques façons que fit la Dame pour mieux faire valloir son jeu, il ne fut guerres à reconnoître qu'il lui eut vallu presque autant prendre du poison que de taire ce qu'il avoit fait. Il devient malade en peu de jours, & son teint étant devenu semblable plûtôt à un mort qu'à un homme vivant, il fut obligé d'avouer en se regardant dans un miroir, que s'il falloit se mocquer de ceux qui avoient les pâles couleurs, il en étoit du nombre, aussi bien que sa nouvelle amie. La fausse Abbesse demeura chez lui quatre ou cinq jours, & ils n'y eurent qu'une même table & un même lit. Elle en partit ensuitte pour aller à son prétendu voiage, mais elle ne fut pas plûtôt à Corbeil qu'au lieu de le continuer, elle y passa la rivière de Seine pour s'en retourner à Paris. Celui qui l'en avoit fait sortir lui avoit promis qu'en cas que son voyage fut heureux, il lui donneroit une bonne recompense. Au reste elle étoit bien aise de lui aller dire qu'il l'avoit été tout autant qu'il le desiroit, ou qu'elle se trompoit fort: l'homme fut ravi de cette bonne nouvelle, & lui ayant donné dequoi la bien contenter, elle quitta les habits qu'elle avoit auparavant. Le President cependant sentit de grandes douleurs par tout le corps, & comme il étoit bien éloigné de savoir ce que cela vouloit dire, il s'approcha de sa femme aux heures qu'il avoit quelque relâche. Elle le souffrit, quelque mal qu'ils fussent ensemble, soit qu'elle aimât encore mieux cela que rien, ou que son Confesseur lui eut fait un scrupule, de refuser le devoir à son mari. Ce ne fut pas neanmoins sans prendre part au present qui lui avoit été fait, dont s'étant apperçûe encore plûtôt que lui, elle lui dit des injures capables de faire perdre patience à l'homme du monde le plus retenu. Il n'osa rien dire, parceque le mal qu'il souffroit lui même lui faisoit apprehender d'être coupable. En effet n'ayant guerres été à reconnoître que la feinte Abbesse étoit une fausse pièce, il se jetta à ses pieds pour la supplier de lui pardonner. Il lui conta même comment il avoit été attrapé, pretendant lui donner de la compassion par la nouveauté du fait, ou tout du moins lui rendre son excuse plus recevable. S'il eut bien fait il devoit au lieu d'avouer ainsi la dette si franchement, rejetter sur elle même la cause de cette maladie. La Dame aussi mourant de peur qu'il ne s'en avisât, fit semblant de lui pardonner, afin qu'il ne fit point de difficulté une autrefois de convenir de la chose tout de même qu'il venoit de faire. Il se tint heureux dans son malheur; & ne feignant point de lui faire tout de nouveau le recit de cette avanture, lors qu'il lui plut de remettre cette affaire sur le tapis, il ne prit pas garde qu'elle avoit fait cacher deux personnes à la ruelle de son lit, afin de déposer contre lui quand il en seroit tems. Ayant été sa duppe, lorsqu'il y pensoit le moins, elle le fit venir en justice où elle intenta instance en separation de corps. Il voulut alors se dédire, de ce qu'il lui avoit dit en secret: il croioit que personne ne le pouroit convaincre de fausseté, puisqu'il ne dependoit que de sa bonne foi d'avouer ou denier la dette; mais les deux témoins lui ayant été confrontés, il n'eut rien à dire, sinon que sa femme étoit plus fine que lui. Elle obtint ainsi au Châtelet la separation de corps, qu'elle demandoit, pendant que le Parlement selon sa coutume ne crut pas devoir prononcer si vite. Il voulut leur laisser le tems de faire reflexion à ce qu'ils alloient faire, c'est pourquoi avant donné arrêt par lequel ils devoient avoir six mois pour aviser s'ils se separoient ou non, ce terme ne fut pas plûtôt expiré qu'elle recommença ses poursuites. Le Parlement ne put lui refuser de confirmer la sentence du Châtelet, ainsi ayant été deffaite d'un mari dont elle avoit si peu de lieu d'être contente, elle sec mit chez un de ses parens qui étoit mon ami intime. Ce fut là où je ne perdis pas mon temps auprès d'elle. Elle me fit du bien au deffaut de Mr. le Cardinal qui ne m'en faisoit guerres non plus qu'à Besmaux, qui avoit été par son ordre en Italie avec le Marêchal de la Meilleraie. Il s'y fit donner un coup de pistolet au coin de l'oeil, ou du moins il fit acroire qu'on le lui avoit donné. Ce n'étoit rien pourtant, & il ne lui avoit pas fait plus de mal que si en se gratant il se fut égratigné avec son ongle; mais de peur qu'on n'en perdit le souvenir, & afin que cela rendit témoignage dans l'occasion qu'il auroit été à la guerre, il y porta depuis une mouche, qu'il y conserve encore aujourd'hui fort precieusement. Je ne fus guerres à me faire aimer de la Dame, & comme elle n'avoit jamais eu d'enfans avec son mari, elle se flatta que quelques faveurs qu'elle me put accorder elle n'y courroit aucun risque. Je ne fus pas faché qu'elle se deffit ainsi de la crainte qu'une autre eut pû avoir à sa place, & vivant avec elle comme un mari, & une femme ont coutume de faire ensemble, à la reserve que bien loin de faire les choses tambour battant, nous ne les faisions qu'en cachette, elle devint grosse lors qu'elle s'y attendoit le moins. Elle ne s'en apperçut pas plûtôt qu'elle en fut au desespoir. Cependant comme c'étoit une chose faite, & où il n'y avoit point de remede, elle eut recours à moi pour lui dire comment elle s'y prendroit pour empêcher que cela ne vint à la connoissance de son mari, & de ses parens. Je n'y trouvai point de meilleur expedient, que de la faire aller dans un Couvent, lors qu'elle craindroit qu'il n'y parut à sa ceinture. Elle me crut, & lui ayant donné une sage femme au lieu d'une femme de chambre, afin que quand ce viendroit le tems de sa couche elle en put tirer le secours qu'il lui falloit, il arriva que lors que l'on avoit conduit toutes choses avec tant de jugement & de secret, que cette affaire ne passoit pas sa femme de chambre, elle & moi, tout le couvent en eut connoissance par un malheur auquel je ne pouvois prévoir ni moi ni personne. Elle eut un des plus rudes accouchemens qu'une femme puisse jamais avoir, de sorte que la sage femme ne sachant à qui recourir, elle se vit dans la fatale nécessité ou de la laisser mourrir entre ses bras sans secours ou d'en appeller de la ville. Elle ne le pouvoit faire cependant sans en demander permission à la Superieure, & comme il y alloit de la vie d'une femme, & de celle de son enfant, elle n'en fit point de difficulté après y avoir bien fait reflexion; qui fut bien surprise ce fut là Superieure, lors qu'elle apprit que cette Dame étoit en travail. Elle assembla en même tems les meres discrettes pour sçavoir comment elles auroient à se conduire dans une occasion aussi delicatte que celle là; elles se trouverent toutes aussi embarrassées qu'elles le pouvoient être à une nouvelle si impreveuë. Celles qui avoient de la charité dirent pourtant, après y avoir pensé meurement, qu'au hazard de tout ce qui en pouvoit arriver, il falloit secourir la mére & l'enfant; mais les autres s'étant trouvées d'un autre avis, le tems qu'elles mirent devant que de se pouvoir accorder, fut cause que cette Dame expira dans les douleurs, plus aisées à concevoir qu'à d'écrire. L'enfant lui demeura cependant dans le ventre, & bien que la sage femme leur dit qu'en le lui ouvrant on pourroit peut-être encore le sauver, elles ne voulurent jamais permettre qu'il vint un Chirurgien, de peur que cela ne portât coup à la réputation de leur couvent. La Mort de cette Dame ayant fini nôtre intrigue, & m'en étant consolé quelque tems après, parce qu'en ce monde les plus grandes afflictions finissent aussi bien que celles qui ne sont pas si considerables, je resolus de me marier pour n'être plus exposé à ce nombre infini d'avantures qui m'arrivoient avec mes Maîtresses. Cette resolution n'étoit pas difficile à prendre, principalement comme je la prenois. Je voulois une jeune personne qui fut riche & passablement belle, si elle ne l'étoit pas tout à fait, & comme cela ne se rencontre pas tous les jours, sur tout quand on na ni bien ni établissement comme je n'en avois aucun, je fus long tems à chercher sans pouvoir trouver ce que je voulois. Enfin une Dame de robe chez qui j'allois tous les jours, & qui étoit parente de Madame de Treville sachant mon dessein, ne dit qu'elle sçavoit une jeune veuve qui étoit mon veritable ballot; qu'elle vouloit me rendre ce service que de me mettre aux mains avec elle; que c'étoit à moi à faire le reste; mais que s'il ne me manquoit encore que de parler en ma faveur je pouvois conter qu'elle s'y employeroit de toutes ses forces. Je fus ravi de cette promesse, & l'en ayant remerciée comme je devois, je la priai de me donner le plûtôt qu'elle pourroit des marques de sa bonne volonté. Je lui dis que si j'étois si pressé, c'est que la campagne ne tarderoit gueres à revenir, & que comme j'étois sur le pied d'être un des chevaux de poste de Mr. le Cardinal j'aprehendois que quand je serois une fois embarqué avec la Dame, il ne rompit mes mesures par quelque commission incommode. En effet Besmaux & moi faisions la plûpart de ses messages, & cela ne nous plaisoit guerres, parce que ce n'étoit pas de ces messages où il y a de l'honneur & du proffit, mais de ceux où il n'y avoit que de la peine sans aucune utilité. Mais avant que de m'engager plus avant dans cette affaire il faut que je dise quelque chose de celles qui regarde l'Etat. Après être revenu de devant Courtrai, & que le Duc d'Orleans eut quitté l'armée ensuitte de quelques autres conquêtes, le Duc d'Anguien à qui le commandement en étoit resté, avoit demandé permission d'assieger Dunkerque. Cela avoit surpris toute la Cour, parce que la Campagne étoit déja bien avancée, & qu'il sembloit n'y avoir pas assez de tems pour une entreprise si considerable; d'ailleurs cette place avoit pour Gouverneur un certain Marquis de Leide, homme fort entendu dans le metier de la guerre, & qui prevoyant dès l'année precedente quand il avoit veu assiéger Mardik, que nous ne faisions cette entreprise que pour nous ouvrir le chemin pour aller à lui, s'étoit precautionné contre nos desseins. Le Cardinal remontra ces difficultez à St. Evremont que le Duc d'Anguien avoit envoyé à la Cour pour obtenir la permission qu'il demandoit. Il l'avoit choisi préférablement à beaucoup d'autres, pour lui donner cette commission, parce que comme il avoit beaucoup d'esprit, il esperoit qu'il répondroit pertinemment à toutes les objections qui lui seroient faites. Il ne se trompoit pas, il applanit à ce Ministre toutes les difficultez qu'il se formoit dans son esprit. Cependant voyant qu'il en revenoit toûjours à sa timidité naturelle, qui le faisoit trembler au milieu des ennemis les plus assurez, il lui demanda si Mr. le Duc d'Anguien comblé de gloire comme il l'étoit, voudroit entreprendre quelque chose au dessus de ses forces pour le faire craindre comme il faisoit; s'il ne savoit pas qu'il y alloit de sa propre réputation aussi-bien que de la gloire de l'Etat, d'où il devoit inferer qu'en ayant toûjours été très jaloux, il n'étoit pas homme à s'engager temerairement dans une folle entreprise. Le Cardinal lui objecta que ce siége ne se pouvoit faire sans les Hollandois, & que n'y ayant point de traité de fait avec eux, la saison s'en passeroit devant qu'il put être conclu. S. Evremont lui repondit que le Duc y avoit pourvû, en envoiant vers eux le Baron de Tourville son premier Gentilhomme de la chambre; qu'il devoit negocier ce traité sous le bon plaisir de la Cour, afin que si elle approuvoit ses desseins il n'y eut point de tems perdu. Le Cardinal vit bien de la maniere que Saint Evremont lui parloit que ce siége étoit resolu dans l'esprit du Duc, & comme il avoit beaucoup de confiance en lui, il renvoya ce messager, avec ordre de lui dire que le Roi le laissoit le Maitre de faire tout ce qu'il jugeroit à propos. Il y avoit un peu de malice dans une si prompte condescendance. Ce Ministre qui commençoit à vouloir regner tout seul ne voioit point, comme j'ai déja dit de belle charge vacante, soit à la guerre soit à la Cour, qu'il ne devorât des yeux pour ses neveux, & pour ses nieces, qu'il avoit fait venir d'Italie. Au reste il y en avoit une des plus grandes & des plus considerables qui vaqnoit depuis quelques mois; c'étoit celle d'Admirale de France dont le Duc de Bresé frere de la Duchesse d'Anguin étoit revétu avant sa mort. Il avoit été tué d'un coup de canon sur les côtes d'Italie, où il commandoit nôtre armée Navale, pour favoriser l'entreprise que le Cardinal avoit fait sur les deux places dont il a été parle ci-devant. Elle lui avoit mieux réussi que celle d'Orbitelle; les Maréchaux de Meilleraie & du Plessis les avoient emportées, & comme la Campagne de Flandres n'avoit pas été moins heureuse, il ne pretendoit pas moins pour les services qu'il croioit y avoir rendus que d'avoir cette grande charge. Il la destinoit au Duc de Mercoeur fils ainé du Duc de Vendôme, à qui il vouloit donner une de ses nieces, mais il trouvoit de la difficulté de la part du Prince de Condé & du Duc d'Anguin qui pretendoient qu'elle dut appartenir à la soeur du deffunt. Cette pretention ne pouvoit être fondée que sur les services du Duc qui étaient tels qu'on pouvoit compter autant de batailles gaignées qu'il avoit déja fait de Campagnes. Une gloire si éclatante donnoit de la jalousie à ce Ministre, & lui faisait craindre que son droit ne prevalut au sien, tant qu'il ne lui arriveroit rien de facheux. Ainsi se flattant que quelque conduite & quelque courage qu'eut ce Général, il auroit de la peine à surmonter les difficultez de la saison, & à forcer un Gouverneur si experimenté il donna les mains à tout ce qu'il vouloit. St. Evremont étant parti avec ces ordres, & Tourville étant revenu de Hollande avec de bonnes nouvelles, le Duc s'achemina devant cette place & se mit au dessus de tous les obstacles des ennemis, & de la saison par sa bonne conduite & par sa bravoure. Le Marquis de Leide y fit pourtant tout ce que l'on pouvoit attendre d'un brave homme, & fort entendu dans le metier. Cependant le Comte de Laval, dont l'ai parlé ci-devant, étant de garde à la tranchée y fut blessé d'un coup de Mousquet à la tête. J'étois tout auprès de lui lorsque cet accident arriva. Mr. le Cardinal m'avoit envoyé vers le Duc pour le porter à se desister de la pretention qu'il avoit sur la charge d'Admiral, pour recompense de laquelle il promettoit de lui faire avoir ce Gouvernement pour qui bon lui sembleroit, d'abord que cette place seroit prise. Il lui promettoit aussi d'y faire joindre quelques autres graces de la Cour. Mais le Duc s'étant moqué de ses offres, je pouvois reprendre la route de Paris d'où je venois; neanmoins je n'en voulus rien faire, que je n'eusse veu la tranchée. Le Comte de Laval qui étoit Marêchal de Camp y commandoit ce jour là, & comme je ne l'avois point encore vû, il me demandoit si je ne savois point des nouvelles de sa femme, quand il receut le coup dont je viens de parler. Il en tomba par terre comme s'il eut été mort. Je crus effectivement que c'en étoit fait quand il se releva tout d'un coup en me disant que ce n'étoit rien. Il se fit même doner de l'ancre & du papier devant que de se faire emporter à sa tante & écrivit à sa femme, que comme il ne doutoit pas qu'elle ne fut allarmée à la nouvelle qui se debiteroit tout aussi-tôt de sa blessure, il étoit bien aise lui même de lui apprendre qu'elle n'était pas si dangereuse qu'on la lui pouroit faire: mais, ou il ne se sentoit pas, ou il étoit bien aise de ne la pas allarmer. Je n'eus donc pas plûtôt demeuré une heure ou deux à la tranchée & remarqué l'état où elle étoit, que je fus prendre congé du Duc d'Anguin qui m'avoit dit qu'il me vouloit donner des lettres pour son Eminence. Il m'en donna une effectivement, & comme il lui mandoit que la blessure du Comte de Laval étoit tout autre que ce Comte ne l'avoit mandé à sa femme, tout Paris fut bientôt rempli du bruit de sa mort prochaine. On le cacha tout autant que l'on put à Madame de Laval, mais ayant eu le vent de son état elle n'en voulut rien croire, parce qu'elle adjoutoit plus de foi à la lettre qu'elle avoit receuë de son mari, qu'à tout le reste. Le Chancellier qui l'avoit vûe entre les mains de sa fille, sachant que c'étoit moi qui avois apporté la nouvelle qui la detruisoit m'envoia prier de le venir voir. Il me demanda confidement en quel état étoit son gendre, & ce qu'il devoit croire ou de la lettre qu'il avoit écrite lui même à sa femme ou de ce que l'on publioit dans le monde. Je le voulus flatter, mais reconnoissant tout aussi-tôt mon dessein, il me dit qu'il ne m'en demandoit pas davantage & que je lui disois plus en ne lui disant rien que si je lui confirmois tout ce qu'il apprenoit d'ailleurs; qu'il me prioit de tenir à tout le monde le même langage que je venois de lui tenir, parce que si je parlois d'une autre maniere il avoit peur que sa fille ne le sut, & que cela ne fut capable de lui faire tourner la cervelle: que comme elle aimoit extremement son mari, il prendroit les devans pour la preparer insensiblement à la nouvelle de sa mort, qui vraisemblablement ne tarderoit guerres à venir. Je ne voulus lui rien dire davantage, de peur de lui être cruel en lui deguisant encore la verité. Il devinoit juste quand il croioit ce qu'il disoit; puisque deux jours après il vint un Courier de l'Armée qui apporta cette triste nouvelle. Cependant le Duc d'Anguien prit cette place contre l'esperance du Cardinal, & cette Conquête ayant encore haussé les esperances du Prince de Condé il manda à son fils de ne pas revenir de l'armée, jusques à ce qu'il sçût que ce Ministre fut d'humeur à lui rendre justice sur ses pretentions. La chose étoit en negociation de part & d'autre, & le Cardinal qui croyoit que pourvû qu'il peut conserver cette charge pour lui il n'y avoit rien qu'il lui dut refuser, lui offroit quantité de choses en la place. Le Prince de Condé qui agissoit pour son fils, crut toûjours qu'il falloit prendre, & que cela n'empêcheroit pas le Duc de renouveller ses pretentions dans un autre tems. Ainsi il se platra un accommodement, après lequel le Duc vint à la Cour ou il fut regardé comme un Heros qui n'avoit pas eu son pareil depuis long-tems. Ce fut dans ce tems-là que la parente de Madame de Treville me proposa le mariage dont je viens de parler. Je lui avois assez témoigné qu'il m'étoit agréable, pour la porter à n'y point perdre de tems. Elle n'y en perdit point aussi, & en ayant parlé à la Dame, elle lui dit tant de bien de moi qu'elle consentit de me voir chez-elle, pour juger elle-même si elle devoit croire tout ce qu'elle lui en disoit. Elle me plut extrêmement par un air de sagesse qui étoit répandu par toute sa personne. Sa beauté n'étoit pas tout à fait si touchante, quoi qu'il n'y eut rien qui dut rebutter. Je l'entretins quelque tems, & m'en étant allé le premier, afin que mon amie put lui demander ce qu'elle pensoit de moi, j'eus grand soin de la retourner voir dès le jour même, afin qu'elle m'en put rendre compte. Mon amie me dit que je ne lui deplaisois pas, & que comme elle avoit beaucoup de bien, elle esperoit qu'elle ne prendroit pas garde si j'en avois ou non. Je fus tout rejouï de cette bonne nouvelle, & l'ayant priée de me procurer encore de fois à autre quelque entrevûë avec cette Dame, afin d'entretenir & même d'augmenter la bonne opinion qu'elle pouvoit avoir de moi, elle me le promit, & me tint sa parolle. Cette Dame s'appelloit Madame de Miramion, & c'est la même qui fait aujourd'hui tant de bruit à Paris par sa pieté. J'eus le bonheur de lui plaire toûjours de plus en plus, & comme il n'y a point de charmes semblables à ceux qui sortent de la vertu, j'en devins si amoureux que je n'eus point de repos qu'elle n'eut donné sa parole à mon amie de consentir au dessein que j'avois pour elle. Elle n'en voulut rien faire qu'elle ne me connut plus à fonds, ainsi elle lui répondit que ce n'étoit pas assez de se sentir quelque inclination pour moi, pour faire un marché qui devoit durer si long-tems, qu'il faloit savoir encore auparavant si je le méritois, & qu'il n'y avoit que le tems qui le lui put apprendre; que je me donnasse donc patience, parce que l'on gâtoit tout bien souvent à force de se trop presser. Je ne pus rien trouver à redire à cette réponse, & la voyant encore de fois à autre & toûjours chez la même Dame, mes affaires alloient le mieux du monde selon toutes les apparences, quand mes esperances se trouverent renversées tout d'un coup. Les grands biens de cette Dame lui donnoient beaucoup d'amoureux dont les uns s'étoient declarez & les autres n'en avoient encore rien fait. Je ne sais par quelle raison Bussi Rabutin que nous avons vû depuis Lieutenant Général des Armées du Roi & Mestre de Camp de la Cavallerie legere de France, étoit de ce dernier nombre. C'étoit un homme fort vain, & quand je ne le dirois pas ici, il n'y a qu'à lire son Histoire amoureuse des Gaules pour juger que je ne lui attribue rien qui ne lui soit bien dû. Cependant tout vain qu'il étoit, il ne jugea pas à propos de s'en fier aux rares qualitez dont il se vente lui-même dans l'éloge qu'il fait de sa personne. Il resolu de l'enlever, afin que se rendant maître de cette Dame, pas un ne songeât plus à elle, dans la prevention ou l'on seroit qu'il en auroit tiré par force, ce qu'il ne pouvoit esperer de bonne amitié. Il n'eut pas plutôt formé ce dessein qu'il se mit en devoir de l'executer. Il se munit de relais & de Carosses, & les ayant mis sur le chemin de la Brie, où il pretendoit se retirer dans une maison forte qui appartenoit à un de ses parens, il prit son tems qu'elle alloit de St. Cloux au Mont Valerien pour executer son coup. Elle étoit déja dans la devotion, mais une devotion reglée, & qui n'avoit rien d'incompatible avec le mariage. Elle pretendoit y aller en pelerinage quand il fit enlever son Carosse par de ses parens & de ses amis dont il avoit fait provision. Il lui fit en même-tems son compliment, & comme il avoit la langue assez bien penduë, il ne tint pas à lui qu'il ne lui fit accroire qu'elle lui avoit encore obligation du rapt qu'il faisoit de sa personne. Par malheur pour lui elle n'étoit pas fort credule, de sorte que lui ayant vomi des injures au lieu de la moderation à laquelle il vouloit la preparer, il quitta le langage doucereux, pour lui dire que soit qu'elle consentit ou non à son enlevement, il n'en seroit toûjours ni plus ni moins. Il la fit descendre en même tems de son Carosse, & l'ayant fait monter dans un autre, il prit son chemin entre St. Denis & Paris, afin de ne se pas engager dans la Ville. Il croyoit avoir si bien pris ses mesures, qu'il seroit ou il pretendoit aller, avant qu'on pût rien savoir nulle part de ce qui se passoit. Mais le Carosse où il l'avoit fait monter s'étant rompu à côté du bois de Boulogne où il ne s'étoit pas voulu engager pareillement, il se passa plus de deux heures, avant qu'il fut raccommodé. Cela donna le tems à un des laquais de la Dame de venir annoncer à son amie, ce qui venoit d'arriver. J'étois chez elle par bonheur, & ayant appris cette méchante nouvelle j'en sortis en même-tems pour voler à son secours. J'y eusse été bien plûtôt, s'il y eut eu encore un Hôtel des Mousquetaires, mais il n'y en avoit plus, & le Cardinal Mazarin s'étoit tellement obstiné à vouloir avoir la compagnie de Mr. de Treville, que voyant qu'il ne vouloit point la lui donner, il avoit fait en sorte qu'elle avoit été cassée. J'eus ainsi bien de la peine avant que de pouvoir rassembler sept ou huit de mes amis. Je crus n'en avoir pas besoin de moins, parce que j'avois appris que Bussi en avoit autant des siens avec lui & même davantage. Je fis diligence & comme je savois à-peu-près le chemin qu'il tenoit, je fus bien tôt à les trousses. Il me découvrit de loin, & lors qu'il alloit entrer dans la maison ou il pretendoit se retirer; & comme on n'aime point à combattre quand on a tort, il me quitta le champ de bataille avec la Dame. Je fus à elle & lui temoignai la joye que j'avois de l'avoir delivrée des mains de son ravisseur. Je croyois qu'elle m'en alloit témoigner sa reconnoissance, & m'en faire des remerciemens à proportion de ce service, mais elle me regarda presque comme un homme qu'elle n'eut pas connu. Je l'attribuai à la peur qu'elle avoit euë, & qui aparemment la rendoit comme insensible: ne m'épouvantant donc point pour cela je la ramenai à Paris ou je crus qu'elle seroit plus en état de me dire ce qu'elle pensoit de ce que je venois de faire pour elle. Cependant j'eus beau m'y attendre, je n'en vis aucun effet, où si j'en vis quelqu'un, il ne servit qu'à me persuader que je n'avois pas plus à esperer auprès d'elle que si je l'eusse laissée entre les mains de Bussi. Elle me dit effectivement qu'après ce qui venoit de lui arriver jamais homme ne lui seroit de rien, qu'elle ne vouloit pas s'exposer aux reproches qu'on lui pouroit faire d'avoir été entre les mains d'un autre; que Dieu qui savoit tout, savoit bien neanmoins qu'il n'avoit rien été attenté à son honneur; mais que comme il ne suffisoit pas à une personne de se savoir innocente, & qu'il falloit encore pour bien faire que tout le monde le fut aussi-bien qu'elle, elle prendroit un parti qui la mettroit à couvert de ce qu'elle auroit à apprehender, si elle étoit jamais si folle que de se remarier. Je fus touché de ces paroles plus que je ne le puis exprimer. J'en demeurai même si interdit qu'il me fut comme impossible d'y répondre. La Dame prit ce tems-là pour me quitter, soit qu'elle fut peut-être toute aussi penetrée de douleur, que je le pouvois être, ou qu'elle voulut s'exemter de me plaindre; elle évita donc une presence qui l'accusoit tacitement de maltraiter l'homme du monde qui meritoit le moins de l'être. Je ne saurois dire si en me quittant elle ne me dit rien autre chose que ce que je viens de rapporter, c'est dis-je ce que je ne saurois dire au juste, & tout ce que je fais c'est qu'étant allé chez son amie, & la mienne, pour lui conter mon malheur, je n'eus pas seulement la consolation de l'en pouvoir entretenir; elle avoit fait une partie de masque, & étant allé courre le bal, elle n'en revint que le lendemain matin. Comme je n'étois pas d'humeur à l'aller chercher là, je m'en fus chez moi où je passai une des plus méchantes nuits que j'aye passées de ma vie, aussi me dura-t-elle infiniment, & la matinée m'ayant encore tout autant duré, parce que cette Dame ayant couru toute la nuit, je la devois laisser reposer & ne l'aller voir que l'après dînée; Je m'y en fus enfin, quand je crus qu'elle pouvoit être visible. Elle savoit bien que j'avois été au secours de son amie, & même assez utilement; mais comme elle ne savoit pas de quelle maniere j'en avois été payé, elle pretendoit que cela devoit bien avancer mes affaires. Ainsi elle ne me vit pas plûtôt qu'elle me fit un compliment bien different de celui qu'elle m'eut fait si elle eut connu ce qui se passoit. Elle avoit pourtant été voir son amie une demi heure après que je l'avois quittée; mais il y avoit tant de monde chez-elle, qu'elle n'avoit pu l'entretenir en secret. Je la surpris extrémement quand je lui appris de quelle maniere j'en avois été reçû; elle me dit que cela n'étoit pas croyable, & lui ayant confirmé la chose par serment, elle prit son serieux & me dit qu'elle la verroit le jour même pour tâcher de lui faire changer de sentiment, avec toute la chaleur que l'on sauroit croire, & m'ayant promis d'y faire tout son possible, je la revins voir le soir pour savoir ce qu'elle auroit operé. Elle me dit d'abord qu'elle me vit qu'il n'y avoit rien à faire pour moi, & qu'elle me plaignoit tout autant que je meritois de l'être; qu'on n'avoit jamais oui parler d'un malheur pareil au mien, qu'il falloit que je fusse né sous une étoille bien malheureuse pour voir ainsi renverser mes esperances dans un tems où tout sembloit encore devoir les augmenter. Enfin elle me donna une infinité d'encens; mais tout cela n'étant que de la fumée, je lui demandai ce que la Dame lui pouvoit avoir dit pour colorer du moins la rigueur de son procedé. Elle me répondit qu'elle n'avoit rien autre chose à dire si-non ce qu'elle m'avoit dit à moi-même; qu'elle ne vouloit pas, à ce qu'elle pretendoit, s'exposer aux reproches que je lui pourois faire, si elle m'épousoit; que c'étoit tout ce qu'elle en avoit pu tirer; mais qu'au surplus elle s'étoit si-bien imprimée cette pensée dans la tête, qu'elle se trompoit fort si ni moi ni personne la lui pouvoient jamais arracher. Ce fut toute la réponse que je pus avoir de l'une & de l'autre, tellement qu'ayant autant de lieu que j'en avois d'être mécontent des Dames, je résolus de ne pas perdre davantage mon tems avec elles. Je leur fis banqueroute effectivement pour le moins cinq ou six fois, & j'en eusse bien fait autant au Cardinal si je l'eusse pû, tant je trouvois que c'étoit un méchant maître. Il ne nous faisoit jamais present de rien ni à Besmaux ni à moi, & quoi que nous fussions auprès de lui en qualité de ses Gentilshommes, nous n'avions pas seulement le credit de faire entrer un de nos amis dans sa Chambre. S'il arrivoit à quelques uns de nous en prier il falloit que nous leur avouassions nôtre foible, ou que nous cherchassions du moins quelque deffaite, pour nous excuser de le faire. Enfin nous étions de veritables esclaves, ce qui m'eut fait songer à prendre mon parti, d'un autre côté, si j'eusse sçû à qui m'addresser pour être mieux. Mais personne ne nous regardoit tout tant que nous étions à lui. Comme il y avoit déja quelque tems qu'il avoit donné à connoître qu'il étoit tout aussi interessé que fourbe, il sembloit que nous lui ressemblassions, parce que nous étions ses Domestiques. Cela empêcha les personnes de qualité de s'attacher à lui, si-bien qu'on peut dire qu'on y voyoit plus de racaille que d'honnêtes gens. Il y entra même environ ce tems-là, ou du moins de peur que je ne mente, il y étoit entré quelque tems auparavant un petit homme dont l'extraction n'étoit pas plus grande que la taille. Il avoit été de son premier metier garçon cabaretier en Bearn, mais ayant troqué un bonnet rouge qu'il portoit en ce tems-là avec un chapeau bordé, & une plume blanche, il devint si fier pour avoir ainsi changé de parure & de condition, qu'il eut querelle presque avec tout le monde. Cependant comme il eut quelque avantage sur quelques-uns, il devint en grande faveur auprès de son Eminence qui en fit même quelque tems après un des principaux Officiers de ses Mousquetaires. Il étoit brave homme pour en dire la verité, & comme il y avoit dans cette même compagnie un Officier qui étoit tout aussi hargneux que lui, mais qui étoit Gentilhomme, ils en vinrent aux mains bien-tôt l'un contre l'autre. Les duels étoient si fort deffendus de ce tems-là, comme ils le sont encore aujourd'hui, qu'ils furent obligez de se cacher de tout le monde pour pouvoir se joindre seurement. Le Roi venoit de donner un grand exemple en la personne des la Frette, de la rigueur avec laquelle il traiteroit ceux qui enfraindroient ses Edits. Cela avoit fait peur à chacun, de sorte que quelque animez qu'ils fussent l'un contre l'autre ils tâcherent de couvrir leur action de tenebres. Ils se battirent dans une chambre à Charenton ou étoit leur quartier & la Vergne, c'est le nom de celui qui étoit Gentilhomme, y fut tué tout roide sur la place. Nantia son frere aîné qui étoit Ecuyer ordinaire de la Reine crut devoir étouffer cette affaire plûtôt que de la faire éclatter, par quelques procedures. Il fit enterrer le mort en cachette, & le tueur fut si heureux que le Roi n'entendit parler en aucune façon de ce combat. Ainsi cela n'empêcha pas que ce petit homme ne fit son chemin. Il demeura sous-Lieutenant de cette Compagnie, quand le Roi la prit pour lui; mais le bon homme Marsac qui la commandoit étant mort, & Mr. Colbert Ministre d'Etat l'ayant fait donner à son frere, qui la mit bientôt sur un autre pied, qu'elle n'étoit auparavant, ce petit homme fut si fier que sans se ressouvenir de sa naissance, il ne voulut pas lui obéïr. Il aima mieux quitter sa charge, ce qui fit la fortune de Mr. de Montbron. Car quoi qu'il fut né tout autre chose que lui, il se tint honoré de servir sous ce nouveau Commandant qui prit bien-tôt le nom de Comte de Maulevrier au lieu de celui qu'il portait auparavant. Ce Comte n'étoit pourtant que le fils d'un payeur des rentes, c'est-à-dire d'un bon bourgeois, mais comme la fortune de son frère le rendoit susceptible des plus grands honneurs, il fut non-seulement appellé Mr. le Comte, gros comme le bras, mais il voulut encore bien-tôt être Gouverneur de Province. Il traita du Gouvernement de Mets, & de tout le païs Messin avec le Marêchal de la Ferté qui outre cela avoit celui de Lorraine. Il se tenoit tout assuré d'en avoir l'agrément, & par rapport à la faveur de son frère, qui étoit alors dans le plus grand éclat, & par rapport à son courage qui pour ne point mentir n'étoit pas des moindres; aussi dans une petite guerre qui se fit quelque tems après en Hollande, & où le Roi envoya six mille hommes au secours de la Republique contre l'Evêque de Munster, du nombre desquels il étoit, Mr. de Pradel qui en avoit le commandement disoit d'ordinaire qu'il eut bien voulu être son heritier, parce qu'il étoit friand de la tranchée. Cependant quoi que chacun lui rendit justice là-dessus, & qu'il n'y eut personne d'assez passionné pour parler autrement de son courage, le Roi lui refusa l'agrément de ce Gouvernement. On ne sait pas bien d'où procéda ce refus, à moins qu'il ne fut scandalisé de ce qu'il s'en étoit tenu fort, sans lui en avoir parlé auparavant, ou que sa fierté qui surpassoit encore celle du petit homme dont je viens de parler, eut quelque chose qui lui fut desagréable. Le Comte de Maulevrier s'en trouva si piqué qu'il quitta sa compagnie. Mr. de Montbron l'eut après lui, & la vient de quitter tout presentement pour se mettre à la tête du Regiment du Roi, où Sa Majesté a témoigné que ses services lui seroient plus agréables qu'ailleurs. J'ay un peu anticipé sur le tems & de passer comme j'ai fait de l'année 1648. jusques en 1672. je ne sais si je n'en serai point blâmé, par ceux qui ne cherchent que le moindre sujet de critiquer un ouvrage; mais qu'ils en fassent tout ce qu'il leur plaira, s'il n'y a que cela à redire à celui-ci j'en aurai bientôt l'absolution du public. Il y a des matieres qui emportent souvent, & dont le fil interrompu pourroit déplaire quelque fois davantage que de le poursuivre au préjudice de la Chronologie; quoi qu'il en soit, Madame de Miramion m'ayant donné mon congé de la maniere que je viens de dire, j'eus du moins la consolation de voir que ce n'étoit pas pour un autre qu'elle me quittoit. En effet elle fit bien-tôt après cet établissement qui édifie tout Paris, & qui est d'un grand secours pour un grand nombre de personnes. Jusque-là le Cardinal nous avoit traité assez froidement Besmaux & moi, & comme nous avions été Camarades dans les Gardes, puis dans les Mousquetaires, & enfin Compagnons de fortune dans sa maison, il sembloit qu'il voulut que toutes choses fussent égales entre nous deux jusques à ses rebuffades. Mais enfin lorsque nous y pensions le moins, il changea tout d'un coup de conduite à nôtre égard. J'en voulois pénétrer la raison, trouvant que nous meritions moins que jamais ses caresses, du moins moi, qui voyant le peu d'état qu'il faisoit de mes services, ne m'attachois plus tant à les lui rendre que je faisois auparavant. Je ne fus guerres à la connoître. Je vis que sa fortune chancelloit, & comme il commençoit à croire qu'il aurait bientôt besoin de tout le monde, il tâchoit de nous gagner. Je le dis à Besmaux qui me fit reponse, que soit que cela fut ou non, il fallait en faire nôtre proffit. Il concluoit toûjours là, desorte que je ne fus pas surpris de sa reponse. Ce Ministre s'étoit fait une infinité d'ennemis par un intérêt sordide qu'il avoit fait paroître en mille rencontres; s'il venoit à vaquer une charge soit de guerre ou autrement il ne falloit point conter qu'il considerât ni le service ni le merite pour la donner. Celui qui lui en offroit le plus étoit toûjours preferé aux autres, ce qui l'avoit rendu si odieux à tous ceux qui y pouvoient prendre intérêt que s'il n'eut tenu qu'à eux ils l'eussent renvoyé il y avoit déja bien long-tems en Italie. Pour ce qui est du peuple il n'en étoit pas content. Il étoit accablé d'Edits, & soit que se fut vérité, ou medisance, on vouloit qu'il eut envoyé en ce Païs-là une partie de l'argent qui en étoit provenu. Le murmure qui s'en étoit fait dés l'année 1645. eut été peut-être dés ce tems-là capable de produire de mechans effets, si Mr. le Prince ne l'eut empêché par sa prudence; mais étant mort sur la fin de l'année 1646. le Duc d'Anguin qui prit son nom ne témoigna pas pour lui la même consideration qu'avoit fait son pére, soit qu'il fut moins prudent qu'il n'avoit été, ou qu'il crut avoir sujet de se plaindre de ce Ministre. Il l'accusoit de l'avoir envoyé en Catalogne l'année d'après la Campagne de Dunkerque, & d'y avoir fait échouër sa gloire, en l'embarquant malicieusement au siége de Lerida où il l'avoit laissé manquer de toutes choses. Le Cardinal à qui il ne falloit que montrer les dents pour en avoir tout ce qu'on vouloit, ne sut pas plûtôt les plaintes qu'il faisoit contre lui, qu'il fit tout ce qu'il put pour regaigner son amitié. Il y employa tout ceux qui avoient quelque credit sur son esprit; & comme le Duc de Châtillon en avoit beaucoup, & qu'il craignoit qu'il n'eut sur le coeur le refus qu'il venoit de lui faire du Gouvernement d'Ypres, il lui promit de lui-faire donner le bâton de Marêchal de France moiennant qu'il y voulut faire son devoir & oublier le passé. Ce Duc qui avoit déja eu cette dignité par deux fois dans sa Maison, & qui croioit la meriter aussi-bien que ceux qui en avoient été honnorez, se trouva choqué de cette proposition, au lieu d'en être satisfait comme pretendoit le Cardinal. Il fit réponse à celui qui lui en parla de sa part, que c'étoit à ses services que cette dignité étoit due & non pas à l'intrigue qu'il lui faisoit proposer; qu'il laissoit cela à ceux qui y étoient plus propres qu'il n'étoit, mais que pour lui ce seroit toûjours à son épée qu'il seroit redevable de tout le bien qui lui arriveroit. Le Cardinal jugeant à cette reponse qu'il étoit outré contre lui, il s'addressa à Guitaut qui étoit devenu depuis quelque tems favori du Prince. Celui-ci ne se montra pas si fier que l'autre, & moyennant vingt mille écus, qu'il lui donna comptant, il lui promit de faire sa paix avec son Maitre. Le Prince qui ne lui pouvoit rien refuser, lui accorda ce qu'il lui demandoit. Il remit au Cardinal l'offense qu'il croioit en avoir reçûë, & s'étant promis reciproquement de ne rien faire à l'avenir, qui les put brouiller de nouveau, ils scellerent cette promesse par un grand repas que leur donna le Marêchal de Grammont qui étoit ami commun de l'un & de l'autre. La Campagne de 1648. commança sur ces entrefaites, & comme les ennemis avoient repris Courtrai, & fait quelques autres conquêtes, on prit encore sujet de là de dire que ce Ministre étoit ravi que les choses se passassent de la sorte, afin d'avoir sujet de lever de l'argent; qu'il vouloit que la guerre tirât en longueur, parceque si elle finissoit comme rien ne l'empêchoit de le faire, s'il vouloit une fois y appliquer les remedes convenables il n'auroit plus aucun pretexte de lever de nouveaux impots. Sous ce pretexte le Parlement de Paris refusa de verifier quelques Edits, & comme on ne pouvoit alors lever de l'argent sur le peuple que ce ne fut de son consentement, il se fit diverses allées vers ce Corps pour le porter à faire ce que le Roi desiroit. C'est ainsi que le Cardinal appelloit la resolution qu'il prenoit dans son cabinet, & quelques autres gens de pareille étoffe, qui avoient intérêt à suivre ses volontez & sa politique. Comme leur coutume étoit de s'engraisser du sang du peuple il savoit bien qu'ils ne lui contrediroient en rien. Le Parlement parmi lequel il y avoit des Membres qui avoient du moins autant de soin de leurs intérêts que de celui du public, ne trouva pas à propos de le contenter. Quelques uns qui avoient leur honneur en recommandation ne s'y opposerent pas neanmoins ouvertement. Ils tâcherent au contraire de concilier les droits du Roi avec ceux du peuple, en faisant quelques propositions qui leur paroissoient raisonnables; mais les autres qui ne marchoient pas si droit ayant fait échouer leurs bons desseins il y eut plus que jamais des obstacles à la verification de quelques Edits que le Roi ou plûtôt son Ministre, avoit envoyés à cette Compagnie. Ils firent bien plus. Ils se firent presenter sous main une requête seditieuse par laquelle son Eminence étoit accusée formellement de fomenter les troubles de l'Etat, pour ses intérêts particuliers. Ils s'en firent presenter aussi contre les Partisans que l'on accusoit de quantité de concussions, pour reparation desquelles on demandoit qu'il fut procedé contr'eux criminellement jusques à arrêt deffinitif. Comme cela ne se pouvoit faire sans s'attirer le Conseil à dos à qui le Roi avoit reservé cette connoissance, comme dis-je la Cour ne pouvoit être qu'extremément delicate là dessus, elle dont l'authorité eut été extrémement diminuée si cette requête eut eu lieu; les Conseillers qui étoient sages & amateurs du repos public ne s'en voulurent jamais charger. Un nommé Broussel qui étoit Conseiller aux Requêtes ne fit pas la même chose. Il couvroit une grande ambition sous un faux zéle du bien public. Comme il n'avoit pas lieu de se loüer de sa fortune qui étoit assez mauvaise, il songeoit à la reparer en se faisant craindre. Pour cet effet il affectoit en toutes rencontres d'être très affectionné au peuple. Il parloit aux uns & aux autres familierement; & il pretendoit que le Cardinal pour l'empécher de les prendre en sa protection, lui feroit bientôt dire un mot à l'oreille; ainsi il se chargea de cette réquête avec beaucoup de hardiesse. Comme ce Ministre ignoroit encore le pouvoir de cette Compagnie, & qu'il ne s'étoit jamais instruit ni par lui-même ni par personne du poids qu'elle avoit donné à un parti lorsqu'il s'étoit élevé quelque guerre civile, il méprisa d'abord ce Conseiller au lieu de le ménager comme il devoit: se servant donc d'une nouvelle Victoire que M. le Prince venoit de remporter en Flandres, & du raccommodement qui avoit été fait entr'eux, il fit arrêter Broussel avec quelques autres membres du Parlement au sortir du _Te Deum_ que l'on avoit chanté à nôtre Dame pour remercier Dieu de cet avantage. Le coup étoit hardi, puisque c'étoit choquer non seulement toute la populace de Paris qui le regardoit comme son protecteur, mais encore le Parlement qui ne devoit pas être d'humeur à souffrir inpunément qu'on attentât ainsi à sa liberté, aussi en arriva-t-il tout aussi-tôt un desordre épouvantable, & tel que la Cour n'eut jamais pensé. Ce peuple apprenant ce qui se passoit fit des baricades depuis nôtre Dame, jusques à une portée de pistollet du Palais Royal. Cela fut fait dans un moment, & pour ainsi dire en une clein d'oeil. On vint l'annoncer au Cardinal, & comme le Roi demeuroit alors dans ce Palais, ce Ministre en fit renforcer la Garde, parce qu'il ne s'y croioit pas en seureté. Il tint conseil aussi en même tems pour savoir si le Roi ne devoit point sortir de la Ville. Pour lui il en étoit d'avis, parce que la crainte où il étoit ne lui laissoit pas la liberté de bien examiner les inconveniens qui en arriveroient; mais Mr. le Tellier qui étoit de ce conseil, & en qui il avoit une confiance toute particuliere, lui ayant remontré qu'outre qu'il n'étoit pas bien seur que le peuple lui permit de l'emmener, il valloit bien mieux tâcher de faire desarmer cette populace par la douceur. Il m'envoya vers la premiere baricade pour découvrir adroitement dans quel sentimemt étoient ceux qui la gardoient. J'y fus à l'heure même, quoi qu'il y eut assez de danger si l'on venoit par hasard à m'y reconnoître. D'abord que j'y arrivai il se presenta devant moy un artisan armé de pied en cap, comme s'il eut voulu effrayer les petits enfans. Il me cria qui vive d'une voix tonnante, afin que tout rèpondit à son habillement. Je lui repartis vive le Roi, & vive Broussel, ce qui étant extrémement de son goût il m'ouvrit une barriere, & me fit entrer au dedans de la baricade. J'y trouvai plusieurs bouteilles de vin sur un tonneau avec quelque viande froide, & celui qui y commandoit voulant que j'y busse avec lui afin apparement de me faire ratiffier ces parolles que je venois de dire en beuvant à la santé de ce Magistrat, il me la porta effectivement, puis me laissa aller. Pendant que j'étois là, & que je faisois pair & compagnon avec cette canaille, pour mieux découvrir son secret, le Maréchal de Grammont vint au Palais Royal, après avoir donné ordre au Régiment des Gardes dont il étoit Colonel d'y faire filer quelques soldats un à un. Quelques Officiers de ce Regiment s'y rendirent aussi, & la Reine Mere qui regardoit ce qui se passoit comme un attentat effroyable à l'authorité de son fils, croyant que si elle faisoit marcher contre ces mutins ces soldats rassemblées ensemble, ils se dissiperoient bientôt, commanda au Marêchal de la Meilleraie de les y mener lui même. Le Marêchal crut qu'il ne devoit pas témoigner moins de courage que cette Princesse dans une occasion comme celle là, & que puis qu'elle avoit la hardiesse de former une telle resolution, il devoit bien avoir celle de l'executer. Il s'y en fut donc de ce pas, mais au lieu d'effrayer cette canaille comme la Reine le pretendoit, elle fut assez insolente pour faire feu sur lui. La partie n'étoit pas égale; ainsi s'étant retiré tout aussi-tôt, & même fait sa retraite à la sourdine, de peur qu'il ne lui arrivât pis, il fut dire à la Reine qu'à moins que la nuit ne portât conseil à cette populace, il ne savoit pas comment on la feroit rentrer dans le devoir. J'étois au dedans de la premiere baricade, lors que cela arriva, & ayant passé plus avant après y avoir bû trois ou quatre coups, en depit de moi, je vis des esprits si turbulens partout où j'addressai mes pas, que j'eus horreur de quantité de choses que j'entendis dire contre le Gouvernement present, & particulierement contre la personne du Cardinal. Il y en eut un même qui dit de si grandes sottises, que je crus ne pas devoir les lui pardonner. Cependant comme il étoit dangereux de lui faire paroître la méchante volonté que j'avois contre lui, je feignis non seulement d'entrer dans son sentiment, mais encore de passer plus loin. Je lui dis qu'il ne pourroit mieux témoigner le zele qu'il avoit pour le bien public qu'en faisant paroître la haine qu'il avoit pour ce Ministre; que ce n'étoit rien pourtant à moins de joindre l'effet à la volonté, que je savois le secret de lui faire sentir le mal qu'il lui desiroit, & que s'il vouloit en partager le peril avec moy, il en partageroit aussi toute la gloire. Je disois cela non seulement pour le remettre entre les mains du Cardinal, mais encore pour voir s'il étoit capable, comme il s'en ventoit, de tuer un jour son Eminence. Je reconnus bien-tôt à sa réponse, qu'il étoit tout aussi dangereux qu'il vouloit qu'on le crut; car il me dit à l'heure même qu'il étoit pret non seulement de partager avec moy le péril, dont je lui parlois; mais encore de le courre tout seul; si je ne voulois pas être de la partie. Je feignis plus que jamais de n'être pas moins animé que lui contre ce Ministre, & sur ce qu'il me pressoit entrémement de lui dire comment se pouvoit executer le coup que je lui proposois: je lui répondis que je savois un endroit par où le Cardinal passoit tout seul, lors qu'il alloit au Conseil, où on lui pourrait donner son fait. Il fut si simple que de me croire, & m'ayant demandé si c'étoit avec une épée ou un poignard, qu'il falloit marcher à cette expedition ou avec quelque arme à feu, je lui fis reponse que le poignard étoit plus seur que tout le reste; que la raison qu'il y en avoit c'est que le coup fait, on le pourroit laisser tomber, afin qu'en cas qu'on vint à être poursuivi & fouillé le soupçon ne tombât pas sur lui. Deux ou trois de ses camarades qui avoient fait la débauche toute la journée avec lui, & qui n'étoient capables d'aucun raisonnement m'entendant parler de la sorte, trouverent non seulement que j'avois raison, mais l'encouragerent encore dans son entreprise. Il ne paroissoit pas en avoir de besoin, du moins si l'on vouloit adjouter foi à ses paroles; quoi qu'il en soit voulant s'en venir à l'heure même avec moi, pour commettre au plûtôt cet homicide, je crus que je ne le devois pas souffrir, parce qu'il se pouvoir faire que ce projet ne fut que l'effet des fumées, que le vin lui envoioit au cerveau. Ainsi je voulois remettre la partie au lendemain, & je l'obligeai malgré lui de s'en contenter. Il me donna rendez-vous à un cabaret assez proche du Pallais Royal, où il me fit jurer que je me trouverois entre sept ou huit heures du matin. Je le lui promis, sans faire trop de reflexion que je n'aurois gueres d'honneur à le faire tomber dans le panneau que je lui preparois; ainsi y ayant pensé après l'avoir quitté j'étois resolu de lui manquer de parolle, quand un de mes amis à qui j'en parlai me dit qu'en conscience je devois poursuivre ma pointe, parce qu'il y alloit du salut de l'Etat; que j'empêcherois par là le desordre qui y arriveroit infailliblement s'il venoit tôt ou tard à en assassiner le Ministre; qu'enfin je ne devois pas m'en faire le moindre scrupule, parceque d'avoir cette malheureuse pensée, ou contre le Roi même ou contre celui à qui il laissoit le soin de ses affaires, étoit presque la même chose. Je ne me contentai pas si bien de ce Casuiste que je ne fusse bien aise d'en consulter un autre. Je fus chercher un homme de bien à qui je m'étois addressé quelquefois pour resoudre des doutes qui n'étoient survenus au sujet de ma conscience. Je lui exposai le fait sans y rien diminuer ni augmenter, & ayant été tout du même sentiment que mon ami, je resolus de les en croire, de peur que l'attache que j'aurois, à mon opinion ne me rendit criminel envers l'Etat. Le lendemain matin, je fus donc à ce rendez-vous, & je me flattai en chemin que la nuit auroit porté conseil à mon homme, & lui aurait fait mettre de l'eau dans son vin. Mais c'étoit à quoi il pensoit le moins; de sorte que quoique je n'eusse pas passé l'heure dont nous étions convenus ensemble, il y avoit déja je ne sais combien de tems qu'il m'attendoit à ce cabaret, tant il était prévenu de J'avois averti Mr. le Cardinal du Dessein de cet homme, d'abord que l'on m'avoit dit que j'étois obligé en conscience de le faire attraper. Son Eminence qui étoit aisément susceptible de frayeur trembla quand elle m'entendit dire qu'il y avoit ainsi un homme qui avoit conspiré de le tuer. Il approuva fort les Casuistes qui m'avoient conseillé de le livrer entre ses mains. Car je ne feignis point de lui avouer la peine où j'avois été, afin qu'il ne crut pas que je fusse un flatteur ni un homme à me faire de fête auprès de lui, parce qu'il avoir tout le pouvoir de l'Etat entre les mains. Quoi qu'il en soit mon homme ayant déja de l'impatience de se trouver au lieu où il esperoit faire son coup, ne voulut boire qu'une rasade, avant que de s'y en aller. Il se posta dans l'endroit où je le mis, & je me mis à dix pas au dessous de lui, sous pretexte que s'il manquoit son coup par hasard, je ferois en sorte de ne le pas manquer moi même. Il étoit bien credule pour un homme aussi méchant qu'il l'étoit: du moins ce n'est gueres l'ordinaire que quand on est capable de se porter à une aussi mechante action que celle là, on prenne si mal ses precautions. Mais sa passion l'aveuglant à un point qu'il étoit disposé à croire tout ce qu'on vouloit, à peine fut-il dans son poste où regnoit une telle obscurité que nous ne pouvions nous discerner l'un l'autre, qu'il s'y trouva pris comme au trebuchet. Ses yeux s'ouvrirent au même tems, & comme il commençoit à reconnoître qu'il ne devoit accuser que moi de son malheur, il dit aussi-tôt ces paroles, ah le fourbe! ah le scelerat! Le Cardinal l'eut bien fait mourir sans aucune forme de procès, s'il eut osé, mais comme nous vivons dans une Monarchie où il n'est pas permis d'écouter si fort sa passion, il differa d'en venir là jusques à ce que le Parlement fut assez de ses amis pour lui en demander justice. Car quoi que la volonté ne soit pas punie en France comme le fait, comme ce malheureux s'étoit mis en devoir d'executer son dessein, il falloit considerer son action non comme une chose projettée seulement dans son esprit, mais encore comme exécutée, si on ne l'eut prevenu par ce que l'on avoit fait. Son Eminence n'osant donc en croire tout son ressentiment, l'on fit venir à deux heures de nuit dans la cour des cuisines un Carosse pour le mener à la Bastille. Quelque Gardes de la Prevôté eurent ordre de se mettre dedans, avec lui, afin de l'emmener plus surement. Car on n'osoit le faire entourer de peur que le peuple ne se jettât sur eux, s'il venoit à reconnoître qu'ils emmenassent un prisonnier d'Etat. Mais toutes ces precautions ne servirent de rien, le peuple qui avoit mis des mouchars à toutes les portes de ce Palais, de peur qu'on n'emmenât le Roi, sachant qu'il en sortoit un Carosse bien fermé, l'arrêta avant qu'il put gagner le haut de la rue des petits chams. Les Gardes de la Prevôté eussent bien voulu être hors de là, quand ils s'entendirent demander leurs noms, leurs qualitez & où ils alloient. Ils n'eurent pas neanmoins la peine d'y repondre, le prisonnier la leur épargna, eu leur apprenant qu'ils le menoient & la cause pour laquelle il avoit été livré entre leurs mains. Ils le délivrerent en même tems, & ces Gardes eussent été bien aises qu'ils les eussent renvoyez pareillement, mais ils les emmenerent après leur avoir donné mille coups en chemin. Il en mourut même un quelques jours après à force d'avoir été battu. Le peuple croioit cependant que le Parlement épouseroit sa passion, & que s'il ne faisoit pendre ces prisonniers, il les envoieroit du moins aux Galeres; mais n'étant pas si mal habile que de faire une affaire mal à propos ni si injuste, que de punir des gens qui n'avoient fait autre chose que d'obéïr aui ordres de la Cour, comme ils ne s'en pouvoient dispenser, il les mit bientôt hors de prison au lieu de leur faire le mal que leurs ennemis pretendoient. Mr. le Cardinal fut au desespoir quand les Officiers de la Prévôté lui rendirent compte de ce qui étoit arrivé à leurs Gardes. Il eut peur que cet homme lui étant ainsi échapé, il ne se portât tout de nouveau à exécuter son coup. Pour plus grande peine pour lui il n'avoit point été interrogé, ainsi il ne savoit où le prendre ni comment il devoit faire pour aller au devant de ce qu'il aprehendoit. Il m'envoya chercher en même tems pour me dire ce qui venoit d'arriver, & pour me demander si dans la conversation que j'avois euë avec lui il ne m'avoit point dit qui il étoit. Je lui repondis que je n'avois jamais osé le lui demander, de peur de lui donner du soupçon; que je m'étois contenté de l'atirer dans le piege, parce que je supposois qu'on sauroit toûjours bien qui il étoit, quand il seroit en lieu de seureté. Cependant s'il avoit lieu de craindre quelque chose d'un si méchant homme, je ne voyois pas que je ne dusse m'en défier pareillement. Comme il savoit que c'étoit moi qui lui avoit fait cette piece, il y avoit apparence, qu'il s'efforceroit d'en tirer vengeance d'abord qu'il croiroit y pouvoir réussir. J'avois lieu du moins de le croire de même, sur tout cet homme ayant sû qui j'étois après avoir été arrêté. Car Mr. le Cardinal avoit voulu que je lui reprochasse son crime, en presence de plusieurs personnes qui m'avoient même nommés devant lui, en m'en demandant quelques circonstances qu'ils ne trouvoient pas que je leur explicasse assez bien. Ma crainte ne fut pas trop mal fondée, & je puis dire que ce fut un veritable miracle comment j'en rechapai. Cet homme après avoir ainsi recouvré sa liberté s'informa adroitement de mon humeur & de mes habitudes, & sachant que mon péché mignon avoit toûjours été celui des Dames, il crut d'autant plutôt qu'il m'y attraperoit qu'il ne savoit pas que je leur eusse fait banqueroute depuis quelques tems. Il avoit une soeur qui quoi qu'elle n'eut pas les habits ni les autres parures qui me servent pas peu à relever la beauté, ne laissoit pas d'être une des plus jolies filles de Paris. Il me l'apporta, & je ne fis plus un pas, pour ainsi dire, que je ne la trouvasse devant moi. Soit que j'allasse à l'Eglise on en quelque autre endroit, elle me suivoit par tout ni plus ni moins que si c'eut été mon ombre. Je ne fus guerres à m'en appercevoir, & comme on n'a toujours que trop bonne opinion de soi-même, je crus aussi tôt qu'elle me trouvoit à son gré. Cela me la fit observer soigneusement, & tout ce que j'en pus remarquer augmentant encore en moi cette pensée, je lui dis un jour comme elle me devança au bénitier où elle voioit que j'allois prendre de l'eau bénite, vous êtes bien jolie ma fille, & il y a long-tems que je remarque que pour être heureux, il ne faudroit qu'être aimé de vous. Elle me fit la révérence, d'un air gracieux, & comme on a coutume de faire quand ce qu'on entend me déplait pas. Je trouvai mon compliment bien employé, puis qu'elle l'avoit receu de la sorte, & ayant donné ordre à un laquais que j'avois avec moy de la suivre jusques à son logis, & de s'informer du voisinage qui elle étoit, il me rapporta que c'étoit une honnête fille, ou du moins qu'elle en avoit la réputation. Il me dit aussi en même tems qu'elle vivoit sous l'aîle de sa mere, & qu'elles travailloient toutes deux en couture. Mon laquais m'ayant rapporté tout cela, j'en devins amoureux, sur la réputation qu'il lui donnoit de se comporter sagement. Car ce n'est pas une petite chose pour donner son estime à une personne que de la croire vertueuse, sans cela tout ce que peut produire un beau visage, c'est d'allumer quelques feux qui ne durent gueres plus que celui de paille; la matière qui les peut entretenir est de croire qu'une personne ait de la vertu; si on me le croit pas c'est un plante qui meurt faute de racines, ou un ediffice qui se renverse de lui même faute de fondemens solides. La première chose que je fis après cette découverte fut d'envoyer chercher cette fille, sous prétexte qu'une Dame vouloit s'en servir pour lui faire quelque linge. Je recommandai cependant à la personne que j'y envoyai de ne point entrer chez-elle, qu'il n'en eut vû sortir la mère, depeur qu'elle ne m'amenât l'une au lieu de l'autre. La fille refusa d'abord de venir, & vouloit qu'on attendit sa mere pour la mener avec elle, mais la personne qui lui parloit de ma part, & qui avoit la réponse toute prête lui ayant dit que la Dame pour qui elle la venoit chercher étoit à la veille d'aller à la Campagne, & que si elle ne venoit avec elle, elle en iroit chercher une autre qui ne feroit pas tant de façons, elle prit ses coëffes & ses gans depeur de perdre cette pratique. J'avois prié une femme de na connoissance de se trouver dans la Chambre d'un de mes amis, afin de la recevoir. Cette femme qui étoit bien éloignée d'être une Vestalle entendoit son métier, de sorte qu'après lui avoir donné quelques chemises d'hommes à faire, comme en ayant commission d'un de ses amis, elle lui dit que pour une aussi jolie fille qu'elle étoit elle avoit là un métier qui étoit au dessous de ce qu'elle méritoit. La fille ne fut pas surprise de ce compliment, qu'elle avoit ouï souvent dans la bouche des personnes qui l'avoient fait travailler. Elle le fut bien davantage de me voir entrer sur ces entrefaites, & en ayant rougi, je l'attribuai à la bonne volonté que je croyois qu'elle eut pour moi. La Dame passa dans une autre Chambre en même-tems, sous prétexte qu'elle avoit encore quelque morceau de toille à lui donner. Comme tout cela avoit été concerté entre cette femme & moi, je ne laissai pas échaper cette occasion sans dire à cette fille, ce que je me sentois pour elle. Cependant pour l'y mieux préparer je ne manquai pas de lui témoigner que je n'aurois jamais porté chemises de si bon coeur que celles qui m'alloient venir de sa main; mais enfin tout cela n'étant que de là crème fouétée, & en voulant venir au fait, je lui fis san façon la proposition de la mettre en Chambre, & d'en faire ma maîtresse. J'ornai mon discours en même-tems de tout ce qui a coutume de flatter une fille. Je lui dis même qu'elle pouroit mener sa mère avec elle, si elle voulait, & que je fournirais à l'entretien de l'une & de l'autre. Cette fille qui étoit du moins aussi trompeuse qu'elle étoit agréable, se prit à pleurer à cette proposition. Je la lui avois faite hardiment, parce que je supposois qu'après les pas qu'elle avoit faits, elle ne pouvoit lui être desagréable. Cependant après avoir déjà donné si-bien dans le panneau, j'y donnai encore tout aussi-bien que l'avois fait. En effet sans rien soupçonner de tout ce qui se passoit, je crus tout ce qu'elle me voulut dire de la cause des larmes que je lui voyois répandre; elle me dit d'un ton qui en eut bien trompé d'autres que moi, qu'elle étoit bien malheureuse d'avoir des sentimens tels qu'elle avoit, puis qu'au lieu de la reconnoissance qu'elle en attendoit, elle ne trouvoit en moi qu'une ingratitude sans pareille, qu'on voyoit bien quelquefois à la vérité que l'amour qu'on avoit l'un pour l'autre avoit des suites pareilles à celles que je lui proposois maintenant; mais enfin que de debuter par là avec une fille comme je faisois presentement avec elle, c'étoit lui marquer que je ne la considerois nullement, & que je ne me considerois que moi seul. Je trouvai tant de justice dans ces reproches, que je ne crus pas seulement être en droit de m'excuser de ce que je lui avois dit, sur la grandeur de ma passion: il me sembla que cela vaudroit moins pour moi que de lui avouër ma faute ingenuement. Je le fis aussi de tout mon coeur, & lui dis qu'elle avoit raison de me dire tout ce qu'elle disoit; que j'avouois avec elle que ce n'étoit pas pour rien qu'il y avoit un Proverbe qui disoit qu'il falloit connoître avant que d'aimer; que pour moi je n'en avois pas besoin, neanmoins, parce qu'elle étoit si aimable, qu'il suffisoit de la voir pour lui donner son coeur sans reserve. Après que je lui eus tenu ce discours, je lui dis aussi que pour elle, elle avoit raison de vouloir me pratiquer avant que de me donner le sien; j'ajoutai encore quantité de choses à celles-là, toûjours sur le même ton, & m'ayant témoigné qu'elle s'en contentoit je ne me crus pas malheureux, parce qu'elle me permit de l'aller voir après qu'elle en auroit eu le consentement de sa mere. Elle me promit de le lui demander d'abord qu'elle en trouverait l'occasion, & afin que je ne me deffiasse de rien, elle me dit que cette femme avoit tant d'amitié pour elle, qu'elle ne lui refusoit gueres tout ce qu'elle lui pouvoit demander: qu'elle me prioit de l'aller voir le lendemain, sous pretexte de mes chemises, que sa mère y seroit, & qu'elle vouloit qu'elle me vit, parce que quand elle m'auroit vûë, elle lui accorderoit encore plûtôt la permission qu'elle avoit à lui demander. Ce fut ainsi qu'elle me dora la pillule, & je l'avallai si bien que je ne manquai pas le lendemain au rendez-vous. Sa mere s'y trouva comme elle me l'avoit dit, & je ne saurois dire au juste, si elle l'avoit avertie ou non du tour qu'elle avoit envie de me jouër, & qu'elle me joua bien-tôt après, parce que le pretexte que j'avois d'aller chez-elle étoit si plausible que cette femme m'y pouvoit bien souffrir sans être de moitié de sa fourberie; mais si elle n'en étoit pas encore avertie en ce tems-là, elle le fut du moins bien-tôt après, puis qu'elle me permit non-seulement de retourner voir sa fille, mais encore de lui conter des fleurettes. Elle les reçût de la meilleure grace du monde, & comme si elle y eut été très-sensible. Cela me fit d'autant plus de plaisir, que j'en devenois de moment à autre amoureux de plus en plus. Cependant un jour que j'y allois, je rencontrai à cent pas de sa maison un garde de Mr. le Cardinal qui me dit que je ne mettois pas mal mes affections, que ma maîtresse en valloit bien la peine, & qu'il la connoissoit assez pour m'en répondre. Je fis semblant de ne pas entendre ce qu'il me vouloit dire par là. Je lui en demandai l'explication, & il me dit aussi-tôt que c'étoit inutilement que je voulois faire le fin avec lui; qu'il me voyoit entrer & sortir journellement de chez la couturière, & que même je n'y pouvois gueres mettre le pied sans qu'il ne s'en apperçût, qu'il demeuroit au dessous d'elle, & que j'étois bien Privilegié de la voir quand bon me sembloit, puis qu'il n'en avoit jamais pû venir à bout, quoi qu'il y eut fait tout son possible. Comme je vis qu'il me parloit ainsi d'original, je ne voulus pas lui insister davantage. Je tombai d'accord du fait avec lui, & lui ayant demandé si cette fille étoit aussi vertueuse qu'on me l'avoit dit, il me répondit en riant que c'étoit à lui plûtôt qu'à moi à me faire cette demande, parce que depuis le tems que je la voyois j'en pouvois rendre compte mieux que personne. Je lui repartis que la connoissance que nous avions faite ensemble n'étoit pas si ancienne qu'il croyoit, que je ne l'avois vû encore que cinq ou six fois, tellement qu'il en devoit savoir plus de nouvelles que moi, lui qui demeuroit dans sa maison. Il m'en confirma tout le bien que j'en avois déja ouï dire, & nous étant separez de la sorte je ne songeai plus qu'à avancer mes affaires auprès d'elle, puis que j'apprenois de mille endroits que sa conduite étoit telle que je ne devois point rougir d'y avoir mis mon inclination. Cependant deux ou trois jours après cette rencontre m'y en étant allé à mon ordinaire, sur les cinq ou six heures du soir, son frere y vint une heure après accompagné de trois de ses amis, qui avoient l'air de vrais satellites. Je fus surpris de le voir, & même jusques au dernier point. Car je devinai tout aussi-tôt qu'il ne venoit-là que pour me faire pieces. Je n'avois pas trop mauvaise raison, de le croire ainsi, & quand même je ne l'eusse pas cru son compliment me l'apprit assez. Il me demanda ce que je venois faire chez sa soeur, & si je croyois qu'il le souffrit impunément: en même, tems il se jetta sur moi avec ses trois amis, & n'ayant pû m'en deffendre, parce que je me trouvai surpris, il me dit de me preparer à la mort, parce qu'il ne me donnoit qu'un moment à vivre. Si j'avois été surpris de sa venuë, je le fus encore davantage de son compliment. Neanmoins, ayant l'esprit assez present pour m'aviser d'une chose à laquelle je fus redevable de ma vie, je lui dis que si je ne pouvois obtenir grace auprès de lui, je le priois du moins de me donner le tems de me preparer à mourir en bon Chrétien, qu'il souffrit que je passasse dans un cabinet qui étoit à côté d'où nous étions, afin de me recueuillir. Il me le permit, & en ayant fermé la porte sur moi avec un crochet, qui s'y trouva fortuitement, je commençai à fraper du pied sur le plancher, afin d'appeller le garde de Mr. le Cardinal à mon secours. Il étoit par bonheur pour moi dans sa Chambre avec trois ou quatre de ses amis qui devoient souper avec lui. Ils avoient entendu le bruit que mes assassins avoient fait en entrant, & principalement en se jettant sur moi. Ils n'avoient sçû ce que cela vouloit dire, parce qu'ils n'avoient pas coutume d'en entendre tant: mais l'appel que je leur faisois leur faisant juger qu'il y avoit quelque chose d'extraordinaire, ils monterent en haut pour voir ce que c'étoit. Mes assassins commençoient déja à vouloir enfoncer la porte du cabinet où j'étois; mais les entendant sur le degré ils convertirent leur fureur en crainte; voyant bien qu'on les obligeroit avant qu'il fut peu de rendre compte de leurs actions. Le garde étant arrivé à la porte avec ses amis, ils ne voulurent pas la lui ouvrir. Je lui criai au travers de la mienne d'envoyer chercher un Commissaire pour leur faire faire de force, ce qu'ils ne vouloient pas faire de bon gré. Il entendit ma voix au travers du murmure que faisoient ces assassins, pour consulter ensemble ce qu'ils avoient à faire dans une occasion si pressante pour eux. Ils prirent le parti que la prudence leur conseilloit, & ce fut de leur ouvrir la porte avant que le Commissaire arrivât. Comme il s'en étoit détaché un de la Compagnie du Garde pour aller chercher cet Officier, ils étoient alors quatre contre quatre, de sorte qu'il ne pouvoit manquer qu'il n'y eut bien du sang répandu, parce que le desespoir ou étoient ces assassins leur tenoit lieu de courage. D'abord que j'entendis que la porte étoit ouverte, j'ouvris celle du cabinet où j'étois, quoi que ces assassins m'eussent desarmé, en se jettant sur moi. Ce n'étoit pas le moyen de donner grand secours au garde ni à ses amis, mais le bonheur ayant voulu que ceux à qui j'en voulois me tournassent le dos, j'en surpris un par derrière & lui arrachai son épée, lors qu'il s'y attendoit le moins. Il se jetta dans le cabinet de peur que je ne le tuasse, ou qu'il ne fut percé par quelqu'un de ceux à qui il avoit affaire auparavant. Je le trouvai bien là, me flattant qu'il n'auroit pas la hardiesse d'en sortir comme j'avois fait. Nous fumes ainsi cinq contre trois, ce qui ne rendoit plus la partie égale. Mais le desespoir où ils étoient suppleant pour eux à l'inegalité ils se battirent avec tant de hardiesse, & de fureur qu'ils nous avoient déja blessé deux hommes, quand le Commissaire arriva. Pour ce qui est d'eux, ils l'étoient tous trois, & le secours que cet Officier nous amena nous en ayant rendu les maîtres, sans qu'ils pussent nous resister davantage, ils furent pris tous quatre, & emmenez au Chatelet. L'on y mena aussi la mere & la fille, & quoi que j'eusse pitié de celle-ci, & que je fusse porté d'inclination à lui pardonner, je crus neanmoins que je ne le devois pas faire, après une aussi grande tromperie que la sienne. Je pris soin dès le soir même d'informer Mr. le Cardinal de cette avanture, & comme je ne manquai pas en même tems de lui dire que j'avois l'obligation à son garde de m'avoir tiré de ce mauvais pas, il fut si aise de voir que celui qui l'avoit voulu tuer étoit entre les mains de la justice, qu'il lui donna une Lieutenance de Cavallerie dans son Régiment. Il y devînt en suitte Capitaine, & étoit encore en passe de devenir quelque chose de plus, quand il fut tué au combat du Faubourg St. Anthoine qui se donna quatre ans après. Les baricades de Paris après avoir eu le commencement que je viens de dire avoient eu une fin qui avoit beaucoup chagriné la Cour. Mathieu Molé premier President du Parlement, homme fin & rusé, & qui sous une simplicité apparente & un desinteressement simulé cachoit un coeur tout rempli d'artifice & d'interest, avoit été obligé par sa compagnie d'aller redemander à la Reine Broussel avec les autres magistrats qui avoient été arrêtez avec lui. Cette necessité lui avoit beaucoup déplu, parce qu'il étoit pensionnaire de la Cour, & qu'il apprehendoit de perdre ses bien-faits, en faisant quelque chose qui lui fut desagreable. Comme il n'avoit pas été tout seul au Pallais Roial, & qu'il y avoit avec lui des Députés de sa Compagnie, il lui avoit fallu parler à Sa Majesté sur le ton qui lui avoit été prescrit. La Reine avoit assez mal receu ce qu'il lui avoit dit, non pas tant toutesfois par rapport à sa personne que par rapport à ceux de la part de qui il venoit. Il avoit donc été obligé de s'en retourner sans rien obtenir; mais le peuple qui restoit toûjours en armes pour garder ses baricades, l'avoit contraint de retourner sur ses pas, lors qu'il s'étoit presenté. Ce n'avoit pas été même sans lui faire des menaces, que s'il ne réussissoit mieux cette fois là qu'il l'avoit fait l'autre, il lui en feroit porter la folle enchere. Ce Magistrat s'étoit donc presenté pour la seconde fois devant Sa Majesté, & ne lui avoit point caché la contrainte qui lui avoit été faite: cela avoit jetté la Reine dans un grand embarras, parce qu'elle apprehendoit de mettre l'authorité du Roi son fils en compromis. Mais le premier President lui ayant dit tout de nouveau, de quelle maniere les choses s'étoient passées à la baricade, & adjouté que si Sa Majesté s'obstinoit à ne pas accorder la liberté des prisonniers, il ne lui pouvoit repondre des suites qu'auroit la desobeïssance de ces seditieux, elle se resolut de le croire, de peur de porter les choses à l'extremité par une trop grande obstination. Le Conseil du Roi approuva sa resolution, & l'ordre ayant été expédié pour les tirer de prison, la sedition s'appaisa tout en aussi peu de tems qu'elle avoit été excitée. Ces choses étoient en cet état quand on mena mes assassins au Châtelet, Mr. le Cardinal qui y avoit des créatures les fit agir afin qu'on les jugeât à la derniere rigueur. Ils ne voulurent pas le desobliger pour si peu de chose. Car ils contoient pour rien la vie de ces miserables par rapport à la bassesse de leur naissance, plûtôt que par rapport à leurs actions. Ainsi ils les condamnerent à être pendus, dont ayant appellé au Parlement tout ce que le Cardinal put faire fut de les faire condamner au bannissement. Ce jugement ne lui plus pas tant qu'avoit fait l'autre, si bien qu'apprehendant qu'au lieu de sortir du Royaume, ils ne se cachassent à Paris, & qu'ils ne prissent leur tems pour l'assassiner, il fit donner une Lettre de cachet pour les envoyer à Salses. S'il eut pû les envoyer plus loin, & qu'il eut sû qu'ils y eussent voulu demeurer, il n'eut pas manqué à le faire. Il envoya Besmaux pour les y conduire, avec des Archers, commission qui ne lui plut gueres & dont je ne me ferois jamais chargé si j'eusse été à sa place, aussi le lui dis-je sans rien deguiser avant que de le laisser partir. Je m'y crus obligé plus particulierement qu'un autre, parce qu'étant lui & moy sur le même pied, auprès de son Eminence, j'apprehendois que la complaisance qu'il avoit pour elle ne me fit tort. Il me repondit que quand on avoit un Maître ce n'étoit que pour executer ses ordres, & non pas pour les controller, que c'étoit là son humeur, & que pour moi je pouvois faire tout ce que bon me sembleroit, sans qu'il y trouvât à redire. Je connus à cette réponse qu'il ne tiendroit à rien qu'il ne me fit une querelle d'allemand, pour peu qu'il y entrevit le moindre jour. Cela me surprit, parce qu'il avoit temoigné d'abord que cette commission ne lui étoit pas agreable, comme en effet elle ne le devoit pas être, pour peu qu'il y fit de reflexion; quoiqu'il en soit étant bien aise de ne me point faire d'affaire avec lui & moins encore avec Mr. le Cardinal à qui je craignois qu'il ne voulut faire sa cour à mes dépens, je lui dis que bien loin d'improuver ce qu'il faisoit j'étois prêt de lui donner ma bénédiction, afin qu'il put partir sans scrupule. Je ne sais si je lui dis cela d'un air de mépris, ou s'il le prit de cette façon, mais enfin m'étant presenté le soir devant Mr. le Cardinal il me tourna le dos sans me regarder. Il fit cela d'une manière si sensible que je ne pus douter qu'il n'eut quelque chose sur le coeur contre moy. Je l'attribuai aussi-tôt à Besmaux, & ne doutant point qu'il ne lui eut empoisonné ce que je lui avois dit, je resolus de m'en éclaircir avec son Eminence à la premiere occasion que j'en trouverois. Je ne me trompois pas, Besmaux qui étoit homme à sacrifier le meilleur de ses amis, des qu'il y alloit seulement pour lui de quelque apparence de fortune, n'avoit pas manqué à faire le flatteur auprès d'elle. Il lui avoit dit, lors qu'il en avoit pris congé, qu'il n'avoit pas tenu à un de ses amis de le dissuader de son voyage, sous pretexte que sa commission étoit plûtôt celle d'un Archer que celle d'un Gentilhomme; que pour lui, cependant il feroit non seulement ce personnage de tout son coeur, quand il iroit de son service, mais encore celui de Boureau. Mr. le Cardinal n'étoit pas extrémement jaloux qu'on se donnât à lui préferablement à tout autre, comme l'avoit été autrefois le Cardinal de Richelieu. Il disoit même quelquefois, pour avoir lieu de condamner sa memoire, & d'élever sa réputation à son prejudice, que bien loin de lui ressembler, il n'auroit point plus de joye que de voir passer ses Domestiques au service du Roi. Cependant quoi qu'il voulut paroître ainsi desinteressé, il ne laissoit pas de ressembler à beaucoup d'autres qui n'aiment pas qu'on trouve rien au dessous de soi, quand il y va de leur satisfaction; se lassant donc aller à croire que j'étois fort criminel, parce que Besmaux m'avoit fait passer pour tel dans son esprit, il continua non seulement de detourner les yeux de dessus moi, mais encore à me faire mauvaise mine. Je n'étois pas ni assez content de lui ni assez coupable pour recevoir ce traitement avec patience. Si j'eusse été coupable j'eusse été moi-même le premier à baisser les yeux, pour me dire que je l'avois bien merité, & si je lui eusse eu quelque obligation je me fusse dit peut être que l'on devoit tout souffrir d'un homme à qui on étoit si redevable, mais ce Ministre étant encore à faire la moindre chose pour moi, & d'ailleurs ne trouvant nullement qu'il se dût tenir offensé de ce que j'avois dit à Besmaux, je l'attendis un jour dans l'allée sombre où l'homme dont je viens de parler l'avoit voulu assassiner. Je savois qu'il n'y avoir point de jour qu'il n'y passoit, & même j'en savois l'heure, & pour ainsi dire jusques au moment; ainsi n'ayant pas eu le tems de m'y morfondre, je ne l'y vis pas plûtôt ou pour mieux dire, je ne l'y entendis pas plûtôt marcher, que je lui dis Monseigneur ne craignez rien, c'est Artagnan qui ayant reconnu que vôtre Eminence ne le veut pas regarder a cherché l'obscurité pour lui demander en quoi il est coupable, sans l'obliger à baisser les yeux devant lui. Mr. le Cardinal fut bien surpris à ma voix, & l'eut été encore bien d'avantage s'il ne l'eut pas reconnuë, & que je ne me fusse pas nommé; mais enfin s'étant rassuré par l'un & par l'autre, & sur tout parce que je lui témoignois par mes parolles que rien ne m'amenoit là que le desir de recouvrer ses bonnes graces, il me dit que s'il ne me regardoit pas ce n'étoit pas sans raison; que si j'en doutois, je n'avois qu'à me ressouvenir de ce que j'avois dit à Besmaux avant son départ. Je lui répondis que je n'avois que faire de rappeller ma memoire pour m'en ressouvenir, que je lui avoit dit telle & telle chose, & que non seulement j'en demeurois d'accord, mais encore que si la chose étoit à refaire, je n'en ferois pas moins que ce que j'avois fait; que je ne voulois que lui même pour juge, s'il convenoit bien à un gentilhomme de se mettre à la tête d'une troupe d'archers, quelque service qu'il y eut à lui rendre: que genereux comme je le connoissois, j'étois sûr qu'il ne l'approuveroit pas, quoi qu'un peu de préoccupation lui eut fait témoigner d'abord tout le contraire; que s'il avoit à m'éprouver ce pouvoit être par quelque autre endroit que celui là; & que quelque peril qu'il y eut il ne me verroit jamais reculer, pour veu que cela se pût faire sans deshonneur, mais que quand il y en auroit pour moi, ou que je le croirois, il me verroit rentrer tout aussi-tôt dans ma coquille. Il témoigna être content de ma justification, & Besmaux étant revenu quelque tems après de son Voyage, je lui battis froid comme à un homme dont je n'avois pas lieu d'être content. Champfleuri Capitaine des Gardes du Cardinal qui étoit nôtre ami commun, & qui vouloit nous raccommoder nous ayant conviez tous deux à venir manger la souppe chez lui, sans que nous fussions ni lui ni moi que nous nous y devions trouver, & encore moins boire ensemble, il se servit de cette occasion pour nous prier d'oublier le passé. Besmaux ne demandoit pas mieux, & ne jugeant pas que je me dusse faire tenir à quatre, parce qu'il y alloit plus du sien que du mien, à tout ce qui s'étoit passé, je fis tout ce que mon ami vouloit. Il nous fit choquer le verre ensemble, & les choses s'étant passées de la sorte, sans que dans le fonds j'eusse grande estime pour un camarade qui m'avoit fait une telle piece, je ne trouvai point d'occasion de lui donner sur les doigts, que je ne le fisse de bon coeur. Mr. du Tremblai Gouverneur de la Bastille frere du fameux Pere Joseph, qui avoit joué un rolle de grande consequence sous le Ministere du Cardinal de Richelieu, étant devenu malade en ce tems-là, je dis à nôtre ami que s'il me vouloit donner seulement mille Pistoles pour mon droit d'avis, je lui indiquerois une chose qui feroit sa fortune s'il étoit si heureux que de la pouvoir obtenir. Il étoit fin, mais non pas de cette finesse qui fait discerner aisément à quelle intention l'on parle. Toute celle qu'il avoit ne rouloit que sur son interest, & hors de là il n'étoit capable de rien. Il vouloit néanmoins qu'on le crut fort habile, & j'avois la complaisance de feindre que je le croyois tel, afin de me pouvoir moquer de lui plus aisément quand l'occasion s'en presentoit. Rien donc ne l'empêcha de donner d'abord dans le paneau, que la reflexion qu'il fit que si je savois une si bonne affaire, je la demanderois bien plûtôt pour moi, que de la donner à un autre. Il me témoigna sa pensée, & lui ayant répondu que si je n'y songeois pas, c'est qu'il y avoit des choses qui convenoient à l'inclination des uns, qui ne convenoient pas à l'inclination des autres: il m'interogea sur quoi je me fondois, que ce que j'avois à lui proposer lui plairoit plûtôt qu'à moi; je lui répondis qu'il étoit sur l'expérience, & me répondant qu'il n'avoit rien à me dire après cela, il me conjura de lui ouvrir mon coeur. Il me dit en même tems que je pouvois faire fonds sur les mille Pistoles que je demandois, & qu'il m'en feroit son billet, pour peu que je me defiasse de sa parole, je fus ravi de le voir de si bonne foi, & comme je l'avois fait mordre à l'hameçon d'une maniere qu'il ne s'en pouvoit plus dédire, je lui dis alors la maladie de du Tremblai, & que s'il m'en vouloit croire il demanderoit son gouvernement. Il fut si simple que de ne pas reconnoître encore que je me moquois de lui. En effet il me demanda d'un grand serieux à quoi j'avois reconnu qu'il y étoit plus propre que moi, & je fus obligé de lui dire devant qu'il le pû comprendre, que cela ne m'avoit pas été difficile, puis que devant que d'être bon concierge il avoit témoigné qu'il étoit bon archer, qu'au reste il avoit si bien réussi à l'un qu'il étoit impossible qu'il ne réussit encore bien à l'autre, que je lui souhaittois toute sorte de prosperité dans cette nouvelle charge principalement s'il avoit soin de me donner les mille Pistoles qu'il me promettoit. Il ne fut pas bien aise que je le raillasse de la sorte, il s'en plaignit à Champfleuri, qu'il tâcha d'interesser dans sa querelle, sous pretexte qu'après avoir été employé dans nôtre raccommodement il trouveroit que j'avois mauvaise grace de mépriser la peine qu'il y avoit prise. Mais comme il étoit plus de mes amis que des siens, il n'en eut pas toute la satisfaction qu'il esperoit. Le Cardinal qui avoit pris plaisir jusques là à entretenir la guerre, & qui pour en venir à bout plus facilement n'avoit pas fait tous les efforts qu'il eut pû faire, s'il l'eut voulu terminer, changea alors de politique. Il n'eut pas plûtôt veu les baricades de Paris, que jugeant de là, combien il étoit haï, & le danger qu'il y avoit pour lui qu'il ne s'élevât une nouvelle sedition, qu'il m'envoya en Allemagne vers les Plenipotentiaires que nous avions en ce païs là. Il les y avoit envoyez tout aussi-tôt après qu'il avoit été élevé au ministere, afin de faire accroire aux Peuples qu'il vouloit signaler les commencemens de son pouvoir par une chose aussi avantageuse à l'Etat que l'étoit la paix. Comme on ne le connoissoit pas encore, & que la Reine mere y avoit été trompée toute la premiere, croyant d'abord qu'elle l'avoit mise au poste où il étoit, qu'il s'en acquitteroit mieux qu'un autre, parce que l'intérêt, qui est un poison qui a coûtume de corrompre la plûpart des Ministres, ne feroit pas le même effet sur lui que sur une infinité d'autres, lui à qui elle ne voyoit ni enfans ni suivans, il n'étoit pas difficile néanmoins de savoir qu'il avoit des neveux & des nièces & même en grande quantité; mais il avoit toujours paru si indiffèrent pour eux, qu'il sembloit que c'étoit à quoi il songeroit le moins qu'à les enrichir, quand il se trouverait en place. Cependant l'appetit lui étant venu à mesure qu'il se voyoit maître d'un grand Royaume, il n'avoit plus songé qu'a pêcher en eau trouble afin de s'élever non seulement au dessus de leur condition, mais encore de leur esperance. Pour cet effet pendant qu'il fesoit sonner bien haut ses bonnes intentions pour la paix, & que pour les justifier il alleguoit le depart des Plenipotentiaires, il avoit envoyé des ordres secrets à l'un d'entr'eux d'y faire naître des obstacles insurmontables. Il s'étoit donc écoulé déja plusieurs années, sans qu'une assemblée si celebre eut rien produit. Les habiles gens mêmes avoient reconnu, il y avoit plus de deux ans, que tout cela n'étoit qu'une véritable mommerie; mais enfin le peril dont il étoit menacé lui faisant voir la nécessité qu'il y avoit pour lui de faire la paix avec les étrangers, pour se pouvoir deffendre des ennemis Domestiques, j'en portai les ordres à Mr. Servient. C'étoit un des plus fins hommes qu'il y eut jamais eu. Il jouoit ses collegues comme s'ils n'eussent pas eu le sens commun; aussi y en avoit t-il un qui n'étoit pas trop habile homme, & quoi que l'autre le fut d'avantage, cela n'empêchoit pas qu'il ne le fit donner souvent dans le panneau. Servient ayant receu ces ordres applanit bien-tôt toutes les difficultez qu'il avoit fait naître lui même. Il fit consentir les Suedois, qui avoient intêret à ce traité, à quantité de choses contre lesquelles il les avoit fait roidir lui-même auparavant: la Religion Catholique y fut un peu sacriffiée; on abandonna à ces Peuples quantité de païs où elle avoit toûjours régné jusques-là, & où ils commencerent à l'abolir insensiblement. On rendit aussi, pour plaire aux Princes Protestans, l'Evêché d'Osnabruk alternatif entre les Lutheriens & les Catholiques. Enfin l'Empereur qui étoit aussi pressé que le Cardinal de se delivrer de la crainte que lui causoient les Hongrois & quelques autres ennemis Domestiques, ayant consenti à demembrer l'Empire en faveur de la Reine Christine, qui étoit alors assise sur le Trone du Grand Gustave son Pere, ce traité fut conclu à Munster le 24. d'Octobre 1648. Le Roi d'Espagne & le Duc de Lorraine n'y voulurent pas entrer, qu'on ne leur rendit des conquêtes qui avoient été faites sur eux; & comme cela ne se pouvoit sans honte de la nôtre part, le Cardinal, qui eut été bien aise de leur faire mettre les armes bas, aussi bien qu'aux Allemans, se consola de la resistance qu'ils y faisoient, par la connoissance que chacun auroit qu'il n'auroit pas tenu à lui de rendre la paix generale. En m'en revenant de ce païs là j'eus ordre de passer en Angleterre ou il se joüoit d'étranges Tragedies. Ces Peuples après avoir chassé leur Roi de leur Capitale, & lui avoir donné plusieurs batailles l'avoient enfin réduit dans la fatalle nécessité de se jetter entre les bras des Ecossois. Lui à qui c'étoit à les proteger avoit été si malheureux que d'être obligé de réclamer leur protection. Les Anglois qui traitent d'ordinaire ces Peuples de Barbares, ne le virent pas plûtôt entre leurs mains, qu'ils resolurent de l'en tirer. Ils traiterent avec quelques uns des Principaux qu'ils le leur livreroient moyennant une bonne somme d'argent. La chose s'executa aussi tôt, & ce pauvre Prince fut fait prisonnier de ses propres sujets. L'on a toûjours attribué la cause de ces desordres à la Politique d'un grand Ministre qui avoit beaucoup à coeur la gloire de l'Etat dont l'administration lui avoit été confiée. Mais si cela est il a bien perdu son tems, quand il s'est efforcé de passer pour aussi homme de bien que grand Politique. Une telle conduite ne répond gueres à ce qui est répandu dans quelque livres de pieté qu'il a composez, mais peut-être aussi ne les a-t-il donnez au public que pour lui faire voir qu'il avoit assez d'esprit pour joüer tous les personnages qu'il vouloit. Car il me souvient qu'il composa aussi une Comedie dans le même tems, & même que le chagrin qu'il eut de ce qu'elle n'avoit pas le même succez que celles de Corneille, lui fit entreprendre de faire condamner le Cid par l'Accademie Françoise qu'il avoit établie. Il pensoit apparemment que comme elle lui avoit l'obligation de son établissement, elle se feroit un plaisir de lui témoigner sa reconnoissance, par une complaisance aveugle; mais il en arriva tout autrement qu'il ne pensoit, tellement qu'il eut encore le mécontentement de se voir tondu de ce côté-là. Quoiqu'il en soit si ce fut une chose fort extraordinaire que la prison de ce Prince; ces Peuples n'en demeurerent pas là: après avoir resolu d'agir criminellement contre lui & de le rendre soumis à leurs loix, comme le pouvoit être le moindre d'entr'eux, ils en étoient venus de la pensée aux effets. Cromwel qui s'est rendu fameux à toute la posterité, en s'élevant de la qualité de simple Gentilhomme à celle de Protecteur des trois Royaumes qui composent cette Couronne, étoit déja comme le maître de cette nation. Il s'étoit attiré cette puissance par une adresse merveilleuse qui avoit été suivie du consentement presque universel de tous ces Peuples. Il étoit un des hommes du monde le plus ambitieux; mais il sçavoit cacher ce deffaut sous de si belles apparences qu'on eut dit au contraire qu'il n'y avoit point d'homme moins superbe ni moins amateur des vanitez. Enfin il sembloit, tant il sçavoit bien joüer son personnage, que la procedure criminelle qui se faisoit contre Sa Majesté Britannique ne fut nullement de son goût, quoi qu'il ne demandât pas mieux que de lui voir perdre la tête sur un échaffaut. Les choses étoient dans cet état, quand la Reine sa femme qui s'etoit retirée en France, il y avoit déja trois ou quatre ans, pria la Reine Mere d'interposer son Authorité pour empêcher que cette felonie dont elle prevoyoit bien le cours, n'allât plus loin. Le Cardinal qui étoit bien aise que ces Peuples eussent des differens entr'eux qui les empêchassent de se mêler de ceux de leurs Voisins, n'avoit pas pris trop de soin jusques là déteindre ce feu, dont il ne lui étoit pas plus difficile qu'à la Reine d'Angleterre de prevoir toutes les suittes. Mais soit qu'il ne crut pas qu'elles pussent aller jamais si loin qu'on les vit aller avant qu'il fut peu, ou que les ressorts secrets qui font agir la plûpart des Ministres lui fissent fermer les yeux à toute autre consideration qu'à celle qui regardoit le bien de l'Etat qui lui étoit proposé, il étoit demeuré spectateur de toutes ces tragedies, sans penser que la charité & même l'intérêt du Roi, ne lui permettoient pas d'y être si indifferent. Il ne se fut pas même reveillé de cette lethargie sans les pressantes sollicitations de la Reine d'Angleterre. Cette Princesse qui vouloit, comme il étoit de raison, mettre toutes choses en oeuvre pour ne pas voir perir le Roi son mari, après en avoir parlé plusieurs fois à la Reine Mere, & à son Ministre, obtint enfin qu'on envoyeroit tout de nouveau quelqu'un en ce pays-là pour y faire un dernier effort. Plusieurs y avoient déja été inutilement, soit qu'ils eussent des ordres secrets de ne faire les choses qu'à demi, ou qu'ils ne trouvassent pas des dispositions favorables à réüssir dans leur negociation; quoi qu'il en soit son Eminence ayant jetté les yeux sur moi pour me confier une affaire de si grande importance, elle me donna ordre de venir recevoir mes instructions de sa propre bouche. Ce n'est pas qu'elle ne me les dut donner pas écrit, & même elle y faisoit travailler par le Comte de Brienne, Secretaire d'Etat des affaires étrangeres; mais comme il y avoit de certaines choses dont elle se reservoit le secret, elle ne voulut pas les lui confier, & me les expliqua tête à tête. Je n'eus point de caractere public dans ce voyage, quoique je m'y fusse attendu d'abord. Je m'en étois même déja rejouï par avance, sans en rien communiquer néanmoins à personne. Parce que je savois que ce Ministre vouloit tenir secret le lieu où j'allois: & en effet au lieu de le publier, il voulut au contraire que je passasse non seulement incognito en ce pays là, mais encore que je prise toute une autre route que celle qui y conduisoit. Il étoit bien aise de depaïser par là ceux qui seroient curieux sur ma marche, ainsi au lieu de me faire cheminer du côté de la mer, il m'y fit tourner le dos. Je pris mon chemin par la Champagne, & étant allé passer par Sedan, j'y rendis une lettre à Mr. de Fabert qui de peu de chose s'étoit élevé jusques à la dignité de Gouverneur de cette place qui étoit alors une des plus considerables de tout le Royaume. Il avoit une étrange réputation, savoir de parler tous les jours à ce qui s'appelle un genie, & on vouloit, je ne sais pas sur quel fondement, qu'il l'avertit de l'avenir. Je sais bien pourtant ou à peu près sur quoi tout cela étoit fondé, c'est qu'il avoit toûjours aimé de certains livres qui ne sont pas trop bons, & qu'il s'étoit venté d'une apparition lors qu'il étoit à neuf ou dix lieuës de Paris dans un chateau qui appartenoit au Duc d'Epernon. Je ne saurois dire au juste si cette reputation lui étoit bien duë ou non. Cela passe ma connoissance, & tout ce que j'en puis dire c'est qu'il étoit homme d'esprit. Aussi le Cardinal de Richelieu qui lui avoit fait donner ce Gouvernement en faisoit beaucoup de cas, & ne faisoit gueres de choses sans en prendre son avis. Le Cardinal Mazarin n'avoit pas fait d'abord tout de même, non qu'il ne sut à peu près dequoi il étoit capable, mais parce qu'il vouloit avoir pour lui ou pour quelqu'une de ses creatures son Gouvernement, comme il avoit fait de la charge de Treville. Fabert n'avoit pas voulu le lui donner, & cela avoit fait naître à son Eminence la pensée de le perdre. Il s'y étoit même resolu d'autant plûtôt qu'il étoit en grande liaison avec Mr. de Chavigni son ennemi declaré. Fabert qui avoit reconnu d'abord sa méchante volonté pour lui ne s'en étoit guerres mis en peine d'avantage. Comme on étoit dans un tems où il suffisoit de se faire craindre pour ne se pas soucier beaucoup d'être aimé, il s'étoit abstenu d'aller à la Cour, de peur de s'y voir arrêté. Il avoit fait le petit Roi dans son Gouvernement, comme il arrivoit alors de faire à quantité de Gouverneurs. Le Cardinal en avoit pris l'allarme, de sorte que pour empêcher qu'il ne se jettât entre les bras des ennemis, il avoit changé de conduite à son égard. Cependant comme son coeur étoit toujours de même pour lui, il avoit tâché de l'attirer à Paris sous divers pretextes. Il prétendoit toujours l'y faire arrêter. Mais Fabert qui étoit tout aussi fin que lui & qui ne manquoit pas de bons amis à la Cour, qui l'avertissoient de tout ce qui s'y passoit, il n'avoit jamais voulu sortir de sa place, & y avoit trouvé de bonnes raisons: tantôt il lui avoit mandé que s'il s'en éloignoit les ennemis prendroient ce tems là pour l'assieger, & tantôt qu'il avoit lui-même quelque entreprise à faire, qui demandoit sa residence. Le Cardinal avoit bien entendu ce que cela vouloit dire, & n'avoit pas jugé à propos de lui en demander une plus ample explication. Les choses étoient demeurées en cet état pendant quelque tems, mais enfin Fabert qui avoit envie de pousser sa fortune encore plus loin qu'elle n'étoit, voyant que s'il en vouloit prendre le chemin, il devoit gagner la confiance de ce Ministre, il étudia son inclination, afin de le pouvoir prendre par son foible. Il reconnut bientôt que sa passion dominante étoit l'avarice, ainsi lui proposant quelque expédient pour diminuer la depense de sa Garnison, & pour empécher que nos trouppes qui ravageoient bien autant la champagne qu'eussent pu faire les ennemis, s'ils y fussent entrez, n'y continuassent leurs desordres, ils devinrent à la fin si bons amis que ce n'étoit plus ce que c'étoit auparavant. Le Cardinal lui écrivoit réglément toutes les semaines, & soit qu'il crut que par le moyen du genie dont je viens de parler, il fut plus capable qu'un autre de lui donner conseil, il commençoit à imiter le Cardinal de Richelieu, c'est à dire à le consulter tout comme avoit fait ce Ministre. Je reconnus bien leur étroite intelligence, d'abord que je lui eus presenté une lettre que son Eminence m'avoit donnée pour lui. Car après m'avoir regardé comme pour m'arracher quelques parolles de la bouche, comme il vit que je le regardois de mon côté sans lui rien dire, il me demanda si je croirais réüssir dans mon voyage: je lui répondis que je ne savois de quel voiage il vouloit parler, mais m'ayant dit que je ne devois point finesser avec lui, & que Mr. le Cardinal l'instruisoit de toutes choses, je ne reconnus pas plûtôt qu'il me disoit vrai à quelques paroles qu'il me lâcha, que je lui repartis que je n'étois pas assez habile pour lui en parler affirmativement, que tout ce que je lui pouvois dire c'est qu'il ne tiendroit pas à moi & que j'y emploierois tout mon savoir faire. 11 ne tiendra pas à vous, me dit il, & c'est de quoi je suis bien persuadé sans que vous en juriez. Mais ou je suis bien trompé ou vous vous en reviendrez sans rien faire: vôtre voyage ne fera que hâter les mauvais desseins que cette Nation a contre son Roi, parce qu'elle n'aime pas que les étrangers se donnent la liberté de se mêler de ses affaires. Je lui répondis que peut-être prendroit-elle garde à deux fois à ce qu'elle feroit, parce qu'elle apprehenderoit sans doute que la paix ne se fit avec les Espagnols, tout comme elle venoit de se faire avec les allemans, & que les deux Couronnes ne tombassent après cela sur elle, lorsqu'elle y penseroit le moins. Il me repartit de prendre bien garde à ne leur pas faire cette menace, parceque ce seroit le moyen justement de tout gâter, que cela lui feroit faire un traité avec l'Espagne qui ne vouloit point de paix, qu'elle ne l'avoit déja que trop témoigné en refusant d'entrer dans celui qui avoit été fait à Munster; que ce refus ne procedoit que de ce qu'elle esperoit que nous nous brouillerions bien-tôt nous mêmes dans nôtre Etat; qu'elle n'avoit pas trop de tort de le croire, parce que les esprits étoient disposez en France d'une maniere qu'à la premiere chose qui arriveroit on verroit d'étrangers revolutions; que le Cardinal avoit fait un coup d'étourdi quand il avoit fait arrêter Broussel & ses compagnons; qu'il devoit prevoir ce qui en arriveroit; mais enfin qu'après en avoir fait la faute, il devoit la soutenir au peril de sa vie; que d'avoir fait relâcher ces prisonnniers comme il avoit fait, c'étoit vouloir qu'on lui fit la loi en toutes rencontres; qu'il ne tarderoit guerres à s'en appercevoir, & que quoique l'orage fut appaisé en apparence, il le verroit éclatter bientôt tout de nouveau & plus terrible mille fois qu'auparavant; qu'au reste les Anglois étoient nos voisins de trop près, & avoient de trop bons espions chez nous pour ignorer tous ces mouvemens; que c'étoit ce qui leur donnoit la hardisse de faire le procès à leur Roi, & ce qui le feroit perir miserablement; qu'ainsi si le dessein du Cardinal étoit de le sauver, il lui diroit bien tout ce qu'il avoit à faire, & tout ce que j'avois à faire aussi; que toutes mes instructions ne devoient rouler que sur l'étroite correspondance que je devois entretenir avec Cromwel & avec le Parlement d'Angleterre, parceque si j'entreprenois de vouloir sauver Sa Majesté Britannique, bien loin d'y pouvoir réüssir, je ne ferois que me perdre avec elle; que quand il me parloit ainsi de moi, j'entendois bien apparement ce qu'il vouloit dire par là; que sous mon nom il entendoit tout l'Etat qui étoit presque tout aussi malade que le pouvoit être celui d'Angleterre. Son raisonnement étoit fort juste, aussi Mr. Le Cardinal m'avoit dit de bouche avant que de me faire partir, de prendre bien garde à tout, quand je serois arrivé en ce Pais là; que si je voiois que tout y fut desesperé pour Sa Maj. Britannique je le laissasse perir comme les autres, puis qu'il ne me serviroit de rien de l'en vouloir garentir; qu'au surplus de quelque maniere que les choses s'y passassent je songeasse bien que l'intérêt du Roi, & celui de l'Etat ne demandoient pas que les esprits s'y réünissent bien qu'ils pussent s'opposer à nos entreprises. Je demeurai deux jours à Sedan où ce Gouverneur me fit fort bonne chere, quoi qu'il ne se mit pas sur le pied de tenir une table delicate, comme faisoient quantité d'autres Gouverneurs. Il songeoit bien plûtôt à faire le bien de sa famille, qui étoit assez nombreuse, pour croire qu'il ne mourroit pas sans heritiers. Je pris congé de lui après ce tems là, & étant descendu à Liege par la Meuse, je passai de là à Cologne où je croiois trouver cet Electeur. J'avois des lettres à lui rendre de la part de son Eminence, mais ne l'y ayant pas trouvé, je fus obligé d'aller à Breuil où il étoit. C'est une maison de plaisance qui appartient à ceux qui jouïssent de cet Electorat. Je m'acquittai de ma commission, qui n'étoit pas bien difficile. Cette lettre ne contenant que des complimens qui étoient pourtant fort interessez, comme avoit coutume d'être tout ce que faisoit ce Ministre. Comme il prevoioit aussi bien que Fabert que sa Fortune n'étoit pas trop assurée, après ce qui étoit arrivé, il tâchoit de se procurer une retraite auprès de cet Electeur, en cas qu'il en eut besoin. Cependant comme il sçavoit que les presens ne servent pas peu à entretenir l'amitié, je lui portai aussi avec ma lettre un portrait de la Vierge, dont le Duc de Savoye avoit fait present à son Emminence. Je pris congé de lui après avoir demeuré deux jours à sa Cour, qui n'avoit rien de recommandable pour un Prince souverain. Je trouvai même que ses inclinations ne repondoient pas trop à la grandeur de sa naissance. Il demeuroit enfermé tout le jour sans se montrer à personne, & il s'occupoit là de la recherche de la pierre philosophale, du moins si l'on en veut croire ce qui s'en disoit. Cela étoit cause qu'il n'avoit jamais un sol, & tout son revenu s'en alloit en fumée au lieu de vivre comme une personne de sa condition. Ce n'est pas qu'il n'y eut assez à manger à sa table, mais tout y étoit si mal appreté, que quand on sortoit comme je faisois d'un endroit où l'on faut aussi bonne chere que l'on fait en France, on pouvoit dire que l'on y mouroit de faim. Je fus de là à Bruxelles où je pouvois aller seurement, à cause d'un passeport que son Eminence m'avoit envoyé à Breuil. Je n'y vis personne, & n'y ayant fait que coucher, je fus m'embarquer à Ostende où j'appris qu'il y avoit un vaisseau qui passoit en Angleterre. C'étoit un vaisseau armé moitié en guerre, moitié en Marchandise, & nous n'eumes pas fait plus de trois ou quatre lieuës que nous en vîmes paroître un autre qui portoit Pavillon de France. Comme le nôtre portoit celui d'Espagne, ils ne se furent pas plûtôt reconnus, qu'il ne leur en fallut pas davantage pour se preparer de part & d'autre au combat. Ils étoient à peu prés de même force, mais dans un moment cette egalité disparut; nous vîmes avancer un vaisseau qui se hâtoit de venir vers nous comme y ayant grand interêt. Il étoit beaucoup plus prés de celui de France que du nôtre, si bien que celui-ci put discerner plûtôt que nous qui il étoit. Il étoit espagnol & d'abord qu'il le reconnut, il s'enfuit au lieu de venir à nous. Les deux vaisseaux espagnols commencerent ainsi à lui donner la chasse, on le poursuivit même de si prés que je crus qu'il alloit être pris. Cela me fit de la peine & le chagrin que j'en avois paroissant sur mon visage, je ne m'entendis pas seulement accabler d'injures au même tems, mais donner encore un coup de bâton dont je me crus assommé. Je tournai la tête du coté d'où le coup venoit, pour voir qui étoit si hardi que de me traitter de la sorte, je vis que c'etoit le Capitaine du vaisseau, & bien que je ne puisse esperer vraisemblablement de m'en venger, qu'il ne m'en coutât la vie, je ne laissai pas de mettre l'épée à la main pour la lui passer au travers du corps. Rien ne lui fit echaper mon ressentiment que la precaution qu'il eut de me tourner le dos. Sa fuite me l'ayant ainsi dérobé, un Chevalier de Malthe Espagnol, homme d'une des premieres Maisons de toute l'Andalousie qui avoit vu son action, mit l'épée à la main tout aussi tôt, non pour m'aider à tuer celui qui l'avoit faite, mais pour empêcher que quelques uns de ses soldats à qui il avoit dit de me tuer n'exécutassent son commandement. Il me dit de ne rien craindre, & qu'il periroit plutôt que de souffrir que ce brutal m'outrageât davantage. Le respect qu'on avoit pour lui fit que ces soldats n'oserent poursuivre leur pointe. Les passagers même qui étoient en grande quantité dans le vaisseau se rangerent auprès de nous pour empêcher qu'on ne nous fit insulte. Les matelots qui bandoient tout leur esprit auparavant à joindre le vaisseau François se relacherent alors de leurs soins pour voir ce que cela vouloit dire. Comme c'étoit nôtre vaisseau qui le serroit de plus prés, & que l'autre qui le poursuivoit n'étoit pas trop bon voilier, il se servit de ce relâche pour se tirer de péril & nous le perdimes bientôt de veuë; l'autre vaisseau en ayant fait tout autant, il s'en vint à nous pour savoir à quoy il tenoit que nous ne l'eussions pris. Il nous trouva sous les armes les uns contre les autres, dont il demeura tout surpris. Cependant celui qui m'avoit outragé lui ayant voulu faire sa cause bonne il lui dit qu'il n'étoit qu'un brutal, & qu'il y avoit long-tems ou'il le connoissoit pour tel; qu'il étoit fâché de n'avoir pas le pouvoir de m'en faire justice, mais que puisque j'allois en Angleterre il me donneroit un bon conseil; que je m'en plaignisse à l'Ambassadeur d'Espagne & qu'il le feroit arrêter tout aussi-tôt. Je ne fus point content de cet expédient, que je ne trouvois pas capable de me satisfaire, après l'outrage que j'avois reçû. J'eusse voulu que l'on m'eut permis de lui passer mon épée au travers du corps, ou du moins de lui couper le visage, comme il le meritoit bien; mais enfin voyant que ce seroit inutilement que je m'efforcerois de le faire, & que je n'en aurois jamais la permission, je répondis à celui qui paroissoit si bien intentionné pour moi, que l'Ambassadeur dont il me parloit ne sauroit peut-être ou prendre ce maître brutal, qu'ainsi je n'en aurois aucune satisfaction. Il me repartit qu'il falloit de toute necessité qu'il fut décharger ses Marchandises dans quelque Port d'Angleterre; qu'elles étoient pour le compte de quelques Marchans Anglois, & que ce seroit-là où on l'attraperoit; que cependant il me diroit, pour me consoler toûjours en attendant, qu'il ne pouvoit venir rien de bon d'un homme comme celui-là; qu'il avoit été renegat, & corsaire, & que Sa Majesté Catholique ne l'avoit reçû en grace qu'à la recommandation d'un des principaux de son Conseil; que l'accès qu'il avoit trouvé auprès de lui ne meritoit pas neanmoins qu'il s'en ventât; que ce n'avoit été qu'en lui faisant present d'une esclave qu'il avoit achetée quelque part en Barbarie; que ce Ministre en avoit passé maintenant sa fantaisie, de sorte qu'il ne falloit pas craindre qu'il lui servit davantage de support. Ce Capitaine, qui étoit aussi honnête que l'autre étoit brutal, ayant fait ainsi tout son possible pour diminuer l'excès de mon ressentiment, il nous fit monter dans son bord, le Chevalier de Malthe & moi, après m'avoir promis qu'il seroit lui-même mon solliciteur auprès de l'Ambassadeur d'Espagne. Il s'en alloit à Londres, & il nous y mena. Nous y arrivâmes pour ainsi dire en moins de rien, le vent qui nous poussoit étant si favorable qu'il ne pouvait gueres l'être davantage. Ce Capitaine me tint parole d'abord qu'il y fut arrivé. Il raconta à l'Ambassadeur tout ce qui m'étoit survenu, & lui en demanda justice en mon nom. Je fus bien embarrassé si je devois l'aller voir, ayant peur que ma visite ne fut pas approuvée de la Cour dans la situation où étoient les affaires des deux Couronnes. Car elles se brouilloient toûjours de plus en plus. Le Cardinal avoit fait arrêter tout nouvellement sur la frontiere un homme qui venoit à Paris pour y porter le Parlement à se déclarer entierement contre ce Ministre. Comme ils y avoient vû beaucoup de disposition, parce qui étoit arrivé, ils se flattoient que pour peu de soin que l'on prit à rattiser le feu qui avoit commencé à paroître, il ne tarderoit gueres à causer un grand embrasement. Cet homme fut fouillé quand on l'arrêta, & on lui trouva sur lui plus de choses qu'il ne lui en falloit pour le perdre. Son Eminence ne voulut pas qu'on fit éclat de cette affaire, de peur que cela ne haussât le coeur aux mal-intentionnez, quand ils se verroient soutenus par une Couronne qui avoit accoutumé de balancer le pouvoir de la nôtre. Cependant comme il ne vouloit pas laisser ce crime impuni, il m'écrivit de lui donner avis quand je serois arrivé à Calais, par où je devois passer en m'en revenant. L'embarras où j'étois touchant l'Ambassadeur d'Espagne ayant tenu quelque tems mon esprit en suspens, je me deffis à la fin de mes scrupules. Je considerai que la visite que je lui rendrois n'avoit rien qui fut préjudiciable au service du Roi. Je fus donc le voir, & m'ayant parfaitement bien reçû, je ne lui eus pas plûtôt conté mon affaire, que faisant un jugement de moi plus avantageux que je ne devois esperer, il me demanda ce que j'étois venu faire en ce païs là. Il soupçonna tout aussi-tôt, à ce que je reconnus depuis, que j'y étois envoyé de la part de la Cour, tellement que m'observant depuis les pieds jusques à la tête, il me fut aisé de voir qu'il eut voulu être devin pour savoir ce que j'avois dans le coeur. Je lui donnai le change, & afin qu'il ne le put deffier de rien, je lui répondis que j'avois une affaire en France qui m'avoit obligé d'en sortir, que je m'y étois battu contre un de mes parens, & que comme les duels y étoient deffendus, sous de grosses peines, je n'avois point eu de repos, que je ne me fusse vû en lieu de seureté. J'eus beau déguiser ainsi ce que j'étois, je ne pus lui en faire accroire. Il me demanda les tenans & les abboutissans de mon prétendu combat. Je ne m'étois pas préparé à ma menterie, du moins comme il le falloit être pour n'être pas trouvé menteur, de sorte que lui ayant conté la première chose qui me vint dans la pensée, il lui fut facile de savoir que tout cela n'étoit qu'une imposture; parce qu'il avoit des gens sur les lieux qui lui en manderent la vérité. Je trouvai cependant les choses si mal disposées pour réüssir dans ma négociation, que suivant les instructions que j'en avois je ne jugeai pas à propos d'en dire un seul mot; tout au contraire je tâchai de m'insinuer dans la confiance de Cromwel pour qui j'avois une lettre de creance. Comme c'étoit un fin politique il avoit des espions en campagne qui lui rendoient compte de tous ceux qui entroient ou qui sortoient d'Angleterre, pour peu qu'ils parussent gens à y devoir faire attention. Il savoit ainsi ma venue dès le même jour que j'y avois mis pied à terre. Au reste comme il s'étoit écoulé plus d'une semaine depuis ce tems-là, & qu'il n'y avoit point d'apparence que j'eusse tant tardé à le voir, si ce n'est que j'avois quelque chose à examiner auparavant, je lui devins encore plus suspect, que je ne l'étois à l'Ambassadeur. Il n'eut garde de m'en rien témoigner, & me traitant au contraire avec une cordialité capable d'y prendre un bien plus fin que moi, il me dit qu'il se tenoit bien redevable à Mr. le Cardinal des offres de service qu'il vouloit bien lui faire faire; qu'il se donneroit l'honneur de lui recrire, & que comme il ne témoigneroit jamais si-bien dans sa lettre la reconnoissance qu'il avoit de sa bonté comme elle étoit gravée dans son coeur, il me seroit bien obligé de lui vouloir dire de bouche tout ce qu'il tâchoit de m'en faire connoître. Il accompagna des paroles si obligeantes d'un Diamant qui pouvoit bien valoir deux cent pistoles: il voulut que je le prisse, & je ne voulus pas le refuser, de peur que Mr. le Cardinal ne le trouvât mauvais. Cela m'eut ôté toute sorte de soupçon, supposé que j'en eusse eu auparavant. Cependant comme tout conspiroit à me tromper aussi-bien du côté de l'Ambassadeur, que de celui-là, son Excellence fit arrêter le Capitaine qui m'avoit fait insulte d'abord qu'il sut qu'il étoit arrivé à Gravesende. Il me fit dire en même-tems qu'il m'en feroit bonne & brieve justice, & je n'eus pas de lieu d'en douter effectivement, puis qu'il le fit mettre en prison. Il est vrai qu'il y avoit encore d'autres plaintes contre lui que les miennes qui ne meritoient pas moins qu'il en fut fait un exemple, que ce qu'il avoit fait contre moi. Au reste toutes ces honêtetez m'ayant consolé de ma méchante fortune, au lieu de prendre le paquebot pour me rendre à Calais, comme j'en avois le dessein auparavant, je pris une barque tout exprès entre Douvres & un endroit où il y a deux tours que les mariniers appellent ordinairement les deux soeurs. Je le fis par ordre exprès de Mr. le Cardinal, qui m'avoit recrit non-seulement de le faire, mais encore de débarquer auprès de Boulogne à une baye dont je ne me ressouviens plus du nom. Il me mandoit que j'y trouverois de ses nouvelles, & que je ne manquasse pas à executer de point en point tout ce qu'il me commanderoit. Je ne pris pas soin de cacher mon depart, parce que je ne croyois point que rien m'y dut obliger; mais à peine fus-je parti de Londres que Cromwel d'un côté & l'Ambassadeur de l'autre mirent des gens en campagne pour m'enlever. Ils croyoient que je dusse prendre la route de Douvres, & ne la point quitter, que je n'y fusse arrivé, mais comme j'avois ordre de m'assurer d'une barque pour me rendre où il m'étoit ordonné, ils me manquerent en chemin. Ils furent quand ils se furent redressez, que j'avois fait marché avec un patron pour me rendre du côté de Boulogne. Ils en chercherent quelque autre chacun de leur côté pour me devancer s'il étoit possible, mais ayant perdu quelque tems avant que d'en rencontrer, j'étois déja en seureté qu'ils étoient encore les uns & les autres à plus de trois lieuës de moi. Comme ces deux barques suivoient la même route que j'avois prise, & qu'elles cherchoient toutes deux la même chose, elles ne se furent pas plûtôt apperçûës l'une & l'autre qu'elles crurent que c'étoit justement ce qu'elles cherchoient. Elles se presserent donc de se joindre, ce qui les en devoit desabuser, pour peu qu'elles y voulussent songer; car si c'eut été moi comme elles pensoient, je n'eusse songé qu'à suivre ma route, sans me mettre en peine de connoître qui me suivoit. Mais comme on ne fait pas toûjours reflexion à toutes choses, principalement quand l'esprit se trouve préoccupé, ces deux barques qui étoient armées toutes deux de Mousquets, ne furent pas plûtôt à portée de se faire une décharge qu'elles se la firent sans se ménager en aucune façon. J'étois encore sur le rivage & même je n'y faisois que d'arriver. Au reste je ne sus ce que cela vouloit dire, & j'en fus quelque tems en peine. Cependant comme le vent étoit bon pour venir en France, & qu'elles avoient fait encore près d'une lieue lorsque cela arriva, j'eus le plaisir de voir ce combat, où je ne croyois pas avoir tant d'interêt que j'en avois, puis qu'il se faisoit uniquement pour l'amour de moi. Après cette decharge il s'en fit encore une autre, devant que de s'aborder; puis en étant venus alors à l'abordage, ils reconnurent quand ils eurent jetté les yeux les uns sur les autres, que ce qu'ils cherchoient n'y étoit pas. Il y avoit eu deux ou trois hommes de tués de chaque côté, & qui plus est un des deux patrons étoit blessé d'un coup tout au travers du corps. Comme ils virent cela, & qu'il ne leur serviroit de rien de se battre davantage, ils firent leur paix, & entrerent tous dans une même barque, après s'être dit que ce qu'ils cherchoient s'étoit sauvé. Car ils voyoient de loin celle qui m'avoit apporté, & quoi qu'ils ne me pussent pas reconnoître d'où ils étoient, ils se douterent bien que c'étoit moi. Le patron qui étoit blessé s'en vint se faire penser où j'étois, & comme il ne me connoissoit pas, & qu'on lui demanda à quelle occasion les gens qu'il avoit avec lui s'étoient battus, il conta ingenuement tout ce qu'il en savoit. Je fus ravi de l'avoir évité si belle. Comme j'avois trouvé là les ordres dont Mr. le Cardinal me parloit, & que c'étoit pour retourner en mer, je crus que je devois attendre que ces gens s'en fussent éloignez, afin de ne pas tomber entre leurs mains. Les ordres qu'il m'envoyoit étoient de faire embarquer l'homme qui étoit venu pour debaucher le Parlement, & de le voir jetter en mer avant que de m'en revenir, quand nous ferions à quatre ou cinq lieuës de la rade. Comme il ne demandoit que mon témoignage, & que je n'avois nulle part à l'execution je crus que je ne pouvois pas desobeïr. Il avoit envoyé ce pauvre miserable sur les lieux, sans lui signifier un ordre si cruel: on lui avoit fait accroire au contraire qu'on le renvoyoit en son païs. Je ne sais ce qu'il en avoit pensé en chemin, parce que ce n'étoit pas là son plus court; mais enfin quand il fut à une demie lieuë de terre, & qu'on ne craignoit plus qu'il fit retentir l'air de ses lamentations, on ne feignit plus de lui dire sa condamnation Il fut bien surpris à cette nouvelle, & se récria fortement contre l'injustice qu'il pretendoit qu'on lui fit. Elle n'étoit pas trop grande, cependant, & il meritoit bien la mort, puis que le droit des gens n'a jamais permis de faire ce qu'il avoit fait. Il pretendoit bien le contraire néanmoins, & que puis qu'il étoit envoyé par une Puissance on ne le pouvoit traiter ni comme traitre ni comme espion, mais il eut beau reclamer contre son arrêt il lui en fallut passer par-là. Il s'y resolut donc voyant que c'étoit une necessité, & comme ceux qui le conduisoient avoient amené avec eux un aumonier, il le confessa, puis il subit son jugement, avec plus de confiance qu'il ne paroissoit en avoir d'abord. Je m'en retournai ensuite d'où je venois, & ayant pris la poste à une lieuë de là je passai par Boulogne ou je fus voir Mr. Daumont qui en étoit Gouverneur aussi-bien que de tout le Boulonnois. C'étoit assez que je fusse au Cardinal pour en être bien reçû. C'étoit un homme tout politique, & tout dévoué à la faveur. Il me regala magnifiquement, & après y avoir resté jusques au lendemain après midi, je repris la poste, & arrivai à la Cour qui étoit encore à Paris. La Reine d'Angleterre qui n'avoit point eu depuis long tems des nouvelles du Roi son mari, en étoit extrèmement en peine, & sachant que je revenois de ce païs là, elle m'envoya dire, comme j'avois l'honneur d'en être connu, qu'elle seroit bien aise de me parler. Comme je n'avois rien de bon à lui dire, j'eus d'abord la pensée de faire le malade, pour n'être pas obligé d'y aller, mais considerant que cela ne pouroit pas toûjours durer, & qu'outre cela elle pouroit envoyer quelqu'un chez moi, qui me presseroit si fort de sa part que ce seroit presque la même chose que si j'avois affaire à elle, je me resolus de lui obéïr. J'y fus donc, mais au lieu de lui dire tout ce que je sçavois, je lui deguisai les choses tellement, qu'elle n'en fut pas plus savante. Je lui dis qu'on tenoit le Roi de si court, depuis deux ou trois mois, qu'il étoit impossible d'en pouvoir parler que par presomption; que j'avois veu en ce païs là Milord Montaigu, & quelques autres de ses plus fideles serviteurs, qu'ils en étoient tout aussi en peine qu'elle en pouvoit être, & que ce Milord ayant fait deguiser son neveu pour pouvoir l'aborder plus seurement, il avoit été pris sur le fait & envoyé en prison. Cette circonstance m'étoit tout à fait avantageuse pour lui faire accroire ce que je lui disois, mais comme cette Princesse avoit de l'Esprit infiniment, elle me fit réponse qu'elle étoit perduë, & que de la maniere que je lui parlois elle voyoit bien que s'étoit fait du Roi son époux. Je tâchai autant que je pus de calmer ses allarmes, mais comme on a souvent un secret pressentiment de son malheur, elle pleura amérement, sans que moi ni personne de tous ceux qui étoient autour d'elle l'en pussent jamais empêcher. Elle n'avoit pas trop grand tort de juger mal de ses affaires, & en effet les Anglois ayant poussé les choses jusques à ce point de felonie que de faire comparoître leur Roi sur la sellete, pour y rendre compte de ses actions, l'on vit ce que l'on n'avoit jamais veu jusques là ni même ce dont on n'avoit jamais ouï parler auparavant, l'on vit dis-je des sujets s'ériger en juges de leur souverain, & le condamner à la mort. Toute l'Europe fut non seulement toute étonnée d'un paricide si odieux; mais en gemit encore étrangement. Cependant personne n'entreprit de le venger, au moins des Puissances Voisines, parce que la plûpart avoient guerre ensemble, & qu'il y en avoit même qui étoient affligées aussi bien que l'Angleterre de guerres civiles. Nous étions malheureusement pour nous dans ce cas, & les barricades de Paris avoient produit ce méchant effet, que tant du côté de la Cour que de celui des Peuples il y avoit toutes les dispositions imaginables à causer un embrasement, qui avoit bien la mine de ne pas s'éteindre si tôt. La Reine Mere étoit au desespoir, de ce qu'on l'avoit forcée, pour ainsi dire, le poignard à la gorge, de rendre la liberté à un homme que le conseil du Roi son fils avoit trouvé assez coupable pour l'en priver. Les Peuples de leur côte qui avoient été appuyés dans leur revolte par le Parlement se tenant tout fiers de l'avoir veu couronner par un succès avantageux au lieu de la punition qui leur en étoit duë, n'en étoient que plus portés à faire éclater quelque nouvelle desobéissance. La Cour n'osoit plus faire d'Edits qu'ils n'y trouvassent à reduire, & comme les nécessitez de l'Etat demandoit qu'on en fit journellement, ou du moins que le Ministre étoit bien aise de le faire accroire, il y eut tous les jours des requêtes presentées au Parlement pour ne pas souffrir qu'on égorgeat ainsi tout le Royaume pour enrichir un homme, dont l'avarice étoit telle qu'il ne seroit jamais content qu'il ne se fut engraissé du sang du Peuple. L'on designoit assez par là le Cardinal Mazarin dont l'humeur ménagère pour ne pas dire quelque chose de pis, deplaisoit furieusement à tout le monde; mais quand on ne se fut pas assez expliqué pour le faire connoître on le nomma bien-tôt formellement, afin que personne n'en put douter. Le Parlement fut ravi que l'on eut ainsi recours à lui pour servir de Mediateur entre le Roi & son Peuple: plusieurs de cette Compagnie qui avoient bon appetit crurent que cela leur donneroit moyen de faire leurs affaires, mais comme le Cardinal n'étoit pas trop liberal, ils virent bientôt qu'ils auroient beaucoup à décompter, s'ils vouloient faire fonds là dessus. Ceux qui avoient remarqué qu'il falloit s'en faire craindre pour en arracher ce que l'on vouloit changerent alors de batterie, & commencerent à le prendre à partie de tout ce qui donnoit lieu de murmurer. Ils l'accusèrent de faire durer la guerre pour ses intérêts particuliers & comme ils ne le pouvoient prouver à l'égard de celle de Flandres, ils eurent recours à ce qui s'étoit passé en Allemagne entre Servient & ses Collegues, afin que la connoissance que l'on avoit du passé servit de préjugé pour ce qui se passoit presentement. Ils formerent encore bien d'autres accusations contre lui, & comme c'étoit sonner le bouteselle de la guerre civile, le Cardinal resolut de les prevenir. La Reine Mere y étoit toute disposée d'elle même, ainsi la veille des Rois cette Princesse ayant fait sortir de Paris le Roi son fils, à qui le Cardinal donnoit déjà d'étranges impressions de cette Ville, elle se retira à St Germain en Laye, Chateau scitué sur la croupe d'une montagne qui est arrosée au pied, de la riviere de Seine. On ne parla plus là que d'assieger ces seditieux, & Mr. le Prince qui ne trouvoit rien d'impossible le promit à la Reine, ou du moins de les bloquer, bien qu'il n'eut pas plus de dix à douze mille hommes pour le seconder dans une si grande entreprise. Le Parlement eut été bien étonnné quand il apprit ce dessein, si ce n'est qu'il avoit préveu la chose de longue main. Cependant comme toute sa prévoyance n'avoit pas été jusques là que de lui faire faire des provisions pour un si grand Peuple, & même que cela étoit absolument impossible, il crut qu'il feroit bien mieux de rechercher un accommodement que de s'exposer aux reproches qui lui étoient inévitables, s'il etoit cause de leur perte. Quantité de pauvres gens qui alloient extrémement souffrir n'avoient que faire en effet des mouvemens secrets qui les faisoient tous agir: la faim les alloit presser, & l'on n'en pouvoit douter nullement, de la maniere que les choses se passoient déja. Car enfin, comme une si grande populace ne subsiste d'ordinaire qu'au jour la journée, il étoit non seulement tout visible que quand elle viendroit à manquer de pain, elle l'en accuseroit tout aussi-tôt; mais qu'elle l'en rendroit peut-être encore responsable. Ce furent ces reflexions qui obligerent cette Compagnie de ne pas pousser les choses si loin que quelques uns de ses membres eussent bien voulu. D'ailleurs les plus sages étoient bien aises de se disculper de quantité de choses, dont on les accusoit. Les plus éclairés vouloient qu'il entrât plus de brigues & d'ambition dans toutes leurs assemblées que de zele pour le bien public; ainsi ils deputerent quelques uns d'entr'eux à St. Germain, offrant de se ranger dans le devoir, à de certaines conditions, qui montroient encore néanmoins que s'ils ne vouloient pas être les Maîtres tout à fait, du moins songeoient-ils à tirer au bâton avec celui qui le devoit-étre. Cela deplut à la Reine Mere qui avoit été avertie dés avant leur depart de Paris des propositions qu'ils avoient à lui faire. Ainsi les ayant renvoyés sans les vouloir écouter, le Parlement s'en trouva tellement scandalisé, qu'il donna un arrêt contre le Cardinal. Il y fut déclaré ennemi de l'Etat & en cette qualité indigne de remplir la place qu'il occupoit. Ce corps donna ordre en même tems à ce que la Ville fut gardée, & comme cela ne se pouvoit faire sans avoir des troupes, il ordonna quelques nouvelles levées tant de Cavalerie que d'Infanterie. Mr. de Longueville qui ne faisoit que d'arriver de Munster où il étoit à la tête de nos Plenipotentiaires, plûtôt à cause de sa qualité que de son merite, au lieu de se montrer reconnoissant de la grace que la Cour lui avoit faite de le choisir par preference à un autre pour un poste si considerable, fut le premier à se declarer contr'elle. Il quitta St. Germain où il avoit d'abord suivi le Roi, pour venir offrir ses services au Parlement. Cette Compagnie les accepta de bon coeur, & sa desobéïssance ayant été suivie de celle de quelques autres grands, il pretendoit, comme il avoit le rang au dessus d'eux à la Cour, que les offres de service qu'ils avoient faites pareillement à cette Compagnie ne lui pouroit préjudicier pour la qualité de Généralissime de ses armées, quand il fut obligé de la ceder à un autre qui étoit encore plus grand que lui. Le Prince de Conti ou tenté de changer sa crosse contre une épée, car il étoit Abbé de St. Denis, ou envoyé peut-être par le Prince de Condé son Frere pour avoir encore par son moyen quelque credit dans le Parlement qu'il alloit perdre en se declarant contre lui, vint aussi à Paris dans le même dessein qu'y étoit venu le Duc de Longueville. Il mit d'accord par là quelques Ducs & quelques autres personnes de qualité qui ne vouloient pas demeurer d'accord d'obéïr au Duc de Longueville. Ils pretendoient voir auparavant un brevet dont sa Maison se ventoit de devoir aller immediatement après les Princes du sang. Ils ne croyoient pas cette pretention si bien établie qu'ils ne songeassent à la disputer, sur tout ne voyant pas qu'il en joüit à la Cour où l'on voyoit tous les jours les Princes de la Maison de Savoye & de Lorraine lui disputer le pas. Or les Ducs soutenoient qu'ils ne le cedoient point à ceux là, & que par consequent, ils ne devoient point aussi le lui ceder. Mais si c'étoient là leurs pretentions le Maréchal de la Motthe Houdancour qui étoit mécontent du Cardinal, & qui dans le dessein de s'en venger, parce qu'il l'avoit fait mettre en prison, d'où il ne faisoit que de sortir, étoit venu offrir pareillement sa tête & son épée au Parlement, en avoit une contr'eux qui paroissoit beaucoup mieux fondée que la leur. Il pretendoit que leur qualité de Duc n'entroit point en concurrence avec la sienne, quand il s'agissoit du commandement d'une Armée, & que les Maréchaux de France étoient de cent piques au dessus deux à cet égard. Enfin toutes ces differentes pretentions eussent peut-être causé encore une autre guerre que celle qui étoit prête de s'allumer, quand le Prince de Conti les mit tous d'accord par son arrivée. Ceux qui disputoient ce commandement au Duc de Longueville n'oserent disputer à sa qualité de Prince du sang ce qu'ils étoient prêts de soutenir contre l'autre, à la pointe de l'épée; ainsi tout ce différent s'étant terminé par là Mr. le Cardinal me dit de me préparer à retourner en Angleterre. Je pris la liberté de lui répresenter que j'y étois suspect à Cromwel, qui y avoit bien encore accru sa Puissance, depuis la mort funeste de Charles Premier. Cet homme qui étoit un des plus grands Politiques qu'il y ait eu depuis long tems dans l'Europe, après avoir reconnu par l'experience qu'il en avoit faite en plusieurs rencontres, que les Anglois étoient gens à tout entreprendre pour maintenir leur liberté, leur avoit fait abolir la qualité de Roi, sous laquelle ils avoient toûjours vécu, pour s'ériger en Republique. Il les avoit leurés par là d'une maniere que peu s'en falloit qu'ils ne baisassent les pas par où il passoit, & qu'ils ne coupassent ses habits en piéces pour en faire autant de Reliques. Jamais on n'a veu en effet une si grande amitié pour un homme que ces Peuples en eurent pour lui au commmencement. Il fit bien d'avantage encore en leur faveur. Comme le commun Peuple après s'être délivré de la Puissance Royale, regardoit encore une espece d'esclavage l'authorité que la Chambre Haute avoit dans le Parlement, il la supprima tout de même qu'il avoit déjà fait la Royauté. Il est impossible de dire les benedictions qu'il en eut de la populace, elle en fit des feux de joye pendant plusieurs jours, & en ayant receu des acclamations tout autant de fois qu'il se montroit en public, son Eminence ne fut pas plûtôt qu'il avoit fait ce coup là, qu'il le jugea capable de faire doresenavant tout ce qu'il voudroit entreprendre. La pensée qu'il en eut & celle qui lui vint en même tems de lier une étroite amitié avec lui, fut cause du commandement dont je viens de parler. Il fit attention à la réponse que je lui avoit faite là dessus, & comme il sçavoit comment j'avois été poursuivi par les gens de ce nouveau tiran, & par ceux de l'Ambassadeur d'Espagne, peut-être que ma remonstrance eut fait quelque impression sur lui, si ce n'est qu'il me croyoit plus capable qu'un autre de me ménager avec les esprits de ce païs là. Il ne pretendoit pas seulement envoyer faire compliment à Cromwel sur ce que son pouvoir augmentoit de moment à autre, mais reconnoître encore ceux qui avoient le plus de credit auprès de lui, afin de se les rendre favorables par ses largesses. Il me donna donc des lettres de change pour vingt mille écus, me disant que s'il m'en falloit d'avantage pour executer son commandement, je n'aurois qu'à l'en avertir & qu'il me les envoyeroit aussi-tôt: C'est pourquoi rien ne me devoit empêcher de faire des avances jusques à la somme que je trouverais bon de promettre. Je partis comme malgré moi pour ce païs là; & Cromwel ne me vit pas plûtôt qu'il me reconnut. Il me demanda aussi-tôt si je le tromperois cette fois là comme j'avois fait l'autre, & que j'avois été bien heureux de m'échaper de ses mains, que si j'y fusse tombé dans la conjoncture où l'on étoit, il ne pouvoit me dire de quelle maniere il m'eut traitté; parce que cela eut dépendu de mille choses; qu'il me pardonnoit, presentement qu'il n'y avoit plus de peril, principalement si je lui apprenois ce que j'étois venu faire en Angleterre en ce tems là. Cromwel me parloit avec tant de bonté & de cordialité que je resolus de lui avouër naïvement toutes choses. Je ne pris pas garde que j'allois deroger par là au caractere dont j'étois revêtu. Je sçavois bien pourtant que dans le portrait qu'en a fait un homme de ce siecle, qui a passé pour avoir beaucoup d'esprit, il a pretendu que bien loin qu'un Ministre public doive faire le personnage que j'allois faire, il doit bien plûtôt mentir avec gravité. C'est du moins la deffinition qu'il lui donne, & qui n'est pas trop mal inventée, en égard au personnage que la plûpart de ceux qui en sont revêtus jouent tous les jours à la veuë de toute l'Europe; me departant donc à ce coup là de cette politique quand je l'eusse même cru inseparable de ma qualité, je dis à Cromwel qu'il n'avoit pas en trop de tort de me soupçonner pour être autre chose que ce que je paroissois être; que j'étois venu effectivement la premiere fois en Angleterre, à un autre dessein que de lui faire un simple compliment; que j'avois eu ordre de sçavoir en quel état étoient les affaires de Charles, & de me conduire selon ce que je viendrois à en apprendre, qu'il ne le devoit pas trouver mauvais, parce que s'il se mettoit à la place de Mr. le Cardinal il avoueroit qu'il n'en eut pas moins fait que lui. Il aima mon ingenuité, & me dit qu'on faisoit bien mieux les affaires de son maître en convenant comme je faisois de la verité, qu'en s'efforçant de la deguiser; qu'il vouloit être de mes amis, à condition que je fusse des siens; qu'il m'en demandoit ma parole, persuadé qu'il étoit que quand je la lui aurois donnée je la garderois inviolablement. Je me tins extrémement honnoré de cette maniere d'agir, & lui disant que ce n'étoit pas de mon amitié dont j'osois l'assurer, mail d'un respect dont je ne me departirois de ma vie, il me répondit fort obligeament que je laissasse là le respect, & que je lui accordasse ce qn'il me demandoit. Je tâchai par une reponse toute remplie de defference & de soumission de ne pas dementir la bonne opinion qu'il vouloit bien me témoigner avoir de moy. Enfin cette entreveuë ayant de quoi me contenter infiniment je tâchai de me servir de l'estime dont il m'honnoroit pour avancer auprès de lui ce que Mr. le Cardinal m'avoit recommandé. Je lui parlai de la passion que son Eminence avoit d'étre de ses amis, & qui étoit telle qu'elle ne manqueroit jamais à la moindre chose qui seroit capable de le lui prouver. Il me répondit en riant que je faisois mon devoir de tâcher de se lui persuader, & que s'il vouloit faire le sien, il me répondroit qu'il ne me conseilloit pas tellement de me fier à sa parolle que de vouloir être sa caution; que ce Ministre venoit d'un Païs où l'on ne le faisoit pas une loi de tenir tout ce que l'on promettoit, qu'il étoit bien vrai qu'il n'y avoit point de regle si generale qui n'eut son exception, mais enfin que d'être Italien & Ministre d'Etat d'un grand Royaume, tel qu'étoit la France, & en même tems rempli de sincerité, c'etoit presque deux choses incompatibles; qu'il le lui diroit à lui même s'il lui parloit, comme il faisoit à moy, qu'il me diroit même que plus il y trouveroit à redire plus ce seroit une marque qu'il lui auroit dit la verité. Il se mit en même temps à goguenarder avec moy, sur toutes les grimaces que l'on faisoit dans la plûpart des Cours, me demandant si celles de France & d'Espagne en avoient jamais été meilleures amies pour toutes les Ambassades qu'ils s'étoient envoyées, aussi bien que pour toutes les alliances qu'ils eussent jamais contractées ensemble. Je ne pus lui dire autre chose sinon que je croyois qu'il avoit raison. Il aima encore ma bonne foi, & nous étant separés de la sorte, il me dit qu'il me vouloit donner à diner en famille avant que je m'en retournasse en France; qu'il ne pouvoit mieux me marquer l'estime qu'il faisoit de moy, que de me traiter de la sorte; qu'il n'en usoit comme cela qu'avec ses bons amis, & que de se depouiller ainsi avec eux de sa dignité c'étoit leur montrer qu'on n'avoit pas envie de les surprendre en quelque maniere que ce pût être. Le Colonel Harrisson, Malmey & Lambert, étoient ses plus confidens. Il me presenta lui même à eux, & ils me donnerent tous trois à manger, mais trop proprement & avec trop de sumptuosité pour croire qu'ils le fissent de bon coeur; car quand on donne à manger à ses amis on n'y fait point tant de façon. Je fus ravi qu'il me fit connoitre ainsi lui même ceux qui étoient les siens, & ne m'y pouvant plus tromper, puisque c'étoit de sa propre bouche, me les avoit nommés, je leur rendis à sous trois un repas, qui n'eut pas été inferieur au leur, si j'eusse eu une maison aussi bien meublée que je l'eusse pu souhaitter pour les recevoir; mais comme il y a bien à dire qu'il y en ait en ce Pais là de telles, comme il s'en trouve une à S. Cloud chez le nommé Denoiers, tout ce qui put manquer à mon festin, c'est que le lieu où nous mangeames ne répondoit pas à la depense que j'y avois faite. Il est vrai que je n'y avois rien épargné, d'autant plus que je pretendois bien le mettre sur le compte de M. le Cardinal. Je croyois qu'il n'y pourroit trouver à redire, & que comme c'étoit pour ses interêts, & non pas pour les miens, que je les traittois, il ne m'en diroit jamais mot. Je fis après cela tout ce qu'il falloit faire, & tout ce que la prudence me pouvoit suggerer pour attirer ces trois Colonels dans son parti: mais comme l'Ambassadeur d'Espagne m'avoit primé, & qu'il leur avoit promis monts & merveilles pour être sourds à toutes les propositions qui lui pouroient être faites de ma part, je trouvai des gens si durs qu'il me fut impossible de les amollir. Je le mandai à Mr. le Cardinal, & l'informai en même tems de ce que je croyois qui en étoit cause. Il me fit reponse que quoique les Indes fournissent à l'Espagne des tresors que la France n'avoit pas, comme nôtre Couronne l'avoit toûjours emporté pardessus l'autre, il falloir tâcher encore que ce fut la même chose en cette occasion; qu'ainsi je n'y epargnasse rien, & que je n'en serois point dedi, quelque dépense que j'y eusse faite. J'avois déja offert mes vingt mille écus pour les gagner. Ils avoient traité cela de bagatelle, & il falloit bien que l'Espagne chantât sur un autre ton, puis qu'ils me méprisoient si fort: mais enfin cette lettre me parlant en termes si précis que je croyois pouvoir aller jusques à cent mille écus, s'il en étoit besoin, j'en fus quitte à meilleur marché, puisque moyennant soixante mille, je les fis convenir de faire tout ce que voudroit Mr. le Cardinal. Je le mandai à son Eminence, me tenant tout fier de la victoire que je remportois sur l'Ambassadeur; mais la reponse que j'en receus, au lieu de me rejouïr, eut de quoi me mortifier étrangement. Il me manda que de la maniere que j'en usois, il s'étonnoit comment avec les Soixante mille écus je n'avois pas encore promis la Couronne du Roi mon maître; qu'il n'avoit que faire de leur amitié à ce prix là, & qu'il aimoit mieux s'en passer que de l'acheter si cher. Il m'ordonna en même tems de m'en revenir, & n'en voulant rien faire que je ne me fusse disculpé auparavant à ces trois Messieurs de mon manquement de parole, je le fis du mieux que je pus, quoi que j'y fusse bien empêché. Quand je fus de retour à Paris, & que je voulus porter dans mon compte à son Eminence la dépense que j'avois faite pour les traiter, elle me dit que je me moquois d'elle & me la raya; elle me dit aussi que s'il faloit qu'elle payât tous les festins qu'il plairoit à ses Domestiques de donner, le revenu du Roi n'y suffiroit pas, que c'étoit à ceux qui convioient les autres à danser à payer les violons, & qu'il n'y avoit que moi qui voulut y obliger les autres. La manière dure dont je vis qu'elle me parloit & qui sentoit sa correction, me parut insupportable. J'en parlai à Mr. de Navailles qui étoit comme son favori, ou qui du moins avoit assez son oreille, pour lui redire quand il lui plairoit tout ce que je lui aurois dit. Je lui dis que j'étois resolu de la quitter, ne pouvant plus souffrir le mauvais traitement qu'il me faisoit tous les jours; que je le priois de lui demander mon congé, & que je lui en aurois obligation. Comme il étoit de mes amis il me demanda si je me moquois de lui parler de la sorte, qu'il n'étoit pas homme à me croire dans ma colere, & que s'il le faisoit, ce seroit le plus méchant office qu'il me put jamais rendre; si je voulois perdre le tems qu'il y avoit que j'étois à son Éminence; que je me donnasse patience & que ce qu'elle ne faisoit pas en un jour pour ses domestiques elle le fesoit avec le tems; qu'il étoit bien vrai qu'elle eut pu se dispenser de me dire tout ce qu'elle m'avoit dit; mais que ce qui me devoit consoler c'est que je n'étois pas le seul qui essuyât ainsi ses brusqueries, qu'il n'en étoit pas exempt non plus que les autres, mais que comme ce Ministre avoit toutes les graces du Royaume entre les mains, & qu'elles ne pouvoient couler que par son canal, il falloit non-seulement se mordre les levres quand on avoit la demangeaison de se plaindre de ses injures, mais encore étouffer le ressentiment qui en pouvoit naître dans son coeur; qu'il falloir prendre le bon & le mauvais des gens à qui l'on avoit affaire, & se resoudre quelquefois à passer de mauvaises heures, afin d'en avoir un jour de bonnes. J'avois bon besoin de ces remontrances pour remettre mon esprit, tant il étoit ulceré contre ce Ministre. Ce n'est pas que la dépense qu'il jettoit sur moi injustement me souciat beaucoup, quoi que fusse dans un tems à avoir besoin de toutes mes pièces: mais il me sembloit, comme il étoit vrai effectivement, que quand il eut eu la raison de son côté comme il étoit bien éloigné de l'avoir, il y avoit des manières plus honnêtes que les siennes de faire la correction. Mais c'étoit-là son caractere, & bien qu'il fut le plus fourbe de tous les hommes, il avoit cela de particulier en lui, qu'au lieu bien souvent de cacher ce qu'il pensoit il s'en expliquoit en des termes qui étoient encore mille fois plus offensans pour ceux que cela regardoit, que le soupçon qu'il pouvoit avoir, ou de leur fidelité ou de leur preudhomie. Quelques jours après il y eut un Lieutenant aux Gardes de tué à un Château que l'on voulut emporter en Flandres, & comme malgré le conseil que m'avoit donné Mr. de Navailles j'étois resolu de le quitter à la première occasion que j'en trouverois, je lui demandai cette charge qui me fournissoit un beau prétexte de me contenter. Il me regarda, attentivement à cette demande & craignant qu'il ne me dit encore quelque dureté, je me mordis la langue d'avance, parce que je me sentois une certaine demangeaison de lui parler comme il falloit, s'il venoit encore à me blâmer. Mais au lieu de me dire quelque chose de desobligeant il me répondit avec son baragouin dont il ne s'est jamais pû deffaire jusques à la mort, _Monsieur d'Artagnan on ne connaît pas un homme pour le voir, j'ou vous avois toujours pris pour un aigle, & j'ou vois que vous n'êtes qu'un oison. Me vouloir quitter pour une Lieutenance aux Gardes; sachez qu'un Capitaine dans ce Regiment voudroit avoir trouqué sa charge contre vous, & vous avoir encore douné vingt mille écous de retour. Un Gouvernement est la moindre chouse que peut esperer oun de mes Doumestiques; vouiez la belle comparaison qu'il y a donc doune Lieutenance aux Gardes avec oun Gouvernement_. Un autre à ma place se seroit consolé de ce refus, par les belles esperances qu'il me donnoit; mais comme c'étoit le plus grand prometteur du monde, & que je le connoissois mieux que personne, je ne m'en crus pas plus avancé pour cela. Je m'imaginai au contraire que son refus ne venoit que de ce qu'il avoit quelque Marchand en main qui lui vouloit donner de l'argent comptant de cette charge. Je ne me trompois pas, il y avoit le fils d'un homme d'affaire qui la lui marchandoit. Ce n'étoit pourtant gueres là le poste d'une personne de si basse naissance. Quand j'étois arrivé à Paris ces sortes de charges n'étoient remplies que par des gens de la première qualité, mais comme la condition chez lui n'étoit pas ce qui lui paroissoit le plus recommandable, & qu'il faisoit bien plus de cas de la richesse, il les eut données encore à un homme moindre que celui-là, pourvû qu'il lui en eut voulu donner cinquante pistoles plus qu'un autre. Le Duc de la Feuillade que le Roi à honnoré, il n'y a pas long-tems, de la charge de Mestre de Camp de ce Regiment a fait ces jours-ci une chose qui témoigne qu'il ne ressemble pas trop mal à ce Ministre, à la reserve qu'il chante pouille quand on ne lui veut pas donner ce qu'il demande, & que son Eminence ne se rebutoit point jusques à ce qu'il vit qu'il n'y avoit plus rien à esperer pour lui. Le fis d'un Fermier General de mes amis ayant voulu acheter ces jours passez une Enseigne aux Gardes, d'une personne de sa connoissance & de la mienne, & le marché en étant fait à quatorze mille francs, comme il a voulu avoir l'agrément du Duc avant que de demander celui du Roi, il lui a dit qu'il ne prit pas cette Charge de celui de qui il la marchandoit, & qu'il lui en vouloit vendre lui-même une pareille qui étoit en sa disposition: le fils du Fermier en a été ravi, parce qu'il a cru que cela lui faciliteroit sa reception. Mais quand c'est venu à parler du prix, l'autre en a voulu avoir deux mille Loüis d'or, sous prétexte que ce qui coutoit quatorze mille francs à une personne de condition en devoit couter vingt-deux tout du moins à un roturier comme lui. Il a voulu ainsi verifier en sa personne ce qui se dit d'ordinaire des villains, savoir qu'ils entrent dans les charges par la porte dorée: mais quoi que celui-ci le soit de pere en fils, jusques à la millieme generation, cela n'empêche pas qu'il n'ait mieux aimé ne pas entrer dans les gardes que d'y entrer en donnant huit mille francs plus qu'il ne falloit. Mr. le Cardinal m'ayant refusé de la sorte, je résolus de faire ce que me conseilloit Mr. de Navailles, c'est-à-dire de prendre patience, jusques à ce qu'il plut à son Eminence de me donner quelque établissement. Au reste comme je ne trouvois point que j'en pusse prendre de meilleur que d'avoir quelque charge auprès du Roi, ce fut à cela que je buttai uniquement. Besmaux ne me ressembla pas, & soit qu'il aimât à trouver toujours la nappe mise, ou qu'il se sentit moins propre à la guerre qu'à la servitude, bien loin de songer à sortir de celle où il étoit, il ne demanda qu'à s'y enfoncer encore plus qu'auparavant. Il dit à son Eminence que comme chacun étoit de son sentiment, & croyoit avoir raison, il ne lui demanderoit pas comme moi de lui faire changer de maître; mais de l'attacher tellement à lui qu'il en devint desormais inseparable; que tout ce qu'il desiroit étoit d'avoir quelque charge dans ses gardes; parce qu'il ne s'éloignerait jamais par-là de sa personne. Je ne sais si une telle demande s'accordoit bien avec la mouche qu'il portoit toujours au coin de l'oeil. Il ne l'avoit jamais arborée que pour apprendre à tous ceux qui ne l'avoient jamais vû à la guerre, que ce n'étoit pas sa faute qu'ils eussent eu de si méchans yeux, puis qu'il falloit bien qu'il y eut été, aux marques honnorables qu'il en portoit encore sur le visage; pretendant donc s'avancer par-là bien plus avant dans la carriere que je ne ferois de ma vie, & me jetter en même-tems de la poussiere aux yeux, il se trouva que Mr. le Cardinal nous rendit justice bien-tôt après à l'un & à l'autre. Comme il le croyoit plus propre que moi à garder sa salle, & moi plus propre que lui à rouller dans l'armée du Roi, il lui donna la Lieutenance de ses Gardes, & à moi une charge pareille à celle que je venois de lui demander. Nous fumes ainsi contens l'un & l'autre, & je tâchai de servir dans la mienne d'une manière que je n'y pusse pas demeurer toûjours. Car quand on est poussé d'une belle ambition, quoi qu'on ait obtenu ce que l'on desire, on desire bien-tôt quelque chose davantage. L'homme à cela même de particulier en lui qu'il n'est jamais content de sa fortune: Il aspire toûjours à quelque nouveauté, & le Roi même n'est pas exempt de cette foiblesse, quoi qu'il semble que rien ne manque à ses desirs. Ouï j'appelle foiblesse cette phrenesie qui fait que nous ne sommes jamais contens dans nôtre condition presente, & en effet bien que je vienne de lui donner moi-même un autre nom, je l'ai fait plûtôt sans y penser que je n'en ai parlé selon que je devois, pour en dire la verité. Le Cardinal après avoir emmené le Roi, de Paris, étant excité par la Reine mere & par son propre ressentiment de venger les injures communes qu'ils avoient reçûës du Parlement & des Parisiens qui ne les haïssoient gueres moins l'un que l'autre, quoi qu'il y eut bien à dire qu'ils leur en eussent donné le même sujet, le Cardinal dis-je après avoir resolu dans son ame de ne pas laisser leur rebellion inpunie, tint Conseil avec Mr. le Prince comme il s'y devoit prendre pour y réussir. Mr. le Prince avoit été detourné d'abord de cette resolution par ses veritables amis, & par ses bons & fideles serviteurs. Ils lui avoient representé qu'il perdroit par-là l'amitié de cette Compagnie, que son pere, dont l'exemple n'étoit pas à mépriser, avoit ménagée, tellement qu'il l'avoit toûjours mise au nombre des choses qui lui étoient les plus precieuses. Mais le Cardinal, qui quand il avoit une fois affaire de quelqu'un, ne se soucioit guerres de faire des bassesses, pour veu qu'il put parvenir à ce qu'il desiroit, se mit à genoux devant lui pour le prier de ne pas abandonner ses interêts, qui dans cette occasion avoient une telle connexité avec ceux de l'Etat, qu'on pouvoit dire que c'étoit presque une même chose. Il avoit bien fait plus, il s'étoit raccommodé avec le President Perrault, Intendant de ce Prince, qu'il ne pouvoit souffrir auparavant, parce que, sous pretexte du merite & du credit de son maître, il vouloit presque avoir autant de voix en chapitre que s'il eut été lui même premier Ministre. Comme il étoit fier naturellement comme le sont presque tous les gens qui viennent de peu, comme il venoit, il parloit non seulement bien haut, quand il y alloit des intérêts de Mr. le Prince ou des siens, mais encore de ceux de moindre personne qui appartenoit à son maître. Il étoit President de la Chambre des Comptes, qui étoit beaucoup pour lui, par rapport à sa naissance, mais étant de ceux dont je viens de parler, c'est à dire de ces gens qui ne sont jamais contens de leur fortune, il voulait être President à mortier. Mr. le Cardinal le lui avoit promis par plusieurs fois, & même eu avoit donné parolle à Mr. le Prince, mais comme il apprehendoit l'esprit altier de ce President, il ne s'étoit pas beaucoup pressé de la lui tenir. Il avoit trouvé un pretexte de s'en deffendre par le peu d'obéïssance que rendoit le Parlement & par l'attache que tous ceux qui possedoient de pareilles charges avoient à les garder. Il disoit, comme c'étoit la verité, que l'un en rendoit une nouvelle création dangereuse, & que l'autre mettoit de l'impossibilité à le gratifier d'une de celle qui étoient déja sur pied. Il tiroit ainsi tout l'avantage qu'il pouvoit esperer de leur raccommodement, sans qu'il lui en coutât rien, parce que l'autre n'étoit pas assez deraisonnable pour lui demander l'impossible. Le Prince s'étant ainsi rendu aux desirs de son Eminence, à quoi la Reine mere encore ne contribua pas peu, en le conjurant de ne pas abandonner son fils ni elle dans une conjoncture de si grande consequence pour eux, il fit marcher ses troupes du côté de la Riviere de Seine au dessous de Paris. Leur petit nombre les empêcha de se pouvoir emparer de tous les postes avantageux, & comme Charenton étoit du nombre de ceux qui n'étoient pas occupez, le Prince de Conti qui avoit été declaré Generallissime des forces du Parlement y envoya deux mille hommes sous le commandement du Marquis de Chanleu. Il fit des barricades à la hâte pour se deffendre dans ce trou qui ne valloit rien. Le Comte de Brancas, Chevalier d'honneur de la Reine Mere, tâcha de le retirer de sa desobéïssance avant qu'il la fit éclatter davantage. Ils étoient proches parens, & les liens du sang qui doivent se faire sentir particulierement dans un tems, comme celui-là, le rendirent hardi à ne lui rien déguiser pour lui faire reconnoître sa faute; mais comme l'autre se plaignoit du Cardinal qu'il accusoit de l'avoir laissé en arriere pour avancer des gens qui avoient beaucoup moins servi que lui, il ne le voulut jamais croire. Mr. le Prince qui avoit peur que les Parisiens n'entreprissent de secourir ce poste qui n'étoit éloigné de leurs Faubourgs que d'une petite lieuë tout au plus, s'avança lui même de ce côté là, quoi que cette bicoque fut indigne de sa presence. Il se mit au dedans des murailles qui enferment le Parc de Vicennes avec quelques Cavalerie pendant qu'il fit garder l'Abbaye de Conflans & Carrieres par son Infanterie. Il chargea le Duc de Chatillon de faire cette attaque; & comme celui-ci vouloit à toute force être Marêchal de France, il esperoit que le Cardinal qui avoit à coeur cette entreprise, lui en tiendroit plus de compte que de tout ce qu'il avoit pû faire, d'ailleurs M. le Prince se servit des murailles du Parc de Vincennes comme d'un rétranchement pour n'être pas accablé par le nombre; car les parisiens ne pouvoient venir à lui que par des breches qu'il y fit faire, & qui se voyent encore aujourd'hui au même état qu'il les mit. Le Duc de Chatillon qui s'étoit toûjours montré digne du grand nom qu'il portoit, après avoir reconnu cette bicoque que Chanleu croyoit qu'il dut attaquer du côté de Paris, parce que c'étoit celui qui paroissoit le plus foible, le trouva si bien fortifié qu'il ne crut pas s'y devoir attacher. Il aima mieux s'addresser du côté du temple que les gens de de la Religion ont dans ce Bourg, quoi qu'il fut naturellement plus fort que l'autre, & que Chanleu y eut jetté quelque Infanterie pour prendre en flanc ceux qui s'avanceroient de ce côté là; mais comme il avoit négligé d'y faire des retranchemens, comme il avoit fait ailleurs, & que l'art passe souvent la nature, il se trouva pris justement du côté qu'il ne s'attendoit pas. Il y courut lui même pour le deffendre, & il s'y exposa d'autant plus qu'il avoit peur qu'on ne l'accusât d'avoir negligé de prendre ses précautions par une sotte credulité. Il avoit promis outre cela au Parlement que moyennant qu'il lui donnât le nombre de troupes qu'il demandoit, il conserveroit ce poste ou qu'il s'enseveliroit sous ses ruines. Ainsi ayant fait une belle deffense & l'attaque n'étant pas moins vigoureuse, l'on vit bientôt tomber de part & d'autre quantité de monde sans savoir encore qui auroit le dessus. Le Duc de Chatillon qui avoit accompagné Mr. le Prince dans toutes ses Victoires & dans l'attaque de plusieurs places qui étoient tombées devant lui, fâché de voir resister cette bicoque après avoir aidé à tant de grandes actions, fit alors un dernier effort pour faire plier les troupes qui lui étoient opposées. Il y réüssit & les ayant chassez de leurs retranchemens, il les fit abbattre pour se faire un passage afin de s'avancer plus avant. Ses gens entrerent ainsi dans la rûë par où l'on va au Temple. Chanleu leur y fit tête, le mieux qu'il put, & comme il se ressouvenoit de la parolle qu'il avoit donnée au Parlement, il s'y fit tuer en faisant tout ce que pouvoit faire un homme de tête & de courage. Le Duc de Chatillon ne trouvant plus rien qui lui fit resistence après la mort de Chanleu, s'avança vers le temple où il prétendoit bien que ceux qui étoient dedans missent les armes bas, & se rendissent prisonniers de guerre sans coup ferir. Mais lors qu'il se defioit le moins de sa mauvaise fortune, il lui fut tiré un coup de là; dont il perdit d'abord connoissance. On le fut dire à Mr. le Prince qui en eut été plus fâché qu'il ne fut s'il n'eut pas été amoureux de sa femme; mais comme le Duc s'étoit mis depuis peu sur le pied de mari incommode, & que ce Prince n'aimoit pas à être gehenné, il dit à Guittaut qui étoit auprès de lui, il eut tout aussi bien fait de n'être point jaloux, puis qu'il avoit si peu de tems à vivre. Les gens du Duc ne laissèrent pas nonobstant la bravoure d'achever la conquête qu'il avoit entamée. Les troupes de Chanleu s'y firent presque toutes tailler en pièces, quoi que la mort de leur Gouverneur les dut rendre moins hardis. On porta cependant le blessé à Vincennes, où il lui vint des Medecins & des Chirurgiens de tous côtez. Le Roi lui envoya les siens, & Mr. le Cardinal en ayant fait tout autant, il n'eut pas manqué d'en rechaper s'il n'eut tenu qu'à du secours; mais sa blessure étoit mortelle, de sorte qu'il ne vécut que jusques au lendemain, Son Eminence à qui j'étois encore m'y envoya pour lui témoigner le chagrin qu'il avoit de son état. Je trouvai la Duchesse sa femme auprès de lui. Elle étoit venuë en diligence de St. Germain, lachant qu'il n'avoit plus gueres à vivre. Ce n'est pas qu'elle eut grande amitié pour lui, elle avoit trop d'amans pour aimer un époux; & comme c'étoit la plus belle personne de la Cour, & la plus coquette, il avoit reconnu, mais un peu tard, que s'il eut bien fait, il eut cru son pere, qui lui disoit avant son mariage qu'il étoit dangereux souvent d'épouser une si belle femme. Je le trouvai tout attendri auprès d'elle, soit qu'il eut regret de la quitter ou que n'ayant pas encore trente ans, il ne put soutenir son malheur avec la même fermeté qu'il eut fait s'il eut été dans un âge plus avancé. Charenton ayant ainsi été emporté, Mr. le Prince retourna à St. Germain avec le Duc d'Orleans qui avoit voulu être present à cette action. On avoit dit au Cardinal qu'il étoit sorti plus de vingt mille hommes de Paris pour s'y oposer, & que Mr. le Prince leur avoit fait prendre la fuite, avec un seul Escadron. L'un étoit vrai, & non pas l'autre, la verité étoit que ces vingt mille hommes étoient bien sortis de cette grande Ville, mais non pas qu'ils se fussent mis en devoir de venir l'attaquer. Ils s'étoient contentez de montrer le nez sans oser en faire davantage; mais comme ce Ministre étoit un donneur d'encens sans s'informer d'avantage si on lui avoit dit vrai ou non; Mr. le Prince, lui dit-il d'abord qu'il le vit, _que fairont les Espagnols d'oresenavant, vous qui tenez plus de monde vous seul, que ne fait oune armée_. Il lui demanda en même tems à voir son épée, supposant apparement qu'elle étoit teinte du sang des pauvres Parisiens, mais Mr. le Prince qui ne vouloit point de louanges, qui ne lui fussent dues, & qui même ne s'en soucioit guère après les avoir meritées, lui ayant conté la chose comme elle étoit. _Ah qu'ou me dites vous_, reprit-il, _& bien loin de me dire de ce qu'ou je viens d'avancer, je les plains encoure davantage vous dont la voüe est plus dangereuse que celle d'oun Basilic; faire enfouir vingt mille hommes pour les regarder soulement, est un ouvrage qui n'appartient qu'à vôtre Altesse_. Il lui dit encore quantité de mommeries, qui eussent été bien mieux dans la bouche d'un baladin que dans celle d'un Ministre d'Etat. Je crois même que ce fut là la pensée de Mr. le Prince, quoi qu'il en soit, les Generaux des parisiens étant tout honteux de ce qu'on leur avoit pris à leur barbe un poste qui leur eut été facile de secourir, tachérent d'en effacer la honte par quelque conquête plus considerable. Il n'y en avoit gueres cependant qui leur pût faire grand honneur. Tout ce que nous tenions au dessus, & au dessous, de la Seine ne valloit rien, & ne méritoit pas le nom de place. La seule Ville de Melun avoit quelque reputation à cause de son antiquité. Car elle a été bâtie avant Jules Cesar, & c'est du moins ce que ses commentaires nous apprennent. Mais comme ce n'est pas l'antiquité qui rend une Ville considerable pour la guerre, & que si cela étoit il n'y en auroit gueres qui le fut en comparaison de Treves, qui ne vaut pourtant rien; ce ne fut pas là aussi où ils s'attacherent, parce que la riviere qui la divise en trois, de sorte qu'on diroit presque que ce sont trois Villes, leur faisoit craindre que s'ils separoient leurs forces pour l'attaquer, Mr. le Prince ne tombât sur eux sans qu'ils se pussent secourir les uns les autres. Ils bornerent donc leurs grands desseins à se saisir de Brie-Comte-Robert, & de quelques autres bicoques. Sur la nouvelle qu'en eut Mr. le Prince, il voulut quitter la Cour pour s'en venir dans son armée qui tenoit pour le moins quinze ou vingt lieuës de païs. 11 avoit mis le quartier du Roi à St. Denis, parce que ce lieu lui paroissoit plus considerable que les autres, non-seulement parce qu'il renferme les tombeaux de nos Rois, mais encore par là proximité de Paris. Mais le Cardinal & la Reine mere lui témoignant que les lieux qui étoient à attaquer étoient indignes de sa presence, il se laissa debaucher d'autant plus aisément, qu'il avoit quelques amourettes qui lui faisoient trouver agréable le sejour de St. Germain. Le Marêchal du Plessis prit sa place. Le Comte de Grancey qui a été depuis Marêchal de France & qui étoit alors Lieutenant General, ayant été detaché de son armée fut attaquer Brie-Comte-Robert. Cette Ville qui est à l'entrée de la Brie du côté de Paris fit mine de se deffendre, parce qu'il lui étoit honteux de se rendre étant aux portes de cette Ville, dont elle pouvoit esperer du secours; mais personne n'ayant paru pour deloger le Comte de devant ses murailles, parce que le Marêchal s'étoit posté entre deux pour l'empêcher, elle demanda à Capituler tout aussi-tôt. Quelques autres Villes qu'on attaqua ensuite firent la même chose, & l'on ne vit jamais plus de lâcheté qu'il en parut de la part des Parisiens, car quoi que le Marêchal du Plessis n'eut qu'une poignée de monde, ils n'oserent jamais se montrer devant lui. Il est vrai que comme on avoit tiré de St. Denis les troupes qui y étoient pour marcher en campagne, & qu'il n'y étoit resté qu'une Compagnie Suisse qui n'étoit pas capable de la garder, ils forcerent cette place, se flattant que par cette prise ils repareroient le blâme qu'on leur pouvoir donner avec justice, d'avoir laissé perdre tout le reste sans coup férir. Mais s'ils se ventoient de cette Conquête qui n'étoit pourtant pas capable d'effacer leur honte, leur vanité fut bien-tôt étouffée par l'arrivée de Mr. le Prince. Il quitta St. Germain pour venir reprendre cette place, il le fit même à leur barbe sans qu'ils osassent encore s'y opposer. Mr. le Cardinal fut ravi de toutes ces petites expeditions, qui, bien que de peu de conséquence par elles mêmes, ne laissoient pas de resserrer tellement les parisiens qu'ils commençoient à manquer de tout. S'ils eussent bien-fait ils s'en fussent pris à leurs Generaux à qui c'étoit à leur ouvrir les passages; mais comme ils ne songeoient tous tant qu'ils étoient, depuis le premier jusques au dernier, qu'à faire en leur particulier quelque accommodement avantageux avec la Cour, & qu'ils n'avoient garde d'affranchir le peuple de leur misere, parce qu'après cela il eut été trop insolent, ils trouvoient des difficultez à toutes choses sans que le Parlement pût connoître s'ils disoient vrai ou non. En effet ce n'étoit pas son métier de decider de tout cela, & il falloit bien qu'il s'en rapportât à leur parole. La haine cependant de tous ceux qui étaient dans la souffrance retomboit sur lui, parce qu'ils l'accusoient avec raison d'avoir allumé la guerre pour ses intérêts particuliers. Comme leur mécontentement & la misere qui augmentoit de moment à autre dans la Ville étoient capables d'y exciter quelque sedition, cette Compagnie si trouva bien embarrassée, & commença à reconnoître, mais un peu tard, qu'on ne se soustrait jamais de l'obeïssance que l'on doit à son Souverain, sans y trouver de grandes difficultes. Tout commença même à lui devenir suspect jusques à ses propres Membres, parce que plusieurs d'entr'eux, à l'exemple de ses Generaux, avoient des relations à la Cour dont ils tâchoient de tirer quelque grace devant que de lui promettre de rentrer dans le devoir. Mr. le Cardinal qui ne demandoit pas mieux que d'augmenter le soupçon que leurs confreres avoient de leur conduite, bien loin de finir avec eux, les tenoit en suspens, pendant que sous main il faisoit part aux autres de toutes les propositions qui lui étoient faites. Il m'employa dans cette rencontre, & je l'y servis utilement. Je connoissois la femme d'un conseiller qui étoit coquette à un point qu'elle vouloit que chacun lui en contât. Je l'avois servie selon son inclination, parce qu'il ne m'en devoit couter que des paroles, & qu'on n'a pas plus de peine à dire à une femme qu'elle est jolie, quoiqu'on ne le dise souvent qu'au prejudice de la verité, que si on lui disoit ce qu'on en pense veritablement. Sa coquêterie avoit déplu d'abord à son mari, qui croyoit que l'appannage d'un homme qui a une femme de cette humeur est d'être bien-tôt ce que tant d'autres sont; mais le tems & l'experience lui ayant appris que bien que cela arrive ordinairement il n'en étoit pas de même avec elle, & que si elle aimoit la fleurette elle n'en aimoit pas moins la vertu, s'y accoutuma, non-seulement, mais se fit encore souvent un regal de lui entendre parler de ses intrigues. Elle lui avoit dit que j'étois du nombre de ses amans, & comme je n'avois pas encore quitté Mr. le Cardinal & que ce Magistrat croyoit que je pourrois être instruit plus particulierement qu'un autre des demarches de ses confreres, elle m'écrivit une lettre par son conseil dont la teneur étoit qu'elle avoit cru que je lui disois vrai, quand j'avois pris soin quelquefois de lui assurer qu'elle ne m'étoit pas indifferente, qu'elle craignoit bien cependant de s'y être trompée, parce que quand on aimoit veritablement on trouvoit bien moyen malgré ce qui se passoit entre les deux partis, de revoir ce que l'on aimoit; que l'on n'étoit pas si exact sur les passeports que je n'en pusse obtenir un, pour peu que je voulusse m'y employer; qu'elle s'offroit même de m'en sauver la peine, si j'y trouvois quelque difficulté; que je n'avois qu'à le lui faire savoir, & qu'elle m'en envoieroit un tout au plûtôt. Je montrai cette Lettre à Mr. le Cardinal, non pas pour lui demander permission d'aller voir cette Dame, car c'étoit dequoi je me souciois le moins; mais pour savoir de lui s'il ne vouloit point se servir de cette occasion pour me faire menager quelque chose dans la Ville qui pût tourner à son avantage. Il me dit qu'il me savoit bon gré de lui en parler, que j'eusse à accepter cette proposition, & que devant que ce passeport m'arivat, il me diroit tout ce que j'aurois à faire pour son service; qu'il y alloit penser serieusement, parce qu'après une meure reflexion, on se trompoit moins que quand on decidoit des choses à la bouluëve. Une heure après il m'envoya chercher pour me faire entrer dans son Cabinet. Il me demanda d'abord qu'il me vit, si j'entendois bien à faire l'amoureux, & lui ayant répondu qu'il avoir été un tems que je ne m'en acquittois pas trop mal, & que je ne croyois pas encore l'avoir oublié; tant mieux, me dit-il, mais ne me tromperas tu point, car quand on a une maîtresse il est bien rare qu'on ne lui sacrifie pas son Maître dans l'occasion. Je lui répondis que cela arrivoit quelquefois, mais non pas à un honnête homme; d'ailleurs qu'il falloit que ce fut une maîtresse aimée, mais que quand elle ne tenoit pas plus au coeur que me faisoit celle-là, ni le maître ni même le moindre ami, n'avoit rien à apprehender, que je ne l'avois jamais veuë pour m'en faire une attache, mais par un simple amusement; que quand on en étoit sur ce pied-là avec une personne, on demeuroit toûjours avec elle le maître de son secret; qu'ainsi si elle ne savoit le sien que par moi, il pouvoit conter qu'elle n'en seroit jamais plus instruite qu'elle le pouvoit être presentement. Il me répartit que puis que je ne l'aimois pas, il avouoit avec moi qu'il devoit mettre toute crainte bas, qu'ainsi j'eusse à lui écrire sans perdre de tems qu'elle eut à m'envoyer le passeport qu'elle m'offroit. Je le fis d'abord que je l'eus quitté, & comme nous avions les mêmes sentimens elle & moy, & que nous ne songions qu'à nous tromper, elle ne perdit point de tems de sa part, pour m'envoyer ce que je lui demandois. Je la fus trouver le premier jour que j'eus son passeport, & jouant extrémement bien mon personnage auprès d'elle, j'en fis si bien l'amoureux qu'elle trouva qu'une absence de cinq semaines comme j'avois été, sans la voir, étoit un merveilleux secret pour rechauffer l'amant le plus froid. Cependant pour ne me point dementir de l'ardeur que je lui témoignois, je lui dis en confidence qu'avant qu'il fut peu j'esperois que nous nous reverions, sans qu'il fut besoin d'avoir recours à un passeport. Je n'en voulus pas dire davantage, sachant que si je ne disois ainsi les choses qu'à demi, elle n'en auroit que plus de curiosité de savoir ce que j'entendois par là. Cela ne manqua pas d'arriver. Elle me pria de m'expliquer mieux, & feignant de me repentir en quelque façon d'avoir trop parlé, je ne voulus jamais rompre le silence qu'elle ne m'eut fait serment qu'elle ne raporteroit jamais à personne ce que je voulois bien lui dire pour lui marquer mieux la passion que j'avois pour elle. Je ne faisois pas trop bien de lui demander une chose comme celle là, moi qui me doutois qu'elle me tarderoit gueres à être parjure; mais enfin comme je savois que les grimaces sont souvent de saison, & que même elles font mieux réussir que tout le reste, je n'eus pas de peine à me deffaire des scrupules que je pouvois avoir là dessus: la Dame me jura tout ce que je voulus, & je lui dis après cela que tels & tels Presidens & tels & tels Conseillers avoient promis à Mr. le Cardinal d'être dans ses intérêts au préjudice de toutes choses, qu'on leur avoit promis des benefices à la plupart pour leurs enfans, & que cela s'executeroit d'abord qu'il viendroit à en vaquer; que moyennant cette recompense ils avoient promis de quitter Paris incessamment, & de se retirer à Montargis où le Roi avoit transféré leur compagnie par une Declaration; que ceux qui y resteroient seroient en petit nombre après cela; de sorte qu'il ne seroit pas difficile à son Eminence de les abbatre: d'ailleurs, que le peuple qui se plaignoit déja d'eux les tourneroient bientôt en ridicules, voyant que la plus saine partie de leur Compagnie les auroit d'abandonnez, & que ce qui en resteroit dans la Capitale du Royaume ne meriteroit pas de porter le nom de Parlement. La Dame goba d'autant plûtôt cette nouvelle, que tous ceux que je lui avois nommez étoient devenus suspects à leurs confreres, ils savoient effectivement qu'ils avoient fait quantité d'avances à la Cour pour embrasser son parti, & que si cela ne s'étoit pas encore conclu ce ne pouvoit être tout au plus, que parce que leurs demandes ne s'accordoient pas avec la gueuserie. Comme la plûpart des Provinces avoient part à la desobéïssance du Parlement, & qu'elles suivoient son exemple l'argent qui en revenoit étoit si rare, que bien loin de le pouvoir prodiguer, comme ils desiroient, on ne pouvoit jamais en être trop bon ménager. Aussi n'avois-je pas cru devoir avancer qu'ils eussent été gagnez par du comptant, ce que j'eusse dit se fut détruit par l'état presente des affaires, & il étoit bien plus à propos d'avoir recours, comme j'avois fait, à une chose sur laquelle on ne me pouvoit convaincre de mensonge. Le Mari à qui la Dame fit part de ce que je lui avois dit s'y laissa surprendre aussi-bien qu'elle, tellement qu'en ayant fait rapport à ceux de sa Compagnie qu il croyoit n'avoir aucune liaison avec la Cour, ils firent diverses assemblées entr'eux où ils n'eurent garde d'appeller ceux qui leur étoient suspects. Je n'avois pas nommé cependant à la Dame ceux qui le leur devoient être davantage, & qui recevoient effectivement des bien-faits de la Cour sans que personne en fut rien. Cela eut detruit la confiance qu'ils avoient en eux, & par consequent les services que ceux là rendoient, en affectant que tous les conseils qu'ils dormoient étoient uniquement par rapport aux interêts de la Compagnie, & au bien du Peuple. Quoi qu'il en fait cette finesse commençant à jetter de la division entre la plûpart, on pouvoit esperer d'en receuillir bien-tôt quelque fruit, quand le Duc de Beaufort qui s'étoit sauvé de prison depuis peu, & qui avoit embrassé le parti du Parlement tâcha de réparer le faux bruit qui couroit de la defection de tous ces membres. Comme il ne pouvoit pardonner au Cardinal tous les maux qu'il lui avoit fait souffrir, il ne pouvoit entendre sans horreur qu'on voulue se raccommoder avec lui: ainsi prenant soin de justifier ceux que j'avois tâché de noircir, je courais grand risque de voir toutes mes esperances renversées, quand le hazard plûtôt que le reste réunit les esprits au moment qu'ils paroissoient se brouiller de nouveau tout autant qu'auparavant. Le mauvais état des affaires des parisiens ayant obligé le Parlement d'envoyer demander du secours aux Espagnols, l'Archiduc Leopold, qui commandoit dans les Païs-Bas, crut non seulement devoir en promettre à celui qu'il avoit envoyé vers lui; mais encore lui écrire une lettre de sa propre main pour marquer qu'il pouvoit s'y assurer. Un de ses Gentilhommes là lui apporta de sa part, & la Cour en ayant nouvelle, & même que cet Archiduc devoit entrer lui même en personne en France pour faire lever le blocus de Paris, la Reine Mère qui avoit toujours paru ferme dans la resolution de punir cette grande Ville, changea tout d'un coup de sentiment par le peril qui la menaçoit. Elle crut, avec raison, que ce Prince qui avoit déja proffité de nos desordres en reprenant en Flandres quantité de bonnes Places, pouroit bien y joindre en passant celles qu'il trouveroit à sa devotion, soit sur la Frontiere de Picardie ou même dans le coeur du Royaume; ainsi la nécessité l'obligeant de se relâcher de la fierté, elle envoya un Heraut d'armes pour proposer quelque accommodement au Parlement. Je ne sçais à quoi son conseil pensoit d'envoyer ainsi un Heraut d'armes aux sujets du Roi, puis qu'ils ne s'envoyent jamais que de Souverain à Souverain. Mais la crainte que l'on avoit de la venuë de l'Archiduc avoit tellement troublé la cervelle à la plûpart, qu'ils ne sçavoient plus ce qu'ils faisoient. Ce Heraut s'étant presenté à la Porte St. Honoré avec sa cotte d'armes, & son bâton, on en donna avis à cette Compagnie qui ne s'assembloit plus comme de coutume pour vaquer aux affaires des particuliers, mais seulement à celles qui avoient du rapport à elle, ou à l'Etat en general. Comme elle étoit toûjours divisée entr'elle, & que ceux qui étoient bien intentionnez pour la Cour ne cherchoient qu'à ramener les autres à leur sentiment, ils prirent cette occasion aux cheveux pour les faire revenir de leur devoir. Ils leur répresenterent qu'ils avoient tout tant qu'ils étoient déja donné assez à mordre sur leur conduite, en envoyant demander du secours aux ennemis de l'Etat, sans s'attirer encore de nouveaux réproches; que s'ils recevoient ce Herault, ce seroit donner lieu à leurs ennemis de les accuser comme ils faisoient déja de vouloir s'ériger en Souverains; qu'ainsi il falloit le renvoyer, & faire sçavoir à cette Princesse que s'ils ne l'avoient pas receu ce n'étoit que parce qu'ils n'étoient pas si criminels qu'on tâchoit de les faire passer dans son esprit. Le Parlement trouva ce conseil tout à fait honnorable pour lui, & cet avis ayant passé à la pluralité des voix, il envoya les gens du Roi pour faire part à la Reine du sujet pour lequel on avoit renvoyé ce Herault. Il y avoit parmi ces Deputez des gens bien intentionnez pour la paix, & comme cette soumission étoit du goût de la Cour, & qu'elle vouloit s'affranchir de la crainte qu'elle avoit de la venuë de l'Archiduc, elle leur proposa une conference pour terminer à l'amiable les differens qui divisoient les esprits. Ils ne purent l'accepter de leur chef, quelque bon dessein qu'ils en pussent avoir. Il falloit qu'ils en fissent rapport auparavant au Parlement, & l'ayant fait en des termes qui marquoient que s'ils en étoient crus ou proffiteroit bien-tôt de la disposicion où la Reine Mere étoit de leur pardonner, leur avis fut suivi d'un consentement unanime. On convint de parr & d'autre que l'on s'assembleroit à Ruel pour y examiner toutes choses. Le Parlement y envoya des Deputez, & le Cardinal Mazarin y étant allé lui même de la part de la Cour, le Duc d'Orleans honora ces conferences de sa presence. Enfin après bien des contestations la paix fut concluë entre les deux partis. Mais elle fut de peu de durée, desorte que devant qu'il fut peu la guerre civile se ralluma si fortement que tout ce que l'on avoit veu jusques là n'étoit rien en comparaison de ce qui se vit alors. FIN. TABLE DES PRINCIPALES MATIERES Contenuës dans ces Memoires. A. _Agnan_ (S.) Capitaine des Gardes du Duc d'Orleans. 400 _Aire_ pris par les François. 130 Le Cardinal Infant tâche de le reprendre. 151 _Angleterre_ (Reine d') refugiée en France. 262, 527 _Angleterre_ (Roi d') 506 Prisonnier 506, 527 condamné à mort & executé. 518 _Anglois_, leur caractére. 252, 253, 261, 263, 268 _Anguien_ (le Duc d') 137 Veut secourir Rocroi. 239 Gagne la Bataille de Rocroi. 242 Va sur les frontieres de Lorraine, prend Thionville. Affaire qui lui arrive au Palais d'Orleans. 399 Ce qu'on dit de lui à l'affaire de Nortlinguen. 404 S'acommode arec le Duc d'Orleans. 421 Assiege Dunkerque. 456, 458 Prend cette Place. 461 Prend le nom de Prince de Condé. 474 Ce qu'il fait aux guerres de Paris. 547, 549 Bon mot de ce Prince. 551 Ses entretiens avec le Cardinal Mazarin. 551 _Aramis_. Mousquetaire Bearnois. 14, 266, 269, 347 _Arras_, assiegé. 69 Ce que disoient les Assiegez en raillant les François. 70, 71 Demande à capituler. 84 S. Preuil en est fait Gouverneur. 90 _Artagnan_. Sa famille, 1 Est Bearnois. 2 Né d'un pere pauvre. Part du Bearn: avis que son pere lui donne en partant. 4 Querelle qu'il a avec un Gentilhomme entre Blois & Orleans. 5 Est mis en prison. 7, 8 En sort. 10 Arrive à Paris. 13 Se bat. 20, 21 Blesse son homme, sa générosité. 22 Le Roi le veut voir. 26 Un Garde du Cardinal le traite d'Aprentis Mousquetaire. 30 Se bat avec ce Garde & le blesse. 31 Le Roi lui parle & le fait mettre Cadet aux Gardes. 50 Lui donne cinquante Loüis. 51 Cherche à se batre avec le Gentilhomme avec lequel il y a eu querelle. 102 Se rend amoureux d'une Hotesse. 105 Le Gentilhomme le veut faire assassiner. 104, 113 Les Assassins sont pris. 119 Joue & gagne. 114 Ce qui se passe avec son Hôtesse. 127 Va en Campagne. 149 Revient. Ce qui se passe après son retour avec sa Maîtresse. 162, 164, 167 Le Mari le surprend avec sa femme & lui lâche un coup de Pistolet. 167, 168 Ce qui arrive au Mari. 170, 173, 174 On lui défend de voir sa Maitresse. Il la voit. 175, 200 Ce que fait le Mari. 200, 201 Est surpris par le Mari avec sa Maîtresse. 204 Saute d'une fenêtre. 205 Comment il se tire de cette affaire. 207 Obtient un Decret contre le Mari & le fait emprisonner. 210 M. de Treville lui fait une Mercuriale. 213, 215 Promet de ne plus voir cette femme. 217 Ecrit à cette femme, qui lui fait réponse. 218 Cette femme le fait insulter par des Suisses. 222 Est blessé. 223 Fin de cette amourette. 224 Va en Angleterre. 250 Se trouve à une Bataille. 256 Retourne à Paris. 262 Est appellé en duel par un Anglois. Reçoit un billet d'une Angloise. 262 Fait demander la vie à l'Anglois. 270 Reçoit un second Billet de l'Angloise. 272 Se rend amoureux de cette Angloise. 274 En est maltraité. 276 Rend service au frere de l'Angloise. 279 La femme de Chambre de l'Angloise se rend amoureuse de lui. 286 Avantures qu'il a à ce sujet. 287, 307, 309, 312 Couche avec l'Angloise par un plaisant stratagème. 312 Suite de l'avanture. 314, 315 Malice que lui fait la Femme de Chambre, avanture plaisante. 318, 322, 323 Lettre qu'il écrit à l'Angloise. 316 En obtient les dernieres faveurs volontairement. 333, 346 On veut l'assassiner. 346 Suite de cette affaire. 348, 349 On lui refuse une Casaque de Mousquetaire. 361, 362 Entre dans les Mousquetaires. 378 Se rend amoureux d'une Dame. Caractere de cette Dame. 382 Les Domestiques de cette Dame lui rendent de mauvais offices. 385, 387 Gagne dans une seance neuf cent Pistoles. 394 Fait la Campagne en Flandres. 420, 421 Ce qui lui arrive au Siege de Bourbourg. 401 Se rend encore amoureux. 413 Une Dame lui écrit une Lettre. 491 Ce qui lui arrive dans cette occasion. Fait une autre Campagne en Flandres 420, 421 Est appellé auprès du Cardinal Mazarin pour Gentilhomme. 425 Malheurs qui lui arrivent. 426 On le veut encore assassiner. 432 Sa Maîtresse empoisonne son Mari 433 Elle se remarie. Fait une autre Maîtresse. 441 Histoire de cette Maîtresse. 441, 453, 454 Se veut marier avec Madame de Miramion. 455, 462 Tire cette Dame des mains de Bussi Rabutin qui l'avoit enlevée. 465 Son état chez le Cardinal. 468, 472 Entre dans les Barricades de Paris. 478, 480 Ce qu'il y fait. _La même_ Ce qui lui arrive à ce sujet. 486 On veut l'assassiner encore. 495 Mauvais office que lui rend un de ses Camarades. 498 Le Cardinal lui fait mauvaise mine. 498, 499 L'envoye en Allemagne vers les Plenipotentiaires pour la Paix. 504 Passe en suite en Angleterre. 506, 509 Ce qui lui arrive en son voyage & sur mer. 510, 517 Reçoit un coup de bâton dans le Vaisseau. 517 De quelle maniere il se menage en Angleterre. 522 Cromwel lui fait present d'un Diamant. 522 Part sans rien dire, d'Angleterre. 523 On le poursuit. 524 Arrive à Paris. 527 Le Cardinal le renvoye en Angleterre. 534 Caresses que lui fait Cromwel. 535, 537 Est traité par les Confidens de Cromwel, il les traite. 539 Maneges qu'il fait en Angleterre. 539, 540 Retourne à Paris, où il est mal recompensé par le Cardinal. 540 Est fait Lieutenant aux Gardes. 556 Ses intrigues pendant les troubles de Paris. 558 _Athos_, Mousquetaire Bearnois. 14, 167, 168, 347 _Avantures_. 5. 105 & suiv. jusqu'à 224, 264 & suivantes jusqu'à 346, 382, 405, 441, 448, 455, 486, 510, 291 _Voyez Meuniere. Portraits._ _Aumont_ (le Maréchal d') 364 _Autorité_ absoluë en France, son commencement. 160, 161, 176, 178 B _Baiette_ (Fort de la) pris par le Maréchal de Gassion. 363 _Bapaume_ assiegé par le Maréchal de la Meilleraye. 154 _Baricades_ de Paris. 478, 496, 528, 548 _Bassompierre_ (le Maréchal de) sort de la Bastille, après la mort du Cardinal de Richelieu. 199 _Bataille_ de Rocroi. 142 Entre le Roi d'Angleterre & les Parlementaires. 261 _Baumont_, Gouverneur de Bologne, son caractère. 526 _Bearnois_, leur caractère. 2, 9 _Beaufort_ (le Duc de) 246 Arrêté. 249 Sort de prison. 562 _Beauvais_ (l'Evêque de) 238 Chassé de la Cour. 244 _Beauvais_ (la) Femme de Chambre de la Reine. 227 _Bedfort_ (le Comte de) 252, 253 _Bernajoux_ Capitaine du Regiment de Navarre blessé par d'Artagnan. 20, 22 _Besmaux_, Cadet aux Gardes, se fait apeller Montlesun. 58, 59 Son caractère. 55 Fait faire un Baudrier en Broderie qui n'a point de derriere. 61, 63, 64, 68 Sa fortune. 395, 425, 452, 456, 468, 472, 545 _Biscarat_, creature du Cardinal de Richelieu. 20 _Bouillon_ (le Duc de) a des engagemens avec les Espagnols. 133, 134, 136, 139 Met le Siege devant Damvilliers, le Roi lui pardonne. 154 Entre dans la Conspiration de Cinqmars. 187 Est arreté. Donne Sedan pour racheter sa vie. 196 Est declaré Prince. 354 _Bourbourg_ assiegé par les François. 405 _Boisdauphin_ (le Chevalier de) 291 _Voyez le Comte de Laval_ _Bouvard_ Medecin du Roi, ignorant. 48, 49, 52, 55 _Brancas_ (le Comte de) 548 _Bresé_ (le Maréchal de) son caractère. 141 Enleve une femme dont il fait tuer le mari. 142, 154 Méchant Office qu'il rend à S. Preuil. 158 _Bresé_ (le Duc de) sa mort. 458 _Breuil_ Maison de plaisance de l'Electeur de Cologne. 515 _Brie Comte-Robert_. 554 _Briqueville_, Mousquetaire. 165, 168 _Broussel_. 477, 514 _Bussi Rabutin_, son Caractére, enleve Madame de Miramion qu'Artagnan delivre. 463 C. _Cahusac_, creature du Cardinal de Richelieu. 20 _Campagnac_, Gentilhomme Domestique du Duc de Bouillon fait un Traité avec le Cardinal Infant. 138 _Capelle_ (le Fort de la) pris par le Marêchal de Gassion. 363 _Cardinal Infant_. Veut faire lever le Siege d'Arras. 69 Attaque un Fort. 78, 79 Le prend, on le reprend sur lui. 81 Le reprend, & est obligé de le quitter encore. 83, 151, 152, 236 _Carmain_ (le Comte de) sort de la Bastille après la mort du Cardinal de Richelieu. 199 Cavois, Capitaine Lieutenant des Mousquetaires à pied du Cardinal de Richelieu. 36, 45 Caractére de sa femme. 46 Disgrace de Cavois auprès du Cardinal. Sa femme, lui fait faire le malade. Ce que produit cette supercherie. 45, 46, 52, 54 _Champfleuri_, Capitaine des Gardes du Cardinal Mazarin 501, 503 _Chancellier de France_, son caractére. 230 _Chanleu_. 550, 551 _Charenton_ attaqué, pris. 548, 551, 551 _Châteauneuf_, Garde des Sceaux. 247, 248 _Châtillon_ (le Maréchal de) 81, 82, 152, 153 Son caractére. 142 Bon mot de ce Maréchal. 552 _Châtillon_ (le Duc de) 474, 549, 551 _Châtre_ (M. de la) arreté. 248, 249 _Chavigny._ 195, 224 Est acusé d'aimer la Reine. 225 Le Cardinal Mazarin empêche qu'il ne se racomode avec elle. 227 Se racomode avec le Duc d'Orleans. Ce qu'il fait contre la Reine. 228, 231, 235 On lui ôte sa Charge. 244 Avoit retiré chez lui le Cardinal Mazarin. 249 _Chevreuse_ (Madame de) son caractère. 246 _Christine_, Reine de Suède. 506 _Cid_. 507 _Cinqmars_, fils du Maréchal Deffiat, favori de Loüis XIII. 178, 179 Veut faire assassiner le Cardinal de Richelieu. 180, 183 Le veut tuer lui-même, & fait faire un Poignard pour cela qu'il porte pendu au pommeau de son épée. 184 Sa Conspiration. 187 Sa dissimulation, ses artifice pour perdre le Cardinal. 188 Persiste dans sa Conspiration. 190 Empêche le Roi d'aller trouver le Cardinal. 193 Est arrêté, perd la tête. 195 _Coaislin_ (le Chevalier de) 248 _Colonel_, à qui l'on fait essuyer une mortification. 72 Combat entre deux Barques qui poursuivent d'Artagnan. 524 _Condé_ (le Prince de) pere d'Anguien. 397 Sa mort. 474 _Condé_. (le Prince de) _Voyez Anguien_. _Confesseur_ (mot dit à un) 439 Confesseur de Louïs XIII. 234 _Conti_, Le Prince de Conti. 532, 533 _Couilloure_ pris par le Maréchal de la Meilleraye. 187 _Courtrai_. 428, 432, 475 _Couturière_ (avanture d'une) avec d'Artagnan. 486 _Cox_, Anglois. 264 _Cromwel_. 507 Son caractère. 508, 522, 534 Ses confidens 538 D. _Damvilliers_, repris par les François. 154 _Danneveu_, Mousquetaire. 84 _Delpont_ (le Comte) 428, 432 _Desnoyers_, Secretaire d'Etat. 155 Méchant office qu'il rend à S. Preuil 157, 224, 233 Est disgracié. 234 _Dissimulation_ nécessaire à un Ministre Public. 536 _Ducs_. 533 _Dunkerque_. 456, 459, 461 E. _Espar_ (d'). 178, 179 _Eperons_ (Journée des). 192 _Essor_ (des) Capitaine aux Gardes. 50, 365, 406 _Essex_ (le Comte d'). 255 _Evremont_ (S.) 456, 459 F. _Fabert_ (M. de) Sa mine. 17 S'oppose au Maréchal de la Meilleraye. 144 Son caractére. 195 Est pourvu du Gouvernement de Sedan. 361 Passe pour avoir un Genie. 510 Sa politique à l'égard du Cardinal Mazarin. 511 _Feuillade_ (le Duc de la). 544 _Folquin_ (le Fort de S.) pris par le Maréchal de Gassion. 363 _Fondreville_, Gentilhomme Normand. 259, 261 _Fontaine_ (le Comte de). 237 Est tué à la Bataille de Rocroi. 243 _Fontrailles_, ami de Cinqmars, ce qu'il fait. 187, 194, 195, 196 _François_, leur caractére. 358, 359 G. _Gassin_. 240, 242, 353, 363, 430 _Germain_ (S.) en Laye. 530 _Gléen_ (le Général). 404 _Grancé_. (le Comte de). 364, 365 _Grandier_ jugé par des Commissaires. 160, 161 _Grammont_ (Mot du Maréchal de) 355 Est fait prisonnier. 403, 476 _Gravelines_. 362 Attaqué par les François. 369 Se rend. 377 _Guébriant_ (le Maréchal de) prend Rotwiel, &. est tué deux jours après. 250 _Guisant_. 475 H. _Hallier_ (M. du) Maréchal de Camp. 74, 83 _Harcourt_ (le Comte d') 250, 252 Les Anglois le méprisent. 254, 256 _Harrisson_, Colonel. 538 _Heraut d'Armes_ envoyé par la Reine au Parlement de Paris. 563 _Hoca_ (Jeu de) chez le Cardinal Mazarin. 356 _Homme_ n'est jamais content. 546, 548 _Honrecourt_ (la défaite de). 192 _Hôpital_ (le Maréchal de l'). 237, 240 J. _Jalousie_, son caractére. 166 Jalousie des Mousquetaires & des Gardes du Cardinal de Richelieu. 14, 25 _Importans_ (Cabale des) 249 _Italiens_, leur caractére. 358, 537 _Jussac_. 16 Commandant dans le Havre de Grace. 18, 23 L. _Lambert_ (le Colonel). 538 _Laval_ (le Comte de) Histoire de son Mariage. 291, 292 Fait un appel à Treville. 301, 303 Est blessé au Siege de Dunkerque. 459 Sa mort. 461 _Lauberdamont_, Chef des Commissaires dans l'affaire de Grandier. 160 _Leide_ (le Marquis de) 456, 459 _Lens_ pris par les François. 152 _Leopold_ (l'Archiduc) 562 _Lerida_. 474 _Lettres_ d'une Angloise à d'Artagnan. 264, 272 Lettre d'Artagnan à l'Angloise. 227 Lettres de la même Angloise au Marquis de Wardes que reçoit d'Artagnan. 315 Lettre d'Artagnan à la même. 326 Lettre du Cardinal Mazarin. 371 Lettre de la femme d'un Partisan à d'Artagnan. 416 _Longueville_ (le Duc de). 532 _Loudun_ (Religieuses de). 160 _Loüis_ XIII. Son caractére. 131, 171, 182 Va en Roussillon. 183, 185 Suite de son caractére. 186 Prend ombrage de la puissance du Cardinal de Richelieu. 199 Fait des reflexions sur la mort. 226 Chasse son Confesseur. 234 Chasse Desnoyers. _La même_. Fait dresser une Declaration pour être executée après sa mort. 235 Meurt. 238 _Loüis_ XIV. (Mot de) au sujet des Protestans de son Royaume. 44, 45 On lui donne pour Gouverneur le Marquis de Villeroy. 423 Sort de Paris avec la Reine, sa mere. 530 _Luc_ (Madame de S.) raillée & insultée par le Cardinal de Richelieu. 199 M. _Mainville_. 367, 369 _Mainvilliers_. Cadet aux Gardes. 61, 63, 68 _Malmey_ (le Colonel) 538 _Manchini_. 379 _Mardik_ pris par les François. 405 Repris. 422 _Marillac_ (le Maréchal de) condamné par des Commissaires. Premier pas de la Cour de France au Gouvernement Souverain. 160. 161 _Marsac_. 470 _Maulevrier_ (le Comte de) 471 _Maurice_, Prince Palatin. 251 _Mazarin_ (le Cardinal) sa fortune. 197 Installe M. de Fabert dans son Gouvernement de Sedan. 198 Son caractére. 226 Sa Politique. 226, 227 Fait l'amoureux de la Beauvais, Femme de Chambre de la Reine. 227 Ses adresses. 232 Est fait Premier Ministre. 244 Avoit été pauvre. 245 Etudie l'inclination des Grands. 356 Officiers de sa Maison. 357 Son avarice. 357 Sa fourberie. Apprend aux François à être fourbes. 358 Eloigne de la Cour les Princes. 359 Ce qu'il fait au Maréchal de la Meilleraye. 374 À Treville. 379 Suite de ce qu'il fait. 396, 401, 422, 456, 458, 461, 472, 473 475 On veut l'assassiner. 480 Change de politique. 504 Empêche que la Paix qui se négocie à Munster ne se fasse. 503 Veut perdre Fabert. 511 Donne ordre de jetter en mer un homme qui étoit venu débaucher le Parlement de Paris. 525 Fait sortir de cette Ville le Roi, & la Reine vierge. 530 Le Parlement donne un Arrêt, où il est declaré ennemi de l'Etat. 531, 532 Comment il traite d'Artagnan. 540 Suite de son caractére. 542 Son barragouin. 543, 553 Ses bassesses. 547, 553 _Meilleraye_ (le Maréchal de la) se brouille avec S. Preuil. 143, 145 Assiege Bapaume. 154 Méchant office qu'il rend à S. Preuil au sujet de la Garnison de cette Place. 157 Il l'arrête. 158 Assiege Perpignan. 186 Prend Couilloure. 187 Prend Perpignan & Salée. 197 Est appellé Preneur de Places. 363, 370, 373, 374 S'attire le Cardinal Mazarin. 376, 424, 433 _Melton_ (Di Francisco de) 137 Assiege Rocroi. 239 Va à la rencontre du Duc d'Anguin & lui livre bataille. 242 _Melun_. 553 _Merci_ (le Général) bat M. de Turenne. 401 Et tué. 404 _Meuniere_ dont S. Preuil se rend amoureux. Avanture. 91, 93, 98, 99. 159 _Miledi_ 264, 265, 273 Ses avantures avec d'Artagnan. Son portrait. Est fille d'un Pair d'Angleterre. 275 Sa bizarrerie à l'égard d'Artagnan. 276, 277, 283, 285 Se rend amoureuse du Marquis de Wardes. 287, 307, 309 En croyant donner rendévous à ce Marquis pour passer la nuit avec elle, le donne à d'Artagnan. 312 Suite de cette avanture. 314, 315 Ecrit à d'Artagnan en croyant écrire à de Wardes. 315, 322 Ce que lui fait faire le depit contre ce Marquis. 328 Accorde Volontairement à d'Artagnan les dernieres faveurs. 333 Suite de cette avanture. 337, 338, 345 _Miramion_ (Madame de) enlevée. 462, 464 Sa retraite. 472 _Mole_ (le President) 496 _Montbron_. 471 _Montlesun_. 59 _Montigré_, Gentilhomme qui rend de grands services à d'Artagnan. 12 _Munster_ (Paix de) 506 N. _Nantia_ 470 _Navailles_ (M de) 541 _Nogent_ (le Comte de) Comte de nouvelle impression. Son caractére. 87, 88 _Noudancour_ (le Maréchal de la Mothe) 533 _Nortlinguen_. 403, 404 O. _Officiers_ Généraux, quand ils étoient étrangers, n'avoient point en France le commandement des troupes qui leur appartenoient. 80 _Orbitelle_. 422 _Orleans_ (le Duc d') 231, 232, 363, 396, 404, 421, 431, 552, 564 _Orondate_ (le Marquis de Villars) 415 _Osnabruk_ 506 P. _Paix_ entre le Parlement & la Cour de France. 565 _Paris_ bloqué. 548, 552, 555 _Parlement_ de Paris. 475, 530, 563, 564 _Pere_. La plupart des peres offrent à Dieu le recut de leurs familles. 3 _Perpignan_ albergé par les François. 186 pris. 197 _Philipes_ (Fort S.) Abandonné par les Espagnols. 365 _Picolomini_ 370, 377, 405 _Piombine_ pris par les François. 424 _Plessis_ (le Maréchal du) 458, 554 _Portolongone_ pris par les François. 424 _Porthos_, Mousquetaire Bearnois. 14, 163, 347 _Portrait_ (avanture sur un) 410 _Pradel_ (M. de) 471 _Preuil_ (S.) est fait Gouverneur d'Arras. Son caractére. 90 Se rend amoureux d'une Meuniere. 91 La gagne. 93 La tient cachée. 96 Present qu'il fait à son mari. 98 Lui fait voir sa femme. 99 Traverses qui lui arrivent. 144 Joüe à la paume avec le Duc de Bresé. 146 Se fait ennemi de Desnoyers. Donne des coups de canne à un Commissaire des vivres. 155 Facheuse rencontre qu'il a au sujet de la Garnison de Bapaume. 156 Est arrêté par le Maréchal de la Meilleraye: ce qu'il dit à cette occasion. 158 Des Commissaires travaillent à son Procés à Amiens. 160 A le cou coupé. 161 R. _Rantzau_ (le Comte de) adonné au vin. 78, 79, 80, 363, 430 _Reine_ (la) Epouse de Loüis XIII. son caractére. 226, 228 Son portrait. On la fait visiter par le Chancelier pour voir si elle a des lettres. 230 Elle est avertie de ce que Chavigni trame contre elle. 231 Est declarée tutrice des Princes ses enfans, avec un Conseil. 235 _Richelieu_ (le Cardinal de) Réponse brutale qu'il fait au Roi. 86 Lui en demende pardon. 90 Sa politique. 131 Son caractére 176 Ce qu'il fait pour établir l'Autorité absolue en France. 160, 161, 176, 178 Cinqmars le veut assassiner. 180 Fait son Testament croyant mourir. 185 Guerit. 186 Ombrage que prend Loüis XIII. à son égard. Allarmé. 189 Se retire à Tarascon. 190, 191 Son adresse pour se rendre nécessaire au Roi. 191, 192, 193 Va trouver ce Prince. 194, 196 Sa maladie, sa mort. 196, 197 Bienfaits du Roi à sa famille. 198 Ce Cardinal faisoit des railleries & des insultes à ceux qu'il opprimoit. 199 _Riviere_ (l'Abbé de la) 350 _Robert_ (le Prince) 251 _Rocroi_ assiegé par les Espagnols. 239 Bataille de Rocroi. 242 _Rosant_, Gentilhomme qui maltraite d'Artagnan. 7, 102, 103, 104, 113, 119 _Rotondes_. 20 _Rotwiel_ pris par le Maréchal de Guebriant. 250. _Rottembourg_ pris par les François. 402 _Roure_ (le) Faux bourg de Paris. 355 S. _Salée_ pris par le Maréchal de la Meilleraye. 197. _Sac de Gand_ pris par les Hollandois. 378 _Schomberg_ (le Maréchal de) se lie avec Cinqmars. 186, 187, 195 _Selle_ (la) Lieutenant. 367, 368 _Servient_ (M.) son caractére. 505 _Soissons_ (le Comte de) 135 Mécontent du Cardinal de Richelieu. 135, 136 Sa mort, & ce qu'on en dit. 153, 249 _Soucariere_, Bâtard du Duc de Bellegarde. 224 _Spinola_ (le Marquis de) pris pour le Comte de Laval. 293, 294 _Straatman_, Suisse épousé* ** ** de d'Artagnan. 224 _Suse_ (le Comte de la) 395 T. _Tellier_ (M. le) fait secretaire d'Etat. 234, 478 _Thionville_ pris par le Duc d'Anguien. 250 _Thou_ (M. de) Conseiller d'Etat, conseil qu'il donne à Cinqmars. 190 Est arreté & perd la tête. 196 _Tour_ (M. de la) est fait Gouverneur d'Arras. 159 _Tourville_ (le Baron de) 457, 459 _Tremblas_ (M. du) 502 _Treves_, Ville très ancienne. 554 _Treville_, ou Troisville, histoire de ce Gentilhomme. 2 Histoire de ses fils. 3 Tire d'Artagnan d'une affaire. 25 L'amene au Roi qui souhaite de le voir. 26, 121 Mercuriale qu'il lui fait: son caractére. 170 Lui rend un bon office. 171, 174 Donne sans reflexion dans la vûë de Cinqmars, qui veut tuer le Cardinal de Richelieu. 181, 182 Affaire qu'il a avec le Chancellier. 299 Avec le Cardinal Mazarin. 379, 425 _Trimouille_ (le Duc de la) son caractére. 43, 44 _Turenne_ (Vicomte de) fait l'amoureux d'une des parentes du Cardinal de Richelieu. 139 Son caractére. 140 Est fait Maréchal de France. 354, 401 V. _Vergne_ (la) 470 _Villeguises_ (le Marquis de) 464 _Voilerons_ (le Marquis de) Gouverneur de Louïs XIV. 423 _Voleurs_ protegez par le Lieutenant Criminel de Paris. 208 W. _Wardes_ (le Marquis de) 287, 289 _Wimphem_ pris par les François. 402 _Fin de la Table._ End of the Project Gutenberg EBook of Mémoires de Mr d'Artagnan (1700), by Gatien de Courtilz de Sandras (1644-1712) *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DE MR D'ARTAGNAN (1700) *** ***** This file should be named 27878-8.txt or 27878-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/2/7/8/7/27878/ Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. 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