Notre costume

By Eugène Marsan

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Title: Notre costume

Author: Eugène Marsan

Release date: November 28, 2025 [eBook #77362]

Language: French

Original publication: Liège: A la lampe d'Aladdin, 1926

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK NOTRE COSTUME ***





  Notre Costume

  PAR
  EUGÈNE MARSAN

        Seigneur Roméo, bonjour! A ta culotte française,
        le salut français.
            Shakespeare.

        Le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des
        habits de peaux dont il les revêtit.
            La Genèse.


  A LA LAMPE D’ALADDIN
  14, Avenue Reine-Élisabeth
  1926




DU MÊME AUTEUR:


PASSANTES.--Au _Divan_.

CHRONIQUE DE LA PAIX.--A la _Nouvelle Revue Française_.

LES CANNES DE M. PAUL BOURGET ET LE BON CHOIX DE PHILINTE.--Au _Divan_.

LE NOUVEL AMOUR.--Collection “_Le Sage et Ses Amis_”, chez Mme Lesage.

STENDHAL CÉLÉBRÉ A CIVITAVECCHIA.--Aux _Amis d’Édouard_, chez Champion.

LES FEMMES DE CASANOVA.--Au _Pigeonnier_.

SOUVENIR DE L’EXPOSITION.--A la _Porte Étroite_.


A L’IMPRESSION:

ÉLOGE DE LA PARESSE.--Dans la collection des _Éloges_, chez Hachette.




Copyright 1926 by Eugène Marsan.




La moitié d’un gros livre a déjà été consacrée par le même auteur à peu
près aux mêmes sujets. Mais on était loin de les avoir épuisés, et il
n’y en a pas qui se renouvellent plus vite.

J’espère donc n’avoir jamais répété que par exception et à propos deux
fois la même chose.

Il m’est arrivé, une fois seulement, je crois, de me contredire tout à
fait. C’est à propos de l’habit, que je louais et que je condamne. On
pèsera mes raisons dans les deux cas.

En outre, dans une matière d’habitude toute soumise à la réclame, il m’a
plu d’introduire, par goût de la précision, la liberté dont dispose la
critique des lettres et des arts.

E. M.




EXORDE

AUX ENFANTS DE RONSARD


Les hommes n’estiment plus que leur costume doive être négligé.

Lorsqu’il n’y met pas une affectation odieuse, un homme élégant est à
coup sûr mieux vu qu’un ours.

C’est notre temps qui a raison.

Nos aînés n’ont pas pensé comme nous. Ils ont eu d’autres idées. «Un
homme, disaient-ils, n’a pas souci du costume, parce qu’un tel souci
n’est point viril.» Ainsi, ils étaient en contradiction avec tout
l’univers, en contradiction avec cette même nature qu’ils prétendaient
diviniser.

Car, sur le globe, tous les mâles de toutes les espèces disposent d’un
harnais plus magnifique que leur tendre moitié, et se battent pour elle,
quelquefois à mort. Jusqu’aux infusoires dans leur goutte d’eau. En cet
abrégé du monde, les mâles sont merveilleusement parés. Et ils dansent à
l’heure de l’amour, jusqu’à ce que la belle fasse connaître son choix.
Tel est l’ordre véritable des atomes.

L’homme est le seul animal qui s’habille (ici, je me répète exprès). Il
n’avait pas encore découvert l’usage des métaux, il ne savait pas encore
semer, il courait sur la trace des rennes, il n’était qu’un chasseur
dépourvu, qu’il s’habillait déjà. Il est le seul être qui substitue de
certaines règles conventionnelles, de certaines contraintes
générales--les lois--à la simple rivalité des forces. Et il naît aussi
nu qu’un dieu. Il est seul enfin à souffrir comme à jouir d’une idée
tout à fait claire de la beauté. Le costume est un grand fait.

Autant qu’une nécessité, autant qu’une défense, il est parure, ornement,
séduction.

Adam s’est habillé au sortir du paradis perdu. Il s’est habillé par
vergogne et par besoin. Ensuite, pour plaire. Il y mit toujours un
sentiment profond. Son âme et son corps. Rappelez-vous le mystérieux
passage de la Genèse: «Alors le seigneur Dieu appela Adam et lui dit: Où
êtes-vous? Adam lui répondit: j’ai entendu votre voix dans le paradis,
et j’ai eu peur parce que j’étais nu; c’est pourquoi je me suis caché.»
Et Dieu le vêtit. Dieu en personne. Dieu lui donna le premier vêtement,
cousu en peaux de bêtes. Lisez le Livre. Le costume est un art, après
tout, pareil à tous les autres, ayant la même fin, qui est de rendre le
sort un peu moins désagréable. Les hommes du XIXe siècle ont été fous de
le mépriser. Le dédain qu’ils ont gagné de leurs compagnes, j’en suis
sûr, vient en grande partie de là. Elles tinrent les hommes pour des
êtres grossiers. Elles les voyaient, jusqu’à des hommes d’État, se faire
gloire d’un vêtement hideux et malpropre.

Aujourd’hui, nous nous tenons, lavons et habillons. S’il n’est permis
qu’à un petit nombre d’atteindre un haut degré d’invention calme et de
raffinement, tous les hommes ont heureusement pris le même dégoût d’un
ignoble costume que d’un acte vil.

_Ecco perchè_... Voilà pourquoi, j’ose parler du costume plus
complètement que personne l’osa jamais par écrit. Et nous n’en parlerons
pas seulement dans l’abstrait, comme Barbey d’Aurevilly dans son
_Brummell_. Nous entrerons dans le détail, nous ne perdrons pas de vue
la pratique, nous pénétrerons des secrets.

Pour commencer, nous voudrions vous munir contre votre tailleur.

Oh! d’armes purement défensives. Il faut que tu saches bien ce que tu
veux. Le sachant, il faut que tu puisses l’exiger, c’est-à-dire
t’exprimer en termes irréfutables. Or, j’en fais le pari, aujourd’hui,
tu n’es plus tout à fait content de ton tailleur.

Les déceptions qu’il te donne, il est arrivé qu’elles te fissent choir
dans un abîme. Tu te croyais malheureux, disgracié, tu remâchais ton
infortune. Tu doutais de toi-même.

Console-toi. C’est le premier service que nous pourrons te rendre. Ou du
moins on le souhaite. Même si ta forme n’est pas très harmonieuse, et si
tu es déparé, tu dois parvenir à t’habiller très bien. Un bon tailleur
ne se contente pas de coller les vêtements sur un corps. L’art est plus
malin. Il doit remédier aux défauts qu’on te voit. Lui aussi, le
tailleur, doit trouver un lieu géométrique de la vérité et du style.

Soyons justes. Il y a lieu d’invoquer plusieurs circonstances
atténuantes au bénéfice du tailleur contemporain. Il est lui-même une
victime. Il lui faut affronter des ouvriers difficiles, dont l’adresse
n’a point crû avec les gains. Il lui faut supporter les changes. Et l’on
ne travaille plus sous ses yeux. Il donne en ville. Ayant été traduites,
tes recommandations ont été trahies. Finalement, tu n’essayes presque
plus. C’est qu’à chaque essayage, contraint de revenir, l’ouvrier
prélève, à cause du temps perdu, une grosse rançon.

Quoi qu’il en soit, tu risques d’être mal servi. Et regarde autour de
toi. Regarde au théâtre, regarde les salons. Tout est plein de fausses
coupes, de traditions altérées, d’insoutenables routines, d’impayables
gaucheries, de plis imbéciles. Trop de fer, trop de coton, peu de vraie
et simple coupe. Les Anglais eux-mêmes sont en décadence.

Il semble qu’on ne sache plus éviter un défaut qu’en donnant à pleine
tête dans le défaut opposé. Aux bosses d’une manche trop large, on a
substitué le boudin d’une manche trop étroite. A la raideur de
l’épaulette rembourrée, cette ligne rompue, ce zig-zag. Au bâillement du
col sur la nuque, son obliquité, qui te rend bossu. Au déséquilibre d’un
veston qui relevait par devant cet autre désordre: il tombe, il pique du
nez parce qu’il a trop court son dos. Trop court, sur les reins;
peut-être trop long sur les omoplates. Que la perfection est rare sur la
planète! Que ceux qui l’aiment sont malheureux!

Sans compter ces pantalons dont les rues sont pleines, qui--pour avoir
pris garde de s’achever en tire-bouchon--se sont accrochés au-dessus de
la cheville, et muent tant de messieurs poivre et sel en garçonnets
sautillants.

Ai-je trop noirci mon tableau? Je te le répète: regarde. Tes amis sont
spirituels. Ils ont les plus élégantes manières qui soient, les plus
naturelles (pour user d’un mot sur lequel il faudrait s’entendre). Ils
sont comme toi: rarement habillés à leur gré... Laisse que viennent à
ton secours l’étude et l’expérience. Et si tu en as plus que moi,
souris, sois mon complice.

Qui voudra, sera libre de nous juger frivoles. Cette frivolité a plus de
psychologie que son sérieux à œillères, comme celui des ânes. Elle
n’empêche pas de sentir les grandeurs de l’esprit ni celles du cœur. Et
ma frivolité, je l’avoue, partage le genre humain en deux classes.

D’une part, les honnêtes gens de la terre, depuis qu’il y en a, qui
savent connaître et goûter la beauté, les beautés, le plaisir et la vie.
Je les nomme les enfants de Ronsard.

Dans l’autre clan, figurent les jansénistes et les couacres (ou
quakers), les iconoclastes, les hérétiques, les faces de carême.




L’ABANDON DES VÊTEMENTS A TAILLE

COMBAT DU SMOQUIN ET DE L’HABIT


Exprès. J’écris _smoquin_ tout exprès, pour parler autant que possible
français.

Un mot que le français n’a pas, dont il avait besoin et qu’il a pris en
pays étranger, il faut pourtant l’adapter, l’acclimater, comme on ne
manquait pas de faire dans les siècles vivaces. Dites-vous
_reading-coat_? En matière de costume surtout, à cause de la grande
influence de Londres, la précaution doit être perpétuelle. Nous
finirions par dire _hat_ au lieu de chapeau, _shoes_, au lieu de
souliers, _suit_ au lieu de complet.

A l’Exposition des Arts décoratifs, entre les robes scintillantes,
éblouissantes, et les robes strictes et nues--les dames étant vouées aux
extrêmes--pour tant de complets qu’on admirait (ou non) à peine si vous
distinguiez une redingote, une seule, et deux ou trois jaquettes.

Cela était raisonnable. C’était l’image de la réalité.

Le vêtement à taille est pour ainsi dire abandonné. Il nous semble
archaïque, il vieillit son homme, il surprend nos yeux.

En dehors de l’église, pour habiller le père et le fiancé qui conduisent
à l’autel une grande fille, en dehors du pesage d’Auteuil ou de
Longchamp, où, dites-moi, découvrez-vous une redingote? Celui qui en est
paré, n’imagine pas qu’il pourrait s’en aller à pied dans les rues. Il a
soin de ne laisser qu’au dernier moment la voiture qui le garde de
l’indiscrétion des curieux.

La voici pourtant, cette rare redingote de nos jours. Cumberland y a
pensé. Elle est à longs revers de soie unie, avec une courte jupe assez
bombée, pareille à celle, quadragénaire mon ami, que tous les jours tu
portais, lorsque tu avais l’âge des fleurs. Tu préférais que le revers
fût à gros grains, et tu laissais le noir absolu aux vieux hommes,
choisissant pour toi un joli gris, au lieu que celle-ci est d’un sombre,
pointillé de blanc, qui ne te plaît qu’à moitié...

Tes premières visites aux amies de ta mère... Si tu avais pu prévoir que
la machine ronde, toi dessus, irait à ce train du diable!

La jaquette est moins délaissée. Elle est pourtant dangereuse, Seigneur!
Un peu de ventre que vous ayez, elle l’étalera: c’est une devanture. Si
vous étiez arrivés à cet âge du majestueux dont parle Brillat-Savarin,
passe... Mais qui donc aujourd’hui se résigne à une majesté pareille? On
s’évertue. On se prive du boire et du manger. On s’enorgueillit à
cinquante ans d’une taille restée mince et d’un petit air juvénile dû à
cent moyens naturels, depuis la gymnastique et l’eau coulante jusqu’à la
chute d’une vaine moustache.

On a pourtant voulu... Comment dire? On a voulu galvaniser la jaquette.
O’Rossen lui a enlevé sa trop grande mine cérémonieuse pour lui prêter
une grâce estivale: un fil-à-fil gris de perle qui ferait encore bien
aux Acacias jusqu’au Grand Prix, en admettant que cette date en soit
toujours une. La forme en est aiguë, à l’hirondelle. Et Carette, au
contraire, pour mieux nous amadouer, pour mieux nous tenter, l’abrège et
l’arrondit. Il s’est même proposé de résoudre le problème du chapeau,
qui est en pareil cas d’une difficulté invincible depuis l’éclipse du
tube. Il a remis en avant cette coiffure de feutre plein et dur,
tronquée, qui n’est pas plus haute, seulement plus carrée que le melon.
Vous voyez comment je suis obligé de la décrire: comme un phénomène
lacustre. On l’appela jadis un cronstadt, à cause du mirage russe.

Mais tout ce que l’on pourra essayer restera vain.

Nous assistons à une révolution du costume. Il y en a.

Il y en eut une à la fin du XVIIIe siècle, peut-être l’un des prodromes
de la révolution politique. A la fin du XVIIIe siècle, nos pères ont
quitté leur costume national pour le costume anglais, qui était le frac,
père de l’habit moderne. Toute l’Europe nous avait suivis. Les
institutions et les armes ont ce prestige. Nous suivions désormais
l’Angleterre. Un Français de 1804, avec sa cravate et son col, sa petite
redingote, ou ses deux pans de morue, ressemble plus à un Européen de
1870 qu’à un Français de l’Ancien Régime. Et vous, combien de fois par
an mettez-vous votre habit? En 1830, les galas comportaient encore un
habit à la française, avec un petit bicorne à claque. Mais ceux qui
s’obstinaient ainsi parurent peu à peu des originaux, des fossiles. Le
frac a chassé l’ancien habit. Le smoquin va traquer le frac.

Vous vous souviendrez de ma prophétie.

Il est impossible que le costume du soir soit longtemps un déguisement
insolite. Aux beaux temps du frac de soirée, le même frac était aussi
pour le jour. Il différait à peine de couleur et de coupe. Dans une
dizaine d’années, au plus, votre habit aura disparu. Il ne se
maintiendra quelque temps que pour habiller les gens de service, s’il en
reste. Toujours comme l’ancien habit à la française.

Vous le regretterez, dites-vous. Vous le regretterez. Il faisait un
privilège. Il fallait savoir le porter.

Ah! le détestable lieu commun! Quel est le vêtement qu’il ne faille pas
savoir porter? Est-ce que tous les vestons se ressemblent? Est-ce que
tous les hommes en veston sont frères, et tous balourds, ou tous
désinvoltes? En vérité, non, il n’y aura pas lieu de pleurer l’habit.
Seule l’habitude nous empêche de sentir son extravagance. Du point de
vue de Sirius, ou du point de vue d’Orion, qui est bien
meilleur,--puisqu’il sait joindre la sympathie à la lucidité,--du point
de vue d’un artiste qui nous arriverait de la Chine, qui serait sans
prévention, qui ne jugerait que par le goût, il est sûr qu’un veston, il
est sûr qu’un smoquin est un objet plus aimable et moins fou. Vive le
smoquin!

En attendant, il nous faut un habit, et s’il était d’une coupe mal
venue, il blesserait notre amour-propre.

Entre les marteaux obliques qui avaient naguère toute la vogue et les
marteaux à angle droit qu’on a voulu rétablir, cherche un biais, un
milieu. Si tu as gardé le ventre ingénu de l’adolescence, tu peux
prendre (avec bonheur) le petit gilet croisé à bord horizontal.
Autrement, tu seras sage de demeurer fidèle au gilet à deux pointes en V
renversé. Il élance. Dans les deux gilets, l’ouverture des revers dépend
d’un caprice qui était à peu près annuel et dont les variations sont
devenues plus rares. Les gilets tumultueux, aux pointes violentes et
gonflés en jabot, sont à laisser aux hommes de certains métiers qui ont
droit à la fantaisie. Je le dis sans dédain. Je pourrais le dire avec
orgueil. Ils peuvent se permettre même de laisser le rigoureux gilet
blanc. Un satin écossais, hein? Quelle aubaine!

Un habit doit paraître comme peint sur le buste. Je dis: paraître. Le
tailleur n’est jamais exempt de _tricher_ en vue de la perfection. Le
pantalon plus ou moins large, selon l’an; et s’il dessinait sur le
cou-de-pied un très léger soupçon de guêtre, il plairait aux
connaisseurs. Trop court, qui découvre la chaussette à tous les pas, un
pantalon est toujours fâcheux. Il faut se croire marqué des signes de la
décrépitude pour revenir, dans les boutons, à l’étoffe, au lieu du divin
coroso (le mot est vilain, je m’en excuse).

Quant au smoquin, tout ce que j’ai dit ou dirai du veston lui convient,
puisque c’est un veston. Tout ce que je viens de dire du gilet et du
pantalon de l’habit ne laisse pas non plus d’être exact pour le smoquin.
La décadence de l’habit a déjà commencé à donner un gilet blanc au
smoquin en certains cas. Il est bien de mettre aux revers, au col et aux
manches une ganse minuscule. C’est une coquetterie qui a toujours ses
fidèles. Par exemple, il ne faut pas que la ganse se prolonge sur le
bord inférieur: elle le raidirait. Tant pour l’habit que pour le smoquin
les revers sont le plus souvent d’une peau de soie qui n’est pas trop
brillante. La soie mate à gros grains fait un heureux archaïsme. Tu
méprises, tu hais, tu fuis un satin qui trop étincelle. J’ajoute que si
tu n’as pas le cou trop court, l’encolure ne doit pas être trop basse.
Que l’épaule et le cou ne fassent pas un angle droit. Aux pieds, le
vernis nu. Foin des piqûres. Et ni la bottine, bien sûr, ni même
l’escarpin. Des souliers.

C’est tout, je crois. Pour moi, quand un concile en déciderait, je
n’accepterai jamais plus deux boutons au plastron de la chemise. Il n’en
faut qu’un, et que ce soit une perle, et qu’elle soit assez grosse,--ou
tout simplement de l’or.

Que dirais-tu d’une perle de nacre?




LES COMPLETS

RÈGNE DU VESTON, ET SA FORME


Lorsque Lucien de Rubenpré eut essuyé à l’Opéra les mépris de Madame
d’Espard et des lions, il comprit soudainement qu’il était mal habillé,
que son gilet était de mauvais goût, et son habit d’une mode
_exagérée_... Je cite Balzac. On a beau le décrier. Il savait ce qu’il
disait.

Lucien avait acheté ce gilet et cet habit tout faits au Palais Royal.
1830 avait-il cette supériorité sur 1925? Un habit tout fait, qui
n’avait pas le suffrage des grands connaisseurs, mais qui enfin
allait...

Pour avoir tremblé de honte, Lucien décida de recourir à un tailleur
magistral. Il va chez le plus célèbre, il court chez Staub. Lucien
(c’est-à-dire Balzac) n’était pas homme à se payer d’à peu près. A sa
première promenade sur la terrasse des Feuillants, au sortir de sa
province, tout lui a été révélé comme dans un coup de foudre. Il a
discerné le fin du fin. Avec «cette étonnante fidélité de la mémoire»,
dit Balzac, qui n’est pas moins nécessaire que le goût, il l’a retenu,
il l’a gravé dans son esprit. Or, il nous est rapporté que, du premier
coup, Staub habilla Lucien en maître.

Ce livre à la main, tu seras en état de concevoir un veston parfait.

Ne crois pas que le veston soit une découverte récente. Non plus, si
vieille. Ton père a porté des vestons, et le père de ton père. Ton
aïeul, non, ou c’est lui qui a commencé, vers le milieu du siècle
dernier.

Ce fut d’abord pour voyager et pour le matin. La veste intérieure de
l’ancien costume français raccourcie en gilet, l’abréviation de l’habit
ou de la redingote finit par donner le veston. Lorsqu’on imagina de
tailler les trois pièces dans la même étoffe, on eut les premiers
complets. Sur le continent, on les appela d’abord des «tout de même». Au
moins dans les mots, il restait à la France quelque chose du prestige
ancien.

Nous portons des vestons depuis le 1er janvier jusqu’à la
Saint-Sylvestre. Nous courons trop, nous descendons trop vite les
escaliers du chemin de fer souterrain, nous y sommes trop pressés; nous
avons à conduire notre petite voiture, ou nous pouvons toujours
l’espérer: le chapeau haut de forme heurterait les plafonds, la jaquette
se prendrait dans les portières. Nous nous ferions l’effet de chiens
savants. Il nous déplaît aussi de trancher sur la foule par des moyens
grossiers et apparents. Le très riche et puissant seigneur qui gît dans
sa quarante Renault, et le commis qui fait l’amour aux petites clientes
des Galeries Lafayette sont l’un et l’autre habillés d’un complet
apparemment le même. Cela n’est pas mal. Brummell et Baudelaire eussent
aimé une élégance idéalement réduite à la qualité pour ainsi dire
imperceptible du tissu et à l’excellence de la coupe, cet arcane.

Carette, qui a toujours mis sa gloire dans les vêtements à taille,
Carette avait à l’Exposition un joli costume de cheval d’un petit
carreau bien net. La veste était à martingale, la botte d’un joli marron
d’Inde (mais le chapeau d’un brun trop rose). De Cumberland, un petit
complet à rayure fondue, entre le violet et le marron. De l’inégal
Voisin, un magnifique complet couleur de pêche, à grand carreau violacé.
Quel que soit leur mélange, un ton finit toujours par prévaloir, dans
ces étoffes: gris la plupart du temps; cette année, brun ou violâtre.
Par fatigue de la rayure, vous rencontrerez plus d’un de ces carreaux
étranges, associés ou entrecroisés en lames de parquets. Barclay inventa
un curieux costume de plein air, avec la culotte droite et large, le
tout--casquette comprise--à rayure _horizontale_, verdâtre et rougeâtre
alternées. On ne s’est pas contenté de légères variantes, on a voulu
innover. Harrisson a même un costume qui rompt entièrement avec
l’ancienne neutralité. Imaginez un veston et une culotte droite, cette
culotte dont il paraît absurde en France d’écrire le nom en anglais.
Elle dessine un très léger carrelé sur un fond presque blanc. La veste
est marquetée sur fond beige. L’une et l’autre d’un moelleux qui déjà
tient chaud, à le contempler. Le manteau est brun, à grandes raies
orange qui se recroisent. La chemise est décorée d’un médaillon ovale, à
zones noires mêlées d’orange, le plus grand axe de l’ellipse étant
horizontal. Chapeau gris brun...

Tous ces tailleurs français de l’Exposition ont fait merveille. Je vais
jusqu’à dire qu’ils ont aujourd’hui raison contre les Anglais. Nous
verrons de quelle manière. Il faut seulement qu’ils prennent garde à
leurs manches. Monsieur, attention à ta manche! Neuf fois sur dix, tu
vas pécher par la manche.

Lorsque tu seras debout, tes deux manches vont être arquées comme les
deux anses d’une cruche. Pour éviter les grimaces, il faudra que tu
portes constamment les deux bras en équerre. Gare si tu les laisses
retomber! Or, si elles étaient plus droites, tu pourrais prendre sans
dommage les deux positions. Le tailleur voudra peut-être te persuader
que non, et qu’il faut absolument accepter cette servitude. Ne l’écoute
pas.--Et regarde.

La laideur de ta manche tient, non seulement à la monstrueuse courbe
qu’elle décrit, mais à l’ampleur idiote du coude. Quel coude! Si le
tailleur objecte que c’est une autre nécessité, sache que c’est une
autre fable qu’il imagine et que peut-être il croit. Il dit que si tu
plies ton bras l’étoffe va tirer, qu’elle aura trop de rides. Tu lui
réponds qu’il est absurde d’éviter un défaut que l’on craint par un
autre que l’on détermine.

Ton épaule, à présent. Vois-la de profil. Je parie qu’elle est trop
large, de profil. Au lieu de dessiner au sommet un arc élégant d’un
petit rayon, l’emmanchure s’élargit, elle s’écrase. Tu as la carrure
d’un portefaix. Ou bien, si ton tailleur a appris à corriger ce vice, il
est allé à l’autre extrême, il a tant pressé l’étoffe sur ton humérus
que tu parais chétif, tu as l’air d’un bossu clandestin.

Regarde toujours. Il est raisonnable qu’une place soit ménagée aux longs
muscles de ton bras. Pourtant, tu n’avais pas besoin de cette vaste
poche, dont te voilà navré, à présent que je te l’ai montrée. C’est
trop. Non plus, il ne t’en fallait pas tant pour pouvoir lever le bras,
ni pour éviter, à la hauteur de l’aisselle, ces mille plis en patte
d’oie que ton tailleur serait louable de vouloir empêcher, si ce n’était
avec l’emphase des clounes, lorsqu’ils ouvrent un crâne à la hache pour
guérir une migraine.

Il ne te reste plus qu’à vérifier le parallélisme rigoureux, à bras
plié, du bord de ta manche avec le poignet de ta chemise. Les deux
largeurs sont naturellement pareilles. La manche, qui dépasse un peu, ne
flotte pas dans le vide. Cela va de soi, comme B-A, BA.

Et tu as une manche qui est égale, qui est aisée, qui tombe, ne visse
pas, se comporte bien.

Lorsqu’il sera à bout d’objections particulières, il se peut, s’il a un
tour d’esprit philosophique, que ton tailleur ait recours à un argument
préjudiciel: «Monsieur: depuis tant de siècles que les tailleurs
s’exercent, admettez-vous que l’expérience leur ait lentement enseigné
les coupes qui conviennent, et qui peuvent à première vue dérouter les
profanes?» Sois content. Cela est d’un excellent esprit. Tu lui
marqueras donc qu’il a raison, en principe. Cependant, ajouteras-tu,
voyez les poètes. Il arrive qu’ils soient égarés tous ensemble par une
erreur. En ce cas, tous les poèmes qu’ils produisent seront viciés, en
dépit du savoir et du génie, jusqu’à ce qu’il vienne un homme qui
rétablisse un art poétique sain. Tu fermeras la boucle en observant que
les tailleurs ne sont pas exempts des pièges où tombent les poètes.

Il y en a trois, dans le moment, qui leur sont tendus. Nous allons les
voir. Puis, nous passerons à une autre matière. La manche méritait qu’on
en raisonnât avec soin.

Actuellement, notre ligne n’est point mal. Nous pourrons regarder plus
tard nos portraits sans rire. Cette assez large épaule, légèrement
tombante, cette taille dégagée sans mièvrerie, cette ampleur du torse,
cette modération dans l’ouverture du gilet, dans la largeur du pantalon,
la longueur de la veste, la hauteur du col. Proportions décentes, bel
équilibre.

Ton pantalon va de la taille à la chaussure en six lignes d’un beau jet
pur, dont quatre n’ont d’existence que dans nos yeux, les deux autres
étant ces plis au fer qu’il faut savoir maintenir. Il est plus beau
lorsqu’il tombe avec franchise sur le cou-de-pied et qu’il y touche, de
telle manière que, trouvant ce point d’appui, l’étoffe puisse un peu
bouger. Cela n’est pas facile. Encore un juste point à rencontrer. Il ne
s’agit pas de cacher ta belle chaussure. Et ton veston a la bonne
longueur; c’est-à-dire que si tu mets la main dans la poche du pantalon,
il retombe élégamment derrière ton bras. (Une bonne vérification que je
t’enseigne). Tu es svelte. Tu as la hanche égyptienne (ou tu le
voudrais).

Piège numéro 1, ou du _gigolo_.--Toutes les lignes sont anguleuses.
L’épaule est en porte-manteau, le coude pointu, le bras long, mince
comme un fil. La poche fuit au bout du bras, le dernier bouton presque
au ras du bord inférieur. La taille est basse. Le pantalon en pain de
sucre renversé. Gilet croisé sur un buste de lévrier. Dans le manteau,
qu’entravent les derniers boutons, ces boutons sont à la hauteur des
genoux. Mais ce piège, où beaucoup de jouvenceaux ont donné,--d’ailleurs
sans grand dommage, car la jeunesse peut tout--n’est plus très
dangereux. Il paraît écarté.

Piège numéro 2, ou boulevardier.--Il s’agit de nous ôter ce qui nous
plaît, qui nous va, et qui est le reflet de nos pensées. Il s’agit de
nous inspirer, à la place, l’amour des ramages et du voyant... Or, je ne
nie pas que le carreau soit l’épreuve des maîtres, je ne dis pas qu’une
couleur un peu vive ne soit louable, lorsqu’elle est bien trouvée et
logée. J’accorde même qu’un jour, les sports, réagissant sur tout le
costume masculin, l’éclaireront, l’exalteront. Je l’accorde et le
désire. Pour le quart d’heure, nos trouvailles devraient chanter sur ce
fond unique: la simplicité d’hommes qui ont à se mesurer avec un destin
difficile.

Piège numéro 3, ou le Carnaval.--Imaginez d’abord... Imaginez un
pantalon si large que son extrémité recouvre les deux tiers de la
chaussure. Par l’excès de son ampleur, il doit en outre former sur notre
derrière, puisque je suis contraint de le dire, un pli vertical bien
marqué. Ce n’est pas tout. Je n’ai pas dit le plus affreux. Dans la
fourche, il faudra qu’il dessine entre les jambes une sorte de poche
arménienne ou turque, analogue à celle qu’inventa--nouvelle preuve de sa
folie--cet animal de Jean-Jacques Rousseau. Vous riez à présent. Vous
êtes tranquilles. Mais attendez. Avec ce pantalon fantastique, où le
fondement devient pareil aux deux poings d’un enfant, imaginez une veste
serrée, qui tombe droit, qui n’est pas trop longue, qui a ses manches
assez étroites. Et soudain, vous vous récriez. Vous avez rencontré des
jeunes gens accoutrés de la sorte, une énorme canne passée à leur bras.
Chapeau sur l’œil. Vous aviez cru voir des déments. Il y en a dans les
rues. Ceux-là pourtant étaient habillés «à la mode de demain». A la mode
que l’on essaye de lancer. Il paraît qu’elle nous vient d’Angleterre et
d’Oxford.

Eh! bien, non.

Non et non.

La bonne forme est trop bonne. Gardons-la. D’une manière générale, les
Anglais, même les Anglais sages, veulent sortir du veston trop cambré
par ce qu’on nomme le veston droit, un veston dont tous les pans
verticaux sont rectilignes. Les Français, au contraire, ont retenu
l’excellente idée du veston à taille, à la mode depuis 1904. Il mincit.
Il a rappelé les arcs de notre corps, qui étaient oubliés. Qu’on en
corrige l’excès et le maniérisme, on aura un chef-d’œuvre exemplaire.
Non plus le caprice d’une saison: le choix au moins d’une décade, à
quelques retouches près qu’on ne saurait prophétiser. Cette fois, Paris
a raison contre Londres.

Le dos est droit, il tombe d’un seul jet. Ce sont les côtés qui marquent
une très légère ondulation, parce que tu es un être humain; tu n’es pas
fait comme une idole cylindrique. La jupe sans godets, appliquée sur les
hanches. La ligne de l’aisselle à la taille, très ample. Trois boutons,
celui du milieu dans le creux de l’estomac. L’épaule est large, elle
n’est pas trop haute, elle n’est pas épaisse. Le tout, aisé, souple,
d’une bonne grâce fière. Le bord du pantalon est toujours retroussé:
peut-être l’un des signes de la révolution précitée.

Un beau pantalon est obtenu par les ciseaux plus que par le fer. Pas
tant de mollet, qui est un luxe 1830 aujourd’hui superflu. Un mollet
trop fort se placera très bien dans la longueur.

Mis comme cela, tu paraîtras plus svelte, plus digne de la louange que
Mme de Sévigné faisait des Français, lorsqu’elle les trouvait «les plus
jolis du monde».

Chacun son bien: cette fleur a été cueillie par Marcel Boulenger.

Dis donc: tâche que celles d’aujourd’hui aient de toi la même bonne
opinion. De toi, de ton costume, de ta mine et de ton courage. Qu’elles
te sachent prêt à te lever, à bondir sur tes deux pieds, bouclant ta
ceinture, s’il faut un jour combattre pour les sauver de la barbarie,
elles, et tout ce qui rend notre vie sur cette bulle un peu moins laide,
un peu moins basse.




LA CHAUSSURE ET LE CHAPEAU

M. DE COMMINGES


Il t’arrivera d’oublier, de laisser ton chapeau. Tu t’en iras la tête
nue l’été, aux champs, quand le soir tombe. Dans la forêt, à toutes les
heures. En ville, heu?... Par exemple, oui, si tu demeures avenue
Marceau et que tu ailles par une belle nuit au théâtre des Champs
Élysées. Un petit coquetel en passant, chez Francis.

Les années volent. Il n’y a plus qu’un chapeau. Il est en feutre mou.

L’été, le canotier, je pense, ne sera plus jamais très plat: il faut
qu’il tienne.

Et si le tube mérite un regret, en dépit de son extravagance, l’affreux
melon s’en aille au diable!

On a rapetissé le tube, en attendant. On l’efface, tu le vois bien, on
l’atténue. Comme le bicorne de gala en 1830.

C’est que le chapeau mou étant le seul qui convienne à nos mœurs, à
notre vélocité, à notre carrure--voilà nos refrains--il se trouve qu’il
est plus beau que les autres, plus naturel, plus varié. Quel que tu
sois, tu dénicheras toujours celui qu’il te faut. Il faudrait que tu
fusses vilain comme les sept péchés, ou mal avisé comme un prédicant de
parc anglais.

Celui que l’on porte le plus est entre les deux tailles. Il a sa coiffe
très légèrement conique. Les bords, ni grands ni petits, arrondis en
général, et souvent baissés par devant. Tu peux adopter toute autre
forme qui te plaira, pourvu qu’elle te siée. Ne va pas jusqu’à faire
exprès de choisir (par _chiqué-contre_) un couvre-chef insolemment
démodé.

Les fabricants ont tort de chercher des couleurs trop rares, un beige
trop clair, quasi blanc, un fauve trop doré, un brun trop rouge, des
tons trop rompus ou trop vifs. On raffine de la sorte sur un objet
lorsque sa vogue diminue, pour émoustiller. La faveur du chapeau mou
étant ce qu’elle est, il est oiseux de prévoir l’an 2.000. Tu alternes
un marron qui est d’un café au lait où l’on n’aurait pas versé trop de
crème avec un gris mêlé d’un peu de vert. Je ne renonce ni au gris ni au
noir francs.

Quel que soit le renom de Locke et son étonnant mérite, tu ne te crois
pas obligé d’avoir un chapeau anglais. Il y en a de très bons en France.

Certains initiés, qui avaient un peu trop de joue, savent comment ils
ont pu corriger ce défaut. Commence par prendre un chapeau qui ait
l’aile assez grande, et ne va pas le percher au sommet du crâne. Non
plus, ne l’enfonce pas à t’en rabattre les oreilles. Exactement, que sa
circonférence coïncide avec le plus grand cercle de la tête. C’est le
principe du secret dont je parlais et que, ma foi, je lâche. Tu mourrais
de curiosité. Supposé que ton visage, quand tu l’observes de face, ait
plus de largeur d’une joue à l’autre qu’entre les deux tempes. Tu
prélèveras un chapeau d’abord trop grand. Puis, tu demanderas qu’on en
double le cuir, sur les deux côtés, d’un feutre qui augmente le volume
apparent de la coiffe. Si l’on te fait tes chapeaux, comme je te le
conseille, tu donnes les mêmes instructions. Avec le canotier de l’été,
un système tubulaire... L’œuf de Christophe Colomb, comme tu vois.

Et passons à l’autre extrémité.

                   *       *       *       *       *

M. de C... est un seigneur que nous pouvons imiter.

Il n’a pas les neuf cent soixante-dix ans de Mathusalem. A la veille de
la guerre, il était, il paraissait encore jeune. Il était difficile de
lui donner son âge, qu’il déclare à présent, avec un reste de cette
coquetterie à rebours, la plus aimable de toutes. Les dix ans qui
viennent de passer, les plus rapides qui aient jamais fondu sur le
monde, les plus romanesques, les plus tragiques, l’ont seuls un peu
vieilli.

Mais il reste charmant. Il est merveilleusement poli, amène. Il sait les
livres et les tableaux. Lorsqu’il parle d’une ville, il s’y promène;
d’une femme, il a l’air de savourer encore un doux souvenir. Lorsqu’il
parle des chevaux, un maître. Et si vous voulez connaître sa propre
grâce à cheval, il vous suffira de lire un des beaux romans qu’on lui
doive. Car il écrit.

Dans son costume, l’obstination se trahit dans la chemise seulement. Il
a la haine du col mou, de la chemise molle. Il y voit une invention du
Diable. L’invention de cet être dont le Tintoret de _San Rocco_ ignore
s’il était femme ou archange. Partout ailleurs, la fidélité de M. de
C... se confond avec la prudence des vrais élégants, qui se transmettent
des formes choisies, avec un parfait dédain des vogues. Son veston n’a
jamais été trop long ni trop court, son gilet ni trop ouvert ni trop
fermé, ses pantalons ni trop larges ni trop étroits. Il est avide
d’excellence. Le carreau, même étrange, de ses pantalons, ne l’a jamais
fait prendre pour un Anglais.

Un jour que j’admirais sa belle chaussure, il fit d’abord aller son pied
au bout de sa jambe croisée, par un mouvement à deux fins, dont l’une
était involontaire. Il trahissait le plaisir de l’amour-propre flatté,
et comme M. de C... en avait un peu de honte, son embarras fut caché par
un air de désinvolture. En même temps il parla:

--Vous devez avoir une quarantaine d’années (je consentis), c’est-à-dire
que vous avez vu naître et mourir un grand nombre de modes outrées, sur
lesquelles se jetait à l’étourdie une foule sans discernement. Enfant,
vous avez dû voir le pied des hommes prisonnier d’une sorte de longue
boîte, qui les aurait mis à la torture sans l’excès de longueur de la
pointe. Laquelle (j’acquiesçais), selon les années, s’achevait en
aiguille ou s’épatait en bec de canard. Immédiatement après, nous vîmes
se répandre la chaussure américaine, tordue, courte, obtuse, quasi
orthopédique. La jeunesse s’y précipita. La délivrance! Peut-être
avez-vous pris part à cette émeute, enragé de nouveauté comme je vous
connais. Les avocats de la chaussure américaine prétendaient qu’elle
reproduisait la trace d’un pied mouillé. C’est elle qui a ouvert le
règne de la chaussure toute faite. La vague absurde qui suivit éleva
jusqu’aux nues la bottine à tige de drap, dont l’empeigne alla se
réduisant chaque automne. La pointe était rondelette, le talon oblique
et léger, la semelle trop fine: Un pavé inégal, on sautillait. Sa
laideur était principalement dans ces lacets noués jusque sur les
doigts. Il fallut la guerre pour accréditer une forme meilleure, qui est
la seule bonne. Mais l’armistice était à peine signé que les fabricants
revinrent aux lubies. On étira la chaussure, on revit ces pointes
infernales d’il y a trente ans. Par surcroît, elles achevèrent une
semelle dont la torsion était le dernier vestige de l’influence
américaine. Et cet accouplement ayant mal réussi, nous voyons poindre
une seconde fois la spatule, le bec de canard si disgracieux... Nous
sommes pourtant un petit nombre d’Européens, des Anglais en tête, qui
avons su demeurer insensibles à toutes ces variations, à ces chimères
suspectes, à ces malencontreux engouements. Nous demeurons fidèles au
pur type des vieux bottiers. A peu près le soulier du vendangeur assis
de Goya.

--Oh! monsieur, faudra-t-il renoncer ou se perdre? Le bottier est plus
lourd que le percepteur.

--En ce cas, remplaçons l’argent par le goût. L’incroyable progrès de la
chaussure toute faite, voilà un événement dont les sociologues de
l’avenir seront heureux de posséder la date. Il y a même, sur les
boulevards, une boutique qui rivalise avec les meilleurs bottiers. Et ce
qu’elle présente est cousu à la main. La bonne forme est modérée, elle
est équilibrée dans toutes ses parties. Elle épouse sans affectation la
forme réelle du pied, non sa forme mythique. Ni l’empeigne ne s’effondre
ni elle ne grimpe à l’assaut. Le grand secret est dans la disposition
des pentes, si l’on peut dire. Et il faut que la semelle à son extrémité
adhère bien au sol. La pointe ressemble au bout d’une bonne cuiller,
tout simplement, avec une petite différence que la cuiller ne connaît
pas, entre les deux côtés de l’angle.

--Oh! monsieur, dis-je encore, vous me pardonnerez d’insister. J’ai
peine à admettre que vous ayez porté si longtemps une forme toujours la
même. Cela est incroyable car cela est contraire à tout ce que l’on sait
du cœur humain.

--Enfant que vous êtes... Pardonnez-moi à mon tour... Le détail
changeait, la disposition des piqûres, la hauteur du talon, son
inclinaison, l’épaisseur de la semelle, sa tranche, rayée ou non, et son
rebord, plus ou moins large; à la belle saison, la couleur du cuir. Si
le drap m’a toujours déplu, nous avions la ressource de la tige en cuir
fauve. Si le soulier de couleur champagne a toujours été une vilenie,
nos souliers jaunes ont bellement varié du fauve clair au fauve pourpré.
Pas de chevreau, jamais, à aucun prix. Sinon verni, pour le soir. Et
s’il est vrai que je n’aie jamais accepté l’acajou, (il doit venir tout
seul, à la longue, comme la patine d’un meuble), du moins je vous
l’accorde. Le chocolat, non: Horrible!... Je vous livre tout. Lorsque
j’étais jeune, on cirait encore à l’os. Le domestique empoignait un os
de cerf et frottait. Alors le veau rivalisait avec les miroirs. Personne
n’accepterait plus ce travail de galérien, mais servez-vous bien de vos
crèmes, de vos étoffes, et sur l’embauchoir. Les meilleurs sont en bois.
L’essentiel est qu’il en faut. On les glisse, à peine déchaussé, dans le
cuir encore tiède.

M. de C... me déclara pour finir qu’il respectait la diversité des
générations. Il approuva que mon soulier à grosse, piqûre eût le talon
plus massif que le sien, et un peu débordant. Il approuva que ma semelle
rejoignît le talon sans perdre aucune épaisseur sous l’arc du pied. Il
alla jusqu’à reconnaître que parfois une pointe carrée, pourvu qu’elle
fût large et bien conduite... Mais il condamna sans appel les souliers
bas portés le jour en hiver, parce qu’ils sont contraires, prononça-t-il
presque religieusement, à l’Ordre des saisons...

                   *       *       *       *       *

Lorsque parut dans l’_Art vivant_ la première esquisse du petit portrait
que voilà, et qui est en partie imaginaire, le modèle était désigné par
l’initiale de son nom.

C’était, hélas! M. de Comminges, qui fut enlevé trop tôt aux lettres et
à l’amitié.

Il a écrit, en se jouant et sous divers masques, des œuvres charmantes
ou poignantes, faites pour durer. L’admirable roman auquel je renvoyais
tout à l’heure est intitulé _la Zone dangereuse_ et signé Saint-Marcet.
Les traités qu’il a consacrés à l’étude du cheval sont incomparables à
tous les points de vue.

Il avait un fin visage, allongé, régulier, blondissant, avec la
moustache de l’officier de cavalerie, qu’il avait gardée. L’un de ces
visages qui paraissent impassibles, et l’observateur découvre en
s’étonnant que la finesse, la sensibilité et l’ardeur s’y résolvent,
qu’ils reçoivent les impressions de la vie comme un lac celles des
cieux.




LA CRAVATE

LA CHOISIR ET LA NOUER


Il semble qu’elle ait paru au XVIIe siècle, introduite par les Croates
au service de France. L’idée a été empruntée à la parure de ces Croates,
ou Cravates, nation coquette, ou bien c’est à la fastueuse poitrine de
leurs chevaux harnachés à l’orientale.

Les Français eurent besoin d’une cravate lorsque le justaucorps
entr’ouvert montra le haut de la chemise, dont il fallut garnir et fixer
le col.

Ces premières cravates, Voltaire croyait qu’elles furent toujours de
dentelle. Il se trompait. Pour avoir regardé certains portraits,
notamment l’un des portraits de Molière, nous savons qu’elles pouvaient
être faites d’un ruban.

Et nouées de la même manière--_mirabile dictu!_--exactement de la même
manière que notre petit nœud du soir, notre excellent nœud carré.

Dans la fameuse salle d’armes de Gand, où l’on tirait déjà au XVIIe
siècle, l’un des escrimeurs de ce temps-là, qu’on y admire en peinture,
porte, couleur de pourpre, cette cravate pareille à la tienne.

C’est assez parler des origines. Elles amusent l’esprit, il n’en faut
pas abuser. Au XIXe siècle, quand l’élégance masculine prit un nouveau
caractère, qui effaçait l’éclat, la cravate demeura le dernier asile de
la couleur. Mais il faut savoir choisir.

Il est un lieu commun, celui de la discrétion. Louable en soi, il est
malheureusement d’une application difficile. Il ne suffit pas de
s’abstenir. Le goût qui cherche refuge dans le gris avoue son
impuissance. Il se démet. Le XIXe siècle a eu tort, qui donnait à ses
tableaux, en les peignant, à ses mobiliers dans leur neuf, la patine ou
la crasse ou la pâleur des années.

Un de mes amis s’avisa dernièrement de vouloir une cravate rouge. Il
l’aurait choisie d’un rouge sombre. Il l’aurait nouée en forme de
plastron.

Voilà trois ou quatre ans que des raffinés essayent de remettre en vogue
le plastron. Et c’est inutile. La régate!... Nos contemporains n’en
veulent pas démordre. Son empire est tel qu’elle y a perdu son nom
particulier, comme les rois de France: son nom de régate que l’on ne
sait plus. Elle semble devenue la cravate par excellence.

Mon ami voulait donc un plastron rouge, et parce que la boutique n’en
avait point, le commis se donna un air de hauteur. Par un excès de
générosité, ou par respect humain, mon ami ne voulut pas citer
Baudelaire, qui porta, sous l’habit noir de son temps, une cravate sang
de bœuf. Il rappela seulement qu’un plastron rouge était la cravate
d’Huguenet dans _Papa_ et celle de Jules Berry dans _la Duchesse et le
Garçon d’Étage_. On lui répondit que c’était, par conséquent, une
cravate de théâtre.

L’homme qui parlait ainsi tenait dans ses mains des cravates dont la
rayure violente criait comme une pierre sous la scie. L’habitude
l’empêchait de les entendre.

La morale de cette anecdote est qu’il faut distinguer la discrétion
véritable de la discrétion conventionnelle, pour mépriser la seconde et
rechercher passionnément l’autre. Un rouge peut être le plus discret du
monde. Par un avantage inestimable, si votre chemise est blanche, ou si
le rouge, ou si le gris, ou si un certain bleu y domine, votre cravate
rouge ira presque avec tous vos complets. Au lieu que la cravate noire,
si séduisante en principe, est en réalité d’un emploi tout à fait
périlleux.

Il va sans dire que notre cravate est fonction aussi bien du linge que
du costume. Mais attention. Il ne s’agit pas d’appareiller le tout avec
une rigueur monotone. Soit une cravate à deux tons, et l’un de ces deux
tons qui domine. Tu n’espères pas trouver la même chaussette. La
rencontre d’ailleurs n’aurait pas grand intérêt. Il suffira que ta
chaussette ait l’un des deux tons. Si elle est bigarrée, elle les
présentera dans l’ordre inverse: celui qui domine la cravate décorera la
chaussette. Ou réciproquement. Ayant une chemise à raies vives, tu as
soin d’exclure les cravates de fond uni à dessins trop effacés. A plus
forte raison les cravates qui contrediraient ces rayures. Tu as la
principale couleur de ces raies, dans une nuance plus sombre, de la même
gamme, ou tu as une combinaison--rayure, carreau--apparentée à la
combinaison des raies.

Il est impossible d’en dire plus. Trop d’éléments sont en jeu. Il faut
laisser intervenir, dans les cas particuliers, les décisions presque
inanalysables du goût. Il en est ainsi dans l’amour; tu n’aimes pas une
théorie, tu aimes un être vivant.

Pour succéder aux combinaisons des rayures espacées sur un fond uni, des
carreaux très compliqués ont vu le jour. Les éclaireurs de la mode
l’avaient pressenti depuis longtemps. Heureux Picasso! Heureux cubistes!
Leur influence est allée jusque-là! L’écossais classique, que l’on
essaya d’abord, n’a pas réussi, et c’est dommage. Une autre belle idée
est de certaines fleurettes répandues sur un fond rare et dense. Mais
ils tentent aussi des ramages extravagants, qui font pitié...

Comme on a tort de parler trop vite! Même ces ramages peuvent être
jolis, à l’occasion. Il suffit d’un pour nous ravir.

Du temps de Balzac, il y avait plus de cent manières, disait-on, de
nouer une cravate. Mais ce texte m’a toujours trouvé sceptique. Il
devait confondre le genre et le cas, le nœud proprement dit avec les
innombrables dispositions des coques.

En tous cas, nous n’avons plus que trois formes, qui sont la régate, le
nœud carré, le plastron.

Dans la plus lointaine contrée, la cravate à bague a disparu.

Tout le monde sait faire une régate. Tu ne saurais pas nouer une régate,
tu en serais à l’acheter toute faite, enroulée à une âme en celluloïd,
tu ne me lirais pas. La régate actuellement n’est pas creuse et
soufflée. Elle n’est pas, non plus, étranglée entre le pouce et l’index.
Elle est massive, assez petite, très régulière.

Il serait dommage que le nœud carré se perdît. L’opération se fait en
quatre temps.

Le premier mouvement fait glisser un pan sur l’autre.

Dans le deuxième, tu replies l’un des deux côtés, tu dessines la coque
inférieure.

Dans le troisième, tu dessineras le nœud: le pan supérieur est passé
dans la boucle du pan inférieur (il faudrait une gravure).

Ici un abîme s’ouvre, qui sépare deux âges. Nos aînés achevaient le nœud
en mettant dans la boucle le pan supérieur, qu’ils repliaient en coque à
cet instant. Nous procédons d’une autre manière. Nous tirons tout à
fait, nous dégageons ce pan supérieur. Et c’est pourquoi nous avons un
quatrième mouvement.

Il consiste à rabattre le pan supérieur, à le couler.

Après quoi, ayant serré, bien serré, il ne reste plus qu’à marquer ton
inflexion personnelle.

Marcel Boulenger, l’un des princes de sa génération, ou Maurice Wilmotte
(gourmand fameux) veulent que les deux coques aient un air léger, quasi
vaporeux.

Nous nous accordons en général à les vouloir pleines, quasi rigides.
Mais les uns, comme Jean-Louis Vaudoyer ou Georges de Traz (François
Fosca) les veulent rigoureusement horizontales. Et d’autres les
penchent, les inclinent plus ou moins. Chacun de son côté, Louis Süe et
mon meilleur ami (ou mon pire ennemi) ont fait plus: ils impriment à
l’une des coques, une fois l’œuvre achevée, une torsion. Tout cela est
difficile à exprimer. Voyez les personnages du _Divan_, dans le tableau
de Klingsor.

La désuète lavallière est un cas particulier de nœud carré.

Autre cas particulier. Tu choisis une cravate très courte et tu la noues
d’un seul trait, les deux pans élargis en ailes de papillon. Là, il n’y
a point de coque. Trop régulier, l’objet serait nigaud: irrégulier, il
est parfait. C’est ce que les jeunes gens préfèrent le soir avec le
smoquin. Bernard Grasset, qui le porte dans la journée, lui donne un
tour charmant.

Et parlons du plastron.

Pour faire un plastron, il faut une cravate à deux larges pans égaux.

Elle se noue en trois mouvements. Le premier est le même que pour le
nœud carré. Dans le second, les deux pans sortent l’un à gauche, l’autre
à droite du nœud. Par le troisième, les deux pans sont rabattus l’un
après l’autre sur le nœud. Épingle.

Un raffinement que Barrès aimait beaucoup: l’on peut masquer tout
l’ensemble par le pan qui est rabattu en dernier lieu. Ton plastron ne
semble plus fait que d’une seule grosse coque d’un seul tenant.

Une cravate doit être fraîche comme une fleur.--Par conséquent:

1º Tu l’as payée un bon prix.

2º Tu la laisses reposer. Tu ne portes jamais la même deux jours de
suite.--Tu n’aurais qu’une corde à la fin de la semaine.

3º Tu la fais quelquefois repasser. C’est le plus délicatement possible,
sous un linge humide.

4º Tu es adroit. Tu ne recommences jamais.

5º Tu en fais don au premier signe de fatigue.

L’épingle est pour ainsi dire abolie. Le fixe-cravate tout à fait, à
moins que, tu ne doives, pour une raison quelconque, courir en bras de
chemise. Alors tu peux en user à la rigueur. Mais plutôt passe ta
cravate dans ta chemise,--en ce cas-là seulement--entre les deux
boutons. Ou n’aie point de cravate, mais une chemise exprès. Une épingle
à sujet est impossible. Avec leur intolérance fanatique, les jeunes gens
te mépriseraient. Ils n’admettent qu’une perle, ils n’admettent qu’un
tout petit brillant, et préfèrent de s’en passer. L’épingle de nourrice
en or a été bannie par l’épingle de même forme que nous portions naguère
au col. Aujourd’hui que le col mou se passe d’épingle, tu pourrais
repiquer dans le pan de ta régate cette belle nourrice tout unie, qui
convient si parfaitement au siècle de l’auto.

Depuis quelques années, la simplicité est allée à pas de géants. Divine
simplicité.

Maurice Martin du Gard a résolu le problème de l’épingle par une
inspiration géniale. Il porte à sa régate une boule de métal précieux
qu’il tient de son grand-père.




TA CHEMISE

OU PRENDS GARDE A PSYCHÉ


Commence par un exercice de l’esprit. Tu vas comparer deux hommes en
léger appareil.

Ton contemporain a sa chemise molle assez étroite. Il a sa culotte de
joueur de ballon. Sa chaussette est tendue. Elle est comme peinte sur la
chair. S’il a évité la bigarrure, si la chemise et la culotte ont la
même couleur, ou si tout est blanc, si la jarretelle est en harmonie
avec le reste, et la chaussette avec la cravate, tu ne déconcerteras pas
Psyché en te révélant. Voilà le point: il ne faut pas déplaire à Psyché.
Tu sais, Psyché... Une curieuse, qui soit encore innocente. Tu es perdu
si tu la fais rire.

Et l’autre?

Il avait, il y a vingt ans, son torse enveloppé d’une vaste toile
blanche partout bouillonnante, et empesée, raidie en manière de carcan.
L’idée d’une cassure qui pouvait gâter son plastron lui était un
supplice. Les deux jambes flottaient dans un falzar dont il fallait que
les cordonnets, en les nouant sur la cheville, retinssent une chaussette
rebelle. Allons! ce n’était pas de jeu.

Les filles d’Ève ont peut-être cessé de railler les fils d’Adam. En tous
cas, les fils d’Adam ont cessé, encore imberbes, de trembler devant les
filles d’Ève. Ce curieux phénomène a certainement un grand nombre de
causes. La révolution du costume masculin n’y doit pas être étrangère.
Observe donc ce gosse avec sa bien-aimée, ou, comme il dit, sa
_chiquette_,--de l’espagnol _chica_, petite: _chiquita_ au diminutif.
Elle joue l’assurée, mais il n’a pas peur. Tous deux se mesurent du coin
de l’œil comme deux athlètes égaux entre les cordes. Oh! Conseille-lui
de n’être pas féroce. Qu’il soit gracieux et gentil. Finalement,
n’oublie pas de le féliciter. Son calme. Sa tenue. Tout ce qu’il a de
magistral dans son jeune cœur et dans son costume.

Tu refuseras une chemise trop longue. Un homme est ridicule lorsqu’il
paraît entre les deux pans inégaux d’une immense bannière. C’est alors
(je précise) que la pauvre Psyché s’étonne. Où donc est-il écrit, en
quel livre, que ses beaux songes dussent avoir une telle fin?

Tu refuseras une chemise trop large. On ne parvient pas à comprendre
pourquoi les chemises toutes faites ont encore cette ampleur, comme si
tout le monde était obèse.

Ta manche, non plus, n’a pas cette forme de jambon, nous sommes
d’accord. Pareillement, tu as ôté toutes ces fronces qui foisonnaient
depuis le XVIe siècle. Tu n’écouteras pas un chemisier borné. Il te dit
que la chemise française, c’est-à-dire fermée, en a besoin. Mais ce
n’est pas vrai, il se trompe. Une routine qu’il a.

La chemise molle a disparu avec l’habit. Et s’il la faut dure, qu’elle
soit alors ouverte. Là, les Anglais ont raison. Avec le smoquin,
j’approuve le petit nombre d’obstinés qui luttent contre la cuirasse. Il
suffit bien que le col soit empesé. C’est une idée d’Iroquois de compter
l’élégance à la gêne.

On a inventé une nouvelle chemise qui a sa manchette nouée autour du
poignet par deux boutons. La coupe en est très difficile. Il faut
demander à Charvet le modèle que porte Jacques Hébertot. Sacha Guitry,
dans son intérieur, en a une autre, dont les poignets sont tels,
légèrement évasés, qu’ils se passent de bouton. Ils sont fixés en haut,
à leur base.

Nouvelle preuve que les poètes classiques avaient raison de distinguer
deux vocabulaires: Psyché t’admire dans ta culotte en forme de trapèze.
Dans ta culotte, non dans ton caleçon.

Les robes de chambre sont magnifiques, les pyjamas somptueux. Salut,
princes et maharadjas! L’homme qui est simple dans la rue, et se couvre
chez lui de ces soyeuses splendeurs, n’est pas un bête.

Dans les chaussettes de jour, tout ce que tu voudras, pourvu que
l’harmonie soit sauve, je te l’ai déjà dit. Tu devras tenir compte même
du teint de ta peau. Tu n’es pas obligé, en grande toilette, au noir des
croque-morts. Un vert bouteille. Un rouge sombre.

La fureur du moment, pour le linge, est aussi le carreau. Seelio, à
l’Exposition, le donnait très fin. Seeligmann avait une chemise jaune à
carreau violet, le chiffre sur la manche. Noir et gris dans le sens
vertical, orangé dans le sens horizontal. Le quadrilatère de Hayem
alliait le faste à la modération. David échappait à la double fatalité
de la rayure ou du carreau par un arrangement de courbes légères, des
arcs, sept ou huit à la fois.

Ces rayures qui persistent ont d’ailleurs été multipliées, enchevêtrées
de manière à couvrir entièrement le fond. Puis, ce sont les carreaux que
l’on violenta. On est allé jusqu’au losange. On est allé jusqu’au
parallélépipède ombré. Attention!

Rien n’est plus joli qu’une chaussette imprévue. Tu ne diras pas le
contraire. Tu es même capable d’agréer dans la chaussette, l’un de ces
divertissements cubistes. Ils sont spirituels. La difficulté commence
lorsqu’il s’agit d’appareiller tous ces divers carrelages. Sans compter
celui du costume, qui ne sera plus l’antique et éternel pied de poule,
ni les barbares et savoureux carrés anglais, mais, ton sur ton, une
assez laborieuse marqueterie. Essayez de mettre tout cela ensemble! Le
carreau, décidément, doit rester une exception, une rencontre. Il ne
peut devenir une habitude. Tu ne peux pas te nourrir de pikles!

Ton mouchoir est blanc à coup sûr, et assez vaste. L’été seulement, tu
l’as pareil à ta chemise, lorsque celle-ci est d’un rose, d’un bleu,
d’un jaune uni. Le mouchoir de soie, la pochette, non. Tu ne l’aimes
guère. Il y a contradiction. En fil pur.

(En fil pur... Pour nous faire admettre dans le reste du linge un coton
mieux travaillé qu’autrefois, on nous a parlé des révolutions russes,
qui ont fabuleusement élevé le prix du fil. Mais on a bien su nous
tenter au moyen de la soie, qui n’est pas donnée! Si bien que nous ne
cherchons plus à comprendre. On nous a dit aussi que le fil était froid
dans nos climats, et que les tisseurs avaient appris à bien marier le
fil et le coton, enfin qu’il ne s’agissait ni des cols ni des draps...
Adieu donc! beau fil d’antan, fil éclatant, beau fil de glace, orgueil
des dimanches rustiques!)

Et ton col, à présent: la tête y repose, ta destinée en dépend.

Un col double mou doit tenir par sa propre vertu. Par la coupe, non par
une épingle. Secret: qu’il ne paraisse jamais trop bas. Autre secret:
l’angle des deux pointes sur le poitrail ne doit pas être trop aigu, ni
ces pointes trop longues,--les grands ouvriers le dédaignent.
Lorsqu’elles sont inégalement brisées par le contact avec la poitrine--à
tête baissée--ou si l’une d’elles s’incurve, par hasard, comme une
coquille convexe, tu as un chef d’œuvre.

Le col cassé a volontiers ses deux triangles qui vont chercher quasi
l’oreille. Beaucoup le portent un peu bas. Tu l’aimes assez haut; il est
plus digne. Écoute encore un secret. Je t’en dis beaucoup. Sache éviter
les trop grandes cassures trop ouvertes. Cela est de mauvais ton. Le
triangle ouvert où ton menton repose étant un triangle isocèle, il vaut
mieux que les cassures, de part et d’autre, soient deux triangles
rectangles.

Je suis chinois, je suis tâtillon, je suis algébrique. Mais il le faut
bien. Autrement, ce n’est que phrase vaine...

Le dernier secret d’une chemise irréprochable est dans l’encolure.
Lorsqu’elle est trop décolletée, elle est affreuse. Il y a un homme,
dans Paris, réputé pour son élégance, et qui l’ignore. Je pourrais le
nommer. A quoi bon? Je suis tout charité. Tu le vois bien, toi: qui me
lis, mon frère, qui que tu sois. Te voilà peut-être un peu plus fort,
moins démuni, devant cette Psyché qui a presque la même rigueur, la même
inclémence que la nature.




LES CANNES

ET LEUR FAÇON


Une canne est un jonc, un rotin, un bâton. Il faut le savoir: on sera
gardé de certaines fantaisies outrées.

Une canne est une branche coupée.

                   *       *       *       *       *

Le règne unique, la tyrannie des cannes droites a pris fin.

Une canne droite, c’est-à-dire coiffée d’un pommeau ou se terminant par
une mailloche, une canne droite peut embarrasser, lorsque les mains ont
à faire. Une canne dont le bois s’arrondit en crosse est assurément plus
commode. On l’accroche à son bras. Tu t’en vas d’un pied léger.

Mais quand la mode dessinera le mouvement inverse, lorsqu’elle tendra à
repasser de la canne recourbée à la canne toute droite, nous ne
manquerons pas non plus d’arguments pour justifier le nouveau point de
vue. Allons, ne t’effraye pas. Où le sophisme aurait-il bonne grâce,
sinon là?

Aujourd’hui, contente-toi de doubler le nombre de tes cannes. Il faut en
acquérir autant de courbes que tu en avais déjà de droites. Il n’est pas
encore question de convertir ces dernières en objets de vitrine.

Le principe qui prévaut est le suivant. On prend une canne recourbée
pour la ville, pour la promenade, et une canne droite, le soir.

A ne considérer que l’utile, il serait plus adroit de faire tout juste
le contraire. Tu marches plus allègrement avec une bonne trique à la
main, d’une seule venue, droite comme un I et redoutable comme la
justice. Le soir, il te serait plus facile d’avoir une canne à suspendre
à ton bras, pendant que tu assistes la dame qui descend de voiture, ou
que l’on vous détrousse aux guichets d’un théâtre. Mais l’utilité n’est
pas notre seule loi, par bonheur. La canne recourbée, le jour, qui nous
paraît plus familière, et la canne droite, le soir, qui nous paraît plus
cérémonieuse, s’accordent mieux avec l’état présent de notre
sensibilité.

Je note vite une exception.

Supposé que tu marches... Tu ne passes pas, je suppose, les beaux mois
de l’année dans l’indolence... Tu auras, si tu marches, les trois cannes
à écorce, qui sont avec les rotins, les joncs et les bambous, les cannes
par excellence. Elles nous rendent une pureté agreste. Le frêne, pâle
comme les yeux de Minerve; le noisetier doré; le sombre et odorant
merisier. Soit qu’il te plaise d’avoir au bout du bras une sorte de
balancier, soit pour frapper de temps à autre une motte ou un caillou,
ne vas-tu pas préférer que tes cannes à écorce soient droites? Le frêne,
pareil à une svelte massue; le merisier, avec sa racine amusante: et le
noisetier, donnant tout seul une belle mailloche.

Il n’y a pas plus belle petite canne d’été. Si tu as l’humeur
guillerette, tu pourras y joindre quelque lisse et nerveux piment. Si tu
as l’humeur étrange, quelque bambou de Madagascar, en tirant parti de sa
racine fantastique.

Le printemps et l’été, tu laisseras tranquilles la sanglante amourette
et l’ébène mouchetée (l’ébène unie, tu l’as rangée, elle n’est plus
possible). Tu laisseras tranquille l’or, l’écaille, la corne des
pommeaux. Ce faste est pour l’hiver. A suspendre à ton bras, tu auras un
jonc, qui n’a besoin d’aucune parure. Tu en auras deux, pour jouir des
deux tons, l’un couleur de miel, l’autre presque de pourpre. Tu
alterneras selon l’heure, selon l’éclat du jour, selon la robe de ta
belle. A tes joncs droits, une capsule, rien de plus.

J’avais oublié de dire que le frêne est particulièrement agréable au
bord de la mer, surtout s’il y a de l’ombre dans le pays, s’il y a des
bois. Le noisetier fait bien sur la route. Le merisier, c’est avec
l’Automne.

Paie-toi (veinard) une canne en rhinocéros. En bélier, qui est aussi
bien, il t’en coûtera une trentaine de louis. L’un et l’autre sont
délicieux au clair de lune, ou dans le bleu des lampes et des arbres,
sous les violons de la terrasse. Le rhinocéros vaut deux cents louis
quand il est sans défaut. O les joncs innocents, les joncs virgiliens!

Si tu es curieux de poignées rares ou précieuses, je te signale les
crosses en bois de cerf d’Antoine, les lézards et les galuchats du même,
et ceux de Delpeuch, ceux de Degobert. Je ne sais plus où--mais à
l’Exposition--j’ai vu certaine béquille parallélépipédique, en galuchat
à filets d’ivoire. Belle d’ailleurs, mais redoutable.

Les clous d’or des sceptres d’Homère et les ciselures du Roi Soleil ont
cette postérité.

                   *       *       *       *       *

Quant au parapluie, c’est bien simple.

Dis-moi si tu as envie de ressembler aux hommes que l’on voit, qui
portent un parapluie?

C’est un appareil dont l’Occident a voulu se passer durant des siècles.
Il connut, il pratiqua quelquefois le parasol. Il omit ou dédaigna le
parapluie.

Cette guerre terminée, que certains crurent témérairement la dernière de
toutes, le petit toit d’étoffe, la petite pagode ambulante, parut un
signe trop lâche et prosaïque. On a un chapeau (dont le vrai feutre
nargue les cataractes). On a un manteau (qui braverait le Niagara). On
n’a pas un parapluie.

Le tien, dans sa gaîne, était une mailloche en noisetier. Tu en avais un
autre, d’une belle soie enroulée à un gros jonc massif. Tu en étais
incroyablement vain. Allons, on te le permet quelquefois.

                   *       *       *       *       *

... Tu éternues à la première pluie du printemps. A tes souhaits! Et que
l’été qui vient soit beau. Il y a si longtemps.

    Eau printanière, pluie harmonieuse et douce
    Autant qu’une rigole à travers le verger...

Dans les beaux jours, tu liras _les Stances_ de Moréas, et si le ciel
était gris, pareillement.




LES GANTS

ET LA PETITE OIE


Ce n’est pas toi, mon cher ami, même si tu as tiqué tout à l’heure
devant cette expression, parce que tu n’as pas lu Molière.

La Petite Oie, c’était tout l’ornement, la décoration du costume: les
canons de la jambe, le jabot, la dentelle des manchettes, les rubans de
la veste... Notre costume n’en a pas.

La cravate... Peut-être les gants. La cravate et les gants sont les deux
vestiges de la Petite Oie. Si tu as l’amour des couleurs vraies, la
cravate est le seul point où tu pourras le satisfaire. Pour tes gants,
tu les prends toujours larges, à ôter presque d’un seul coup. Il ne faut
pas que tu en paraisses embarrassé, il ne faut pas qu’ils encombrent la
vue de ton prochain. Veille à la rotondité du bout des doigts. Tannés,
choisis-les un peu plus fauves, un peu plus rouges qu’on ne voudra te
les donner, en prenant garde à la nuance de ta chaussure. Tu aimes
aussi, pour alterner, ce renne sans égal.

Il est pourtant commode de ranger sous ce vocable de la Petite Oie, à
défaut d’un autre nom, un certain nombre d’objets qui complètent notre
semblant: la canne, le briquet, le porte-cigarettes, le portefeuille, la
bague, l’épingle, la jarretelle, la ceinture, les bretelles (si tu en
portes encore, comme je te le conseille, avec l’habit et le smoquin, et
elles seront noires ou grises, avec des initiales assorties à la
chaussette.)

La canne avait droit à tout un chapitre. Pour l’épingle, reviens au
chapitre de la cravate.

Le portefeuille est un porte-billets. En le choisissant, tu dois penser
à ton porte-cigarettes.

Avec ou sans pierre, la bague ne peut être qu’une chevalière. A moins
que tu ne possèdes une merveille ancienne d’une autre sorte, mais sobre,
ou que tu te sentes capable d’un miracle.

Point de mièvrerie dans le briquet. Le petit briquet à torche est bon.
Le briquet de l’armée anglaise, meilleur; et si tu peux l’avoir garni de
galuchat...

Les pipes françaises valent bien la Dunhill, mais la Dunhill est un
bijou d’un fini incomparable. On est obligé de l’avouer. Seulement toute
armature métallique, quelle qu’elle soit, et même nettoyée chaque fois à
l’alcool, rend la pipe plus forte.

Ta ceinture a deux centimètres de largeur. Elle est en daim sombre. Et
va chez le sellier. Il t’en fera une bonne, dont il te montrera le cuir.

Ta jarretelle est d’un seul trait qui se referme sur lui-même comme un
serpent.

Tu rencontreras des porte-cigarettes d’argent vastes comme une pelle, ou
réduits à la taille d’une petite boîte. Ceux que j’aime sont en cuir:
maroquin pour le soir, porc ou vache,--mais foin du crocodile, avec ses
écailles galeuses. Hermès en fait deux entre lesquels il est exactement
impossible d’opter. Ils sont royaux. Il n’est pas facile non plus de les
dépeindre. L’un ressemble à un porte-monnaie plus ample. Il a un dessus
qu’on rabat et qui passe sous une bande. Il ferme ainsi. L’autre, quand
il s’ouvre, peut prendre la forme d’un chevalet, et on le pose. Le fauve
ou le rouge de ces peaux est à crier d’admiration ou à tomber en
rêverie.

Ton bagage excite les mêmes troubles moraux, ton porte-habit, ton
nécessaire, ton «sac de chasse». Tout cela, bien fauve, c’est le mieux.
Dans le fourgon, une malle-armoire mais qui reste maniable. Si tu as une
auto, la malle à valises superposées. Tu ne seras pas obligé de tout
défaire à l’étape.

Tu as la tête bien coiffée. Pas d’artisterie. L’ordonnance est toujours
aux cheveux rebroussés et serrés. Si tu as voulu garder ta raie, tu
imprimes du moins à tes cheveux une direction générale de trois quarts,
d’avant en arrière. Ton parfum est frais et vigoureux. Pierre de
Trévières a marqué un jour que nous devions sentir le bois de teck, le
miel, le tabac anglais, le cuir de Russie, et non plus les fleurs. Il a
même donné dans un numéro de _Monsieur_--la formule de l’un de ces mâles
parfums, au moyen du _dimethylhydroquinone_. Si tu l’essayais?

Que la gymnastique, enfin, te garde fort, te garde mince... Sache vivre.

Et laisse-moi signer, ma foi, en toutes lettres. Puisqu’un Balzac,
puisqu’un Stendhal, puisqu’un Bourget se sont plu à ces objets réputés
frivoles, ni toi ni moi n’en serons déshonorés.

Cependant, lis encore mon épilogue.




ÉPILOGUE

L’INFLEXION PERSONNELLE


Au XIXe siècle, grand fait nouveau, l’élégance est transformée en
dandysme.

Les nouvelles formes du costume sont choisies beaucoup moins en vue
d’embellir que dans l’intention d’étonner.

Pour la première fois--du moins en France, et du moins depuis la fin du
XVIe siècle--une forme bizarre et même extravagante sera adoptée, à
cause précisément de son extravagance. Insolente réplique, véritable et
beau défi de l’esprit artiste à l’esprit bourgeois, et de l’esprit
aristocratique persécuté à l’esprit de nivellement.

Le premier phénomène de caractère _dandy_ est présenté en France par les
_Incroyables_, qui donnent à leur cravates l’apparence d’un goître, à
leur collet, l’enflure d’une bosse.

Le second phénomène _dandy_ a pour auteur Napoléon. Cet empereur a
inventé un costume--la redingote grise, le chapeau lunaire--qui n’a
jamais été porté par personne.

Passent les années. Tout le monde s’évertue à qui paraîtra le plus
singulier, dans le criant gilet, la tumultueuse cravate, ou le
déconcertant chapeau. Mais il n’y a pas de trouvaille baroque qui ne
soit à l’instant accueillie et reproduite. L’invention d’un fou, qui fut
lapidée dans les rues de Londres, à savoir le tuyau de poële ou chapeau
haut de forme, a régné tout un siècle sur l’Europe.

Celui qui, le premier, imagina de se tirer d’affaire par la simplicité,
ce fut--après Brummell--le merveilleux Baudelaire. Puisqu’il était
impossible de retrouver le faste de l’ancien costume, il se mit à
raffiner sur l’habit noir. Lui aussi, dans sa jeunesse, il inventa un
costume: il avait un étroit pantalon noir qui découvrait, sur le soulier
éclatant, la blancheur du bas. Là-dessus, par une idée de son génie,
_une blouse de paysan_. Oubliez que c’est une blouse: il n’y a pas de
forme plus élégante. Et la tête nue, ce précurseur! D’ailleurs propre de
la tête aux pieds, fourbi comme une baïonnette.

Plus tard, seconde invention. Baudelaire adopte son froc, le célèbre
froc, sorte de raglan ou de sac qu’il porta fidèlement, comme un
uniforme.

Mais toi-même, est-ce que tu veux inventer?

Tu penses d’abord que non, que tu n’as aucune obligation de cette
espèce, que tu portes tout simplement le costume de ton époque. Même les
peintres, ils ont tous renoncé à s’affubler. Tu les approuves. Rien
n’était plus absurde au monde qu’un _rapin_. Toute son originalité
consistait à garder les cheveux et le pantalon de 1850. Avec son linge
dérobé, sa barbiche ou sa barbe, il était naïvement archaïque. Et il
drapait! Aujourd’hui, tout le monde se tient aux grands préceptes: que
chacun doit paraître ressembler à tous (Balzac _dixit_), et que les
convenances extérieures doivent être respectées (Baudelaire). L’accent
et l’air de la personne se trahissent désormais par des riens:
l’inflexion d’une cravate, le pli d’une mèche, l’imperceptible variation
d’une coupe.

Voilà, nous y sommes. Ces riens sont d’un grand prix. Balzac complétait
ainsi le précepte que je rappelais à l’instant: avoir l’air de
ressembler à tout le monde; ne ressembler en réalité à personne. Et ce
détail, cette goutte d’eau, cette ombre par où l’homme fin se distingue
de la tourbe, nos contemporains le cherchent à qui mieux mieux. Le
chandail de Picasso et de Mac Orlan; les admirables revers de Jean-Louis
Vaudoyer; les complets toujours clairs de Guy de Pourtalès; le bleu
constant de Jacques Boulenger; le miraculeux faux-col de Jacques
Blanche, aux deux pointes roulées, et son veston exemplaire, dont il
garde exprès la manche assez large, et sa cravate de lord, à pois
blancs. Hier, la mèche de Barrès...

Ou regarde Foujita, le plus hardi de tous.

Il ne s’est pas déguisé en Européen. Il n’a point voulu du linge dur. Il
n’a pas essayé d’ouvrir une raie bien sotte dans la calotte de sa
chevelure, ni de la rebrousser. Non! Il a laissé ses cheveux sur le
front, comme le roi de Rome dans le portrait de Lawrence, mais ce sont
cheveux d’Asie, noirs comme l’encre, égaux comme les dents d’un peigne.
Il ne voulait pas garder sous notre ciel la robe gênante de son pays.
Encore moins prendre un veston trop sec. Émule de Baudelaire et de
Napoléon, le seul moderne avec eux qui ait su trouver un costume
nouveau, entièrement personnel et entièrement heureux, ce grand artiste
a imaginé une sorte de blouse souple et croisée, peu flottante, dont la
couleur est d’un beau bleu de papier buvard. Elle est serrée à la taille
sur une chemise à grands carreaux vifs. Et le pantalon est relevé sur un
soulier à semelle forte... La seule invention d’un tel costume méritait
déjà la gloire.




TABLE


  Exorde.--Aux Enfants de Ronsard                                      7
  L’abandon des vêtements à taille.--Combat du Smoquin et de l’Habit  18
  Les Complets.--Règne du Veston et sa forme                          31
  La Chaussure et le Chapeau.--M. de Comminges                        51
  La Cravate.--La choisir et la nouer                                 67
  Ta Chemise.--Ou prends garde à Psyché                               83
  Les Cannes.--Et leur Façon                                          95
  Les Gants.--Et la Petite Oie                                       104
  Épilogue.--L’Inflexion personnelle                                 111




Il a été tiré de cet ouvrage, le troisième de la collection “A LA LAMPE
D’ALADDIN” 1 exemplaire unique sur vieux Japon portant le nº 1. 20
exemplaires sur papier du Japon, numérotés 2 à 21. 40 exemplaires sur
papier Madagascar, des papeteries Navarre, numérotés 22 à 61. 300
exemplaires sur papier vergé baroque thé, numérotés 62 à 361. Il a été
tiré en outre, 35 exemplaires sur vergé baroque crème, numérotés en
chiffres romains I à XXXV, réservés à M. Herbillon-Crombé, libraire à
Bruxelles.

Exemplaire Nº




Achevé d’imprimer le 29 Juin 1926 sur les presses des Artisans
Imprimeurs, sous la direction technique de F. Lefèvre, 23, rue de la
Mare, à Paris (XXe), pour les Éditions de la Lampe d’Aladdin, P. J.
Aelberts et M. Dethier, directeurs, 14, avenue Reine Élisabeth à Liège,
Belgique.





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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
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