La cité de Carcassonne

By Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc

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Title: La cité de Carcassonne

Author: Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc

Release Date: July 30, 2006 [EBook #18940]

Language: French


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LA CITÉ DE CARCASSONNE

BOURLOTON.--Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2.

(AUDE)

PAR

VIOLLET LE DUC

[Illustration]

PARIS

LIBRAIRIE DES IMPRIMERIES RÉUNIES ANCIENNE MAISON MOREL 13, RUE
BONAPARTE, 13

1888

       *       *       *       *       *




HISTORIQUE


Vers l'an 636 de Rome, le Sénat, sur l'avis de Lucius Crassus, ayant
décidé qu'une colonie romaine serait établie à Narbonne, la lisière des
Pyrénées fut bientôt munie de postes importants afin de conserver les
passages en Espagne et de défendre le cours des rivières. Les peuples
Volces Tectosages n'ayant pas opposé de résistance aux armées romaines,
la République accorda aux habitants de Carcassonne, de Lodève, de Nîmes,
de Pézenas et de Toulouse la faculté de se gouverner suivant leurs lois
et sous leurs magistrats. L'an 70 avant J.-C., Carcassonne fut placée au
nombre des cités nobles ou élues. On ne sait quelle fut la destinée de
Carcassonne depuis cette époque jusqu'au IVe siècle. Elle jouit,
comme toutes les villes de la Gaule méridionale, d'une paix profonde;
mais après les désastres de l'Empire, elle ne fut plus considérée que
comme une citadelle (_castellum_). En 350 les Francs s'en emparèrent,
mais peu après les Romains y rentrèrent.

En 407, les Goths pénétrèrent dans la Narbonnaise première, ravagèrent
cette province, passèrent en Espagne, et, en 436, Théodoric, roi des
Visigoths, s'empara de Carcassonne. Par le traité de paix qu'il conclut
avec l'Empire en 439, il demeura possesseur de cette ville, de tout son
territoire et de la Novempopulanie, située à l'ouest de Toulouse.

C'est pendant cette domination des Visigoths que fut bâtie l'enceinte
intérieure de la cité sur les débris des fortifications romaines. En
effet, la plupart des tours visigothes encore debout sont assises sur
des substructions romaines qui semblent avoir été élevées hâtivement,
probablement au moment des invasions franques. Les bases des tours
visigothes sont carrées ou ont été grossièrement arrondies pour recevoir
les défenses du Ve siècle.

Du côté méridional de l'enceinte on remarque des soubassements de tours
élevées au moyen de blocs énormes, posés à joints vifs et qui
appartiennent certainement à l'époque de la décadence de l'Empire.

Quoi qu'il en soit, il est encore facile aujourd'hui de suivre toute
l'enceinte des Visigoths (voir le plan général, fig. 16)[1]. Cette
enceinte affectait une forme ovale avec une légère dépression sur la
face occidentale, suivant la configuration du plateau sur lequel elle
est bâtie. Les tours, espacées entre elles de 25 à 30 mètres environ,
sont cylindriques à l'extérieur, terminées carrément du côté de la ville
et réunies entre elles par de hautes courtines (fig. 1). Toute la
construction visigothe est élevée par assises de petits moellons de
0m,10 à 0m,12 de hauteur environ, avec rangs de grandes briques
alternées. De larges baies en plein cintre sont ouvertes dans la partie
cylindrique de ces tours, du côté de la campagne, un peu au-dessus du
terre-plein de la ville; elles étaient garnies de volets de bois à
pivots horizontaux et tenaient lieu de meurtrières. Le couronnement de
ces tours consistait en un crénelage couvert. Des chemins de ronde des
courtines on communiquait aux tours par des portes dont les linteaux en
arcs surbaissés étaient soulagés par un arc plein cintre en brique. Un
escalier de bois mettait à l'intérieur l'étage inférieur en
communication avec le crénelage supérieur qui était ouvert du côté de la
ville par une arcade percée dans le pignon.

[Note 1: Des fouilles nous ont permis de reconnaître les fondations
de cette enceinte sur les points où elle a été supprimée, à la fin du
XIIIe siècle, pour augmenter le périmètre de la cité.]

[Illustration: Fig. 1.]

Malgré les modifications apportées au système de défense de ces tours,
pendant les XIIe et XIIIe siècles, on retrouve toutes les traces
des constructions des Visigoths. Jusqu'au niveau du sol des chemins de
ronde des courtines, ces tours sont entièrement pleines et présentent
ainsi un massif puissant propre à résister à la sape et aux béliers.

Les Visigoths, entre tous les peuples barbares qui envahirent
l'Occident, furent ceux qui s'approprièrent le plus promptement les
restes des arts romains, au moins en ce qui regarde les constructions
militaires et, en effet, ces défenses de Carcassonne ne diffèrent pas de
celles appliquées à la fin de l'Empire en Italie et dans les Gaules. Ils
comprirent l'importance de la situation de Carcassonne, et ils en firent
le centre de leurs possessions dans la Narbonnaise.

Le plateau sur lequel est assise la cité de Carcassonne commande la
vallée de l'Aude, qui coule au pied de ce plateau, et par conséquent la
route naturelle de Narbonne à Toulouse. Il s'élève entre la montagne
Noire et les versants des Pyrénées, précisément au sommet de l'angle que
forme la rivière de l'Aude en quittant ces versants abrupts, pour se
détourner vers l'est. Carcassonne se trouve ainsi à cheval sur la seule
vallée qui conduise de la Méditerranée à l'Océan et à l'entrée des
défilés qui pénètrent en Espagne par Limoux, Alet, Quillan, Mont-Louis,
Livia, Puicerda ou Campredon. L'assiette était donc parfaitement choisie
et elle avait été déjà prise par les Romains qui, avant les Visigoths,
voulaient se ménager tous les passages de la Narbonnaise en Espagne.

Mais les Romains trouvaient par Narbonne une route plus courte et plus
facile pour entrer en Espagne et ils n'avaient fait de Carcassonne
qu'une citadelle, qu'un _castellum_, tandis que les Visigoths,
s'établissant dans le pays après de longs efforts, durent préférer un
lieu défendu déjà par la nature, situé au centre de leurs possessions de
ce côté-ci des Pyrénées, à une ville comme Narbonne, assise en pays
plat, difficile à défendre et à garder. Les événements prouvèrent qu'ils
ne s'étaient point trompés; en effet, Carcassonne fut leur dernier
refuge lorsqu'à leur tour ils furent en guerre avec les Francs et les
Bourguignons.

En 508, Clovis mit le siège devant Carcassonne et fut obligé de lever
son camp sans avoir pu s'emparer de la ville.

En 588, la cité ouvrit ses portes à Austrovalde, duc de Toulouse, pour
le roi Gontran; mais peu après, l'armée française ayant été défaite par
Claude, duc de Lusitanie, Carcassonne rentra au pouvoir de Reccarède,
roi des Visigoths.

Ce fut en 713 que finit ce royaume; les Maures d'Espagne[2] devinrent
alors possesseurs de la Septimanie. On ne peut se livrer qu'à de vagues
conjectures sur ce qu'il advint de Carcassonne pendant quatre siècles;
entre la domination des Visigoths et le commencement du XIIe siècle,
on ne trouve pas de traces appréciables de constructions dans la cité,
non plus que sur ses remparts. Mais, à dater de la fin du XIe
siècle, des travaux importants furent entrepris sur plusieurs points. En
1096, le pape Urbain II vint à Carcassonne pour rétablir la paix entre
Bernard Aton et les bourgeois qui s'étaient révoltés contre lui et il
bénit l'église cathédrale (Saint-Nazaire), ainsi que les matériaux
préparés pour l'achever. C'est à cette époque en effet que l'on peut
faire remonter la construction de la nef de cette église.

[Note 2: Sous le commandement de Moussa ben-Nossaïr.]

Sous Bernard Aton, la bourgeoisie de Carcassonne s'était constituée en
milice et il ne paraît pas que la concorde régnât entre ce seigneur et
ses vassaux, car ceux-ci battus par les troupes d'Alphonse, comte de
Toulouse, venu en aide à Bernard, furent obligés de se soumettre et de
se cautionner. Les biens des principaux révoltés furent confisqués au
profit du petit nombre des vassaux restés fidèles, et Bernard Aton donna
en fief à ces derniers les _tours_ et les maisons de Carcassonne, à la
condition, dit Dom Vaissette: «de faire le guet et de garder la ville,
les uns pendant quatre, les autres pendant huit mois de l'année et d'y
résider avec leurs familles et leurs vassaux durant tout ce temps-là.
Ces gentilshommes, qui se qualifiaient de châtelains de Carcassonne,
promirent par serment au vicomte de garder fidèlement la ville. Bernard
Aton leur accorda divers privilèges, et ils s'engagèrent à leur tour à
lui faire hommage et à lui prêter serment de fidélité. C'est ce qui a
donné l'origine, à ce qu'il paraît, aux mortes-payes de la cité de
Carcassonne, qui sont des bourgeois, lesquels ont encore la garde et
jouissent pour cela de diverses prérogatives.»

Ce fut probablement sous le vicomte Bernard Aton ou, au plus tard, sous
Roger III, vers 1130, que le château fut élevé et les murailles des
Visigoths réparées. Les tours du château, par leur construction et les
quelques sculptures qui décorent les chapiteaux des colonnettes de
marbre servant de meneaux aux fenêtres géminées, appartiennent
certainement à la première moitié du XIIe siècle. En parcourant
l'enceinte intérieure de la cité, ainsi que le château, on peut
facilement reconnaître les parties des bâtisses qui datent de cette
époque; leurs parements sont élevés en grès jaunâtre et par assises de
0m,15 à 0m,25 de hauteur, sur 0m,20 à 0m,30 de largeur, et
grossièrement appareillés.

Le 1er août 1209, le siège fut mis devant Carcassonne par l'armée des
croisés, commandée par le célèbre Simon de Montfort.

Le vicomte Roger avait fait augmenter les défenses de la cité et celle
des deux faubourgs de la Trivalle et de Graveillant, situés entre la
ville et l'Aude, ainsi que vers la route de Narbonne.

Les défenseurs, après avoir perdu les faubourgs, manquant d'eau, furent
obligés de capituler. Le siège entrepris par l'armée des croisés ne dura
que du 1er au 15 août, jour de la reddition de la place. On ne peut
admettre que pendant ce court espace de temps les assiégeants aient pu
exécuter les travaux de mine ou de sape qui ruinèrent une partie des
murailles et tours des Visigoths; d'autant qu'il existe des reprises
faites pendant le XIIe siècle pour consolider et surélever les tours
visigothes qui avaient été fort compromises par la sape et la mine.

Il faut donc admettre que les travaux de siège et les brèches dont on
signale la trace, notamment sur le côté nord, sont dus aux Maures
d'Espagne, lorsqu'ils conquirent ce dernier boulevard des rois
visigoths. Bernard Aton ne peut être, non plus, l'auteur de ces travaux
de mine, car le traité qui lui rendit la cité occupée par ses sujets
révoltés n'indique pas qu'il ait eu à faire un long siège et que les
défenseurs fussent réduits aux dernières extrémités.

Le vicomte Raymond Roger, au mépris des traités et de la capitulation
qui rendait la cité de Carcassonne aux croisés, était mort en prison
dans une des tours en novembre 1209. Depuis lors, Raymond de Trincavel,
son fils, avait été dépouillé, en 1226, par Louis VIII de tous ses biens
reconquis sur les croisés. Carcassonne alors fit partie du domaine
royal, et un sénéchal y commandait pour le roi de France.

En 1240, ce jeune vicomte Raymond de Trincavel, dernier des vicomtes de
Béziers, et qui avait été remis en 1209 aux mains du comte de Foix (il
était alors âgé de deux ans), se présente tout à coup dans les diocèses
de Narbonne et de Carcassonne avec un corps de troupes de Catalogne et
d'Aragon. Il s'empare, sans se heurter à une sérieuse résistance, des
châteaux de Montréal, des villes de Montolieu, de Saissac, de Limoux,
d'Azillan, de Laurens et se présente devant Carcassonne.

Il existe deux récits du siège de Carcassonne entrepris par le jeune
vicomte Raymond en 1240, écrits par des témoins oculaires: celui de
Guillaume de Puy-Laurens, inquisiteur pour la Foi dans le pays de
Toulouse et celui du sénéchal Guillaume des Ormes, qui tenait la ville
pour le roi de France. Ce dernier récit est un rapport, sous forme de
journal, adressé à la reine Blanche, mère de Louis IX.

Cette pièce importante nous explique toutes les dispositions de
l'attaque et de la défense[3]. À l'époque de ce siège, les remparts de
Carcassonne n'avaient ni l'étendue ni la force qui leur furent données
depuis par Louis IX et Philippe le Hardi. Les restes encore
très-apparents de l'enceinte des Visigoths, réparée au XIIe siècle,
et les fouilles entreprises en ces derniers temps, permettent de tracer
exactement les défenses existant au moment où le vicomte Raymond de
Trincavel prétendit les forcer.

[Note 3: Le rapport du sénéchal Guillaume des Ormes, et le récit de
Guillaume de Puy-Laurens ont été publiés et annotés par M. Douët d'Arcq,
dans la _Biblioth. de l'École des Chartes_, 2e série, tome II, p.
363.]

Nous donnons ci-après, figure 2, le plan de ces défenses, avec les
faubourgs y attenant, les barbacanes et le cours de l'Aude.

L'armée de Trincavel investit la place le 17 septembre 1240, et s'empare
du faubourg de Graveillant, qui est aussitôt repris par les assiégés. Ce
faubourg, dit le _Rapport_, est _ante portam Tolosæ_. Or la porte de
Toulouse n'est autre que la porte dite de l'_Aude_ aujourd'hui, laquelle
est une construction romane percée dans un mur visigoth, et le faubourg
de Graveillant ne peut être, par conséquent, que le faubourg dit de la
_Barbacane_. La suite du récit fait voir que cette première donnée est
exacte.

Les assiégeants venaient de Limoux, c'est-à-dire du midi, ils n'avaient
pas besoin de passer l'Aude devant Carcassonne pour investir la place.
Un pont de pierre existait sur l'Aude. Ce pont est encore entier
aujourd'hui: c'est le _vieux pont_ dont la construction date, en partie,
du XIIe siècle. Il ne fut que réparé et muni d'une tête de pont, sous
saint Louis et sous Philippe le Hardi. Il est indiqué en P sur notre
figure 2.

Raymond de Trincavel n'ignorait pas que les assiégés attendaient des
secours qui ne pouvaient se jeter dans la cité qu'en traversant l'Aude,
puisqu'ils devaient se présenter par le nord-ouest. Aussi le vicomte
s'empara du pont, et, poursuivant son attaque le long de la rive droite
du fleuve vers l'amont, il essaya de couper toute communication de
l'assiégé avec la rive gauche.

Ne pouvant tout d'abord se maintenir dans le faubourg de Graveillant, en
G (voir la fig. 2), il s'empare d'un moulin fortifié, M, sur un bras de
l'Aude, fait filer ses troupes de ce côté, les loge dans les parties
basses du faubourg, et dispose son attaque de la manière suivante: une
partie des assaillants, commandés par Ollivier de Thermes, Bernard Hugon
de Serre-Longue et Giraut d'Aniort, campent entre le saillant nord-ouest
de la ville et la rivière, creusent des fossés de contrevallalion et
s'entourent de retranchements palissadés.

L'autre corps, commandé par Pierre de Fenouillet, Renaud de Puy et
Guillaume Fort, est logé devant la barbacane qui existait en B et celle
de la porte dite _Narbonnaise_, en N.

En 1240, outre ces deux barbacanes, il en existait une en D[4] qui
permettait de descendre du château dans le faubourg[5] et une en H
faisant face au midi. La grande barbacane D servait encore à protéger la
porte de Toulouse T (aujourd'hui porte de l'Aude).

[Note 4: Reconstruite sous saint Louis.]

[Note 5: Toutes les défenses du château datent du XIIe siècle
sauf celles du front sud.]

Il faut observer que les seuls points où le sol extérieur soit à peu
près au niveau des lices (car Guillaume des Ormes signale l'existence
des lices L et par conséquent d'une enceinte extérieure), sont les
points O et R. Quant au sol de la barbacane D du château, il était
naturellement au niveau du faubourg et par conséquent fort au-dessous de
l'assiette de la cité. Tout le front occidental de la cité est bâti sur
un escarpement très-élevé et très-abrupt.

[Illustration: Fig. 2.]

En reprenant tout d'abord le faubourg aux assiégeants, les défenseurs de
la ville s'étaient empressés de transporter dans leur enceinte une
quantité considérable de bois qui leur fut d'un grand secours; mais ils
avaient dû renoncer à se maintenir dans ce faubourg.

Le vicomte fit donc attaquer en même temps la barbacane D du château
pour ôter aux assiégés toute chance de reprendre l'offensive, la
barbacane B (c'était d'ailleurs un saillant), la barbacane N de la porte
Narbonnaise et le saillant I, au niveau du plateau qui s'étendait à 100
mètres de ce côté vers le sud-ouest.

Les assiégeants, campés entre la place et le fleuve, étaient dans une
assez mauvaise position; aussi se retranchent-ils avec soin et
couvrent-ils leurs fronts d'un si grand nombre d'arbalétriers que
personne ne pouvait sortir de la ville sans être blessé.

Bientôt ils dressèrent un mangonneau devant la barbacane D.

Les assiégés, de leur côté, dans l'enceinte de cette barbacane, élèvent
une pierrière turque qui bat le mangonneau. Pour être autant défilé que
possible, le mangonneau devait être établi en E.

Peu après les assiégeants commencent à miner sous la barbacane de la
porte Narbonnaise en N, en faisant partir leurs galeries de mine des
maisons du faubourg qui, de ce côté, touchaient presque aux défenses.

Les mines sont étançonnées et étayées avec du bois auquel on met le feu,
ce qui fait tomber une partie des défenses de la barbacane.

Mais les assiégés ont contre-miné pour arrêter les progrès des mineurs
ennemis et ont remparé la moitié de la barbacane restée debout. C'est
par les travaux de mine que, sur les deux points principaux de
l'attaque, les gens du vicomte tentent de s'emparer de la place; ces
mines sont poussées avec une grande activité; elles ne sont pas plutôt
éventées que d'autres galeries sont commencées.

Les assiégeants ne se bornent pas à ces deux attaques. Pendant qu'ils
battent la barbacane D du château, qu'ils ruinent la barbacane N de la
porte Narbonnaise, ils cherchent à entamer une portion des lices et ils
engagent une attaque très-sérieuse sur le saillant en I entre l'évêché
et l'église cathédrale de Saint-Nazaire, marquée S sur notre plan.

Comme nous l'avons dit, le plateau, sur ce point, s'étendait presque de
niveau avec l'intérieur de la cité de I en O, et c'est pourquoi saint
Louis et Philippe le Hardi firent, sur ce plateau, en dehors de
l'ancienne enceinte visigothe, un ouvrage considérable, destiné à
dominer l'escarpement.

L'attaque des troupes de Trincavel est de ce côté (point faible alors)
très-vivement poussée; les mines atteignent les fondations de l'enceinte
des Visigoths, le feu est mis aux étançons et dix brasses de courtines
s'écroulent. Mais les assiégés se sont remparés en retraite de la brèche
avec de bonnes palissades et des bretèches[6]; si bien que les troupes
ennemies n'osent risquer l'assaut. Ce n'est pas tout, des galeries de
mine sont aussi ouvertes devant la porte de Rodez, en B; les assiégés
contre-minent et repoussent les travailleurs des assiégeants.

[Note 6: Sorte de petit blokaus en charpente.]

Cependant, des brèches étaient ouvertes sur divers points et le vicomte
Raymond craignant de voir, d'un moment à l'autre, déboucher les troupes
de secours envoyées du nord, se décide à tenter un assaut général. Ses
gens sont repoussés avec des pertes sensibles, et, quatre jours après,
sur la nouvelle de la venue de l'armée royale, il lève le siège, non
sans avoir mis le feu aux églises du faubourg, et entre autres à celle
des Minimes en R.

L'armée de Trincavel était restée vingt-quatre jours devant la ville.

Louis IX, attachant une grande importance à la place de Carcassonne qui
couvrait cette partie du domaine royal devant l'Aragon, et prétendant ne
plus avoir à redouter les conséquences d'un siège qui l'aurait mise
entre les mains d'un ennemi sans cesse en éveil, voulut en faire une
forteresse inexpugnable.

Il faut ajouter au récit du sénéchal Guillaume des Ormes un fait
rapporté par Guillaume de Puy-Laurens. Dans la nuit du 8 au 9 septembre,
les habitants du faubourg de Carcassonne (de la Trivalle; voir le plan,
figure 2), malgré leur protestation de fidélité à la noblesse tenant
pour le roi, avaient ouvert leurs portes aux soldats de Trincavel qui,
dès lors, dirigea de ce faubourg son attaque de gauche contre la porte
Narbonnaise. Saint Louis, sitôt après le siège levé, n'eut pas à
détruire le bourg déjà brûlé par le vicomte Raymond, mais voulant d'une
part punir les habitants de leur manque de foi, et de l'autre ne plus
avoir à redouter un voisinage aussi compromettant pour la cité, il
défendit aux gens du faubourg de Graveillant de rebâtir leurs maisons et
fit évacuer le faubourg de la Trivalle. Ces malheureux durent s'exiler.

Louis IX commença immédiatement de grands ouvrages de défense autour de
la cité; il fit raser les restes des faubourgs, débarrassa le terrain
entre la cité et le pont et fit élever toute l'enceinte extérieure que
nous voyons aujourd'hui, afin de se couvrir de tous côtés et de prendre
le temps d'améliorer les défenses intérieures.

Ayant pu constater la faiblesse des deux parties de l'enceinte sur
lesquelles le vicomte Raymond avait, avec raison, porté ses deux
principales attaques, c'est-à-dire l'extrémité sud et la porte
Narbonnaise, il étendit l'enceinte extérieure bien au delà de l'ancien
saillant sud sur le plateau qui domine de ce côté un ravin aboutissant à
l'Aude et vers la porte Narbonnaise, à 30 mètres environ en dehors,
enclavant ainsi dans les nouvelles défenses les deux points principaux
de l'attaque de Trincavel (fig. 16).

Résolu à faire de la cité de Carcassonne le boulevard de cette partie du
domaine royal contre les entreprises des seigneurs hérétiques des
provinces méridionales, saint Louis ne voulut pas permettre aux
habitants des anciens faubourgs de rebâtir leurs habitations dans le
voisinage de la cité. Sur les instances de l'évêque Radulphe[7] après
sept années d'exil, il consentit seulement à laisser ces malheureux
proscrits s'établir de l'autre côté de l'Aude. Voici les lettres
patentes de saint Louis, expédiées à ce sujet[8]:

[Note 7: Le tombeau de cet évêque est dans la petite chapelle bâtie
à l'extrémité du bras de croix sud de l'église de Saint-Nazaire.]

[Note 8: _Hist. des Antiq. et comtes de Carcassonne_, G. Besse,
citoyen de Carcassonne, Béziers, 1645. «Ces lettres, dit Besse, furent
exécutées par le seneschal, _pridie nonas Aprilis_, c'est-à-dire le 4
avril 1247, et, avec l'acte de leur exécution, se trouvent avoir esté
transcrites en langage du pays, dans le livre manuscrit des coutumes de
Carcassonne.]

«Louis, par la grâce de Dieu, roy de France, à notre amé et féal Jean de
Cravis, seneschal de Carcassonne, salut et dilection. Nous vous mandons
que vous recevez en seureté les hommes de Carcassonne qui s'en estoient
fuys, à cause qu'ils n'avoient payé à nous les sommes qu'ils devoient,
les termes des payements escheus. Pour les demeures et habitations
qu'ils demandent, vous en prendrez advis et conseil de nostre amé et
féal l'evesque de Carcassonne et de Raymond de Capendu et autres bons
hommes, pour leur bailler place pour habiter, proveu qu'aucun domage
n'en puisse avenir à nostre chasteau et ville de Carcassonne. Voulons
que leur rendez les biens et héritaiges et possessions, dont ils
joüissoient avant la guerre, et les laissez joüir de leurs uz et
coustumes, affin que nous ou nos successeurs ne les puissions changer.
Entendons toutefoiz que lesdits hommes de Carcassonne doivent refaire et
bastir à leurs despens les églises de Nostre-Dame et des Frères-Mineurs,
qu'ils avoient démolies; et au contraire n'entendons que vous recevez en
façon quelconque aucun de ceux qui introduisirent le vicomte (de
Trincavel) au bourg de Carcassonne, estant traistres, ains rappellerez
les autres non coupables. Et direz de nostre part à nostre amé et féal
l'évesque de Carcassonne, que des amendes qu'il prétend sur les
fugitifs, il s'en désiste, et de ce luy en sçaurons gré. Donné à
Helvenas, le lundy après la chaise de saint Pierre.»

Bien que nous n'ayons pas le texte original de cette pièce, mais
seulement la transcription altérée évidemment par Besse, ce document
n'en est pas moins très-important en ce qu'il nous donne la date de la
fondation de la ville actuelle de Carcassonne. En effet, en exécution de
ces lettres patentes, l'emplacement pour bâtir le nouveau bourg fut
tracé au delà de l'Aude, et comme cet emplacement dépendait de l'évêché,
le roi indemnisa l'évêque en lui donnant la moitié de la ville de
Villalier. L'acte de cet échange fut passé à Aigues-Mortes avec le
sénéchal en août 1248.

Ce bourg est aujourd'hui la ville de Carcassonne, élevée d'un seul jet
sur un plan régulier, avec des rues alignées, coupées à angle droit, une
place au centre et deux églises.

La prudence de Louis IX ne se borna pas à dégager les abords de la cité
et à élever une enceinte extérieure nouvelle, il fit bâtir la grosse
défense circulaire appelée la Barbacane, à la place de celle qui
commandait le faubourg de Graveillant, lequel, rebâti plus tard, prit
son nom de cet ouvrage.

Il mit cette barbacane en communication avec le château, par des rampes
fortifiées, très-habilement conçues au point de vue de la défense de la
place (fig. 16).

À la manière dont sont traitées les maçonneries de l'enceinte
extérieure, il y a lieu de croire que les travaux furent poussés
activement, afin de mettre, au plus tôt, la cité à l'abri d'un coup de
main et pour donner le temps de réparer et d'agrandir l'enceinte
intérieure.

Philippe le Hardi, lors de la guerre avec le roi d'Aragon, continua ces
ouvrages avec activité. Ils étaient terminés au moment de sa mort
(1285). Carcassonne était la place centrale des opérations entreprises
contre l'armée aragonaise et un refuge assuré en cas d'échec.

À la place de l'ancienne porte appelée Pressam ou Narbonnaise ou des
Salins, Philippe le Hardi fit construire une admirable défense,
comprenant la porte Narbonnaise actuelle, la tour du Trésau et les
belles courtines voisines. Du côté de l'ouest-sud-ouest, sur l'un des
points vivement attaqués par l'armée de Trincavel, profitant du saillant
que saint Louis avait fait faire, il rebâtit toute la défense
intérieure, c'est-à-dire les tours nos 39, 11, 40, 41, 42, 43 (porte
de Razez, de Saint-Nazaire ou des Lices), ainsi que les hautes
courtines intermédiaires (fig. 16), de manière à mieux commander la
vallée de l'Aude et l'extrémité du plateau. Un fait curieux donne la
date certaine de cette partie de l'enceinte qui enveloppait l'évêché. En
août 1280, à Paris, le roi Philippe permit à Isar, alors évêque de
Carcassonne, de pratiquer quatre fenêtres grillées dans la courtine
adossée à l'évêché, après avoir pris l'avis du sénéchal, et sous la
condition expresse que ces fenêtres seraient murées en temps de guerre,
sauf à pouvoir les rouvrir, la guerre terminée. Le roi s'obligeait à
faire, à ses dépens, les égouts pour l'écoulement des eaux de l'évêché,
à travers la muraille, et à l'évêque était réservée la jouissance des
étages de la tour dite de l'Évêque (tour carrée nº11, à cheval sur les
deux enceintes), jusqu'au crénelage, sans préjudice des autres droits du
prélat, sur le reste des murailles de la ville. Or, ces quatre fenêtres
n'ont point été ouvertes après coup, elles ont été bâties en élevant la
courtine, et elles existent encore entre les tours nos 39, 11 et 40;
donc ces courtines et tours datent de 1280. Du côté du midi et du
sud-est, Philippe le Hardi fit couronner, exhausser et même reconstruire
sur quelques points les tours des Visigoths, ainsi que les anciennes
courtines. Du côté du nord, on répara également les parties dégradées
des murs anciens et on éleva une large barbacane devant l'entrée du
château dans l'intérieur de la ville.

L'enceinte extérieure, que je regarde comme antérieure de quelques
années aux réparations entreprises par Philippe le Hardi, pour améliorer
l'enceinte intérieure--et je vais en donner des preuves certaines tout à
l'heure--est bâtie en matériaux (grès) irréguliers et disposés sans
choix, mais présentant des parements unis, tandis que toutes les
constructions de la fin du XIIIe siècle sont parementées en pierres
ciselées sur les arêtes, et forment des bossages rustiques qui donnent à
ces constructions un aspect robuste et d'un grand effet. Tous les
profils des tours de l'enceinte intérieure, réparée par Philippe le
Hardi, sont identiques; les culs-de-lampe des arcs des voûtes et les
quelques rares sculptures, telles, par exemple, que la statue de la
Vierge et la niche placées au-dessus de la porte Narbonnaise,
appartiennent incontestablement à la fin du XIIIe siècle.

Dans ces constructions, les matériaux sont de même nature, provenant des
mêmes carrières et le mode d'appareil uniforme; partout on rencontre ces
bossages, aussi bien dans les parties complètement neuves, comme celles
de l'ouest, du sud-ouest et de l'est, que dans les portions complétées
ou restaurées, sur les constructions visigothes et du XIIe siècle.
Les moulures sont finement taillées et déjà maigres, tandis que
l'enceinte extérieure présente dans ses meurtrières, ses portes et ses
corbeaux, des profils très-simples et larges. Les clefs des voûtes de la
tour nº18 (tour de la Vade ou du Papegay) sont ornées de figures
sculptées présentant tous les caractères de l'imagerie du temps de saint
Louis. De plus, entre la tour nº7 et l'échauguette de l'ouest, le
parapet de la courtine a été exhaussé, en laissant toutefois subsister
les merlons primitifs ainsi englobés dans la maçonnerie surélevée, afin
de donner à cette courtine, jugée trop basse, un commandement plus
considérable.

Or, cette surélévation est construite en pierres avec bossages, les
créneaux sont plus espacés, l'appareil beaucoup plus soigné que dans la
partie inférieure et parfaitement semblable, en tout, à l'appareil des
constructions de 1280.

La différence entre les deux constructions peut être constatée par
l'observateur le moins exercé: donc, la partie inférieure étant
semblable, comme procédés de structure, à tout le reste de l'enceinte
extérieure, et la surélévation conforme, comme appareil, à toutes les
constructions dues à Philippe le Hardi, l'enceinte extérieure a été
évidemment élevée avant les restaurations et les adjonctions entreprises
par le fils de Louis IX.

Du côté du sud-ouest, la muraille des Visigoths venait longer la façade
ouest de l'église cathédrale de Saint-Nazaire (fig. 16). Cette façade,
élevée, comme nous l'avons dit, à la fin du XIe siècle ou au
commencement du XIIe n'est qu'un mur fort épais sans ouverture dans
la partie inférieure. Elle dominait l'enceinte visigothe et augmentait
sa force sur ce point attaquable. Son couronnement consistait en un
crénelage dont nous avons retrouvé les traces et que nous avons pu
rétablir dans son intégrité.

Les fortifications de Philippe le Hardi laissèrent entre elles et cette
façade (fig. 16) un large espace et la défense supérieure de la façade
de Saint-Nazaire demeura sans objet puisqu'elle ne commandait plus les
dehors.

Depuis lors il ne fut entrepris aucun travail de défense dans la cité de
Carcassonne et, pendant tout le cours du moyen âge, cette forteresse fut
considérée comme imprenable. Le fait est qu'elle ne fut point attaquée
et n'ouvrit ses portes au prince Noir, Edouard, en 1355, que quand tout
le pays du Languedoc se fut soumis à ce conquérant.




DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ.


J'ai voulu donner un résumé très-succinct de l'histoire des
constructions qui composent l'enceinte de la cité de Carcassonne, afin
d'expliquer aux voyageurs curieux les irrégularités et les différences
d'aspect que présentent ces défenses dont une partie date de la
domination romaine et visigothe et qui ont été successivement modifiées
et restaurées, pendant les XIIe et XIIIe siècles, par les vicomtes
et par le roi de France.

Quand on se présente devant la cité de Carcassonne, on est tout d'abord
frappé de l'aspect grandiose et sévère de ces tours brunes si diverses
de dimensions, de forme, et qui suivent, ainsi que les hautes courtines
qui les réunissent, les mouvements du terrain pour obtenir un
commandement sur la campagne et profiter autant que possible des
avantages naturels offerts par les escarpements du plateau, au bord
duquel on les a élevées. Du côté oriental est ouverte l'entrée
principale, la seule accessible aux charrois, c'est la porte Narbonnaise
défendue par un fossé et une barbacane garnie de meurtrières et d'un
crénelage avec chemin de ronde. L'entrée est biaise, de façon à masquer
la porte de l'ouvrage principal. Un châtelet, qui peut être isolé de la
barbacane, la précède, à cheval sur le pont qui était composé de deux
tabliers mobiles en bois, dont les tourillons sont encore à leur place.
Cette barbacane et le châtelet sont ouverts à la gorge afin d'être
battus par les défenses supérieures de la porte Narbonnaise, si ces
premiers ouvrages tombaient au pouvoir de l'ennemi.

Du côté extérieur, les deux grosses tours entre lesquelles est ouverte
la porte, sont renforcées par des _becs_, sortes d'éperons destinés à
éloigner l'assaillant du point tangent le plus attaquable, de le forcer
de se démasquer, à faire dévier le bélier (bosson en langue d'Oïl), ou à
présenter une plus forte épaisseur de maçonnerie à la mine.

L'entrée était d'abord fermée par une chaîne dont les attaches sont
encore à leur place et qui était destinée à empêcher des chevaux lancés
d'entrer dans la ville. Un mâchicoulis protège la première herse et la
première porte en bois avec barres; dans la voûte est percé un second
mâchicoulis, puis on trouve un troisième mâchicoulis devant la seconde
herse. Il n'était donc pas facile de franchir tous ces obstacles. Mais
cette entrée était défendue d'une manière plus efficace encore en temps
de guerre.

Au-dessus de l'arc de la porte, des deux côtés de la niche occupée par
la statue de la Vierge, se voient, sur les flancs de chacune des deux
tours, trois entailles proprement faites; les deux voisines de l'angle
sont coupées carrément et d'une profondeur de Om,20, la troisième est
coupée en biseau comme pour recevoir le pied d'un lien de bois ou d'un
chevron incliné. Au-dessus de la niche de la Vierge on remarque trois
autres trous carrés profonds, destinés à recevoir des pièces de bois
formant une forte saillie. Ces trous recevaient, en effet, les pièces de
bois d'un auvent formant une saillie prononcée au-dessus de la porte,
protégeant la niche et les gens de garde à l'entrée de la ville.

Cet auvent subsistait en temps de paix; en temps de guerre il servait de
mâchicoulis. À lm,30 au-dessus du faîtage de cet auvent on voit
encore, sur les flancs des deux tours, de chaque côté, quatre entailles
ou trous carrés au même niveau, les trois premiers au-dessus de ceux
servant de points d'appui aux chevrons de l'auvent et le quatrième à
0m,60 en avant. La était établi le plancher du deuxième mâchicoulis.
Une cinquième entaille, faite entre les deux dernières et un peu
au-dessus, servait de garde pour recevoir le madrier mobile destiné à
protéger les assiégés contre les projectiles lancés du dehors de bas en
haut et maintenait, par un système de décharges, tout cet étage
supérieur en l'empêchant de basculer. On ne pouvait communiquer des
tours à ces mâchicoulis extérieurs que par une ouverture pratiquée au
deuxième étage et par des échelles, de façon à isoler ces mâchicoulis
dans le cas où les assaillants s'en seraient emparés. Ces ouvrages de
bois étaient protégés par des mantelets percés de meurtrières.
L'assaillant, pour pouvoir s'approcher de la première herse, devait donc
affronter une pluie de traits et les projectiles jetés de trois
mâchicoulis, deux posés en temps de guerre et un dernier tenant à la
construction elle-même. Ce n'est pas tout: le sommet des tours était
garni de hourds en charpente que l'on posait également en temps de
guerre[9]. Les trous destinés au passage des solives en bascule qui
supportaient ces hourds sont tous intacts et disposés de telle sorte
que, du dedans, on pouvait, en très-peu de temps, établir ces ouvrages
de bois dont la couverture se reliait à celle des combles à demeure. En
effet, on conçoit facilement qu'avec le système de créneaux et de
meurtrières pratiqués dans les couronnements de pierre, il était
impossible d'empêcher des assaillants nombreux et hardis, protégés par
des pavois et même par des _chats_ (sortes de chariots recouverts de
madriers et de peaux) de saper le pied des tours, puisque des
meurtrières, malgré la forte inclinaison de leur coupe, il est
impossible de voir le pied des tours ou courtines, et que, par les
créneaux, à moins de sortir la moitié du corps en dehors de leur
ventrière, on ne pouvait non plus viser un objet placé au pied de
l'escarpe. Il fallait donc établir une défense continue, couverte et
permettant à un grand nombre de défenseurs de battre le pied de la
muraille ou des tours par le jet de pierres ou de projectiles de toute
nature.

[Illustration: Figure 3]

[Note 9: On a vu que le sénéchal Guillaume des Ormes se félicite
d'avoir pu reprendre le faubourg de Graveillant, dans lequel se trouvait
une provision de bois qui fut très-utile aux assiégés.]

La coupe ci-contre (fig. 3), faite sur l'axe de la porte Narbonnaise,
explique les dispositions que nous venons d'indiquer.

Non-seulement les hourds remplissaient cet objet, mais ils laissaient
aux défenseurs toute la liberté de leurs mouvements, les chemins de
rondes au dedans des crénelages étant réservés à l'approvisionnement des
projectiles et à la circulation.

D'ailleurs si ces hourds étaient percés, outre le machicoulis continu,
de meurtrières, les meurtrières pratiquées dans les merlons de pierre
restaient démasquées dans leur partie inférieure et permettaient aux
arbalétriers postés au dedans du parapet sur ce chemin de ronde de
lancer des traits sur les assaillants. La défense était donc aussi
active que possible et le manque de projectiles devait seul laisser
quelque répit à l'attaque.

On ne doit donc pas s'étonner si, pendant des sièges mémorables, après
une défense prolongée, les assiégés en étaient réduits à découvrir leurs
maisons, à démolir les murs de clôture des jardins, à dépaver les rues,
pour garnir ces hourds de projectiles et forcer les assaillants à
s'éloigner du pied des tours et murailles.

D'un autre côté, les assiégeants cherchaient à mettre le feu à ces
hourds de bois qui rendaient le travail des sapeurs impossible ou à les
briser à l'aide des pierres lancées par les mangonneaux ou les
trébuchets. Et cela ne devait pas être très-difficile, surtout lorsque
les murailles n'étaient pas fort élevées. Aussi, dès la fin du XIIIe
siècle, on se mit à garnir les murailles et tours de machicoulis de
pierre portés sur des consoles, ainsi qu'on peut le voir à Beaucaire, à
Avignon et dans tous les châteaux forts ou enceintes des XIVe et
XVe siècles[10].

[Note 10: Au château de Coucy, bâti au commencement du XIIIe
siècle, on voit naître les machicoulis de pierre destinés à remplacer
les hourds de bois. Là, ce sont déjà de grandes consoles de pierre qui
portaient le hourd de bois.]

À Carcassonne, le mâchicoulis de pierre n'apparaît nulle part, et
partout, au contraire, on trouve les trous des hourds de bois dans les
fortifications du château, qui datent du commencement du XIIe siècle,
aussi bien que dans les ouvrages de Louis IX et de Philippe le Hardi.

Au XIIIe siècle, la montagne Noire et les rampes des Pyrénées étaient
couvertes de forêts; on a donc pu faire grand usage de ces matériaux si
communs alors dans les environs de Carcassonne.

Les couronnements des deux enceintes de la cité, courtines et tours,
sont tous percés de ces trous carrés traversant à distances égales le
pied des parapets au niveau des chemins de ronde. Les étages supérieurs
des tours et de larges hangars établis en dedans des courtines, comme
nous le dirons tout à l'heure, servaient à approvisionner ces bois qui
devaient toujours être disponibles pour mettre la ville en état de
défense.

En temps ordinaire les couronnements de pierre pouvaient suffire, et
l'on voit encore comment, dans les étages supérieurs des tours, les
créneaux étaient garnis de volets à rouleaux: sortes de sabords,
manoeuvrant sur un axe de bois posé sur deux crochets en fer; volets qui
permettaient de voir le pied des murailles sans se découvrir et qui
garantissaient les postes des étages supérieurs contre le vent et la
pluie. Les volets inférieurs s'enlevaient facilement lorsqu'on
établissait les hourds, car alors les créneaux servaient de
communication entre ces hourds et les chemins de ronde ou planchers
intérieurs.

[Illustration: Fig. 4.]

Notre figure 4 explique la disposition de ces volets. La partie
supérieure pivotant sur deux gonds fixes demeurait, la partie inférieure
était enlevée lorsqu'on posait les hourds.

Mais revenons à la porte Narbonnaise. Outre la chaîne A (fig. 3),
derrière le premier arc plein cintre de l'entrée et entre celui-ci et le
deuxième, est ménagé un machicoulis B par lequel on jetait les
projectiles de droite et de gauche sur les assaillants qui tentaient de
briser la première herse C. Les réduits dans lesquels se tenaient les
défenseurs sont défilés par un épais garde-fou de pierres. Le mécanisme
des herses est parfaitement compréhensible encore aujourd'hui. Dans la
salle qui est au-dessus de l'entrée, on aperçoit, dans les deux
pieds-droits de la coulisse de cette première herse, les entailles
inclinées dans lesquelles s'engageaient les deux jambettes du treuil
tracé sur notre coupe, et les scellements des brides en fer qui
maintenaient le sommet de ces jambettes; au niveau du sol, les deux
trous destinés à recevoir les cales sur lesquelles reposait la herse une
fois levée; sous l'arc, au sommet du tympan, le trou profond qui
recevait la suspension des poulies destinées au jeu des contre-poids et
de la chaîne s'enroulant sur le treuil.

Derrière la herse était une porte épaisse à deux vantaux D roulant sur
des crapaudines inférieures et des pivots fixés dans un linteau de bois
dont les scellements sont intacts. Ces vantaux étaient fortement unis
par une barre qui se logeait dans une entaille réservée dans le parement
du mur de droite lorsque la porte était ouverte, et par deux autres
barres de bois entrant dans des entailles pratiquées dans les deux murs
du couloir.

Si l'on pénètre au milieu du passage, on voit dans la voûte s'ouvrir un
large trou carré E qui communique avec la salle du premier étage. La
grande dimension de ce trou s'explique par la nécessité où se trouvait
l'assiégé de pouvoir lancer des projectiles non-seulement au milieu,
mais aussi contre les parois du passage. La voûte du premier étage est
également percée d'un trou carré I, mais plus petit, de sorte que du
deuxième étage on pouvait écraser les assaillants qui se seraient
emparés de la salle au-dessous ou donner des ordres aux hommes qui
l'occupaient.

Des deux côtés de ce large machicoulis, au premier étage, il existe deux
réduits profonds qui pouvaient servir de refuge et défiler les
défenseurs dans le cas où les assaillants, maîtres du passage, auraient
décoché des traits de bas en haut. La largeur de ce machicoulis
permettait encore de jeter sur l'assiégeant des fascines embrasées, et
les réduits garantissaient ainsi les défenseurs contre la flamme et la
fumée en leur laissant le moyen d'alimenter le feu. Des meurtrières
latérales percées dans le passage, au niveau du sol, en E, permettaient
aux arbalétriers postés dans les salles du rez-de-chaussée des deux
tours d'envoyer à bout portant des carreaux aux gens qui oseraient
s'aventurer entre les deux herses.

De même que devant la herse extérieure C, il existe dans la salle du
premier étage un deuxième machicoulis oblong F destiné à protéger la
seconde herse G. Ce machicoulis se fermait, ainsi que l'ouverture
pratiquée dans le milieu de la voûte du passage, par une trappe dont la
feuillure et l'encastrement ménagé dans le mur existent encore. Au moyen
d'une petite fenêtre qui éclairait la salle du premier étage, les
assiégés, du dedans, pouvaient communiquer des ordres à ceux qui
servaient la herse sur le chemin de ronde pratiqué au-dessus de la
seconde porte II. Cette seconde herse manoeuvrait sous un arc réservé à
cet effet; son treuil était en outre protégé par un auvent P maintenu
par de forts crochets de fer qui sont encore scellés dans la muraille.
Tout le jeu de cette herse est encore visible; ses ferrures sont en
place: la herse seule manque.

Les deux tours qui flanquent cette entrée sont distribuées de la même
manière. Elles comprennent: un étage de caves creusées au-dessous du
sol, un rez-de-chaussée percé de meurtrières et voûté avec quatre
escaliers pour communiquer au premier étage; un premier étage, également
voûté, percé de meurtrières et muni de deux cheminées et de deux fours.
Deux des escaliers seulement continuent jusqu'à l'étage supérieur. Les
deux autres n'aboutissent pas et peuvent tromper ainsi les gens qui ne
connaîtraient pas les lieux. Un deuxième étage couvert autrefois par un
plancher portant sur le bord du chemin de ronde. Ce deuxième étage est
percé, du côté de la ville, de riches fenêtres ogivales à meneaux O qui
ne s'ouvraient que dans la partie inférieure par des volets, tandis que
les compartiments de l'ogive étaient vitrés à demeure; ces fenêtres
étaient fortement grillées à l'extérieur. Un troisième étage crénelé
recevait la charpente des combles. Cette charpente est divisée en trois
pavillons, deux sur les deux tours et un pavillon intermédiaire
au-dessus de la porte. Lors de la construction première, rétablie
aujourd'hui, ces trois pavillons, aux points de leur rencontre, étaient
portés par des poutres entrant dans des entailles pratiquées dans
l'assise de la corniche; soit que ces poutres aient fléchi, soit que les
eaux des chéneaux mal entretenus les eussent pourries, au XVe siècle,
ces combles furent réparés, et, pour les porter, on établit deux grands
arcs qui s'arrangeaient fort mal avec la construction du XIIIe
siècle, puisque l'un d'eux venait buter dans un des créneaux M et le
boucher. Des chéneaux en pierre furent posés sur ces arcs et reçurent
les pieds du chevron des toitures aux points de leur jonction. Des
gargouilles saillantes rejetaient les eaux des chéneaux du côté de la
campagne. Ces arcs, qui poussaient en dehors le grand mur élevé du côté
de la ville, ont dû être enlevés.

Le chemin de ronde de la courtine n'est pas interrompu par la porte
Narbonnaise suivant le système ordinaire adopté dans les défenses de
cette époque. Il passe du côté de la ville, au-dessus de la porte, et
relie les deux courtines de façon cependant à n'être en communication
avec la ville que par les escaliers intérieurs des tours et par une
seule baie fermée autrefois par deux épais vantaux ferrés. L'escalier
actuel, qui donne accès à ce chemin de ronde, est moderne et a été élevé
par le génie militaire.

Habituellement, les tours de l'enceinte intérieure et même de l'enceinte
extérieure interrompent les chemins de ronde; de sorte que si
l'assaillant parvenait à s'emparer d'une courtine, il se trouvait pris
entre deux tours, et, à moins de les forcer les unes après les autres,
il lui devenait impossible de circuler librement sur les remparts;
d'autant que les escaliers qui mettent directement en communication les
chemins de ronde avec le terre-plein du côté de la ville, sont
très-rares et qu'on ne peut monter sur ces chemins de ronde qu'en
passant par les escaliers pratiqués dans les tours. Chaque tour était
ainsi un réduit séparé, indépendant, qu'il fallait, forcer. Les portes
qui mettent les tours en communication avec les chemins de ronde sont
étroites, bien ferrées, barrées à l'intérieur, de sorte qu'en un instant
on pouvait fermer le vantail et le barricader en tirant rapidement la
barre de bois, logée dans la muraille, avant même de prendre le temps
de pousser les verrous et de donner un tour de clef à la serrure.
L'examen attentif de ces défenses fait ressortir le soin apporté par les
ingénieurs de ce temps contre les surprises. Toutes sortes de
précautions ont été prises pour arrêter l'ennemi et l'embarrasser à
chaque pas par des dispositions imprévues. Évidemment, un siège à cette
époque n'était réellement sérieux pour l'assiégé, comme pour
l'assaillant, que quand on en était venu à se prendre, pour ainsi dire,
corps à corps. Une garnison aguerrie pouvait lutter avec des chances de
succès jusque dans ses dernières défenses. L'ennemi entrait dans la
ville par escalade ou par une brèche, sans que pour cela la garnison se
rendît; car alors, celle-ci renfermée dans les tours qui, je le répète,
sont autant de réduits indépendants, pouvait se défendre encore; il
fallait forcer des portes barricadées. Prenait-on le rez-de-chaussée
d'une tour, les étages supérieurs conservaient les moyens de reprendre
l'offensive et d'écraser l'ennemi. On voit que tout était calculé pour
une lutte possible pied à pied. Les escaliers à vis étaient facilement
barricadés de manière à rendre vains les efforts de l'assiégeant pour
arriver aux étages supérieurs.

Les bourgeois d'une place eussent-ils voulu capituler, que la garnison
se gardait contre eux et leur interdisait l'accès des tours et des
courtines. C'est un système de défiance adopté envers et contre tous.

Les machines de jet, les engins dont les assaillants disposaient à cette
époque pour battre du dehors des murailles, comme celles de la cité de
Carcassonne, ne pouvaient produire qu'un effet très-médiocre, vu la
solidité des ouvrages et l'épaisseur des merlons; car l'artillerie à feu
seule pourrait les entamer. Restaient la sape, la mine, le bélier et
tous les engins qui obligeaient l'assaillant à se porter au pied même
des défenses. Or il était difficile de se loger et de saper sous ces
hourds puissants qui vomissaient des projectiles. La mine n'était guère
efficace ici, car toutes les murailles et tours sont assises sur le roc.

On ne doit pas être surpris si, dans ces temps éloignés de nous,
certains sièges se prolongeaient indéfiniment. La cité de Carcassonne
était, à la fin du XIIIe siècle, avec sa double enceinte et les
dispositions ingénieuses de la défense, une place imprenable qu'on ne
pouvait réduire que par la famine, et encore eût-il fallu, pour la
bloquer, une armée nombreuse, car il était aisé à la garnison de garder
les bords de l'Aude, au moyen de la grande barbacane (nº8 du plan, fig.
16) qui permettait de faire des sorties avec des forces imposantes et de
culbuter les assiégeants dans le fleuve.

En examinant le plan général, nous voyons en bas de l'escarpement de la
cité, devant les tours 11 et 12 à l'ouest, une muraille qui défendait le
faubourg de la Barbacane. Cette muraille date du XIIIe siècle, et
elle fut certainement élevée pour empêcher l'ennemi de se loger, comme
l'avait fait Trincavel, entre l'Aude et la cité. Cette muraille est à
portée d'arbalète des tours 11, 12 et 40 et est commandée par celles-ci.
Il était donc fort difficile d'arriver, en descendant la rive droite de
l'Aude, jusqu'à la barbacane, malgré la garnison de la cité.

Les remparts et les tours présentent surtout un aspect formidable sur
les points de l'enceinte où les approches sont relativement faciles, où
des escarpements naturels ne viennent pas opposer un obstacle puissant à
l'assaillant. Du côté du nord-est, de l'est et du sud, là où le plateau
qui sert d'assiette à la cité est à peu près de plain-pied avec la
campagne, de larges fossés protègent la première enceinte. Il est
vraisemblable que les extrémités de ces fossés, ainsi que les avancées
des portes, étaient défendues par des palissades extérieures, suivant
les habitudes de l'époque. Ces palissades étaient munies de barrières
ouvrantes.

En s'avançant dans les lices[11], entre les deux enceintes, la première
tour que l'on rencontre à droite, à la suite de la porte Narbonnaise,
est la tour nº21, dite du Treshaut, ou du Trésau, de Tressan, du Trésor
ou de la Cendrino. Cette construction est un magnifique ouvrage de la
fin du XIIIe siècle, contemporain de la porte Narbonnaise. Elle
domine toute la campagne, la ville, et joignant presque l'enceinte
extérieure, elle commandait le plateau, la barbacane de la porte
Narbonnaise et empêchait l'ennemi de s'étendre du côté du nord dans les
lices le long desquelles s'élèvent les tours visigothes.

[Note 11: Lices, espace compris entre les deux enceintes d'une
place.]

La tour du Trésau, outre ses caves, renferme quatre étages dont deux
sont voûtés.

L'étage inférieur est creusé au-dessous du terre-plein de la ville. Le
deuxième étage est presque de plain-pied avec le sol intérieur de la
ville. Le troisième étage était couvert par un plancher et le quatrième,
sous comble, au niveau du chemin de ronde du crénelage.

Le chemin de ronde des courtines passe derrière le pignon de la tour,
mais n'a aucune communication avec les salles intérieures.

Du côté de la ville, la partie supérieure de la tour est terminée par un
pignon crénelé avec escaliers rampants le long du comble. Deux tourelles
carrées, munies d'escaliers et crénelées à leur partie supérieure,
épaulent le pignon et servaient de tours de guet, car elles sont, de ce
côté, le point le plus élevé des défenses.

En temps de paix, le crénelage de la tour du Trésau n'était pas couvert.
Le comble porte sur un mur intérieur. Les gargouilles qui existent
encore à l'extérieur indiquent d'une manière certaine que le chemin de
ronde supérieur était à ciel ouvert. En temps de guerre, les toitures
des hourds couvraient ces chemins de ronde ainsi que les hourds
eux-mêmes.

Un seul escalier à vis dessert les quatre étages et toutes les issues
étaient garnies de portes fortement ferrées. Le deuxième étage au-dessus
des caves contient une petite chambre ou réduit éclairé par une fenêtre,
destiné au capitaine, une grande cheminée et des latrines; cet étage et
le rez-de-chaussée sont percés de nombreuses meurtrières s'ouvrant sous
de grandes arcades munies de bancs de pierre. Les meurtrières ne sont
pas percées les unes au-dessus des autres, mais chevauchées, ou _vides
sur pleins_, afin de battre tous les points de la circonférence de la
tour. Ce principe est généralement suivi dans les tours de l'enceinte
intérieure et, sans exception, dans les tours de l'enceinte extérieure
où les meurtrières jouent un rôle important. En effet, les meurtrières
percées dans les étages des tours ne pouvaient servir que lorsque
l'ennemi était encore éloigné des remparts; on conçoit dès lors qu'elles
aient été pratiquées plus nombreuses et disposées avec plus de méthode
dans les tours de l'enceinte extérieure.

Les courtines qui accompagnent la tour du Trésau sont fort belles. Leur
partie inférieure est percée de meurtrières au niveau du terre-plein de
la ville, sous des arcs plein cintre avec bancs de pierre et leurs
merlons, larges, épais, sont bien construits.

Le parement intérieur des merlons entre la tour Narbonnaise et la tour
du Trésau n'est pas vertical, mais élevé en _fruit_. La disposition des
hourds explique l'utilité de cette inclinaison du parement intérieur des
merlons.

Sur ce point de la défense--l'un des plus attaquables, à cause du
plateau qui s'étend de plain-pied devant la porte Narbonnaise--les
courtines intérieures devaient être munies de ces hourds doubles dont il
est fait parfois mention dans les chroniqueurs du XIIIe siècle[12].

[Note 12: À Toulouse, assiégé par Simon de Montfort, les habitants
augmentent sans cesse les défenses de la ville:

    «E parec ben a lobra e als autres mestiers
    Que de dins et defora ac aitans del obriers
    Que garniron la vila els portals els terriers,
    Els murs e las bertrescas els cadafalcs dobliers
    Els fossatz e las lissas els pons els escaliers
    E lains en Toloza ac aitans carpentiers.»

Ces _cadafalcs dobliers_ sont des hourds doubles. Voyez _Poëme de la
Croisade contre les Albigeois_, Collection des documents inédits de
l'_Hist. de France_.]

[Illustration: Fig. 5.]

La figure 5 explique, dans le cas actuel, la disposition de ces doubles
hourds. Ainsi que nous venons de le dire, les merlons ayant leur
parement intérieur en fruit sur le chemin de ronde A, leur base est
traversée au niveau de ce chemin de ronde par des trous de hourds de
0m,30 de côté, régulièrement espacés. Sur le parement du chemin de
ronde, du côté de la ville, est une retraite continue B. Les hourds
doubles étaient donc ainsi disposés: de cinq pieds en cinq pieds
passaient, par les trous des hourds, de fortes solives C, sur
l'extrémité desquelles, à l'extérieur, s'élevait le poteau incliné D,
avec des contre-poteaux E, formant la rainure pour le passage des
madriers de garde. Des moises doubles J pinçaient ce poteau D,
reposaient sur la longrine F, mordaient les trois poteaux G, H, I,
celui G étant appuyé sur le parement incliné du merlon, et venaient
saisir le poteau postérieur K également incliné. Un second rang de
moises, posé en L à 1m,80 du premier rang, formait l'enrayure des
arbalétriers M du comble. En N un mâchicoulis était réservé le long du
parement extérieur de la courtine. Ce mâchicoulis était servi par des
hommes placés en O, sur le chemin de ronde, au droit de chaque créneau
muni d'une ventrière P. Les archers et arbalétriers du hourd inférieur
étaient postés en R et n'avaient pas à se préoccuper de servir ce
premier mâchicoulis.

Le deuxième hourd possédait un mâchicoulis en S. Les approvisionnements
de projectiles se faisaient en dedans de la ville par les guindes T. Des
escaliers Q, disposés de distance en distance, mettaient les deux hourds
en communication. De cette manière, il était possible d'amasser une
quantité considérable de pierres en V, sans gêner la circulation sur les
chemins de ronde ni les arbalétriers à leur poste. En X, on voit, de
face, à l'extérieur, la charpente du hourdage dépourvue de ses madriers
de garde, et en Y, cette charpente garnie. Par les meurtrières et
mâchicoulis, on pouvait lancer ainsi sur l'assaillant un nombre
prodigieux de projectiles. Comme toujours, les meurtrières U, percées
dans les merlons, dégageaient au-dessous des hourds et permettaient à un
deuxième rang d'arbalétriers postés entre les fermes, sur le chemin de
ronde, de viser l'ennemi.

On conçoit que l'inclinaison des madriers de garde était très-favorable
au tir. Elle permettait, de plus, de faire surplomber le deuxième
mâchicoulis S en dehors du hourdage inférieur.

La dépense que nécessitaient des charpentes aussi considérables ne
permettait guère de les établir que dans des circonstances
exceptionnelles, sur des points mal défendus par la nature.

La courtine qui relie la tour du Trésau à la porte Narbonnaise possède
un petit puits et une échauguette flanquante destinée à battre
l'intervalle entre la barbacane et cette porte.

De la tour du Trésau, en se dirigeant vers le nord, on longe une grande
partie de l'enceinte des Visigoths. À voir le désordre de ces anciennes
constructions, on doit admettre qu'elles ont été bouleversées par un
siège terrible; on a peine à comprendre comment on a pu, avec les moyens
dont on disposait alors, renverser des pans de murs d'une épaisseur
considérable, faire pencher ces tours dont toute la partie inférieure ne
présente qu'une masse de maçonnerie. Il semblerait que la poudre à canon
peut seule causer des désordres aussi graves, et cependant le siège
pendant lequel une partie considérable de ces remparts a été renversée
est antérieur au XIIe siècle, puisque, sur ces débris, on voit
s'élever des constructions identiques avec celles du château, ou datant
du XIIIe siècle.

À peine si l'on a pris soin de déblayer les ruines, car on remarque,
enclavés dans les courtines reprises au XIIIe siècle, d'énormes pans
de murs renversés et présentant verticalement les lits de leurs assises
de moellon ou de brique. Grâce à la bonté des mortiers, ces masses
renversées ne se sont point disjointes et sont là comme des rochers sur
lesquels on serait venu construire de nouveaux murs.

De ce côté, les courtines et les tours sont très-hautes et dominent de
beaucoup l'enceinte extérieure élevée sur la crête de l'escarpement.

Cet escarpement fait face à l'Aude et il s'étend jusqu'à la tour nº41
qui termine le saillant occidental de la cité.

Deux portes sont percées dans l'enceinte des Visigoths: l'une, petite,
datant de l'époque primitive, a été murée; elle est située à la droite
de la tour nº26; l'autre, percée au XIIe siècle et réparée au
XIIIe, se trouve entre les tours 24 et 25. C'est la porte désignée
par le sénéchal Guillaume des Ormes sous le nom de porte de Rodez. Elle
ne présente aucune défense particulière, mais devait être précédée d'un
ouvrage avec poterne, protégé par la tour-barbacane nº4; tour qui a
malheureusement été modifiée dans sa forme par le génie militaire, de
telle sorte qu'aujourd'hui la porte de Rodez donne sur les lices et n'a
plus de communication avec le dehors.

Si nous passons de l'autre côté du château, vers le sud-ouest, nous
rencontrons la porte de l'Aude (autrefois porte de Toulouse).

Cette porte a été percée dans la muraille des Visigoths au XIIe
siècle. On voit encore, à l'extérieur, l'arc plein cintre qui paraît
appartenir à cette époque par son appareil et la nature des matériaux
employés. À la gauche de cette porte il existait, sur un pan de mur
visigoth, un bâtiment contemporain du château, c'est-à-dire élevé du
XIe au XIIe siècle. Le mur extérieur de ce bâtiment est encore
percé de trois petites fenêtres jumelles divisées par des colonnettes de
marbre avec chapiteaux sculptés.

Une longue rampe aboutissait à la grande barbacane nº8 et était battue
par cette barbacane; elle s'élève suivant une inclinaison assez roide,
et, en faisant un lacet, conduit à une première porte, simple barrière,
puis à une seconde porte défendue par un crénelage et commandée par un
gros ouvrage en forme de traverse, terminé, à la hauteur des chemins de
ronde de l'enceinte intérieure, par une plate-forme et des merlons. À sa
base, cette traverse est percée d'une porte qui donne entrée dans les
lices du sud-ouest.

Il faut gravir, en dedans de l'enceinte extérieure, une rampe assez
roide battue par l'ouvrage qui masque la porte de l'Aude, percée dans le
mur de l'enceinte intérieure. Cette rampe est dominée par la tour de la
Justice, nº37, et par une tour visigothe, nº38. On arrive ainsi à un
lacet qui oblige l'arrivant à se détourner brusquement pour atteindre la
porte. Bien qu'il n'y ait, devant cette porte, ni fossé ni ponts à
bascule, il n'était point facile d'y arriver malgré les gens du dedans
de la ville, car l'espace compris entre les deux enceintes forme une
véritable place d'armes, un grand châtelet, commandé de tous côtés par
des ouvrages formidables. De plus, les lices, à droite et à gauche,
étaient fermées par des portes. On observera que la porte supérieure est
percée dans un angle rentrant, ce qui a permis de la flanquer
très-puissamment, et que son masque forme en avant un petit châtelet que
l'on pouvait fermer complétement en temps de guerre, et qui, en temps de
paix, était précédé d'un petit poste dont on aperçoit encore la trace le
long de la courtine. De cet ouvrage, les rondes pouvaient descendre dans
les lices du sud-ouest, en ouvrant une porte percée sur le flanc du
parapet et en posant des planches mobiles sur des corbeaux engagés dans
les gros contre-forts à la suite. Ce moyen de sortie ou d'entrée indique
assez que l'ouvrage, en avant de la porte de l'Aude, était absolument
fermé en temps de guerre.

En se dirigeant de la porte de l'Aude vers les lices du sud-ouest, on
laisse bientôt les dernières traces des constructions visigothes et
l'on atteint le saillant bâti par Philippe le Hardi, en dehors des
terrains de l'évêché (fig. 16). Ayant passé la porte percée dans la
traverse de commandement, et que nous croyons être la porte dite du
Sénéchal, on voit une des tours des Visigoths, entière, puis la tour 39,
dite de l'Inquisition, et dans laquelle nous avons trouvé un cachot avec
pilier central, garni de chaînes, puis la tour carrée nº11, dite de
l'Évêque. Cette tour, à cheval sur les lices, commande les deux
enceintes et pouvait, sur ce front, couper la communication entre la
partie sud et la partie nord des lices. Toutefois, les deux arcs jetés
sur le passage, entre les deux enceintes, n'étaient défendus que par
deux machicoulis intérieurs et par un machicoulis percé au milieu de la
voûte. On ne trouve pas trace de gonds indiquant la présence de vantaux
de porte, mais seulement des entailles qui font supposer qu'en temps de
guerre des barrières de bois fermaient ces ouvertures et interceptaient
les communications. Cette tour, dont l'évêque avait la jouissance sauf
le chemin de ronde supérieur, est fort belle, admirablement construite,
fièrement plantée sur les deux enceintes dont elle rompt l'uniformité.
De même qu'elle coupait la communication sur les lices, elle
interrompait aussi le chemin de ronde supérieur des courtines, car, pour
aller de la courtine nord à la courtine sud, il fallait traverser cette
tour et forcer deux portes. Les escaliers intérieurs sont disposés de
façon à ce que l'accès aux crénelages soit indépendant de l'accès aux
deux salles voûtées, dont l'évêque avait la jouissance.

Les courtines qui font partie du saillant bâti par Philippe le Hardi,
sont munies de belles meurtrières percées sous des arcades avec bancs;
meurtrières qui battent les lices et les chemins de ronde de l'enceinte
extérieure. On voit encore, en dehors de cette partie de l'enceinte
extérieure, à côté de la tour nº12, dite du Grand-Canisou, les orifices
de l'égout que le roi avait fait construire à travers la muraille élevée
par son ordre, pour rejeter au dehors les eaux de l'évêché, ainsi qu'il
a été dit plus haut.

Quant aux bâtiments de l'évêché, ils sont complétement rasés; il n'en
est pas de même du cloître de l'église Saint-Nazaire, dont les
fondations ont été retrouvées. Ces fondations, et un mur de ce cloître,
conservé avec les piles engagées et les formerets des voûtes, se
rapportent aux tracés des vieux plans de la cité, dans lesquels ce
cloître et ses dépendances sont indiqués. Cette construction date de
l'époque de saint Louis. À la suite de la tour nº11 est la tour nº40,
dite de Cahusac, qui présente une disposition curieuse. Le chemin de
ronde tourne à l'entour, et est couvert par un portique; puis on arrive
à la tour du coin nº41, dite Mipadre ou de Prade. Elle contient deux
étages voûtés et deux étages entre planchers, elle est munie d'une
cheminée et d'un four. La seule porte donnant entrée dans cette tour,
qui n'interrompt pas le chemin de ronde, est percée du côté de l'est et
était fermée par des verrous et une barre rentrant dans la muraille.
Comme aux autres tours de cette partie de l'enceinte, le dernier merlon
des courtines s'élève au point de jonction avec la tour, là où sont
percées les portes, et le dernier créneau était également muni de volets
sur rouleaux, afin de protéger les entrants ou les sortants ou les
factionnaires posés aux entrées des tours. Presque toujours il faut
monter quelques marches pour passer des courtines dans les tours, et
alors le crénelage suit la montée.

On remarquera encore que les chemins de ronde des courtines, et par
conséquent les crénelages et les hourds ne sont pas toujours de niveau,
mais suivent la pente du terrain extérieur, de manière à conserver sur
tous les points de l'enceinte une hauteur d'escarpe uniforme, ainsi que
cela se pratique encore de nos jours.

C'était une règle établie par l'expérience, et, passé une certaine
hauteur, l'échelade devait être regardée comme impossible; aussi
maintenait-on un minimum d'élévation partout. Toutefois les escarpes de
l'enceinte intérieure sont beaucoup plus élevées que celles de
l'enceinte extérieure. L'enceinte extérieure était établie de manière à
battre l'assaillant à grande distance et à l'empêcher d'approcher;
tandis que pour l'enceinte intérieure, tout est combiné en vue de
combattre un ennemi très-rapproché. Il n'est pas besoin d'insister sur
une disposition indiquée par le simple bon sens.

Dans l'enceinte du cloître Saint-Nazaire, de larges escaliers donnent
accès aux remparts. Mais il est bon d'observer que le cloître et
l'évêché étaient déjà renfermés dans une enceinte, et que, par
conséquent, les habitants de la ville ne pouvaient monter de la voie
publique sur les courtines. Partout où il existe des escaliers montant
aux chemins de ronde directement, ces escaliers sont toujours, ou
enclavés dans d'anciens logis dépendant des murailles et fortifiés, ou
compris dans des enceintes spéciales; tels sont les escaliers qui
montaient à la courtine à côté de la tour nº44, le long de la tour nº47
et près de la chapelle Saint-Sernin (tour 53). Le plus souvent, ce sont
les escaliers des tours qui, au moyen de petites portes extérieures bien
ferrées, permettent l'accès sur les chemins de ronde. La garnison
pouvait donc, si bon lui semblait, ainsi que nous l'avons dit plus haut,
s'isoler et tenir les citoyens en respect pendant qu'elle repoussait les
assiégeants. Elle seule circulait entre les deux enceintes, dans les
lices, en fermant les portes de la ville sur les habitants; sur ce
point, il n'y avait nul inconvénient à ce que les chemins de ronde
fussent de plain-pied avec le terre-plein.

En suivant l'enceinte intérieure vers l'est, après avoir dépassé la tour
nº42--dite tour du Moulin, parce qu'autrefois son étage supérieur, en
retraite sur le crénelage, était affecté au mécanisme d'un moulin à
vent--on arrive à la tour nº43, dite tour et poterne Saint-Nazaire. Cet
ouvrage, sur plan carré, est encore un des plus remarquables de la cité.
À côté de la barbacane nº15, dite de la Crémade et dépendant de
l'enceinte extérieure, est une poterne basse et étroite, donnant dans le
fossé peu profond sur ce point. Cette poterne, en cas de siège, pouvait
être murée facilement puisqu'il n'y avait qu'à remplir l'escalier roide
qui, du seuil de cette poterne, monte aux lices. Le large diamètre de la
tour de la Crémade en fait une barbacane propre d'ailleurs à protéger
des sorties ou des partis rentrants. Cette tour n'était point couverte,
comme les autres, par un comble, et est en communication directe avec le
chemin de ronde des courtines dont elle n'est, pourrait-on dire, qu'un
appendice flanquant.

Quant à la tour Saint-Nazaire, il était impossible à des assiégeants
postés en dehors de l'enceinte extérieure de supposer qu'elle fût munie
d'une poterne. La porte, percée à la base de cette tour Saint-Nazaire,
et donnant sur les lices, est ouverte de côté, masquée par la saillie de
l'échauguette d'angle, et le seuil de cette ouverture est établi à plus
de deux mètres au-dessus du sol des lices. Il fallait donc poser des
échelles ou un plan incliné en bois pour entrer et sortir.

Dans la tour elle-même l'entrée est biaise, et, si de l'extérieur on
n'entre par la poterne percée sur le flanc est de la tour qu'au moyen
d'échelles ou d'un plancher mobile, on ne peut franchir la seconde
entrée qu'en se détournant à angle droit. Cette poterne ne pouvait donc
servir qu'aux gens de pied. Chacune des deux baies est munie d'une
herse, de machicoulis et de vantaux. Un puits dessert les lices et le
premier étage, qui contient en outre un four. La première herse était
manoeuvrée de la salle du premier étage, la deuxième du chemin de ronde,
comme à la porte Narbonnaise. Le crénelage supérieur s'élève sur une
plate-forme propre à recevoir un engin de défense (mangonneau) et
possède une guette, car ce point est un des plus élevés de la cité. Le
crénelage inférieur (car la défense de couronnement est double) est
flanqué par des échauguettes qui montent de fond.

Toujours en se dirigeant vers l'est, on arrive à peu de distance de la
tour Saint-Nazaire à la tour nº44, dite Saint-Martin, qui semble avoir
été élevée à proximité de la tour nº43 à dessein, pour masquer et battre
la poterne à très-petite portée. Cette tour est renforcée, comme les
tours 41 et 42 et comme celles de la porte Narbonnaise, par un bec
saillant dont nous avons expliqué l'utilité. Elle contient deux étages
voûtés, deux étages sous plancher, comme la tour nº41, et se dégage
au-dessus du chemin de ronde qui tourne autour d'elle du côté de la
ville.

À partir de ce point de l'enceinte intérieure, nous voyons reparaître,
dans les parties inférieures des courtines et tours, les restes des
remparts visigoths jusqu'à la tour nº53, dite de Saint-Sernin, à côté de
la porte Narbonnaise.

Les tours nºs 45, 46, 47, 49, 50, 52 et 53 sont bâties sur les fondations
des tours primitives et sont d'un diamètre plus faible que les tours du
XIIIe siècle. Seule, la tour nº48 a été reconstruite entièrement par
Philippe le Hardi. Aussi présente-t-elle à l'extérieur un bec saillant,
et l'épaisseur de sa construction est très-considérable. C'est qu'elle
devait s'élever assez haut pour dominer la tour nº18 de l'enceinte
extérieure, tour dite de la Vade ou du Papegay, sorte de donjon avancé
absolument indépendant et qui était destiné à battre le plateau qui
s'étend de plain-pied, en face de ce front.

Les tours précédentes, nºs 45, 46, 47, 49, 50 et 52, ne sont pas
voûtées, et des planchers en bois séparaient leurs étages, au nombre de
deux seulement et établis sur le massif plein de la maçonnerie des
Visigoths. Leurs escaliers à vis font saillie à l'intérieur, des salles
et sont pris à leurs dépens. Toutes ces tours interrompent la
circulation sur le chemin de ronde des courtines; il faut les traverser
pour communiquer d'une courtine à l'autre. La tour nº49, dite de Daréja,
est bâtie sur une substruction romaine, formée de gros blocs de pierre
parfaitement jointifs, sans mortier. Le soubassement romain portait
certainement une tour carrée, car les Visigoths se sont contentés
d'abattre les arêtes saillantes à coups de masse, pour arrondir cette
construction massive qui ne renferme qu'un blocage.

En examinant les constructions surélevées au XIIIe siècle, on voit
que les ingénieurs ont donné à la partie cylindrique (côté extérieur)
une forte épaisseur, tandis que du côté de la ville, là où la tour est
fermée par un pignon, les murs n'ont qu'une faible épaisseur, afin
d'obtenir l'espace vide le plus grand possible à l'intérieur pour loger
les postes. La tour nº 47 présente aussi, sur les lices, dans sa partie
inférieure, des restes de soubassements romains, sur lesquels est
implantée une tour visigothe couronnée par la bâtisse du XIIIe
siècle.

Ainsi, toute cette portion de l'enceinte, comprise entre la tour nº 44
et la porte narbonnaise, a été réparée et reconstruite en partie par
Philippe le Hardi sur l'enceinte des Visigoths, qui avait été élevée sur
les remparts romains. Le périmètre de la ville antique est donc donné
par celui de la ville des Visigoths, puisque, du côté du midi comme du
côté du nord, nous retrouvons les traces des constructions romaines sous
les ouvrages dus aux barbares.

Sur tout ce front sud-est, les hourds présentaient en temps de guerre
une ligne non interrompue, car ceux des courtines se relient à ceux des
tours au moyen de quelques marches. Cela était nécessaire pour faciliter
la défense et ne pouvait avoir d'inconvénients, dans le cas où
l'assiégeant se serait emparé d'une portion de ces hourds, car il était
facile de les couper en un instant et d'empêcher l'ennemi de profiter de
cette coursière extérieure continue pour s'emparer successivement des
étages supérieurs des tours. L'assiégé, obligé d'abandonner une portion
de ces hourds, pouvait lui-même y mettre le feu, sacrifier au besoin une
tour ou deux, et se retirer dans les postes éloignés du point tombé au
pouvoir de l'ennemi, en coupant les planchers de bois derrière lui.

Les tablettes de pierre des chemins de ronde des courtines élevées sous
Philippe le Hardi sont supportées à l'intérieur pour augmenter la
largeur de la coursière, du côté du sud et du sud-est, depuis la tour de
l'évêque jusqu'à la porte Narbonnaise, par des corbeaux de pierre. Il
existe, entre ces corbeaux, des trous carrés très-profonds ménagés dans
la construction à intervalles égaux. Ces trous étaient destinés à loger
des solives horizontales dont l'extrémité pouvait, au besoin, être
soulagée par des poteaux. Sur ces solives on établissait un plancher
continu qui élargissait d'autant le chemin de ronde à l'intérieur et
formait une saillie fort utile pour l'approvisionnement des hourds, pour
la mise en batterie de pierrières et trébuchets, et pour disposer au
pied des remparts, sur le terre-plein de la ville, des magasins, des
abris pour un supplément de garnison.

Les combles qui couvraient les hourds venaient très-probablement couvrir
ce supplément de coursières. On conçoit combien ces larges espaces,
ménagés à la partie supérieure des courtines, devaient faciliter la
défense. Et il faut noter ici que cette disposition n'existe que dans la
partie des défenses qui était le moins bien protégée par la nature du
terrain et contre laquelle, par conséquent, l'assaillant devait réunir
tous les efforts et pouvait organiser une attaque en règle.

Ces précautions eussent été inutiles là où l'ennemi ne pouvait se
présenter qu'en petit nombre par suite des escarpements de la colline.
Du côté méridional, l'ennemi, en supposant qu'il se fût emparé de
l'enceinte extérieure, pouvait combler une partie des fossés, détruire
un pan de mur de l'enceinte extérieure et faire approcher de la muraille
intérieure, sur un plan incliné, un de ces beffrois de charpente,
recouverts de peaux fraîches pour les garantir du feu et au moyen
desquels on se jetait de plain-pied sur les chemins de ronde supérieurs.
On ne pouvait résister à une semblable attaque, qui réussit mainte fois,
qu'en réunissant, sur le point attaqué, un nombre de soldats supérieur
aux forces des assiégeants. Comment l'aurait-on pu faire sur ces étroits
chemins de ronde? Les hourds brisés, les merlons entamés par les
machines de jet, les assiégeants se précipitant sur les chemins de
ronde, ne trouvaient devant eux qu'une rangée de défenseurs acculés à un
précipice et ne présentant qu'une ligne sans profondeur à cette colonne
d'assaut sans cesse renouvelée! Avec ce supplément de chemin de ronde
qu'on pouvait élargir à volonté, il était possible d'opposer à
l'assaillant une résistance solide, de le culbuter et de s'emparer même
du beffroi.

C'est dans ces détails de la défense pied à pied qu'apparaît l'art de la
fortification du XIe au XVe siècle. En examinant avec soin, en
étudiant scrupuleusement, et dans les moindres détails, les ouvrages
défensifs de ces temps, on comprend ces récits d'attaques gigantesques
que nous sommes trop disposés à taxer d'exagération. Devant des moyens
de défense si bien prévus, si ingénieusement combinés, on se figure sans
peine les travaux énormes des assiégeants, les beffrois mobiles, les
estacades et bastilles terrassées, les engins de sape roulants, tels que
_chats_ et galeries, ces travaux de mine qui demandaient un temps
considérable, lorsque la poudre à canon n'était point en usage dans les
armées. Avec une garnison déterminée et bien approvisionnée on pouvait
prolonger un siège indéfiniment. Aussi n'est-il pas rare de voir une
bicoque résister pendant des mois à une armée nombreuse. De là, souvent,
cette audace et cette insolence du faible contre le fort et le puissant,
cette habitude de la résistance individuelle qui faisait le fond du
caractère de la féodalité, cette énergie qui a produit de si grandes
choses et un si grand développement intellectuel au milieu de tant
d'abus.

Indépendamment des portes percées dans l'enceinte intérieure, on
comptait plusieurs poternes. Pour le service des assiégés,--surtout
s'ils devaient garder une double enceinte--, il fallait rendre les
communications faciles entre ces deux enceintes et ménager des poternes
donnant sur les dehors, pour pouvoir porter rapidement des secours sur
un point attaqué, faire sortir ou rentrer des corps, sans que l'ennemi
pût s'y opposer. En parcourant l'enceinte intérieure de Carcassonne, on
voit un grand nombre de poternes plus ou moins bien dissimulées et qui
devaient permettre à la garnison de se répandre dans les lices par une
quantité d'issues facilement masquées, ou de rentrer rapidement dans le
cas où la première enceinte eût été forcée. Entre la tour du Trésau du
côté nord et le château, nous trouvons deux de ces poternes, sans
compter la porte de Rodez. L'une de ces poternes donne entrée dans le
fossé du château (fig. 16), l'autre à côté de la tour nº26. Entre le
château et la tour nº37 est une poterne donnant également dans le fossé
du château. Entre la porte de l'Aude et la porte Narbonnaise (côté ouest
et sud de l'enceinte intérieure) on trouve la poterne Saint-Nazaire
décrite plus haut; entre les tours 44 et 45, une poterne communiquant à
un escalier à vis, et entre les tours 50 et 52, une construction
saillante nº51, qui contenait un escalier de bois, communiquant à de
vastes souterrains dont l'issue extérieure est placée à côté de la tour
de l'enceinte extérieure nº19, au niveau du fond du fossé et dont deux
galeries débouchaient dans les lices. Cette dernière poterne avait une
grande importance, car elle mettait les chemins de ronde supérieurs en
communication directe, soit avec des lices, soit avec les dehors. Aussi,
en arrière de la porte donnant dans l'angle de la tour 19, est une salle
voûtée, vaste, pouvant contenir une quarantaine d'hommes armés.

De plus, il existe une poterne mettant les lices en communication avec
le fossé, à l'angle de rencontre de la courtine de droite avec le donjon
de la Vade nº18. Il y avait une poterne au côté droit de la grosse tour
nº4 de l'enceinte extérieure, une poterne très-relevée au-dessus de
l'escarpement percée dans le mur extérieur de la porte de l'Aude et qui
exigeait l'emploi d'une échelle, et la poterne encore ouverte dans
l'angle de la tour nº15, ainsi qu'il a été dit plus haut. En ajoutant à
ces issues la grande barbacane du château nº8, on voit que la garnison
pouvait faire des sorties et se mettre en communication avec les dehors,
sans ouvrir les deux portes principales de l'Aude et Narbonnaise.

[Illustration]

Avant de passer à la description du château, il est nécessaire de nous
occuper de l'enceinte extérieure qui présente également un intérêt
sérieux.

De cette enceinte extérieure, la tour la mieux conservée (elle est
intacte sauf sa couverture) est celle de la Peyre nº19. Cette tour,
comme la plupart de celles dépendant de cette enceinte, est ouverte du
côté de la ville dans la partie supérieure de manière à ne pouvoir
servir de défense contre les remparts intérieurs, et afin que, du chemin
de ronde supérieur, on puisse donner des ordres aux hommes postés dans
cette tour. Le milieu de cette tour, comme de toutes celles de
l'enceinte extérieure, à l'exception des barbacanes, était couvert par
un comble, mais le chemin de ronde crénelé était à ciel ouvert en temps
de paix et pouvait être garni de hourds en temps de siège.

[Illustration: Fig. 7.]

Ces combles à demeure portaient sur le bahut intérieur du chemin de
ronde.

La figure 6 donne la coupe de cette tour de la Peyre.

En M est tracé le profil d'ensemble de cet ouvrage avec le fossé, la
crête de la contrescarpe et le sol extérieur formant glacis. On voit
comme les meurtrières sont disposées pour couvrir de projectiles rasants
ce glacis, et de projectiles plongeants, la crête et le pied de la
contrescarpe. Quant à la défense rapprochée, il y est pourvu par les
mâchicoulis et des hourds, ainsi qu'on le voit en P. La figure 7 donne
le tracé général de cette tour du côté intérieur, les hourds n'étant
supposés montés que du côté R.

La tour nº18, dite de la Vade ou de Papegay, bien qu'elle appartienne à
l'enceinte extérieure, est, comme nous l'avons dit, un réduit, un
donjon, dominant tout le plateau de ce côté, occupé avant le règne de
Saint-Louis, par un faubourg.

Les courtines de l'enceinte extérieure étant tombées au pouvoir de
l'assiégeant, la plupart des tours de cette enceinte devaient être
facilement prises, car elles ne sont guère défendues à l'intérieur et
leurs chemins de ronde communiquent parfois de plain-pied avec ceux des
courtines; cependant des portes interrompent la circulation, mais la
tour de la Vade est un ouvrage indépendant et d'une grande élévation; il
possède deux étages voûtés, deux étages entre planchers, un puits à
rez-de-chaussée, une cheminée au deuxième étage et des latrines au
troisième. La porte donnant sur les lices pouvait être fortement
barricadée et opposer à l'assiégeant un obstacle aussi résistant que la
muraille elle-même. L'étage supérieur était muni d'un crénelage à ciel
ouvert avec toit au centre. Ce crénelage, qui, en temps de guerre,
était muni de hourds, était dominé par le couronnement de la tour nº48.

[Illustration: Fig. 8.]

[Illustration: Fig. 9.]

[Illustration: Fig. 10.]

Les autres tours de l'enceinte extérieure sont toutes à peu près
construites sur le modèle de la tour nº7, dite de la Porte-Rouge. Cette
tour possède deux étages au-dessous du crénelage. La figure 8 en donne
les plans à chacun de ces étages. Comme le terrain s'élève sensiblement
de _a_ en _b_, les deux chemins de ronde des courtines ne sont pas au
même niveau; le chemin de ronde _b_ est à 3 mètres au-dessus du chemin
de ronde _a_. En A est tracé le plan de la tour au-dessous du
terre-plein; en B, au niveau du chemin de ronde _d_; en C, au niveau du
crénelage de la tour qui arase le crénelage de la courtine _e_. On voit
en _d_ la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde, communique à un
degré qui descend à l'étage inférieur A, et en _c_, la porte qui,
s'ouvrant sur le chemin de ronde d'amont, communique à un degré qui
descend à l'étage B. On arrive, du dehors, au crénelage de la tour par
le degré _g_. De plus, les deux étages A et B sont mis en communication
entre eux par un escalier intérieur _h h'_, pris dans l'épaisseur du mur
de la tour. Ainsi les hommes postés dans les deux étages A et B sont
seuls en communication directe avec les deux chemins de ronde des
courtines. Si l'assaillant est parvenu à détruire les hourds et le
crénelage supérieur, et si, croyant avoir rendu l'ouvrage indéfendable,
il tente l'assaut de l'une des courtines, il est reçu de flanc par les
postes établis et demeurés en sûreté dans les étages inférieurs,
lesquels étant facilement blindés, n'ont pu être écrasés par les
projectiles des pierrières ou rendus inhabitables par l'incendie du
comble et des hourds. Une coupe longitudinale faite sur les deux chemins
de ronde, de _e_ en _d_, permet de saisir cette disposition (fig. 9). On
voit en _e'_ la porte de l'escalier _e_, et en _d'_ la porte de
l'escalier _d_ du plan. Cette dernière porte est défendue par une
échauguette _f_, à laquelle on arrive par un degré de six marches. En
_h"_ commence l'escalier qui met en communication les deux étages A et
B. Une couche de terre posée en _k_ empêche le feu, qui pourrait être
mis au comble _l_ par les assiégés, d'endommager le plancher supérieur.
La figure 10 donne la coupe de cette tour suivant l'axe perpendiculaire
au front. En _d"_ est la porte donnant sur l'escalier _d_. Les hourds
sont posés en _m_. En _p_ est tracé le profil de l'escarpement avec le
prolongement des lignes de tir des deux rangs de meurtrières des étages
A et B. Il n'est pas besoin de dire que les hourds battent le pied _o_
de la tour.

Une vue perspective (fig. 11), prise des lices (point _x_ du plan C),
fera saisir les dispositions intérieures de cette défense.

Les approvisionnements des hourds et chemins de ronde de la tour se
font, par le créneau _c_ du plan C, au moyen d'un palan et d'une poulie,
ainsi que le fait voir le tracé perspectif. Ici la tour ne commande que
l'un des chemins de ronde (voyez la coupe, figure 9). Lors de la
construction sous saint Louis, elle commandait les deux courtines; mais
sous Philippe le Hardi, lorsqu'on termina les défenses de la cité, on
augmenta, ainsi qu'on l'a vu plus haut, le relief de quelques-unes des
courtines de l'enceinte extérieure qui ne paraissaient pas avoir un
commandement assez élevé. C'est à cette époque que le crénelage G fut
remonté au-dessus de l'ancien crénelage _H_, sans qu'on ait pris la
peine de démolir celui-ci; de sorte qu'extérieurement ce premier
crénelage H reste englobé dans la maçonnerie surélevée. En effet, le
terrain extérieur s'élève comme le terrain des lices de _a_ en _b_
(voyez les plans), et les ingénieurs, ayant cru devoir adopter un
commandement uniforme des courtines sur le dehors, aussi bien pour
l'enceinte extérieure que pour l'enceinte intérieure, on régularisa,
vers 1285, tous les reliefs. Il faut dire aussi qu'à cette époque on ne
donnait plus guère un commandement important aux tours sur les courtines
qu'aux saillants, ou sur quelques points où il était utile de découvrir
les dehors au loin.

[Illustration: Fig. 11.]

Pour les grands fronts, les tours flanquantes n'ont, sur les courtines,
qu'un faible commandement, et cette disposition est observée pour le
grand front sud-est de l'enceinte intérieure de la cité, réparé et
couronné par Philippe le Hardi.

La disposition de cette tour de l'enceinte extérieure que nous venons de
donner est telle, que cet ouvrage ne pouvait se défendre contre
l'enceinte intérieure; car, non-seulement cette tour est dominée de
beaucoup, mais elle est, du côté des lices, nulle comme défense.

Nous avons parcouru et décrit les points les plus importants des deux
enceintes de la cité. Revenant à la porte Narbonnaise, d'où nous sommes
partis, et montant en ville à travers une rue étroite et tortueuse, on
arrive, en se dirigeant vers l'ouest, au château bâti sur le point
culminant de la cité.

J'ai dit que la plus grande partie des constructions de cette citadelle
remontait au commencement du XIIe siècle. Le premier ouvrage qui se
présente du côté de la ville est une barbacane bâtie au XIIIe siècle,
semi-circulaire, crénelée avec chemins de ronde (voyez le plan général,
fig. 16) et dans laquelle est percée une avant-porte. Cette première
porte n'était défendue que par des meurtrières et des créneaux garnis de
doubles volets, un mâchicoulis et des vantaux de bois. C'est, comme on
peut le voir, une charmante construction, bien faite et passablement
conservée.

Le plancher de bois et les combles seuls ont été enlevés, mais la trace
de ces compléments est si apparente, qu'on ne peut se méprendre sur leur
disposition. L'étage supérieur de la porte était ouvert du côté du
château, afin d'empêcher les assaillants qui s'en seraient rendus
maîtres de se défendre contre la garnison renfermée dans le château. Un
large fossé protège trois des fronts de cette citadelle, le quatrième
donnant sur les escarpements faisant face à l'Aude.

Un pont, reconstruit en partie à une époque assez récente, donnait accès
à la seule porte du château sur le front faisant face à la ville. Les
piles de ce pont datent du XIIIe siècle, et les deux dernières,
proches l'entrée, sont disposées de telle façon qu'un plancher mobile en
bois devait s'y appuyer.

L'assaillant trouvait un premier obstacle formé d'une barrière de bois
couverte d'un appentis. Cet obstacle détruit, supposant le plancher
mobile enlevé, il avait à franchir un fossé d'une largeur de 2 mètres
pour arriver à la première herse défendue par un mâchicoulis. Derrière
cette herse est une porte de bois, un second mâchicoulis, une seconde
herse et une seconde porte. La première herse se manoeuvrait du deuxième
étage. La deuxième herse était servie dans une petite chambre disposée
immédiatement au-dessus du passage.

Les deux tours qui flanquent cette entrée renferment deux étages voûtés
en calotte hémisphérique, et percés de meurtrières; les deux étages
supérieurs sont séparés par un plancher. Ces deux étages supérieurs
mettent, sans murs de refend, les deux tours en communication avec le
dessus du passage. On ne pouvait arriver à ces étages que par un
escalier de bois disposé contre la paroi plate de la porte, du côté de
la cour ou par les chemins de ronde des courtines. Les salles voûtées ne
sont éclairées que par les meurtrières. Le troisième étage prend jour
sur la cour par une charmante fenêtre romane à doubles cintres posés sur
une colonnette de marbre avec chapiteau sculpté, et par une très-petite
ouverture donnant latéralement au-dessus de l'entrée à l'extérieur.
Cette dernière fenêtre était percée pour permettre aux assiégés qui
servaient la première herse de voir ce qui se passait à l'entrée et de
prendre leurs dispositions en conséquence, sans se démasquer. Bien que
les tours affectent la forme cylindrique à l'extérieur, à l'intérieur
les parements des étages supérieurs sont à pans coupés. Cette
construction était évidemment faite pour faciliter l'établissement de la
charpente des combles. Il est beaucoup plus facile de tailler et de
poser une charpente en pavillon sur un plan polygonal que sur un plan
circulaire; le plan circulaire exige pour les sablières des bois
courbes, pour la pose des chevrons des assemblages compliqués. À la fin
du XIe siècle on ne devait pas être fort habile dans ces sortes de
constructions, qui, un siècle et demi plus tard, étaient arrivées à un
degré de perfection remarquable; aussi ne doit-on pas s'étonner de voir
cette forme de charpentes pyramidales adoptée pour toutes les tours
primitives du château. Les constructeurs rachetaient les différences de
saillies produites par la forme circulaire du parement extérieur par des
coyaux.

Du deuxième étage on communique au premier au moyen d'une trappe ouverte
dans la voûte hémisphérique. Cette trappe, percée derrière la petite
fenêtre qui permet de guetter l'entrée, était destinée à transmettre des
ordres aux gens qui servaient la deuxième herse dans la petite salle du
premier étage, soit pour faire tomber rapidement cette herse en cas
d'attaque, soit pour la lever lorsqu'un corps rentrait; car on observera
que les servants de la deuxième herse ne peuvent voir ce qui se passe à
l'extérieur que par une meurtrière très-étroite, ou par le mâchicoulis
ouvert devant cette deuxième herse.

[Illustration: Fig. 12.]

Dans cet ouvrage de défense si complet et dont nous donnons les coupes
figure 12, tout est disposé pour que le commandement puisse venir du
haut, là où les moyens de défense les plus efficaces étaient déployés,
et là, par conséquent, où devait se tenir le capitaine de la tour au
moment de l'attaque. Nos vaisseaux de guerre, avec leurs écoutilles,
leurs porte-voix et leurs batteries basses, peuvent donner une idée des
moyens de transmission du commandement alors en usage dans les ouvrages
de fortification[13].

[Note 13: Dans la figure 12, la coupe transversale est tracée en A.
En I est l'extrémité du pont fixe; en B, le fossé couvert par un pont
volant; en C, la première herse avec son treuil en E; en D, la deuxième
herse avec son treuil en F; en G, les trous des hourds. En H est tracée
la coupe longitudinale sur le passage et les salles voûtées.]

Tous les couronnements des murailles et des tours du château élevé vers
le commencement du XIIe siècle étaient défendus en temps de guerre
par des hourds très-saillants, car on remarquera que les trous par
lesquels passaient les pièces de bois en bascule portant ces hourds,
sont doubles, percés à Om,60 environ l'un au-dessus de l'autre, afin
de soulager la portée des pièces supérieures recevant le plancher par
des corbelets et des liens de charpente. La pose de ces hourds devait
être moins expéditive que celle des hourds du XIIIe siècle portés par
de fortes solives en bascule. Toutefois elle pouvait se faire sans trop
de difficulté en supposant les liens assemblés par embrèvement, sans
tenons ni mortaises, ce qui, du reste, eût été inutile, puisque les
pièces de bois traversant les murs étaient parfaitement fixes et ne
pouvaient dévier ni à droite ni à gauche. Un charpentier (fig. 13) à
cheval sur la solive horizontale supérieure, adossé à la muraille,
pouvait assembler le lien par le côté à coups de maillet, en ayant le
soin de le retenir préalablement à l'aide d'un bout de corde[14].

[Note 14: Du chemin de ronde, les charpentiers faisaient couler par
le trou inférieur une première pièce A, puis une seconde pièce B, en
bascule. L'ouvrier, passant par le créneau, se mettait à cheval sur
cette seconde pièce B, ainsi que l'indique le détail perspectif B', puis
faisait entrer le lien C dans son embrèvement. La tête de ce lien était
réunie à la pièce B par une cheville; un potelet D, entré de force par
derrière, roidissait tout le système. Là-dessus, posant des plats-bords,
il était facile de monter les doubles poteaux E entre lesquels on
glissait les madriers servant de garde antérieure, puis on
assujettissait la toiture qui couvrait le hourd et le chemin de ronde,
afin de mettre les défenseurs à l'abri des projectiles lancés à toute
volée. Des entailles G, ménagées entre les madriers, permettaient de
viser.]

[Illustration: Fig. 13.]

Les trous des solives dans les crénelages du château, étant plus petits
que ceux des constructions datant du XIIIe siècle, expliquent ce
surcroît de précautions, destiné à empêcher les bois en bascule de
fléchir à leur extrémité. On observera encore que les créneaux du
château sont hauts (2 mètres), c'est que le plancher des hourds était
posé à la base même de ces créneaux, au lieu d'être, comme au XIIIe
siècle, posé à 0m,30 au-dessus du sol du chemin de ronde. Il fallait
donc passer par ces créneaux comme par autant de portes et leur donner
une hauteur suffisante pour que les défenseurs pussent se tenir debout
dans les galeries des hourds.

Nous ne devons pas passer sous silence un fait très-curieux touchant
l'histoire de la construction. La plupart des portes et fenêtres des
tours du château, du côté de la cour, sont couronnées par des linteaux
en _béton_. Ces pierres factices ont beaucoup mieux résisté aux agents
atmosphériques que les pierres de grès; elles sont composées d'un
mortier parfaitement dur, mêlé de cailloux concassés de la grosseur d'un
oeuf, et ont dû être façonnées dans des caisses de bois. Après avoir
observé en place quelques-uns de ces linteaux, mon attention ayant été
éveillée, j'ai retrouvé une assez grande quantité de ces blocs de béton
dans les restaurations extérieures des murailles des Visigoths
entreprises au XIIe siècle. Il semblerait que les constructeurs de
cette dernière époque, lorsqu'ils avaient besoin de matériaux résistants
d'une grande dimension relative, aient employé ce procédé qui leur a
parfaitement réussi; car aucun de ces linteaux ne s'est brisé; comme il
arriva fréquemment aux linteaux de pierre.

Après avoir franchi la porte du château, on entre dans une cour
spacieuse, entourée aujourd'hui de constructions modernes qui ont été
accolées aux courtines et tours. Ces constructions ont été élevées sur
l'emplacement de portiques datant du XIIIe siècle et dont on retrouve
toutes les amorces. Des traces d'incendie sont apparentes sur les
parements des constructions du XIIe siècle, et font supposer que ces
portiques ont remplacé des constructions de bois garnissant l'intérieur
de la cour avant les restaurations entreprises par Louis IX et Philippe
le Hardi. Du coté de l'est et du nord les murailles n'étaient doublées
que par un simple portique. Du côté sud, s'élève un bâtiment dont toute
la partie inférieure date du XIIe siècle et la partie supérieure de
la fin du XIIIe avec remaniement au XVe. Ce bâtiment contenait, à
rez-de-chaussée, des cuisines voûtées en berceau tiers-point, avec une
belle porte plein cintre ouverte dans le pignon. Il sépare la grande
cour d'une seconde cour donnant du côté du sud et fermée par une forte
courtine du XIIe siècle, complètement restaurée au XIIIe. À cette
courtine était accolée une construction présentant un très-large
portique à rez-de-chaussée, avec salle au premier étage. On voit encore
en place, le long de la courtine, tous les corbeaux de pierre qui
supportaient le plancher de cette salle, une belle cheminée dont les
profils et les sculptures appartiennent à l'époque de saint Louis; et, à
l'angle de la tour carrée nº31, dite tour Peinte, l'amorce des piles du
portique inférieur. Une grande fenêtre carrée à meneaux éclairait du
côté sud, vers Saint-Nazaire, la grande salle du premier étage. Cette
fenêtre est élevée au-dessus du plancher intérieur, et la disposition
du plafond qui fermait l'ébrasement est telle, que les projectiles
lancés du dehors ne pouvaient pénétrer dans la salle. À l'angle
sud-ouest du château s'élèvent d'énormes constructions, sortes de
donjons ou réduits, indépendants les uns des autres, qui commandaient
les cours et les dehors. La plus élevée, mais la plus étendue de ces
bâtisses, est la tour dite Peinte, nº31, qui domine toute la cité dont
elle était la guette principale. Cette tour, sur plan barlong, ne
pouvait contenir et ne contenait en effet qu'un escalier de bois, car
elle n'est divisée, dans toute sa hauteur, par aucune voûte ni aucun
plancher. Une seule petite fenêtre romane, percée vers la moitié de sa
hauteur, s'ouvre sur la campagne, du côté de l'Aude. Cette tour est
intacte; on voit encore son crénelage supérieur avec les trous des
hourds très-rapprochés, comme pour établir une galerie extérieure
saillante, en état de résister aux vents terribles de la contrée.

Le plan de la tour nº35 du château, dite du Major (l'une de celles
d'angle, l'autre tour nº32 étant semblable), est fort intéressant à
étudier. Ces deux tours d'angle sont les seules qui contiennent des
escaliers à vis, en pierre. Les tours nos 32, 34, 35 et 36 sont
défendues comme les deux tours de la porte: mêmes petites salles voûtées
en calottes hémisphériques, mêmes dispositions des crénelages, des
meurtrières et hourds, même combinaison de combles pyramidaux.

Mais c'est sur le front ouest que l'étude du château de la cité est
particulièrement intéressante. Le côté occidental est celui qui regarde
la campagne et qui fait face à la grosse barbacane bâtie en bas de
l'escarpement.

Pour bien faire comprendre les dispositions très-compliquées de cette
partie du château, il faut que nous descendions à la barbacane, et que,
successivement, nous passions par tous les détours si ingénieusement
combinés pour rendre impossible l'accès du château à une troupe armée.

[Illustration: Fig. 14]

Malheureusement, la barbacane fut démolie il y a cinquante ans environ
pour bâtir une usine le long de l'Aude. Cette destruction est à jamais
regrettable, car, au dire de ceux qui ont vu ce bel ouvrage, il
produisait un grand effet et était élevé en beaux matériaux. Je n'ai pu
retrouver, en fouillant assez profondément, que ses fondations et ses
premières assises, ce qui permettait seulement de reconnaître exactement
et sa place et son diamètre.

La barbacane avait été élevée très-probablement sous saint Louis, comme
la plupart des adjonctions et restaurations faites au château. Elle
était percée de deux rangs de meurtrières et était couronnée par un
chemin de ronde crénelé avec hourds. Elle n'était point couverte, sa
grande étendue ne le permettant guère, mais devait posséder à
l'intérieur des galeries de bois facilitant l'accès aux meurtrières, et
formant un abri pour les défenseurs.

La porte était percée dans l'angle rentrant, côté du nord, sur le flanc
de la grande caponnière qui monte à la cité (fig. 14) en B. Cette
caponnière ou montée, fortifiée des deux côtés, est assez étroite à sa
base près de la barbacane. Elle s'élargit en E jusqu'au point où,
formant un coude, elle se dirige perpendiculairement au front du
château, afin d'être enfilée par les assiégés postés sur les chemins de
ronde de la double enceinte ou dans le château même; puis, ayant atteint
le pied de l'enceinte, la caponnière se détourne en E' à droite, longe
cette enceinte du nord au sud, pour atteindre une première porte dont il
ne reste que les pieds-droits. Ces rampes E sont crénelées à droite et à
gauche. Leur montée est coupée par des parapets chevauchés. En F était
un mur de garde en avant de la première porte; ayant franchi cette
première porte, on devait longer un deuxième mur de garde, passer par
une barrière, se détourner brusquement à gauche, et se présenter devant
une deuxième porte G, en étant battu de flanc par les gens de la
deuxième enceinte. Alors on se trouvait devant un ouvrage considérable
et bien défendu; c'est un couloir long, surmonté de deux étages, sous
lesquels il fallait passer. Le premier de ces étages battait la porte G
et était percé de mâchicoulis s'ouvrant sur le passage; le deuxième
étage était en communication avec les crénelages supérieurs, battant
soit la rampe, soit l'espace G. Le plancher du premier étage ne
communiquait avec les lices que par une porte étroite. Si l'ennemi
parvenait à occuper cet étage, il était pris comme dans une souricière,
car, la petite porte fermée sur lui, il se trouvait exposé aux
projectiles tombant des mâchicoulis du deuxième étage; et l'extrémité du
plancher de ce premier étage étant interrompue en H, du côté opposé à
l'entrée, il était impossible à cet assaillant d'avancer. S'il parvenait
à franchir sans encombre le couloir à rez-de-chaussée, il était arrêté
par la porte H percée dans une traverse couronnée par les mâchicoulis du
troisième étage, communiquant avec les chemins de ronde supérieurs du
château. Si, par impossible, les assiégeants s'emparaient du deuxième
étage, ils ne trouvaient d'autre issue qu'une petite porte latérale
donnant dans une salle établie sur des arcs, en dehors du château, et ne
communiquant avec l'intérieur que par des détours qu'il était facile de
barricader en un instant et qui d'ailleurs étaient fermés par des
vantaux. Si, malgré tous ces obstacles accumulés, les assiégeants
forçaient la troisième porte H, il leur fallait alors attaquer la
poterne I du château, protégée par un système de défense formidable: des
meurtrières, deux mâchicoulis placés l'un au-dessus de l'autre, un pont
avec plancher mobile, une herse et des vantaux. Se fût-on emparé de
cette porte, qu'on se trouvait à 7 mètres en contre-bas de la cour
intérieure L, à laquelle on n'arrivait que par des degrés étroits,
défendus, et en passant à travers plusieurs portes en K.

En supposant que l'attaque fût poussée par les lices du côté de la porte
de l'Aude, on était arrêté par un poste T et par une porte avec ouvrages
de bois et un double mâchicoulis percé dans le plancher d'un étage
supérieur communiquant avec la grande salle sur N du château, au moyen
d'un passage de charpente qui pouvait être détruit en un instant; de
sorte qu'en s'emparant de cet étage supérieur on n'avait rien fait.

Si après avoir franchi l'ouvrage T, on poussait plus loin sur le chemin
de ronde, le long de la tour carrée S, on rencontrait bientôt une garde
avec porte bien munie de mâchicoulis et bâtie perpendiculairement au
couloir G H. Après cette porte, c'était une troisième porte étroite et
basse percée dans la grosse traverse Z qu'il fallait franchir; puis, on
arrivait à la poterne I du château.

Si, au contraire, l'assaillant se présentait du côté opposé, par les
lices du nord, il était arrêté par une défense V, mais de ce côté
l'attaque ne pouvait être tentée, car c'est le point de la cité qui est
le mieux défendu par la nature. La grosse traverse Z qui, partant de la
courtine du château, s'avance à angle droit jusque sur la montée de la
barbacane, était couronnée par des mâchicoulis transversaux qui
commandaient la porte H et par une échauguette crénelée qui permettait
de voir ce qui se passait dans la caponnière, afin de prendre les
dispositions intérieures nécessaires, ou de reconnaître les corps
amis[15].

[Note 15: Notre figure 12 fait voir en C la barbacane du côté de la
ville avec sa porte en A; en O, la porte du château; en L, la grande
cour; en P, le logis contenant les cuisines; en M, la deuxième cour avec
le portique N sur lequel est établie la grande salle; en Q et R, les
logis, donjons, en D, la grande barbacane, et en X et Y les tours du
XIIe siècle.]

Cette partie des fortifications de la cité carcassonnaise est
certainement la plus intéressante; malheureusement, elle ne présente
plus que l'aspect d'une ruine. C'est en examinant scrupuleusement les
moindres traces des constructions encore existantes, que l'on peut
reconstituer ce bel ouvrage. Je dois dire, toutefois, que peu de points
restent vagues et que le système de la défense ne présente pas de
doutes. Il s'accorde parfaitement avec les dispositions naturelles du
terrain, et ces ruines sont encore pleines de fragments qui donnent
non-seulement la disposition des constructions de pierre, mais encore
les attaches, prises et scellements des constructions de bois, des
planchers et gardes.

Une vue cavalière du château et de la barbacane restaurés, que nous
donnons ci-après, figure 15, présente l'ensemble de ces ouvrages.

Un plan de la cité et de la ville de Carcassonne, relevé en 1774,
antérieurement par conséquent à la destruction de la barbacane,
mentionne, dans la légende, un grand souterrain existant sous le
_boulevard de la Barbacane_, mais depuis longtemps comblé. Je n'ai pu
retrouver la trace de cette construction, à l'existence de laquelle je
ne crois guère. Si ce souterrain a jamais existé, il devait établir une
communication entre la barbacane et le moulin fortifié dit du Roi, afin
de permettre à la garnison du château d'arriver à couvert jusqu'à la
rivière.

Nous avons fait le calcul du nombre d'hommes strictement nécessaire pour
défendre la cité de Carcassonne.

L'enceinte extérieure de la cité de Carcassonne possède
14 tours; en les supposant gardées chacune
par 20 hommes, cela fait............................ 280 hommes

Vingt hommes dans chacune des trois barbacanes......  60

Pour servir les courtines sur les points attaqués... 100

L'enceinte intérieure comprend 24 tours
à 20 hommes par poste; en moyenne................... 480

Pour la porte Narbonnaise...........................  50

Pour garder les courtines........................... 100

Pour la garnison du château......................... 200
                                                   -----
                                                   1,270

Ajoutons à ce nombre d'hommes les capitaines,
un par poste ou par tour, suivant
l'usage.............................................  53
                                                   -----
                                                   1,323

Il s'agit ici des combattants seulement; mais il faut ajouter à ce
chiffre les servants, les ouvriers qu'il fallait avoir en grand nombre
pour soutenir un siège: soit au moins le double des combattants. Ce
nombre, à la rigueur, était suffisant pour opposer une résistance
énergique à l'ennemi, dans une place aussi bien fortifiée.

[Illustration: Fig. 15.]

Les deux enceintes n'avaient pas à se défendre simultanément, et les
hommes de garde, dans l'enceinte intérieure, pouvaient envoyer des
détachements pour défendre l'enceinte extérieure. Si celle-ci tombait au
pouvoir de l'ennemi, ses défenseurs se réfugiaient derrière l'enceinte
intérieure. D'ailleurs, l'assiégeant n'attaquait pas tous les points à
la fois. Le périmètre de l'enceinte extérieure est de 1,400 mètres sur
les courtines; donc c'est environ un combattant par mètre courant qu'il
fallait compter pour composer la garnison d'une ville fortifiée comme la
cité de Carcassonne.

Voici le nom des tours des deux enceintes en se rapportant aux numéros
inscrits sur le plan général:

ENCEINTE EXTÉRIEURE.

1. Barbacane de la porte Narbonnaise.
2. Tour de Bérard, dite aussi de Saint-Bernard.
3. Tour de Bénazet.
4. Tour de Notre-Dame, dite aussi de Rigal.
5. Tour de Mouretis.
6. Tour de la Glacière.
7. Tour de la Porte-Rouge.
8. Grande barbacane extérieure du château.
9. Avant-porte de l'Aude.
10. Tour du petit Canizou.
11. Tour de l'Évêque, appartenant aux deux enceintes.
12. Tour du grand Canizou.
13. Tour du grand Brulas.
14. Tour d'Ourliac.
15. Tour Crémade, barbacane de la poterne Saint-Nazaire.
16. Tour Cautières.
17. Tour Pouleto.
18. Tour de la Vade, dite aussi du Papegay.
19. Tour de la Peyre.

ENCEINTE INTÉRIEURE.

20. Tours et porte Narbonnaise.
21. Tour du Trésau, dite aussi du Trésor.
22. Tour du moulin du Connétable.
23. Tour du Vieulas.
24. Tour de la Marquière.
25. Tour de Sanson.
26. Tour du moulin d'Avar.
27. Tour de la Charpentière.
37. Tour de la Justice.
38. Tour Visigothe.
39. Tour de l'Inquisition.
40. Tour de Cahuzac.
41. Tour Mipadre, dite aussi tour du Coin, ou de Prade.
42. Tour du Moulin.
43. Tour et poterne de Saint-Nazaire.
44. Tour Saint-Martin.
45. Tour des Prisons.
46. Tour de Castera.
47. Tour du Plô.
48. Tour de Balthazar.
49. Tour de Darejean ou de Dareja.
50. Tour Saint-Laurent.
51. Escalier descendant à la poterne de la tour de la Peyre.
52. Tour du Trauquet.
53. Tour de Saint-Sernin.

CHÂTEAU.

28. Tour de la Chapelle.
29. Tour de la Poudre.
30. Avant-porte du château.
31. Tour Peinte, Guette.
32. Tour Saint-Paul.
33. Porte du château.
34. Tour des Casernes.
35. Tour du Major.
36. Tour du Degré.
54. Barbacane intérieure du château.




ÉGLISE DE SAINT-NAZAIRE

ANCIENNE CATHÉDRALE.


Cette église se compose d'une nef dont la construction remonte à la fin
du XIe siècle ou au commencement du XIIe, et d'un transept avec
abside et chapelles, datant du commencement du XIVe siècle.

Nous n'entreprendrons pas une discussion sur les édifices qui ont pu
précéder l'église que nous voyons aujourd'hui, et dont les parties les
plus anciennes ne remontent pas au delà de l'année 1090. Nous
n'essayerons pas davantage de pénétrer les motifs qui firent
reconstruire le sanctuaire, le transept et les chapelles au commencement
du XIVe siècle, les documents historiques faisant absolument défaut.
Mais, ce qui est certain, c'est que ces constructions du XIVe siècle
ont été relevées sur les fondations romanes retrouvées partout, et
notamment dans la crypte du XIe siècle que nous avons découverte sous
le sanctuaire, en 1857, et qui fut alors déblayée. Seules, les voûtes de
cette crypte avaient été détruites pour abaisser le sol de ce sanctuaire
au XIVe siècle. Elles ont été remplacées par un plafond de pierre qui
laisse apercevoir les anciennes piles et les murs percés de petites
baies.

La nef romane présente une disposition qui a été adoptée assez
fréquemment dans les églises provençales et du bas Languedoc. La voûte
centrale, en berceau avec arcs-doubleaux, est contre-butée par les
voûtes également en berceau, couvrant les collatéraux très-étroits.
Cette nef n'est donc éclairée que par les fenêtres des murs latéraux.
Une porte plein cintre, datant du commencement du XIIe siècle,
s'ouvre dans le bas-côté nord; car autrefois la façade occidentale de la
nef, ainsi que nous l'avons dit précédemment, était voisine des remparts
et contribuait à leur défense. Sa base était seulement percée d'une
très-petite porte qui s'ouvrait dans un couloir dont on aperçoit les
amorces.

Vers 1260 fut accolée au flanc sud du transept roman, une chapelle dont
le sol est au niveau du pavé de l'ancien cloître, c'est-à-dire à 2
mètres environ au-dessous du sol de l'église. Cette chapelle renferme le
tombeau de l'évêque Radulphe, dont l'inscription donne la date de 1266,
comme étant celle de la mort du prélat. C'est sur les instances de cet
évêque que les habitants des faubourgs de la cité, proscrits à la suite
du siège entrepris par le vicomte Raymond de Trincavel, furent autorisés
à rebâtir leur ville de l'autre côté de l'Aude. Ce tombeau est un
monument fort intéressant, bien que la figure du personnage, traitée en
bas-relief, soit médiocre; le simulacre du sarcophage qui la porte donne
une série de figurines d'une conservation parfaite, représentant les
chanoines de la cathédrale dans leur costume de choeur. Ce soubassement
est intact, car le sol de la chapelle ayant été relevé au niveau de
celui du transept, les parties inférieures du monument sont restées
enterrées pendant des siècles et ont été ainsi préservées des
mutilations. Le choeur, le transept et les chapelles ont été élevés sous
l'épiscopat de Pierre de Roquefort, de 1300 à 1320. Le plan roman a été
suivi dans la construction de cette partie de l'église, et c'est
pourquoi les deux bras de ce transept présentent une disposition
originale qui appartient seulement à quelques édifices de l'école romane
du Midi, antérieure au XIIIe siècle.

En effet, sur chacun de ces bras de la croix s'ouvrent trois chapelles
orientées, séparées seulement par des claires-voies au-dessus d'une
arcature de soubassement aveugle. Quatre des piliers qui forment la
séparation de ces chapelles sont cylindriques comme pour rappeler ceux
de la nef du XIIe siècle.

L'évêque Pierre de Roquefort sembla vouloir faire de sa cathédrale de
Saint-Nazaire, si modeste comme étendue, un chef-d'oeuvre d'élégance et
de richesse. Contrairement à ce que nous voyons à Narbonne, où la
sculpture fait complètement défaut, l'ornementation est prodiguée dans
l'église de Saint-Nazaire. Les verrières, immenses et nombreuses (car ce
chevet et ce transept semblent une véritable lanterne), sont de la plus
grande magnificence comme composition et couleur. Le sanctuaire, dont
les piliers sont décorés des statues des Apôtres, était entièrement
peint. Les deux chapelles latérales de l'extrémité de la nef, au nord et
au sud, ne furent probablement élevées qu'après la mort de Pierre de
Roquefort, car elles ne se relient point au transept comme construction,
et, dans l'une d'elles, celle du nord, est placé, non pas après coup, le
tombeau de cet évêque, l'un des plus gracieux monuments du XIVe
siècle que nous connaissions.

Les grands vents du sud-est et de l'ouest qui règnent à Carcassonne
avaient fait ouvrir la porte principale sur le flanc nord de la nef
romane; une autre porte est percée dans le pignon du bras de croix nord;
et dans l'angle de ce bras de croix est un joli escalier en forme de
tourelle saillante. Des deux côtés du sanctuaire, entre les
contre-forts, sont disposés deux petits sacraires qui ne s'élèvent que
jusqu'au-dessous de l'appui des fenêtres. Ces sacraires sont munis
d'armoires doubles, fortement ferrées et prises aux dépens de
l'épaisseur des murs. Ils servaient de trésors, car il était l'usage de
placer, des deux côtés du maître autel des églises abbatiales ou
cathédrales, des armoires destinées à renfermer les vases sacrés, les
reliquaires et tous les objets précieux.

Outre les tombeaux des évêques Radulphe et Pierre de Roquefort on voit,
sur les parois du sanctuaire, côté de l'évangile, un beau tombeau en
albâtre d'un évêque dont la statue est couchée sur un sarcophage et que
l'on dit être Simon Vigor, archevêque de Narbonne, mort à Carcassonne en
1575. Ce tombeau et la statue datant du XIVe siècle ne peuvent, par
conséquent, être attribués à ce prélat. Nous signalerons une autre
erreur. On a placé dans l'église de Saint-Nazaire une dalle funéraire
que l'on donne comme ayant appartenu au tombeau du fameux Simon de
Montfort. D'abord le tombeau de Simon de Montfort fut élevé près de
Montfort-l'Amaury, dans l'église de l'abbaye des Hautes-Bruyères, et,
s'il y eut jamais à Carcassonne un monument dressé à sa mémoire, après
la levée du siége de Toulouse, ce ne pourrait être une dalle funéraire.
Puis la gravure de cette dalle, l'inscription, sont tracées par un
faussaire ignorant et inhabile. Toutefois, cette dalle ayant été
retrouvée, dit-on, sans qu'on ait su exactement où et comment, et donnée
à l'église de Saint-Nazaire, nous n'avons pas cru devoir la rejeter.

On voit, incrusté dans la muraille de la chapelle de droite, un fragment
d'un bas-relief d'un intérêt plus sérieux en ce qu'il présente
l'attaque d'une place forte. Ce fragment, quoique d'un travail
très-grossier, date de la première moitié du XIIIe siècle.
L'assaillant essaye de forcer les lices d'une ville entourée de
murailles, et les assiégés font jouer un mangonneau. On a cru voir dans
ce bas-relief une représentation de la mort de Simon de Montfort, tué
devant les murs de Toulouse par la pierre d'un engin servi par des
femmes, sur la place de Saint-Sernin. L'hypothèse n'a rien
d'invraisemblable, ce bas-relief datant de l'époque de ce siège, et des
anges enlevant dans les airs l'âme d'un personnage, sous la forme
humaine, qui peut bien être celle de Simon de Montfort.

Parmi les plus belles verrières qui décorent les fenêtres de la
cathédrale de Saint-Nazaire, il faut citer celle de la première chapelle
près du sanctuaire, côté de l'épître, et qui représente le Christ en
croix, avec la tentation d'Adam, des prophètes tenant des phylactères
sur lesquels sont écrites les prophéties relatives à la venue et à la
mort du Messie. Ce vitrail, comme entente de l'harmonie des tons, est un
des plus remarquables du XIVe siècle. Toutes les autres verrières à
sujets légendaires datent de cette époque. Mais dans le sanctuaire, il
existe deux fenêtres garnies, au XVIe siècle, de vitraux d'une grande
valeur qui appartiennent à la belle école toulousaine de la Renaissance.
Les grisailles sont modernes et ont été fabriquées à l'aide des
fragments anciens qui existaient encore. Les vitraux des deux roses et
des deux chapelles de la nef sont anciens et ont été simplement
restaurés avec le plus grand soin.

La sacristie, jointe à la chapelle de l'évêque Radulphe, a été
construite en même temps que cette chapelle, puis réparée au XVe
siècle.




INTÉRIEUR DE LA CITÉ.


Il n'existe plus, dans l'intérieur de la cité, que quelques débris des
maisons anciennes et trois puits. L'un large, avec belle margelle
surmontée de trois piliers, margelle et piliers qui datent du XIVe
siècle. Ce puits a été creusé dans le roc dès une époque très-ancienne
et est comblé aujourd'hui; l'autre, beaucoup plus étroit, dont la
margelle date du XVe siècle, le troisième, dans le cloître de
Saint-Nazaire. Il devait exister des citernes dans la cité, car ces
trois puits et ceux établis dans quelques-unes des tours, ainsi qu'on
l'a vu, ne pouvaient suffire aux besoins de la garnison et des
habitants. Une seule de ces citernes a été découverte par nous; elle est
creusée sous la montée de la porte de l'Aude, entre les deux enceintes.
On y descend par un escalier, pratiqué dans l'épaisseur du mur de la
première enceinte, et on pouvait puiser l'eau qu'elle contenait par un
regard avec margelle que l'on voit le long de ce mur en montant à la
porte de l'Aude. Cette citerne est aujourd'hui comblée en partie: elle
devait être alimentée par les eaux de pluies recueillies entre la porte
de l'Aude et le cloître de Saint-Nazaire, et peut-être par une source
qui aujourd'hui ne donne que très-peu d'eau.

On voit encore, accolés aux remparts intérieurs, des logis qui ont été
élevés en même temps que les défenses et qui étaient probablement
destinés à contenir des postes et des commandants supérieurs. Ces restes
sont apparents: à la porte Narbonnaise, face intérieure de gauche,
derrière les tours nos 51, 52, 48 et 44, à l'intérieur de la porte de
l'Aude et derrière la tour nº25.

Une petite église existait le long des murailles, près de la porte
Narbonnaise; c'était l'église de Saint-Sernin, dont la tour nº53 formait
l'abside. Au XVe siècle, une fenêtre à meneaux fut ouverte dans cette
abside, à travers la maçonnerie visigothe. L'église fut démolie pendant
le dernier siècle; elle était de construction romane.

Cette description sommaire de la cité de Carcassonne peut faire
comprendre l'importance de ces restes, l'intérêt qu'ils présentent et
combien il importait de ne pas les laisser périr. L'église de
Saint-Nazaire a été complètement restaurée par les soins de la
Commission des monuments historiques. Ces travaux, entrepris en 1844,
n'ont été terminés qu'en 1860. Toutes les tours de l'enceinte
intérieure, découvertes depuis un grand nombre d'années, et
particulièrement celles qui sont voûtées, avaient beaucoup souffert des
intempéries de l'atmosphère. Longtemps ces ruines ont été abandonnées
aux habitants de la cité, qui ne se faisaient pas faute d'enlever les
matériaux des parapets et des chemins de ronde à leur portée, et de se
servir des tours comme de dépôts d'immondices. La circulation, sur le
chemin de ronde, était très-difficile. Sur le front sud, un grand nombre
de maisons et de baraques s'adossaient aux remparts. Ces maisons, qui
composent ce qu'on appelle encore aujourd'hui le quartier des Lices,
sont occupées par une population pauvre de tisserands qui vivent dans
des rez-de-chaussée humides, pêle-mêle avec des animaux domestiques.

Depuis 1855, des travaux de restauration, et principalement de
consolidation et de couverture des tours, ont été entrepris dans la cité
de Carcassonne, sous la direction supérieure de la Commission des
monuments historiques.

Chaque année, depuis cette époque, des crédits sont ouverts pour
restaurer les parties de l'enceinte qui souffrent le plus et qui
présentent le plus d'intérêt. Déjà la plupart des tours de l'enceinte
intérieure sont couvertes comme elles l'étaient jadis. Des pans de mur
qui menaçaient ruine, particulièrement du côté de la porte de l'Aude,
ont été remontés et consolidés, les chemins de ronde sont praticables.
De son côté, l'administration de la guerre a mis quelques fonds à notre
disposition, et tous les ans le Conseil général de l'Aude et la ville de
Carcassonne accordent des crédits qui sont spécialement affectés aux
acquisitions des maisons adossées encore aux remparts.

Bien que les crédits disponibles soient faibles chaque année, cependant
le résultat obtenu est considérable et les nombreux étrangers qui
visitent aujourd'hui la cité de Carcassonne peuvent se faire une idée
exacte du système de défense employé dans les fortifications des
diverses époques du moyen âge.

Je ne sache pas qu'il existe nulle part en Europe un ensemble aussi
complet et aussi formidable de défense des VIe, XIIe et XIIIe
siècles, un sujet d'étude aussi intéressant, et une situation plus
pittoresque. Tous ceux qui tiennent à nos anciens monuments, qui aiment
et connaissent l'histoire de notre pays, désirent voir achever cette
restauration, et déjà, dans le Midi, la cité de Carcassonne, à peine
visitée autrefois, est devenue le point d'arrêt de tous les voyageurs.

[Illustration: Fig. 16--Plan général de la Cité.]






End of the Project Gutenberg EBook of La cité de Carcassonne, by 
Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc

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