Sous les marronniers: Contes et récits

By Eugène Muller

The Project Gutenberg EBook of Sous les marronniers, by Eugène Muller

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org


Title: Sous les marronniers

Author: Eugène Muller

Release Date: April 4, 2004 [EBook #11905]
[Date last updated: September 11, 2004]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUS LES MARRONNIERS ***




Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed
Proofreaders. This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr.







SOUS LES MARRONNIERS



CONTES ET RÉCITS

PAR

EUGÈNE MULLER




LA FÊTE DU MAITRE D'ÉCOLE


Si jamais magister ressembla au personnage qu'on a coutume de peindre
quand on veut représenter le chef de quelque pauvre petite école de
campagne, ce fut sans contredit ce vieux M. Bidard, qui le premier eut
la patience de me faire apprendre et réciter: «J'aime, tu aimes, il
aime...--deux fois deux quatre, trois fois trois neuf,» et qui le
premier perdit son temps et sa peine à inaugurer chaque page neuve de
mes cahiers par un bel exemple de _coulée_ ou d'_anglaise_, que je
prétendais avoir recopié quand j'avais outrageusement chamarré de traits
diffus et informes le reste de la feuille.

Ce vieux M. Bidard, vous le voyez, j'en suis sûr, aussi bien que je puis
le voir moi-même:--soixante-six à soixante-huit ans, assez grand, mais
voûté et étroit d'épaules; maigre, les jambes fluettes et flageolantes,
un nez long et large, des yeux caves, que par instant ferment de grises
paupières à mille plis; des joues toutes sillonnées de rides qui se
réunissent en faisceaux aux coins des lèvres et du nez, des mains sèches
aux doigts noueux.

Vous voyez sur le col haut et épais de sa grande redingote olivâtre, à
boutons de corne, tomber quelques mèches de cheveux blancs, s'échappant
de dessous le bonnet noir, tortueusement pointu, qui lui couvre les
oreilles et les sourcils. Vous voyez le gilet, taillé dans quelque drap
terne, évasé par le bas, laissant voir le pont du pantalon que l'usure
a lustré, et de chaque côté duquel se montre une patte de bretelle de
cuir. Vous voyez l'antique cravate de soie éraillée, tournant deux ou
trois fois autour du cou et finissant par un petit noeud en papillon.
Vous voyez la grande clef de montre en laiton estampé, pendant à une
ganse de filoselle verte, sous une des basques du gilet; enfin les
souliers à boucles d'acier quelque peu rouillées, qui découvrent sur le
cou-de-pied un grossier bas de laine bleue.

Vous surprenez, par exemple, M. Bidard se promenant dans sa classe, à
pas lents, les genoux fléchissants, les mains derrière le dos, avançant
obliquement la tête pour regarder à droite, pour inspecter à gauche,
par-dessous ses lunettes relevées, qui miroitent vaguement et semblent
lui donner deux gros yeux louches de plus.

Et comme vous voulez achever le tableau, compléter la ressemblance, vous
armez M. Bidard de quelque martinet, ou de quelque férule, que ses mains
paraissent tout aises de palper, et vous donnez à ses traits
austères cette froide et presque cruelle sévérité qui est devenue de
tradition.--Mais alors je vous arrête et vous dis: «Fi de la tradition!
Vite, ôtez ce martinet; vite, enlevez cette férule, et vite rendez au
respectable visage de mon vieux maître à conjuguer, à griffonner, la
douce, la bonne, la paterne expression qui lui appartient à si juste
titre.»

Peut-être aussi--toujours en vertu de la tradition--comptez-vous trouver
dans ce pauvre instituteur de village quelqu'un de ces ridicules et
pédantesques ignorants qu'un poète nous montre:

  Fiers d'enseigner ce qu'ils ne savent pas.

Eh bien, non encore! Plût à Dieu que pour ma part j'eusse pris de M.
Bidard tout ce qu'il était à même de me donner, et su apprendre aussi
bien qu'il savait enseigner!

Mais c'est moins de l'homme instruit que de l'homme bon que je veux vous
parler; revenons à l'homme bon.

Oh! oui, bon! trop bon! mille fois trop bon! car la bonté est-elle de
mise avec une légion d'espiègles, de mutins, de musards qui semblent
avoir pour unique souci de chercher le moyen par lequel échapper à toute
contrainte, à toute discipline, à toute application? L'indulgence, la
douceur, la faiblesse sont-elles bien venues chez l'homme à qui est
confiée la direction d'un essaim de garnements, dont le premier instinct
est de savoir reconnaître ces bénignes dispositions pour en abuser sans
mesure? Non, sans doute.

Tels nous étions cependant, tous moins studieux, moins soumis, moins
respectueux même les uns que les autres, nous, les vingt ou trente
élèves de M. Bidard, et pourtant nous le trouvions sans cesse doux,
indulgent, clément.

C'était son défaut, à ce digne homme. On le lui disait parfois; il se le
disait souvent, et il devait, il voulait toujours s'en corriger; cela
depuis qu'il était maître d'école, c'est-à-dire depuis près de cinquante
ans.

Dieu sait s'il pouvait y avoir chance de guérison, alors que le mal
avait résisté aux attaques de six ou huit implacables générations
d'écoliers. Et pourtant M. Bidard ne désespérait pas de secouer cette
maudite faiblesse, qui avait fait de son existence une longue suite de
tracas, de tribulations.

C'était même à la seule certitude de savoir s'y soustraire prochainement
par une énergique réaction contre son caractère, qu'il avait toujours dû
de supporter avec une patience surhumaine son insupportable martyre.

Tous les jours, à tous les instants, depuis tantôt un demi-siècle,
le brave M. Bidard répétait à part soi, et aussi comme une menace à
l'adresse de ses tourmenteurs: «Jusqu'à présent j'ai été trop endurant,
trop tolérant, mais c'est fini; je promets bien qu'on ne m'y prendra
plus.»

Et on l'y prenait toujours, et l'effet de la promesse était toujours
renvoyé aux douteuses probabilités de l'avenir.

A quinze ou seize ans, M. Bidard avait embrassé l'enseignement par amour
pour les enfants, et, bien qu'ayant de tout temps reconnu que, dans
l'intérêt des enfants eux-mêmes, il fallait user avec eux, sinon d'une
excessive rigueur, au moins d'une judicieuse fermeté, il n'avait jamais
trouvé en lui la force nécessaire à la mise en pratique de la méthode
qu'il jugeait sage. Que voulez-vous! M. Bidard était ainsi fait, que les
larmes ou même la simple mine affligée d'un enfant le bouleversaient, le
mettaient hors de lui.

Le moyen avec cela de n'être pas l'éternel souffre-douleur de ces
impitoyables créatures, qui ne sont guère traitables par la mansuétude
qu'à la condition que ce ne soit, du moins en apparence, qu'un relâche
de la sévérité!

Ce que M. Bidard ne se lassait pas de contempler avec une sorte d'extase
délicieuse, c'était l'enfance riante, insoucieuse, tout au bonheur de
l'heure présente et à la belle espérance de l'heure qui vient; mais
l'enfance triste, éplorée, inquiète, il n'en pouvait supporter la vue
ni même l'idée, et bien moins encore quand il se sentait l'auteur de sa
tristesse, de ses pleurs, de son inquiétude.

C'est à cette profonde et incurable sensibilité que M. Bidard devait
tous les tourments, mais aussi toutes les joies de sa vie;--car vous
pensez bien que sans quelques vives joies, faisant compensation, il
n'aurait pas fourni une aussi longue carrière.

Savez-vous, d'ailleurs, ce qui arrivait vingt fois pour une? Il
arrivait qu'au moment où elle le voyait prêt à formuler sa menaçante
promesse,--qu'il faisait toujours précéder d'une bienveillante
exhortation,--la troupe endiablée paraissait aussitôt s'amender en
masse. Et M. Bidard, qui de son purgatoire, pour ne pas dire de son
enfer tout hanté d'agaçants démons, se trouvait soudain comme transporté
au milieu d'une légion de petits saints, tout confits de docilité,
d'attention, d'excellent vouloir, M. Bidard, attendri, répudiait sans
hésiter la foi qu'il était sur le point d'accorder au système des
rigueurs; puis, tout fier d'un résultat, hélas! bien mensonger, il se
disait, et même laissait naïvement entendre aux prétendus convertis, que
le plus sûr empire était encore celui qui s'établissait par la douceur.

Et, dans un instant d'heureuse illusion, le digne homme oubliait bien
des heures de déboire et de mécompte.

En somme, cependant, si déplorables que pussent être pour lui-même les
conséquences de sa patience, cette débonnaire façon de procéder avait
eu pour effet de gagner sincèrement à M. Bidard autant de coeurs qu'il
était entré d'élèves dans sa classe.

Pas un homme dans le pays qui, autrefois écolier chez lui, ne professât
pour M. Bidard le plus affectueux respect, et ne le lui témoignât à
l'occasion, principalement en montrant une véritable contrition des
méfaits jadis commis envers lui.

Pas un enfant encore dans sa classe qui ne se fût, comme on dit, jeté au
feu pour le vieux maître.

Un jour,--il m'en souvient,--pendant une promenade que nous étions
allés faire avec lui à quelque distance du village, et comme nous nous
trouvions au milieu d'un bois, le brave homme fit un faux pas, tomba, et
ne se releva que pour reconnaître qu'il ne pourrait aller plus loin. Il
venait de se fouler le pied, à tel point qu'il lui suffisait de vouloir
s'appuyer légèrement dessus pour ressentir la plus insupportable
douleur.

Si vous eussiez vu alors la désolation où cet accident nous jeta
tous!... C'étaient des cris, des pleurs: le pauvre M. Bidard ne savait
auquel remontrer qu'il n'y avait pas motif à de pareilles lamentations,
et que du moment où il aurait pu regagner sa maison il en serait quitte
pour rester pendant quelques jours sur son fauteuil.

Encore fallait-il la regagner cette maison, et M. Bidard était hors
d'état de faire un pas. On parla de dépêcher l'un de nous à la ferme
voisine, ou même au village, pour qu'on vînt avec une charrette. Mais,
tout en attaquant déjà de son couteau une forte branche de chêne: «C'est
inutile,» cria l'un des grands. Et avant même qu'il se fût expliqué
chacun l'avait compris, chacun était en besogne.

Si vous eussiez alors entendu craquer les branchages; si vous eussiez
vu l'industrie, l'activité de tout ce petit monde qui taillait, qui
tressait, qui nouait....

Un quart d'heure plus tard, le vieillard était commodément installé
sur une sorte de chaise, reposant sur le carré formé par deux croix
parallèles dont les huit branches devaient donner place à autant de
porteurs; et ce fut à qui prendrait une de ces places; et tout le temps
du trajet, qui fût long, il n'y eut pas d'exemple qu'un des porteurs eût
été relayé sur sa demande.

La sueur coulait, les poitrines haletaient; mais l'on affirmait qu'on
n'était point las. Il fallait de grandes instances pour déposséder l'un
des occupants du poste d'honneur.

Comme ils étaient heureux, fiers, ceux qu'exténuait le cher fardeau,
et comme ils les enviaient ceux à qui leur âge ou leur faiblesse
interdisait de figurer activement dans l'affectueux cortège! Comme ils
tâchaient de se dédommager en se faisant les éclaireurs vigilants et
attentifs de la marche, et en s'inquiétant à chaque instant de l'état du
vieillard!

Ajoutez que pendant les quelques jours où furent évidentes les
souffrances de notre bon M. Bidard, qui ne cessa pas pour cela de faire
sa classe, il n'y eut pas à reprocher à un seul d'entre nous la moindre
négligence, la moindre insubordination.

C'est vous dire si nous l'aimions sincèrement, vivement.

Peut-être étions-nous souvent sur le point de nous oublier; mais à
chaque mouvement que le brave homme essayait de faire nous voyions sa
face se contracter douloureusement, ou bien nous l'entendions pousser
quelque soupir plaintif; et il n'en fallait pas davantage pour nous
rappeler impérieusement aux égards, aux attentions,--jusque-là qu'une
fois M. Bidard, versant des larmes de joie, nous dit avec toute la
simplicité de son tendre coeur: «Savez-vous ce que je disais au bon
Dieu, ce matin, en faisant ma prière?

--Non, monsieur Bidard. Quoi donc?

--Qu'il devrait permettre que je fusse toujours malade, puisque cela
vous rend si sages et me vaut tant de preuves de votre amitié.»

Mais apparemment le bon Dieu ne voulut pas entendre la requête du vieil
instituteur; il ne tarda pas à lui rendre la santé, avec laquelle
reparurent l'indocilité, la distraction, voire même l'irrévérence de ses
élèves.

Et M. Bidard, qui ne savait nous infliger des punitions que pour les
lever presque aussitôt, dès les premières marques de tristesse, M.
Bidard se trouva de nouveau livré sans défense à nos incessantes
tracasseries.

Tous les ans, le jour de la Saint-Jean, qui était son patron, il était
de tradition dans l'école de souhaiter la fête à M. Bidard, avec
toute la solennité que des enfants de village peuvent donner à une
manifestation de ce genre.

Les choses, ce jour-là, se passaient, depuis de longues années, dans
l'ordre suivant:

Au retour du dîner, chaque élève, portant un bouquet de jardin ou des
champs, se rendait sur la place de l'église, où était bâtie la maison
d'école, et où l'on se réunissait pour rentrer en corps dans la classe.
Après un compliment récité par le plus grand, le plus petit offrait à M.
Bidard (qui attendait ordinairement dans sa chaire) une livre de café
grillé et un demi-pain de sucre, qu'on avait achetés à frais communs, et
dont le pauvre vieillard, habile ménager de ces jouissances, usait de
telle sorte, que la modeste provision n'était guère épuisée avant la fin
du douzième mois.

Le compliment dit, les fleurs données, le cadeau offert, M. Bidard, qui
n'avait jamais les yeux secs en ce moment, embrassait tous ses élèves
l'un après l'autre, et la porte de la classe donnant sur le jardin était
ouverte pour toute l'après-midi, qui se passait en jeux auxquels le
maître prenait part, et en récits qu'il faisait.

Jour fortuné aussi bien pour le maître que pour les élèves, et laissant
ordinairement à ceux-ci comme à celui-là maint heureux souvenir qui en
prolongeait la franche et cordiale joie.

Or, une année--à quelles épreuves, Dieu bon! n'avions-nous pas
soumis pendant les jours précédents la robuste patience du vénérable
instituteur! je n'ose pas m'en souvenir,--une année, dis-je, tout avait
été combiné, préparé, disposé, selon l'usage, pour la célébration de la
fête de M. Bidard.

Nous nous réunissons, nous entrons deux par deux, armés de nos bouquets,
et gardant, au milieu du bruit tumultueux de nos pas, le silence ému
d'une douce appréhension.

Le plus grand s'avance vers la chaire, où est assis M. Bidard, qui fait
mine de ne pas nous entendre, absorbé qu'il semble être par quelque
travail appliquant sur lequel il est penché.

«Cher et respectable précepteur, dit le doyen de la classe, qui a fait
provision d'éloquence rimée dans quelque manuel spécial:

  «Le jour de votre fête est pour nous un beau jour,
  Puisque pour tous offrir nos souhaits, notre amour...
  Nos coeurs....»

--Hein! quoi? qu'est-ce que vous dites?» interrompit tout à coup M.
Bidard, qui seulement alors parut s'apercevoir de notre présence,
et releva la tête pour nous montrer, de travers, le visage le plus
ironiquement rechigné qu'il soit possible de voir: «Ne parlez-vous pas
de ma fête?... En effet, je crois que c'est aujourd'hui. Mais qu'est-ce
que cela peut vous faire, à vous?--Rien, assurément. Puis, qu'est-ce que
vous me contez encore?--Des souhaits! de l'amour! qu'est-ce que cela
signifie? Quels voeux peuvent faire pour leur maître des élèves de votre
nature? Que lui souhaiteraient-ils, sinon la continuation des soucis
qu'ils lui causent tous les jours? De l'amour! Eh! mon Dieu! où
prenez-vous que vous ayez de l'amour pour moi? Où en sont les marques?
Est-ce dans votre conduite de ces derniers jours? Est-ce qu'on chagrine,
est-ce qu'on tourmente ceux que l'on aime? Est-ce qu'on leur désobéit?
Est-ce qu'on leur manque de respect? Vous qui faites toutes ces
vilaines, toutes ces méchantes choses, ne parlez pas, non, ne parlez pas
d'amour! Je vous le défends.... Vous alliez aussi mettre en avant vos
coeurs. Eh! ce ne sont que de mauvais coeurs, puisqu'ils ont si peu
d'égards pour mon pauvre vieux coeur attristé! Mais qu'est-ce que je
vois donc dans vos mains? Des fleurs! Ah! ce n'est pas pour moi, je
suppose! Ces roses qui signifient beauté, ces marguerites qui signifient
jeunesse innocente, voudraient-elles, par hasard, me témoigner que,
jeunes et innocents, vous devez me donner de beaux jours? Ah! comme je
leur crierais: «Taisez-vous, menteuses, taisez-vous!»

En parlant ainsi, M. Bidard, dont l'expression railleuse était devenue
de plus en plus âpre et mordante, avait pris, comme machinalement sous
son pupitre, où ils étaient censés le gêner, deux paquets de forme et de
volume identiques à ceux que portait le plus petit des élèves, et les
avait placés, comme machinalement encore, sur un des rebords latéraux
de sa chaire;--ce qui signifiait clairement qu'en même temps qu'il
répudiait la sincérité de nos voeux et refusait nos bouquets, il n'avait
que faire non plus des présents d'autre nature que nous comptions lui
offrir.

Nous nous entre-regardions interdits, les yeux écarquillés, la bouche
béante, les bras ballants, comme des gens devant qui se produit quelque
terrifiant prodige.

«Allons, allons! reprit brusquement M. Bidard d'une voix sourde, que
nous ne lui connaissions pas encore, laissons tout cela. A vos bancs,
Messieurs, et travaillons!»

Malgré ce formel commandement, nous restions tous immobiles, car aucun
de nous ne pouvait se résoudre à croire sérieux l'étrange accueil que M.
Bidard venait de faire à notre affectueuse démonstration.

Mais M. Bidard ajouta, en frappant deux ou trois coups d'une règle qu'il
tenait à la main sur la caisse sonore de son pupitre: «Eh bien! ne
m'a-t-on pas entendu?»

Il n'y avait plus alors le moindre doute à conserver sur ses
dispositions.

L'instant d'après, chaque élève était assis à sa place habituelle, et la
classe commençait comme à l'ordinaire.

Mais la blême consternation était sur tous les visages; mais toutes les
poitrines étaient serrées par une froide angoisse. On eût dit de quelque
réunion funèbre.

Chacun avait à côté de soi ce bouquet, sur lequel ses yeux tombaient
navrés de regrets. Chacun semblait subir éveillé un cruel cauchemar.

Et au-dessus de toutes ces faces tristement ébahies, se montrait,
effrayante de pâleur, la face en quelque sorte méconnaissable du
vieillard, dont les muscles tendus, raidis par instants, étaient pris
d'un frémissement. Ses regards, qui erraient lentement, avaient
une lourde fixité. Il se redressait--mais comme par un pénible
effort--beaucoup plus que de coutume. Sa main aussi tremblait,
frémissait, car, lorsque la règle qu'il tenait venait à toucher le
pupitre, nous l'entendions tressauter. Sa voix était comme un de ces
mornes grondements du vent qui soupire pendant les froides nuits.

Nous osions à peine le regarder, et nous prenions peur à l'entendre.

Était-ce qu'il affectât ce jour-là une sévérité plus grande? Non.--Il
nous demandait tour à tour nos leçons, comme il l'eût fait un tout autre
jour. Si nous nous trompions en récitant, il nous reprenait sans plus
d'impatience, sans plus d'exigence qu'à l'ordinaire.

A ceux qui s'étaient bien acquittés de leur tâche il témoignait
doucement sa satisfaction. Il exhortait tranquillement les autres à plus
d'application, et il ne punissait personne, personne d'ailleurs ne se
mettant dans le cas d'être puni.

Et pourtant, dans cette classe où tout suivait le train coutumier des
meilleurs jours, il semblait que l'air ne circulât pas pour la vie
commune. On eût dit que maître et élèves fussent autant de froids
automates, qui ne se mouvaient, ne s'exprimaient que par un simulacre
d'existence réelle. On eût dit enfin que dans tous ces corps le coeur
manquât.

Tant de joie qu'on s'était promise n'avait pu être empêchée sans
répandre la sombre stupeur là où l'on attendait la radieuse allégresse.

Et la classe continuait; et le voile d'affliction jeté sur tous les
fronts semblait se faire, d'instant en instant, plus épais, plus lourd.
Et l'atmosphère de la salle oppressait de plus en plus les poitrines.
Chaque minute qui passait nous était comme un siècle d'anxiété.

Les leçons achevées, le maître nous dit,--mais alors d'une voix qui
semblait s'étrangler dans sa gorge, dont elle sortait sèche comme un
bruit de feuilles mortes qu'on remue:--«Prenez vos cahiers, je vais
dicter.»

Et pendant que nous nous mettions en devoir de lui obéir, il tenait
devant lui et parcourait des yeux un papier sur lequel il avait
évidemment rédigé le texte de la dictée que nous devions transcrire.

Quand il nous vit prêts: «Écrivez,» reprit-il, et il commença de lire à
haute voix ce qui était écrit sur le papier. A haute voix? dis-je; c'est
à voix très basse que je devrais dire, car nous ne l'entendions plus que
comme s'il eût chuchoté à l'oreille de quelqu'un. Il commença donc:

«Chaque jour on voit des gens qui....» Mais à peine eut-il prononcé
ces quelques paroles: «Non! non! s'écria-t-il en levant les bras, en
laissant échapper le papier qui, tournoyant, tomba au pied de la chaire,
non, je ne peux plus! je ne peux plus!» Et pleurant, sanglotant, il posa
son front sur ses deux mains, en répétant d'une voix que le hoquet des
larmes entrecoupait: «Ces pauvres enfants! ces pauvres enfants!»

En voyant, en entendant pleurer notre vieux maître, nous nous levâmes
tous, comme à un commandement suprême, et tous nous courûmes à lui.

Alors, découvrant son visage mouillé, pour ouvrir ses bras aux premiers
qui purent s'y jeter: «Pauvres petits! chers enfants!» disait-il en les
serrant contre lui, en les embrassant, et en pleurant encore. «Oh! j'ai
été méchant, bien méchant!... Il ne faut pas m'en vouloir, voyez-vous,
je croyais... je pensais... je m'étais dit.... Non, tenez, je ne sais
pas! Ah! si j'avais cru vous faire tant de peine!... Oh! mais j'ai bien
souffert aussi, allez... oui, bien souffert.--Que les méchants doivent
souffrir!...»

Puis soudain, comme s'il eût voulu jeter à l'oubli ce récent souvenir:
«Voyons, voyons, reprit-il avec le plus heureux entrain, donnez-moi vos
bouquets; dis ton compliment, toi, je t'écoute.... C'est un rêve, un
vilain rêve, que nous avons fait tous. Éveillons-nous gaiement! Allons,
mes enfants, allons! souhaitez la fête à votre vieux précepteur. Voyez,
le voilà qui rit, qui est content. Criez, soyez content comme lui!»

Et il riait, et il tâchait de donner le ton le plus délibéré à sa
chevrotante voix....

L'instant d'après il n'y avait plus que des visages radieux, et--défense
faite par le maître de rien dire qui pût avoir trait au malencontreux
incident qui l'avait retardée--la fête reprit et suivit son cours
coutumier.

Et tel ayant été le succès de la plus audacieuse entreprise qu'eût
jamais tentée M. Bidard pour conquérir un peu de tranquillité, ai-je
besoin de vous affirmer que l'idée ne lui vint pas de la renouveler?

Dans le mouvement qui suivit l'interruption de la dictée, la feuille de
papier échappée aux mains de M. Bidard avait été foulée aux pieds. Je la
ramassai, et voulus la remettre au vieil instituteur, qui me dit de la
déchirer. J'ai la preuve que je n'en fis rien, car dernièrement, en
feuilletant quelques-uns de mes premiers cahiers d'école, conservés par
ma mère, j'ai retrouvé certaine feuille détachée, sur laquelle j'ai lu
ces mots tracés de la main de mon vieil instituteur:

«Chaque jour on voit des gens faire profession d'aimer, et qui sont
convaincus que ce sentiment est en eux, parce qu'à de certaines heures
ils en auront donné quelque témoignage bien actif, bien évident; mais,
le reste du temps, ils ne feront rien paraître de leur attachement. Ces
gens-là aiment-ils? Peut-être. Mais, en tous cas, ils ne savent pas
aimer. Savoir aimer, c'est n'oublier jamais qu'on aime, c'est le
montrer, le prouver par tous ses actes, par toutes ses paroles, dans les
circonstances les plus ordinaires comme dans les plus graves. Aimer sans
savoir aimer, c'est souvent faire le malheur de ceux qu'on aime; car,
s'ils savent aimer, ils seront conduits à douter des sentiments qu'on
prétend avoir pour eux. Et douter de ceux qu'on aime est une des plus
violentes épreuves du coeur.

«Vous donc qui aimez, et qui voulez éviter de causer le malheur de
vos amis, rappelez-vous bien qu'aimer n'est rien, si l'on ne sait pas
aimer.»




LA BÊTE AU BON DIEU

  Pourquoi les bêtes au bon Dieu sont appelées bêtes au
  bon Dieu, et pourquoi on les a en vénération.

C'était au temps d'autrefois, alors que les seigneurs avaient pleine
autorité sur les pays et sur les paysans.

Un jour, il arriva que le frère du seigneur d'un pays fut trouvé mort,
tué, derrière la haie d'un champ.

De cette action le seigneur fut fortement affligé et courroucé; car il
portait grande affection à son frère.

Il ordonna donc que l'on fît soigneuse recherche de l'assassin, se
promettant bien de le châtier, s'il était découvert, par quelque
supplice terrible.

Le soir même, à l'heure où le seigneur, priant et pleurant, était
agenouillé près du corps du défunt, voilà qu'il entendit venir une foule
bruyante.

Il se leva.

Dans la chambre entra le chef de ses serviteurs, appelé Croudas, qui lui
dit:

«Seigneur, j'ai moi-même découvert l'assassin, et je l'ai fait prendre
pour être conduit devant vous.»

Le seigneur, qui eut comme une joie dans sa tristesse, une joie de
vengeance, le seigneur dit:

«Qu'on ramène ici même: c'est devant le corps du défunt que je veux
juger ce misérable. Si je me laissais aller à la douceur, cette vue me
rappellerait la promesse que je me suis faite de mesurer la punition au
crime.»

Croudas fit donc un signe au dehors, et les serviteurs amenèrent devant
leur maître un paysan, qui se jeta à genoux en disant:

«Ayez pitié de moi, seigneur, je n'ai point commis de crime.»

Le seigneur demanda à Croudas les preuves qui étaient contre cet homme;
Croudas répondit:

«Voyez, seigneur, ces taches sur ses habits; c'est du sang, le sang de
votre frère.

--Est-ce possible? fit le seigneur, dont le coeur se souleva à cette
vue; misérable! dis la cause de ton crime.

--Hélas! hélas! repartit le paysan, croyez-m'en bien, seigneur, je n'ai
point tué votre frère. J'ai sur mes habits des taches de sang, c'est
vrai; mais je ne sais nullement de quelle manière elles y ont été
faites. Ce matin, aux champs, il est arrivé qu'ayant mangé et bu, assis
sur l'herbe, non loin de l'endroit où l'on a trouvé le corps du défunt,
je me suis tout à coup senti pris d'un lourd sommeil, et j'ai dormi.
A mon réveil ces taches étaient sur moi. Les voyant, j'ai d'abord été
grandement étonné; mais ensuite j'ai pensé que, pendant mon sommeil,
avait dû passer au-dessus de moi quelque émouchet, portant dans ses
ongles un oiseau qui perdait son sang en l'air. Alors, les taches
essuyées de mon mieux, je n'y ai plus pris garde.»

Croudas, continuant d'accuser le paysan, dit encore:

«Si vous pouviez, seigneur, recevoir comme vraies de telles paroles, je
vous prierais de demander à ce scélérat comment il se fait qu'il eût
dans sa maison cette bourse, qui est celle du défunt.

--Oui, je la reconnais, dit le seigneur.

--Et cette chose, seigneur, la reconnaissez-vous aussi? demanda Croudas
en montrant une bague d'or.

--Oui, dit encore le seigneur, c'est l'anneau que mon frère portait au
grand doigt de sa main droite.

--Eh bien, seigneur, reprit Croudas, je l'ai trouvé moi-même, avec la
bourse, dans un tiroir de meuble chez cet homme; dira-t-il que les
oiseaux l'avaient laissé tomber, ainsi qu'il a fait pour les taches de
sang?»

N'ayant pu expliquer comment ces choses étaient entrées dans sa maison,
le pauvre paysan fut jugé coupable, en dépit de tous ses serments
d'innocence.

Le seigneur le condamna à être brûlé vif le lendemain, à l'endroit même
où le corps du défunt avait été trouvé, et il le fit jeter dans une
noire prison, pour attendre l'heure de la mort.

Chacun, dans le pays, s'ébahissait en apprenant que cet homme fût accusé
d'une telle action, attendu que jusqu'alors il avait toujours fait
paraître le plus doux caractère, et toujours tenu la plus sage conduite.

D'ailleurs, cet homme n'avait en vérité rien à se reprocher, le crime
étant l'action de Croudas.

Le défunt, connaissant des acquisitions déshonnêtes de Croudas, l'avait
menacé de le dénoncer au seigneur s'il ne faisait pas restitution.
Croudas l'avait donc tué; et voici comment il s'était arrangé pour qu'un
autre fût puni à sa place:

Ayant trouvé le paysan qui mangeait assis sur l'herbe, il mit, sans être
vu, une chose endormante dans la boisson ou sur le pain, et l'homme
s'endormit; puis Croudas, par un mensonge, amena le frère du seigneur en
cet endroit, le tua, et, après l'avoir tué, tacha de sang les habits
du dormeur; puis, ayant pris la bourse et l'anneau du défunt, il fit
semblant de les trouver en fouillant dans la maison du paysan.

Comme on le voit, profonde était sa méchanceté.

Maintes gens allèrent se jeter à genoux devant le seigneur pour le
supplier au nom du pauvre accusé; et ces gens-là disaient de lui ce
qu'on dit quand on veut exprimer une très grande bonté:

«Nous le connaissons depuis longtemps, et nous savons qu'il n'écraserait
pas une mouche.

--Bah! bah! répliquait Croudas, qui ne quittait point son maître, sous
prétexte de le consoler, il n'en a pas moins tué le défunt, et, si l'on
ne fait pas justice de lui, les autres méchants seront autorisés au
crime.»

Les gens disaient alors au maître:

«Ah! seigneur, différez le jour de la mort, les preuves sont maintenant
contre cet homme; mais il s'en pourra trouver un peu plus tard qui
feront connaître le véritable assassin.»

Croudas ne voyait pas son compte à cet avis; aussi disait-il:

«Ah! seigneur, ces gens savent votre bonté: ils pensent que, le grand
deuil passé, vous ferez miséricorde.»

Et le seigneur s'écriait:

«Non! non! jamais, l'assassin sera puni.»

Et les gens s'en allaient en répétant entre eux:

«Il ne se peut pas que celui-là ait fait le coup; car nous savons qu'il
n'écraserait point une mouche.»

Au matin, le seigneur, de plus en plus poussé à la colère par les propos
de Croudas, ordonna de préparer le supplice, ajoutant qu'il y voulait
assister pour se donner le plaisir de voir périr douloureusement le
scélérat qui était cause de sa vive peine.

Croudas fit donc lui-même porter un nombre de fagots à l'endroit où
l'assassin devait être brûlé, et dresser aussi tout proche, avec des
branchages, un trône pour son maître.

Puis il envoya avertir le seigneur; et le seigneur vint s'asseoir sur
le trône; puis l'on amena le paysan, suivi d'une foule de gens qui se
lamentaient sur cette mort injuste.

Le paysan leur disait:

«Ne pleurez pas; puisqu'il faut que je sois tué pour une action que je
n'ai point à me reprocher, je vais mourir en pardonnant à ceux qui ont
refusé de m'être miséricordieux.»

Croudas dit aux serviteurs:

«Liez-le sur le bois, et mettez le feu.»

Le seigneur regardait toutes choses avec une profonde attention, et
gardait sa bouche muette.

Ses yeux allaient du paysan à Croudas, et de Croudas aux serviteurs, qui
se tenaient auprès des fagots pour les allumer.

Et comme les serviteurs tardaient un peu d'obéir, Croudas leur cria:

«Allons! allons! dépêchez-vous!»

Il avait hâte que le paysan fût mort.

Le pauvre homme dit à ceux qui allaient le lier:

«Oh! laissez-moi faire une dernière oraison!»

Croudas cria encore:

«Non! liez-le!»

Mais le seigneur, entendant les paroles de Croudas, après avoir entendu
celles du paysan, le seigneur leva la main pour commander aux serviteurs
de donner au paysan la temps dont il avait besoin; et il vit Croudas
faire un signe d'impatience.

Le paysan donc, tenant ses yeux tristement baissés, se plia pour
s'agenouiller sur une pierre non éloignée du seigneur. Mais voilà
qu'apercevant sur cette pierre une petite bête rouge, tout justement
posée à l'endroit où il allait mettre ses genoux, il l'écarta doucement,
naturellement, de la main, pour éviter de l'écraser en s'agenouillant.
Et le seigneur vit la chose.

Puis le paysan, s'étant agenouillé, commença de prier.

Et pendant que le paysan priait, le seigneur continua de regarder.

Le seigneur vit la petite bête ouvrir soudainement ses ailes de vive
couleur, et aller se poser sur la main gauche de Croudas.

Tandis que le paysan achevait sa prière, le seigneur regarda encore;
et il vit Croudas,--comme par manière de passe-temps, comme par
contrariété d'attendre trop une chose fortement désirée,--mettre un
doigt de sa main droite sur la bête, et appuyer, et faire de la mignonne
et jolie innocente un peu de poussière rouge dont sa main gauche fut
tachée.

Et, comme en ce moment le paysan se relevait, ayant fini de prier, et
que les serviteurs allaient le saisir, le seigneur descendit tout à coup
de son trône, et cria:

«Laissez cet homme; ne le faites pas mourir; il n'est pas l'assassin de
mon frère; c'est impossible!»

Tout en parlant ainsi, le seigneur ne perdait pas de vue le visage de
Croudas; et il le vit blême.

Cependant Croudas s'approcha de son maître, et lui dit:

«Mais, seigneur, les preuves sont là; et si vous ne les trouvez pas
suffisantes pour faire condamner cet homme, qui donc accuserez-vous?»

Le seigneur répliqua:

«Qui j'accuserai? ce sera peut-être vous, Croudas!»

Aussitôt Croudas, qui ne s'attendait pas à cette réplique, se prit à
trembler en disant:

«Moi, seigneur! moi, seigneur!...»

Le seigneur dit encore, en saisissant la main de Croudas:

«Oui, vous, car la tache de sang est maintenant sur vous; voyez! Oui,
vous, car au moment où vous deviez être plein d'horreur pour le crime,
vous avez tué à plaisir la pauvre petite créature qui s'était placée
sans méfiance sur votre main, et que le paysan, injustement condamné,
avait charitablement respectée au moment de mourir.»

Alors Croudas ne put faire entendre que des paroles entrecoupées.

Le seigneur comprit donc qu'il était vraiment coupable; il le fit
prendre et lier par les serviteurs, et lui dit:

«Déclare ton crime!»

Et Croudas déclara son crime, dans l'espoir que, disant toute la vérité,
il lui serait fait grâce de la vie.

Il supplia le seigneur; mais le seigneur ne voulut rien entendre.

D'ailleurs personne ne se présenta pour obtenir son pardon, car il
n'avait l'amour d'aucun d'eux.

       *       *       *       *       *

Croudas ayant donc été brûlé au lieu du paysan, le paysan fut mis à la
tête des serviteurs, et toujours se garda aussi fidèle envers son maître
que bon envers tous.

       *       *       *       *       *

Or il arriva que chacun dans le pays fut d'accord pour penser que le
bon Dieu avait envoyé lui-même la petite bête rouge comme devant être
conseillère de justice au seigneur.

Et depuis, chacun de ceux qui en voyaient une pareille prenait attention
à ne point lui faire de mal, disant: «C'est la bête au bon Dieu; elle a
peut-être mission de salut pour quelque innocent, et, si je l'écrasais,
on me croirait assassin, car j'aurais la tache de sang sur moi.»

Et l'histoire, s'étant redite de paysan à paysan, passa de pays en pays,
et se répandit partout.

Et voilà comment il advint qu'on appela _bêtes au bon Dieu_ les bêtes au
bon Dieu, et la cause qui fait qu'on les a en vénération.




LA PIERRE QUI TOURNE
(conte de mon village)


La Pierre qui tourne: il y a chez nous une pierre de ce nom. Tout petit
j'en ai entendu conter ainsi l'histoire.


I

C'était en décembre. Il faisait nuit depuis une heure. Dans la petite
maison rustique, bien humble, mais bien proprette, allait, venait
Jeanne, la jeune et douce ménagère de Jacques, le vaillant scieur de
planches, qui était allé travailler loin dans la forêt ce jour-là: ce
qui retardait son retour.

L'âtre flambait. A la pointe des flammes rouges, une marmite, qui
bouillait, faisait rouler des nuages gris d'odeur appétissante. La bonne
soupe était taillée dans deux écuelles posées sur la huche luisante. A
côté la miche de pain bis et le pot de piquette. Tout en préparant le
simple repas, Jeanne s'arrêtait parfois, comme pour adorer, aux chauds
et gais reflets du foyer qui dansaient à travers les meubles et sur
les murs, un frais poupon endormi dans son berceau d'osier blanc. Elle
regardait, se penchait pour mieux voir. Elle avait des sourires d'amour
dans les yeux, des impatiences de baisers retenus sur les lèvres. Il
était si beau, si mignon! il ressemblait tant à son brave Jacques, le
petit André! Doucement, paisiblement passait l'heure dans l'humble
maison.

La porte s'ouvre, presque sans bruit: façon de larron qui s'introduit.
C'est la mère Brigitte, une sorte de vieille guenilleuse, béquilleuse,
toute contrefaite, toute racornie. Elle va mendiant de logis en logis.
On lui donne, moins par compassion que par crainte des sorts que,
dit-on, elle pourrait jeter, car on la suppose un peu sorcière. En la
voyant: «Tiens, c'est vous, Brigitte!» Et Jeanne, pour la congédier au
plus vite, taille et lui tend une large tranche de pain bis.

Il semblerait que, grassement aumônée, la vieille dût aussitôt
déguerpir. Point. Plantée de travers à côté du berceau, tordue contre sa
béquille, voilà que, d'une voix de feuilles mortes que remue la bise,
elle dit, elle jase, elle raconte. Et voilà que Jeanne, qui d'abord
lui prêtait à peine l'oreille, finit par l'écouter avec une grande et
rêveuse attention. Enfin la vieille s'en va.

Peu après rentre Jacques, tout gaillard, tout affamé: gros baiser aux
joues de Jeanne, et aussi, ma foi! au front du petit André, qui ne s'en
réveille point. On s'attable. «Mais qu'est-ce donc, Jeanne? Tu ne manges
ni ne parles. As-tu mal?--Non.--Ennui?--Pas davantage.--Qu'est-ce enfin?
tu n'es pas ainsi d'ordinaire.

--Dis, Jacques, tu connais bien, à mi-versant du mont des Coudres, cette
grosse roche si large, si haute, qui avance....

--Si je la connais, certes! Enfant j'y ai assez grimpé. Nous l'appelions
la pierre barbue, à cause des longues herbes qui pendent tout autour.

--Eh bien, ce n'est pas ainsi qu'il la fallait appeler.

--Comment alors?

--La Pierre qui tourne.

--Elle tourne donc?

--Oui, Jacques, elle tourne, et toute seule même, sans qu'on la touche.

--Ah! je voudrais bien voir ça!

--Tu le verrais, Jacques, si tu étais devant la pierre au premier coup
de minuit, le soir du jeudi saint. Et tu verrais bien autre chose
encore.

--Quoi donc?

--Au premier coup de minuit tu verrais la pierre, en tournant, découvrir
l'entrée d'une caverne, illuminée par un trésor tout fait de louis d'or
luisants comme le soleil. Caché là depuis des cent et des cent ans,
c'est le trésor des fées, qui en achetaient les âmes avant que
Notre-Seigneur les eût contraintes à ne plus faire ce damné trafic.
Libre à toi d'entrer et de prendre des louis tant que tu voudrais, ou
plutôt tant que tu pourrais; car il faudrait te hâter, la caverne ne
restant ouverte que le temps des douze coups. Au douzième, nouveau
tournement de la pierre, et....

--Et, acheva Jacques en riant, celui qui serait entré et ne se
presserait pas de sortir, resterait pris comme rat en ratière. Pardieu!
ce serait bien fait!

--Bien fait? Pourquoi donc, Jacques?

--Parce que trésor mal acquis ne doit point profiter.

--Des louis d'or sont toujours des louis d'or, Jacques. Suppose que tu
ailles à la roche, que tu entres, que tu prennes ta charge de pièces
jaunes.... C'est long à sonner, douze coups. Tu aurais bien le temps
de ressortir avant le douzième; et alors, Jacques, alors nous serions
riches.

--Riches de l'or des fées et du diable! non! Que nous gardions la
santé et le courage, et chez nous entrera l'argent du travail, qui est
l'argent du bon Dieu. Fi des autres trésors!

--Oui, fit Jeanne, nous pouvons ainsi penser pour ce qui est de nous.
Mais pour l'enfant qui est là.... Si au lieu de notre pauvreté il avait
la richesse?

--Tu sais le dicton, femme: la richesse ne fait pas toujours le bonheur.

--Pas toujours, mais souvent, repartit Jeanne.

--Allons, allons! fit Jacques, je ne sais qui t'a mis cette idée en
tête, mais tout ça n'est que fadaises et mensonges. La grosse roche ne
tourne point; il n'y a derrière ni caverne ni trésor. C'est pourquoi
songe à autre chose. C'est dit, n'est-ce pas, Jeanne? tu n'en parleras
plus.

--Je n'en parlerai plus.»


II

Elle n'en parla plus, en effet; mais elle y songeait toujours, non pas
pour elle, mais pour l'enfant. Riche, son petit André! Cette pensée ne
quittait plus son esprit, ne laissait plus de repos à son coeur. Il en
fut ainsi pendant quatre à cinq longs mois, durant lesquels, maintes
fois, sans en rien dire à Jacques, à personne, elle alla de jour à la
grosse roche du mont des Coudres, afin d'en connaître bien le chemin
quand elle irait de nuit.

Un soir, fatigué comme à l'ordinaire par le rude labeur de la journée,
Jacques avait gagné sa couche presque aussitôt après le repas; et, comme
à l'ordinaire, il s'était endormi du plus lourd sommeil. Vers le milieu
de la nuit, cependant, se réveillant à demi, il s'aperçoit que Jeanne
n'est pas auprès de lui. Sans doute, pense-t-il, elle assiste l'enfant.
Il appelle. Point de réponse. Nul bruit. Il allume la lampe. Quoi!
l'enfant n'est pas dans son berceau! Qu'est-il arrivé? Où est-elle? Il
se lève, met ses habits. Quoi! la porte est entre-baillée. Jeanne est
sortie, emportant l'enfant. Il appelle au dehors: même silence. Où la
chercher? A qui l'aller demander quand tout dort? L'horloge sonne deux
heures. Rien encore.... Deux heures et demie. Il n'y tient plus. Il va
courir devant lui, la cherchant. Il la trouvera bien!... mais alors il
croit distinguer un pas lent, traînant, qui vient par le chemin couvert
d'ombre. Il attend. Le pas approche. Jacques va prendre la lampe, et, du
seuil où il se tient: «Est-ce toi, Jeanne?» Pas de réponse. C'est elle
cependant, mais dans quel état! La face blême, déchirée, meurtrie, les
cheveux défaits. Tenant à deux mains, relevé devant elle, son tablier,
qui parait lourd, elle marche en trébuchant. Jacques recule pour qu'elle
entre. Mais Jeanne, tombant à genoux sur la pierre du seuil: «Tue-moi,
Jacques; tue-moi, je viens de perdre notre enfant.

--Perdre notre enfant! répète Jacques; que dis-tu?

--Oui, j'ai voulu l'enrichir, et je l'ai perdu.

--Qu'est-ce qu'elle dit donc? fait Jacques; elle est folle, mon Dieu!

--Écoute. Je m'étais dit: La nuit du jeudi saint--la nuit
d'aujourd'hui--j'irai là-haut, à la pierre qui tourne, chercher la
richesse pour l'enfant. Tu dormais. Je me suis levée doucement, j'allais
sortir seule, quand l'enfant s'est mis à pleurer. Pour l'empêcher de te
réveiller, car tu m'aurais retenue, je l'ai pris, je lui ai donné le
sein, et je suis partie. Au premier coup de minuit, la pierre a tourné.
Alors j'ai vu, dans la caverne toute brillante, les tas de louis d'or.
Je suis entrée. Pour remplir mon tablier, l'enfant me gênait. Je l'ai
posé sur un tas d'or. Il me souriait pendant que, vite, vite, je prenais
pour lui la richesse. Me relevant, j'ai voulu porter au dehors ce que
j'avais ramassé. Les coups sonnaient encore. Je courais, je courais....
Hélas! je n'ai pas assez couru! En me retournant pour aller reprendre
l'enfant, j'ai vu la pierre qui se replaçait; le douzième coup avait
sonné, la caverne s'était refermée....

--Refermée sur l'enfant! fit Jacques les poings levés; oh! malheureuse
femme!»

Alors la pauvre Jeanne, toujours agenouillée: «J'ai appelé, j'ai
supplié, j'ai frappé la roche de mes mains, de mon front: rien n'a fait.
Je ne mens point, ajouta-t-elle, comme si elle eût rendu l'âme; regarde,
voilà l'or que j'avais pris.» Et, Jeanne lâchant les coins de son
tablier, des flots de louis couvrirent le plancher.

«L'or! cria le mari, c'est de l'or que tu m'apportes! Ah! oui, je
comprends; tu as pensé que peut-être en voyant cette richesse j'aurais
moins de regret, moins de colère. Non! non! au contraire. L'enfant!
rends-moi l'enfant!» Et, prenant au coin de la cheminée le gros balai de
bouleau: «Ramasse qui voudra l'or de Satan!» dit encore Jacques, qui,
balayant, balayant, fit voler au dehors jusqu'à la dernière pièce. Puis,
repoussant du pied la malheureuse, qui était étendue sur le seuil, comme
morte: «Reçoive qui voudra la maudite qui a perdu mon enfant! Je ne la
recevrai, moi, que quand elle rapportera l'enfant.»

Et rudement il referma la porte sur elle.


III

Au lever du jour, cependant, comme il avait pleuré tout le reste de la
nuit, et comme dans les pleurs il avait retrouvé la raison, que d'abord
la vive douleur lui avait fait perdre: J'ai été trop dur, se dit-il: en
vérité, c'est par amour pour l'enfant qu'elle a causé ce malheur.

Alors il ouvrit, pour savoir ce qu'elle était devenue. Il ne la trouva
ni sur le seuil, ni dans le village, ni aux environs. Nul ne savait
rien. Nul ne l'avait vue passer. Longtemps, des jours, des semaines, des
mois, il chercha. Point de Jeanne. Elle se sera jetée dans la rivière,
pensa-t-il.

Et il prit le deuil de la mère avec celui de l'enfant.

Quand les gens du pays surent ce qui s'était passé, combien se promirent
d'aller, la prochaine nuit du jeudi saint, chercher la richesse au mont
des Coudres!

Jacques, lui, résolut de passer en oraison cette même nuit où il avait
perdu tout ce qu'il aimait. Dès le soir donc, agenouillé devant le
berceau vide, baisant une petite croix d'argent que Jeanne avait coutume
de porter, il s'était mis en prière.

Or, pendant que seul il priait ainsi, vers minuit, au versant du mont
des Coudres montait toute une foule bruyante: hommes et femmes, jeunes
et vieux, portant des sacs, des paniers, des seaux, qu'ils s'apprêtaient
à remplir au trésor de la caverne.

Pour tous quelle surprise de trouver là, venue avant eux, Jeanne, que
tous avaient crue morte!

«Tu n'es donc pas morte, Jeanne?

--Non, mais mon heure est proche.

--D'où viens-tu donc?

--Maudite par Jacques, maudite par moi-même, je m'en étais allée au
loin, pour n'être pas retrouvée. J'ai passé là-bas toute une année,
pleurant, priant, disant dans mes prières: «Seigneur, ayez mon âme; mais
permettez que mon corps soit avec le corps de mon enfant!» Et je suis
revenue ici, en cette même nuit où le malheur m'est arrivé. Au premier
coup de minuit, quand la caverne s'ouvrira, j'entrerai, et je laisserai
sonner les douze coups sans sortir. Ainsi j'aurai la même fin que
l'enfant. Par ma mort je serai punie de sa mort. Que le Seigneur ait mon
âme!»

Comme elle achevait de parler, le premier coup sonna: la caverne
s'ouvrit, brillante et pleine d'or. Tous ceux qui étaient là
s'élancèrent. Mais seule Jeanne put entrer; car devant la pierre un
bel ange blanc avait paru, qui, étendant une verge de feu, barrait aux
autres le chemin.

Jeanne donc est entrée. Tranquillement joyeuse de la mort qu'elle va
chercher, elle a répété en entrant: «Que le Seigneur ait mon âme!» Mais
tout à coup qu'aperçoit-elle?... Sur le même tas d'or où elle l'avait
posé, l'enfant qui, rose, frais, souriant, tend vers elle ses petits
bras.

Dieu sait si alors elle songe encore à mourir! Dieu sait avec quelle
hâte elle reprend et emporte son trésor d'amour! Dieu sait comme elle
est loin déjà sur le versant du mont des Coudres, quand, au douzième
coup, la caverne se referme!

Et pendant qu'elle s'éloigne, l'ange dit à la foule ébahie, déçue:
«Toutes ces choses n'étaient qu'une épreuve que le Seigneur avait
permise. Plus rien ne se fera de ce qui vient de se faire.» Puis l'ange
disparaît....

Jacques, toujours en prière, entend que l'on frappe de grands coups à
la porte, il entend que l'on crie: «Ouvre, Jacques, ouvre! je rapporte
l'enfant!» Il a reconnu la voix de Jeanne, il court, il les voit....
Comment dire la joie et les douces larmes!... Avec la vraie richesse, le
vrai bonheur rentrait dans la pauvre petite maison....

Depuis, la grosse roche du mont des Coudres a toujours été appelée la
_Pierre qui tourne_, mais plus jamais elle n'a tourné.




LE GENTILHOMME VERRIER


Au temps jadis, et dans le fond d'une province de France, vivait une
famille de noble origine, composée de la mère, qui était veuve, de deux
fils et d'une jeune fille.

Or l'aîné des deux fils, à qui la mort du père avait donné le titre
de chef de famille, n'était rien moins qu'une sorte d'écervelé; aussi
imprévoyant qu'avide de plaisirs, il sut en peu de temps réduire à
néant, non seulement la fortune paternelle qui, selon l'ancienne
coutume, lui revenait presque entière, mais encore le douaire que la
faible et bonne mère n'hésita pas à sacrifier pour payer les dettes
follement contractées par ce mauvais garnement.

Quand il eut insoucieusement réduit à la misère cette famille dont il
aurait dû être le digne soutien, notre prodigue, effrayé à l'aspect de
la misère, ne vit rien de mieux que de disparaître un beau matin sans
dire où il allait.

Le voilà parti. On n'entend plus parler de lui. Il a sans doute trouvé
asile et subsistance. Mais que feront les autres, ceux qu'il a laissés
sans ressources?

Le fils cadet a quinze ans; la soeur en a treize; la mère est encore
valide: ils travailleront, direz-vous. Mais vous oubliez, ou peut-être
vous ne savez pas qu'en ce temps-là le travail était chose considérée
comme déshonorante pour les gens de sang noble. Tout gentilhomme qui
prenait des terres en louage, qui ouvrait boutique, ou qui mettait,
moyennant salaire, le pied dans un atelier, devenait, aux yeux du monde
où il était né, une sorte de créature dégradée, abjecte, un roturier
enfin, et c'était tout dire.

Le gentilhomme pouvait être militaire, magistrat ou prêtre. Mais, même
pour vivre, il lui était interdit de travailler de ses mains. Et, Dieu
le sait, la force du préjugé était alors si grande, que les exemples de
_dérogeance_ étaient extrêmement rares.

Sans doute, si notre jeune cadet n'avait dû penser qu'à lui, il se fût
aisément tiré d'affaire: car il lui eût suffi de rejoindre la première
compagnie d'hommes d'armes, où son nom l'eût fait bien recevoir. Mais
force lui eût été de quitter sa mère et sa soeur, auxquelles alors il
n'aurait aucunement pu venir en aide. Il n'osa pas y songer.

Or il se trouvait qu'une exception, une seule, était faite à la
loi générale: une ordonnance royale, inspirée, soit par une juste
appréciation des services marquants que rendait cette meurtrière
industrie, soit par le désir d'ouvrir un moyen particulier d'existence
aux nobles sans fortune, une ordonnance royale avait décidé que la
pratique de l'état de verrier, loin d'entraîner la déchéance des titres
de noblesse, ne ferait, en quelque sorte, que les consacrer. Les
gentilshommes verriers sont d'ailleurs célèbres dans l'histoire.

Notre pauvre fils de famille emmène donc sa mère et sa soeur dans un
pays où était une verrerie, se présente, est agréé comme simple apprenti
d'abord, et le peu qu'il gagne permet d'attendre sans trop de privations
l'époque où il aura le titre et le salaire d'ouvrier. Cette époque
venue, il est cité comme un des plus habiles, des plus courageux
travailleurs de l'atelier; et la petite famille retrouve une heureuse et
paisible aisance.

Mais le métier est rude; et le brave garçon qui l'avait choisi pour
l'amour de sa mère et de sa soeur n'était pas d'une nature fort robuste.
Du jour où il dut chaque matin prendre place, pendant plusieurs heures,
devant la bouche ardente du fourneau, au lieu de n'y venir que pour
suppléer d'aventure l'ouvrier auquel on l'avait donné pour aide, sa
santé s'altéra. Et la mère s'en apercevant:

«Cette profession te tuera, disait-elle alarmée; il faut la quitter.

--Mais alors comment vivrons-nous? répliquait le brave enfant.

--A la garde de Dieu! soupirait la mère.

--Eh bien! nous verrons, mère; nous verrons.»

Et toujours le gentilhomme verrier retournait à ce fourneau, qui lui
brûlait le sang, qui lui desséchait les poumons.

Mais un matin il lui fut impossible de descendre du lit, où il s'était
couché, exténué, la veille; et le médecin qui lui donna des soins
pendant les deux mois que dura sa grave maladie, déclara que, s'il
retournait à la verrerie, une rechute prochaine l'emporterait
inévitablement.

«C'est bien! fit alors le jeune homme; je n'y retournerai pas.»

La mère l'embrassa pour cette bonne résolution. Et toutefois elle
pouvait se dire: «Comment vivrons-nous?»

Le jour même où il remit pour la première fois le pied dehors, sa mère,
qui le regardait de la fenêtre, le vit entrer dans une maison voisine,
qui était celle d'un tisserand. Puis il revint auprès de sa mère, et lui
dit: «Je ne peux plus être verrier, je serai tisserand.»

Et la mère de s'écrier: «O mon enfant, y penses-tu?» Car elle n'avait
pas encore secoué les préjugés de sa caste.

«Il faut vivre, mère.

--Mais, mon fils!...

--Ce sera déroger, je le sais; mais j'ai appris à une rude école que
tout travail doit être également noble, qui fait qu'on ne doit qu'à soi
le pain de chaque jour. Le titre d'honorable artisan vaut bien, après
tout, celui de noble mendiant.»

Sa mère l'embrassa de nouveau, les yeux mouillés.

Et le jeune homme devint bientôt un habile faiseur de toile, comme il
était devenu un excellent souffleur de verre; et sa famille fut encore
préservée de la misère.

Il perdit, en effet, sa qualité nobiliaire; car ses compagnons, les
gentilshommes verriers, furent les premiers à constater et à dénoncer
l'acte de dérogeance qu'il avait commis. Mais il les laissa dire et
faire; et, tout en poussant sa navette, il ne tarda pas à acquérir dans
le pays aisance et considération. Devenu roturier, il maria sa soeur
avec un honnête roturier, qui la rendit heureuse. Puis il épousa, lui
aussi, une honnête roturière; et il trouvait le bonheur à voir croître
et prospérer, sous les yeux de leur grand'mère, qui coulait près de
lui une tranquille vieillesse, toute une fraîche nichée de marmots
tapageurs.

On n'avait plus jamais entendu parler du fils aîné. On le croyait mort.
La mère l'avait pleuré.

Voilà qu'un jour, un beau jour d'été, la femme du tisserand venait de
poser, sur la nappe blanche d'une table dressée à niveau de la fenêtre
ouverte, un vaste plat de terre, où un magnifique carré de mouton fumait
sur un lit de choux odorants.

En ce moment se trouvait de passage dans la rue certain soudard à la
casaque fripée, au feutre gras, au plumet décoloré, aux bottes quelque
peu avachies, dont le talon oblique se hérissait de longs éperons
rouillés. (Il est bon de vous dire qu'à l'époque où cette histoire se
passait, les armées n'avaient aucun caractère régulier. Lorsque la
guerre pour laquelle on les avait rassemblés était finie, les soldats
sans ouvrage devenaient le plus souvent des espèces de vagabonds,
demandant à l'aventure le vivre, le gîte... et le reste.)

Or l'homme d'épée, lorgnant l'appétissante victuaille:

«Corbleu! fit-il comme se parlant à lui-même, mais de façon à être bien
entendu, si les morts ne se réveillent pas à ce parfum, c'est qu'ils ont
le sommeil terriblement dur.

--Eh! seigneur cavalier, repartit franchement la femme avec un
bon sourire,--car elle avait compris, et elle était d'humeur
généreuse,--nous n'aurions que faire des morts à notre table, mais elle
est assez grande pour qu'un vivant de plus y puisse tenir sans nous
gêner.

--Bien dit, ma commère! fit le militaire en s'approchant sensiblement de
la fenêtre; mais le vivant pourrait craindre de paraître indiscret.

--Il aurait tort. Entrez donc, seigneur cavalier, entrez donc.»

Ce dialogue avait lieu avec accompagnement du clic-clac du métier qui
bruissait dans la maison. Comme l'affamé, tout en se dirigeant vers
le seuil, semblait encore hésiter, sans doute pour se donner une
contenance: «Eh! Jean! appela la femme, viens donc ici m'aider à faire
comprendre au seigneur militaire que nous serons aises de l'avoir pour
convive.»

Le tisserand vint, sa navette à la main, les manches retroussées, le
buste ceint du tablier de travail. Mais à peine eut-il jeté un coup
d'oeil sur l'étranger: «Eh! s'écria-t-il, avec un véritable transport de
joie, c'est Hector! c'est mon frère! Venez vite, mère, hâtez-vous! c'est
lui, il n'est pas mort! le voilà!»

Et, les bras tendus, il courut vers la porte pour être plus tôt dans les
bras de son frère. Mais quelle fut sa surprise de trouver devant lui le
soldat qui, se redressant fièrement dans son harnois déguenillé, lui dit
du ton le plus ironiquement dédaigneux: «Moi, votre frère! moi, le frère
d'un tisserand, d'un roturier! Ah! bonhomme, vous voulez rire! Je ne
vous connais pas. Il se peut qu'autrefois vous ayez porté le même nom
que moi; mais ce nom, qu'en avez-vous fait?...»

Certes, le tisserand était homme à savoir répondre; mais, comme un
saisissement fort explicable le rendait muet, une voix parla au lieu de
la sienne: celle de sa mère, qui était venue sur le seuil.

«Vous avez raison, seigneur cavalier, dit-elle. Jean le tisserand s'est
trompé quand il a cru reconnaître en vous un frère qu'il n'a pas vu
depuis longtemps. Je vous en demande pardon; car, en vérité, il ne
saurait y avoir rien d'honorable pour vous à être celui qu'il a nommé.
Celui-là, voyez-vous, était un mauvais coeur, un égoïste, qui, après
avoir honteusement dissipé le riche patrimoine dont il devait compte à
sa famille, n'a plus songé, la ruine venue, qu'à se mettre lui seul à
l'abri du besoin. Quand, pour le bonheur des siens, il a été parti,
son frère s'est dit qu'un nom aussi indignement porté ne pouvait plus
convenir à un honnête homme: et il l'a quitté pour en prendre un qu'il
a su faire noble et garder sans tache. Jean le tisserand s'est trompé;
excusez-le, excusez-nous, seigneur cavalier. Celui pour qui il vous
a pris est mort, bien mort: nous le savons maintenant. Suivez
tranquillement votre chemin, monsieur le gentilhomme: c'est ici une
pauvre maison roturière, où personne ne vous connaît.»

Et comme si rien d'étrange ne se fût passé, la mère referma la porte
en ajoutant: «Laissons cet homme.» Puis elle alla s'asseoir à sa place
accoutumée devant la table, et elle dit: «Mangeons.»

Mais, au lieu de venir auprès d'elle, le tisserand, qui avait écouté, et
qui n'avait pas entendu l'homme s'éloigner, alla doucement rouvrir la
porte. Le militaire était agenouillé, tête nue, sur le seuil; deux
ruisseaux de larmes inondaient ses joues hâves.

«Jean, dit-il humblement, veux-tu m'apprendre ton état?

--Ah! s'écria la mère, j'ai retrouvé mon fils!»

Et elle courut relever l'homme qui pleurait...

L'année d'ensuite, il y avait dans le pays un habile et laborieux
tisserand de plus. Et si, d'aventure, il arrivait qu'on lui demandât
s'il regrettait d'avoir fini par le travail:

«Plût à Dieu, répondait-il, que j'eusse commencé par là!»




UNE MOUCHE NOIRE


C'était un dimanche d'été, l'après-midi, à la campagne. Il y avait
nombreuse société causant sous les marronniers.

Une dame, assise à côté de moi, se levant tout à coup d'un air effrayé:

«Voyez donc, me dit-elle, cette grosse vilaine mouche noire qui ne fait
qu'aller et venir autour de moi; elle veut me piquer! Chassez-la, je
vous prie.

--Rassurez-vous, Madame, dit un vieux monsieur qui avait regardé
l'insecte de près, ce n'est pas à vous qu'en veut la brave petite bête.

--Brave petite bête! répéta la dame, tout étonnée de cette qualification
sympathique.

--Eh! oui, fit le vieux monsieur; car j'ai l'honneur de vous présenter,
en la personne de cette «vilaine petite mouche noire», une excellente,
une laborieuse mère de famille essentiellement occupée de rétablissement
d'un de ses enfants. Reculez un peu votre chaise, asseyez-vous et
observez. Je crois que vous ne regretterez pas le temps consacré à cette
observation.

--Il n'y a rien à craindre, au moins?

--Rien du tout, je vous jure.»

Sur ces mots, la mouche noire devint l'objet de l'attention simultanée
de huit ou dix couples d'yeux qui ne perdaient pas un seul de ses
mouvements.

Et voici ce que virent ces yeux:

La mouche, un insecte au corselet noir velu, portant quatre ailes de
gaze sombre réticulée, et un long abdomen en poire taché de roux, la
mouche, mordant à même dans un petit tertre sablonneux, prenait avec ses
mandibules une petite boulette de terre, dont elle allait se débarrasser
à quelque distance, puis elle revenait à la charge, et de nouveau
transportait au loin les matériaux arrachés du sol à l'aide de ses
mâchoires.

Il était évident que l'animal avait pour but le creusement d'un petit
souterrain.... Et Dieu sait avec quelle fiévreuse activité l'opération
était conduite!

Voyage sur voyage: en moins de dix minutes, le petit tunnel était assez
avancé pour que l'ouvrière s'y pût enfoncer d'au moins deux fois la
longueur de son corps, qui cependant ne devait pas mesurer moins
de trois centimètres. Arrivée à ce point du travail, elle entra et
ressortit deux ou trois fois sans rien rapporter: on eût dit alors
qu'elle essayait si la circulation était commode à l'intérieur du
souterrain. Puis elle chercha dans le sable des environs un petit
caillou de la grosseur d'une graine de chènevis, qu'elle prit et vint
placer à l'entrée, puis un second, un troisième... et ainsi de suite,
jusqu'à ce que le trou fût complètement dissimulé sous cet entassement
rocailleux.

Cela fait, elle prit son vol et disparut.

«Voilà qui est achevé sans doute, dit un des spectateurs.

--Oh! non pas, fit le vieux monsieur; attendez....»

Nous n'attendîmes pas longtemps.

La grosse mouche revint, moitié volant, moitié marchant, portant
ou plutôt traînant une chenille verte, qu'elle déposa à quelques
centimètres de l'entrée close.

Le vieux monsieur nous fit remarquer que cette chenille, quoique fraîche
et dodue, ce qui indiquait qu'elle devait être bien vivante, semblait
engourdie, car elle gisait étendue là comme un bloc inerte. «Elle est,
nous dit-il, dans un état analogue à celui d'une personne _éthérisée_:
vie parfaite, mais complète insensibilité.»

Il la toucha, la piqua du bout d'un brin de paille, sans que le moindre
frémissement se manifestât dans la masse charnue de la malheureuse
larve.

«La cause de ce singulier effet? demanda l'un de nous.

--La mouche l'a piquée, et, soit qu'elle ait su trouver pour la blesser
un nerf dont la lésion produit l'insensibilité de tout l'organisme,
soit qu'elle ait fait couler dans la plaie une gouttelette de liqueur
stupéfiante, cette chenille est littéralement en léthargie.

--Mais dans quel but?

--Patience, regardez.»

La mouche noire était tout occupée à tirer de côté, un à un, les petits
blocs de pierre dont, un instant auparavant, elle avait fermé l'orifice
de la galerie creusée par elle. La travailleuse, ne s'octroyant aucun
répit, eut bientôt fait place nette. Puis elle revint vers la chenille,
qu'elle saisit par la tête et qu'elle eut bientôt entraînée dans le
souterrain, où elle disparut avec elle.

Pendant que nous attendions sa sortie:

«Tout ce que vous avez vu faire, nous dit le vieux monsieur, a été fait
en vue d'un seul oeuf, que la mouche pond et fixe en ce moment sur le
corps de la chenille.

«Le ver qui, dans quelques jours, naîtra de cet oeuf, animal carnassier
par excellence, aura besoin d'une proie vivante. Cette proie, il la
trouvera dans le corps de la chenille immobilisée par la piqûre de sa
mère. Il s'en nourrira pendant la première période de sa vie. A la suite
d'une métamorphose, il quittera l'obscur séjour pour la vie aérienne. A
cette époque-là, la mère mouche sera morte depuis longtemps. De telle
sorte qu'elle aura travaillé avec l'unique visée de venir en aide aux
premiers besoins d'un enfant qu'elle ne doit pas connaître et qui ne la
connaîtra pas. Savez-vous rien de plus touchant parmi les hommes,
qui prétendent volontiers au privilège exclusif des sentiments
désintéressés?

--La voilà! la voilà!»

Ces exclamations saluaient la réapparition de la mouche, qui, à peine
sortie du trou, s'était déjà remise en devoir d'entasser de nouveau à
l'entrée les rochers qu'elle avait laissés aux alentours.

Par-dessus les blocs, elle repoussa soigneusement le sable à l'aide de
ses pattes, jusqu'à ce que rien, dans l'aspect de ce lieu, ne pût faire
supposer qu'une cavité y avait été pratiquée.

Elle voltigea ensuite un instant au-dessus du tertre, comme pour
s'assurer d'en haut qu'aucun indice ne divulguait l'existence du
précieux dépôt confié par elle à ce coin de terre. Puis elle s'élança
vers le ciel, où nous l'eûmes bientôt perdue de vue.

Pendant que nous la suivions encore du regard, le vieux monsieur était
allé prendre dans un coin du jardin une de ces petites houlettes de fer
qui servent à la transplantation, et l'ayant enfoncée obliquement un peu
en avant du souterrain, il pesa sur le manche de l'instrument.

Le fer ramena au jour la chenille, au flanc de laquelle était attachée
une mignonne perle blanche allongée.

«Voilà l'oeuf, fit le vieux monsieur; vous voyez, je vous le disais
bien: tout ce travail pour une mouche à naître. Il n'y a qu'un oeuf,
rien qu'un.

--Remettez-le! remettez-le!» criâmes-nous d'une commune voix, car cette
idée nous eût été pénible à tous de réduire à néant l'oeuvre qui avait
coûté tant de peine à la mouche noire.

Un nouveau petit trou fut donc creusé, dans lequel la chenille et l'oeuf
qu'elle portait furent glissés délicatement, et dont on ferma rentrée
avec grand soin, comme avait fait la mouche.

Et pendant toute la soirée il ne fut question que de cette mère à la
fois si prévoyante, si active et si industrieuse.

Le vieux monsieur nous dit que cette mouche, d'ailleurs assez commune
dans nos pays, a reçu des entomologistes le nom d'_ammophile des
sables_. Il ajouta qu'elle appartient à l'ordre des hyménoptères, à la
famille des fouisseurs et au groupe des sphégides.




COURAGE ET TÉMÉRITÉ


Pour arriver plus tôt, afin de sauver son jeune frère qu'il venait de
voir tomber dans une mare, où il allait périr, le petit Claude s'élança
un jour de la fenêtre du premier étage. Grâce à Dieu, il sortit sain et
sauf de cette périlleuse prouesse et ramena son frère, vivant, sur le
bord.

Comme on le félicitait de sa généreuse action: «Ah! le beau miracle! se
prit à dire jalousement André, son cousin. J'ai bien sauté de plus haut,
moi, l'autre jour. Vous savez la grande échelle du fenil? Eh bien! je ne
m'y suis pas pris à deux fois. D'un bond: hop! Et je n'ai rien de cassé,
moi, non plus.

--Tu as fait cela? demanda le père du jaloux.

--Oui.

--Et dans quel but t'exposer si follement?

--Pour m'amuser, pour prouver que je n'ai pas peur.

--Ah! oui!»

Le père, irrité de la sotte gloriole de son fils et du mauvais sentiment
qui l'avait porté à essayer de s'en faire honneur, vint droit à lui, et,
le prenant par l'oreille, il lui apprit à ne plus confondre le courage
utile et la sotte témérité.


FIN




TABLE


La Fête du maître d'école

La Bête au bon Dieu

La Pierre qui tourne

Le Gentilhomme verrier

Une Mouche noire

Courage et témérité







End of the Project Gutenberg EBook of Sous les marronniers, by Eugène Muller

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUS LES MARRONNIERS ***

***** This file should be named 11905-8.txt or 11905-8.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        https://www.gutenberg.org/1/1/9/0/11905/

Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed
Proofreaders. This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr.


Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties.  Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark.  Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission.  If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy.  You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research.  They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks.  Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
https://gutenberg.org/license).


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
compressed (zipped), HTML and others.

Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
the old filename and etext number.  The replaced older file is renamed.
VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
new filenames and etext numbers.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
are filed in directories based on their release date.  If you want to
download any of these eBooks directly, rather than using the regular
search system you may utilize the following addresses and just
download by the etext year. For example:

     https://www.gutenberg.org/etext06

    (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
     98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)

EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
filed in a different way.  The year of a release date is no longer part
of the directory path.  The path is based on the etext number (which is
identical to the filename).  The path to the file is made up of single
digits corresponding to all but the last digit in the filename.  For
example an eBook of filename 10234 would be found at:

     https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234

or filename 24689 would be found at:
     https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689

An alternative method of locating eBooks:
     https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL