Le jour du Seigneur

By Ernest Hello

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Title: Le jour du Seigneur

Author: Ernest Hello

Release date: November 23, 2024 [eBook #74785]

Language: French

Original publication: Paris: Victor Palmé

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE JOUR DU SEIGNEUR ***





  ERNEST HELLO

  LE JOUR
  DU
  SEIGNEUR

        Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat.
        (Ex., XX, 8.)


  PARIS
  VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
  25, RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN.

  1872




  LE JOUR
  DU
  SEIGNEUR

  PAR
  ERNEST HELLO

        Souviens-toi de sanctifier le Jour du Seigneur.

        Le septième Jour est le Sabbat du Seigneur ton Dieu. Ce jour-là
        tu ne travailleras pas, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton
        serviteur, ni ta servante, ni ton cheval, ni l’étranger qui est
        entre les portes.

        (Ex., XX, 8, 9.)


  PARIS
  VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
  RUE DE GRENELLE-SAINT-GERMAIN, 25

  1871




PRÉFACE


Après un tremblement de terre, les survivants se regardent avec
étonnement. Mille sentiments très-serrés les uns contre les autres,
surgissent en un instant sur le même point du temps et de l’espace.

Voici l’une des expressions confuses, indéterminées, rapides et ardentes
qui se font jour, dès que le jour devient possible, dans les âmes
épouvantées:

«_Comment vivrons-nous désormais?_»

Une immense catastrophe exige et promet quelque immense rénovation. Il
semble impossible de suivre, après l’abîme, la route ancienne qui a mené
à l’abîme. Les discours ont été inutiles. L’autorité des faits semble
imposer une rénovation. L’esprit s’ouvre à la fois aux désespoirs les
plus profonds et aux espérances les plus audacieuses.

Tout est perdu, à moins que tout ne soit sauvé.

Une seule chose paraît impossible, c’est la continuation du passé.

Cette chose est précisément la seule qui se soit réalisée.

Examinez les âmes; examinez les livres; examinez les journaux. Chacun
pense ce qu’il pensait, chacun dit ce qu’il disait, chacun est ce qu’il
était.

Comme l’eau qui se referme, après l’immersion d’une pierre lancée et
engloutie, la foule s’est refermée sur les événements avec indifférence.
Elle n’a rien appris et rien oublié.

Le 13 mai 1867, j’écrivais dans l’_Univers_, quelques jours après sa
réapparition:

«La nécessité suprême de Jésus-Christ est descendue du domaine de la
contemplation dans le domaine des faits.»

«Le christianisme n’est plus seulement la nécessité morale du monde; il
est devenu la nécessité matérielle. Elle est si pressante, cette
nécessité, qu’on oserait dire qu’elle est l’unique _expédient_. Les
palliatifs sont épuisés. La vérité seule est praticable. Il n’y a pas
pour ce monde-ci et pour l’autre deux sauveurs différents. Il n’y en a
qu’un: c’est Celui qui parlait, il y a dix-huit cents ans, à Marthe et à
Marie.»

Il est impossible de parler aujourd’hui, sans répéter ce que nous
disions alors. Seulement la vérité qui semblait hardie en 1867, est
devenue évidente en 1871.

Évidente!... Et cependant rien n’indique nulle part aucune disposition à
ouvrir les yeux et les oreilles.

Le _Journal des Débats_, par exemple, comprend-il mieux, même après
l’événement, les paroles que nous lui adressions avant l’événement? Non.
La fermeture de ses bureaux ne lui a pas révélé les conditions
spirituelles de son existence, même matérielle. Il n’a pas compris qu’il
est protégé, même dans ses intérêts les plus palpables, par les vérités
qu’il combat.

Puisque la surdité des hommes est à l’épreuve de la foudre, comment ne
serait-elle pas à l’épreuve de ma voix?

Leurs précautions sont si parfaitement prises contre la lumière et
contre la parole, que toutes les charités et toutes les haines, tous les
pardons et tous les incendies, toutes les sollicitations et toutes les
fureurs, tous les souffles et tous les tonnerres meurent à leur porte,
sans troubler leur sommeil.

Ils sont mieux trempés qu’Achille, leur talon n’a pas été oublié. Toutes
les parties d’eux-mêmes sont également bien garanties contre les
blessures de la vérité.

Ils ont fait un pacte avec les ténèbres, et _les cas de force majeure_,
qui déchirent tous les traités, n’ont pas déchiré celui-là.

Chacun traîne sa vieille chaîne; le sang ne l’a pas rouillée; le feu ne
l’a pas fondue.

Puisque chacun répète son erreur, répétons notre vérité. Nous disions,
il y a plus de quatre ans:

  «Quand la tempête s’élève, le matelot se souvient. Le matelot qui tout
  à l’heure buvait en jurant, se trouve d’accord avec une carmélite qui
  est en oraison à mille lieues de là...»

  «Les sifflements du vent sont terribles: le navire est bien léger, la
  mer est bien profonde, et l’éternité bien inconnue. Cette nécessité
  spirituelle, que la tempête révèle aux matelots, tout la révèle à tous
  aujourd’hui!»

Ceux qui se moquaient ont persisté. Ils verront un jour le Nom et la
Face qui étaient l’objet de leurs moqueries.

Nous exhortions les hommes à la ressemblance du matelot et nous
ajoutions:

  «Ou tout croule et vous mourez.»

C’était le dernier moi de l’article.




LE

JOUR DU SEIGNEUR




PREMIÈRE PARTIE


I

Et Dieu dit à Adam:

Tu mangeras de tous les fruits du Paradis.

Mais tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du
mal.

Le Jour où tu en auras mangé, tu

  MOURRAS DE MORT[1].

  [1] Gen. II, 16, 17.

Et Dieu parla à Moïse, disant:

Parle aux fils d’Israël et dis-leur:

Veillez à garder votre Sabbat parce qu’il est le signe entre moi et vous
dans vos générations: afin que vous sachiez que je suis le Seigneur qui
vous sanctifie.

Gardez mon Sabbat, car il est saint.

Celui qui l’aura violé,

  MOURRA DE MORT[2].

  [2] Ex. XXXI, 13, 14.

Ainsi les deux défenses sont faites dans les mêmes termes:

Tu mourras de mort.

Il mourra de mort.

                   *       *       *       *       *

Et Dieu insiste:

Vous travaillerez six jours. Le septième est le Jour du Sabbat, le repos
consacré au Seigneur.

Celui qui aura travaillé ce Jour-là

  MOURRA.

Les mystères abondent ici.

Nous sommes entourés d’étonnements.

Commençons par celui qui est le plus accessible à l’esprit humain, et
étonnons-nous d’abord de l’oubli où ces paroles sont laissées.

                   *       *       *       *       *

_La peine de mort, en tant que peine légale et judiciaire appliquée par
l’homme à la violation du Sabbat, est abolie._

                   *       *       *       *       *

Nous parlons ici de la peine de mort dont Dieu se réserve à lui seul
l’application. Cette mort mystérieuse, dont la menace dure toujours, est
directement donnée par la main de Dieu qui pénètre partout, au ciel, sur
la terre et en enfer, et que personne ne peut fuir.

                   *       *       *       *       *

La première sentence a été portée contre Adam et le genre humain. La
menace a été suivie d’effet.

Le châtiment est trop énorme pour pouvoir être raconté ou pensé. Il est
universel, il est terrible. Il pèse sur nous d’un poids qui ne se peut
pas dire.

Or, la même formule, la même sentence est prononcée dans les mêmes
termes une autre fois.

Il semble que le genre humain n’aura pas assez de toutes ses forces, de
tout son esprit, de tout son cœur et de toute son âme pour écouter et
pour trembler.

Non, le genre humain ne fait aucune attention: il ne remarque même pas
que la même bouche a proféré les deux sentences.

                   *       *       *       *       *

L’homme a confondu le Dimanche avec les autres jours, comme Adam avait
confondu l’arbre fatal avec les autres arbres.

Le premier châtiment n’a pas même éveillé l’esprit de l’homme sur la
seconde menace.

                   *       *       *       *       *

Il ne faut pas lâcher prise, il faut constater solennellement, il faut
regarder en face ce fait.

                   *       *       *       *       *

La catastrophe paradisiaque a un pendant dans l’histoire.

Dieu s’est servi deux fois des mêmes termes. Il a fait deux fois la même
menace, se servant des mêmes paroles, pour _se réserver une certaine
chose_.

Et l’épouvantable suite de la première transgression n’ouvre pas les
yeux des hommes sur les suites de la seconde.

Et le voile qui est devant leurs paupières les empêche même d’écouter la
seconde menace, et de constater son identité avec la première, identité
qui semblerait frappante au point de vue de l’érudition, si elle n’était
pas si importante, si décisive, si capitale au point de vue de la vie.

Cette chose qui donne la mort n’a pas l’air d’intéresser les hommes.

                   *       *       *       *       *

Ou je me trompe infiniment, ou l’identité des deux menaces découvre
entre les deux objets de la menace, entre les deux attentats, quelque
lien trop mystérieux pour nos esprits, trop subtil pour nos yeux. Il
doit y avoir là quelque prodige dont la vue nous entraînera quelque jour
à des ravissements inespérés.

                   *       *       *       *       *

Les moins sagaces, les moins pénétrants d’entre les hommes n’ont pu
s’empêcher de remarquer en France que depuis le commencement des
désastres les cloches du Dimanche ont sonné pour la nation de Jeanne
d’Arc le glas funèbre.

La persistance des coups de tonnerre à éclater toujours le Dimanche
frappait tous les regards.

Forbach, Sedan, capitulation de Metz, capitulation de Paris... toutes
les catastrophes mettaient, à s’afficher le Dimanche, une certaine
affectation.

Combien de murailles en France, combien de monuments construits le
dimanche ont été couverts le dimanche par les dépêches fatales!

Combien de murs construits sous les yeux des passants le jour du
Seigneur ont étalé le même jour, aux yeux des mêmes passants, l’histoire
des ruines qui se faisaient!


II

Ce monde est si bas qu’il abaisse les choses en les touchant.

Il possède la triste puissance de réduire à ses proportions mesquines
les pensées les plus sublimes, et ce qui est au-dessus des pensées.

Il touche avec son équerre les sommets que son œil ne voit pas,
abolissant du même coup la gloire du sanctuaire, et l’horreur du péché,
il essaie de passer le niveau, sur les montagnes, sur les vallées et sur
les abymes.

Parmi les mystères qu’il a le plus capricieusement et le plus bassement
ignorés et profanés, il faut citer le repos du Dimanche.

Il a fini par le regarder, dans sa hideuse bonne foi, comme une
ordonnance de police tombée en désuétude, comme l’ordonnance surannée
d’une police surannée.

Nous rendons à César ce qui est à César. Je voudrais essayer,
aujourd’hui, de rendre à Dieu ce qui est à Dieu.

                   *       *       *       *       *

Parmi les crimes humains, il en est dont la punition semble indéfiniment
ajournée ou voilée, il en est d’autres dont le châtiment semble se
manifester avec un peu plus de promptitude et un peu plus d’évidence.

Parmi ces derniers, il faudrait citer, si je ne me trompe, les crimes au
moyen desquels l’homme met la main sur le domaine réservé du Seigneur.

                   *       *       *       *       *

Je n’entre qu’avec un certain tremblement dans les profondeurs qui
s’ouvrent ou plutôt qui s’entr’ouvrent, devant mes regards.

                   *       *       *       *       *

Les paroles de Dieu sont des actes.

Saül avait été changé en un autre homme, suivant la parole de Samuel. Il
avait été élu et sacré. Sacré roi sur Israël, élu roi des Élus. Mais il
garde pour lui, après la défaite d’Amalec, ce qui appartenait à Dieu. Il
garde les plus beaux troupeaux; le butin le tente, l’apparence le
trompe, il ne se souvient plus du rôle mystérieux des troupeaux dans
l’histoire des patriarches. Il ignore ou il oublie les brebis de Laban.
Il porte la main sur des créatures que le créateur avait voulues pour
lui. Il est rejeté!

Ce n’est pas tout. Samuel compare son attentat à l’idolâtrie, bien que
la relation de ces deux crimes, invisible au premier coup d’œil, réside
dans le mystère qui nous occupe ici.

L’histoire se sert contre lui de cette parole terrible et mystérieuse
qu’elle emploie si rarement et par laquelle elle semble appuyer de force
notre attention sur l’incompréhensible:

Dieu, dit le livre saint, se repentit d’avoir choisi Saül! Et Saül se
précipita sur un glaive et se perça et son écuyer se précipita sur un
glaive et ses trois fils périrent, dans le même moment.

Saül avait attenté à la réserve du Seigneur.

Or Dieu s’était déjà repenti. Il s’était repenti d’avoir fait l’homme,
et le déluge était venu.

Les repentirs de Dieu sont choses terribles.

Nous nous sommes écartés en apparence du septième Jour. En réalité nous
ne le quittons pas. Nous parlons des choses réservées à Dieu.

Parmi le tonnerre et les éclairs du Sinaï, la voix terrible avait dit à
Moïse:

«Souviens-toi de sanctifier le Jour du Seigneur:

«Le septième Jour est le sabbat du Seigneur ton Dieu. Ce jour-là tu ne
travailleras pas, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni
ta servante, ni ton cheval, ni l’étranger qui est entre les portes.

«Car le Seigneur a fait en six jours le ciel et la terre et la mer et
tout ce qu’ils renferment, et s’est reposé le septième Jour. C’est
pourquoi il a béni le sabbat et l’a sanctifié[3].»

  [3] Ex. XX, 8, 9, 10.

                   *       *       *       *       *

Or, le septième Jour, tombèrent au son des trompettes de Josué les
murailles de Jéricho (le septième Jour: tant il est vrai que je ne sors
pas de mon sujet).--La chute des murs de Jéricho était le repos
d’Israël.

Que cette cité soit Anathème, dit Josué, et que tout ce qu’elle renferme
soit au Seigneur!

Le mot: _Anathème_ est un des mots les plus mystérieux de l’Écriture.
L’usage le prend toujours en mauvaise part. Mais l’usage se trompe.
Anathème veut dire: Consacré.

L’Anathème est consacré au Seigneur, soit à sa justice, soit à sa
miséricorde, soit à sa sainteté; _sacer esto_. Le mot _sacré_ est celui
qui s’écarte le moins du terrible: HORMA.

La Vierge est dite: _Anathème_ parce qu’elle appartient tout entière à
Dieu, absolument, sans restriction, sans tache et sans réserve.

Dans la _Biblia Mariana_, nous trouvons à propos de Josué, au mot
_Anathème_:

«La consécration faite par Josué de la première ville qu’il prit dans la
terre de Canaan est le symbole de la Vierge Mère consacrée qui offrit au
Seigneur Jésus sa première demeure terrestre. Le démon ayant une part
quelconque, grande ou petite dans les autres personnes humaines, la
Vierge est totalement et absolument la réserve sans tache du Seigneur
Dieu (Mendoza, 1er Reg. IV, vers. 11 et 12).»

                   *       *       *       *       *

Israël est vaincu. Josué ne comprend pas. Lui l’homme de la victoire,
l’homme de la terre promise, l’héritier du serment, lui qui a fait
sentir aux astres le poids de sa parole, il est vaincu. Il demeure
ébloui devant l’horrible merveille de sa défaite. Il reproche à Dieu ses
faveurs et le Jourdain traversé.

Couvert de cendre, les vêtements déchirés, il se jette à terre en
rugissant devant l’arche sainte.--Le soir vient. Josué ne se relève pas.
Les vieillards d’Israël sont prosternés avec lui. Et il criait sans
s’arrêter.

Lève-toi, dit le Seigneur, pourquoi restes-tu là, couché à terre?

Israël a péché et prévariqué. Il a touché à l’Anathème.

Quelqu’un, à l’insu de Josué, avait mis la main sur la réserve du
Seigneur.

Balthazar ne faisait sans doute point les premiers pas dans la voie du
crime, mais il but une certaine nuit dans les vases sacrés et cette
nuit-là:

_Apparuerunt digiti._

Trois mots furent écrits sur la muraille.

_Mane, thecel, phares._

                   *       *       *       *       *

C’était les vases d’or et d’argent qui venaient du temple de Jérusalem;
c’était la réserve du Seigneur.


III

La réserve de Dieu!

Voici peut-être un des mystères les plus profonds et les plus oubliés
qu’il y ait.

Peut-être ce mystère est-il un des plus remplis de lumière, car il est
un des plus remplis d’ombre.

Plus un mystère est impénétrable, plus il est éblouissant.

Plus il est impénétrable en lui-même, plus il pénètre les choses
extérieures; plus il est obscur en lui-même, plus il jette la lumière
hors de lui.

En toutes choses, Dieu s’est choisi une réserve.

Quand Dieu a placé Adam dans le Paradis, il lui a donné tous les fruits
excepté un.

En Jésus-Christ, disent les écrivains ascétiques, Dieu qui donnait son
fils aux hommes, s’est réservé la profondeur inconnue de sa vue
intérieure, sa plus secrète, sa plus inouïe, sa plus ineffable, sa plus
profonde adoration.

Ni les hommes, ni les anges n’ont vu le fond de ce cœur. Dieu se
réservait à lui seul ce secret.

Après le Déluge, Dieu donne à Noë, tous les animaux comme à Adam tous
les fruits: car, la viande devenait utile à l’homme; mais l’exception
suit la loi comme l’ombre suit le corps, excepté ceci:

Vous ne mangerez pas la chair avec le sang, et dans le Lévitique: celui
qui aura mangé le sang mourra.

                   *       *       *       *       *

Tous les fruits étaient permis, excepté un.

L’attentat est consommé; toutes les filles d’Ève sont conçues dans le
péché excepté UNE.

Le fruit défendu était une exception dans l’Éden. La conception
souillée, qui est la loi introduite par le péché, rencontre une
exception en dehors de l’Éden, et voici la Vierge Marie.

Admirez le parallélisme!

Il n’y avait qu’un fruit défendu, et après la catastrophe paradisiaque,
il n’y a qu’une femme conçue sans péché.

Dieu, disent les écrivains ascétiques, s’est reposé en Marie. Il voulait
pouvoir dire à une fille d’Ève:

Tu es toute belle, ma bien-aimée, et aucune tache n’est en toi.

Il voulait qu’une préservation absolue lui réservât intégralement celle
qui devait être VIERGE au delà de toute idée.

Il voulait que la Vierge fût dans le cas inconnu et mystérieux que la
tradition catholique connaît et proclame.

Il voulait qu’elle fût l’anathème (c’est-à-dire place loin de).

L’anathème est dans le désert, et saint Jean a vu la femme voler dans
son lieu, voler au désert, portée par deux grandes ailes d’aigle.

Et il l’a vue un dimanche.


IV

Dieu a donné aux hommes tous les jours de la semaine, et il s’en est
réservé UN.

C’est ce jour-là que le disciple que Jésus aimait, le disciple
privilégié et exceptionnel, celui qui _seul_ avait dormi sur la poitrine
de Jésus, et présenté, pendant la dernière cène, une image du repos
profond, c’est ce Jour-là que saint Jean eut la révélation sublime faite
de foudre, d’éclairs et d’obscurités transparentes.

Lui, si sobre de paroles, il nous avertit, au commencement de
l’Apocalypse, qu’il fut en _Esprit_ un Dimanche!

                   *       *       *       *       *

L’Apocalypse fut le repos de saint Jean.

                   *       *       *       *       *

Du haut de la montagne où nous sommes placés, notre regard se promène,
mais il se concentre en même temps. Il se promène sur les personnes et
les choses que Dieu s’est réservées, et il se concentre sur le Jour de
son repos sacré et redoutable.

Ainsi, de quelque côté que nous promenions nos regards, nous rencontrons
cette vérité qui semble être la loi des lois:

Toute loi a une exception.

                   *       *       *       *       *

Dieu donne aux hommes les choses qui sont du domaine de la loi, et se
réserve celles qui sont du domaine de l’exception.

Ne touchez pas au domaine réservé.

Marie a pris la meilleure part qui ne lui sera point enlevée.


V

Ce disciple, qui s’appelait lui-même le disciple bien-aimé, va au
sépulcre du maître avec un autre disciple qui a un autre privilége.

Tous les hommes peuvent se tromper, excepté UN. Pierre est infaillible,
et voici encore, sous un jour nouveau, la réserve du Seigneur.

Tous les hommes qui ont quitté la terre sont morts. Mais Élie et Énoch
ont quitté la terre sans goûter la mort.

Énoch veut dire _consacré_.

Cette loi qui domine les lois, et qui veut au moins une exception, nous
suit partout dans notre voyage.

                   *       *       *       *       *

Les six jours tombent sous le domaine des lois.

Le Dimanche est le sanctuaire réservé.

                   *       *       *       *       *

Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.

                   *       *       *       *       *

Parole terrible! Loi dure qui appelle une exception. Et le Dimanche
répond à l’appel.

                   *       *       *       *       *

Ceux qui se présentaient devant Assuérus, avant d’être appelés par lui,
encouraient la peine de mort.

Mais Assuérus tend son sceptre d’or à Esther terrifiée et lui dit:

Cette Loi est faite pour tous, mais non pour vous.

                   *       *       *       *       *

La loi de la sueur est faite pour tous les jours, mais non pour le
Dimanche.


VI

La vie de Jésus-Christ sur la terre a été ce que le péché l’a faite,
terrible et dure au delà des paroles.

Cependant le Thabor a restitué un moment le Fils de l’Homme à la
splendeur.

Le Dimanche des Rameaux l’a restitué à la gloire.

Le Dimanche de Pâques l’a montré dans la Résurrection.

Et l’Église dit, en parlant de ce jour-là:

Voici le jour que le Seigneur a fait.

Elle nous présente Dieu comme étant l’auteur du Dimanche, et ayant sur
ce jour-là une autorité particulière.

                   *       *       *       *       *

Les élus verront Dieu, mais il y a néanmoins, au fond de lui, quelque
mystère réservé, quelque gloire inouïe, improbable, dit le père Faber,
qu’ils ne verront jamais. Ils l’adoreront, mais ils ne la verront pas,
et loin de s’opposer à leur bonheur, cette gloire éternellement inconnue
les ravira sans se montrer, dans une adoration suréminente qui portera
sur l’ineffable.

Même dans l’éternité, même pour les saints, même pour les anges, Dieu
garde sa réserve, son secret, son partage.

Plus le regard humain est profond et éclairé, plus il distingue
l’exception de la loi.

Plus il est grossier et corrompu, plus il tend à les confondre.

Plus l’homme est aveugle, plus le Dimanche s’efface devant lui. Le signe
posé par la main de Dieu n’est visible qu’à l’œil éclairé.


VII

_Ce jour sera le signe entre moi et vous._

Le signe est la marque de l’alliance.

Le signe!

Ainsi la profanation du Dimanche est un attentat contre l’alliance. Elle
efface le signe que Dieu a fait. Elle est le crime contre l’arc-en-ciel.

Le repos et l’Arche sont sans cesse rapprochés dans l’Écriture.

_Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuæ._

Le précepte du sabbat était contenu dans les tables de la loi, et les
tables de la loi étaient contenues dans l’Arche.

                   *       *       *       *       *

Souvenez-vous des Bethsamites frappés de mort parce qu’ils avaient jeté
sur l’Arche d’alliance un regard profane.

Souvenez-vous du roi frappé de mort pour l’avoir touchée.

Souvenez-vous du vieillard Héli qui tombe de cheval et meurt, apprenant
que l’Arche est aux mains des ennemis.

Souvenez-vous des Philistins qui ont peur de la garder, car elle
contient pour eux la mort.

Et rappelez-vous les paroles qu’entendit Adam et la parole qu’a entendu
Moïse:

                   *       *       *       *       *

«Le jour où tu auras mangé du fruit défendu tu mourras de mort.»

«Celui qui aura profané le jour du repos, mourra de mort.»

                   *       *       *       *       *

_Mea est ultio_[4], dit le Seigneur.

  [4] Deut. XXXII, 35.

                   *       *       *       *       *

La loi du pardon ne s’éclaire-t-elle pas ici, d’une grande lumière?

La vengeance est comptée parmi les trésors qui appartiennent en propre
au Seigneur. Elle est sa réserve et sa propriété.

«_Mea ultio._--La vengeance est ma chose. _Mihi vindicta._--La vengeance
m’appartient.

«_Nonne hæc condita sunt apud me et signata in thesauris meis._--Marquée
dans mes trésors.»

Celui qui se venge lui-même attente à la réserve du Seigneur.

_Si esurierit inimicus tuus, ciba illum, et si sitierit, da ei aquam
bibere_[5].

  [5] Is. LVI, 2.

                   *       *       *       *       *

_Prunas enim congregabis super caput ejus, et Dominus reddet tibi._


VIII

A travers la nuit des siècles, éclairée par la lueur des prophéties,
l’écho de la parole dite à Moïse retentit sur tous les sommets. Et,
partout, partout n’oublions pas de le remarquer toujours, c’est la
question de vie ou de mort qui est posée.

                   *       *       *       *       *

Bienheureux, dit Isaïe, l’homme qui fait cela et le fils de l’homme qui
sauvera ceci: Gardant le sabbat pour ne pas le violer, gardant ses mains
pour ne pas faire le mal[6].

  [6] Rom. XII, 20.

                   *       *       *       *       *

Ceux qui auront gardé mon sabbat et cherché ma volonté et observé mon
alliance, je leur donnerai place dans ma maison: Je leur donnerai un nom
éternel qui ne périra pas[7].

  [7] Is. LVI, 4, 5.

«Et la moisson sortira de la moisson et le sabbat du sabbat.

«Toute chair viendra pour adorer devant ma face, dit le Seigneur.

«Et ils sortiront, et ils verront les cadavres de ceux qui ont attenté
contre moi. Et leur ver ne mourra pas, et leur feu ne s’éteindra pas, et
ils seront offerts à toute créature pour rassasier ses yeux[8].»

  [8] Is., LXVI, 23, 24.

                   *       *       *       *       *

Et Jérémie:

«Voici ce que dit le Seigneur: «Gardez vos âmes, et ne portez pas de
fardeaux le jour du sabbat.»

«Si vous ne m’écoutez pas, si vous ne sanctifiez pas le sabbat, si vous
portez ce jour vos fardeaux......... Je mettrai le feu dans vos murs, et
il dévorera les maisons de Jérusalem, et vous ne pourrez pas
l’éteindre[9].»

  [9] Jér., XVII.

Les recherches de l’érudition moderne, faites autour de la mer Morte,
ont constaté une intéressante analogie entre le bitume et le soufre, par
qui périrent Sodome et Gomorrhe, et le pétrole que nous connaissons; les
procédés semblent les mêmes.

                   *       *       *       *       *

Et Ézéchiel:

«Je leur ai donné le sabbat pour être entre eux et moi le signe
d’alliance......... et ils ont violé le sabbat......... car leur cœur
courait après les idoles[10].»

  [10] Éz., XX, 12, 16.

Voici encore un mystère qui s’entr’ouvre, et que j’ai indiqué:

La violation du sabbat est assimilée à l’idolâtrie.

Dérober pour la créature ce qui appartient au Seigneur, c’est attribuer
à cette créature ce qui est divin, c’est la proclamer divine, c’est
l’idolâtrer.

Porter la main sur la réserve du Seigneur c’est le premier pas vers la
magie.

Qui sait par quelle série de crimes surhumains, l’homme ayant déserté le
sabbat du Seigneur a pu descendre jusqu’à la fréquentation de cet autre
sabbat qui est le lieu même de la magie, et dont le nom ressemble à une
épouvantable et infernale parodie de la chose trois fois sainte.

                   *       *       *       *       *

Écoutez la prière d’Esdras:

«J’ai dit aux lévites de se purifier, de venir garder les portes et de
sanctifier le jour du sabbat. _A cause de cela_, souvenez-vous de moi,
mon Dieu, et épargnez-moi selon la multitude de vos miséricordes!»

                   *       *       *       *       *

Antiochus interdit la solennité du sabbat et sentit en mourant qu’il
mourait puni.

La mort et la violation du sabbat sont deux compagnes qui ne se quittent
pas dans l’Écriture. Elles cheminent inséparables à travers les siècles
historiques.

                   *       *       *       *       *

Et un peu plus loin;

Quand Nicanor apprit que Judas Macchabée était aux environs de Samarie,
il songea à l’attaquer avec toutes ses forces le Jour du Sabbat.

Or, les juifs qui étaient contraints de le suivre, lui disaient:

Ne soyez pas si barbare, honorez le Jour du Seigneur, rendez gloire à
celui qui voit tout.

Ce malheureux demanda si celui qui a ordonné la sanctification du Sabbat
était puissant au ciel.

C’est le Dieu vivant, puissant au ciel, répondirent-ils, qui a ordonné
le repos du septième Jour.

                   *       *       *       *       *

Et moi, dit Nicanor, je suis puissant sur la terre. Et Jérémie le
prophète du Seigneur apparut en songe, au prêtre Onias et, dans le
songe, il donnait à Judas Macchabée un glaive de feu.

Judas Macchabée supplia le Seigneur d’envoyer à ses ennemis, la Peur qui
est à ses ordres, et lui et les siens en exterminèrent trente et un
mille, et dans une joie magnifique, ils sentirent la présence de Dieu.

La tête de Nicanor fut coupée, sa langue qui avait insulté le Jour du
repos fut donnée à manger aux oiseaux de proie.

Sa main fut suspendue au mur du temple.


IX

Les pharisiens, dans leur stupidité aveugle, opposèrent le Sabbat à
Jésus-Christ. Ils ne comprenaient pas ou ne voulaient pas comprendre que
le miracle en général et la guérison en particulier sont par excellence
l’acte du repos.

Jésus-Christ qui venait consommer et non détruire substitua l’esprit à
la lettre.

Sa résurrection transporta le repos du samedi au Dimanche.

Jésus-Christ a éclairé et exalté le jour du Seigneur. Il ne l’a pas
supprimé: La liberté de l’esprit l’a vengé de l’imbécillité pharisaïque
et restitué à l’espace de l’amour qui est le domaine des enfants de
Dieu.

La Messe, qui est l’Acte par excellence, est le précepte du Jour du
repos.

Le Dimanche est la figure de l’éternité sans crépuscule.

                   *       *       *       *       *

Celui qui est entré dans son repos se repose de ses œuvres, à
l’imitation de Dieu.


X

Le fait de la Salette est trop connu désormais pour être raconté ici.
Mais il faut remarquer que là comme partout, l’attentat contre le Nom du
Seigneur et l’attentat contre le Jour du Seigneur sont reprochés et
présentés tous deux comme deux sources de mort, prêtes à couler sur la
terre si...

Le terrible SI accompagne l’homme avec une fidélité redoutable. C’est
l’ombre qui suit le corps.

Le mystère de notre liberté se croise avec le mystère des volontés
divines.

L’histoire de Jonas est toujours suspendue sur nous comme un glaive à
deux tranchants.

                   *       *       *       *       *

Si la violation du Dimanche semble exciter la colère de Dieu contre une
nation, contre une société, contre un monde plus directement que les
autres crimes, c’est que cet attentat constitue de la part des hommes
une profession de foi publique d’athéisme. Tous les jours l’homme
individuel peut établir entre Dieu et lui les communications qui
constituent ce qu’on appelle en ce monde: la Religion. Mais le Dimanche
a été choisi et consacré par la main de Dieu pour être le temple
universel, l’autel social. Le Dimanche est le témoin officiel et
prédestiné, choisi, voulu, consacré, le témoin de la religion solennelle
par laquelle le ciel et la terre ont juré d’être unies.

Celui qui viole le Dimanche brise autant qu’il est en lui, les rapports
de Dieu et du genre humain. L’Apostasie publique est le grand attentat
qui renverse les peuples, et précipite dans l’abîme les nations
autrefois choisies. Jérémie parle à travers les siècles, et l’écho de sa
voix ne s’est pas perdu dans les vallées de la Palestine. Elle retentit
de montagnes en montagnes, criant toute génération.

_Quis enim miserebitur tui, Jerusalem?..._

D’autres crimes se cachent. La profanation du Jour sacré s’étale au
soleil. Elle fait orgie d’elle-même. Elle insulte Dieu à la face du ciel
et de la terre. Elle récolte comme elle a semé. Le crime a été public.
Le châtiment est public. Écoutez cette parole terrible et oubliée:

«Je vous disperserai dans les nations, je tirerai le glaive contre vous,
et votre terre sera déserte et vos cités détruites.

«Et la terre célébrera joyeusement son Sabbat, pendant tous les jours de
cette solitude.

«Pendant que vous serez sur la terre étrangère, la terre fera un long
Sabbat, et se reposera dans son désert, parce que vous ne lui avez pas
accordé le repos, au Jour du Sabbat, pendant que vous l’habitiez.
(Lévit. XXVI, 33, 34, 35).»

Quel châtiment profond et comme il sort des entrailles du crime! Avec
quelle intelligence la terre se venge et comme elle reprend avec usure
ce qu’on lui a refusé! Ses habitants lui ont refusé un jour de repos.
Elle les rejettera loin d’elle, et se reposera tous les jours, et elle
fera dans le désert la fête de son Sabbat, pendant qu’ils gémiront loin
d’elle, épouvantés, et celui qui servira tremblera en pays inconnus.


XI

Les six jours et le septième Jour ne ressemblent-ils pas aux deux femmes
qui reçurent chez elles Jésus-Christ?

Ce monde est plein de Dieu, et celui qui parle dans l’Apocalypse se
tient à la porte et frappe, cherchant qui veut ouvrir.

Les six journées font leur œuvre, qui doit être divine. Elles s’agitent
dans le domaine des choses multiples. Elles inventent, elles fabriquent,
elles placent, elles déplacent, elles remuent, elles forment, elles
déforment, elles agissent sur la matière, armées de l’intelligence, de
la force, de la science, du travail. Le nombre, le poids et la mesure
président à leurs opérations. Elles ont en main le compas, le ciseau et
l’équerre. Elles ont la pioche, elles ont la bêche, elles ont la
truelle, elles ont le marteau.

Elles fouillent la terre, elles déposent en elle le germe précieux que
plus tard elles récolteront, supérieurement grandi et multiplié par la
vertu de la chaleur et par la vertu de l’humidité, par la vertu de
l’_humus_ d’où l’homme tire son nom, par la vertu du soleil, d’où
l’homme tire sa lumière.

Elles creusent les bassins, elles élèvent les maisons, les palais, les
cités, les ponts et les chemins de fer. Elles percent la terre, elles
fendent les montagnes, elles préparent à l’Océan le navire qui sera son
maître, si Dieu le veut. Elles préparent à toutes créatures les
surprises, les secours, les inventions, les rapidités, les splendeurs,
et aussi les illusions, les défaillances et les déceptions de
l’industrie.

Elles soutiennent le poids énorme de la science, de la société, de
l’industrie. Elles font le jeu de tous les intérêts, et le conflit de
toutes les forces.

Et voyant leur sœur, la septième Journée, assise aux pieds du Seigneur,
et écoutant dans le repos sublime la parole qui contient la vie et qui
pénètre plus subtile que le glaive, dans le sanctuaire réservé, elles
disent:

Notre sœur ne fait rien, notre sœur la septième journée, notre sœur ne
nous aide pas.

Marthe, Marthe, répond la voix profonde qui sait, qui voit, et qui juge,
tu es occupée de beaucoup d’affaires. Cependant une seule chose est
nécessaire. Marie a pris la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée.

Les six journées préparent au Seigneur ses aliments; car tout ce qui
existe est fait pour nourrir sa justice ou sa miséricorde, sa colère ou
son amour.

Mais sa parole immuable a dit, dit et dira aux siècles qui passent et
aux siècles éternels, à ceux qu’on appelle les siècles des siècles:

Une seule chose est nécessaire, Marie a pris la meilleure part qui ne
lui sera point ôtée.

Elle ne lui sera point ôtée; car les six journées figurent le Temps, et
la septième Journée l’Éternité.

La meilleure part est celle qui ne finit pas, et le Jour du Seigneur,
qui l’a prise au vol par une sublime anticipation, pendant que les
horloges comptent encore les heures que doit durer ce monde, le septième
Jour la gardera dans la Jérusalem éternelle et triomphante, dans la
Jérusalem aux douze portes dont parle l’Aigle de Pathmos.

                   *       *       *       *       *

Si les six journées étaient plus clairvoyantes, au lieu de jeter sur le
Dimanche un regard malveillant, elles lui rendraient gloire. Elles
sauraient que le repos est la garantie, la consécration, la lumière et
la vie du travail.

Mais les affaires sont naturellement aveugles. Leur unique ressource,
pour se sauver, c’est de s’interrompre. Elles n’échappent à la cécité,
qui vient de leur multitude, que par le repos qui garantit et consacre
au milieu d’elles le droit inaliénable et sauveur de l’unité.

Mais pour apercevoir l’importance pratique du Dimanche, il faut avoir
conservé la vue.

Les importances accidentelles se révèlent à tout le monde.

L’importance essentielle ne se révèle qu’à ceux qui voient.

Mais les premiers, pour ne pas voir la sagesse n’en subissent pas moins
la mort; car la sagesse donne la mort toutes les fois qu’elle ne donne
pas la vie.

Le mépris qu’ils font de ses menaces ne les sauve pas de la ruine dont
elle les a menacés.

Mais, comme ils n’ont pas entendu la menace, ils ne comprennent pas la
catastrophe.

Le septième Jour, violé dans son repos, a brisé le travail des six
autres, et les six autres sont devenus inféconds, parce qu’on a demandé
leur fécondité au septième.

Le travail refuse à l’homme ses dons, parce que le repos a été méprisé
par l’homme. Parce que la réserve du ciel a été violée, l’homme entend
la parole qu’a entendu Caïn:

  «La terre ne te donnera plus ses fruits.»

Le travail du dimanche a pour filles la misère et la mort, et quand la
terre a refusé ses fruits, le malheur de l’homme redouble son
aveuglement, son aveuglement redouble son malheur; l’abîme appelle
l’abîme; le sacrilége appelle le blasphème.

O glaive du Seigneur, disait Jérémie, quand te reposeras-tu? Rentre dans
le fourreau.

Rafraîchis-toi; tais-toi.

                   *       *       *       *       *

Le Dimanche est l’Alleluia de la création. C’est ce jour-là que la
respiration des mondes, chantant la gloire du Seigneur, pourrait, ce
semble, être devinée dans le silence.--Mais où faut-il aller pour
entendre ce que ce silence dit?

Il faut aller plus loin que le lion qui traverse le désert, plus loin
que l’aigle qui traverse les cieux, plus loin que l’harmonie, plus loin
que la lumière qui traverse l’espace; il faut traverser les îles
étrangères et les plaines inconnues.

Je suis allé plus loin que le lion, plus loin que l’aigle qui traverse
les airs, j’ai laissé derrière moi le son et la lumière qui ne fait que
soixante-quinze mille lieues par seconde, et je n’entends pas encore la
respiration des mondes.

Va plus loin, plus loin...

Je vais plus loin, plus loin, plus loin, et je n’entends pas encore la
respiration des mondes.

Pour entendre la respiration des mondes, il faut aller si loin que tu
n’entendes plus aucun de leurs bruits.

Je suis allé si loin que je n’entends plus aucun de leurs bruits, et
cependant je n’entends pas la respiration des mondes.

Va plus loin... pour entendre la respiration des mondes, il faut aller
si loin, que tu ne te souviennes plus d’aucun de leurs bruits.

Je suis allé si loin... si loin, que je ne me souviens plus d’aucun de
leurs bruits, et pourtant je n’entends pas la respiration des mondes.

Va plus loin... plus loin... Pour entendre la respiration des mondes, il
faut aller si loin... si loin... que tu n’entendes plus le bruit de tes
pas.

Je suis allé si loin que je n’entends plus le bruit de mes pas, et
pourtant je n’entends pas la respiration des mondes.

Va plus loin... Il faut aller si loin que tu n’entendes plus le bruit de
ton vol.

Je suis allé si loin que je n’entends plus le bruit de mon vol, et
pourtant je n’entends pas la respiration des mondes.

Va plus loin... plus loin... il faut que tu aies oublié ce que c’est que
le bruit.

J’ai oublié ce que c’est que le bruit, et pourtant je n’entends pas la
respiration des mondes.

Écoute bien.........!

                   *       *       *       *       *

Dans le silence incompréhensible de la nuit qui a oublié... le Seigneur
est là, qui fait battre ton cœur...

                   *       *       *       *       *

Voici que j’entends la respiration des mondes.

  ALLELUIA! ALLELUIA!




DEUXIÈME PARTIE


Nous avons regardé le dimanche du côté de Dieu.

Regardons-le du côté de l’homme.

Le travail et le repos constituent la vie. C’est la loi, et nul ne la
viole sans mourir. La mort est la sanction naturelle de la loi du repos.
La parole de Dieu à Moïse ne nous permettra, à aucun point de vue, de
l’oublier un moment.

                   *       *       *       *       *

Il faut donner et recevoir, travailler et se reposer, ou bien il faut
mourir. Le repos n’est pas seulement compatible avec le travail. Il lui
est absolument et rigoureusement nécessaire. Quand vous concevrez la mer
avec un flux sans reflux, vous concevrez l’homme avec un travail sans
repos, et quand l’arc-en-ciel sera le symbole du désespoir, le repos
sera l’ennemi et le rival du travail.

De quelque façon qu’on prenne le mot travail, la loi du repos
rencontrera son accomplissement nécessaire.

Mais parlons du travail le plus dur en apparence. Parlons de l’ouvrier
qui se refuse le septième Jour, parlons du pauvre.

Parmi les noms les plus ordinairement rapprochés dans l’Écriture, dans
le langage de l’Église et dans la vie des Saints, il faut citer deux
noms qui se suivent à peu près toujours, qui ne peuvent pas se quitter,
qui s’appellent et se répondent; ces deux noms, les voici:

  DIEU ET LE PAUVRE.

La connexité est telle, qu’on est certain, quand on vient d’entendre
l’un, d’entendre l’autre au bout d’un instant. C’est un peu l’effet que
produit la rime quand on entend lire des vers. On dirait que ces deux
mots: Dieu et le pauvre riment ensemble dans quelque langue inconnue,
dont les vestiges surhumains, égarés parmi nous, nous donnent
l’impression d’une poésie gigantesque et oubliée.

Or, le pauvre a besoin du septième Jour. Celui qui viole le Dimanche se
révolte à la fois contre la gloire de Dieu et contre sa miséricorde. Les
intérêts de Dieu, si l’on peut parler ainsi, et les intérêts du pauvre
sont toujours identiques. Les paroles du jugement dernier sont là pour
nous l’apprendre. La misère et la gloire réclament toutes deux le repos
du septième Jour. Dieu et le pauvre poussent le même cri. Le bœuf n’est
pas étranger au besoin de son maître. Les animaux balbutient à leur
manière comme des échos faibles et courts, la loi du monde qu’ils ne
connaissent pas, mais qu’ils sentent peser sur leurs membres après le
travail des six jours. Entre Dieu et Moïse, le bœuf n’a pas été oublié.

Tout trouve place parmi de telles grandeurs, et il n’y a pas de petit
détail pour celui qui voit l’importance des brins d’herbe. Celui qui
communique la majesté, quand il regarde, ne trouve aucune créature
indigne de son regard.

Voulez-vous savoir où en est une civilisation? Regardez-la vis-à-vis de
Dieu et vis-à-vis du pauvre. Toujours ces deux regards porteront le même
jugement.

Le repos étant une nécessité absolue, l’ouvrier qui ne se repose pas le
Dimanche se reposera le lundi; car il faut bien qu’il se repose.

Satan, qui est le singe de Dieu, s’exerce ici, comme toujours, dans la
parodie.

Le Seigneur ayant choisi son Jour, Satan a voulu le sien.

Le repos du lundi est celui que Satan prépare à l’ouvrier.

Le Dimanche est le repos du sanctuaire.

Le lundi est le repos du cabaret.

Il y a deux coupes, celle du Dimanche et celle du lundi. Et au fond de
chacune des deux coupes, il y a une ivresse.

Le Dimanche rapprocherait l’homme de l’Ange.

L’ivresse du lundi le met au-dessous de l’animal.

L’ivresse est une révélation. J’y vois la preuve de cet immense besoin
qui pousse l’homme à sortir de lui-même et qui devrait le plonger dans
l’ivresse du Saint-Esprit.

Le repos du Dimanche est, pour l’ouvrier, la condition même du travail
des six jours.

Le repos du lundi produit la paresse des six jours.

Le repos du Dimanche pousse à l’action.

Le repos du lundi pousse à l’inaction.

Le repos du Dimanche constitue et prépare l’ordre.

Le repos du lundi constitue et prépare le désordre.

Le repos du Dimanche est et prépare l’économie.

Le repos du lundi est et prépare la ruine.

Le repos du Dimanche est et prépare la paix de la famille.

Le repos du lundi est et prépare la discorde dans la famille. La
querelle et la fureur l’accompagnent et le suivent.

Or, la famille, c’est la société.

Le repos du lundi, c’est la dispute dans la maison, et la bataille dans
la rue.

Le repos du Dimanche laisse une traînée lumineuse qui éclaire le travail
des six jours.

Le repos du lundi laisse derrière lui une fumée qui assombrit la
semaine.

Le repos du Dimanche est fécond.

Le repos du lundi est stérile.

Le repos du Dimanche établit entre l’ouvrier, le savant et l’artiste,
une relation de paix qui fait l’harmonie entre leurs âmes et leurs
travaux.

Le repos du lundi produit la haine et alimente la paresse.

Le repos du Dimanche est le ciment de la cité.

Le repos du lundi en est le dissolvant.

Le repos du Dimanche est à la base de tous les grands monuments.

Le repos du lundi est le laboratoire où se fait l’amalgame d’où sortent
les grandes catastrophes.

Car la parole méprisée se change en fait, et quiconque n’a pas voulu
entendre finit par voir.

Nous avons vu.

Et plus la parole est haute, plus elle a paru vaporeuse, nuageuse,
vaine, ridicule, plus l’accomplissement est palpable, éclatant, visible,
tangible, matériel.

Ce qui produit la ruine, les coups de couteau, les coups de fusil, les
coups de canon, le meurtre, l’affolement, l’incendie, c’est le sourire
moqueur d’un petit homme qui dit que les Saints sont des rêveurs et que
les Prophètes sont des fous.

                   *       *       *       *       *

Me direz-vous qu’à la rigueur, l’ouvrier qui a travaillé le Dimanche,
peut aussi travailler le lundi, et que par là, le cabaret est écarté
avec ses conséquences.

Examinons, sans la discuter, cette hypothèse invraisemblable.

Si l’ouvrier qui a travaillé le Dimanche se repose le lundi, la société
est sauvage.

Si l’ouvrier qui a travaillé le Dimanche travaille le lundi, la société
est barbare.


XII

L’état sauvage consiste dans le développement arbitraire et injuste des
fantaisies de l’individu. Dans l’état sauvage, la société ne protége
personne contre personne, puisqu’elle n’existe pas. Elle est remplacée
par la juxtaposition. Le plus fort opprime ou tue le plus faible. La
sauvagerie est l’assassinat de tous par chacun.

L’état barbare consiste dans le développement arbitraire et injuste des
fantaisies de la communauté. Dans la barbarie, la société ne protége
personne contre elle-même, car elle n’existe pas; elle est remplacée par
la communauté. Le monstre, qui est le plus fort, et qui s’appelle
_tous_, opprime et tue chacun. La barbarie est plus contraire au
sentiment humain que la sauvagerie, parce que la collection, devenue
oppressive, est plus stupide et plus féroce que l’individu. Le monstre
_tous_, devenu furieux, affamé, dévorant, est plus impossible à
instruire ou à attendrir qu’un individu ou qu’un animal. L’état barbare
est plus contraire à la nature que la vie animale, ou végétative, ou
simplement moléculaire.

La sauvagerie est l’assassinat de tous par chacun. La barbarie est
l’assassinat de chacun par tous.

Or, la barbarie produit, comme accident, la sauvagerie, parce que la
collection féroce, occupée à tuer, à brûler, et à mordre, livre chaque
individu aux fureurs de l’autre.

La civilisation est l’exercice légitime des facultés de l’individu,
protégé, sanctionné, consacré par la société intelligente.

Dans l’état de civilisation, chaque homme marche dans sa voie, suivant
ses aptitudes et sa vocation particulière, sous la protection d’une
société organisée. Dans l’état civilisé, le pouvoir est la consécration
sublime, humaine et divine de la société. L’autorité doit être la main
de la force suspendue sur l’intelligence et sur l’amour pour les
protéger contre leurs ennemis et leur ouvrir les portes de la carrière
où ils doivent courir légitimement.

La sauvagerie a pour caractère la guerre privée. La barbarie a pour
caractère la guerre publique. La civilisation a pour caractère la paix
sublime, qui est la lutte magnifique des forces convergeant vers la
gloire.


XIII

Si l’homme qui travaille des mains a, sous peine de mort, besoin du
Repos Sacré, les autres travailleurs subissent précisément la même
nécessité, et cette solidarité établirait entre eux, si elle était vue
et sentie, une amitié qui les étonnerait.

L’homme d’affaires, le savant, quiconque se répand au dehors par un
travail extérieur, toujours fatiguant, même s’il n’en a pas l’air, a
besoin d’un repos vrai.

Ceux qui ne connaissent pas la nature du repos pourront le confondre
avec l’ennui.

Ceux qui le connaissent savent que le repos est directement le contraire
de l’ennui, son antidote, son remède.

L’ennui, c’est le repos du lundi.

Beaucoup de gens regardent comme ennuyeux le Repos du Seigneur.
Quelques-uns parmi ceux-là se déclarent chrétiens et se rangent parmi
_les bons_. Mais ils craignent que le Seigneur ne devienne, pendant
l’éternité, monotone aux élus.

Ils oublient que Dieu est _Acte pur_, et que Jésus-Christ est venu
allumer le feu sur la terre.

Et parce que les hommes ont refusé son feu, Satan a allumé le sien.

Le repos du Dimanche est un recueillement. Mais il doit être organique
et non pas mécanique.

Le Dimanche est un adorateur en _Esprit_ et en _Vérité_.

La terre, dit Jérémie, est pleine de désolation, parce qu’il n’y a
personne qui réfléchisse _dans son cœur_.

Le recueillement est la réflexion du cœur.

L’homme s’est dissipé; il se recueille.

Il s’est dépensé; il se répare.

Il a donné aux autres; il demande à Dieu.

L’homme réfléchit dans son esprit, quand il se répand au dehors; il
réfléchit dans son cœur, quand il se recueille au fond de lui.

Le Dimanche est le jour du cœur.

Les souvenirs de l’homme et de son commerce divin sont plus profonds et
plus intimes ce jour-là.

Le Jour de Dieu ressemble à ce silence d’une demi-heure, dont il est
question dans l’Apocalypse.

                   *       *       *       *       *

La vie humaine est remplie de chocs et de faux mouvements. Elle est un
combat où chacun blesse les autres et se blesse lui-même.

Que de choses accomplies dans la semaine qui demandent une réparation!
Une réconciliation intime et spirituelle des créatures ne serait-elle
pas le Dimanche, si le monde était chrétien, une des préparations, une
des fêtes de l’aurore?

Le repos du Dimanche est l’Ange gardien de la vie.

L’homme reçoit un ordre dont il ne comprend pas la beauté. Il le prend
pour un caprice et se révolte. A la sortie de l’obéissance, la mort est
là, qui attend sa proie.

L’homme souffre et meurt, il apprend par une expérience épouvantable la
valeur de l’ordre qu’il avait reçu.

Les choses extérieures qu’il croyait indifférentes à cet ordre, se
déclarent dépendantes de lui, violées par la désobéissance humaine, et
prêtes à punir le coupable. Les choses inanimées se conduisent alors
comme si elles étaient portées à la vengeance.

L’homme croyait avoir négligé un caprice, ou traité légèrement une
mesure arbitraire, vieillie, ennuyeuse, surannée! Il a porté le trouble
dans le cœur même de la vie. Il a blessé l’harmonie des mondes à la
prunelle de l’œil. Il a porté la main sur la chose que le Seigneur
s’était réservée, l’ayant soustraite aux atteintes de la créature. Il a
commis contre le nom terrible et le repos sacré un attentat
incommensurable, et sa vue est trop courte pour l’embrasser, son esprit
trop étroit pour le saisir, et son cœur n’est pas de force à le peser.

L’adoration de Dieu, le Nom de Dieu, le Repos de Dieu se touchent et se
succèdent dans les commandements de Dieu et dans l’histoire des choses
de Dieu.

Et quand l’expérience a donné la leçon qui se paye cher, l’homme se
retrouve en face de la parole qu’il a méprisée, et il dit dans son cœur:

  Si j’avais su!


XIV

L’Écriture commence par la Genèse et finit par l’Apocalypse.

Le Genèse et l’Apocalypse célèbrent tous deux le jour du repos. Le
Genèse nous dit le repos du Dieu créateur; l’Apocalypse, le repos du
Dieu rédempteur.

L’arche de Noë se reposait après le déluge, sur le mont Ararat, quand
les sept couleurs, apparaissant pour la première fois dans les nuages,
annoncèrent au ciel et à la terre qu’une alliance venait de se conclure.

Les sept sacrements annoncèrent au ciel et à la terre que sept torrents
étaient lancés par où le sang du Rédempteur devait féconder les siècles.

Les sept dons du Saint-Esprit achevant, consommant, éclairant l’œuvre
divine, annoncèrent au ciel et à la terre que le Seigneur avait trouvé,
dans l’âme des saints, le lieu de son Repos.

Les choses humaines, quand elles sont justes et vraies le sont par un
côté, sous un rapport, par un point. Il est rare et peut-être impossible
qu’une institution purement humaine ne paye pas ses avantages par de
sérieux inconvénients. Quelquefois les inconvénients sont tels qu’on
finit par se demander de quel côté penche la balance. La nature des
choses purement humaine est d’avoir des inconvénients, et les meilleures
coutumes ou les meilleures dispositions ne touchent la vérité que par
certains points isolés qui laissent désirer et regretter tout le reste.

La vie humaine se compose d’éléments si multiples et si hétérogènes,
qu’il est bien difficile de soigner certains intérêts, sans oublier ou
sans léser les autres. On fait la part de l’un, la part de l’autre.
Chacun d’eux est mécontent de la sienne, et le troisième se plaint
d’avoir été oublié. C’est une lutte, c’est un conflit, c’est la
réclamation perpétuelle, contentieuse, contradictoire des intérêts
opposés, qui plaident au nom de quelqu’un, contre quelqu’un. Et
quelquefois la sagesse humaine aboutit à des conciliations provisoires,
à des sacrifices mal acceptés, à des palliatifs très-imparfaits.

La parole divine a une vertu contraire. Quand on l’entend, on la sent
vraie d’une vérité pleine, entière, vraie à tous les points de vue.

Le repos du Dimanche est la loi générale, universelle qui s’impose à
tous, profite à tous, ne nuit à rien et à personne. Elle contient, porte
et donne une vérité qui enveloppe la création, oblige toute créature, et
l’oblige en la secourant. Cette obligation est une miséricorde, une
lumière, un bienfait.

Vraie du côté de Dieu, vraie du côté de l’homme, et du côté de chaque
homme, quel que soit son caractère et son travail, vraie du côté des
animaux, vraie du côté de la nature, vraie du côté des choses visibles,
et des intérêts connus, vraie du côté des choses invisibles et des
intérêts inconnus, vraie du côté de l’individu, vraie du côté de la
société, vraie du côté du temps, vraie du côté de l’éternité, liée à la
chaîne des vérités, à la chaîne des lois, et à la chaîne des événements
par la main qui a lié les étoiles pour faire les constellations,
proclamée par la bouche de celui qui sait tout, sanctionnée par son bras
tout puissant, la loi du Dimanche enveloppe les personnes et les choses
dans sa sagesse et dans sa profondeur. Nul ne la viole et nul ne l’élude
sans produire quelque trouble à la fois évident et mystérieux, visible à
la surface et insondable au-dessous. Le profanateur du Dimanche voit ce
qu’il fait en apparence. Il ne voit pas ce qu’il fait en réalité. Il
voit l’acte de son bras, il ne voit pas l’acte de son âme. Il ne peut
pas le suivre à travers le dédale des choses.

Sa vue est trop courte pour qu’il suive du regard son attentat. Si les
horizons s’élargissant tout à coup lui livraient les secrets de la vie
et de la mort, il serait foudroyé par le spectacle qu’il aurait sous les
yeux. S’il pouvait suivre son attentat à travers les domaines de la
création, et voir son œuvre s’accomplir partout où elle s’accomplit, il
sentirait le poids d’une parole divine. Il apprendrait ce que c’est de
désobéir à celui qui parle, voyant tout, sachant tout, et pouvant tout.
Après avoir suivi du regard son acte dans ce temple, il le verrait dans
l’éternité, où il est attendu par la justice, ou attendu par la
miséricorde.

Voici une autre manière d’exprimer la même vérité. Le nom de celui qui a
consacré le Dimanche par sa résurrection s’appelle

  JÉSUS.

Jésus, c’est-à-dire Sauveur.

Celui qui veut le repos du Dimanche est celui qui est mort pour le salut
des hommes, qui est leur _Sauveur_. Il est nécessaire, pour approfondir
le commandement, d’approfondir le nom de celui qui commande. Il commande
par la bouche de l’Église universelle. Il commande le repos du Dimanche.
Il le commande dans sa miséricorde, pour que l’homme ne tombe pas sous
le fardeau, dans sa justice, afin que le plus fort n’abuse pas du plus
faible, dans sa gloire, afin que la réserve du Seigneur soit donnée au
Seigneur.

                   *       *       *       *       *

Résumons-nous.

L’exception confirme la loi. Le Dimanche, est l’Ange Gardien de la
semaine.

Il faudrait mesurer le Repos de Dieu en lui-même, et le Repos de
Jésus-Christ dans sa résurrection, pour mesurer l’attentat qui nous est
marqué par son énormité même. Les petites choses sont celles que nous
voyons le mieux.

La parole de Dieu est aussi universelle que pénétrante, aussi pénétrante
qu’universelle. Elle est plus perçante que la pointe du glaive, plus
profonde que l’Océan, plus étendue que les cieux, plus éclatante que le
tonnerre.

Le temps et l’éternité prolongent son retentissement par toutes les voix
qu’ils possèdent. L’écho de toutes les montagnes, l’écho de toutes les
vallées, l’écho de tous les abîmes répètent et répéteront:

Et Dieu dit à Adam: «tu mangeras de tous les fruits du Paradis.

«Mais tu ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la Science du Bien et du
Mal. Le jour où tu en auras mangé, tu mourras de mort.»

Et Dieu parla à Moïse, disant:

«Parle aux fils d’Israël et dis-leur: «Veillez à garder mon sabbat,
parce qu’il est le signe entre moi et vous, dans les générations, afin
que vous sachiez que je suis le Seigneur qui vous sanctifie. Gardez mon
sabbat; car il est saint: celui qui l’aura violé:

  «MOURRA DE MORT.»


PARIS.--IMP. VICTOR GOUPY, RUE GARANCIÈRE, 5.




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  L’HOMME
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PARIS--IMP. VICTOR GOUPY, RUE GARANCIÈRE, 5.






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