Aimée Villard, fille de France

By Charles Silvestre

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Title: Aimée Villard, fille de France


Author: Charles Silvestre

Release date: October 2, 2023 [eBook #71778]

Language: French

Original publication: Paris: Plon, 1924

Credits: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK AIMÉE VILLARD, FILLE DE FRANCE ***





                            DU MÊME AUTEUR

                          A LA MÊME LIBRAIRIE


=La Prairie et la Flamme.= Roman.
  22ᵉ édition                                   Un vol. in-16.

=Le voyage rustique.= 10ᵉ édition               Un vol. in-16.

=L’Amour et la Mort de Jean Pradeau.=
  Préface de J. et J. l’HARAUD.
  Roman. 10ᵉ édition                            Un vol. in-16.

=Aimée Villard, fille de France.=
  Roman. 16ᵉ édition                            Un vol. in-16.

(_Prix Jean Revel 1924._)

=Belle Sylvie.= Roman. 20ᵉ édition              Un vol. in-16.

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  de la collection _le Roseau d’or_).
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=Amour sauvé.= Roman. 18ᵉ édition              Un vol. in-16.

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  de la collection _le Roseau d’or_).
    En édition ordinaire. 14ᵉ mille            Un vol. in-16.


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                       =Le Merveilleux médecin.=


      Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1930.




                       BIBLIOTHÈQUE RELIÉE PLON
                                --69--

                             AIMÉE VILLARD
                            FILLE DE FRANCE

                                  PAR
                           CHARLES SILVESTRE

                          (Prix Femina 1926)

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                                 PARIS
                            LIBRAIRIE PLON
                 _LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT_
              IMPRIMEURS-ÉDITEURS, 8, RUE GARANGIÈRE, 6ᵉ

                        _Tous droits réservés_




                 _DÉJÀ PARUS DANS LA MÊME COLLECTION_

                             (_Mai 1930_)


     1. P. BOURGET, _Le Danseur mondain_.

     2. H. BORDEAUX, _La Maison morte_.

     3. J. et J. THARAUD, _L’Ombre de la Croix_.

     4. H. DE BALZAC, _Une Ténébreuse Affaire_.

     5. K. ABOUT, _Tolla_.

     6. G. ACREMANT, _Ces Dames aux chapeaux verts_.

     7, 8 et 9. A. DUMAS, _Les Compagnons de Jéhu_ (I, II, III).

     10. F. DOSTOIEVSKY, _Netotchka_.

     11. E. PÉROCHON, _Nêne_ (Prix Goncourt 1920).

     12. A. LICHTENBERGER, _Petite Madame_.

     13. J.-H. ROSNY aîné, _Dans les rues_.

     14. J.-L. VAUDOYER, _La Maîtresse et l’Amie_.

     15. H. DE RÉGNIER, _Romaine Mirmault_.

     16. H. BORDEAUX, _La Neige sur les Pas_.

     17. J. D’ESME, _Les Dieux Rouges_.

     18. E. JALOUX, _L’Eventail de Crêpe_.

     19 et 20. P. BOURGET, _Le Démon de Midi_, 2 vol.

     21. E. RHAIS, _Le Café chantant_.

     22. J. AICARD, _Benjamine_.

     23. A. DAUDET, _Les Rois en Exil_.

     24. L. TOLSTOI, _Katia_.

     25. H. ARDEL, _La Nuit tombe_.

     26. E. WHARTON, _Sous la Neige_.

     27. P. MÉRIMÉE, _Colomba_.

     28. G. D’HOUVILLE, _Le Temps d’aimer_.

     29. P. ARÈNE, _Jean-des-Figues_.

     30. H. BORDEAUX, _La Robe de Laine_.

     31. L. DESCAVES, _L’Hirondelle sous le Toit_.

     32. E. PÉROCHON, _La Parcelle 32_.

     33. P. BOURGET, _Un Drame dans le Monde_.

     34. T. HARDY, _La Bien-Aimée_.

     35. F. MISTRAL, _Mes Origines, Mémoires et récits_.

     36. J. DE LA BRÈTE, _Mon Oncle et mon Curé_.

     37. T. GAUTIER, _La Belle-Jenny_.

     38. J. KESSEL et ISWOLSKY, _Les Rois aveugles_.

     39. E. JALOUX, _Le Reste est silence_.

     40. T. GAUTIER, _Le Roman de la Momie_.

     41. G. CHÉRAU, _Champi-Toriu_.

     42. F. L. BARCLAY, _La Châtelaine de Shenstone_.

     43. J. et J. THARAUD, _Marrakech ou les Seigneurs de l’Atlas_.

     44. N. LARROUY, _L’Odyssée d’un transport torpillé_.

     45. P. BOURGET, _La Geôle_.

     46. J. BALDE, _La Vigne et la Maison_ (Prix Northcliffe 1923).

     47. P. MORAND, _Rien que la Terre_.

     48. H. DE MONTHERLANT, _Les Bestiaires_.

     49. H. BORDEAUX, _La Croisée des Chemins_.

     50. H. ARDEL, _La Faute d’Autrui_.

     51. E.-M. DE VOGUÉ, _Jean d’Agrève_.

     52. M. PIÉCHAUD, _Vallée heureuse_.

     53. D. LESUEUR, _Flaviana, princesse_.

     54. J. LONDON, _Croc-Blanc_.

     55. J. et J. THARAUD, _Dingley, l’illustre écrivain_ (Prix Goncourt
     1906).

     56. G. LECHARTIER, _La Confession d’une femme du monde_.

     57. STENDHAL, _L’Abbesse de Castro_.

     58. P. BOURGET, _Le Disciple_.

     59. M. BARRÈS, _Un Jardin sur l’Oronte_.

     60. E. PÉROCHON, _Les Creux-de-Maisons_.

     61. E. HENRIOT, _Aricie Brun ou les vertus bourgeoises_.

     62. P. LHANDE, _Mirentchu_.

     63. J.-O. CURWOOD, _La Vallée du Silence_.

     64. D. LESUEUR, _Chacune son rêve_.

     65. J. et J. THARAUD, _L’An prochain à Jérusalem_.

     66. P. BOURGET, _Les détours du cœur_.

     67. E. FEYDEAU, _Fanny_.

     68. A. DAUDET, _La petite paroisse_.

     69. C. SILVESTRE, _Aimée Villard, fille de France_.

     70. T. DOSTOIEVSKY, _Le joueur_.


                   Copyright 1924, by Librairie Plon
           Droits de reproduction et de traduction réservés
                pour tous pays, y compris l’U. R. S. S.




                             AIMÉE VILLARD

                            FILLE DE FRANCE

                              _IN DECORAM
                        PVRISSIMAMQVE MEMORIAM
                           EJVS QVAM ANGELI
                          TERRIS INVIDEBANT_




I


Ce dimanche de la Passion du Sauveur, Aimée Villard s’était levée avant
que le ciel eût blanchi. Toute la nuit, le vent avait couru par la
campagne et dans les nuages. Le jour était sorti des collines lavées
par de brusques pluies. Et dans l’air, tournaient des courants tièdes et
des odeurs de terre en travail.

Au petit domaine de la Genett, la besogne ne manquait pas. La maison
paysanne était plantée sur le roc; une terrasse la précédait, et face au
seuil s’ouvrait une vaste salle, à la cheminée profonde. Près de la
fenêtre qui donnait sur le verger, l’horloge de bois rouge battait; son
disque allant et venant amusait les yeux et invitait à la vaillance;
elle sonnait à coups pressés qui semblaient dégringoler les uns sur les
autres, du panier fleuri, honneur d’un cadran bien émaillé. Non loin
était placé le coffre à pétrir le pain. Et dressée au centre, plus
longue que large, la table de cerisier luisait, polie par le coude des
maîtres et des journaliers. En face, tournée vers la porte, la commode
surmontée des barres du vaisselier montrait en bonne lumière les plats,
les assiettes, les pots où les bleus, les rouges et les jaunes, étalés
par un rustique pinceau, chantaient ensemble. Sur le côté, à main
droite, près de l’échelle qui montait au grenier, était la chambre où
couchaient Aimée, ses deux petites sœurs Yvonne et Ernestine, et le
petit Jean. Dans la salle à manger et à cuisiner, la mère Villard et son
homme Pierre couchaient dans un lit bourré de couettes et de
couvre-pieds.

Le grand-père, qui avait atteint les quatre-vingts ans, gagnait de
bonne heure sa couche large et carrée, établie sur quatre pieds ronds
dont on n’avait pas enlevé toute l’écorce. Quand il en sortait, c’était
pour se rencogner sous le manteau de la cheminée, en hiver, ou se
chauffer, à la plaisante saison, sur la terrasse.

Ce n’était pas une mince affaire que de laver et de peigner Jean,
Ernestine et Yvonne. Aussi, Aimée se levait-elle plus tôt le dimanche.
Les petits n’aimaient guère l’eau froide et elle allait chauffer la
serviette mouillée devant le feu de la cuisine, pour leur complaire.
Comme on disait, elle en devenait bête à force de les chérir.

Quand elle peignait leurs cheveux ébouriffés, elle disait sans cesse:
«Est-ce que je te fais mal?» Souvent les petiots abusaient de sa bonté.
Que lui importait! Elle était heureuse en considérant seulement leurs
figures rondes où les joues luisaient comme deux pommes d’api. Ayant
fait ses dix-huit années, depuis la semaine de Chandeleur, elle pensait
qu’elle avait presque l’âge d’une jeune maman. La mère était assez
pressée par l’humble travail qui commande sans cesse. Allumer le feu,
donner à manger aux volailles, traire, apprêter les repas, ce ne sont
pas des choses qui se font en deux mouvements.

La matinée était avancée; les petites, dans les robes de serge bleue que
leur grande sœur avait taillées, faisaient les coquettes et tournaient
sur le talon de leurs souliers neufs pour gonfler d’air leurs courtes
jupes à plis. Jean, bout d’homme, tendait le mollet et enfonçait ses
mains dans ses poches. Sur sa tête aux cheveux bouclés, Aimée posa un
béret de bure, puis frappant ses mains l’une contre l’autre, elle
s’écria:

--Allez jouer dans la cuisine. Il faut bien que je m’habille à mon tour.

Devant une table de bois blanc, couverte d’une toile cirée où un miroir
était appuyé au mur blanchi à la chaux, Aimée démêla ses cheveux épais
et longs, de couleur châtaine. Les ayant roulés en une masse brillante
derrière la nuque, elle les sépara et les lissa sur le front par
bandeaux qui donnaient à sa figure un air charmant de sagesse et de
pureté.

Elle était belle et ne le savait pas. C’était une saine fille poussée
en pleine campagne; de haute taille, forte et gracieuse avec des membres
fins, son corps montrait un fier équilibre. Elle avait des yeux doux et
gris, couleur du temps, abrités sous de longues paupières; leur lumière
paisible glissait sur des traits bien mesurés, un nez un peu court et
droit, une bouche déliée, un menton joliment coupé où paraissaient
l’ordre et la bonne volonté.

Elle se vêtit proprement, sans plaisir, avec une naturelle modestie.
Elle avait le cœur tout plein d’un feu clair, contente d’avoir
endimanché ceux qu’elle appelait: son petit monde. Dans une commode de
merisier elle prit son paroissien gonflé d’images et un mouchoir de
toile blanche où elle avait brodé la majuscule de son nom. S’étant
coiffée d’un chapeau de feutre gris aux bords relevés, elle vint dans la
cuisine où la mère, ayant trempé la soupe, ajustait sur son front sa
coiffe à barbes.

Devant le feu, le repas de midi cuisait doucement, braise dessus, braise
dessous: un civet de lapin au vin rouge, relevé par des herbes de
jardin.

Le grand-père, enfin levé, s’assit à la table; et le bonnet de coton
enfoncé jusqu’à l’œil, la bouche rentrée et froncée mais le nez pointu,
il mangea chaud, ne connaissant pas à son âge d’autre ennemi que le
froid. Le petit Jean cirait sa culotte sur l’escabeau et son assiettée
de soupe lui faisait les cornes. Aimée dut le prendre sur ses genoux et
lui raconter des histoires où il y avait un petit bonhomme qu’une fée
emportait au fond d’un étang parce qu’il ne voulait pas manger la
bréjeaude[A] qui rend les petiots forts et courageux. La mère, qui
n’avait pas beaucoup de santé et le montrait par son visage jauni avant
le temps et sa taille trop tôt courbée, considérait en souriant sa bonne
fille qui portait un brave cœur de maman en cette saison de jeunesse où
l’on pense surtout aux cotillons et aux frairies.

Quand Aimée eut fait accepter à Jean une pleine assiette de soupe, elle
mangea, mais le bouillon s’était refroidi.

La mère marmonna:

--Ton père, depuis la pique du jour, a été voir ces barrières que le
méchant temps a mis bas, dans les prés qui sont tout noyés. Je vais
placer la soupière près du feu pour qu’il ne la trouve pas comme un
glaçon. Il n’en finit jamais, le pauvre homme. Il ira à la messe de dix
heures.

Le grand-père, ayant mouillé le fond de son assiette d’un peu de vin
rouge, se sentit réconforté. Son œil brilla; il prit Jean sur ses genoux
et le fit sauter à bourriquot. Le petiot en tirait la langue de plaisir.
Le vieux, fatigué par ce cavalier d’un sou, gros comme quatre pommes,
voulut le poser à terre, mais il ne le put avant d’avoir joué avec lui à
la barbichette.

    Je te tiens par la barbichette,
    Le premier qui rira
    Aura une tapette!

Nonot retenait si fort son rire qu’il en avait les yeux écarquillés, les
joues grosses, puis il pouffait; et le vieil homme grognait en lui
donnant une tape qui n’aurait pas écrasé une mouche.

--Ho! le mignard! Ho! la fine pintade! Tire-toi de là, ou bien je te
coupe le petit bout de l’oreille!

Il alla s’asseoir sur le banc à sel; et tout repu, bien tranquille, il
s’amusait à porter autour de la cocotte des braises qu’il saisissait,
une à une, du bout des pincettes.

Tine et Vone, comme on les nommait pour parler court, tapaient du pied
sur la terrasse. Aimée enleva le couvert et d’un coup de serviette
nettoya la table. Tine secouait avec impatience sa petite natte qui lui
battait le dos; elle allait montrer aux gens du bourg ses souliers bien
cirés et son chapeau où bouffait un beau nœud rouge. Vone dit:

--Aimée, la cloche bombonne. C’est le premier coup.

La mère jeta sur ses épaules sa cape bordée de velours.

Aimée attela Pompon au charreton; et l’âne au poil roussi, qui balançait
entre les brancards sa queue râpée comme une grosse vieille corde, la
regardait d’un œil tranquille. La mère s’assit sur le banc, près des
petits; Aimée monta à son tour et prit les rênes.

Pompon n’allait pas ventre à terre; il avait un trot sautillant et
court. Quelquefois, on aurait dit qu’il voulait reconnaître la route.
Alors il saluait de sa tête pesante, pointait ses longues oreilles,
s’arrêtait, reniflant quelque odeur de chardon succulent. Mais le bâton
qui est muni d’un clou aiguisé le piquait. Il repartait en soufflant,
rabattant le double cornet bourru de ses oreilles pour écouter les
propos des bonnes gens qui chargeaient le charreton.

Rieux était à une petite lieue de la Genette. Le chemin fut bientôt
fait. Aimée sauta lestement à terre, puis la mère et les petiots. Selon
une vieille habitude elle attacha Pompon par la bride à un tilleul
ratatiné de la place de l’église. Les cloches sonnaient dans le ciel.
Les gens de campagne s’en venaient, par groupes; femmes sous la cape
antique, lurons en habits de ville et filles joufflues, fouettées de
plein air.

Nonot se carrait dans sa veste courte, les poings aux poches, le béret
un peu sur l’oreille. Il avait vu la bonne femme qui offre, près de la
porte de l’église, dans un panier plat, des gâteaux fondants et bien
faits pour le plaisir de la langue. Il en avait de la salive sur ses
petites babines.

Mais la mère, près de sa grande Aimée, vint au cimetière. Sur la tombe
où reposaient ses défunts, elle fit couler de l’eau bénite. Et devant la
vieille pierre en forme de cercueil, elle pria dans son cœur où
veillaient les morts abatteurs de besogne et anciens gens de droiture.

Les cloches avaient fini de sonner dans le clocher couvert d’écailles de
bois, que pluie et soleil avaient rendu couleur de rocher.

Le curé Verdier montait à l’autel. La mère entra la première dans
l’église blanchie à la chaux comme une salle paysanne et dallée de
grosses pierres que le pas des fidèles, au long des siècles, avait
polies. Une odeur de terre fraîche flottait que ne pouvaient effacer le
rare encens et le parfum des deux chandelles de cire. Les champs
pénétraient dans la nef aux lourds arceaux, par les souffles de leurs
plantes et de leurs eaux vives.

La mère Villard porta sa chaise non loin du chœur, à la même place où sa
mère qui n’était plus de ce monde, mais priait au ciel, à cette heure,
s’agenouillait en faisant tourner le chapelet de buis. A côté d’Aimée,
Nonot se tenait tranquille; et les petites levaient les yeux vers le
vitrail qui éclairait l’autel et où les couleurs étaient joyeuses, comme
une nichée d’oiseaux.

L’abbé Verdier dit l’Évangile du jour, de cette voix rude qui plaisait
aux fidèles paysans. Puis il parla, car il ne prêchait pas. Des images
familières, tirées de la vie des champs, se pressaient sur ses lèvres;
il en jaillissait mille plantes de vertu. Il devisait un peu à bâtons
rompus des anges et des saints; mais son cœur brûlait au milieu de ses
paroles, pour la gloire de Dieu.

L’institutrice, humble et sans âge, entonna au clavier de l’harmonium
les premiers couplets d’un cantique qui s’élève et touche le ciel.

Vone et Tine chantèrent, la bouche bien ronde et contentes de prier
ainsi.

    Le voici, l’Agneau si doux,
      Le vrai Pain des anges;
    Du ciel, il descend sur nous;
      Adorons-le tous!

Aimée chantait et s’allégeait. Le cantique ancien qui s’approche de
Jésus, sur un rythme naïf et pur, dans une pauvreté merveilleuse,
s’acheva. Aimée, les mains jointes, murmurait:

--Je ne suis rien, mon Dieu; mais vous êtes le Maître et je suis votre
petite servante.

La messe dite, le peuple paysan se répandit sur la place; on se saluait
avec bonhomie, et l’on s’interrogeait sur les choses de la maison et des
champs.

Nonot s’était arrêté devant le panier plein de gâteaux en forme de lunes
ou de tricornes. Il tirait un bout de langue et ses yeux brillaient. La
mère le blâma de sa gourmandise; mais sa grande sœur acheta de ces
friandises qu’elle distribua aux petits sans en garder pour elle. Pompon
grattait la terre du pied et frottait ses longues oreilles sur le tronc
du tilleul rabougri; il s’impatientait. Aimée détacha la bride; tous
montèrent dans le charreton.

Il faisait beau, malgré le vent froid; on sentait l’approche de la gaie
saison. Des deux côtés de la route, l’herbe nouvelle verdoyait; on
pouvait apercevoir des miroirs d’eau, dans les lointains, ou le saut
d’un ruisseau brusque et blanc entre des arbres qui avaient l’air de
pèlerins arrêtés dans la prairie. Chemin faisant, la mère montrait de
bonnes pièces de terre qui étaient, depuis toujours, réputées pour les
récoltes qu’elles donnaient. On n’avait pas besoin de les fumer ni de se
tuer le corps dessus. Ici, c’étaient des champs de blé en belle lumière;
là, des prés superbes où l’eau était naturellement mesurée, sans trop de
pentes, la couleur de l’herbe le révélant. Elle dit:

--Faut pas trop nous plaindre. La Genette n’est pas mauvaise. Et pourvu
qu’on mange son pain!

Nonot demandait des terres où pousseraient des gâteaux comme on en vend
à la porte de l’église.

--Tu n’es pas bête, toi, Nonot, repartit Vone dont l’âge était moins
tendre.

--J’en ferais bien pousser, moi!

Aimée embrassa Nonot qui sautait sur le banc avec des mines fiérotes.

On arrivait à un carrefour. Il fallait prendre un chemin étroit et
rocailleux, bordé de buissons d’où montaient des chênes tailladés par
une avare cognée.

Tout à coup, la mère s’écria:

--Qu’est-ce que c’est?... Aimée, vois donc Brunette qui s’en vient à
toutes pattes.

Déjà la chienne sautait près du charreton. Les oreilles basses, elle
poussait des gémissements et de son museau dressé sortait un gros
souffle étrange.

--M’est avis qu’elle pleure, dit la mère.

Elle tournait sur la route, levait ses yeux couleur de châtaigne fauve
et ils étaient pleins de secrète angoisse.

Comme elle bondissait près du marchepied, Aimée la flatta de sa main,
mais elle exhala une longue plainte et secoua sa fourrure noire, toute
hérissée de peur.

La mère s’effraya:

--Ma pauvre Aimée, il y a quelque chose de point ordinaire ...

Aimée piqua l’âne qui allongea brusquement le trot. Elle ne pouvait
parler; une crainte confuse la serrait à la gorge. Elle fit un grand
effort pour dire:

--Ce n’est rien ... Ne te tracasse pas ...

Les petits enfants continuaient à rire et Nonot criait:

--Oh! belle Brunette, je voulais te garder un bout de gâteau!

Le charreton entra dans la cour. Aimée, en sautant à terre, dit à Vone:

--Allez-vous-en avec le grand-père au coin du feu.

Et elle attacha l’âne à un ormeau qui était planté près de la terrasse.
Elle devinait que si quelque chose de grave s’était passé, ce ne pouvait
être que dans l’étable, car Brunette se dressait, portant ses pattes sur
son corsage, la fixant de ses yeux tristes, puis tournant la tête comme
pour l’entraîner de ce côté.

Elle dit résolue:

--Mère, garde les enfants, je vais voir.

Elle prononça ces mots d’une telle voix que sa mère lui obéit.

Mais la chienne poussa cette fois un hurlement qui sortait de ses
entrailles. Aimée vit que la porte de l’étable était ouverte.

La mère, dominant une épouvante et ne voyant pas venir son homme,
descendit les marches de la terrasse. Elle appela, les mains crispées
sur son caraco où le cœur sautait:

--Oh! Villard! Oh! Villard!

Elle ne reçut aucune réponse, mais Brunette saisit un pan de sa jupe
dans sa gueule. Elle cria de nouveau:

--Oh! Villard!

Un grand silence roula sur elle.

Aimée était entrée dans l’étable; elle en sortit pâle, les yeux dilatés.

La mère vit bien qu’elle tremblait comme la feuille. Elle courut, passa
le seuil plein de la chaleur des bêtes; et tout au fond, près de la
dernière travée, elle aperçut son homme étendu sur la litière. Il était
couché sur le côté et semblait dormir. Elle interrogea, penchée sur lui,
d’une voix d’enfant.

--Villard, tu es malade ... On va t’aider, mon pauvre.

Mais avant qu’elle ne l’eût touché, elle connut que du sang avait coulé
sur la paille. Elle s’approcha encore. Elle ne put crier; une boule
d’angoisse tournait dans son cou et ses jambes pliaient. Elle tira de
toutes ses forces sur les vêtements de Villard: il changea lentement de
place, aussi rigide qu’un madrier de bois. Alors, elle découvrit à la
hauteur du cœur, un trou d’où le sang avait jailli, maintenant figé et
noirâtre. Tout près, Calot balançait sa tête lourde. La mère regarda sa
corne gauche; tout au bout, perlaient des gouttelettes rougeâtres.

--Ah! bête du diable! c’est toi qui l’as encorné! pleura-t-elle.

En hâte, elle sortit de l’étable pour aller chercher du secours. Elle
appela Aimée et, ne la trouvant pas, elle comprit qu’elle était revenue
à Rieux afin de ramener M. Rémy, le médecin.

Près du feu, dans la maison, le vieux Villard jouait avec Nonot. Il
n’avait rien entendu, étant court d’oreilles; il s’étonnait que son
garçon s’attardât si longtemps dans les champs.

Il dit à sa bru en faisant sauter le petiot sur un genou et sur l’autre,
tandis que Vone et Tine s’amusaient dans la chambre:

--Ne te fais pas de méchant sang: le civet n’est pas brûlé ...

Elle regarda ce vieil homme aux paupières bridées et Nonot qui tirait la
langue et battait des mains. Elle prit l’enfant par le bras, tout
doucement, lui donna un morceau de sucre et l’enferma à clef avec ses
sœurs dans la chambre.

Le grand-père s’étonna.

--Tu pouvais bien me le laisser; il ne me fatigue point.

Elle étouffa le cri dur qui montait droit du fond de son cœur, et les
dents serrées, elle revint à l’étable.

Comme elle l’avait laissé, elle retrouva Villard dans la même attitude;
elle lui prit les mains dans les siennes comme si elle pouvait les
réchauffer et les déraidir. Il gardait les yeux mi-clos, d’où filtrait
une lueur terne de vitre sans lumière. Elle s’agenouilla:

--Patience. Aimée est allée chercher de l’aide.

Elle essaya de soulever le corps, mais il était plus pesant qu’un bloc
de pierre.

--Tu ne vas pas laisser ta femme, gémit-elle; qu’est-ce que je ferais?

Peu à peu, la certitude du malheur la clouait et la déchirait. Mais elle
se débattait encore. Un feu lent lui desséchait la gorge. Longtemps,
elle resta ainsi accablée.

Brunette poussait de temps à autre des abois qu’elle prolongeait
sourdement en levant haut la tête.

Une voiture arriva dans la cour, et M. Rémy entra dans l’étable. Il dit
avec force:

--Aimée, emmenez votre mère. On va porter secours à votre père.

D’un regard, il avait bien vu que tout était fini. Chemin faisant, Aimée
avait propagé la nouvelle de l’accident. Des hommes et des femmes
venaient. Courteux parut le premier, car il habitait non loin de là, à
la Grangerie; c’était un paysan entre deux âges; il leva ses mains
noueuses:

--M’est avis qu’il s’est fini.

M. Rémy lui imposa silence. Aimée ne cessait de prier, soutenue par son
amie Clémentine Queyroix, fille du sabotier de Lascaud. Le curé n’allait
pas tarder à venir, mais il célébrait la grand’messe.

On entendit la grosse voix de M. Rémy.

--Il faut apprêter le lit!

Quatre hommes soulevèrent la dépouille. Le corps fut étendu sur le lit.
Le vieux Villard pleurait:

--Il s’est blessé, le pauvre ...

M. Rémy dit à la mère:

--Il ne reste qu’à prier Dieu.

A ce coup, elle ne cria pas, mais ouvrant le tiroir de la commode, elle
prit le gros cierge de la Chandeleur et l’alluma au feu. Et elle en
signa la poitrine de son homme comme on fait du pain de froment avant de
l’entamer.

Aimée ferma les volets; le pleur de feu qui s’étirait sur la cire fit
tressaillir les murailles comme si la maison souffrait elle aussi.

Cela fait, la mère se mit à crier par à-coups ainsi qu’une flamme qui
monte, descend et remonte encore.

--Ce n’est pas juste ... Ce malheur est tombé quand nous étions à la
messe.

Aimée implora:

--Ne dis pas cela, mère, je t’en prie.

Le vieux Villard s’approcha du corps de son fils; et des larmes
roulaient dans sa barbe. Il tremblait et ne pouvait parler, tout
étourdi.

La mère se tut un moment; puis de nouveau, elle gémit:

--Est-il donc bien mort, monsieur! Ce matin, il s’est levé, si brave, si
courageux à la besogne! Rien ne lui faisait peur, pas plus le froid que
le soleil. Il était aussi sain que du bon grain de bon froment.

Et comme si elle pouvait le faire lever de son lit, l’arracher à la
mort, elle l’appela d’un grand cri où se partageait son cœur. Elle tomba
et se frappa le front contre le chevet. Il ne sortit plus de sa gorge
qu’un halètement profond.

Aimée à genoux près de Clémentine Queyroix dit l’oraison qui traverse le
ciel.

    Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, Seigneur!
        Seigneur, exaucez mon appel!

Ayant achevé sa prière où s’amassaient des sanglots, un silence tomba;
et l’on n’entendit plus que les trois petits enfants qui pleuraient
derrière la porte.




II


On porta Villard dans le village des morts qui sommeille, gardé par sa
croix mérovingienne, près du clocher dont l’ombre tourne au soleil.

Huit hommes, des laboureurs, bons piocheurs et faucheurs, le
conduisirent à son dernier lit de repos; la cloche poussa sa voix, comme
on l’y couchait, jusqu’aux champs où il avait travaillé.

Il y eut à la Genette un repas où l’éloge du défunt fut prononcé sur un
ton grave et familier, selon la coutume, à la même table de cerisier où,
tant de fois, il s’était accoudé, le soir, sous le poids d’une bonne
fatigue.

On avait toujours connu Villard, franc et gai, avec une tête aux yeux
qui regardaient en face, des épaules carrées et des bras forts, «levant
bien l’été», ce qui est à dire la récolte, sans apparence d’effort. Il
était aussi de bon service et de langage plaisant. S’il ne vivait pas
souvent à la maison où il se trouvait à l’aise avec sa femme, son vieux,
ses petits, c’est que le travail le piquait sans cesse.

Les larmes ne sont pas perdues sur la mort des hommes de ce bois-là.
Hélas! on peut pleurer! On ne les rencontrera plus par les chemins et
les champs de ces pays d’en bas.

La mère s’était enfermée dans la chambre. Elle avait dit:

--C’est comme si je saigne en dedans. Si je parle, je vais crier et je
n’en peux plus. Faut me tenir couchée.

Sur le lit, elle gardait les yeux clos, dans le demi-jour des volets
fermés.

Aimée avait servi les agapes de la mort; elle se tenait debout, par
miracle; de la cendre s’était mêlée au teint de rose et de lait de sa
mignonne figure. Mais elle voulait assurer l’honneur et l’ordre de la
maison. A toutes choses, elle avait veillé. Tine, Vone et Nonot étaient
habillés, par ses soins, de cheviote noire.

Suivie de son grand-père et de Brunette qui, dans son museau couleur de
suie, levait des yeux beaux comme deux gouttes de feu doux, elle avait
attaché un morceau d’étoffe sombre aux chapeaux de paille des ruches en
prononçant tout bas les paroles coutumières:

    Abeilles, votre maître est mort,
    Je vous porte le deuil ...

Parents et amis s’en allèrent; et il semblait que l’horloge en plein
jour battît plus fort qu’au plus profond de la nuit.




III


La claire saison approchait. Les haies blanchissaient et verdoyaient. La
terre appelait au travail les solides garçons et les bonnes filles par
son blé qui s’étendait en brumes vertes et ses prairies plus épaisses.
Sur la ligne de l’horizon se suspendait et jouait la jeune espérance.

Mais, à la Genette, la mère se sentait le cœur vide, le corps sans
forces. Elle était de pauvre santé, et si elle avait travaillé souvent
plus qu’elle ne pouvait, c’est que le courage de son homme la portait.

La fête des Rameaux arriva. Dans les champs, le buis bénit fut piqué
pour garder la future moisson.

Partout, il y avait grande hâte; on faisait les derniers labourages, et
des pluies obstinées avaient retardé la plantation des pommes de terre.

Au domaine, depuis la mort de Villard, le courant profond et régulier du
travail était contrarié. Aimée nourrissait les bêtes, les conduisait au
champ, préparait le repas, pétrissait le pain, surveillait les petits;
et elle n’avait jamais fini de mettre tout en ordre dans le logis, sa
mère se tenant au coin du feu, les mains croisées sur les genoux,
immobile, gémissante, près du vieux Villard assoupi et morne. Mais elle
pensait avec un cuisant chagrin que le Vergnaud, la Fond-Belle, le
Cros-du-Loup n’étaient pas labourés.

Ce matin-là, le boucher de Rieux vint à la Genette. La mère avait décidé
que Calot serait abattu. On le fit sortir dans la cour, et, le prix
fait, il fut emmené au bourg; un valet lui tenait la queue et tapait
fort dessus avec un gourdin, tandis que le boucher le maîtrisait à la
tête, en l’entraînant au moyen d’une grosse corde.

La mère le vit partir du haut de la terrasse et elle l’appela: bête du
diable, qu’il aurait fallu cuire à petit feu. Puis elle revint se
rencogner dans l’âtre. Si Aimée lui demandait ce qu’il fallait faire,
elle répondait:

--Ma pauvre, fais ce que tu voudras. Je ne suis bonne à rien.

Pourtant, Aimée gardait sa vaillance intacte. Elle comprenait que tout
irait à la ruine et à la mort, si elle s’abandonnait à la douleur. Il
lui suffisait de caresser la tête des petits pour qu’elle fût aussitôt
plus ardente au travail et que disparût la fatigue.

Comme elle venait de peigner Vone et Tine, Nonot demanda:

--Mémée, dis, où qu’il est papa? Est-ce qu’il dort toujours? Quand
c’est-il qu’il ne sera plus malade?

Aimée baissait les paupières pour ne pas pleurer. Il leva vers sa grande
sœur ses yeux frais et il devina qu’elle cachait beaucoup de peine.
Alors il arrêta pour toujours ses questions et sa petite figure devint
sérieuse. Vone et Tine ne retenaient pas leurs larmes; Aimée les essuya
avec un mouchoir bien blanc. Et tous les trois, ils s’en allèrent à
l’école, sans rire selon leur habitude.

Comme elle les regardait s’éloigner, elle aperçut le père Courteux qui
venait d’un pas pesant.

Brunette bondit, aboya et ses crocs brillaient dans sa gueule noire.
Aimée l’apaisa.

--Petite, ta chienne n’est point plaisante, dit Courteux. Elle me
connaît bien pourtant. Alors, comme ça, vous avez vendu Calot, sans me
le dire. Moi, je l’aurais bien pris, quoique ce soit un animal pas
commode. A un ami de ton pauvre père, à un voisin, valait mieux le
vendre qu’à ces bouchers qui sont riches comme le diable. Je t’en veux.

Devant la première marche de l’escalier de la terrasse, il bredouillait
ses paroles qu’il coupait de soufflements, car il était un peu poussif,
à cinquante ans passés.

Aimée haussa les épaules et dit:

--On ne savait pas, Courteux.

Il monta les marches et vint dans la cuisine.

--Bonjour, vieille, tu te tapes dans la cheminée, ma pauvre. Tu as plus
goût à rien. Je comprends ça.

Il prit lui-même une chaise sans prêter attention à Aimée qui faisait le
ménage du matin. La mère repartit à bien faible voix:

--Comment veux-tu que je me guérisse de ce coup? C’est comme si j’avais
les reins cassés.

Il fit tourner la chaise où il était assis, face au feu de châtaignier
qui brûlait en claquant sec. Il était petit, un peu bossu, tout noueux
et relevait une tête maigre aux yeux clignotants, une face rasée,
creusée, mais rembourrée par des pattes de lapin et soutenue par un cou
desséché, fendillé comme une vieille brique. Il avait posé sur ses
genoux ses mains en pinces dont la peau, çà et là, semblait rôtie; il ne
pouvait plus les ouvrir tout à fait, tant elles avaient serré de manches
de pioche et de charrue.

La mère Villard ne le trouvait guère plaisant, cet homme plus dur et
sec qu’une bille de buis. Mais elle l’avait toujours un peu ménagé en
qualité de voisin. Et il était riche sans que nul osât le lui dire, car
il aurait sursauté de colère.

Il parla, ayant fait glisser sur la nuque son chapeau rond dont le
feutre était plus gras et crasseux qu’un harnais de bourrique.

--Ma pauvre, tu me fais du chagrin. J’aime point voir souffrir le monde,
et toi, je te connais depuis l’enfance. Et Pierre Villard, c’était un
crâne garçon. On était voisin. La Grangerie et la Genette, ça se touche;
ça n’est séparé que par des petites bornes de rien du tout. Nos terres
se touchent, nous autres de même, à cause de la plaisante amitié. On se
rendait des services comme ça se doit. A cette heure, je l’entendrai
plus pousser sa chanson en menant la charrue. Ça me fait deuil.

--Merci, Courteux, dit la mère en tisonnant, c’est vrai que c’est bien
de la peine. J’ai plus de goût, moi.

Aimée essuyait le vaisselier, préparait les légumes pour le repas du
matin, ce qui ne l’empêchait pas de considérer du coin de l’œil le père
Courteux dont la figure devenait toute rouge, peut-être à cause du feu
vif.

Ce vieil homme actif et d’apparence lente, elle l’avait toujours connu
aussi sec, mais plus taciturne qu’aujourd’hui. Pour qu’il parlât si dru,
il fallait une raison et quelque anguille sous roche; mais sa mère
accablée et lasse ne s’apercevait point d’un tel changement; elle
attendait qu’un bout d’oreille parût. Elle dit bien doucement:

--Vous parlez bien, père Courteux. Ce n’est pas votre mode.

--Ma petite Aimée, il y a des jours assez rares où il faut sortir sa
langue. Et c’est arrivé, à cette heure. Je parie que tu pensais point
que je vous aimais comme ça, parce que je disais rien. Mais ce maudit
accident, ça m’a retourné. Ta mère n’a que toi.

--Si elle n’a que moi, elle m’a bien.

--Oui, oui; mais il y a aussi les trois petits et quatre terres qui sont
point labourées. C’est pas toi qui feras ça, je pense, pauvre chère
mignarde. Les babioles du ménage, c’est ton affaire, mais la terre, on
la cultive pas avec un joli balai.

Aimée ne répondit pas à ces paroles qu’il poussait à petits coups, avec
une singulière prudence. Elle était curieuse de savoir ce que cachait
Courteux et ce qu’il allait montrer enfin. L’amitié que découvrait
brusquement le bonhomme, il n’en avait jamais laissé paraître autant, du
vivant de Pierre Villard. Et sa mère, si elle ne la mettait en garde,
était prête, affaiblie et triste, à tout prendre pour de l’argent
comptant.

Courteux maintenant tournait autour du pot. Il espérait sans doute que
la mère lui proposerait ce qu’il désirait avec tant de force cachée.
Mais les yeux ternes de la femme, où ne bougeait même pas le reflet du
feu, étaient remplis d’une désespérance immobile. Alors, il dut se
livrer. Il se chargeait de conduire, comme il fallait, le petit
domaine. Il avait sous la main les domestiques nécessaires. Il éleva un
peu la voix et l’on ne savait s’il souriait ou s’il faisait la grimace:

--Ma pauvre, je le vois, tu es plus bonne pour te poser sur une chaise
que pour travailler. Une idée me vient. Si tu voulais, tu pourrais me
vendre la Genette; je t’en baillerais un bon prix et tu serais bien
débarrassée. Je peux ce que tu peux point. Ça m’irait à moi parce que ça
touche ma terre. Et tu sais, la terre ne vaut que si elle est faite. On
trouve plus personne pour la soigner. Elle est trop basse.

La mère l’écouta sans sursauts; elle ne mesurait que son immense
faiblesse. Elle dit:

--On verra ça plus tard, Courteux. Mon beau-père est au champ, à cette
heure. On en causera.

Elle craignait de mécontenter un voisin riche et bien établi. Elle
pensait aussi qu’elle avait peu d’argent vaillant, car Villard, plus de
dix années, en travaillant à plein collier, avait tout juste payé des
champs dont le bien s’était arrondi. Il n’était plus là pour la
conseiller; c’était comme si on lui avait ôté le cœur de la poitrine, la
pensée de la tête, elle qui n’agissait que par lui.

--Faudra vite me donner une réponse, car j’ai des mignons jaunets à
cette heure et je veux les poser sur de la terre. On est venu me causer
d’un bien pas loin de là; si je l’achète, après j’aurai mon saoul.

Il souffla. Il en avait assez dit, étant de ceux qui trouvent qu’on
parle toujours trop et que le silence vaut le louis d’or.

--Allons, je m’en retourne à la Grangerie. Y a de la besogne par ces
temps. Je vois, ma pauvre, que tu n’écoutes point beaucoup. A ta place,
je serais tout comme toi. Pour un coup, c’est un coup.

Il se leva comme à regret:

--Pense à tout ce que je t’ai dit; mais j’ai quelque chose contre toi.
Si tu m’avais prévenu que tu vendais le Calot, je l’aurais acheté. Ça
m’aurait fait plaisir de le tuer de ma main.

--On n’a pas pensé, Courteux; autrement, tu aurais eu la préférence.
Mais parlons plus de ça.

--Ah! la jolie demoiselle que tu as, fit-il en regardant Aimée qui
haussa les épaules. Ça pousse comme de la pervenche.

Et il descendit les marches de la terrasse d’un pas balancé, étonnamment
rythmé ainsi qu’une étrange machine à remuer la terre.




IV


Courteux revint par le chemin le plus long à la Grangerie. Que la belle
saison parût se dénouer comme une écharpe du ciel, il ne s’en souciait.
Son regard suivait la ligne des prés et des terres de la Genette qui
touchait son domaine. Il supputait leur valeur; à la couleur du guéret
ou de l’herbe, il savait si l’eau était abondante ou rare. Le paysage
n’était pour lui qu’additions et soustractions qu’il opérait dans sa
tête dure avec lenteur et sûreté.

Il s’était assez vite enrichi en régissant des fragments de biens que
les possédants ne pouvaient cultiver eux-mêmes; pauvres lopins de femmes
veuves, âgées ou délaissées qu’il faisait valoir en retenant sous ses
pattes de loup le meilleur et le plus sûr de la récolte, tout en
gémissant sans cesse qu’il y perdait son argent, sa santé et sa peine.
Il arrivait qu’il achetât pour un peu de pain ces morceaux de champs
dont il dégoûtait peu à peu les propriétaires, à force de s’en plaindre
et de les décrier sur un ton papelard. On était à sa merci quand on
n’était pas riche; il le savait. La main-d’œuvre se faisait rare et
chère; et il était un bourreau de travail toujours brûlé secrètement
par la passion d’acquérir de nouveaux bouts de terre dont il formait une
belle boule, un domaine de premier ordre, trié avec soin.

Il allait à travers champs, suivant des lacets de chèvres et se mêlant à
ce bien qu’il convoitait. Il était franc et fertile, ce petit domaine,
sans marécages ou vallonnements qui font croupir l’eau dans les fonds.
Il avait été travaillé gaillardement et finement comme un jardin. Jamais
Villard n’avait épargné le fumier; aussi la terre était-elle en pleine
force.

Courteux s’arrêta au bord d’un champ qui se nommait «le Fondbaud». Il
était labouré à moitié; la mort brusque avait interrompu une bonne
besogne, car le sol était puissamment soulevé. Courteux se pencha, prit
une motte dans ses doigts recroquevillés, l’approcha de ses yeux et de
son nez, la renifla, puis l’écrasa. Il en avait chaud; il murmura:

--C’est du vrai or, cette terre.

Il la désirait avec une sorte d’amour qui couvait en lui comme un tison.
Ce bien de la Genette arrondirait d’un coup la Grangerie, sans qu’il fût
besoin de tailler et de coudre ensemble des morceaux point méprisables
mais difficiles à acquérir.

Quand il entra dans son domaine, ses yeux fixèrent la borne, pierre
plate et grise, lisse comme un gros palet que le soc avait éraflé. Il
tapa dessus avec son bâton. Quel jour, lorsqu’il l’arracherait!

Le soleil, après avoir tourné dans les nuages, les déchira et le ciel
devint tout bleu, pur comme une eau tranquille. Pâques approchait, et de
son œuf enchanté sortait le printemps; l’air était plus tiède. Les
chênes qui gardent ce pays abandonnaient au moindre vent leurs feuilles
que n’avaient pu arracher les tempêtes d’automne et la force des
souffles d’ouest. On voyait briller la pointe des bourgeons. Et Courteux
se disait: «Voilà un brave temps pour la pomme de terre.»

Il pénétra dans la cour de la Grangerie. Son chien Trompette vint le
fêter, il l’écarta d’un coup de pied. La maison où il vivait, était
construite au ras du sol, sans caves; et le lit, la maie, les meubles
boiteux, la table reposaient sur la terre battue. Courteux aurait pu
faire carreler l’unique salle enfumée, mais elle lui plaisait comme une
tanière bien faite pour lui.

A cette heure avancée, le feu était éteint dans la cheminée. Il ne
faisait pas froid et ne mangeait-on pas toujours assez!

Courteux était plus content que s’il avait été couvert de drap fin et
l’estomac plein de ces choses coûteuses que les gens de ville, si
badins, trouvent excellentes. Les œufs étaient vendus au marché de
Rieux, ainsi que le lait. Du pain dur, une noix de lard, une poignée de
châtaignes à la saison, c’était plus qu’il en fallait pour tenir le
corps au rôle de serviteur.

La femme allait souvent au marché. Courteux la voyait par la pensée;
elle était assise sur un rebord de pierre, le panier sur ses hauts
genoux, les mains prudentes le protégeant et l’œil mi-clos d’où sortait
parfois le regard ainsi qu’une aragne qui veille. Une fière femme
longue, rusée et sèche comme une rame à pois grimpants, bien faite pour
tout retenir; toujours travailleuse, avare, silencieuse, les lèvres
serrées et les doigts agiles pour accomplir les travaux incessants de la
vie. C’était la compagne qu’il fallait à un homme sérieux. Elle avait
rassemblé des piles de sous et de pièces d’argent, faisant à pied le
long chemin de Rieux, dès la pique du jour, ne buvant jamais chopine et
ne noircissant pas son nez courbe de cette poudre de tabac que les sots
achètent. Elle n’était pas de celles qui, se sentant quelque monnaie en
poche, la jettent à la hâte comme si c’étaient des crapauds. Elle avait
eu un enfant, un garçon, qui était mort alors qu’il faisait ses quatre
ans. On lui avait trop mesuré le lait, disait-on.

Les Courteux déjà avancés en âge se résignaient à ne point faire souche.
Parfois, un regret assez cuisant piquait l’homme, quand il voyait des
domaines où les enfants travaillaient comme de petits bœufs, sans que
l’on eût à les payer. Il avait dû louer un vieux valet, une sorte
d’idiot, robuste et docile; il n’était pas besoin de savoir lire dans le
journal pour labourer, faucher, donner à manger aux bêtes. De saison en
saison, il embauchait de jeunes garçons qui avaient encore un peu de
modestie et ne demandaient pas des salaires à faire se dresser les
cheveux. Quant à lui, il besognait à plein corps, toujours content et se
trouvant assez nourri et payé. On disait de lui qu’il ne se ferait pas
couper le cou pour vingt mille écus.

Le soleil était haut maintenant; à l’entour, la prairie s’étendait comme
une paisible lumière verte; le guéret avivait ses bures; et l’on voyait
dans des fonds les éclairs froids de l’eau vive.

Courteux appela sa femme:

--Ho! Nanée! Ho! Nanée!

Une réponse vint à lui, un cri aigrelet qui sortait de la terre des
Beaux que Piarrou avait préparée, profitant du bon temps sec.

Nanée, le panier de bois en main, plantait les pommes de terre après
les avoir coupées. Courteux pressa le pas pour aider et donner son coup
d’œil.

Piarrou le vit venir, mais continua de pousser la charrue pour recouvrir
la semence. Il allait, pesant, les membres tassés, le cou rentré dans
les épaules, sa grosse tête morne un peu penchée et montrant une
résignation sans bornes, dans le cercle de la vieille habitude.

Jean Charier, du village des Barres, petit valet rousseau de quatorze
ans à peine, agile comme une sauterelle, obéissait à Nanée.

Courteux cligna de l’œil pour mesurer la besogne. Ses courtes jambes
écartées, ses sabots de vergne enfoncés dans des mottes grasses, il leva
la main contre le soleil afin de mieux voir. Et tout à coup, il se mit à
crier d’une voix enrouée:

--Ha! mauvais Piarrou! Il fallait labourer de biais, du côté du pommier!
Sais-tu point qu’il y a trop d’eau à cette place? La pomme de terre y
pourrira; dix sacs de perdus. Misère, nous périrons de faim cette année.

Piarrou voulut répondre, mais il bredouilla des paroles qui vinrent au
bord de sa grosse moustache et retombèrent aussitôt dans son gosier. Il
arrondit les épaules et tourna le soc en piquant les bœufs.

Mais Courteux hurla:

--Tout ça, c’est mal fait! On voit bien que j’étais point là.

Et d’une main sèche, il alla trier les pommes de terre dans les paniers
de bois. Il eut un geste de grande pitié en disant à sa femme:

--En voilà quatre qui n’ont point d’œil! tu n’as pas honte!

Jean Charier se tenait à l’écart et redoublait de soins.

Courteux s’apaisait; il avait le sang rafraîchi de s’être mis en colère.
Ainsi, il éprouvait sa puissance. Accroupi près d’un sac de semence, il
murmura à l’oreille de sa femme:

--M’est avis que nous aurons la Genette. A cette heure, tout va s’en
aller à hue et à dia ... Y seront forcés de vendre.

Elle montra une indifférence qui le fit enrager; elle ne lui cacha pas
que, pour sa part, elle avait plus de terre qu’elle n’en pouvait
travailler.

--Je suis le maître ou non, grogna-t-il; innocente, on l’aura pour un
morceau de pain. Laisse-toi mener. Le temps est bon pour nous; faut en
profiter.

Comme d’habitude, elle se rendit à ses raisons. Le point de feu qui
brillait sous les paupières clignotantes de son homme l’alluma, à son
tour, du vieux désir de posséder de beaux arpents au soleil.

Il était clair, à cette heure, le soleil; il chauffait doucement les
sillons, répandant sur la campagne et dans l’air sa grande promesse
dorée qui ferait se lever de son grabat un paysan à l’agonie.




V


La semaine blanche de Pâques était passée. A la Genette, la mère Villard
ne retrouvait aucun courage. Elle mangeait peu, somnolait le jour et
veillait la nuit où la peine s’aiguise mieux dans le silence. L’offre
que Courteux avait faite, elle ne l’oubliait pas. A quoi serviraient
désormais champs et terres, sans bras pour les travailler? Avec l’argent
qu’elle tirerait de la vente, elle mènerait jusqu’à l’âge d’homme le
petit Jeannot. L’important était de manger du pain, en attendant
l’éclaircie. Aimée pourrait apprendre le métier de couturière.

Maints projets tournaient dans sa tête; puis elle retombait vite à ses
doutes et à sa douleur. Pourtant elle s’étonnait quand elle voyait,
chaque jour, Aimée qui allait et venait dans la maison, l’animait,
veillait à toutes choses, préparait les repas, chauffait même le four,
et amusait les petits à leur retour de classe, toujours levée avant
l’aube et couchée à la nuit bien close. Une grande émotion lui venait de
cette enfant robuste d’âme et de corps.

--Je peux guère t’aider, ma Aimée! Comment peux-tu faire?

Mais elle répondait si paisiblement avec une force tellement sûre que la
mère souriait. C’était donc une fée que cette petite qui repoussait le
malheur et le fixait d’un regard si clair?

Le vieux Villard, que les rhumatismes tourmentaient, avait quitté le
coin du feu pour plaire à sa petite-fille. Il menait les bêtes au champ
et leur donnait le fourrage. Il travaillait en gémissant; il n’y avait
plus d’huile dans son vieux corps, disait-il, et il était rouillé à tous
les joints; mais quand Aimée le remerciait en le baisant sur sa
barbiche, il en était réchauffé.

Elle avait appris à Vone et Tine à s’occuper en revenant de classe. Vone
savait maintenant tenir un balai de genêt fait à sa mesure et Tine
essuyait comme il fallait les assiettes, sans les casser. Nonot
rassemblait pour le feu des brins de fagots qu’il mettait en tas. Aimée
était heureuse en voyant ces petiots s’appliquer en tirant un bout de
langue en cerise; mais ils n’osaient plus jouer à la barbichette avec le
grand-père.

Quand Aimée était trop lasse et s’asseyait un moment près de la longue
table de cerisier, Brunette venait lui faire fête; un pacte d’amitié les
unissait. Elle l’avait vue des journées entières, chercher le défunt, le
nez flairant le plancher, les meubles, avec un souffle pressé.
Longtemps, elle mena ce manège, le poil hérissé, la queue basse, pleine
d’une humble fidélité. Et ne découvrant pas le maître dans la maison, le
cellier, la grange ou l’étable, elle sortait, courait longtemps les
sentiers, humait l’air et revenait, lasse et triste, auprès d’Aimée en
levant vers elle des prunelles dorées, qui l’interrogeaient ardemment.
Aimée pleurait quelque temps en silence, essuyant ses yeux de peur qu’on
ne la vît montrer sa douleur. Et sur ses genoux, Brunette appuyait son
museau comme pour dire:

--Je pleure avec toi.




VI


Il fut décidé que l’on pourrait se passer de Pompon et de la petite
charrette. Le vieux Villard accompagné d’Aimée les vendit à un jardinier
de Rieux, un jour de foire. Il y eut, pour conclure cette affaire,
maints serments et maintes indignations. Aimée, avant de le laisser
partir, donna à Pompon un biscuit qui fut englouti et elle caressa son
bon museau.

Comme ils allaient revenir à la Genette, ils rencontrèrent Jeannette
Lavergne qui les pria à manger dans sa maison, midi étant proche. Elle
exerçait le métier de couturière et vivait dans une demeure proprette,
bien crépie à la chaux. Elle ouvrit à ses invités une porte vitrée que
coloraient des rideaux rouges. Et parlant d’une langue vive, elle se mit
à gémir doucement en avançant des chaises autour d’une cuisinière très
fourbie où ronflait un triste feu. Le vieux Villard tendait ses mains
pour les réchauffer, car il faisait froid.

--Ça vaut pas la cheminée, dit-il. Le feu s’ennuie là-dedans, m’est
avis, et ceux qui sont autour.

Jeannette Lavergne pouffa de rire et lui expliqua ce que c’était que le
progrès. On ne chauffait pas l’appareil au bois, mais au charbon.
Quelle économie!

--Je le sens bien, maintenant, fit le vieux en reniflant.

Sur une petite cheminée toujours froide, il y avait une pendule en faux
bronze, gardée par deux vases en biscuit où étaient piquées des fleurs
en étoffe.

Jeannette Lavergne, bien qu’elle eût passé la cinquantaine, s’habillait
à la mode; c’était une dame. Elle se coiffait d’un haut chignon
artistement étagé, et son visage rosé de blonde, fendillé par l’âge,
brillait bien lavé et fleurant le savon des princes du Congo. Elle
aimait à plaindre un moment son prochain avec un grand air de sincérité,
mais elle parlait sans se lasser de ses propres malheurs. Son mari
défunt, un homme fidèle, travailleur, délicat, avait été emporté par
une congestion, tandis qu’il venait d’achever, étant menuisier, une
armoire magnifique.

En mettant le couvert, elle dit du bout des lèvres:

--Ma pauvre Aimée, vous n’avez guère de chance, vous aussi. Je t’ai
connue, bien petite, ma chère mignonne. Tu as été longtemps chez
l’institutrice et tu sais des choses qu’on ne connaît pas à la campagne.
Comment vas-tu faire pour t’occuper de ce bien; ta mère, la pauvre, est
si peu forte. Tu te briseras le corps et tu n’auras quasiment pas de
jeunesse. Ce qu’il te faudrait, c’est un métier comme le mien, propre et
gentil, un métier de dame.

Aimée répondit avec un grand calme qu’elle ne quitterait pas la Genette
où, depuis toujours, sa famille avait travaillé. Le vieux approuva sa
petite-fille. Jeannette Lavergne repartit:

--Oui, chacun ses goûts.

Mais elle était vexée qu’on n’eût pas vanté le métier où elle excellait.
Elle chassa ce nuage et dit:

--Sais-tu que mon beau Jacques est au pays? Tu t’en souviens, peut-être;
il était à l’école communale avec toi; mais tu étais bien plus jeune ...
Il y a longtemps que tu ne l’as point vu; tu ne le reconnaîtrais plus.
Il est chez un avoué de Limoges. C’est un vrai gentilhomme! Mais il
tarde bien à rentrer. Mon lapereau au vin sera trop confit. Tout le
monde lui court après ... Je parle de mon fils, car le lapin ne courra
plus à cause qu’il est cuit tout à fait.

Le vieux Villard s’ennuyait près de la cuisinière qui ronronnait; et
tout bas il pestait contre cette bavarde qui les avait retenus comme ils
revenaient à la Genette. Mais ils étaient un peu cousins de cousins, et
il avait le respect de la parenté, même la plus éloignée.

Jeannette Lavergne s’empressa autour de la table et se plaignit d’être
tombée dans sa cave et d’en souffrir encore.

--Elle n’est pas tombée sur sa langue, se dit le vieux.

Cette pensée le fit sourire. Triant une salade, Jeannette raconta
l’histoire d’un héritage manqué. Aujourd’hui elle serait riche à ne
savoir qu’en faire. Aimée lui prêtait une attention un peu feinte qui
attisait ses paroles, et il n’en était pas besoin.

Jacques Lavergne entra; il tenait à la main une badine élégante.

Il s’arrêta sur le seuil, un peu hésitant quand il aperçut Aimée. Vite,
il voulut être distingué par cette belle fille paysanne dont l’air de
santé l’émerveillait secrètement. Il ôta galamment son chapeau et
courbant sa haute taille, il dit, la lèvre fine et la moustache taillée:

--Mais c’est une ancienne petite camarade d’école ... Qu’elle est
devenue jolie! ajouta-t-il en se tournant vers sa mère.

--Je vous reconnais maintenant, Jacques, dit Aimée. Vous avez pourtant
bien changé!

--A son avantage! s’écria Jeannette Lavergne.

Il prit un air de grande modestie.

--Je ne sais pas si c’est vrai pour moi, mais pour mademoiselle Aimée,
il n’en faut pas douter.

Il s’aperçut enfin de la présence du vieux Villard et il lui dit des
paroles qu’il faisait rustiques à dessein, sur un ton qui signifiait que
telle n’était pas son habitude.

Villard répondit en patois limousin, par secrète malice. Jacques voulait
montrer qu’il avait oublié ce langage qu’il jugeait naïf. Le contraste
amusait Aimée et elle en riait sous cape.

A peine Villard eut-il bu le café qu’il se leva, sa bru n’avait pas été
prévenue, et les jambes lui démangeaient de revenir à la Genette.

Comme il ne manifestait aucune curiosité, Jeannette Lavergne lui dit en
patois:

--Vous ne m’avez pas demandé pourquoi mon Jacques est ici? C’est rapport
à sa santé. Il a tant remué de papiers que ça l’a tout pâli et le
médecin lui a donné un congé de trois mois.

--Eh bien, ça va comme vous voulez alors, repartit Villard en prenant
son bâton, pour fuir cette femme qui gémissait en souriant.

Jacques Lavergne disait à Aimée qu’il serait heureux d’aller la voir à
la Genette. Elle répondait à peine, troublée sous les yeux de ce garçon
où elle découvrait une étrange ardeur. Mais dès qu’elle eut passé le
seuil de la maison, une grande hâte la pressa vers les petits qui
l’attendaient et le courant de l’humble vie qu’il fallait bien
maîtriser.




VII


Un jour de fin avril, comme le vieux Villard, tout encapuchonné, car le
vent était encore froid, gardait les bêtes dans le pré des Beaux, Aimée
vint lui tenir compagnie. Elle avait besoin d’un appui et de fortifier
la résolution qu’elle avait prise.

--Grand-père, tu n’étais pas là quand Courteux est venu proposer
d’acheter la Genette. Je ne puis penser à ça sans que j’en aie le cœur
serré.

Le vieux regarda les vaches qui paissaient tranquillement et Brunette
qui se tenait assise sur un talus verdoyant. Puis son œil gris piqua sa
pointe, sous le sourcil blanchissant, vers les champs que l’on ne voyait
pas, cachés par des haies touffues.

--Petite, on aura de la peine pour la garder cette terre que mon garçon
avait si bravement travaillée. Je suis, à cette heure, un pauvre vieux,
mais je t’aiderai. Ce qu’on pourra pas faire, on le laissera. Le bon
temps revient après le méchant temps.

Alors elle pleura d’espoir, le remerciant de penser comme elle.
L’embrassant, elle appuya son cœur sur ce vieil homme et une douceur
sécha ses larmes.

--Vois-tu, grand-père, ce qu’il nous faut, c’est un bon laboureur. Ça me
fait de la peine de voir que d’autres ont planté les pommes de terre et
que nous n’avons pas encore labouré.

--Je ne le peux, moi, à mon âge; je suis comme un vieux pommier à moitié
sec. Mais j’ai une idée qui te plaira. Reviens vite à la maison aider ta
mère qui n’a plus goût à rien.

Elle s’en alla, ardente et paisible; une grande force la poussait dont
elle s’étonnait soi-même.

Le vieux resta au champ le temps qu’il fallait pour que les bêtes
eussent leur saoul. La première herbe est bien tendre et
rafraîchissante. Un mois, on peut la faire brouter; après, on la laisse
pousser pour la faulx.

Le jour était calme; le vent assoupi écoutait l’eau courante. L’épine,
dans les buissons, était en fleurs. Et les oiseaux qui ont un langage
que l’homme des champs sait traduire, chantaient partout. Villard
s’était assis sur une souche de noyer mort, et il se tenait immobile
dans la grande paix printanière qui couvrait le pays. Enfin il appela
Brunette qui, par bonds et par voltes, rassembla les vaches et les
poussa vers la Genette; il les suivit, appuyé sur son bâton, et pensant
dans sa vieille tête à ce que lui avait dit Aimée.

Il était si âgé qu’il restait des heures et des journées sans se soucier
des choses qui avaient occupé sans cesse sa vie de paysan courageux au
travail. Mais que sa petite-fille eût parlé, c’était assez pour qu’il se
mît en quête, l’esprit soudain amorcé.

Quand il eut attaché les vaches dans l’étable où il releva la litière en
grognant de ne pouvoir à quatre-vingts ans se reposer, il prit le chemin
qui mène au village de la Maillerie.

Les jours s’étaient allongés, à deux heures de relevée, le soleil
quittait à peine le milieu du ciel. La terre se chauffait à cette
première ardeur de la saison. Sur les pentes s’ouvrait le drap d’or du
colza fleuri; et la prairie, le guéret, le jeune blé mêlaient à
l’horizon ces belles couleurs du monde que reflète le cœur de l’homme
paisible. Dans les ruisseaux s’éparpillaient des escarboucles que
remuaient les fées de ce pays qui retrouve une fraîche nouveauté quand
le sol, en ces mois du printemps, devient aussi riant qu’un clair matin
dans le ciel.

Villard, malgré la tiédeur et les rayons de la journée, se sentait lourd
et traînait la jambe; mais des coups égaux de son bâton, il se poussait
en avant. Il allait, plein de l’espérance et de la bonne volonté que lui
avait soufflées sa petite-fille.

Il franchit au pont de Chanaud la Gartempe qui verdoyait comme les prés
qui venaient s’y baigner. Et prenant un raidillon, il se dirigea vers la
Maillerie, village d’une douzaine de feux qui est niché non loin de la
rivière.

Le meunier qui s’en allait à Rieux livrer de la farine dans sa carriole
où son dos vêtu de drap gris se tassait comme les sacs de froment, lui
cria, tout étonné:

--Et où allez-vous comme ça, père Villard?

Il répondit par quelques mots confus et continua sa route. Seules
résonnaient toujours en lui les paroles d’Aimée.

Il fallait que les terres fussent labourées et que la Genette ne tombât
pas à rien. Ce paysan recru voyait encore, au couchant de sa vie, se
lever le haut soleil annuel des récoltes; et il pensait que ce serait
crime de laisser sans semences, de bons champs toujours féconds, quand
la besogne est bien faite.

Il frappa à la porte de Jean Desforgues qu’il avait vu grandir. C’était,
il s’en souvenait, un brave garçon, et jadis, il l’avait engagé à la
Genette pour lever l’été. Il était bon laboureur et rude faucheur.

Jean bêchait son jardin; il vint au bruit, et sur le seuil, il dit:

--Finissez d’entrer, père Villard, ma femme lave la lessive par ce
temps.

Il approcha de la cheminée sans feu, une chaise qui branlait sur la
terre battue. Il tourna vers le vieux Villard une tête de rousseau, déjà
grisonnante:

--Qu’est-ce qui vous amène? demanda-t-il, l’œil mi-clos.

--Mon gars, dit Villard, en appelant toutes ses forces, tu sais bien le
malheur qui nous est tombé dessus ... On n’est plus assez à la Genette.
Et ça me fait deuil de laisser la terre sans soins et besognes. A cette
heure, il y a plus beaucoup de bras pour l’ouvrage. Tu me ferais
plaisir, mon ami, si tu venais à la maison pour nous aider. Je te
baillerais cent vingt pistoles et un habit neuf avec une paire de
souliers. Ma bru peut quasiment plus bouger tant ça l’a mise en chagrin,
la mort de mon pauvre garçon. Tu l’as connu; il était bon et vaillant.

--Oh! pour ça, oui! un bon homme. Mais j’aime mieux vous le dire tout de
suite, je peux point venir chez vous. Courteux m’embauche à belle année,
à cause qu’il a son bien de la Grangerie et aussi le bien de ceux qui
peuvent point le faire.

Ayant dit ces mots, il considéra avec attention les chenets comme s’il
les voyait pour la première fois.

Le père Villard trouva alors des paroles de bonne amitié, rappela qu’il
avait été, dans le temps, bien satisfait de la besogne de Desforgues. Ce
fut inutile. En se levant de sa chaise pour revenir à son jardin, il
déclara, sur un ton qui blessa Villard:

--Ah! pauvre vieux! Pas de chance, appelle pas de chance! Si mes enfants
n’étaient pas tous à la ville, je vous en aurais laissé un pour vous
tirer de peine. Mais moi, je peux point mécontenter Courteux qu’il faut
pas faire enrager, car il est point commode.

Villard prit son bâton qu’il avait posé près de la porte. Et tout
raidi, il s’en alla en disant:

--C’est comme tu voudras, mon gars. Je m’arrangerai ailleurs.

--Et pourquoi que vous vendez pas, si vous pouvez plus faire? Courteux
vous achèterait la Genette ...

Mais Villard gronda:

--C’est-il que tu serais d’entente avec lui? On vendra point le bien où
mes vieux et mon garçon ont tant peiné. Tu peux lui porter ça à
Courteux. Et s’il y a pas de chance, y en aura point. C’est pas au beau
temps qu’il y a vaillance à tenir bon.

Il hochait la tête et tremblait. Desforgues alla reprendre sa bêche.

--Bien le bonjour, siffla-t-il.

Villard prit un sentier qui tournait sous des châtaigneraies et tirant
le pied il monta vers le village du Cluzeaud.

Il gravissait la pente de la vallée, trouée de roches grises où le
lichen faisait des ors verts, ponctuée des fuseaux du genévrier. Dans
cette immense solitude, le cri d’un oiseau sauvage passa. La bruyère
devenait drue et les fougères levaient leurs petites crosses de verdure
tendre. Il y avait à mi-coteau des enceintes de pierres sèches que des
hommes, dans des temps bien finis, avaient formées et que les fées,
maintenant, habitaient. De ce point, on découvrait des étendues de
campagne, à perte de regard; et la rivière coulait en bas, anguille
lumineuse qui se glissait, tordue en des profondeurs vertes et se
cachait pour montrer soudain, à une lieue, un de ses anneaux que le
soleil écaillait de feu.

Villard ne regardait pas ce coin de terre familier. Avec l’obstination
lente de la vieillesse, il poursuivait sa route, et le refus de
Desforgues avait aiguisé encore sa volonté de trouver un valet. Où était
le temps jadis, quand le pays avait de bons bras à son service, en toute
saison? Autrefois, que l’on fît un signe, un appel, et de braves garçons
s’en venaient à l’aide, bien contents de travailler et de faire du blé
pour chacun et pour tous! Pauvres jours où servir n’avait plus sa joie
et son honneur, quand on ne pensait qu’à se raidir l’échine en guignant
des poignées d’argent et en maudissant la bonne peine de gagner sa vie!

Lorsque Villard eut atteint la cime de la vallée, il aperçut le village
du Cluzeaud: huit maisons basses, couvertes de grosses tuiles brunes,
assises au bord d’une mauvaise route rocailleuse, quatre d’un côté,
quatre de l’autre, et se regardant par leurs étroites fenêtres, pleines
d’ombre.

Il appela, tout essoufflé, Pierre Lechamp; mais ce fut la femme qui
répondit, venant sur le seuil que barrait un portillon. Le tricot aux
doigts, sans interrompre le mouvement sec des aiguilles qui serraient
des mailles de laine dure, elle dit:

--C’est vous, père Villard, vous voulez parler au Pierre? Il n’est point
à la maison: il tire de la pierre dans la carrière du Masblanc pour
l’agent voyer. Entrez vous asseoir. C’est loin, de la Genette au
Cluzeaud; et vous avez vendu l’âne.

Elle parlait en chevrotant; et dodelinant sa tête serrée dans un
mouchoir dont un coin sortait en oreille de lapin, elle expliqua que son
homme n’avait pas une journée libre.

--Vous venez, peut-être bien, rapport à vos terres; et votre garçon
n’est plus là pour les faire ... Mais, vieux, vous mangez pas les sangs.
M’est avis qu’il faut vous reposer, mon pauvre, et laisser tout ça. Vous
en aurez toujours assez, à preuve que vous êtes plus bien jeune. Chacun
son tour.

Il allait entrer, mais quand il entendit ces paroles, il recula comme si
on l’avait frappé. Il se souvenait qu’il avait donné jadis à cette
femme un sac de froment, par bonté comme on le doit, car elle vivait
chichement, ayant cinq enfants à élever qui, maintenant, tous placés à
la ville, lui servaient une petite pension.

Il s’éloigna; et il faisait sonner son bâton sur les pierres pour
montrer qu’il dédaignait la commère qui le regardait partir.

Quand il arriva au tournant du chemin, il s’assit sur le rebord du
fossé, car ses jambes pliaient sous lui. Il était pris d’une grande
faiblesse; dans son jeune temps, même quand on ne s’accordait pas, on
offrait toujours un verre de cidre, un bout de pain et de salé. Et il
avait faim. Mais ceux qui sont vieux deviennent légers comme les
petiots. Il se mit à rire d’un pauvre rire qui tirait sa lèvre où le
sang ne montait plus: «Ah! ces mal plaisants! pensait-il, si on a besoin
de rien, on peut venir chez eux.» Des larmes mouillèrent ses yeux qu’il
essuya vite avec ses doigts. Il fallait que sa petite-fille fût
contente, ce soir, quand il rentrerait. Il était assez âgé pour faire un
mort, mais avant de s’en aller au cimetière, il pensait à Vone, à Tine,
à Nonot qui aimaient tant à jouer à la barbichette. Ces petits becs
demandaient la becquée. Il se leva en s’aidant de son bâton: il fallait
se hâter, car le soleil descendait sur la vallée. Il murmura:

--Faut que je trouve ... Hélas, quand on est vieux, on n’est plus si
fin.

Il songea à Justin Brilloux qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Il
en gardait un bon souvenir. Il habitait à l’Age d’Amont, en dehors de la
commune de Rieux.

Le vieux marcha en allongeant le pas; il y avait à faire une demi-lieue
de chemin. Quand il fut arrivé au seuil de la maison de Brilloux, il
souffla un moment avant de frapper; mais Justin parut sur sa porte,
l’ayant vu venir. Villard eut peine à le reconnaître. Brilloux, à
soixante ans, n’était plus qu’un vieillard sans force, tout ratatiné,
tout desséché. Cependant ses yeux étaient restés jeunes ainsi que sa
langue.

--Ah! vieux, je suis bien aise de vous voir. Vous ne montez plus de ces
côtés. Moi, je bouge plus d’ici. Je vaux plus rien, mon pauvre; sans ma
bonne vieille, je périrais.

L’ombre tombait, mais la mère Brilloux entra, portant un fagot bien sec
qu’elle dressa dans la cheminée. Elle y mit le feu qui monta d’abord
dans la brindille et vite brûla clair sous la marmite.

Elle salua Villard, et tout de suite le plaignit de plein cœur pour cet
accident du diable qui avait porté son gars en terre.

--Vous avez eu bien du malheur. Si Brilloux pouvait vous prêter la main,
ce serait avec plaisir. C’est juste s’il tient sur ses jambes.

Villard remercia pour l’amitieuse pensée. Il dit avec un sourire tout
naïf, comme en peuvent avoir les petiots ou les trop vieux:

--Je comprends point que toi, Brilloux, qui as deux fois dix années de
moins que moi, tu sois comme ça tout tapé; ça serait bon à moi, mais je
vaux pas cher; une pauvre peau sur des os si secs que du bois sec.

Il but un verre de cidre que lui servit Brilloux. Ils trinquèrent. Le
jus de la pomme, qu’il accompagna d’une croûte de pain, mit un peu de
rouge à ses pommettes et lui remua le sang. Il serra la main de Brilloux
et dit sur le pas de la porte:

--Te souviens-tu quand tu levais l’été à la Genette? On travaillait
autant les uns que les autres. Tant plus on suait, tant plus on buvait.
Le soleil pompait tout ça. Ah! pauvre bon temps.

Le soir était tout à fait venu. Villard se dirigea vers Ballanges:
quatre maisons accroupies dans une terre qui fait le gros dos sur la
Gartempe.

Bientôt la nuit tomba à menus flocons, et le ciel, qui était à l’ouest
d’argile jaune, montrait une petite plaie aux lèvres retournées, comme
en peut faire un couteau de boucher, et qui devait saigner en dedans. On
entendait au loin un cri long et sonore de bergère appelant son chien.
Une coulée noire emplit la route que suivait Villard, et les arbres du
fossé perdaient leurs formes dans le brouillard qui se levait. Un rayon
de lampe que l’on allumait au village proche venait jusqu’aux yeux du
vieil homme.

Il arriva à Ballanges; des chiens aboyèrent. Il appela, étourdi de
fatigue.

--Ho! Fansat! Ho! Lionnou! Es-tu là?

Fansat ouvrit sa porte, et il aperçut le père Villard qui pesait des
deux mains sur son bâton et tremblait comme un homme saoul.

--Entrez donc, père Villard, dit-il.

Mais le vieux continuait de trembler. Alors il le prit sous le bras et
le conduisit devant la cheminée. A la vue du feu qui brûlait clair,
Villard se ranima. Il parla en hâte, sans demander comment allaient la
santé et les affaires de la maison. Lionnou, près de la flamme, haut et
long, avec une tête en broussailles, une figure gardant tout son poil et
piquée par des yeux gris, avait l’air d’un grand chien mouton. Trois
petiots étaient assis entre les chenets, le derrière par terre, et la
mère, forte femme, apprêtait la soupe du soir. Fansat écouta Villard,
mais d’abord il ne comprit pas grand’chose à ses paroles précipitées.

--Mon gars, tu as servi dans le temps, chez nous, petit valet, reprit
plus lentement Villard qui soufflait, les pieds devant la braise. Y a du
malheur à la maison; tu le sais bien. Y nous faut un garçon courageux et
plaisant comme toi pour nous aider. Ne réponds pas non, Lionnou.

--Vieux, arrêtez-vous de parler. J’ai des journées à faire à la
Borderie, mais je m’arrangerai à venir chez vous. On connaît le brave
monde.

--Tu auras cent vingt pistoles.

--Ça suffit. Pas plus tard que demain, j’irai chez vous. Vous pouvez le
dire et vous allez manger la soupe avec nous.

--Laisse-moi m’en aller, mon fi. J’ai besoin de m’en revenir. Je suis
content.

Mais Fansat voulut l’accompagner un bout de chemin. La lune était dans
son premier quartier et luisait bien faiblement.

Villard était exténué; ses épaules fléchissaient et sa tête alourdie le
poussait en avant, mais il crispait sa main sur son bâton pour ne pas
tomber. Parfois une joie lui chauffait le cœur, une pauvre joie infinie
et vague.

--Ils seront contents, marmonnait-il.

A une lieue de la Genette, Lionnou Fansat le quitta; ils n’avaient
échangé que peu de paroles.

Il passa la Gartempe au pont de Chanaud; la lune se cachait dans de gros
nuages. L’ombre était épaisse, et maintenant le chemin devenait raide en
serpentant vers la Genette.

Le vieux grondait:

--Ça va bien, j’arrive ... Patience ... J’arrive.

Et il jetait en marchant des «han» comme un homme qui enfonce un coin de
fer dans du bois dur. Il serrait ses mâchoires pour lutter contre une
fatigue terrible, et bien qu’un vent froid se fût levé, la sueur roulait
de sous son chapeau. Peu à peu, les ténèbres dansèrent devant ses yeux;
des formes se mêlaient et se séparaient. Soudain, il crut voir au bord
du sentier un homme qui était assis et qui soutenait sa tête dans ses
mains.

--Ce serait-il toi, mon pauvre garçon? demanda-t-il.

Il s’approcha, ne rencontra rien qu’une ombre qui s’effaçait; il
trébucha et roula dans le fossé. Alors, il eut peur et cria. Il était
seul; il se releva avec grande peine. Et continuant de marcher, il
répétait pour se donner du courage:

--J’arrive, Aimée, Tine, Vone, Nonot ... Patience!

Enfin, il vit se dresser la masse noire du toit de la Genette. Aimée
était accourue à sa rencontre, suivie de Brunette qui jappait de
plaisir. Il dit:

--Lionnou Fansat viendra chez nous, dès demain.

Elle s’écria:

--Grand-père, comme je suis contente! Mais que j’ai eu d’inquiétude pour
toi!

Quand il passa le seuil, tandis que Brunette lui léchait les mains, il
montra à la lueur de la lampe une figure toute creusée, où du sang
coulait dans la barbiche blanche. Aimée s’écria, effrayée:

--Tu es tombé!

En hâte, elle prit un linge pour le laver avec de l’eau de lavande. La
mère se lamentait, mais il souriait, s’étant assis dans le fauteuil de
bois. Il mangea la soupe qu’on lui avait gardée chaude, près du feu.




VIII


Le lendemain, Lionnou Fansat frappa de bon matin à la porte de la
Genette. Au moyen d’un fort bâton appuyé sur l’épaule, il portait une
valise de toile où se balançait une paire de souliers à clous.

Brunette aboya. Seule, Aimée était levée; la mère, les petiots, le vieux
dormaient encore.

Elle ouvrit à Fansat et le fit entrer, en lui disant des paroles
d’amitié et de merci. Elle avait préparé un tourain qui est un bouillon
à la farine de blé, relevée d’une gousse d’ail ou d’un oignon frit dans
du lard.

--Asseyez-vous et mangez un peu. Il fait loin de Ballanges à la Genette.

Elle posa sur une serviette de chanvre une bouteille de cidre bouché, et
une assiette de salé.

Fansat, plaçant ses hardes dans un coin, la remercia bien poliment. Il
mangea la soupe chaude et but un bon coup.

De derrière les rideaux à fleurs qui fermaient de tous les côtés son
lit, le vieux Villard envoya à Lionnou Fansat un salut tout enroué.

--Je peux point me lever encore, mon pauvre.

--Vous tracassez point, repartit Fansat. On fera ça qu’il faut.

La mère à son tour s’éveilla, fit entendre quelques plaintes et se
rendormit.

--Ne faisons pas de bruit, dit Aimée. Laissons-les dormir. Pourvu que
les petits soient réveillés une heure avant la classe; ça suffit. Il
faut du sommeil à ce petit monde.

Brunette qui avait grondé quelque temps se tut, et levant son nez fin
vers Lionnou, elle devinait un ami.

Le ciel parut se hausser et l’air devint bleuissant et doré.

Fansat alla à l’étable et remarquant que les bêtes mangeaient et que la
litière était propre, il s’étonna:

--C’est-il vous qui avez tenu ça en état? C’est point de la besogne de
demoiselle. Mais c’est brave, ça!

Elle rougit de confusion, et dit qu’elle avait fait comme elle pouvait,
sans plus. Fansat la considérait, ébaubi; et liant deux vaches qu’il
attela à la charrette où il porta le soc, il se mit à parler de
confiance:

--Ah! mademoiselle Aimée, si j’avais su que vous soyez en peine de
trouver quelqu’un, y a bon temps que je serais venu. Vous vous souvenez,
peut-être, que j’ai prêté souvent la main à Villard quand j’étais jeune
valet, mais vous étiez toute petite. Courteux de la Grangerie jasait
partout qu’il achetait votre bien et j’ai idée qu’il racontait des
histoires au monde pour qu’on n’aille pas chez vous et que vous lui
laissiez le bien pour bon compte, à force d’ennui.

Elle était heureuse et ne songeait à accuser personne par ce matin moins
pur que son cœur où la lumière s’ouvrait. Elle dit:

--Je vais vous montrer les terres. C’est un beau temps pour labourer. Je
reviendrai vite, car il faut m’occuper des petits et de mon grand-père.

Tandis qu’ils cheminaient, le soleil s’élevait, découvrant tout le pays,
glissant sur les haies, coulant dans le guéret, les prairies, les eaux
où ses ors se mêlaient d’argent parmi de grandes brumes bleuâtres.

Ils arrivèrent au Fondbaud. Fansat s’écria:

--Le temps y est. Faut se presser.

Il enleva le soc de la charrette, détacha les vaches. Puis, ayant lié
les bêtes à la charrue, il les guida de l’aiguillon et d’un cri sonore.
Le soc fonça dans les dernières mottes que Pierre Villard avait
soulevées, et il fendit doucement la terre.

Aimée gardait le silence, pleine d’une grande émotion. La trace du
sillon interrompu s’effaçait dans la lumière. Un moment, elle revit dans
son cœur son père défunt, quand il allait, les bras allongés, les mains
tenant ferme les mancherons, les regards attentifs. Elle entendit de
nouveau le son de sa voix, sur cette campagne. Puis elle ne vit plus que
Fansat qui conduisait l’araire et le soleil qui enchantait la terre
ouverte.

Il dit:

--Je rentrerai à mi-jour.

Elle lui souhaita bon courage et revint vite à la Genette en coupant à
travers champs. Elle pensait qu’il fallait pétrir le pain et faire, dans
l’après-midi, des lavages de linge. Quand elle rentra, la mère était
levée et s’occupait à casser quelques brindilles qu’elle jetait au feu.

--Ma pauvre Aimée, souffla-t-elle, je suis fort aise que notre vieux ait
trouvé Lionnou Fansat, c’est un bon homme. Mais de payer un valet, ça
sera bien cher. Et moi, je me fais honte; je peux plus travailler comme
autrefois. Je passe une heure de temps où j’aurais mis quatre minutes.
Ça fait que tu as une grosse charge. Pourras-tu porter ces cassements de
tête? Dans la mienne à moi, me semble qu’il y a plus que du vent noir.

Elle s’agita encore un peu, plaça et replaça la vaisselle, accrocha le
porte-poêle, mais bientôt elle tomba de tout son poids sur une chaise et
marmonna:

--Pauvre, je ne vaux plus rien. Depuis qu’il est parti, tout est parti
et j’étais point si forte, avant ...

Aimée ne répondit pas, ayant peur des paroles qui dévorent le temps.
Elle courut à la chambre où dormaient encore les enfants. Elle poussa
les volets, toucha le lit où Tine et Vone se frottaient les yeux. Nonot
le premier sauta sur le plancher et il frétilla dans le bout de chemise
d’homme que lui avait taillée Mémée.

--Tu sais, Nonot, nous sommes contents. Nous avons un valet pour faire
la terre.

--Tu es contente, moi aussi je suis bien content.

Puis il cria:

--J’ai une chemise à fente comme grand-père!

Il enfila tout seul sa culotte. Tine et Vone, un peu paresseuses,
sortirent lentement des draps quatre petons frais aux doigts qui
remuaient comme des boules. Elles s’habillèrent et s’aidèrent l’une
l’autre comme on le leur avait appris. Aimée démêla leurs chevelures, et
bientôt tous les trois, comme à l’habitude, ils furent lavés et vêtus.
Ils vinrent dans la cuisine embrasser leur mère qui se demandait par
quel prodige la vie continuait de fleurir.

Aimée prépara le panier de classe où, entre deux assiettes retournées,
elle avait placé un bout de salé avec de longues tranches de pain, et
plié dans un papier trois billettes de chocolat.

Quand ils descendirent les marches de la terrasse en faisant claquer
leurs sabots ferrés, elle courut les baiser sur leurs joues luisantes,
se retenant de les étreindre longtemps. L’amour maternel qui est comme
un feu du ciel réchauffait son cœur virginal.

Lorsqu’ils ne furent que trois points sur le sentier, elle revint près
du feu; elle prépara la soupe pour sa mère et pour son grand-père qui se
levait. Cela fait, elle alla traire les deux vaches qui étaient restées
à l’étable; et le lait refroidi, elle le fit cailler dans des gages. Un
bout de fromage, pour le marendé[B], c’est bien agréable à étendre sur
du pain. Brunette la suivait sans cesse et elle sentait sur ses talons
le souffle de son museau.

Le vieux était encore recru de la fatigue de la veille; mais en mangeant
sa soupe, le coude posé sur la table, il dit à Aimée:

--Ça me fait contentement quand je pense que Fansat laboure les terres.
Ah! c’est point facile de trouver quelqu’un au jour d’aujourd’hui.
Depuis que je t’entends aller et venir, dès la pique du matin, tout
comme une fourmi, j’en avais peine. Tu auras encore trop de besogne pour
ta jeunesse. Mais je te sais contente.

Il se leva et ouvrant une boîte de noyer, il en sortit cent vingt
pistoles.

--Tu vois, ma fille, dit-il à la mère. On aura de quoi payer cette
année, après ça ira mieux. Je gardais ça pour les jours de misère.

Aimée se tenait droite près de la table. Elle était heureuse; il lui
semblait que les murailles de la maison qu’elle avait senti trembler
quand le malheur avait soufflé, devenaient tout à coup plus fortes. Mais
elle ne s’attarda pas à songer sans rien faire. Elle ouvrit la maie, et
retroussant les manches du corsage bien au-dessus de la saignée, elle
fit couler la farine et l’eau qu’il fallait et se mit à pétrir. Elle
travaillait la pâte avec joie et la voyait se gonfler sous ses mains.

--Tu es une fille du bon Dieu, ma Aimée, marmonna le vieux.

Elle se sentait une grande force dans l’odeur de ce froment moulu comme
si elle brassait de la vie. Du pain pour le bon grand-père, pour sa mère
qui la regardait émerveillée, et les petits enfants qui étaient à
l’école.

Parfois, elle s’arrêtait, la figure devenue rouge d’un effort prolongé
et rythmé. Elle était alors d’une beauté ardente, avec ses bras aussi
blancs que la fine farine de blé. Ayant achevé de pétrir, elle apprêta
six corbeilles où elle arrondit un linge bien propre qu’elle poudra,
puis elle les remplit de la pâte et les recouvrit de couvertures de
laine.

La mère, accroupie devant le feu, pelait des légumes pour le repas.
Elle se mouvait lentement et s’arrêtait parfois le couteau dans les
mains, tournée vers les braises qu’elle regardait avec fixité. Le vieux,
assis sur le banc à sel, avait allumé sa pipe et fumait à petits coups,
les mains posées sur les genoux. Il considéra sa bru un moment et il
grogna en crachant dans la flamme:

--Pauvre femme ... le feu brûle plus de même depuis que mon garçon a
péri.

Aimée venait déjà à son aide, et vivement pelés, les légumes sautèrent
dans la brasière où fondait une petite côte de porc. Puis, le couvercle
refermé, on n’entendit plus que le bruit étouffé d’une cuisson à feu
doux.

--Je te remercie, dit la mère; c’est plus fort que moi. Je dors sur la
besogne. Je suis devenue vieille, d’un coup.

Aimée répondit à peine, de peur de s’attendrir et de pleurer, ce qui
n’avance pas à grand’chose. Elle se hâta de mettre de l’ordre, essuya
les meubles et fit les lits.

La matinée était avancée. Le soleil, par la croisée, coulait ses rayons
jusqu’au feu. Tout à coup, Brunette aboya furieusement. La voix de
Courteux s’éleva, et passant le seuil, il cria:

--Vas-tu me mordre? Bonjour, vous autres!

Il prit une chaise sans attendre qu’Aimée la lui offrît, et ses yeux
clignotèrent en considérant le vieux Villard qu’il trouva jaune comme un
coing et la mère qui n’avait guère de sang aux joues. Et il tourna le
dos comme à dessein à Aimée qu’il avait vue en entrant; elle avait porté
sur lui des regards trop clairs. La maie était encore ouverte et il
aperçut les corbeilles sous les couvertures.

--Tu as fait le pain, ma pauvre, dit-il à la mère, sachant bien que,
seule, Aimée avait pétri, car il voyait de la pâte séchée à ses doigts.

--Ah! c’est ta Aimée, c’est point possible. Tu la tueras. Elle est point
pour ça.

--Ça nous regarde, Courteux, dit la mère.

Puis elle garda le silence. Le vieux Villard continuait de fumer sa pipe
et ne regardait Courteux que d’un œil, ce qui était un grand signe de
méfiance.

Courteux vit bien que l’on attendait qu’il parlât. Il le fit sans hâte
en repoussant une colère dont il avait peur.

--Je suis venu rapport à votre bien. Je suis toujours prêt à l’acheter
un bon prix, avec du bel argent comptant. Vous pouvez pas faire toute
cette terre; elle vous aurait la peau et les os, mes pauvres.

Aimée avait grande envie de le mettre à la porte, mais elle se contint;
et elle lui répondait mieux que par des paroles en continuant de mettre
tout en ordre et en propreté parfaite.

Le vieux Villard s’arrêta enfin de fumer et dit avec une force qui
décontenança Courteux:

--Tu peux aller faire un tour ailleurs; la Genette n’est pas pour ton
nez. Tu perds ton temps.

Courteux feignit l’indifférence, mais il souffla fortement:

--Tu sais, ça n’est pas joli ce que vous avez fait, Villard. Je pensais
que Lionnou Fansat me prêterait la main pour quelques petits biens que
je fais à moitié et vous l’avez louée à belle année. Est-ce vrai? Vous
avez imaginé de me souffler à la barbe le Desforgues, mais ça n’a pas
mordu. C’est point des choses qu’on fait au monde.

Aimée s’en alla dans sa chambre pour ne pas entendre le compère. Mais
Villard, tout à coup, se leva tout droit dans la cheminée et cria d’une
voix enrouée par l’âge:

--Écoute toi! Y a plus de place pour un grain de plus dans le boisseau.
Tu vas donc me faire la leçon, vilain coucou! Tu as point assez de
pondre dans le nid des autres!

Courteux quitta sa chaise et pour que ses mains ne tremblassent pas, il
les accrochait aux revers poisseux de sa veste rapetassée.

--Vous le regretterez, grogna-t-il. Bien le bonjour.

Il s’en alla plus vite qu’il n’était venu. S’en retournant à la
Grangerie, il longea les terres de la Genette qui le faisaient loucher.
Il entendit le cri de Fansat qui labourait bravement au soleil. Il
songea:

--Ils auront de la pomme de terre. C’est encore temps.

Il cria:

--Eh! Fansat, tu travailles comme une fourmi!

--Comme vous le voyez, Courteux, repartit Fansat.

--Arrête-toi un peu. J’ai à te causer.

Lionnou Fansat arrêta les bêtes, et appuyé sur l’aiguillon, il écouta
Courteux qui lui disait à voix basse:

--Alors comme ça, tu es embauché à la Genette ... Mais c’est des
crève-de-faim; y te payeront point. Tu mangeras pas gras. Écoute-moi,
mon ami, si tu les plantes d’abord, je te baille tout de suite, le
double du loyer qu’ils t’ont promis. Tu viendras chercher l’argent à la
maison.

Fansat cracha à terre et grogna, la bouche en coin sous le poil frisé:

--C’est tout ça que vous m’avez voulu jaser. C’était point la peine. Si
vous étiez point vieux, je vous piquerais le bas de l’échine avec ma
guyade.

Et humant le vent, portant le regard au loin, il poussa ses vaches dans
la terre qu’un bon soleil blanchissait.

Courteux s’éloigna en soufflant comme un blaireau qui aurait donné du
museau dans une pierre pointue quand il cherchait de la terre bien douce
où se nicher.




IX


La paix revenait sous le toit de la Genette. Les pommes de terre avaient
été plantées en bonne condition. Tous ces jours, on avait barré la porte
de la maison. La mère retrouvait un peu de vigueur pour aider, et les
enfants, en revenant de classe, couraient jusqu’aux champs, car le
soleil ne quittait plus aussi vite le ciel; ils avaient semé, eux aussi,
contents d’obéir à leur grande Aimée.

Cette pressante besogne achevée, Fansat eut le loisir de souffler un
peu. Il se plia à ce qui fait le plus souvent le souci des femmes:
traire, puiser l’eau, veiller au poulailler qui s’était bien dépeuplé.
C’était pour soulager Aimée qui n’en pouvait plus. A ces petits soins,
il ajoutait d’autres travaux; il fallait curer les rigoles des prés qui
poussaient dru, redresser les barrières et tailler les buissons dont les
ombres sont mangeuses d’herbe.

Il y avait peu de bois; il en fit en coupant des arbres morts. Bientôt
il devrait désherber, faucher, et ce serait dur de «lever l’été» avec si
peu de bras. Il mena le dernier veau en foire et le vendit bien.

La belle saison était tout à fait venue. L’air était mol et chaud. Près
de la maison, dans le verger, des pêchers qui, l’hiver, sont laids et
bossus, se changeaient en nuages roses, aussi légers que ceux qui
flottent au ciel à la fin d’une claire journée. Un petit vent faisait
neiger les pruniers fleuris. Les poules s’ébattaient à l’aise dans la
cour et leurs plumes avaient des reflets verts. Aimée cueillait au nid
leurs œufs et les portait, tièdes encore, à sa mère qui les gobait crus
avec un grain de sel.

Elle ne pensait jamais à elle, assez heureuse de se dévouer sans cesse.
Mais le soleil plus chaud, l’odeur de la fraîche verdure, ce printemps
qui faisait sauter le lien de l’hiver et se répandait sur la campagne
tout entière, cette espérance qui volait avec les oiseaux et coulait
dans les eaux bleuies, la touchaient et lui portaient au cœur des songes
nouveaux.

Après des mois si rudes, elle sentait pour la première fois une terrible
lassitude et cherchait un appui.

Par un de ces matins de fin avril où la pluie descend sur les collines,
en rideaux d’argent léger, Jacques Lavergne, sautant de sa bicyclette,
monta les marches de la terrasse. Il entra et salua Aimée avec une
aisance des villes. La mère jardinait en compagnie du vieux Villard, et
Fansat courait les champs où il y avait toujours quelque chose à faire.

--Mademoiselle Aimée, dit-il en s’asseyant, je vous avais dit que je
viendrais vous voir. On s’est connu autrefois enfants, à l’école, mais
après vous avez été en pension chez l’institutrice et moi je n’ai
presque plus quitté Limoges.

Il la regardait avec une douceur qui la touchait. Elle était assise près
de la table dans le jour doré qui tombait de la fenêtre, et elle
reprisait des vêtements de Nonot.

--Je vous remercie, Jacques; c’est agréable de se promener par ce beau
temps-là.

Il lui fit entendre, en baissant la voix, qu’il n’était venu que pour
elle et non pour jouir de ce premier soleil.

--Mon Dieu, que vous êtes jolie, Aimée! murmura-t-il.

Elle tenait les yeux baissés sur son ouvrage, mais ce murmure
l’environnait d’une chaleur soudaine. Il la voyait de profil et la
ligne de son visage était animée d’une ombre très douce.

Un silence passa entre eux. Elle leva vers lui des regards purs et le
trouva gentil. A présent, il parlait en choisissant des mots qu’il
jugeait élégants:

--Ne vous ennuyez-vous pas? La campagne, c’est charmant l’été, mais
l’hiver, je ne la saurais supporter. A la ville, il y a de tout, des
distractions abondantes et variées. Vous n’avez pas quelquefois envie
d’y aller? Mais j’y songe, vous ne connaissez pas cette vie.

--Je me trouve heureuse ici, sous ce toit, et j’aime la paix où l’on
travaille à l’aise.

Il dit des paroles de regret. Il était dommage qu’une fille comme elle
voulût se cacher en ces terres perdues. Il lui demanda la permission de
la revoir.

--Je voudrais, Aimée, que nous nous rencontrions dans les champs. Nous
nous promènerions à l’ombre des sentiers fleuris. Vous me parleriez de
vous. On dit que vous êtes vaillante, mais quelquefois ne sentez-vous
pas le désir d’être écoutée par un garçon de votre âge qui serait votre
ami?

Il la regarda, avec une ardeur cachée. Elle répondit par quelques mots
simples, tandis qu’un sourire naissait sur ses lèvres, éclairait
doucement les traits du visage. Il s’en alla, émerveillé de tant de
pureté. Aimée continua de travailler à son ouvrage en rêvant. Mais Vone,
Tine et Nonot montèrent bruyamment les marches où sonnaient leurs
petits sabots.

Nonot courut vers Aimée et sauta sur ses genoux. Alors elle sortit de sa
songerie; elle comprit que, pour la première fois, son cœur avait battu
la campagne loin de la maison et du feu qui s’éteignait. Elle l’attisa
en hâte. Mais Nonot l’avait saisie par un pan de sa robe.

--Pourquoi tu ne parles pas, Mémée? Est-ce que tu as mal?

Elle se tourna vers lui avec brusquerie; elle vit que les yeux de
l’enfant l’interrogeaient, et soudain elle cacha son visage sous ses
mains rapprochées.




X


La saison était avancée. Il fallait maintenant désherber les pommes de
terre et les chausser; elles s’annonçaient belles, la feuille drue et
bien verte. La mère, encouragée par sa fille Aimée, travaillait de
meilleur cœur; Fansat se montrait rude abatteur de besogne. Et les
jeudis, Vone, Tine et Nonot aidaient de leur mieux, tandis que le
grand-père soignait le bétail.

La fête des Rogations arriva. De bon matin, Aimée vint au bourg de
Rieux; ses petites sœurs et Nonot l’accompagnèrent, vêtus de leurs
habits du dimanche.

L’abbé Verdier dit la messe. Aimée lisait dans son paroissien les
paroles qui ne passent pas: «Poussez des cris de joie vers Dieu,
habitants de la terre!» Heureuse d’un bonheur qui n’était pas de ce
monde, elle était à genoux dans la lumière de son âme. Le curé donna
lecture de l’Évangile du jour: «En vérité, je vous le dis, si vous
demandez quelque chose au Père, en mon Nom, Il vous le donnera ...»

Il ne fit aucun commentaire et continua l’office. Aimée priait, le
visage penché, les mains jointes.

--Accordez-moi ce que je Vous demande pour la maison. Donnez-moi la
force de bien travailler. Gardez de toutes maladies Tine, Vone et Nonot
qui sont comme de petits orphelins. Qu’ils soient bons. Mon Dieu, je ne
suis rien, mais Vous pouvez tout.

La messe finie, les cloches sonnèrent pour la procession. Les fidèles se
rangèrent sous le porche et l’institutrice fit marcher ses élèves. Les
femmes, dans leurs capes noires, s’avancèrent, le chapelet aux doigts,
et les jeunes filles aux corsages clairs.

L’abbé Verdier tenant à la main un crucifix argenté parut, suivi de son
mérillier, vieux paysan de Rieux.

Le soleil était haut et la cloche semblait repousser les nuages dont
quelques îlots flottaient dans le ciel.

Les litanies des saints commencèrent, tandis que le cortège, après avoir
traversé le bourg, entrait et se resserrait dans un sentier qui tournait
en une masse de robuste verdure où brillaient les feux de la rosée.

Dans une immense paix fraîche, sous les branches des chênes qui se
rejoignaient, l’abbé Verdier allait, appelant la multitude des anges et
des saints, les apôtres et les innocents que le Cruel égorgea, les
prêtres, les ermites, les moines laboureurs, les martyrs d’où coule,
pour les siècles, la source de sang qui purifie le monde. Une réponse de
la terre, un écho venu des bois proches, se levait.

Au tournant des sentes, des croix se dressaient, ornées de bouquets de
fleurs, alors un enfant sonnait de sa clochette et l’abbé Verdier
bénissait les fidèles agenouillés. Chacun se relevait et retenait son
pas pour rythmer la marche. Aimée unissait sa prière aux souffles de son
pays et suppliait Dieu d’éloigner le péril qui guette sans cesse.

--Daignez donner et conserver les fruits de la terre! chantait l’abbé
Verdier.

Le chant latin était beau comme la branche flexible des chênes.

Pour tous, le mérillier, homme que trente ans de travail dans les champs
avaient desséché et rendu pareil à quelque noir sarment, répondait:

«Exaucez-nous, Seigneur!»

Tous savaient que le nuage est plein de foudre et de grêle qui
s’abattent sur le blé.

«Daignez donner le repos éternel à nos fidèles défunts!»

Dans cette humble voie où, depuis des siècles, la procession avait
passé, avec les mêmes rites et les mêmes chants, au milieu de la même
terre, les morts précédaient les vivants et se répandaient dans la
plaine et sur les collines, par grandes foules silencieuses, invisibles
comme des flammes au soleil.

Là-bas, de l’église, venait la prière balancée des cloches. Les fidèles,
après avoir cheminé dans les sentiers touffus et sous l’enroulement des
verdures, arrivèrent sur un plateau d’où l’on découvrait l’horizon à
perte de vue. Des étangs ouvraient, dans des éloignements gris et
bleus, des trappes d’argent où se débattait du soleil surpris; et sous
le trait brillant de la rivière, se déployaient les rames diversement
colorées d’une terre ensemencée de seigle, de blé ou de colza,
enflammée, çà et là, par l’ajonc et le genêt en fleur. Alors, les
prières latines, l’invocation millénaire qui sortaient de la poitrine
d’un homme de ce pays, furent saisies par le vent et poussées dans de
divines immensités.

La double file tourna vers le bourg, en se rapprochant et en
s’aiguisant; coin vivant dont l’angle aigu était formé par de petits
enfants. L’église ouvrait le cœur d’ombre de son ogive, étoilé par les
points d’or des cierges qui brûlaient sur l’autel. Ces femmes, mères et
veuves, qui fermaient la marche, étaient de ces humbles pleureuses que
l’imagier, en ces temps où la foi était en feu, taillait dans la pierre
des cathédrales.

Une dernière bénédiction fut donnée des marches de l’autel, et l’église
se vida. Aimée, toute remplie encore de cette cheminante prière à
travers la campagne, sortit et s’attarda un moment devant le porche.
Nonot cachait derrière son dos une touffe de fleurs qu’il avait
cueillies.

--Tiens, Mémée, c’est pour toi, dit-il en l’offrant avec une gentille
brusquerie.

Elle prit les fleurs et embrassa le petit; puis elle appela Tine et Vone
qui babillaient avec des compagnes de leur âge. Mais elle aperçut
Clémentine Queyroix, de Lascaud, et courut vers elle.

Clémentine, fille de Queyroix le sabotier, avait grandi avec Aimée, joué
avec elle, étudié sur les mêmes bancs d’école. Elle n’était pas jolie,
mais sa figure, pleine de franche amitié, avait la fraîcheur d’une pomme
rouge et ses yeux étaient d’un bleu limpide. Elle se plaignit gentiment
de ne plus voir Aimée à Lascaud.

--Tu ne viens plus chez nous; ça m’ennuie, mais je comprends ça. Je sais
toute la besogne que tu fais, ma pauvre. On en est tout étonné dans le
pays. Un moment, on avait cru que la Genette serait vendue. Ne m’en veux
pas si je te dis ça. Comment peux-tu faire?

--Ce n’est pas si difficile que tu crois. Quand on aime bien, tout
s’arrange. Mais à cette heure Lionnou Fansat nous aide, et les mauvais
jours, il me semble, sont passés. Nous pourrons nous promener un peu le
dimanche et nous en aller cueillir de la bruyère.

Aimée avait pris par la main Nonot, qui sautait en marchant, d’un pied
et de l’autre, tandis que Vone et Tine cheminaient devant eux, bien
sages.

Lascaud était du côté de la Genette. Aimée accompagna Clémentine jusqu’à
la Croix-du-Repaire, lieu où le chemin se dédouble. Elles étaient
contentes de parler des choses et des gens du pays. Depuis longtemps
elles n’avaient eu ce loisir. Comme elles allaient se quitter, Jacques
Lavergne les dépassa et sauta lestement de bicyclette. Il salua Aimée
et sourit à Clémentine.

--J’ai beaucoup de chance de vous rencontrer, avec votre gentille amie.
Ne serez-vous pas au bal, ce soir?... Mais j’y songe, cela est incongru,
vous êtes en deuil.

Il y eut un silence. Aimée était douloureusement étonnée par les paroles
précipitées de ce garçon qui soulignait sa légèreté en s’excusant.
Clémentine la quitta, et elles se promirent de se revoir plus souvent.

Jacques Lavergne, poussant de la main sa bicyclette, demanda à Aimée la
permission de l’accompagner un peu. Mais elle répondit qu’elle était
pressée et peu disposée à parler.

--Vous aurais-je blessée? dit-il en levant vers elle des yeux
attristés. Si cela était, j’en serais bien malheureux.

Et remontant brusquement sur sa bicyclette, il s’éloigna vers Rieux.
Aimée, en revenant à la Genette, se reprocha d’avoir été dure pour ce
garçon, un peu étourdi peut-être, mais qui lui parlait d’une voix douce.

Nonot l’avait quittée et poursuivait dans l’herbe du fossé quelque
sauterelle verte. Elle courut vers lui et, l’élevant dans ses bras, elle
l’embrassa avec une ardeur dont elle était effrayée.




XI


Aimée pouvait à présent prendre un peu de repos, tant Lionnou Fansat
montrait du courage à la besogne. On avait chaussé les pommes de terre,
désherbé le blé. Et l’on attendait que l’été eût grandi encore pour le
cueillir.

Le paysage avait pris une nouvelle gravité; il s’en élevait de plus
rudes accents, une force et une couleur issues du soleil qui travaillait
avec les hommes. L’herbe s’était assombrie et fortifiée; la pointe des
rocs devenait dorée, et la vallée ouvrait un chemin féerique au courant
de la rivière où la terre plus belle venait se mirer. L’air à midi avait
un tremblement lumineux sur les pièces de blé qui jaunissaient et les
tiges pliaient davantage sous le poids du grain. C’était partout une
grande nativité; de la chair et du sang pour tous et aussi de l’âme.

Mais tout demeurait simple et le voile du mystère se déchirait sans
bruit.

La saison en était à ce point d’or vif d’où l’on peut mesurer la
récolte. Avant que s’aiguisent les faux, il y avait encore quelque
répit. Les jeudis et les dimanches, Nonot menait tout seul les bêtes
dans le pré des Beaux que l’on avait fauché de bonne heure. Il était
impayable, quand il portait derrière les vaches la guyade droite, trois
fois plus haute que lui, mais bien crâne tout de même, la casquette un
peu sur l’oreille, le petit mollet arrondi. Il sifflotait et Brunette en
sautant lui touchait l’épaule; il lui parlait en faisant la grosse voix,
et elle devenait soumise, humble, comme si le vieux Villard eût
commandé.

Ce soir-là, qui était un lundi de la semaine de Saint-Jean, Aimée alla
au champ. Elle s’assit sous une sorte de voûte fraîche et verte que
formaient de fins noisetiers dans un repli de prairie. Les vaches
paissaient tranquillement et la paix de l’air était si grande que l’on
entendait le bruit de l’herbe broutée. Brunette avait pris place sur un
petit tertre; de là, assise sur son derrière, la queue en rond, les deux
pattes de devant jointes, elle se tenait immobile. Seule, sa tête
tournait de côté et d’autre, avec des regards vigilants. Dans son poil
noir passait l’obscure clarté d’une joie paisible. Aimée n’avait nul
besoin d’élever la voix pour commander. Si une vache franchissait le
buisson, Brunette d’un bond la ramenait, puis revenait au même endroit,
continuer sa garde. Ce sérieux, cette maîtrise émerveillaient toujours
Aimée. Elle se souvenait que, parfois, dans les jours qui suivirent le
malheur, Brunette avait conduit, gardé et ramené seule le troupeau. Mais
sa pensée sortait de ce champ où la lumière s’apaisait.

Depuis que Jacques Lavergne l’avait rencontrée à bicyclette comme elle
revenait de la procession des Rogations, Aimée l’avait revu à la faveur
de la belle saison. Il l’avait émue par des paroles gentilles et de
tendres assiduités. Elle appelait à l’aide de son émotion naissante les
jours d’enfance où ils jouaient en sortant de l’école de Rieux. C’était
un petit garçon tapageur et malicieux; tirer un bout de natte, pincer
une fillette ou glisser dans son panier quelques pierres, c’étaient pour
lui jeux naïfs et prétexte à rire longtemps. Elle le revoyait à douze
ans, espiègle blondin; puis il était parti à la ville. Dans la paix du
soir qui tombait et la fraîcheur des sources invisibles, elle se mit à
chanter des airs du pays pour charmer la solitude où parfois passe trop
de mystère.

Soudain Brunette bondit et aboya. Aimée, cessant de chanter, vit Jacques
Lavergne qui poussait la barrière de bois. Elle fut si troublée qu’elle
ne put lui répondre, comme il lui disait:

--Je passais par là, et je ne pensais pas vous découvrir comme un oiseau
dans un nid. Je ne vous dérange pas, mademoiselle Aimée?

Et, sans attendre qu’elle parlât, il s’assit sur l’herbe courte en
tournant vers elle ses yeux pleins de joie.

--Vous chantiez une jolie chanson ...

--Oui, ça me tient compagnie ...

Il s’approcha d’elle et murmura des paroles dont elle n’entendait que le
son qui la charmait. Il lui avait pris les mains, sans heurt,
insensiblement, ne cessant de la regarder avec émerveillement. Dans ce
coin de prairie, il la trouvait plus belle qu’aucune fille du monde.

Il haussa la voix et dit:

--Aimée, vous ne connaissez pas ce que c’est que l’amour. En ce moment
je sens bien que je vous aime ... Vous seriez ma femme. Vous quitteriez
cette campagne et nous serions heureux en ville, car je ne pourrais
vivre ici toute l’année. C’est agréable d’y passer trois mois, mais
c’est tout.

A ces mots, elle dégagea doucement ses mains. Il poursuivit, n’osant lui
reprendre les doigts:

--Vous verriez; ce serait le bonheur. Vos gentilles mains ne seraient
plus meurtries par un travail grossier.

Elle le considéra de ses yeux clairs et pleins d’un étonnement
douloureux; ce n’était plus le chant de la voix émue qu’elle entendait,
mais le sens de paroles qui la blessaient. Il devint pressant; il
implorait:

--Je serais si heureux de vous arracher à ces besognes. Écoutez-moi,
Aimée, ne dites pas non.

Elle vit ses épaules étroites, son maigre visage où brillaient des yeux
dont le feu était attirant et doux.

--Jacques, on n’avait pas besoin de me dire que la vie des campagnes
valait mieux que celle des villes; je le sentais bien. Vous-même, cette
vie vous a fatigué et vous êtes venu vous reposer un peu chez nous. Il
me semble que je vous aimerais si vous vouliez rester au pays.

Il se récria. Que demandait-elle! Il l’aurait voulu qu’il ne le pouvait
plus.

--Je vais repartir bientôt, mademoiselle Aimée. Réfléchissez. Pensez que
je vous aime. Mais vivre ici, toujours, en travaillant la terre, je ne
le pourrais ...

Elle soupira, troublée, mais elle maîtrisait son cœur. Il lui suffisait
de prononcer tout bas le nom de la Genette et cela seulement jetait
l’ancre dans des profondeurs, sans l’empêcher pourtant de frémir.

Elle dit en souriant:

--Adieu, Jacques. Voilà le serein qui tombe. Il ne faudrait pas que l’on
nous voie ici.

Il était décontenancé, et il devinait cette douleur obscure qui
naissait en elle et que, vaillamment, elle refoulait. Il s’en alla,
tandis que le soleil du soir formait des étangs de pourpre dans le ciel.
Une dernière fois, il se tourna vers elle et mit deux doigts sur sa
bouche en signe de baiser ou de silence, car il sentait que les paroles
ne pouvaient rien sur cette enfant aux yeux clairs.

Quand il fut parti, elle cria bien fort pour ne pas pleurer:

--Il faut rentrer! Brunette, va les chercher! Va les chercher!

Et les bêtes tournèrent, rassemblées par les voltes de la chienne.




XII


Aimée s’isolait parfois, et rêvait; une première ardeur inconnue l’avait
effleurée. Elle faisait un cruel effort afin de continuer à travailler,
avec un régulier courage, dans les champs et à la maison.

Mais l’élan de son cœur avait tout remis en marche. Sa mère reprenait le
collier des besognes rustiques et du bon souci. Lionnou Fansat, un matin
de juin, comme il martelait sa faux, lui dit, levant vers elle sa
grosse tête ébouriffée:

--Mémée, quelque chose vous ennuie. Je sais pas quoi, mais j’en ai de la
peine.

Elle lui répondit en souriant si paisiblement qu’il s’accusa d’être trop
fin.

La saison était venue de faucher. Il se levait, dès le petit jour
blanchissant, et il s’en allait, l’aile de fer sur l’épaule; la corne de
bœuf creusée, où trempait dans l’eau la pierre à affûter, pendait sous
sa veste courte.

Il ouvrait la barrière du pré tout argenté de rosée; et les jarrets
durcis, les mains attachées au bois, la poitrine en voûte, il faisait
ronfler la faux dans l’herbe qui se couchait, en masses égales.
Rythmant sa besogne dans le haut silence du matin, il ouvrait un sentier
mouillé jusqu’au buisson de clôture. Alors il revenait vers la barrière,
d’un pas régulier, la faux battant comme un balancier; il remontait et
redescendait, plein d’équilibre, sans un mouvement inutile, selon la
vieille loi d’un travail bien ordonné.

Puis il s’en revenait à la Genette, aux feux du soleil de midi et
content de la tâche accomplie.

Les foins furent rentrés en bonne condition. La charrette chargée à
fond, solidement câblée, conduisit vers le portail de la grange de
petites collines d’un gris de lézard qui laissait dans l’air le sillage
et l’odeur des herbes mortes.

Vone, Tine et Nonot étaient de la fête. Ayant râtelé et fané, ils
avaient mangé à l’ombre des noisetiers, quand le soleil de la journée
descend dans la prairie et joue avec des troupes de moucherons.

Les grands jours où l’on moissonne le blé brillèrent. Les gerbes
s’amoncelèrent dans la grange en attendant les battaisons. Lionnou
Fansat les avait couronnées d’un gros bouquet de fleurs en signe de
suprême joie.

Aimée se demandait pourquoi elle n’était pas pleinement heureuse;
pourtant il était bien vrai que cette moisson était sortie de son cœur.




XIII


Elle évitait d’aller seule dans les champs ou sur la route de Rieux.
Elle craignait et désirait à la fois de revoir Jacques Lavergne. Elle
pensait qu’il reviendrait bientôt à Limoges, son congé fini. Depuis que
le temps des grands travaux était passé, elle avait pris l’habitude de
s’isoler dans sa chambre; au milieu du silence, elle songeait à Jacques,
se plaisant secrètement à l’embellir et à lui prêter de charmantes
vertus. Elle reformait à son gré les traits de son visage, et elle
s’efforçait de changer le sens des paroles qu’il lui avait dites. «S’il
voulait! rêvait-elle. Il me plaît et il m’a bien montré qu’il me
regardait sans déplaisir.»

Sa songerie amoureuse montait. Un brusque désir la prenait de se vêtir
avec coquetterie et de presser le pas sur le chemin de Rieux où,
certainement, il l’attendait.

Un soir, elle s’habilla de sa plus belle robe et s’attarda à se coiffer.
Elle allait passer le seuil, mais Nonot qui musait par là, vint la
saisir aux jambes pour rire. Dans son âme croyante, elle vit en ce
simple fait un signe d’En-Haut. Elle s’effraya comme si elle était
coupable.

Les jours suivants, elle multiplia maints petits travaux de ménage, afin
de s’arracher aux rêveries dont elle sentait obscurément le danger.

Elle ne cessait de s’occuper des enfants, leur taillant des vêtements ou
leur faisant des lectures dans une Histoire sainte, pleine d’images. Sa
mère, dont la santé restait chétive, ne devinait pas le tourment qu’elle
cachait et dominait avec simplicité, comme elle accomplissait toutes
choses.

Mais quand la nuit tombait, la maison se refermait sur elle comme un
manteau, la paix revenait dans son cœur. La terre qu’elle avait gardée
l’environnait, elle le sentait bien, d’une tranquille reconnaissance.




XIV


Un dimanche, dans l’après-midi, Clémentine Queyroix vint à la Genette.
Sa figure ronde et fraîche gardait un mystère inaccoutumé.

Aimée était assise sur la terrasse; Vone et Tine, de chaque côté de ses
épaules, penchaient leurs têtes frisées pour lire dans le livre d’images
qu’elle commentait en riant, tandis que Nonot faisait sauter des billes
sur une grosse pierre. La mère préparait des légumes pour la soupe du
soir, les raclait et les pelait en les laissant tomber dans une bassine
pleine d’eau.

Le vieux Villard fumait tout doucement sa pipe sans parler, les yeux
tournés vers l’horizon où le soleil éclairait des champs vides et des
verdures brûlées; à ses pieds Brunette était couchée, le museau posé sur
ses pattes allongées, et soufflant de temps à autre, en clignant de
l’œil. Les grillons agitaient des milliers de graines sonores; la grande
paix qui suit la levée des récoltes était venue.

Lionnou Fansat était parti pour Ballanges voir ses enfants et sa femme.
Il y allait plus souvent en ce mois, n’ayant plus à travailler du soir
au matin, sans arrêt.

Clémentine Queyroix sentait bien quel était le bonheur simple et sûr qui
couvrait aujourd’hui la maison, après tant de peines. Tout était si
tranquille sur ce seuil et dans les champs!

Chacun lui donna amiteusement le bonjour; Aimée alla chercher une chaise
pour qu’elle se reposât dans la fraîcheur de l’ormeau qui versait son
ombre sur la terrasse. Mais Clémentine murmura:

--Viens un peu dans la cour avec moi. Il faut que je te parle. En se
promenant, on causera mieux. Si tu voulais, nous irions cueillir de la
bruyère à Villemonteil.

Aimée accepta avec plaisir. Elle avait besoin de respirer au grand air
et de prendre du loisir sous le ciel d’une belle journée.

Elles suivirent un sentier qui serpentait à travers de hautes prairies
et faisait un courant silencieux de fraîcheur et de repos. Elles se
disaient, chemin faisant, de ces petits riens qui entretiennent la
gentillesse française. Bientôt elles arrivèrent sur le plateau de
Villemonteil. Le versant opposé de la rivière se dressait, violâtre et
roux avec les grandes formes tourmentées de ses rochers. La bruyère en
fleur étendait ses nappes que le soleil allumait.

Dans ces lieux, tout était pur comme à la naissance du monde; le chant
profond de la terre s’élevait, et le vent avait un goût sauvage comme
celui d’une pousse de fougère écrasée.

Aimée et Clémentine entrèrent dans une châtaigneraie où l’herbe fine
luisait. La lumière était amicale sous ces arbres dont le tronc s’étale
à grands plis tournants, semblable à quelque manteau encore empli du
souffle d’une marche mystérieuse. Quelques-uns avaient été fracassés par
la foudre, mais de la blessure sortait le jet d’une pousse ronde et
lisse, avec une souplesse de couleuvre dressée.

Assise sur l’herbe, Aimée, près de son amie, liait un bouquet de
bruyère. Elle dit:

--Il fait bon ici. Je me sens tout à l’aise.

Sur la ligne lointaine de l’horizon, un rayon dansait, un point d’eau
vive, un mince éclair comme il en sort d’une ablette qui saute au fil de
la rivière. Clémentine murmura:

--Mémée, tu vas me gronder.

Elle poursuivit tout d’une haleine:

--Jacques Lavergne sait que nous sommes ici. Avant de partir, il voulait
te revoir. Je n’ai pas pu lui refuser. Il t’aime tant!

--Ce n’est pas bien, ce que tu as fait là, mais je ne t’en veux pas, car
je connais ton bon cœur, repartit Aimée.

Maintenant, elle était troublée, anxieuse. La belle soirée
s’assombrissait à ses yeux. Quelque temps passa; les deux amies ne
parlaient pas, mais le frémissement de l’eau animait l’air et montait du
fond de la vallée.

Aimée, la première, vit Jacques Lavergne qui venait sur le sentier bordé
de hautes fougères. Comme à l’habitude, il était bien vêtu et
s’avançait avec aisance.

--Que vous êtes sauvage, mademoiselle Aimée! s’écria-t-il, en
l’abordant. Il a fallu que je m’aventure dans ces terres de loup-garou
pour vous découvrir.

Clémentine s’était éloignée et s’appliquait à cueillir des touffes de
bruyère en fleur.

Jacques, à mi-voix, tout près d’Aimée, murmura:

--Avez-vous réfléchi à mes paroles? Voulez-vous toujours vivre dans ce
pays? Si vous consentez à devenir ma femme, vous ne le regretterez-pas.
Aimée, de grâce, écoutez-moi.

--Je vous écoute bien trop, dit-elle.

Alors il devint suppliant. Bientôt, il allait reprendre à Limoges une
vie de bureau qui ne lui permettait pas de la revoir comme il le
désirait; ne lui laisserait-elle pas emporter un peu d’espérance?

Elle appela Clémentine d’une voix pleine d’une secrète détresse. Et
devant son amie, elle dit, pâlie, la figure creusée de tourment:

--Jacques, je peux parler en présence de ma compagne, et je le veux.
J’ai pour vous plus que de l’amitié, peut-être, mais jamais je ne
quitterai la Genette. Moi, je ne compte pas, mais ce que j’ai donné, je
ne peux pas le reprendre. J’ai bien réfléchi; ce que vous désirez n’est
pas possible. Et si je vous évitais, c’était pour ne pas être forcée de
vous parler comme cela. Je craignais beaucoup cette peine.

A ces mots, elle leva les yeux vers lui et elle était partagée
cruellement entre la douleur et la fierté. Jacques sentait le
tremblement secret de cet amour étouffé; il devint grave, et cachant son
émotion, il s’éloigna. Partis du même point natal, ils allaient sur des
routes qui divergeaient.

Clémentine embrassa Aimée, et les bras autour du cou de son amie, elle
lui dit:

--Pardonne-moi; j’avais cru bien faire ...

Elles se levèrent pour regagner leur logis. Aimée ne parlait pas.
Clémentine soupira:

--Pauvre petite, peut-être l’aimais-tu?

Aimée répondit:

--Tais-toi; il vaut mieux ne rien dire. C’est fini.

Et elles revinrent silencieuses dans les rayons obliques du soir.




XV


A la Grangerie, Courteux avait travaillé d’arrache-pied. Il était vrai
qu’il possédait trop de terres, mais il se montrait insatiable. Son
avidité grandissait avec les difficultés qu’il rencontrait. A
grand’peine, il trouvait quelques valets dociles dont l’espèce se perd
peu à peu, de ces hommes qui obéissent sans murmure, aveuglément, comme
s’ils portaient dans les reins dix siècles de servitude.

Il leva sa récolte, mais il tournait, comme on dit, un œil de coin sur
la Genette qui avait donné de bon blé, contre toute attente. Il avait
compris d’où venait l’obstacle.

Il connaissait trop la vie de la terre pour ne pas savoir qu’il est des
femmes et des filles qui montrent parfois de ces profondes et
silencieuses ardeurs plus fortes que toutes les ruses et tous les
malheurs. Aimée Villard, il le devinait, était une bonne flamme du ciel
qui avait rallumé un foyer près de s’éteindre. Mais ayant rentré son
blé, il voulut, selon le vieil atavisme de chicane, passer sa rage
sournoise. D’abord, il ne craignit pas de conter qu’Aimée était un peu
coureuse; on lui rit au nez. Il fallut trouver autre chose.

Un beau matin, comme il faisait sa ronde par les champs grillés de
soleil, il entra dans une pièce de terre qui touchait le bien de la
Genette sur une longueur d’une trentaine d’ares. A cet endroit, les deux
domaines sont séparés par un mur mitoyen de pierres sèches, à peine plus
haut qu’un homme de taille moyenne.

Courteux considéra avec grande attention ce mur et il découvrit que, çà
et là, il n’était pas très solide. Il apparaissait clairement à ses yeux
qu’il fallait l’abattre et le reconstruire plus solidement.

--Villard payera à moitié les frais; ça l’ennuiera. Ce sera toujours ça
pour commencer. Après, je trouverai autre chose.

Il s’en alla bon pas à la Genette, et patelin, il dit à Villard qui
sarclait son potager:

--Vieux, je viens rapport à une petite affaire. Le mur qui sépare ma
terre de la Pie de la vôtre, qui est celle des Vergnes, est à cette
heure quasiment ruiné. Y peut me tomber dessus quand je passe. Faut le
refaire.

--Tu nous cherches chicane, ça te réussira point, s’écria Villard; à
force d’être fin, on devient bête.

Mais Courteux assura qu’il ne badinait pas, et il demanda que Villard
vint aussitôt constater en quel piteux état se trouvait le mur.

Lionnou Fansat, qui donnait à manger aux bêtes dans la grange, sortit à
ce moment:

--On y va, père Courteux. Passez devant avec Villard.

Sans perdre de temps, il courut au hameau de Peyrelevade, chercher un de
ses cousins, le vieux Chantaud, qui pourrait servir de témoin. Avant
d’aller à la terre de la Pie, il conta à Aimée la querelle que soulevait
Courteux.

--Je ne crois pas qu’il ait raison, dit Aimée. Il faut cependant le
surveiller de près. Veillez-y bien, Fansat.

Fansat et le vieux Chantaud arrivèrent bientôt près de ce mur dont
Courteux voyait seulement aujourd’hui la vieillesse.

Le compère déclara de nouveau avec une tristesse feinte que ces pierres
mal assemblées pouvaient, en tombant, lui casser une jambe.

--Ou deux, ajouta Fansat tout bas, et sur un ton plus élevé il affirma
que le mur serait debout alors que Courteux serait couché au cimetière.

--Je l’ai toujours vu comme ça, dit Villard, un peu bossu, mais solide.

--Solide, glapit Courteux. Regardez donc!

Et saisissant une énorme pierre, il la lança de toutes ses forces contre
la muraille qui s’écroula sur une longueur d’environ cinq pieds.

Alors le vieux Chantaud se redressa dans sa blouse:

--Courteux, vous n’aviez pas le droit de faire ça.

--Si je l’ai point, je le prends!

--Ça va bien, opina Villard.

Courteux se mit à vociférer. Il perdait toute mesure et montrait une
folle colère, car il se sentait pris à son propre piège. Sa malice
l’avait poussé dans ce mauvais pas.

Il parut s’apaiser soudain, et grogna:

--Ce mur peut pas rester comme ça. Je vais le faire rebâtir. Nous
payerons tous les deux les frais de maçonnerie, moi et Villard. On
mettra du bon mortier. J’y veillerai.

--Nous ne payerons rien, dit Villard en lui tournant le dos.
Allons-nous-en.

--C’est ce qu’on verra, cria Courteux.




XVI


Un mois passa. Le mur de la terre de la Pie était reconstruit à neuf et
couvert de tuiles qui le préserveraient du mauvais temps.

Courteux ne tarda pas à venir à la Genette annoncer cette nouvelle. Il
entra dans la maison, prit une chaise sans qu’on la lui offrît et dit à
la mère Villard qui était seule au logis, en ce moment:

--Je vous porte la note des maçons pour le mur. Ça monte à deux cent
dix-huit francs et cinq sous. Mais ne vous ennuyez pas, j’en payerai la
moitié, car le mur est aussi bien à moi qu’à vous.

La mère gémit:

--Ah! misère, vous savez faire que des méchancetés à nous autres qui
avons tant de peine.

Il se rengorgea et déclara qu’il y avait été bien obligé. Il ne fallait
pas chercher de la méchanceté où il n’en était pas plus que dans le
creux de la main.

--Je n’entends rien à tout ça. Villard est à Rieux avec Fansat rapport à
un petit veau et Aimée est à Lascaud. Patiente, ils vont s’en revenir,
car il est bientôt midi.

Elle continua d’apprêter le repas. Un bon petit poulet rôtissait sur un
lit de céleri.

--Tu te nourris bien, gronda Courteux. Chez moi, les pommes de terre
font la ronde avec les haricots.

Comme elle allait répondre, Villard et Fansat rentrèrent.

--Que nous veux-tu? dit le vieux sans même s’asseoir.

--C’est rapport au papier des maçons pour la relevée du mur. Ça monte à
deux cent dix-huit francs et cinq sous, ce qui fait cent neuf francs
pour chacun ... Pour les cinq sous, j’en donnerai trois pour arranger la
chose. Je suis bon homme.

--Tu es bon homme, on le sait, repartit Villard. Mais tu peux plier ton
papier dans ton gilet. On n’a rien à payer là-dedans.

Courteux se leva, la face empourprée:

--Alors, vous voulez point payer?

--Allez voir dehors si le coucou chante comme le merle, dit Fansat
impatienté.

Courteux descendit deux par deux les marches de la terrasse en assurant
que l’on aurait de ses nouvelles. Et pour décocher une belle injure, il
hurla:

--Mangeurs de poulets!

Quatre jours après, Villard reçut une assignation à se présenter devant
le juge de paix de Bellac. Il se rendit à la ville, en carriole, au jour
fixé.

Courteux exposa son affaire sur un ton aigre-doux; les mains cachées
dans les poches de sa blouse, il se trémoussa, mais en vain.

«Le mur mitoyen, déclara le juge, ne soutenait pas un bâtiment
appartenant à Villard. Courteux avait jugé bon de le faire reconstruire,
mais Villard n’était nullement tenu d’y contribuer, pas même dans la
proportion de la plus-value que le mur acquérait, du fait de la
reconstruction. Les frais devaient rester entièrement à la charge de
celui qui les avait occasionnés. Et encore Courteux, en projetant une
énorme pierre, l’avait fait s’écrouler volontairement à un endroit.»

--Mais y ne tenait point, monsieur le juge de paix, je vous le certifie!

Il répéta dix fois cette phrase, en arrondissant ses yeux qui ne
clignotaient plus, tant il était ému. Mais il dut s’en aller déconfit.




XVII


On se gaussa dans la contrée de ce faiseur de procès. Il perdait son
prestige d’homme malin, acquis par tant de ruses. Il jura de se venger;
des jours entiers, il y songea, la tête dans ses mains; un premier échec
l’avait rendu prudent. Il eut des idées qui ne lui faisaient pas
beaucoup d’honneur. Comme il menait ses vaches paître dans une prairie
voisine d’un champ de choux qui appartenait au bien de la Genette, il
laissa brouter les légumes en comprenant qu’il faisait une bêtise et
risquait trop d’être découvert. Sa rage ne pouvait s’apaiser. Il enfonça
de longues pointes dans les pommiers de Villard, à la hâte, quand il
était sûr de n’être pas vu. Un moment, il rêva d’amorcer un procès en
détournant soi-même un ruisseau qui traversait la Genette et venait
irriguer la Grangerie, pour se plaindre ensuite de manquer d’eau. Mais
il eut peur d’être déjoué. Il poussa la folie jusqu’à porter nuitamment,
à pas de loup, quelques jeunes lapins dans le potager de la Genette,
afin qu’ils broutassent les légumes sans que l’on sût à qui s’en
prendre.

Un soir pluvieux, comme il errait, tracassé par de mauvaises pensées,
dans les terres de la Genette, il se trouva brusquement en face de
Lionnou Fansat. Il eut un premier mouvement de recul, mais Fansat le
saisit solidement au col de sa veste, et dans sa figure hérissée, les
yeux brillaient clair.

--Ne recommencez point ces amusements, vieux! Ça vous coûterait cher et
je vous baillerais une volée qui vous donnerait envie de vous reposer.
Et merci pour les lapins, on en fera de bons civets.

Courteux bégaya, demandant grâce et feignant une grande surprise.




XVIII


Aimée cachait profond sa peine, mais elle se trouvait bien lasse. Jamais
elle n’avait mesuré tant de jours où son cœur s’était dévoué. Elle ne
pensait pas que par elle, la maison, la terre avaient été préservées. Et
elle ne pouvait empêcher que le souvenir de Jacques Lavergne ne
l’atteignît encore à certaines heures silencieuses où le soir d’été se
replie.

Elle avait maintenant le loisir d’aller souvent à Lascaud. Avec
Clémentine qui s’occupait de couture, elle devisait des choses du pays,
et le rire naïf de son amie qui fusait à propos de riens,
l’ensoleillait. Bien jeunes encore, elles pouvaient se dire: «Te
souviens-tu?» et parler des années de prime enfance.

Les jours s’écoulaient, calmes, limpides, reflétant du ciel.

Aimée s’attardait au champ. Elle emmenait avec elle Nonot qui l’égayait
par maintes boutades d’enfant éveillé. Lorsqu’il avait assez cabriolé
dans la prairie rase, bien joué avec Brunette, il venait se blottir
contre sa grande sœur et demeurait quelque temps silencieux. Elle
sentait une douceur infinie descendre, lorsqu’elle posait sa main sur
la petite tête blonde. Comme cet enfant gardait bien son cœur!

En ce temps, il advint que Brunette mit bas un petit, dans le nid de
paille qu’elle roula dans un coin de la grange.

--Nous n’aurons pas besoin de noyer les autres, puisqu’y en a qu’un, dit
Fansat.

Nonot, Vone et Tine voulurent toucher le nouveau-né qui était couleur de
paille d’avoine.

--Il n’a pas les œils encore ouverts, dit Nonot.

--Il est bien grassouillet, ajouta Vone.

Brunette leur laissa caresser son petit, puis elle l’attira sous sa
fourrure noire, après l’avoir léché de sa large langue. Et l’on
entendait le clappement du nourrisson qui tétait, cependant que la mère
ouvrait grands ses beaux yeux dorés.

Il ne se passait pas de jours sans que l’on vînt la fêter, lui porter un
bout de galette, une jatte de lait. Alors elle se levait pour remercier
et le petit chien détaché de sa mamelle roulait drôlement sur les reins,
ce qui amusait beaucoup les enfants. Puis elle revenait à son nid et
s’immobilisait pour ne cligner que de l’œil et ne frémir que du bout de
ses oreilles frisées.

Après une huitaine de jours, elle put quitter son petit et reprendre sa
tâche dans les champs. Le chiot goulu la tétait trois fois par jour et
maintenant il pouvait se soutenir en tremblant sur ses courtes pattes
pour retomber vite sur son derrière orné d’une queue rase guère plus
grosse que celle d’un rat. Il ouvrit les yeux et les montra, couleur
d’étang à la brume; l’or de la vie n’y mettrait son anneau que plus
tard.

Le dimanche qui suivit la bonne fête du 15 août, Aimée, levée dès la
pointe du jour, aperçut Brunette qui revenait d’une brève promenade
qu’elle avait coutume de faire, dès l’aube. Elle avait l’air inquiet;
son poil se hérissait quand elle poussa la porte de la grange qui était
entr’ouverte. Aimée vint la caresser. Le petit chien sortit de son nid
de paille et sauta vers sa mère pour la téter. Mais Brunette l’éloigna,
ce qui étonna beaucoup Aimée. Et tout à coup, elle s’abattit tout d’une
pièce ainsi qu’une masse de bois, les pattes étirées comme si elles
étaient liées. Ce fut si brusque qu’il parut à Aimée qu’en tombant sur
la terre battue, elle s’était transpercé le cœur de part en part sur
quelque couteau dressé.

Bientôt Aimée comprit; Brunette se débattait, roidie, durcie,
empoisonnée sans aucun doute. Elle la releva et la soutint entre ses
bras. Elle la caressait et tremblait comme elle. La bonne bête la
regardait d’un œil dilaté et fixe.

Alors elle appela de toutes ses forces et demanda du lait. Lionnou
Fansat accourut, apportant une jatte qui en était pleine. Il grogna:

--C’est ce porc de Courteux.

Elle arriva à mettre Brunette debout. La chienne eut la force de lapper
le lait en frissonnant de tout son corps où passaient des élancements
qui lui rebroussaient le poil. Mais de nouveau elle tomba sur le flanc,
horriblement crispée.

Aimée vit bien qu’elle allait mourir. Elle la prit tout contre elle en
s’asseyant sur un tas de foin et des larmes roulaient sur ses joues. Les
regards suppliants de Brunette, tandis qu’elle haletait les muscles
sortis comme des cordes, se tendaient vers sa maîtresse; ils semblaient
dire:

--Sauve-moi; je ne t’ai jamais fait de peine! Comment ne peux-tu pas me
sauver!

Fansat pleurait en éloignant le petit chien. Le poison agissait avec une
effrayante violence. Aimée se sentait impuissante à sauver Brunette.
Elle vit peu à peu les yeux de la bête si chère pâlir, devenir glauques
et s’effacer l’anneau d’or qui les éclairait. Un dernier accès; Brunette
se détendit, pencha sa belle tête et mourut.




XIX


On l’enterra dans le verger sous un pommier rond, dans ces ombres où
tant de fois elle avait dormi à l’heure chaude de midi, en ces lieux
qu’elle gardait de ses abois vigilants et de ses regards attentifs. Un
petit oiseau était venu se poser sur le tertre frais, sans doute pour y
cueillir quelque grain; Aimée y vit un signe de douceur.

Brunette fut pleurée dans les champs et le soir, au coin du feu. La
mère, le vieux Villard et Lionnou Fansat retracèrent sa vie obscure que
la fidélité réchauffait sans cesse, pareille à quelque flamme profonde
dont on ne voyait qu’un reflet fauve dans ses bons yeux.

--Il ne lui manquait que la parole, dit la mère.

--Non pas! tous ses mouvements parlaient, s’écria Aimée. Elle montrait
sa joie par des battements de sa queue en panache; son inquiétude quand
elle pointait ses oreilles, son obéissance lorsqu’elle les rabattait.
Elle avait des signes pour toutes les circonstances de la vie.

Le vieux Villard rappelait qu’il l’avait dressée, jeunette, pas plus
grosse qu’un chou. Dans le pré des Beaux, elle jappait et, se lançant
sur les vaches, elle butait contre des mottes de taupes, faisait la
culbute et repartait de plus belle. Qu’elle était mignonne et vaillante!

Nonot ne pouvait croire qu’il ne la reverrait plus et il l’appelait
plusieurs fois par jour, bien surpris qu’elle ne lui répondît pas, elle
qui accourait de si loin pour lui poser ses pattes sur l’épaule. Vone
lui dit:

--Elle est partie trop loin, mon Nonot, elle ne t’entend pas.

Mais Lionnou Fansat avait juré de confondre ce brigand de Courteux. Il
alla à Rieux et entrant chez le pharmacien, il acheta quelque brimborion
de remède. Puis, avant de passer la porte, il demanda:

--Vous avez vendu de la noix vomique à Courteux, de la Grangerie. Ce
brigand a empoisonné notre chienne.

--Oui, il m’en a demandé, il y a quatre jours, pour les taupes qui
ravagent ses champs. Il en a pris de quoi tuer un bœuf.

Lionnou Fansat tira son chapeau et s’en fut à la Grangerie. A moitié
chemin, il rencontra Courteux dans les parages de Villemonteil. Il se
précipita sur lui:

--Ah! bandit, tu as empoisonné notre Brunette! Ah! tête de putois!

Courteux se recroquevillait.

--Prends garde à toi si tu me touches. Je n’ai pas pour un sou de poison
chez nous.

--Menteur! Le pharmacien t’en a vendu une provision; j’en sors, pas
plus tard que ce matin!

Courteux grogna des mot indistincts et jeta des regards bas et fuyants.
Fansat lui cria dans la barbe:

--Je t’avertis que si tu recommences le plus petit tour contre la
Genette, je te couperai les oreilles avec mon couteau.

Et n’y tenant plus, il l’empoigna à plein corps et le lança dans un
fourré d’épines noires.

Courteux hurlait à l’assassin. Fansat lui imposa silence et sortant son
couteau de sa poche, il lui souffla une telle peur qu’il se tint coi et
ne bougea pas plus qu’une méchante bête traquée.




XX


Au temps des battaisons, il arriva que de bonnes gens se plaignirent
plus fort que de coutume, de la rapacité de Courteux. Les sacs de blé
qui leur étaient dus fondirent, au moment du partage, sans que l’on pût
en accuser la chaleur torride. On les ficela plus bas qu’on ne l’avait
pensé. Courteux assurait que ce phénomène était tout naturel; chacun
pouvait se contenter de ce qui restait, après tant de travaux.

D’habitude, pauvres vieux et femmes trop débiles pour cultiver eux-mêmes
leur bien enrageaient, mais se taisaient.

Cette fois, la femme Courteux reçut un avertissement sous les espèces
d’œufs que l’on écrasa sur sa figure, en plein marché de Rieux; ce qui
la fit ressembler, ainsi jaunie et furieuse, à quelque sorcière
chinoise.

Là ne se borna pas le signe de la réprobation communale.

Quelques jours après les réjouissances des battaisons, Lionnou Fansat
rencontra au bourg de Rieux le compère Courteux. Il faisait chaud et il
pouvait être dix heures du matin. Si Lionnou rencontra Courteux, c’est
qu’il le cherchait un peu, sans doute. Il l’aborda avec familiarité et
lui dit sur un ton bon enfant:

--Vous m’en voulez toujours, je parie, de vous avoir frotté d’un peu
près. Mais, me semble que vous êtes plus sage, à cette heure. Oublions
tout ça. Je paye à boire.

Courteux accepta à regret, mais il avait soif et il allait boire sans
qu’il lui en coutât rien. Ils entrèrent dans une petite auberge fraîche.

Fansat rabattit sur ses yeux son feutre et remplit les verres. Ils
venaient à peine de trinquer qu’un âne montra ses longues oreilles à
travers la fenêtre basse. Brusquement, Fansat cria à pleine gorge:

--Charivari!

Courteux s’empressa vers la porte, mais une bande de garçons l’entoura
et il comprit que toute résistance serait vaine.

Le baudet attendait, dignement paré pour la cérémonie, orné de branches
de sapin, de floquets de rubans, de pelures de légumes qui
tire-bouchonnaient. Des queues de choux-cavaliers lui servaient de
chasse-mouche. Tout allait bien; Fansat avait posé sa forte main sur
l’épaule de Courteux qui tremblait de colère.

On attacha soigneusement, non loin de la queue de l’âne qui semblait
assez âgé pour mériter du respect, un tonnelet rempli de vin blanc.
Courteux fut coiffé de force d’un bonnet jaune et boutonné solidement
dans une camisole de femme qui ne devait pas être coquette. Et saisi
par quatre garçons, pincé quelque peu, il dut enfourcher l’âne à
rebours.

Des lurons lui firent escorte, la tête couronnée de casseroles fourbies,
vêtus de vestes et de pantalons retournés dont la doublure était un peu
pisseuse. La compagnie se mit en branle. François Pairaud de Lavergne,
bien laid, mais fameux ménétrier, raclait du violon et imitait à
merveille le miaulement des chats amoureux; un autre faisait haleter un
accordéon poussif; c’était une brave petite musique et pimentée de
chansons.

Le cortège dansant et grimaçant occupa les ruelles du bourg. Chacun de
courir sur le pas des portes, d’applaudir et de bien rire.

Un des acolytes qui avait une pomme de terre nouvelle dans la bouche et
deux haricots de Soissons dans le nez, élevait un récipient de faïence
tout neuf, dont l’oreille était mignonne, si tout ce qui est petit est
mignon.

Fansat hurlait de moments en moments:

--Charivari!

La bande demandait:

--Pour qui?

Fansat de répondre:

--Pour Courteux qui rase les grains de blé et qui empoisonne les chiens!

Le patient dut boire le vin blanc qui lui fut présenté dans la grosse
tasse. On lui avait barbouillé la figure avec de la suie, et son col
était orné d’un collier de pommes de terre enfilées dans une ficelle.
Sur son passage, les braves gens se tenaient les côtes et se faisaient
du bon sang.

A chaque cri de: Charivari! à chaque réponse, un garçon qui n’avait pas
les deux pieds dans le même sabot, tirait le douzil du tonnelet,
remplissait de vin le récipient et le faisait passer sous la queue de
l’âne qui gardait son sérieux; après, il offrait à boire à qui en
voulait; et on en voulait.

Le cortège fit trois fois le tour du bourg. Mais ce fut un beau tapage
quand l’âne jouant sa partie, se mit à braire et à faire du bruit par
toutes ses embouchures, en ruant sec.

--Il va faire gagner l’avoine à Courteux! s’écria en chœur l’assemblée.

Mais les plus beaux spectacles ont une fin, Lionnou Fansat laissa
descendre Courteux de sa monture rebelle. Et tout à coup, déployant un
fouet de meunier, il le fit claquer avec force sur la tête du compère
qui, n’ayant pas le loisir d’enlever le bonnet et la camisole, s’enfuit,
crevant de rage, à travers champs, au cri de: Charivari! Charivari!




XXI


Le temps approchait où l’on arracherait les pommes de terre. La campagne
était roussie, et par grandes étendues, l’automne poussait son feu
encore secret. On voyait mieux le mouvement de la branche des arbres qui
retenaient un feuillage plus lourd. Le travail des eaux et du soleil
préparait la vieille magie dans ces solitudes que le cri d’un oiseau
inconnu déchire. Depuis qu’elle était moissonnée, la terre semblait
s’éloigner de l’homme et découvrir sa face éternelle. Les étangs
n’étaient plus des miroirs que l’on brisait en y pêchant des liasses de
poissons, mais des boucliers d’argent que les chevaliers du ciel avaient
jetés dans la prairie: une merveilleuse paix en était conclue au sommet
des airs.

Dans les éloignements, sous la feuille enroulée avec une dernière
puissance, l’horizon prenait la couleur fondue des bruyères, des fruits,
de la fougère brûlée; des arceaux irréels s’ouvraient à l’aube dans des
fumées blanches qui montaient des herbages, et la nuit, s’élevaient des
portes de légendes.

Aimée n’était pas insensible à cette poésie éparse et changeante, mais
elle goûtait simplement le haut repos de la saison.




XXII


On éleva le petit de Brunette avec beaucoup de peine. Trois fois par
jour, Aimée fit chauffer du lait qu’il venait laper en jetant de menus
abois. Quelque temps, il chercha sa mère, et fureta, son bout de nez à
terre, reniflant et soufflant, tout tremblant sur de grosses pattes.
Bientôt, il suivit les vaches au champ, affairé et trottinant, poussant
des jappements aigus. Fansat connut qu’il serait bon de garde. Dans
l’herbe rase, il se lançait de toutes ses forces contre les bêtes qui
balançaient leurs fronts pesants. Parfois, il se précipitait et son
museau butait contre une motte de terre et le faisait rouler sur la
tête; mais il repartait, ouvrant sa petite gueule rose et jappait,
jusqu’à ce que Nonot le prît dans ses bras et le berçât comme un
poupon.




XXIII


Le vieux Villard se courbait davantage et somnolait des journées
entières, non loin de la cheminée, en attendant que le feu de l’hiver
lui tînt compagnie. Il s’abandonnait à un demi-sommeil, car il sentait
que la maison était en sécurité.

Quand on lui faisait compliment d’Aimée, il bredouillait de plaisir et
d’émerveillement, ou bien il pleurait.

Là-haut, sur la planche du grenier, les sacs de blé étaient entassés. On
avait plié sous la bonne charge du grain. La mère, à vrai dire, ne
reprenait pas grand courage, mais au fond d’elle, le chagrin s’était
assoupi.

Le soir, on se rassemblait autour de la table de cerisier. Aimée amusait
à des jeux rustiques ses petites sœurs et Nonot, ou bien elle inventait
et retrouvait de vieilles histoires qui font s’agrandir d’étonnement les
yeux des enfants. La mère tricotait. Lionnou faisait des paniers, et
dans ses gros doigts, c’était merveille de voir le brin s’assouplir.
Après le repas du soir, Aimée récitait la prière où, comme à l’habitude,
on demandait à Dieu le pardon, la paix.




XXIV


Septembre coupait dans l’étoffe des belles journées. Le temps des
veillées revenait. Lionnou Fansat avait fauché le regain; et les prés
encore drus donnaient à manger aux bêtes. Le petit de Brunette était
maintenant haut sur pattes et montrait les qualités de sa mère. Aimée
avait voulu qu’il se nommât: Fidèle.

Elle ne fréquentait pas les assemblées et les frairies où éclate la
joie paysanne. Parfois le souvenir de Jacques l’émouvait furtivement.
Elle avait su qu’il était revenu à Rieux pour de brefs congés, mais elle
évitait de le rencontrer. Elle avait élevé son cœur dans le ciel de son
pays. Il lui était toujours agréable d’aller au champ et de se faire
accompagner de Nonot ou de Tine et Vone. Elle s’asseyait sous des arbres
roussis par l’automne. Elle trouvait du bonheur dans le silence qui
montait de la campagne où elle avait voulu fixer sa vie.

Un soir, suivie de Nonot, elle mena loin les bêtes, dans un pré qui
côtoyait la Gartempe. A cet endroit se dressent des rochers noirâtres
qui, se recourbant, retiennent beaucoup de mystère. L’arbre s’y convulse
et lève des rameaux crispés, près de l’eau qui roule, étranglée et
sombre. Là, tout est sauvage et rude; le ciel clair et le soleil même ne
peuvent effacer la trace des temps tragiques.

Cette fin de journée était chaude et chargée d’orage. Peu à peu, les
nuages s’amoncelèrent et formèrent une voûte noire bientôt déchirée
d’éclairs. Un grand vent se leva, rebroussant les feuilles, tordant les
arbres et rabotant la rivière.

Aimée voulut revenir à la Genette, mais elle connut vite que c’était
impossible. Nonot épouvanté, s’agrippait à sa robe et les bêtes, que
Fidèle tentait de rassembler, s’abritaient sous les rochers. Une pluie
drue et lourde tomba dans une fumée d’eau qui flottait. Aimée se
blottit dans un creux de terrain préservé par des rocs surplombant; elle
retenait Nonot contre elle, mais l’averse eut bientôt fait de les
tremper. Quand elle vit que l’orage durait, elle ôta son corsage et se
dépouilla de son gilet dont elle emmaillota Nonot.

--Mon Dieu, faites que Nonot n’ait pas de mal, priait-elle.

Elle fut prise de frissons et serra les dents pour que Nonot ne vît pas
qu’elle grelottait.

Après une heure où la campagne semblait noyée sous un déluge, le ciel se
rasséréna et le soleil alluma des gouttelettes dans les arbres.

Nonot, encore étourdi par les coups de tonnerre, n’osait bouger. Aimée
le ranima en riant, rassembla les bêtes et s’en revint à la Genette,
mais l’eau qui la mouillait jusqu’aux os l’alourdissait et elle
tremblait de froid.

La mère l’attendait sur le seuil; elle se hâta en gémissant de lui
préparer du vin chaud. Nonot fut vite revêtu d’habits bien secs. Grâce
au gilet dont sa grande sœur l’avait couvert, il avait eu plus de peur
que de mal.

Aimée se coucha et toute la nuit, elle eut la fièvre. Sa mère qui la
veillait entendit qu’elle disait:

--Couvrez Nonot, il aurait froid ... Attendez, j’ai un manteau de laine
bien chaud ...

Quelques jours après, comme elle toussait, on fit venir M. Rémy qui
diagnostiqua une bronchite. Mais elle disait:

--Ce n’est rien ...

Confuse d’être malade et de donner de la peine. Alors la mère sentit
qu’un feu nouveau la ranimait. Nuit et jour, elle se tint au chevet de
sa fille, attachant sur elle ses yeux et son cœur.




XXV


Après deux longues semaines, Aimée fut hors de danger. Mais elle ne se
levait pas encore. Il lui semblait qu’elle trouvait enfin un vrai repos.
Elle ne s’ennuyait pas; Clémentine Queyroix s’asseyait près de son lit
et lui contait de naïves histoires de campagne. Sa bonne figure rouge,
aux yeux francs, aux cheveux bien lissés, était agréable à regarder.

Elle parlait maintenant à Aimée de son frère Martial qui achevait son
service en Tunisie et qui reviendrait bientôt en Limousin.

--Tu te le rappelles certainement, bien qu’il soit plus vieux que nous
autres; étant un peu sauvage, il ne sortait pas beaucoup. C’est un brave
garçon.

Aimée se souvenait de lui, comme d’un jeune homme bien planté, un peu
rude de manières. Nonot et les petites sœurs venaient s’asseoir au bas
du lit, sur le couvre-pied, et ils jouaient aux osselets.

La mère, qui ne cessait de préparer des tisanes, voulait les chasser de
la chambre, mais en vain; Aimée la suppliait de les laisser auprès
d’elle. Le grand-père lui tenait compagnie de longues heures et la
considérait en silence.

Un jour, le curé Verdier lui apporta des livres pleins de contes et de
beaux récits.

Aimée, les ayant lus, s’étonnait que sa vie fût si calme. Mais elle
n’avait aucun désir de connaître des jours mouvementés, liés par cent
intrigues. Quand elle était seule, elle refermait les livres de l’abbé
Verdier et regardait, longtemps, frémir la pointe vivante d’un jeune
frêne qui s’élevait devant la fenêtre.




XXVI


Enfin elle put se lever. Elle fut bien heureuse de voir que Nonot et les
petites sœurs aidaient au ménage et aux soins de la basse-cour. Elle
s’émerveillait de découvrir que sa mère, depuis sa maladie, semblait
être devenue plus forte qu’elle ne l’avait jamais été. Mais quand on lui
disait qu’elle s’était montrée vaillante et courageuse, à plein cœur,
elle rougissait, prise de gêne, comme si l’on se moquait d’elle.




XXVII


L’automne parut tout à fait. En ce pays d’eaux vives, où la feuille des
arbres est d’un vert puissant, il alluma ses couleurs. On voyait, dans
des profondeurs de châtaigneraies et de taillis, s’enfoncer des traits
ardents qui se brisaient en parcelles d’ors et de rouilles. Et ce fut
une grande pluie de lumière qui changeait les feuilles en fleurs. La
terre s’enchantait comme si un étrange soleil montait d’elle sous un
ciel fermé. Et la couleur courait au fond des bois, plus émouvante que
la chanson des cors.

Un matin d’octobre finissant, Clémentine Queyroix conduisit son frère à
la Genette.

Aimée le vit monter les marches de la terrasse d’un pas solide, et il
souriait. Il était grand et musclé; ses regards, dans une figure brune,
allaient droit, avec une franchise claire.

--Tu vois, c’est mon frère! s’écria Clémentine.

Martial Queyroix salua Aimée, à la façon plaisante des campagnes.

Ils entrèrent. La mère fit fête au nouveau venu.

--Tu as forci, petit, dit-elle, et le soleil de là-bas t’a cuit la
peau.

Le vieux Villard se leva du banc à sel où il était tassé. Il considéra
Martial d’un œil qui devenait guilleret et il hocha de la tête pour
approuver:

--Je t’ai connu gros comme deux radis et te voilà à cette heure
fièrement tourné.

On prit place autour de la table; la mère alla chercher une bouteille de
vin bouché.

Martial parlait, avec une sorte d’avidité heureuse, des jours de
garnison, en ces pays du diable, secs comme de l’amadou; et sous le
regard attentif d’Aimée, il ne manquait pas de se vanter un peu. Il
s’écria:

--Ça fait du contentement de s’en revenir chez nous!

Aimée gardait le silence; elle écoutait. Martial se mit à rire pour
cacher le trouble qui le prenait sous les yeux de cette fille bonne et
belle. Il devint grave:

--Vous avez eu bien de la peine, m’a dit Clémentine. Ah! si j’avais été
là, pour vous prêter la main! Mais tout est en place, à cette heure,
dans votre maison. Je me suis laissé dire, Aimée, que vous aviez peiné
plus que vous ne pouviez ...

--Oh! non! J’ai fait ce que j’ai pu, seulement ...

Le vieux Villard dit avec lenteur, comme s’il soupesait ses mots:

--Mon fi, tu pourras nous aider, si tu veux. Nous en serons contents. Il
y a toujours de la besogne à faire et Fansat en a plein sa charge.

Martial ne répondit pas, car il ne pouvait détacher ses regards du
visage d’Aimée.

Il repartit vers Lascaud avec Clémentine qui se sentait bien légère.

Nonot, avant qu’il passât le seuil, lui avait glissé dans la poche de sa
veste une grosse pomme rouge.




XXVIII


Aimée et Martial se rencontrèrent, à la faveur des premières veillées, à
la Genette ou dans les chemins solitaires des champs. Le temps était
venu d’arracher les pommes de terre. Humble travail sous le ciel gris de
l’automne dont le feu s’éteint vite. Les hommes piochaient à l’endroit
où se voyait à peine un bout de tige brûlé par le soleil. Le pied
livrait ses tubercules pressés. Aimée, sa mère, le vieux, les petits,
les rassemblaient par paniers de bois que l’on versait dans des sacs
entassés sur le tombereau. Chaque sillon était suivi avec soin; peu de
paroles étaient dites. Nonot et ses petites sœurs se pliaient à la
vieille discipline; mais la charrette chargée, on s’en revenait en
devisant gaiement. Aimée et Martial restaient un peu en arrière et ils
se prenaient par la main.




XXIX


Quand les pommes de terre furent arrachées et entassées dans la grange
où la gelée ne les pourrait piquer, la mère pensa à la châtaigneraie du
Cros du Renard où se pressaient une trentaine d’arbres d’espèces
différentes. Les uns donnaient des châtaignes de forme un peu pointue
avec une aigrette de soie blanche, les autres dans des bogues ouvertes
et roussies en montraient de rondes et de trapues, presque aussi
grosses que des marrons.

Un soir de la semaine qui annonce la Toussaint, Fansat vint à Lascaud et
invita Martial à emporter une grande serpillière:

--Tu ramasseras quelques châtaignes pour Clémentine qui les trouve
bonnes noyées dans du cidre doux. Et il y a rudement de pommes, cette
année. Aimée va, ce soir, à la châtaigneraie avec le Nonot.

Il clignait de l’œil sous le sourcil en touffes et dodelinait sa tête
velue. Quand ils arrivèrent au Cros du Renard, dans la châtaigneraie aux
branches pourprées, Aimée et Nonot écrasaient du pied les bogues qui
s’ouvraient et laissaient jaillir de leur peluche, des châtaignes
luisantes.

--Arrêtez-vous, Aimée, dit Fansat. Je vais en ramasser avec le Nonot.

Fidèle jouait; il approchait prudemment des bogues où il s’était piqué
le nez et il poussait des jappements coléreux comme devant quelques
hérissons. Nonot lui jetait des châtaignes qu’il happait, rejetait,
reprenait dans sa gueule; et il les faisait sauter au bout de ses
grosses pattes pour se donner le plaisir d’une course.

Fansat déploya la serpillière et la remplit de châtaignes choisies;
Nonot l’aidait bien sagement.

Martial s’éloigna avec Aimée. Ils allèrent s’asseoir sur le tronc d’un
vieux chêne que l’on avait coupé par longues billes. Le temps était
doux, traversé de courants frais et d’odeurs de feuilles qui mouraient.
Martial prit les mains d’Aimée dans les siennes. Ils se taisaient et
leurs regards se mêlaient dans une paix infinie.

Lionnou annonça qu’il passait devant avec Nonot et Fidèle.

Martial parla un moment, presque à regret, tant il était rempli d’un
bonheur impossible à dire:

--Aimée, souvent, là-bas, quand il y avait tant de soleil sur tant de
terres grillées, je pensais à notre pays. Je me languissais. Maintenant
je ne quitterai plus chez nous. Ah! que j’aurai du courage et du plaisir
à travailler près de vous ... toujours.

Elle lui répondit tendrement à mi-voix et elle appuya sa tête sur son
épaule. La vie s’ouvrait devant eux, calme et belle comme l’horizon,
formé de collines modérées, de bois que l’automne embrasait et de
prairies où l’eau était pure. Le soir vint sans bruit. Ils s’étaient
donnés l’un à l’autre, par delà les paroles, et la bénédiction du ciel
descendait en silence sur eux. L’ombre s’ouvrait comme une main qui
protège; la première étoile se leva.




XXX


Le jour de la bonne fête de Toussaint, Aimée et Martial communièrent à
la première messe. L’église était remplie par le peuple paysan sur
lequel soufflait le grand souvenir des défunts. En Limousin, terre où la
racine des arbres s’enroule au rocher, la fidélité aux morts ne cesse
d’éclairer les cœurs.

Le soir de ce jour, Villard et la mère, Clémentine et Queyroix le
sabotier, Martial, Aimée et les petits revinrent ensemble à Rieux pour
la solennité des vêpres. Soir sublime où la multitude des morts, de ceux
qui sont encore dans la peine des ténèbres, et des élus, est présente
partout dans les maisons et les champs.

Après l’office, la foule se pressa au cimetière. L’abbé Verdier, en
chape, précédé de la croix d’argent, se plaça au pied de la vieille
croix mérovingienne que l’embrun des siècles a noircie. Il chanta le
_Libera_ à voix forte et un petit enfant reprenait le verset comme un
grillon chante clairement dans le blé. Ayant béni les tombes sous un
ciel qui se voilait, il partit. Les bonnes gens se répandirent entre les
tombes pour les honorer et prier. Sur la pierre où dormait Pierre
Villard, la mère fit couler de l’eau bénite du goulot d’une bouteille
destinée à cet usage, depuis des temps et des temps.

Elle murmura:

--Tu vois Aimée et son promis, mon pauvre. Dors en paix, on prie pour
toi.

Aimée, les yeux baissés, disait dans son cœur:

--Père, j’ai fait ce que j’ai pu ... Tu as vu que j’ai travaillé de mon
mieux. Martial, tu le sais, est un bon jeune homme; avec lui, je serai
heureuse et la terre ne souffrira pas.

Puis les Villard allèrent prier sur la tombe des Queyroix, un ancien
granit en forme de bière, creusé, dans le haut, en coupe.

Les Villard et les Queyroix s’en retournèrent chez eux, approuvés et
fortifiés par leurs défunts.




XXXI


Il faisait nuit quand Aimée entendit tinter le premier glas du 2
novembre. Les petits dormaient; mais voici qu’elle ouvrait grands ses
yeux et que son cœur écoutait. De minute en minute, les coups touchaient
le toit de la maison, assourdis par l’éloignement.

Puis les cloches s’ébranlèrent et sonnèrent à grande volée. Dans les
ténèbres passait le long battement de l’airain exorcisé; parfois le
vent l’étouffait, mais il revenait, sortant des abîmes de l’air.

Aimée accoudée sur l’oreiller, écoutait toujours et une lumière
intérieure l’éclairait. Elle entendit dans la cuisine un bruit de pas;
elle ouvrit à demi la porte. Sa mère était levée et semblait vivre dans
un rêve, tandis qu’elle couvrait d’une nappe blanche la table où elle
posa la tourte de pain, une bouteille de vin et du salé dans un plat de
faïence[C]. La lampe faisant dans la salle une faible lumière, la mère
Villard s’immobilisait près de la table en joignant les mains, comme en
attente. Elle resta quelque temps ainsi, debout; des larmes roulaient de
ses yeux et ses lèvres remuaient dans une prière silencieuse. Enfin,
elle souffla la lampe et se coucha. Les cloches s’étant apaisées, on
n’entendait plus que le souffle du vent, au dehors, dans la campagne. Et
les coqs annonçaient que le jour blanchissait le ciel.


                                  FIN


IMPRIMERIE FRANÇAISE DE L’ÉDITION, 12, RUE DE L’ABBÉ DE L’ÉPÉE.--PARIS Vᵉ


NOTES:

[A] Soupe au lard.

[B] Repas de midi.

[C] Vieille tradition dans les campagnes limousines.






        
            *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK AIMÉE VILLARD, FILLE DE FRANCE ***
        

    

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are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
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forth in Section 3 below.

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including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

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facility: www.gutenberg.org.

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