Les oiseaux bleus

By Catulle Mendès

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Title: Les oiseaux bleus

Author: Catulle Mendès

Release date: April 12, 2024 [eBook #73384]

Language: French

Original publication: Paris: Victor-Havard, 1888

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES OISEAUX BLEUS ***






  CATULLE MENDÈS

  Les Oiseaux
  BLEUS


  PARIS
  VICTOR-HAVARD, ÉDITEUR
  168, Boulevard Saint-Germain, 168

  1888
  Droits de traduction et de reproduction réservés.




OUVRAGES DU MÊME AUTEUR


  Jeunes filles, 6e édition         1 vol.
  Jupe courte, 8e édition           1 vol.
  L’Homme tout nu, 12e édition      1 vol.




LE SOIR D’UNE FLEUR


On l’avait jetée, pendant cette fête, de voiture en voiture; lancée au
hasard, attrapée, lancée encore, elle avait été comme le volant de ces
exquises raquettes que sont les mains des Parisiennes; puis, un badaud
l’ayant mal agrippée, elle tomba dans la boue, parmi l’herbe rase et
humide; et personne, d’abord, ne s’inquiéta d’elle; et, plus tard, dans
la fête mouillée, mille pieds la piétinèrent, sous la gaieté
languissante des lampions et des verres de couleur, tandis que sonnaient
les grosses caisses et les trombones des baraques foraines. C’était une
toute petite églantine rose, presque en bouton encore, avec une longue
tige épineuse.

Comme je passais, hier soir, à travers la foule, je vis, dans la
grisaille de la fange, une petite rougeur pâle qui était cette fleur
morte; tout de suite je devinai quel avait été le sort de l’églantine,
triomphante, puis mélancolique, pendant la journée de plaisir et de
folie: elle était là maintenant, souvenir, entre deux petits tas de
boue, comme entre deux feuillets d’un livre, déjà flétrie, charmante
encore, relique souillée et parfumée. J’eus la pensée de la ramasser, de
la conserver; savais-je si je n’y retrouverais point l’odeur qui m’est
chère entre toutes, l’odeur que j’ai aspirée, une seule minute, de mes
lèvres rapides, sur le bout d’un petit doigt ganté, dans l’antichambre,
après le thé de cinq heures, tandis que l’on remet les manteaux? Et
puis, cette rose, c’était tout ce qui restait de la gaieté d’une heure,
de la promenade enrubannée et fleurissante, où Paris avait imité la
fantaisie et les rires d’un Corso d’Italie. Le poète qui passe a pour
devoir de recueillir ce qui demeure de la joie humaine, cette tristesse
qui est comme la lie des choses heureuses; et, après, il en fait des
vers.

Je me baissai donc, pour prendre la fleur.

Mais une main avait devancé la mienne, une toute petite main, celle
d’une fillette mal vêtue, sordide, presque en haillons, l’air d’une
mendiante. Je laissai faire cette enfant, je ne lui disputai point la
morose épave qu’elle saisit et qu’elle mit dans son corsage, sous le
bâillement de l’étoffe sans boutons, très vite, furtivement. La pauvre
mignonne! cela lui plaisait, habituée à marcher dans la boue, d’y
cueillir une fleur.

                   *       *       *       *       *

Mais j’observai les gens, un homme et une femme, qui étaient avec
l’enfant, et je les suivis, parmi le brouhaha de tout ce monde se hâtant
sous la pluie. Ils étaient pauvrement habillés, lui en veston, elle en
robe de cheviotte sans manteau; elle avait dans le cou le désordre de
son chignon défait, il avait jusqu’aux yeux, sous un chapeau rond, des
frisures de cheveux bruns, annelées par un coiffeur de banlieue. Ils
montraient tous deux dans leur costume et dans leur attitude, un abandon
de misère, un traînaillement de loques. C’était vraiment cet affreux
couple parisien: le voyou et sa femelle. Elle ne lui donnait pas le
bras; ils faisaient marcher devant eux la petite fille qui avait ramassé
la fleur; et, en cheminant, ils parlaient.

Chienne de journée tout de même! à cause de l’ondée toujours menaçante.
Les gens riches n’avaient pas quitté leurs voitures, et, avec les
bourgeois qui étaient venus pour voir malgré le mauvais temps, il n’y a
rien à faire; ce sont des malins qui prennent garde à leurs poches. Non,
c’était enrageant, à la fin, de ne pas pouvoir se tirer d’affaire,
lorsqu’on a bonne envie de travailler et qu’on n’est pas plus manchot
que les camarades. Les étrangers ont de la chance, eux; les Anglais
surtout, à cause du Grand-Prix; on les prend pour des gens convenables,
qui ont des relations dans les écuries; on les fait causer, pour avoir
des renseignements sur les chevaux qui courront; et eux, tout en
causant... Mais les Français se défient des Français; pas moyen
d’engager la conversation. Enfin, il était dix heures du soir, ils
étaient venus à la fête à deux heures de l’après-midi, et, dans tout ce
temps-là, pas une aubaine, rien; ils n’auraient pas eu seulement de quoi
prendre un verre avant d’aller se coucher, si la petite n’avait reçu
quelques sous, en mendiant entre les voitures. S’il n’y avait pas de
quoi se mettre en colère! Alors, pour vivre, il faudrait donc
s’expatrier? puisqu’il n’y avait pas moyen de faire son métier,
honnêtement, dans son pays! Et tout cela était dit dans des grognements,
avec de sales jurons et cet accent des bouges qui donne à toutes les
paroles l’ignominie de l’argot.

Pourquoi je suivais, pourquoi j’écoutais ces vils passants? A cause de
la fillette, toute haillonneuse, maigre, laide, chétive. Ce qui était
exquis, c’est qu’elle avait ramassé une fleur.

--Marguerite!

--Maman? dit l’enfant dans une secousse.

La mère lui flanqua une gifle.

--Une autre fois, tu répondras plus vite. Tiens, regarde, là, devant
nous, ces gens qui viennent. Allons, dépêche-toi.

L’enfant s’approcha d’une famille bourgeoise qui courait presque, dans
la pluie, en quête d’une voiture; et, tendant une main, d’une voix
faussement pleurarde:

--Messieurs, mesdames, geignit-elle, nous sommes cinq enfants à la
maison. Papa est sans ouvrage. Donnez-moi quelque chose. Ça vous portera
bonheur!

On lui donna une pièce de deux sous, que, les gens passés, elle remit à
sa mère.

--Bête! dit celle-ci, il fallait courir après eux, ils t’auraient donné
davantage.

Et elle lui flanqua une autre gifle. La petite fondit en larmes. Elle ne
devait pas avoir plus de sept ou huit ans. Elle avait, si maigre, sous
le jour des illuminations, une pâleur presque morte, avec des taches de
rousseur qui avaient l’air de taches de boue. Et elle pleurait avec de
courts sanglots. Puis, elle se remit à marcher devant ce hideux couple,
ne pleurant plus, la main dans son corsage. On eût dit que cela la
consolait de toucher la fleur qu’elle avait prise.

Qu’est-ce que cela pouvait lui faire, cette fleur? Née dans quelque sale
maison d’une cité populacière, habituée à une vie sans dimanches, elle
ne pouvait pas avoir la nostalgie des champs, des buissons, des courses
dans les bois, avec les camarades, en sortant de l’école; une églantine,
pour elle, ce devait être quelque chose qu’on vend à des messieurs, le
soir, sur le boulevard; et puis, si on n’a pas fait bonne recette, des
coups, après minuit, au retour. Tout le jour, pendant la fête, elle
avait vu, des coupés aux victorias, un échange fou de bouquets; des
dames bien habillées, éclatantes, heureuses, la face fleurie de joie,
riaient en baissant la tête, pour éviter à leurs chapeaux le heurt
envolé des roses et des pivoines; la haine des fleurs,--des fleurs,
métier pour elle, luxe pour les autres,--voilà ce qu’elle aurait dû
éprouver ce pauvre être. Mais non, elle tâtait toujours, sous l’étoffe
sans boutons, l’églantine ramassée; et, les yeux à peine séchés, elle
avait un sourire aux lèvres, un sourire pensif et résolu, avec un air de
préméditation heureuse, comme si elle eût formé le dessein de quelque
grande joie. Je remarquai qu’elle avait sous son bras gauche un journal
déchiré, mal replié. Une fois, il tomba, elle le reprit très vite. Qu’en
voulait-elle faire? Je la regardais. Maladive et triste, elle n’était
point vilaine pourtant. Lavée, bien vêtue, on eût fait une belle enfant
riche avec cette laide enfant pauvre. Elle marchait d’un pas décidé.
Elle avait dans les yeux quelque chose qui ressemblait à un rêve.

Cependant, l’homme et la femme, moi les suivant toujours, avaient quitté
la fête. Ils avaient gagné je ne sais quelle avenue de banlieue, ils
s’arrêtèrent sous une tente flottante, lourde de pluie, et prirent place
devant une table. Je m’arrêtai aussi, et m’assis non loin d’eux. Ils
demandèrent une bouteille de vin. Je les voyais sous la lumière d’un
quinquet accroché à un poteau. Lui glabre, elle moustachue, leurs faces
étaient repoussantes. Accoudés, ils se parlaient bas, avec un murmure de
complot. Autour de nous, des gens, qui devaient être des palefreniers et
des valets de jockeys, menaient grand fracas, buvaient, appelaient le
garçon, se querellaient, s’injuriaient. Il y avait, dans l’air, avec une
odeur de tonneau en vidange, une odeur d’écurie. Je remarquai que le
voyou et sa femelle regardaient par instants, en se faisant des signes,
deux valets de chambre, en gilets de livrée, qui jouaient aux cartes, de
petites pièces sur la table.

Mais où donc était l’enfant?

Tout près, assise par terre, entre les souliers des gens.

Et c’était charmant de la voir.

Du vieux journal déchiré, elle avait fait deux petits carrosses en
papier,--carrosses, ou leur vague ressemblance,--et ses mains, tantôt
celle-ci, tantôt celle-là, lançaient d’une voiture à l’autre la fleur
qu’elle avait ramassée tout à l’heure, l’églantine ramassée parmi
l’herbe humide et rase. Je compris alors pourquoi elle avait saisi si
rapidement la mélancolique épave! pourquoi elle l’avait si soigneusement
gardée. Là, entre les jambes des buveurs, parmi l’air sale, les pieds
dans la fange, la jupe dans la fange, accroupie, elle imitait, à elle
seule, toute la gaieté, toute la gloire épanouie de la fête. Elle
recevait et lançait, en une seule églantine fanée, les mille bouquets de
la fraîche bataille, et elle s’amusait, et elle riait, et elle avait,
cette enfant de voleuse et de voleur, cette mendiante, cette
loqueteuse,--tandis que l’homme et la femme, penchés au-dessus des
verres rouges, complotaient quelque mauvais coup,--elle avait, plus
sincère, au cœur et aux lèvres, toute la joie des belles mondaines
échangeant des mitrailles épanouies. Bientôt elle rentrerait dans
quelque bouge puant, obscur, où l’on dort mal, pendant les querelles
avinées du père et de la mère. Mais, n’importe, elle aurait eu, la
petite misérable, l’illusion, un instant, d’être heureuse comme tant de
magnifiques dames. Et c’était, je le pensai, par la pitié du destin, que
l’églantine rose, presque en bouton encore, avec une longue tige
épineuse, était tombée d’une main maladroite, parmi la boue, dans
l’herbe.




LA BELLE DU MONDE


I

En ce temps-là, dans ce pays, les jeunes filles et les jeunes femmes, si
elles savaient qu’elles étaient jolies, ne le savaient guère que par
ouï-dire. A peine suspendues au mur ou prises dans la main, toutes les
glaces, grandes ou petites, se répandaient en lumineux débris, sans
heurt visible, comme d’elles-mêmes. Et savez-vous pourquoi elles se
brisaient de la sorte? parce qu’elles étaient désespérées de ne pas être
le miroir où la princesse Amarante mirait ses lèvres de fleur et, sous
ses cheveux de soleil, ses yeux de ciel.

A cent lieues à la ronde on n’aurait pas, même en cherchant longtemps,
rencontré une dame ou une demoiselle qui, pour la beauté, fût comparable
à la princesse: elle était l’enchantement de tout ce qui l’entourait,
hommes, bêtes ou choses; pas plus que le roi son père, son petit chien
ne pouvait se lasser de l’admirer; si elle demeurait quelques heures
sans traverser la salle où se tenaient les gentilshommes de la cour, ils
devenaient malades de tristesse; lorsqu’elle n’avait pas fait dans le
parc sa promenade accoutumée, les balsamines et les jacinthes, en
s’endormant dans un froissement de feuilles, se disaient l’une à
l’autre, même après la plus belle journée: «Quel sombre temps il a fait
aujourd’hui!» Mais elle était pour le moins aussi méchante que belle;
d’avoir de profondes prunelles bleues où s’attendrissait délicieusement
la lumière, ne l’empêchait d’entrer en des colères qui faisaient
trembler tout le monde; elle avait plus souvent envie de mordre que de
sourire, bien que sa bouche eût la douceur aimable d’une petite rose
poupine. Et la colère n’était pas son plus grand défaut: elle était
envieuse--elle qui possédait dans des coffrets de jade et d’or tant de
diamants et de perles--au point de pâlir de rage si elle voyait une ou
deux gouttes de rosée sur une primevère matinale, ou quelques grains de
verroterie au cou d’une pauvresse. Ajoutez que, le cœur clos à toute
tendresse, elle avait réduit au désespoir les plus beaux et les plus
riches princes de la terre, qui n’avaient pu la voir sans l’aimer; on
citait jusqu’à douze prétendants qui s’étaient laissés mourir du chagrin
de n’avoir pu l’obtenir en mariage.


II

Une fois que, sur la pelouse, avec ses demoiselles d’honneur, elle
jouait à la berlurette,--c’était un jeu fort à la mode, en ce temps, à
la cour,--elle entendit deux pages se promenant dans une allée voisine
derrière un buisson de syringas, parler entre eux d’un merveilleux
oiseau qui ressemblait, d’après les récits des voyageurs, à un brasier
rose de pierreries, envolé! et qui avait son nid sur la plus haute
cime d’une montagne sauvage au pays des Algonquins. Tout de
suite,--quoiqu’elle eût, en vingt volières, des huppes, des apus, des
cardulines, des améthystes, des orverts, des perruches, et des
passerines fauves et roses, et des roitelets couleur de feu, et des
aviranos et des rossignolettes,--elle eut envie de l’oiseau inconnu.
Elle manda un prince qui, pour l’amour d’elle, séjournait à la cour
depuis plus d’une année, en grande mélancolie. C’était le propre neveu
de l’empereur de Trébizonde; il était jeune et beau comme un matin de
printemps; afin de plaire à la princesse, il avait accompli les plus
périlleux exploits, avait triomphé des plus rudes épreuves; mais jamais
elle ne récompensa que par des rebuffades l’amour et le dévouement qu’il
ne cessait de lui témoigner.

Quand le prince fut venu:

--Seigneur, lui dit-elle, vous irez, s’il vous plaît, me chercher
l’oiseau pareil à un brasier rose de pierreries, qui a son nid dans la
montagne des Algonquins! et, si vous l’apportez, je vous donnerai
peut-être à baiser le bout de l’ongle de mon petit doigt.

--Oh! madame, s’écria une demoiselle d’honneur, ne savez-vous pas que,
dans sa solitude lointaine, cet oiseau est gardé par mille aigles
féroces, aux serres de fer, aux becs de fer? Ils auraient bientôt fait
de mettre en pièces, fût-il le plus fort et le plus courageux des
vivants, celui qui serait assez insensé pour s’approcher d’eux.

Amarante avait déjà cassé, d’une main furieuse, la tige du plus proche
rosier!

--De quoi vous mêlez-vous, mademoiselle?

Puis, se tournant vers le prince:

--Je pensais, seigneur, que vous étiez déjà parti.

Il s’inclina et s’éloigna d’un pas rapide. Telle était sa bravoure, tel
était surtout son désir de mériter la récompense promise, qu’il triompha
des mille aigles féroces. Peu de jours s’étant écoulés,--la montagne
était peut-être moins éloignée qu’on ne le croyait,--il reparut, ayant
sur le poing comme un faucon familier le merveilleux oiseau fait de
pierreries vivantes. La princesse, avec un air de dédain, déclara que la
petite bête ailée ne valait pas la réputation qu’on lui avait faite.
Cependant elle consentit à la caresser, deux ou trois fois. Mais la
cruelle oublieuse ne donna pas son ongle rose à baiser au neveu de
l’empereur de Trébizonde, et même elle ne remarqua point que le
vainqueur des aigles avait le front, les joues, le cou, les mains, tout
déchirés et tout sanglants encore! Il se retira, sans se plaindre,
résigné.


III

Et ce ne fut pas le seul péril où elle exposa le prince. Parce qu’elle
eut envie d’une émeraude sans pareille, il dut descendre dans les
entrailles de la terre et triompher d’une multitude de gnomes armés de
torches flambantes. Il revint, tout fumant de brûlures! La princesse
voulut bien accepter la pierre fine, mais, du petit doigt promis, il
n’en fut pas question. Une autre fois elle exigea qu’il allât cueillir
pour elle, dans le domaine d’un enchanteur très redouté, une fleur qui
chantait comme un rossignol, et cette fleur s’épanouissait dans la
clairière d’une immense forêt dont toutes les branches étaient des
lances en arrêt. Il revint, percé de plus de mille coups, tout rose de
blessures, presque mourant! La princesse consentit à écouter la chanson
de la fleur; mais de dire au neveu de l’empereur: «Voici mon ongle
rose», elle n’en eut garde. Et lui, il ne se plaignait pas, heureux
peut-être de souffrir, même sans récompense, toujours triste et doux
pour elle, si cruelle.


IV

Un matin que, dans une galerie, parmi ses demoiselles d’honneur, elle
jouait au baguenaudier--c’était un jeu qui, en ce temps-là, à la cour,
n’était pas moins à la mode que la berlurette,--elle entendit deux
officiers du palais parler entre eux, derrière le rideau d’une porte,
d’une jeune fille plus exquise que toutes les femmes et que toutes les
fées; un géant africain la tenait captive dans un château de bronze.
Elle était si parfaite qu’on l’appelait la «Belle du Monde», simplement,
pour exprimer qu’il n’y avait qu’elle seule de belle sur la terre. Et
les officiers, pensant qu’on ne pouvait pas les ouïr, ajoutaient
qu’Amarante, auprès de cette jeune personne, n’était qu’une espèce de
laideron. Quatre vases de la Chine volèrent en éclats sous les petits
poings furieux de la princesse! Une vivante, plus jolie qu’elle, voilà
ce qu’elle ne pouvait tolérer! L’idée lui vint incontinent de faire
périr dans les plus affreux supplices celle qui avait l’étrange
impudence de l’emporter sur elle en beauté.

Elle manda le neveu de l’empereur de Trébizonde.

--Seigneur, dit-elle, vous irez, s’il vous plaît, me chercher la Belle
du Monde qu’un géant africain retient captive dans un château de bronze,
et, si vous la conquérez, je vous jure que, cette fois, je ne refuserai
pas à vos lèvres l’ongle rose de mon petit doigt.

--Oh! madame, s’écria une demoiselle d’honneur, ne savez-vous pas que,
dans ce château lointain, la Belle du monde est gardée par mille
guerriers aux têtes de lion et de tigre, qui déchirent et dévorent, en
moins de temps qu’il n’en faut à un vautour pour croquer une alouette,
les insensés rôdant dans le voisinage? Une armée innombrable de héros,
brandissant, au lieu de lances, la foudre et l’éclair, ne vaincraient
pas ces monstres qui ne dorment jamais! C’en est fait du prince, s’il ne
refuse pas d’obéir à votre caprice.

Amarante souffleta sur les deux joues la trop pitoyable demoiselle
d’honneur. Puis, se tournant vers le prince:

--Eh! quoi, seigneur, dit-elle, vous n’êtes pas encore revenu?

Il courba la tête et sortit. Mais ce fut seulement après une absence de
plusieurs mois qu’il se montra de nouveau devant la princesse, une fois
qu’elle traversait la cour du palais. Il était dans un état qui eût
attendri les plus atroces cœurs! Ses habits pendaient en lambeaux
déchirés; de profondes morsures sillonnaient toute sa chair; un de ses
bras lui manquait: il l’avait laissé sans doute dans la gueule de l’un
des guerriers à tête de lion ou de tigre. Mais, l’orgueil de la victoire
éclatant dans ses yeux et flottant dans sa chevelure éparse, il était
superbe et magnifique! Et, derrière lui, parmi des esclaves noirs, sur
le dos d’un éléphant, il y avait un palanquin de velours jaune, aux
longues franges d’or.

--Sois le bienvenu, dit la princesse Amarante, si tu amènes la Belle du
Monde!

--Je l’amène, dit-il.

--Dans ce palanquin?

--Oui.

--Hâte-toi donc de l’en faire descendre!

Le prince s’approcha de l’éléphant qui s’était mis à genoux, et le
velours jaune s’étant écarté, ceux qui se trouvaient là virent, toute de
neige et d’or, une si admirable personne, qu’ils en demeurèrent éblouis
comme on l’est quand on regarde la gloire du soleil. La princesse
Amarante poussa un cri de joie et de rage! tant elle était heureuse
d’avoir en sa puissance, pour en faire le jouet de sa haine, celle qui
la bafouait par une aussi incomparable beauté. Et, soit que son horrible
contentement la disposât à quelque mansuétude envers tout ce qui n’était
pas la Belle du Monde, soit qu’elle ne pût enfin s’empêcher d’admirer
l’obéissance et la victorieuse bravoure du prince:

--Seigneur! s’écria-t-elle, ce n’est pas seulement mon petit doigt,
c’est toute ma main, c’est toute ma personne que je vous donnerai en
échange de la Belle que vous avez conquise. Vous serez le roi de mon
royaume et l’époux de mon lit!

Et déjà elle faisait signe aux officiers et aux serviteurs de lui livrer
la prisonnière.

Mais le prince:

--J’ai conquis la Belle du Monde, en effet, dit-il; seulement, madame,
je l’ai conquise pour moi, non pour vous; pour mon amour, non pour votre
haine. Parce que trop souvent votre barbarie, après tant de travaux où
vous exposâtes ma vie, me refusa l’ongle de votre petit doigt, je ne
veux pas de toute votre personne et j’emporte dans mon palais de
Trébizonde celle, plus belle que vous, qui m’est aussi douce que vous me
fûtes cruelle!

Là-dessus, il monta dans le palanquin dont les rideaux se refermèrent et
l’énorme éléphant, prompt comme les légères antilopes,--car c’était, je
pense, quelque éléphant enchanté,--disparut dans la poussière
ensoleillée du chemin, tandis que la princesse Armarante, pour passer sa
rage, mordait à belles dents dans les bras et les épaules de ses
demoiselles d’honneur.




LA BONNE TROUVAILLE


L’employé du bureau des Objets trouvés ne manifesta pas le moindre
étonnement lorsque, ayant levé la planchette de son guichet, il vit en
face de lui, dans le corridor jaune et noir, un jeune homme beau comme
une aurore de printemps, seulement vêtu d’un carquois d’or sur l’épaule
et d’un bandeau de pourpre sur l’œil; et ce jeune homme n’était pas
seul, car il avait à son côté une dame, la mieux faite du monde, qui
aurait paru tout à fait nue si elle n’avait été habillée des lys et des
roses qui lui fleurissaient la peau; mais elle avait une étoile en
diamants dans les cheveux. L’employé, je l’ai dit, ne laissa voir aucune
surprise; ce ne serait pas la peine d’être un vieux Parisien, s’il
fallait s’ébahir à tout propos.

Donc, il regarda les arrivants d’un air qui témoignait de la plus
parfaite indifférence; et, professionnel:

--Vous avez perdu quelque chose? demanda-t-il.

--Oui, répondit le jeune homme vêtu d’un carquois.

--Oui, répondit la jeune dame habillée de sa peau rose et blanche.

--Vos habits, peut-être?

--Je n’en eus jamais!

--N’aurais-je point tort d’en avoir?

L’employé grogna:

--Venons au fait, je n’ai pas de temps à dépenser en dialogues.
Qu’avez-vous perdu?

--Je suis, tel que vous me voyez, l’Amour...

--Au fait!

--Je suis, telle que vous me voyez, la Beauté...

--Au fait!

--Nous avons perdu, dirent-ils, le respect et l’adoration que la race
humaine nous avait voués.

--Hum! hum: ce sont des choses qu’il sera sans doute difficile de
retrouver. Pourtant, voyons, raisonnons. Avez-vous quelque souvenir des
temps où ce malheur vous est advenu, des endroits où vous êtes allés?

                   *       *       *       *       *

Le dieu et la déesse essayèrent en vain de dissimuler leur embarras.

--Beaucoup de jours se sont succédé et je me suis fait voir en plus d’un
lieu, dit-il, depuis que je quittai la terre cythéréenne pour la ville
qui s’élève dans les environs de Bougival et d’Asnières.

--Ce n’est pas hier, dit-elle, que je suis sortie des flots sous la
pudeur de ma chevelure; et il y a bien longtemps que je séjourne dans la
capitale appelée Paris.

--Je me suis anuité dans les boudoirs des illustres mondaines et des
cocottes sans importance.

--Je n’ai pas dédaigné de me montrer dans les bals, dans les fêtes,
derrière la rampe des théâtres et des cafés-concerts.

--J’ai juré mille serments, que je n’ai pas tenus, aux pieds de tant
d’amoureuses.

--Je me suis offerte, je me suis donnée, bien des fois, en des soirs de
caprice et d’orageuse lassitude.

--Je me suis ravalé, pour le plaisir des caresses, jusqu’à l’oubli des
saines jalousies, jusqu’à l’acceptation sacrilège des partages.

--Je me suis vendue pour des colliers de perles et d’améthystes, et pour
des billets de banque avec de l’or en tas.

L’employé s’écria:

--Sacrebleu! vous en avez fait de belles; des personnes aussi
considérables que vous l’êtes auraient dû montrer plus de retenue et ne
pas mener cette vie de Polichinelles. C’est bien votre faute, avouez-le,
si vous avez perdu le respect et l’adoration de la race humaine; et,
entre nous, je crois fort que vous ne les retrouverez pas. Croyez-vous
que les cochers les plus désintéressés rapportent des objets de cette
sorte? Ah! si vous aviez habité en province, dans les petites villes ou
dans les villages où s’éternisent les pures fiançailles, vous auriez
quelque chance de reconquérir ce qui vous manque. Mais, à Paris, après
tant d’aventures... Enfin, il faut voir, prenez la peine de m’attendre
un instant. Je vais faire des recherches.

                   *       *       *       *       *

Ils attendirent longtemps; car cet employé était un homme infiniment
consciencieux. Il fureta sur toutes les planchettes, dans tous les
casiers, dans toutes les armoires; il vit des lorgnettes qui avaient
convoité le dessous feuilleté des jupes des danseuses et la palpitation
des gorges dans le bâillement des corsages; des éventails derrière
lesquels l’hypocrisie des baisers avait promis d’éternelles tendresses;
des miroirs où s’était miré le maquillage des lèvres menteuses; il vit,
dans des portefeuilles, perdus par des clubmen, des chèques qui auraient
payé des sourires, et, dans des porte-monnaie perdus par des filles, des
pièces d’or quémandées entre deux râles d’extase; et il y avait, dans le
pêle-mêle de tant de diverses choses, des vertus, des pudeurs, trouvées
sur des coussins de fiacre, oubliées dans des chambres d’hôtels garnis,
tombées dans le ruisseau de quelque ruelle où les ramassa, avec d’autres
innocences avilies, le crochet de quelque chiffonnier; il y avait aussi
des virginités d’enfant jetées à la concupiscence ignoble des vieux, et
que, le lendemain, avaient balayées vers le tas d’ordures, la servante
des entremetteuses! Mais l’honnête employé ne put mettre la main sur le
respect et sur l’adoration qu’avaient perdus l’Amour et la Beauté; et il
revint vers son guichet, et il dit: «Vous savez, vous pouvez en faire
votre deuil, nous n’avons pas ce qu’il vous faut.»

                   *       *       *       *       *

Alors la Beauté et l’Amour montrèrent la plus extrême désolation. A quoi
cela lui servirait-il, à elle, d’être le charme et l’éblouissement des
yeux; à quoi cela lui servirait-il, à lui, d’être l’unique dispensateur
des seules ivresses, si l’estime et la ferveur des âmes s’écartaient
d’eux désormais? Ils étaient des dieux méprisés par leurs prêtres! On
conviendra que cette situation avait quelque chose de fâcheux.

--Que voulez-vous que j’y fasse? dit l’employé, la plume à l’oreille; il
fallait vous conduire en honnêtes divinités.

Mais une grosse voix, rude et bonne, cria:

--Allons, allons, ne vous désespérez pas, que diable! il y a remède à
tout.

Celui qui venait d’entrer dans le corridor jaune et noir, c’était un
cocher de la Compagnie; il avait, nez trognonnant, bouche énorme, l’air
d’un très doux ivrogne; il rapportait sans doute quelque objet oublié
dans sa voiture.

--Oui, reprit-il, je veux vous tirer d’affaire. Savez-vous ce que j’ai
ramassé tout à l’heure, sur mes coussins? Tenez, regardez,--ça! les
Illusions d’une pauvre petite fille, fraîche comme les fleurs et jolie
comme les oiseaux, montée dans mon fiacre, hier, très joyeuse, avec un
beau garçon qui la tenait par la taille; mais elle pleurait, quand elle
est descendue. Les Illusions, qui font croire à tous les mensonges, qui
font voir des étoiles en plein ciel noir et des roses en plein hiver,
prenez-les, emportez-les, je vous les donne! faites-en cadeau aux
hommes, remplissez-en leurs yeux, leurs cœurs, leurs têtes, et, ma
parole, toute la race des imbéciles mortels vous environnera de respect
et d’adoration, toi, l’Amour, comme si tu ne t’étais jamais sali de
traîtrises ni de débauches, et toi, la Beauté, comme si jamais, ange
ignorante des cabinets particuliers, tu n’avais, la jambe hors du
pantalon, et un peu de chair, au-dessus de la jarretière, flambante au
gaz, fait sauter du bout de la bottine le chapeau d’un provincial
ébloui!




LA BELLE AU BOIS RÊVANT


Ce n’est pas seulement l’histoire que l’on écrit à l’étourdie, c’est la
légende aussi; et il faut bien reconnaître qu’il est arrivé fréquemment
aux conteurs les plus consciencieux, les mieux informés,--Mme d’Aulnoy,
le bon Perrault lui-même,--de ne pas relater les choses exactement de la
façon qu’elles s’étaient passées dans le pays de la féerie. Ainsi,
l’aînée des sœurs de Cendrillon ne portait pas au bal du prince, comme
on l’a cru jusqu’ici, un habit de velours rouge avec une garniture
d’angleterre; elle avait une robe d’écarlate, brodée d’argent et
passementée d’orfroi. Parmi les monarques de tous les pays, priés aux
noces de Peau d’Ane, les uns, en effet, vinrent en chaise à porteurs,
d’autres en cabriolet; les plus éloignés montés sur des éléphants, sur
des tigres, sur des aigles; mais on a omis de nous faire savoir que le
roi de Mataquin fit son entrée dans la cour du palais, assis entre les
ailes d’une tarasque qui jetait par les naseaux des flammes de
pierreries. Et ne croyez pas me prendre sans vert, en me demandant par
qui et de quelle manière je fus éclairé sur ces points importants. J’ai
connu jadis, dans une chaumine, au bord d’un champ, une très vieille
femme, assez vieille pour être fée, et que j’ai toujours soupçonnée d’en
être une; comme je venais parfois lui tenir compagnie quand elle se
chauffait au soleil devant sa maisonnette, elle m’avait pris en amitié,
et, peu de jours avant de mourir,--ou de s’en retourner, son temps
d’épreuve fini, dans le mystérieux pays des Vivianes et des
Mélusines,--elle m’offrit en présent d’adieu un rouet fort ancien et
fort extraordinaire; car, chaque fois qu’on en fait tourner la roue, il
se met à parler ou à chanter d’une petite voix douce, un peu
chevrotante, pareille à celle d’une mère-grand qui s’égaye et bavarde;
ce qu’il dit, c’est beaucoup de jolis contes, les uns que personne ne
sait, les autres qu’il sait mieux que personne; et, dans ce dernier cas,
comme il ne manque point de malice, il prend plaisir à faire remarquer
et à rectifier les erreurs commises par les personnes qui se sont mêlées
d’écrire ces récits. Vous voyez que j’ai de qui apprendre! et vous
seriez bien étonnés si je vous disais toutes les choses qui m’ont été
révélées. Tenez, par exemple, vous vous imaginez connaître dans tous ses
détails l’histoire de la princesse qui, s’étant percé la main d’un
fuseau, s’endormit d’un sommeil si profond que rien ne l’en put
tirer,--pas même l’eau de la reine de Hongrie dont on lui frotta les
tempes,--et qui fut couchée, dans un château, au milieu d’un parc, sur
un lit en broderie d’or et d’argent? J’ai le chagrin de vous dire que
vous ne savez pas du tout ou que vous savez fort mal la fin de cette
aventure; et vous ne manqueriez pas de l’ignorer toujours, si je ne me
faisais un devoir de vous en instruire.

«Oui, oui,--a ronronné le Rouet, la princesse dormait depuis cent ans
lorsqu’un jeune prince, poussé par l’amour et par la gloire, résolut de
pénétrer jusqu’à elle et de l’éveiller. Les grands arbres, les épines et
les ronces s’écartèrent d’eux-mêmes pour le laisser passer. Il marcha
vers le château, qu’il voyait au bout d’une grande avenue, où il entra;
et, ce qui le surprit un peu, personne de ses gens ne l’avait pu suivre,
parce que les arbres s’étaient rapprochés après qu’il avait été passé.
Enfin, quand il eut traversé plusieurs cours pavées de marbre,--des
suisses au nez bourgeonné, à la face vermeille, dormaient à côté de
leurs tasses où ils avaient encore quelques gouttes de vin, ce qui
montrait assez qu’ils s’étaient endormis en buvant,--quand il eut suivi
de longs vestibules, et monté des escaliers où des gardes ronflaient, la
carabine à l’épaule, il se trouva dans une chambre toute dorée et il
vit, sur un lit dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus
beau spectacle qu’il eût jamais vu, une princesse qui paraissait avoir
quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose
de lumineux et de divin.

J’accorde que les choses se passèrent ainsi--c’est toujours le Rouet qui
parle--et l’auteur, jusqu’à ce moment, n’a point menti avec trop
d’effronterie. Mais il n’y a rien de plus faux que le reste du conte; et
je ne saurais admettre que la Belle réveillée ait regardé le prince avec
des regards amoureux, ni qu’elle lui ait dit: «Est-ce vous, monseigneur?
Vous vous êtes bien fait attendre.»

Si tu veux savoir la vérité, écoute.

La princesse étendit les bras, leva la tête un peu, ouvrit ses yeux à
demi, les referma, comme effrayée de la lumière, et soupira longuement,
tandis que Pouffe, la petite chienne, éveillée aussi, jappait avec
colère.

--Qui donc est venu, demanda enfin la filleule des fées, et qu’est-ce
donc que l’on me veut?

Le prince, à genoux, s’écria:

--Celui qui est venu, c’est celui qui vous adore et qui a bravé les plus
grands périls (il se vantait un peu) pour vous tirer de l’enchantement
dont vous étiez captive. Quittez ce lit où vous avez dormi cent ans,
donnez-moi la main, et retournons ensemble dans la clarté et dans la
vie.

Étonnée de ces paroles, elle le considéra et ne put s’empêcher de
sourire: car c’était un jeune prince fort bien fait, qui avait les plus
jolis yeux du monde, et qui parlait avec une voix très mélodieuse.

--C’est donc vrai, dit-elle en écartant ses cheveux, l’heure est venue
où je puis être délivrée de mon si long sommeil?

--Oui, vous le pouvez.

--Ah! dit-elle.

--Que m’arrivera-t-il si je sors de l’ombre, si je reviens parmi les
vivants?

--Ne le devinez-vous point? Avez-vous oublié que vous êtes la fille d’un
roi? Vous verrez accourir à votre rencontre votre peuple ravi, poussant
des cris de plaisir et agitant des bannières de toutes les couleurs; les
femmes, les enfants, baiseront le bas de votre robe; enfin vous serez la
plus puissante et la plus fêtée des reines de la terre.

--Il me plaira d’être reine, dit-elle. Que m’arrivera-t-il ensuite?

--Vous vivrez dans un palais brillant comme l’or, et, en montant les
marches de votre trône, vous marcherez sur des mosaïques de diamants.
Les courtisans groupés autour de vous chanteront vos louanges; les
fronts les plus augustes s’inclineront sous la grâce toute-puissante de
votre sourire.

--Être louangée et obéie, ce sera charmant, dit-elle. N’aurai-je pas
d’autres plaisirs?

--Des caméristes adroites comme les fées vos marraines vous vêtiront de
robes couleur de lune et de soleil, vous poudreront les cheveux, vous
mettront des mouches au bord de l’œil ou au coin de la bouche; vous
aurez un grand manteau de drap d’or, traînant derrière vous.

--A la bonne heure! dit-elle. Je fus toujours un peu coquette.

--Des pages jolis comme des oiseaux vous offriront dans des drageoirs
les épices les plus fines, verseront dans votre coupe les vins sucrés
dont le parfum est si doux.

--Voilà qui est fort bien! dit-elle. Je fus toujours un peu gourmande.
Seront-ce là toutes mes joies?

--Un autre délice, le plus grand de tous, vous attend.

--Eh! lequel?

--Vous serez aimée!

--Par qui?

--Par moi! Si vous ne me jugez pas indigne de prétendre à votre
tendresse...

--Vous êtes un prince de bonne mine, et votre habit vous va fort bien.

--... Si vous daignez ne pas repousser mes vœux, je vous donnerai tout
mon cœur, comme un autre royaume dont vous serez la souveraine, et je ne
cesserai jamais d’être l’esclave reconnaissant de vos plus cruels
caprices.

--Ah! quel bonheur vous me promettez!

--Levez-vous donc, chère âme, et suivez-moi.

--Vous suivre? déjà? Attendez un peu. Il y a sans doute plus d’une chose
tentante parmi tout ce que vous m’offrez, mais savez-vous si, pour
l’obtenir, il ne me faudrait pas quitter mieux?

--Que voulez-vous dire, princesse?

--Je dors depuis un siècle, c’est vrai, mais, depuis un siècle, je rêve.
Je suis reine aussi, dans mes songes, et de quel divin royaume! Mon
palais a des murs de lumière; j’ai pour courtisans des anges qui me
célèbrent en des musiques d’une douceur infinie, je marche sur des
jonchées d’étoiles. Si vous saviez de quelles belles robes je m’habille,
et les fruits sans pareils que l’on met sur ma table, et les vins de
miel où je trempe mes lèvres! Pour ce qui est de l’amour, croyez bien
qu’il ne me fait pas défaut; car je suis adorée par un époux plus beau
que tous les princes du monde et fidèle depuis cent ans. Tout bien
considéré, monseigneur, je crois que je ne gagnerais rien à sortir de
mon enchantement; je vous prie de me laisser dormir.

Là-dessus, elle se tourna vers la ruelle, ramenant ses cheveux sur ses
yeux, et reprit son long somme, tandis que Pouffe, la petite chienne,
cessait de japper, contente, le museau sur les pattes. Le prince
s’éloigna fort penaud. Et, depuis ce temps, grâce à la protection des
bonnes fées, personne n’est venu troubler dans son sommeil la «Belle au
Bois rêvant».




LE VŒU MALADROIT


I

Pieds nus, les cheveux au vent, un vagabond passa sur la route, devant
le palais du roi. Tout jeune, il était très beau avec ses boucles
dorées, avec ses grands yeux noirs et sa bouche aussi fraîche qu’une
rose après la pluie; comme si le soleil eût pris plaisir à le regarder,
il y avait sur ses haillons plus de lumière et de joie que sur les
satins, les velours, les brocarts des gentilshommes et des nobles dames
groupés dans la cour d’honneur.

--Oh! qu’elle est jolie! s’écria-t-il en s’arrêtant tout à coup.

Il avait aperçu la princesse Roselinde qui prenait le frais à sa
fenêtre; et, vraiment, il était impossible de rien voir sur la terre qui
fût aussi joli qu’elle. Immobile, les bras levés vers la croisée comme
vers une ouverture du ciel, par où s’offrirait le paradis, il serait
resté là jusqu’au soir si un garde ne l’eût chassé d’un coup de
pertuisane, avec de dures paroles.

Il s’en alla, baissant la tête. Il lui semblait maintenant que tout
était sombre devant lui, autour de lui, l’horizon, la route, les arbres
en fleur; depuis qu’il ne voyait plus Roselinde, il croyait que le
soleil était mort. Il s’assit sous un chêne, à la lisière du bois, et se
mit à pleurer.

--Eh! mon enfant, pourquoi vous désolez-vous ainsi? demanda une vieille
bûcheronne qui sortait de la forêt, l’échine courbée sous un tas de
branches flétries.

--A quoi me servirait de vous l’apprendre? Vous ne pouvez rien pour moi,
bonne femme.

--En cela vous vous trompez, dit la vieille.

En même temps, elle se dressa, rejetant son fardeau; ce n’était plus une
bûcheronne, mais une fée belle comme le jour, habillée d’une robe
d’argent, les cheveux enguirlandés de fleurs, de pierreries; quant aux
branches sèches, elles avaient pris leur vol en se couvrant de feuilles
vertes, et, retournées à l’arbre d’où elles étaient chues, elles
chantèrent pleines d’oiseaux.

--Oh! madame la fée! dit le vagabond en se mettant à genoux, ayez pitié
de mon infortune. Pour avoir vu la fille du roi, qui prenait le frais à
sa fenêtre, mon cœur ne m’appartient plus; je sens que jamais je
n’aimerai une autre femme qu’elle.

--Bon! dit la fée, ce n’est pas là un grand malheur.

--Peut-il en être un plus grand pour moi? Je mourrai si je ne deviens
pas l’époux de la princesse.

--Qui t’empêche de le devenir? Roselinde n’est pas fiancée.

--Oh! madame, regardez mes haillons, mes pieds nus; je suis un pauvre
enfant qui mendie sur les chemins.

--N’importe! il ne peut manquer d’être aimé, celui qui aime sincèrement;
c’est la loi éternelle et douce. Le roi et la reine te repousseront avec
mépris, les courtisans feront de toi des risées, mais si ta tendresse
est véritable, Roselinde en sera touchée, et, un soir que, d’avoir été
chassé par les valets et mordu par les chiens, tu pleureras dans quelque
grange, elle viendra, rougissante et heureuse, te demander la moitié de
ton lit de paille.

L’enfant secoua la tête; il ne croyait pas qu’un tel miracle fût
possible.

--Prends garde! reprit la fée; l’Amour n’aime pas que l’on doute de sa
puissance, et il se pourrait que tu fusses châtié d’une façon cruelle à
cause de ton peu de foi. Cependant, puisque tu souffres, je veux bien
venir à ton aide. Fais un vœu, je l’exaucerai.

--Je voudrais être le plus puissant prince de la terre, afin d’épouser
la princesse que j’adore.

--Ah! que ne vas-tu, sans te troubler d’un tel souci, chanter une
chanson d’amour sous sa fenêtre! Enfin, puisque je l’ai promis, il sera
fait selon ton désir. Mais je dois t’avertir d’une chose: lorsque tu
auras cessé d’être qui tu es encore, aucun enchanteur, aucune fée, pas
même moi! ne pourra te remettre en ton premier état; une fois prince
devenu, tu le seras pour toujours.

--Croyez-vous qu’il prendra jamais envie au royal mari de la princesse
Roselinde d’aller mendier son pain sur les routes?

--Je souhaite que tu sois heureux, dit la fée avec un soupir.

Puis, d’une baguette d’or, elle lui toucha l’épaule, et, dans une
brusque métamorphose, le vagabond fut un seigneur magnifique,
éblouissant de soie et de joyaux, chevauchant un étalon de Hongrie, à la
tête d’un cortège de courtisans empanachés et de guerriers aux armures
d’or, qui soufflaient dans des trompettes.


II

Un aussi grand prince n’était pas pour être mal reçu à la cour; on lui
fit l’accueil le plus empressé; pendant une semaine, il y eut en son
honneur des carrousels, des bals, toutes les fêtes qu’on peut imaginer.
Mais ce n’était pas de ces plaisirs qu’il était occupé! A toute heure du
jour et de la nuit, il songeait à Roselinde; quand il la voyait, il
sentait son cœur déborder de délice; quand il l’entendait parler, il
croyait ouïr une musique divine, et il faillit se pâmer d’aise, une fois
qu’il lui donna la main pour danser une pavane. Une chose le chagrinait
un peu: celle qu’il aimait tant ne paraissait point prendre garde aux
soins qu’il lui rendait: elle restait le plus souvent silencieuse, avec
un air de mélancolie. Il n’en persista pas moins dans le projet de la
demander en mariage; et, comme on le pense, les royaux parents de
Roselinde se gardèrent bien de refuser un parti aussi considérable.
Ainsi le vagabond de naguère allait posséder la plus belle princesse du
monde! Une si extraordinaire félicité le troublait à tel point qu’il
répondit au consentement du roi par des gestes extravagants peu
compatibles avec la solennité de son rang, et, pour un peu, il eût dansé
la pavane, devant toute la cour, tout seul. Hélas! cette grande joie
n’eut qu’une courte durée. A peine avertie de la volonté paternelle,
Roselinde tomba, à demi morte, dans les bras de ses demoiselles
d’honneur; et quand elle revenait à elle, c’était pour dire, avec des
sanglots, en se tordant les bras, qu’elle ne voulait pas se marier,
qu’elle se tuerait plutôt que d’épouser le prince.


III

Plus désespéré qu’on ne saurait l’exprimer, le malheureux amant se
précipita, en dépit de l’étiquette, dans la chambre où l’on avait
transporté la princesse, et tombé sur les genoux, tendant les bras vers
elle:

--Cruelle, s’écria-t-il, rétractez ces paroles qui m’assassinent!

Elle ouvrit lentement les yeux, répondit avec langueur, avec fermeté
cependant:

--Prince, rien ne triomphera de ma résolution; je ne vous épouserai
jamais.

--Quoi! vous avez la barbarie de déchirer un cœur qui est tout vôtre!
Quel crime ai-je commis pour mériter une punition semblable? Doutez-vous
de mon amour? Craignez-vous que je ne cesse un jour de vous adorer? Ah!
si vous pouviez lire en moi, vous n’auriez plus ni ce doute ni ces
craintes. Ma passion est si ardente qu’elle me rend digne même de votre
incomparable beauté. Et si vous ne vous laissez point émouvoir par mes
plaintes, je ne trouverai que dans le trépas un remède à mes maux!
Rendez-moi l’espoir, princesse, ou bien je m’en vais mourir à vos pieds.

Il ne borna point là son discours: il dit toutes les choses que la plus
violente douleur peut inspirer à un cœur épris; si bien que Roselinde ne
laissa pas d’être attendrie, mais point de la façon qu’il eût voulu.

--Malheureux prince, dit-elle, si ma pitié, à défaut de ma tendresse,
peut vous être une consolation, je vous l’accorde volontiers. Je suis
d’autant plus portée à vous plaindre, que j’endure moi-même le tourment
qui vous navre.

--Que voulez-vous dire, princesse?

--Hélas! si je refuse de vous épouser, c’est parce que j’aime d’un amour
sans espérance un vagabond qui passa un jour, pieds nus, les cheveux au
vent, devant le palais de mon père, et qui m’a regardée, et n’est pas
revenu!




ISOLINE-ISOLIN


I

Il arriva une fois que deux fées se rencontrèrent sur la lisière d’une
forêt auprès d’une grande ville; l’une d’elles, qui se nommait Urgande,
était de fort maussade humeur parce qu’on avait négligé de la convier
aux fêtes données pour le baptême de la fille du roi! mais
l’autre,--elle se nommait Urgèle,--éprouvait toute la satisfaction
possible parce qu’on l’avait priée à ces belles réjouissances; et, chez
les fées, c’est comme chez les hommes: on est bon quand on est content,
méchant quand on est triste.

--Eh! bonjour, ma sœur, dit Urgèle.

--Bonjour, ma sœur, grogna Urgande. Je suppose que vous avez eu beaucoup
de plaisir chez votre ami le roi de Mataquin.

--Plus de plaisir qu’on ne saurait dire! Les salles étaient si bien
illuminées que l’on se serait cru dans notre palais souterrain où les
murs sont de pierreries et les plafonds de cristal ensoleillé; on a
servi les mets les plus délicats dans des assiettes d’or, sur des nappes
de dentelle; on a versé dans des coupes en forme de lys des vins si
parfumés et si doux que je pensais boire du miel dans des fleurs; et,
après le repas, de jeunes garçons et de belles demoiselles, si légers et
si bien vêtus de soies de toutes les couleurs qu’on les prenait pour des
oiseaux de paradis, ont dansé des danses qui étaient les plus jolies du
monde.

--Oui, oui, j’ai entendu d’ici les violons. Et sans doute, pour
reconnaître une aussi agréable hospitalité, vous avez fait à la petite
princesse, votre filleule, des dons fort précieux?

--Cela va de soi, ma sœur! la princesse sera belle comme le jour; quand
elle parlera, ce sera comme un chant de fauvette; quand elle rira, ce
sera comme une rose épanouie; enfin, il n’est pas de perfections dont je
ne lui aie fait présent; et, lorsqu’elle viendra en âge d’être mariée,
elle épousera un prince si beau et si amoureux que jamais on n’en aura
vu d’aussi charmant ni d’aussi épris.

--A merveille! dit Urgande en grinçant des dents. Je veux, moi aussi, me
montrer généreuse envers votre filleule.

--Oh! ma sœur, ne lui faites pas quelque don fatal! Ne prononcez pas
quelque terrible parole, que vous ne pourriez point rétracter! Si vous
aviez vu la petite princesse dans son berceau, si mignonne et si frêle,
semblable à un oiselet sans plume, si elle vous avait souri avec ses
yeux couleur de bleuet et sa bouche couleur d’églantine, vous seriez
tout attendrie et n’auriez pas le cœur de lui vouloir du mal.

--Oui, mais je ne l’ai point vue! Elle sera donc belle comme le jour,
puisqu’aucune fée ne saurait empêcher ce qu’une autre fée a résolu; elle
aura la voix douce comme celle des fauvettes et la lèvre épanouie comme
les roses, elle épousera le plus beau et le plus amoureux des princes;
seulement...

--Seulement? répéta Urgèle pleine d’inquiétude.

--Seulement, dès qu’elle sera mariée, le soir même de ses noces, elle
cessera d’être fille pour devenir garçon!

Vous pensez si la bonne marraine se montra épouvantée de cette
prophétie. Elle pria, elle supplia, mais Urgande ne voulut rien entendre
et s’enfonça dans la terre avec un ricanement qui fit peur à tous les
oiseaux de la forêt. Urgèle continua son chemin, la tête basse, en se
demandant comment elle garantirait sa filleule d’un aussi fâcheux
accident.


II

A seize ans, la princesse Isoline était si belle que, par toute la
terre, il n’était bruit que de sa beauté; ceux qui la voyaient ne
pouvaient se défendre de l’adorer, et ceux qui ne la voyaient point ne
laissaient pas d’en être épris à cause de ce que publiait la renommée.
De sorte que, de tous les pays, des ambassadeurs venaient à la cour de
Mataquin demander la main de la princesse pour les plus riches et les
plus puissants monarques. Hélas! le roi et la reine, avertis de l’avenir
promis à leur enfant, ne savaient que répondre; il eût été imprudent de
marier une demoiselle qui, la nuit de ses noces, devait être si
étrangement métamorphosée. Ils congédiaient les ambassadeurs avec
beaucoup d’égards, sans consentement ni refus, et se désolaient autant
qu’il est possible. Quant à Isoline, à qui l’on avait laissé ignorer son
cruel destin, elle se souciait fort peu d’être épousée ou non; son
innocence ne s’inquiétait pas de cela; pourvu qu’on la laissât jouer
avec sa poupée et avec son petit chien dans les allées du jardin royal,
où les oiseaux lui disaient: «Votre voix est plus douce que la nôtre»,
où les roses lui disaient: «Nous sommes moins roses que vos lèvres»,
elle se montrait satisfaite, ne demandait pas autre chose; elle était
comme une petite fleur qui ne sait pas qu’elle doit être cueillie.

Mais un jour qu’elle était occupée à nouer une tige de liseron au cou de
son bichon qui jappait d’aise, elle entendit un grand bruit sur la route
voisine; elle leva les yeux, elle vit un cortège magnifique en marche
vers le palais, et, à la tête du cortège, sur un cheval blanc secouant
sa crinière, il y avait un jeune seigneur qui avait si bonne façon, avec
une beauté si éclatante, qu’elle en eut la vue éblouie et le cœur tout
troublé. «Ah! qu’il est aimable!» pensa-t-elle; et, songeant pour la
première fois à de telles choses, elle s’avoua que, s’il avait
l’intention de la demander en mariage, elle n’en éprouverait aucun
déplaisir.

Le jeune seigneur, cependant, par-dessus la haie fleurie, avait aperçu
Isoline; il s’arrêta, charmé aussi.

--Veuillent les bonnes fées, s’écria-t-il, que vous soyez la fille du
roi de Mataquin! car je viens pour l’épouser, et il n’y a rien sur la
terre d’aussi charmant que vous.

--Je suis la princesse Isoline, dit-elle.

Ils ne parlèrent plus, se regardant toujours; à partir de ce moment, ils
s’aimèrent d’une tendresse si ardente qu’il n’y a pas de mots pour
l’exprimer.


III

On juge de l’embarras où se trouvèrent le roi et la reine! Ce n’était
pas à des ambassadeurs, cette fois, qu’il fallait répondre, mais à leur
fille elle-même, suppliant, pleurant, jurant qu’elle ferait une maladie
si on ne la mariait avec son amoureux, et qu’elle en mourrait à coup
sûr. D’autre part, le prince Diamant n’était pas de ceux qu’il est
facile d’évincer; il était fils de l’empereur de Golconde, il pouvait
mettre en campagne contre ses ennemis quatre ou cinq armées dont une
seule eût suffi à ravager plusieurs royaumes; il y avait donc tout à
craindre de sa colère, et il ne manquerait pas de s’irriter grandement
si la princesse lui était refusée. L’instruire du sort affreux réservé à
Isoline, ce n’était pas pour sortir de gêne; il n’aurait pas ajouté foi
à un récit aussi peu vraisemblable, aurait cru qu’on voulait se moquer
de lui. Si bien qu’attendris par leur fille et s’effrayant du prince, le
roi et la reine en vinrent à se demander s’ils ne feraient pas aussi
bien de laisser aller les choses comme si aucun désastre n’en devait
résulter; il se pouvait, d’ailleurs, que la fée Urgande, après tant
d’années, eût renoncé à sa vengeance. Enfin, non sans beaucoup
d’hésitations, d’excuses, de retards, ils consentirent à l’hymen des
deux amants, et jamais on n’avait vu, même dans une noce royale, de
mariée plus belle, ni de plus heureux marié.


IV

A vrai dire, le roi et la reine étaient loin de se sentir tranquilles;
après la fête, quand ils se furent retirés dans leur appartement, il
leur fut impossible de dormir. A tout instant ils craignaient d’entendre
des cris, des enfoncements de portes, de voir apparaître le prince fou
de désespoir et d’épouvante. Mais rien ne troubla le calme nocturne; ils
se rassurèrent peu à peu: sans doute ils avaient eu raison de penser que
la mauvaise fée avait rétracté sa prophétie; le lendemain des noces, ils
entrèrent sans trop d’inquiétude dans la salle du trône, où les nouveaux
époux ne tarderaient pas, selon la coutume, à venir s’agenouiller sous
la bénédiction royale et paternelle.

La porte s’ouvrit.

--Ma fille! s’écria le roi plein d’horreur.

--Isoline! gémit la mère.

--Non plus votre fille, mais votre fils, mon père! non plus Isoline,
mais Isolin, ma mère.

Et, en parlant ainsi, le nouveau prince, charmant, fier, l’épée au côté,
retroussait sa moustache avec un air de défi.

--Tout est perdu! disait le roi.

--Hélas! disait la reine.

Mais Isolin, se tournant vers la porte, et la voix adoucie:

--Allons, venez, dit-il, ma chère Diamantine! Pourquoi tremblez-vous
ainsi? Je vous en voudrais de votre rougeur, si elle ne vous faisait
plus belle.

Car, en même temps que la princesse était devenue garçon, le prince
était devenu fille; c’est ainsi que, grâce à la bonne Urgèle, fut déçue
la vengeance de la méchante fée.




LE MIROIR


I

C’était dans un royaume où il n’y avait pas de miroir. Tous les miroirs,
ceux qu’on met sur les murs, ceux qu’on tient à la main, ceux qu’on
porte à la ceinture, avaient été cassés, réduits en miettes sur l’ordre
de la reine; si on avait découvert la plus petite glace dans n’importe
quel logis, elle n’eût pas manqué d’en faire périr les habitants au
milieu des plus affreux supplices. Quant aux motifs de ce caprice
bizarre, je peux bien vous les dire. Laide au point que les pires
monstres auraient paru charmants auprès d’elle, la reine ne voulait pas
être exposée, lorsqu’elle allait par la ville, à rencontrer son image,
et, se sachant horrible, ce lui était une consolation de songer que les
autres du moins ne se voyaient pas jolies. Vous pensez bien que les
jeunes filles et les jeunes femmes de ce pays n’étaient point
satisfaites du tout. A quoi sert d’avoir les plus beaux yeux du monde,
une bouche aussi fraîche que les roses, et de se mettre des fleurs dans
les cheveux, si l’on ne peut considérer ni sa coiffure, ni sa bouche, ni
ses yeux? Pour ce qui était de s’aller mirer dans les ruisseaux et dans
les lacs, il n’y fallait pas compter; on avait caché sous des dalles
bien jointes les rivières et les étangs de la contrée; on tirait l’eau
de puits si profonds qu’il n’était point possible d’en apercevoir la
liquide surface, et non dans des seaux où il y aurait eu place pour le
reflet, mais dans des écuelles presque plates. La désolation allait donc
au delà de ce qu’on peut imaginer, surtout chez les personnes coquettes
qui n’étaient pas plus rares dans ce pays que dans les autres; et la
reine n’avait garde d’y compatir, bien contente au contraire que ses
sujettes trouvassent presque autant de déplaisir à ne point se connaître
qu’elle eût éprouvé elle-même de fureur à se voir.


II

Cependant il y avait, dans un faubourg de la ville, une jeune fille
appelée Jacinthe qui était un peu moins chagrine que les autres, à cause
d’un amoureux qu’elle avait. Quelqu’un qui vous trouve belle et ne se
lasse jamais de vous le dire, peut tenir lieu d’un miroir.

--Quoi? vraiment? demandait-elle, la couleur de mes yeux n’a rien qui
puisse déplaire?

--Ils sont pareils à des bluets où serait tombée une claire goutte
d’ambre.

--Je n’ai point la peau noire?

--Sachez que votre front est plus pur que le mica de la neige; sachez
que vos joues sont comme des roses pâles et cependant rosées!

--Que dois-je penser de mes lèvres?

--Qu’elles sont pareilles à une framboise ouverte.

--Et de mes dents, s’il vous plaît?

--Que les grains de riz, aussi fins qu’elles, ne sont pas aussi blancs.

--Mais pour ce qui est de mes oreilles, n’ai-je pas lieu d’être
inquiète?

--Oui, s’il est inquiétant d’avoir parmi les légers cheveux qui se
mêlent deux menus coquillages compliqués comme des œillets nouvellement
éclos.

C’est ainsi qu’ils parlaient, elle charmée, lui plus ravi encore, car il
ne disait pas un mot qui ne fût la vérité même; ce qu’elle avait le
plaisir d’entendre vanter, il avait le délice de le voir. Tant et si
bien que leur tendresse mutuelle devenait d’heure en heure plus vive. Le
jour où il demanda si elle consentait à le prendre pour mari, elle
rougit, certainement, mais ce ne fut point d’effroi; les gens qui,
voyant son sourire, auraient cru qu’elle se moquait avec la pensée de
dire non, se seraient grandement trompés. Le malheur fut que la nouvelle
du mariage vint jusqu’aux oreilles de la méchante reine, dont c’était la
seule joie de troubler celle des autres; et Jacinthe, plus que toutes,
en était détestée, étant la plus belle de toutes.


III

Comme elle se promenait, peu de temps avant les noces, dans le verger,
une vieille femme s’approcha d’elle, demandant l’aumône, puis, tout à
coup, recula avec un cri, comme quelqu’un qui a failli marcher sur un
crapaud.

--Ah! ciel! qu’ai-je vu!

--Qu’avez-vous, ma bonne femme, et qu’est-ce que vous avez vu? Parlez.

--La plus laide chose de la terre!

--A coup sûr, ce n’est point moi, dit Jacinthe en souriant.

--Hélas! si, pauvre enfant, c’est vous. Il y a bien longtemps que je
suis au monde, mais jamais encore je n’avais rencontré une personne
aussi affreuse que vous l’êtes.

--Je suis laide, moi?

--Cent fois plus qu’on ne saurait l’exprimer.

--Quoi! mes yeux?...

--Ils sont gris comme la poussière, mais ce ne serait rien si vous ne
louchiez pas de la façon la plus désagréable.

--Ma peau...

--On dirait que vous avez frotté de charbon pilé votre front et vos
joues.

--Ma bouche...

--Elle est pâle comme une vieille fleur d’automne.

--Mes dents...

--Si la beauté des dents était d’être larges et jaunes, je n’en
connaîtrais pas de plus belles que les vôtres!

--Ah! du moins, mes oreilles...

--Elles sont si grandes, si rouges et si poilues, sous vos cheveux de
filasse, qu’on ne peut les regarder sans horreur. Je ne suis point
jolie, moi-même, et cependant je pense que je mourrais de honte, si j’en
avais de telles!

Là-dessus la vieille femme--ce devait être quelque méchante fée amie de
la méchante reine,--s’enfuit en jetant un mauvais éclat de rire, tandis
que Jacinthe se laissait choir, tout en pleurs, sur un banc, entre deux
pommiers.


IV

Rien ne fut capable de la divertir de son affliction. «Je suis laide! Je
suis laide!» répétait-elle toujours. C’était en vain que son fiancé
l’assurait du contraire, avec les plus grands serments. «Laissez-moi!
vous mentez, par miséricorde. Je comprends tout à présent. Ce n’est pas
de l’amour que vous ressentez pour moi, c’est de la pitié! La mendiante
n’avait aucun intérêt à me tromper; pourquoi l’eût-elle fait? Il n’est
que trop vrai: je suis vilaine. Je ne conçois pas que vous puissiez
seulement endurer mon aspect.» Pour la détromper, il imagina de faire
venir beaucoup de gens auprès d’elle; chaque homme déclarait que
Jacinthe était faite à souhait pour le plaisir des yeux; même plusieurs
femmes en dirent autant, d’une façon un peu moins affirmative. Tout cela
ne faisait que blanchir; la pauvre enfant s’obstinait dans la conviction
qu’elle était un objet d’épouvante; «vous vous entendez pour m’en faire
accroire!» et, comme l’amoureux la pressait de fixer malgré tout le jour
de leur mariage: «Moi, votre femme! s’écria-t-elle, jamais! Je vous
chéris trop tendrement pour vous faire don d’une chose aussi affreuse
que je suis.» Vous devinez quel fut le désespoir de ce jeune homme si
sincèrement épris. Il se jeta à genoux, il pria, il supplia; elle
répondait toujours la même chose: «Qu’elle était trop laide pour se
marier.» Que faire? le seul moyen de démentir la vieille, de prouver la
vérité à Jacinthe, c’eût été de lui mettre un miroir devant les yeux.
Mais, de miroir, dans tout le royaume, il n’y en avait point; et la
terreur inspirée par la reine était si grande, qu’aucun artisan n’eût
consenti à en faire un. «Eh bien, j’irai à la cour! dit enfin le fiancé.
Si barbare que soit notre maîtresse, elle ne pourra manquer d’être émue
par mes larmes et par la beauté de Jacinthe; elle rétractera, ne fût-ce
que pour quelques heures, l’ordre cruel d’où vient tout le mal.» Ce ne
fut pas sans peine que l’on décida la jeune fille à se laisser conduire
au palais; elle ne voulait pas se montrer, étant si laide; et puis, à
quoi servirait un miroir, sinon à la convaincre davantage encore de son
irrémédiable malheur! Pourtant elle finit par consentir, voyant que son
ami pleurait.


V

--Çà, qu’est-ce? dit la méchante reine. Qui sont ces gens, et que me
veut-on?

--Majesté, vous avez devant vous le plus déplorable amant qui soit sur
toute la terre.

--Voilà une bonne raison pour me venir troubler!

--Ne soyez pas impitoyable.

--Eh! qu’ai-je à faire dans vos chagrins d’amour?

--Si vous permettiez qu’un miroir...

La reine s’était levée, frémissante de colère.

--On a osé parler de miroir, dit-elle en grinçant des dents.

--Ne vous courroucez point, Majesté, de grâce! et daignez m’entendre.
Cette jeune fille, que vous voyez devant vous, si fraîche et si jolie,
est tombée dans la plus étrange erreur; elle s’imagine qu’elle est
laide...

--Eh bien! dit la reine avec un rire féroce, elle a raison! car je ne
vis jamais, j’imagine, de plus épouvantable objet.

Jacinthe, à ce mot, crut qu’elle mourrait de tristesse. Le doute n’était
plus possible, puisque aux yeux de la reine, comme à ceux de la
mendiante, elle était si laide en effet. Lentement elle baissa les
paupières, tomba sur les marches du trône, pâmée, l’air d’une morte.
Mais l’amant, lui, en entendant la cruelle parole, ne se montra point
résigné; il cria violemment que Sa Majesté était folle, à moins qu’elle
n’eût quelque raison pour mentir de la sorte. Il n’eut pas le temps
d’ajouter un mot! des gardes l’avaient empoigné, le maintenaient
solidement; et, sur un signe de la reine, quelqu’un s’avança, qui était
le bourreau; il était toujours à côté du trône, parce qu’on pouvait, à
chaque instant, avoir besoin de lui.

--Fais ton devoir, dit la reine en désignant celui qui l’avait insultée.

Le bourreau leva tranquillement un large glaive, tandis que Jacinthe, ne
sachant où elle était, tâtonnant l’air de ses mains, ouvrait un œil
languissamment... et alors deux cris retentirent, bien différents l’un
de l’autre; un cri de joie car, dans le bel acier nu, Jacinthe s’était
vue, si délicieusement jolie! et un cri d’angoisse, un râle, parce que
la laide et méchante reine rendait l’âme, de honte et de colère de
s’être vue aussi dans l’imprévu miroir.




LA PRINCESSE OISELLE


I

Quoiqu’elle fût de très petite taille et qu’on l’eût volontiers prise
pour la sœur aînée de sa poupée, la fille du roi de l’Ile d’Or était la
plus jolie princesse de la terre; quand il la vit en âge d’aimer et
d’être aimée, son père lui demanda si elle se sentait de la répugnance
pour le mariage.

--Oh! non pas, dit-elle.

--Je vais donc inviter à des carrousels et à des bals tous les jeunes
princes des environs afin que vous puissiez faire un choix digne de vous
et de moi-même.

--Gardez-vous bien, mon père, de recevoir tant de princes à la cour!
Cela vous occasionnerait beaucoup de dépense, inutilement. Il y a
longtemps que j’ai un ami par amour, et je n’aurai plus rien à désirer
si vous me donnez pour mari le rossignol qui ramage tous les soirs dans
le rosier grimpant de ma fenêtre.

Le roi, comme on pense, eut beaucoup de peine à garder le sérieux qui
convient aux têtes couronnées. Sa fille voulait épouser un oiseau! Il
aurait un gendre emplumé! Et c’était dans un arbre sans doute, ou dans
une cage, que l’on ferait la noce? Ces moqueries affligèrent cruellement
la princesse, qui se retira le cœur gros; et, le soir, accoudée à sa
fenêtre, tandis que le rossignol préludait parmi l’épine en fleur:

--Ah! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se
réjouir, car mon père ne veut pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit:

--Ne vous mettez pas en peine, ma princesse; tout ira bien, puisque nous
nous aimons.

Et il la consola en lui chantant les belles chansons qu’il savait.


II

Sur ces entrefaites, il arriva que trois géants (c’étaient des magiciens
très fameux), vinrent mettre le siège devant la capitale du royaume de
l’Ile d’Or. Pour être redoutables, ils n’avaient pas besoin d’être
suivis d’une armée, tant ils étaient robustes et cruels. Ils
s’avancèrent seuls jusqu’à la muraille, et firent savoir, en parlant
d’une voix de tempête, que si, avant trois jours, on ne leur livrait pas
la ville, ils la démoliraient pierre à pierre après avoir massacré tous
ses habitants; et ce qu’ils disaient, ils n’auraient pas manqué de le
faire. L’épouvante fut si grande que toutes les mères couraient à
travers les rues, serrant contre elles leurs enfants en pleurs, comme
des sarigues qui emportent leurs petits; parmi les courtisans, il y en
avait beaucoup qui se demandaient s’ils ne feraient pas sagement de
s’aller soumettre aux trois magiciens; car il est plus glorieux que
prudent de rester fidèle au moins fort.

Pour se tirer de péril, le roi s’avisa d’un moyen: il envoya des
courriers à tous les princes des environs, avec mission d’annoncer qu’il
donnerait sa fille en mariage à celui qui le délivrerait des géants.
Mais les princes, jugeant la lutte inégale, se gardèrent bien d’entrer
en campagne, si séduisante que fût la récompense promise; de sorte que,
un peu avant le soir du troisième jour, tout le monde s’attendait à
périr dans les décombres de la ville, lorsque quelques personnes,
guettant du haut de la muraille, virent les trois géants sortir avec des
gestes de douleur et d’effroi de la tente où ils faisaient la sieste, et
s’enfuir, en hurlant, comme des fous.

La joie générale fut d’autant plus grande que plus grand avait été le
désespoir; cependant, on se perdait en conjectures sur la cause d’une
délivrance si imprévue.

--Mon père, dit la petite princesse, c’est à l’oiseau que j’aime qu’il
faut rendre grâce de cet heureux événement. Il est entré, en voletant,
sous la tente de vos ennemis, et, de son bec, pendant qu’ils dormaient,
il leur a crevé les yeux. Je pense que vous tiendrez votre promesse et
que vous me permettrez d’avoir pour mari le rossignol du rosier
grimpant.

Mais le roi,--soit qu’il jugeât peu véritable le récit de la princesse,
soit que, malgré le service rendu, il lui répugnât, décidément, d’être
le beau-père d’un oiseau,--pria sa fille de ne pas lui rompre davantage
la tête; même il lui tourna le dos, de fort méchante humeur.

Le soir, tandis que le rossignol préludait dans les fleurs et les
feuilles:

--Ah! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se
réjouir; car mon père, bien que vous l’ayez délivré des géants, ne veut
pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit:

--Ne vous mettez pas en peine, ma princesse; tout ira bien, puisque nous
nous aimons.

Et il la consola en lui chantant de nouvelles chansons qu’il avait
composées.


III

A quelque temps de là, le trésorier du palais disparut sans que personne
pût savoir où il s’était enfui, et l’on trouva vide le grand coffre de
cèdre et d’or qui contenait naguère tant de rubis, de diamants et de
perles. Le roi, assez avare de son naturel, se montra fort chagrin
d’avoir été dépouillé de la sorte; encore qu’il eût beaucoup d’autres
trésors, il ne cessait de se plaindre comme un mendiant à qui on aurait
dérobé tous les sous amassés en dix ans de «la charité, s’il vous
plaît,» et de «Dieu vous le rende!» Il fit crier par des hérauts, dans
les royaumes des environs, qu’il donnerait sa fille en mariage à celui
qui, prince ou non, découvrirait le voleur et rapporterait les
pierreries. Cela ne servit de rien; beaucoup de jours se passèrent, on
n’eut point de nouvelles du trésorier ni du trésor. Mais, un matin,
comme le roi soulevait avec mélancolie le couvercle du coffre, il poussa
un cri de joie! toutes les perles étaient là, et tous les rubis, et tous
les diamants! Vous eussiez dit, tant il s’y allumait de clartés, que la
chambre était pleine d’étoiles.

On imagine aisément la satisfaction du roi; cependant, il aurait bien
voulu connaître la personne qui avait rapporté les pierreries.

--Mon père, dit la princesse, c’est à l’oiseau que j’aime qu’il faut
rendre grâce de cet heureux événement. Il avait guetté et suivi le
voleur, il savait où le trésor était enfoui. Pendant bien des nuits,
pendant bien des jours, avec beaucoup de peine,--portant un rubis dans
sa patte gauche, une perle dans sa patte droite, un diamant dans son
bec,--il a voyagé de la cachette au coffre; je lui tenais la fenêtre
ouverte pendant votre sommeil ou lorsque vous étiez à la chasse. Je
pense que vous tiendrez votre promesse et que vous me permettrez d’avoir
pour mari le rossignol du rosier grimpant.

Mais le roi n’était pas moins obstiné qu’avare. Comme les gens qui sont
dans leur tort, il prit le parti de se fâcher, et déclara à sa fille
qu’il l’enfermerait dans une tour si elle lui reparlait jamais de
mariage avec un tel mari.

Le soir, tandis que le rossignol préludait sous les branches pâles de
lune:

--Ah! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se
réjouir; car, mon père, bien que vous lui ayez rendu son trésor, ne veut
pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit:

--Ne vous mettez pas en peine, ma princesse; tout ira bien, puisque nous
nous aimons.

Et il la consola en lui chantant de nouvelles chansons qu’il avait
composées pour elle et étaient les plus douces qu’elle eût jamais ouïes.


IV

Il ne la consola pas si bien qu’elle ne fût prise de langueur, à cause
de son amour déçu, et ne vînt à mourir. Pour la porter au sépulcre
royal, on la mit sur une jonchée d’œillets blancs et de roses blanches,
où elle était plus blanche que les fleurs; suivi d’une foule en larmes,
le roi marchait à côté de la civière parfumée, en poussant des cris
déchirants, qui eussent ému un cœur de marbre. Comme on était arrivé au
cimetière, et qu’on se disposait à mettre dans la tombe la jolie
trépassée, un rossignol ramagea, perché sur une branche de bouleau.

--Roi! que donnerais-tu à celui qui te rendrait vivante la princesse que
tu pleures?

--A qui me la rendrait, s’écria le roi, je la donnerais elle-même, je le
jure, et avec elle la moitié de mon royaume!

--Conserve tout ton royaume! Ta fille me suffit. Mais donne-toi bien
garde de manquer à ton serment.

Après ces mots, le rossignol descendit de l’arbre, se posa sur le menton
de la morte, et l’on vit que, du bout du bec, il lui mettait un brin
d’herbe entre les lèvres. C’était un brin de l’herbe qui fait revivre.

La princesse ressuscita tout de suite.

--Ah! mon père, dit-elle, je pense que vous tiendrez votre promesse
enfin, et que vous me permettrez d’avoir pour mari le rossignol du
rosier grimpant.

Hélas! le roi ne craignit pas de se parjurer encore; dès qu’il eut entre
ses bras sa fille bien vivante, il ordonna à ses courtisans de chasser
l’impertinent oiseau.

Alors il se passa une chose qui sembla fort étonnante à beaucoup de
personnes.

La petite fille du roi parut plus petite encore et, diminuant toujours
comme un flocon de neige au soleil, elle finit par être une frêle
créature ailée moins grosse qu’un poing d’enfantelet. La plus jolie des
princesses était devenue la plus jolie des oiselles! et tandis que son
père, se repentant trop tard de son ingratitude, tendait des bras
désespérés, elle s’envola avec le rossignol vers les grands bois voisins
où elle apprit bien vite comment on fait les nids.




LE CHEMIN DU PARADIS


Comme elle avait refusé d’épouser le neveu de l’empereur de Germanie, on
avait mis la princesse, par ordre de son père, dans la plus haute
chambre d’une très haute tour, d’une tour si haute que les nuages
planent plus bas, et que les martinets eux-mêmes ne viennent point y
faire leurs nids, sentant leurs ailes lasses avant que d’y atteindre;
ceux qui voyaient de loin la robe blanche de la captive frémir sur la
plate-forme à mi-chemin du ciel, croyaient plutôt d’un ange tombé du
paradis que d’une jeune fille montée de la terre. Et, tout le jour,
toute la nuit aussi, Guillelmine ne cessait de se lamenter; non pas
seulement parce qu’on l’avait éloignée de ses compagnes avec qui c’était
son plaisir de jouer aux tables ou d’aller, le tiercelet au gant,
chasser la perdrix ou le héron, mais parce qu’elle était séparée d’un
joli page de guerre, appelé Aymeri, boucles blondes et les joues si
roses, à qui elle avait donné son cœur, pour ne jamais le reprendre.

De son côté, Aymeri n’avait pas l’âme moins désolée, et, une fois,
accoudé à la fenêtre de la geôle où on l’avait enfermé, baissant la tête
vers le précipice pierreux qui entourait la prison, il prononça
tristement ces paroles:

--Que me sert-il de vivre, puisqu’on m’a dérobé celle qui était l’unique
bonheur de ma vie? Lorsqu’il m’était permis d’être auprès d’elle, je me
plaisais à espérer de longs jours pleins de nobles combats et
d’aventures victorieuses; j’enviais toutes les gloires, que je lui
aurais offertes comme un berger qui revient de la plaine donne à son
amie un bouquet de fleurs des champs; je voulais être illustre pour
qu’elle m’en récompensât d’un sourire. Mais, à présent qu’on me l’a
prise, je n’ai plus souci des triomphes ni de mon nom fameux par toute
la terre; à quoi bon cueillir des fleurs que ne baisera pas une bouche
adorée? et je ne prends plus d’intérêt à aucune chose dans ce monde.
Vous pouvez vous clore, tristes yeux qui ne verrez plus Guillelmine!

Avant achevé de parler, il monta sur l’appui de la fenêtre, et se laissa
tomber vers le précipice de pierres.

Mais, depuis un instant, trois hirondelles s’étaient posées non loin de
là sur la branche d’un acacia en fleur; battant des ailes et trissant
dans le remuement du feuillage, elles n’avaient pas perdu un mot du
discours d’Aymeri, malgré leur air de n’y pas prendre garde.

--N’est-ce point grand dommage...

--Qu’il y ait tant de chagrin...

--Dans un si jeune cœur?

--Et qu’il y ait tant de larmes...

--Tant de larmes amères...

--Dans de si jolis yeux?

Que ces oiseaux parlassent, cela n’avait rien de surprenant; car ce
n’étaient pas des hirondelles en effet, mais des anges qui en avaient
pris la forme, rapetissant leurs ailes; il arrive fréquemment que les
esprits célestes se muent de la sorte pour écouter d’entre les branches
ou par la cheminée ce qu’on dit ici-bas; mais ils ne font point cela
dans une mauvaise intention, ils seraient bien contents de n’entendre et
de n’avoir à répéter que d’honnêtes paroles; quelquefois même, pour
épargner des châtiments à nos âmes, ils osent mentir à Dieu, qui ne leur
en veut pas.

--Ne pensez-vous pas comme moi...

--Qu’il serait juste de sauver Aymeri...

--D’une mort si terrible?

--Et que, sans déplaire au Seigneur...

--Nous pourrions emporter cet enfant...

--Dans notre paradis?

Là-dessus, elles volèrent toutes trois vers le désespéré au moment même
où il tombait de la fenêtre, et, avant qu’il se fût heurté aux pierres
du précipice, elles l’enlevèrent vers le ciel, sur leurs ailes étendues
qui étaient maintenant des ailes d’anges.

Aymeri fut bien étonné de ne pas être mort, et il se montra ravi quand
il sut où on le conduisait; il se confondit en remerciements, ce qui ne
déplut pas à ses sauveurs; il est toujours agréable, lorsqu’on oblige
quelqu’un, de ne pas rencontrer de l’ingratitude. Au-dessus des maisons
et des palais, plus haut que les platanes des jardins et que les sapins
des collines, les envolés traversaient l’azur, la lumière, les nuées;
ils allaient si vite, que le vent, malgré son envie de les suivre, fut
obligé d’y renoncer et s’arrêta derrière eux en soufflant.

Mais, bientôt, quand la ville eut disparu, là-bas, dans le brouillard,
Aymeri fut pris d’une inquiétude.

--Beaux anges, demanda-t-il, vous ne vous trompez pas de route au moins?

A ces mots, ils ne purent s’empêcher de rire.

--Crois-tu donc, enfant...

--Que nous ne connaissons pas...

--Le chemin du paradis?

Aymeri, un peu honteux, répondit:

--Pardonnez-moi, beaux anges. Je vous ai fait une question qui n’a pas
le sens commun. Je vous promets que cela ne m’arrivera plus.

Les ailes blanches battaient l’air, toujours; des plaines, des forêts,
des monts, disparaissaient dans les profondeurs grises; Aymeri aperçut
enfin, au-dessus des nuages, le sommet d’une tour.

--Ah! dit-il dans un cri de joie, nous sommes arrivés!

Les anges furent un peu surpris de ces paroles.

--Pas encore! le paradis...

--N’est pas si proche que tu penses...

--Des sombres demeures des hommes.

--Lorsque nous aurons passé...

--A droite du soleil, là-haut...

--A travers des flammes couleur de neige...

--Nous serons encore bien loin...

--Du seuil resplendissant que gardent...

--Les chérubins aux armures d’or!

Aymeri cria en se cramponnant aux plumes des messagers divins:

--Nous sommes arrivés, vous dis-je! Il est sur cette tour, le paradis,
sur cette tour où Guillelmine lève vers moi les manches de sa robe, plus
belle que vos ailes!

Les anges s’étonnaient de plus en plus.

--Quoi! fol enfant, tu ne veux pas...

--Nous suivre jusqu’au séjour...

--Des éternelles délices?

--Tu ne veux pas, pareil aux élus...

--Qui sans fin s’extasient...

--Dans les clartés et les musiques...

--Voir la splendeur incomparable...

--Des miraculeux jardins...

--Où les fleurs, qui sont des étoiles...

--Enivrent de lumineux parfums...

--Et d’odorantes lueurs...

--Ces célestes abeilles, les âmes?

--Tu ne veux pas, parmi les Vierges...

--Lys plus beaux que les lys...

--Dont l’hymen fait des roses...

--Te choisir une fiancée...

--Qui jonchera d’impérissables rêves...

--Ton angélique lit nuptial?

Mais Aymeri, en se débattant:

--Non! non! je n’irai pas plus loin!

Alors les anges s’écartèrent, justement irrités de voir qu’il faisait si
peu de cas des joies paradisiaques, et, à travers l’air, il tomba
lourdement sur les dalles, au sommet de la tour.

Les membres brisés, le crâne rompu, Aymeri gisait, le pauvre; le sang
lui sortait de la bouche, des yeux, du front; il sentait bien qu’il
allait mourir, et, dans tout son corps, il éprouvait des souffrances
telles qu’il n’aurait jamais cru qu’on pût souffrir à ce point. Mais
Guillelmine, échevelée, lui mettait les bras au cou, caressant les
blessures, baisant les lèvres sanglantes... «Je le savais bien, dit-il,
que je connaissais mieux qu’eux le chemin du Paradis!»




LES BAISERS D’OR


I

Elle chantait des chansons que les oiseaux lui avaient apprises, mais
elle les chantait bien mieux que les oiseaux; il jouait du tambour de
basque comme un danseur du pays de Bohême, mais jamais tzigane ne
promena l’ongle aussi légèrement sur la peau très tendue où des lames de
cuivre cliquettent; et ils s’en allaient par les chemins, avec leur
musique. Qui étaient-ils? Cette question les eût fort embarrassés. Ce
dont ils se souvenaient, c’était que jamais ils n’avaient dormi dans un
lit ni mangé à une table; les personnes qui logent dans des maisons ou
dînent devant des nappes n’étaient pas de leur famille; même ils
n’avaient pas de famille du tout. Petits, si petits qu’ils parlaient à
peine, ils s’étaient rencontrés sur une route, elle sortant d’un
buisson, lui sortant d’un fossé,--quelles méchantes mères les avaient
abandonnés?--et tout de suite ils s’étaient pris par la main, en riant.
Il pleuvait un peu ce jour-là; mais, au loin, sous une éclaircie, la
côte était dorée; ils avaient marché vers le soleil; depuis, ils
n’eurent jamais d’autre itinéraire que de s’en aller du côté où il
faisait beau. Certainement, ils seraient morts de soif et de faim, si
des ruisseaux ne coulaient dans les cressonnières et si les bonnes
femmes des villages ne leur avaient jeté de temps en temps quelque
croûte de pain trop dure pour les poules. C’était une chose triste de
les voir si chétifs et si pâles, ces enfants vagabonds. Mais un
matin,--grandelets déjà,--ils furent très étonnés, en s’éveillant dans
l’herbe au pied d’un arbre, de voir qu’ils avaient dormi la bouche sur
la bouche; ils trouvèrent que c’était bon d’avoir les lèvres unies; ils
continuèrent, les yeux ouverts, le baiser de leur sommeil. Dès lors, ils
n’eurent plus souci de leur détresse; cela leur était égal d’être
malheureux puisqu’ils étaient heureux; il n’y a pas de misère aussi
cruelle que l’amour est doux. A peine vêtus de quelques haillons, par où
les brûlait le soleil et les mouillait la pluie, ils n’enviaient point
les gens qui portent, l’été, de fraîches étoffes, l’hiver, des manteaux
fourrés; les loques, même trouées, n’ont rien de déplaisant, quand, sous
ces loques, on plaît à qui l’on aime; et plus d’une grande dame
troquerait sa plus belle robe pour la peau d’une jolie pauvresse. Allant
tout le jour de bourgade en bourgade, ils s’arrêtaient sur les places,
devant les maisons riches dont les fenêtres s’ouvraient parfois, devant
les auberges où s’attablent les paysans en belle humeur; elle chantait
ses chansons, il faisait ronfler et sonner son tambour de basque; si on
leur donnait quelques sous,--comme il arrivait plus d’une fois, car on
les trouvait agréables à voir et à entendre,--ils étaient bien contents;
mais ils ne se chagrinaient guère si on ne leur donnait rien. Ils en
étaient quittes pour se coucher à jeun. Ce n’est pas une grande affaire
d’avoir l’estomac vide quand on a le cœur plein; les meurt-de-faim ne
sont pas à plaindre, à qui l’amour offre, la nuit, sous les étoiles, le
divin régal des baisers.


II

Une fois, cependant, ils se sentirent affreusement tristes. C’était par
un froid temps de bise, et, n’ayant reçu depuis trois jours aucune
aumône, chancelants, chacun ne retrouvant un peu de force que pour
soutenir l’autre, ils s’étaient réfugiés dans une grange ouverte à tous
les souffles. Ils avaient beau s’enlacer, se serrer aussi ardemment que
possible, ils grelottaient à faire pitié; même en se baisant, leurs
bouches se souvenaient qu’elles n’avaient pas mangé. Ah! les pauvres. Et
avec le désespoir d’aujourd’hui ils avaient l’inquiétude de demain. Que
feraient-ils, que deviendraient-ils, si des gens charitables ne les
secouraient point? Hélas! si jeunes, leur faudrait-il mourir, abandonnés
de tous, sur un tas de pierres de la route, moins dur que le cœur des
hommes?

--Quoi! dit-elle, ce qu’ont tous les autres, ne l’aurons-nous jamais?
Est-ce trop de demander un peu de feu pour se réchauffer, un peu de pain
pour le repas du soir? Il est cruel de penser que tant de gens dorment à
l’aise dans de bonnes maisons chaudes, et que nous sommes ici,
tremblants de froidure, comme des oiselets sans plume et sans nid.

Il ne répondit pas; il pleurait.

Mais tout à coup ils purent croire que, morts déjà, ils étaient dans le
paradis, tant il y eut autour d’eux de magnifique lumière, tant leur
apparut rayonnante et pareille aux anges la dame qui s’avançait vers eux
dans une robe de brocart vermeil, une baguette d’or à la main.

--Pauvres petits, dit-elle, votre infortune me touche et je veux vous
venir en aide. Après avoir été plus pauvres que les plus misérables,
vous serez plus opulents que les plus riches; vous aurez bientôt tant de
trésors que vous ne pourrez trouver dans tout le pays assez de coffres
pour les enfermer.

Entendant cela, ils croyaient rêver.

--Eh! madame, comment une telle chose pourrait-elle arriver?

--Sachez que je suis une fée à qui rien n’est impossible. Désormais,
chaque fois que l’un de vous ouvrira sa bouche, il en sortira une pièce
d’or, et une autre, et une autre, et d’autres encore; il ne tiendra donc
qu’à vous d’avoir plus de richesses qu’on n’en saurait imaginer.

Là-dessus la fée disparut; et comme, à cause de ce prodige, ils
restaient muets d’étonnement, la bouche grande ouverte, il leur tombait
des lèvres des ducats, des sequins, des florins, des doublons, et tant
de belles monnaies qu’on eût dit qu’il pleuvait de l’or!


III

A quelque temps de là, il n’était bruit dans le monde que d’un duc et
d’une duchesse qui habitaient un palais grand comme une ville,
éblouissant comme un ciel d’étoiles: car les murs, bâtis des marbres les
plus rares, étaient incrustés d’améthystes et de chrysoprases. La
splendeur du dehors n’était rien au prix de ce qu’on voyait dedans. L’on
ne finirait point si l’on voulait dire tous les meubles précieux, toutes
les statues d’or qui décoraient les salles, tous les lustres de
pierreries qui scintillaient sous les plafonds. Les yeux s’aveuglaient à
regarder tant de merveilles. Et les maîtres du palais y donnaient des
festins que l’on s’accordait à juger incomparables. Des tables assez
longues pour qu’un peuple entier y pût prendre place étaient chargées
des mets les plus délicats, des vins les plus fameux; c’était dans des
plats d’or que les écuyers tranchants découpaient les faisans de
Tartarie et dans des coupes faites d’une seule pierre fine que les
échansons versaient le vin des Canaries. Si quelque pauvre
diable,--n’ayant pas mangé depuis hier,--était entré tout à coup dans la
salle à manger, il serait devenu fou d’étonnement et de joie! Vous
pensez bien que les convives ne manquaient pas d’admirer et de louer de
toutes les façons les hôtes qui les traitaient si royalement. Ce qui ne
contribuait pas peu à mettre les gens en bonne humeur, c’était que le
duc et la duchesse, dès qu’ils ouvraient leurs bouches pour manger ou
pour parler, en laissaient tomber des pièces d’or que des serviteurs
recueillaient dans des corbeilles et distribuaient à toutes les
personnes présentes, après le dessert.

La renommée de tant de richesse et de largesse se répandit si loin
qu’elle parvint jusqu’au pays des Fées; l’une d’elles,--celle qui était
apparue en robe de brocart dans la grange ouverte à tous les
vents,--forma le projet de rendre visite à ses protégés afin de voir de
près le bonheur qu’elle leur avait donné et de recevoir leurs
remerciements.

Mais quand elle entra, vers le soir, dans la chambre somptueuse où le
duc et la duchesse venaient de se retirer, elle fut étrangement
surprise; car, loin de témoigner de la joie et de la remercier, ils se
jetèrent à ses pieds, les yeux pleins de larmes, en sanglotant de
douleur.

--Est-il possible, dit la fée, et qu’est-ce que je vois! N’êtes-vous
point satisfaits de votre sort?

--Hélas! madame, nous sommes tellement malheureux que nous allons mourir
de chagrin si vous ne prenez pitié de nous.

--Quoi! Vous ne vous trouvez pas assez riches?

--Nous ne le sommes que trop!

--Serait-ce qu’il vous déplaît de ne voir tomber de vos lèvres que des
pièces d’or toujours, et, par goût du changement, vous plairait-il que
j’en fisse sortir des diamants ou des saphirs gros comme des œufs de
tourterelles?

--Ah! gardez-vous-en bien!

--Dites-moi donc ce qui vous afflige, car, pour moi, je ne le saurais
deviner.

--Grande fée, il est très agréable de se chauffer lorsqu’on a froid, de
dormir dans un lit de plume, de manger à sa faim, mais il est une chose
meilleure encore que toutes celles-là. C’est de se baiser sur les lèvres
quand on s’aime! Or, depuis que vous nous avez faits riches, nous ne
connaissons plus ce bonheur, hélas! car chaque fois que nous ouvrons nos
bouches pour les unir, il en sort de détestables sequins ou d’horribles
ducats, et c’est de l’or que nous baisons.

--Ah! dit la fée, je n’avais point pensé à cet inconvénient. Mais il n’y
a pas de remède à cela, et vous ferez bien d’en prendre votre parti.

--Jamais! Laissez-vous attendrir. Ne pourriez-vous rétracter l’affreux
présent que vous nous avez accordé?

--Oui bien. Mais sachez que vous perdriez non seulement le don de
répandre de l’or, mais avec lui toutes les richesses acquises.

--Eh! que nous importe!

--Soit donc fait, dit la fée, selon votre volonté.

Et, touchés de la baguette, il se retrouvèrent, par un froid temps de
bise, dans une grange ouverte à tous les vents; ce qu’ils furent
naguère, ils l’étaient de nouveau: affamés, demi-nus, tremblants de
froidure comme des oiselets sans plumes et sans nid. Mais ils se
gardaient bien de se plaindre, et se jugeaient trop heureux, ayant les
lèvres sur les lèvres.




LES ACCORDAILLES


I

Quand la princesse Othilde vint au monde, on se récria d’admiration et
d’étonnement: d’admiration, parce qu’elle était bien la plus jolie
mignonne qu’on puisse imaginer; d’étonnement, parce qu’elle était à
peine aussi grande qu’un poing fermé d’enfant. Couchée dans un berceau
pas plus large que la main ni plus long que le doigt, vous auriez dit
d’un oiseau des Iles, encore sans plumes, dans son nid. Le roi et la
reine ne pouvaient se lasser d’admirer ses jambes, ses pieds roses, qui
auraient tenu dans un bas de poupée, son ventre de souris blanche, son
visage qu’un pétale de marguerite eût suffi à cacher. A vrai dire, ils
s’inquiétaient de la voir si extraordinairement petite, et leur royale
grandeur ne pouvait supporter l’idée d’avoir donné le jour à une naine;
mais ils espéraient que leur fille grandirait, sans rien perdre de sa
gentillesse. Ils furent bien trompés dans leur attente. En demeurant
gracieuse autant qu’il est possible, elle grandit si peu qu’à cinq ans
elle n’était pas plus haute qu’un brin d’herbe, et qu’en jouant dans les
allées elle était obligée de se dresser sur la pointe des pieds pour
cueillir les violettes. On fit mander des médecins fameux, on promit de
leur donner les plus riches récompenses s’ils parvenaient à hausser de
quelques pouces seulement la taille de la princesse; ils se concertèrent
avec gravité, les mains croisées sur le ventre, clignant de l’œil sous
le verre de leurs bésicles, inventèrent des drogues qu’Othilde fut
obligée de boire, des onguents infaillibles dont on la frotta soir et
matin. Tout cela ne fit que blanchir; elle ne cessait pas d’être une
adorable naine; lorsqu’elle se divertissait en compagnie de son bichon
favori, elle lui passait entre les pattes sans avoir besoin de baisser
la tête. Le roi et la reine eurent recours aux Fées, avec lesquelles ils
avaient toujours eu d’excellents rapports; elles ne manquèrent pas de
venir, celles-ci, dans des litières de drap d’or, aux franges de
pierreries, que portaient des Africains nus, celles-là dans des chars de
cristal, attelés de quatre unicornes; il y en eut qui trouvèrent plus
commode d’entrer par la fenêtre ou par la cheminée, sous forme d’oiseaux
de paradis ou de martinets aux ailes bleues; mais, dès qu’elles
frôlaient le parquet de la salle, elles devenaient de belles dames
habillées de satin. L’une après l’autre, elles touchèrent Othilde de
leurs baguettes, la prirent dans la main,--elle n’était pas plus lourde
qu’une grosse alouette,--la baisèrent, lui soufflèrent sur les cheveux,
firent des signes au-dessus de son front en murmurant de
toutes-puissantes paroles. Les charmes des Fées n’eurent pas plus
d’effet que la médecine des savants hommes; à seize ans, la princesse
était encore si petite qu’il lui arriva un matin d’être prise tout
entière dans un piège à rossignols qu’on avait mis dans le parc. Les
courtisans, qui ont intérêt à tenir les souverains en joie parce que la
bonne humeur, d’ordinaire, se montre généreuse, faisaient de leur mieux
pour consoler le roi et la reine; ils proclamaient que rien n’est plus
ridicule qu’une grande taille, que les statures élevées ne sont, à bien
considérer les choses, que des difformités; pour ce qui était d’eux, ils
auraient bien voulu n’avoir qu’un demi-pied de haut,--mais c’est aux
races royales que la nature réserve de telles faveurs!--et quand ils
voyaient passer quelque énorme manant, ils se tordaient de rire en se
prenant les côtes. Les dames d’honneur,--afin que la princesse parût
moins petite à côté d’elles moins grandes--renoncèrent d’un commun
accord à porter des talons hauts, qui étaient une mode de ce temps-là,
et les chambellans prirent l’habitude de ne jamais s’approcher du trône
qu’en marchant sur les genoux. Mais ces ingénieuses flatteries ne
réussissaient pas toujours à dérider le roi ni la reine; bien des fois
ils eurent envie de pleurer en baisant leur fillette, du bout des
lèvres, de peur de l’avaler; et ils retenaient leurs larmes, pour ne pas
la mouiller toute. Quant à Othilde, elle ne paraissait point chagrinée
de son malheur; elle avait même l’air de prendre grand plaisir à mirer
sa jolie petite personne dans un miroir à main, fait d’un seul diamant
un peu gros.


II

Cependant,--comme tous les désespoirs s’usent enfin par
l’accoutumance,--le roi et la reine devenaient moins tristes de jour en
jour; sans doute ils auraient pris le parti de ne se plus désoler, s’il
ne leur était arrivé une chose bien faite pour renouveler leur douleur.
Sur le rapport qu’on lui faisait de la beauté de la princesse,--car la
renommée, qui flatte volontiers les personnes royales, avait divulgué en
tous lieux la grâce d’Othilde et non sa petitesse,--le jeune empereur de
Sirinagor se rendit amoureux d’elle, et il envoya des ambassadeurs la
demander en mariage. Vous pensez l’embarras que causa une telle
proposition! Marier cette mignonne poupée, grande comme une perruche, il
n’y fallait pas songer. Quel homme s’accommoderait d’une épouse qui se
perdrait certainement à toute minute dans le lit nuptial! «Où donc
êtes-vous, ma bien-aimée?--Là, tout près de vous, mon ami, dans un pli
de l’oreiller.» Et la demande de l’empereur de Sirinagor était d’autant
plus effrayante, qu’on le disait lui-même d’une taille colossale; il
était plus beau que tous les princes, mais plus grand que tous les
géants. Le jour de sa naissance, il avait été impossible de trouver un
berceau assez vaste pour cet énorme prince; on avait dû le coucher sur
de longs tapis dans la salle du trône. A trois ans, il lui fallait se
baisser un peu pour dénicher les oiseaux à la cime des chênes! Ses
parents, comme ceux d’Othilde, avaient consulté les médecins et les
Fées, tout aussi vainement; il avait grandi de plus en plus, d’une façon
démesurée; lorsque ses peuples, en célébration de quelque victoire, lui
érigeaient des arcs de triomphe, il était obligé de descendre de cheval,
pour passer dessous; et si hauts qu’ils fussent, il ne manquait pas de
heurter aux frontons la tarasque d’argent éployée sur son casque!
Naturellement, le roi et la reine déclarèrent aux ambassadeurs que
l’union projetée était la chose du monde la plus impossible. Mais le
jeune empereur, fort colère de son tempérament, ne se tint pas pour
satisfait d’une telle réponse; il ne voulut entendre à rien; l’aveu de
la petite taille d’Othilde lui parut une allégation absurde, imaginée
dans l’intention de le bafouer; et il s’écria en coiffant son casque,
dont les ailes d’argent frémirent, qu’il allait tout mettre à feu et à
sang pour venger cette injure.


III

Il fit comme il avait dit. Il y eut de terribles batailles, des villes à
sac et des populations entières passées au fil de l’épée; tant qu’enfin
le roi et la reine virent bien que c’en serait fait d’eux et de tout le
royaume s’ils n’entraient en accommodement avec le gigantesque
conquérant qui marchait vers la capitale en enjambant les bourgs et les
forêts en flammes. Ils se hâtèrent donc de lui demander la paix,
s’engageant à ne plus lui refuser la main de leur fille. Ils étaient, du
reste, assez tranquilles sur les suites de ce consentement; l’empereur,
à la vue d’Othilde, ne manquerait pas de renoncer à son dessein, et s’en
retournerait dans son pays avec ses armées en vain victorieuses.

Jour fut pris pour la première entrevue des deux fiancés; mais elle eut
lieu dans le parc, non dans le palais, parce que le vainqueur n’aurait
pas pu se tenir debout sous les plafonds des salles.

--Çà, dit-il, je ne vois pas la princesse. Ne viendra-t-elle bientôt?

--Regardez à vos pieds, dit le roi.

Elle était là, en effet, dépassant à peine les plates-bandes de l’allée;
si menue et si jolie dans sa robe d’or, le front tout reluisant de
pierreries, elle paraissait encore plus petite à côté du jeune et
magnifique empereur, dont se dressait sous le ciel l’armure ensoleillée.

--Hélas! dit-il.

Car il se désolait de la voir, là-bas, si charmante, mais si petite.

--Hélas! dit-elle à son tour.

Car elle était bien marrie de le voir, là-haut, si beau, mais si grand!

Et ils eurent des larmes, elle dans ses yeux levés, lui dans ses yeux
baissés.

--Sire, dit le roi,--pendant qu’ils se considéraient encore de
loin!--Sire, vous le voyez, vous ne sauriez épouser ma fille. Forcés de
renoncer à l’honneur de votre alliance...

Mais il n’acheva point sa phrase, et, muet de stupeur, il regardait la
princesse et l’empereur, elle grandissant, lui rapetissant, à cause de
l’amour, plus puissant que les fées, qui les attirait l’un vers l’autre!
Bientôt ils furent presque de même taille; leurs lèvres se touchaient
comme les deux roses d’une même branche.




LE MAUVAIS CONVIVE


Il régnait une grande inquiétude à la cour et dans tout le royaume parce
que le fils du roi, depuis quatre jours, n’avait pris aucune nourriture.
S’il avait eu la fièvre ou quelque autre maladie, on n’eût pas été
surpris de ce jeûne prolongé; mais les médecins s’accordaient à dire que
le prince, n’eût été la grande faiblesse que lui causait son abstinence,
se serait porté aussi bien que possible. Pourquoi donc se privait-il
ainsi? Il n’était pas question d’autre chose parmi les courtisans, et
même parmi les gens du commun; au lieu de se souhaiter le bonjour, on
s’abordait en disant: «A-t-il mangé, ce matin?» Et personne n’était
aussi anxieux que le roi lui-même. Ce n’était pas qu’il eût une grande
affection pour son fils; ce jeune homme lui donnait toutes sortes de
mécontentements; bien qu’il eût seize ans déjà, il montrait la plus
grande aversion pour la politique et pour le métier des armes; lorsqu’il
assistait au conseil des ministres, il bâillait pendant les plus beaux
discours d’une façon très malséante, et une fois, chargé d’aller, à la
tête d’une petite armée, châtier un gros de rebelles, il était revenu
avant le soir, son épée enguirlandée de volubilis et ses soldats les
mains pleines de violettes et d’églantines; donnant pour raison qu’il
avait trouvé sur son chemin une forêt printanière, tout à fait jolie à
voir, et qu’il est beaucoup plus amusant de cueillir des fleurs que de
tuer des hommes. Il aimait à se promener seul sous les arbres du parc
royal, se plaisait à écouter le chant des rossignols quand la lune se
lève; les rares personnes qu’il laissait entrer dans ses appartements
racontaient qu’on y voyait des livres épars sur les tapis, des
instruments de musique, guzlas, psalterions, mandores; et, la nuit,
accoudé au balcon, il passait de longues heures à considérer, les yeux
mouillés de larmes, les petites étoiles lointaines du ciel. Si vous
ajoutez à cela qu’il était pâle et frêle comme une jeune fille, et,
qu’au lieu de revêtir les chevaleresques armures, il s’habillait
volontiers de claires étoffes de soie où se mire le jour, vous vous
expliquerez que le roi fût fort penaud d’avoir un tel fils. Mais, comme
le jeune prince était le seul héritier de la couronne, son salut était
utile au bien de l’État. Aussi ne manqua-t-on point de faire, pour le
résoudre à ne pas se laisser mourir de faim, tout ce qu’il fut possible
d’imaginer. On le pria, on le supplia; il hochait la tête sans répondre.
On fit apprêter par des cuisiniers sans pareils les poissons les plus
appétissants, les plus savoureuses viandes, les primeurs les plus
délicates; saumons, truites, brochets, cuissots de chevreuil, pattes
d’ours, hures de marcassins nouveau-nés, lièvres, faisans, coqs de
bruyère, cailles, bécasses, râles de rivières, chargeaient sa table à
toute heure servie, et il montait, de vingt assiettes, une bonne odeur
de fraîche verduresse; le jugeant las des venaisons banales et des
légumes accoutumés, on lui accommoda des filets de bisons, des râbles de
chiens chinois, hachés dans des nids de salanganes, des brochettes
d’oiseaux-mouches, des griblettes de ouistitis, des brezolles de
guenuches, gourmandées de pimprenelles des Andes, des rejetons d’hacubs
cuits dans de la graisse d’antilope, des marolins de Chandernagor et des
sacramarons du Brésil dans une pimentade aux curcas. Mais le jeune
prince faisait signe qu’il n’avait pas faim, et, après un geste d’ennui,
il retombait dans une rêverie.

Les choses en étaient là, et le roi se désolait de plus en plus lorsque
l’enfant, exténué, se soutenant à peine et plus blanc que les lys, lui
parla en ces termes:

--Mon père, si vous ne voulez pas que je meure, donnez-moi congé de
quitter votre royaume, et d’aller où bon me semblera, sans être éclairé
de pas un.

--Eh! faible comme tu es, tu t’évanouirais avant le troisième pas, mon
fils.

--C’est pour reprendre des forces que je veux m’éloigner. Avez-vous lu
ce qu’on raconte de Thibaut-le-Rimeur, le trouvère qui fut le prisonnier
des fées?

--Ce n’est pas ma coutume de lire, dit le roi.

--Sachez donc que, chez les fées, Thibaut mena une vie très heureuse, et
qu’il était surtout content à l’heure des repas parce que de petits
pages, qui étaient des gnomes, lui servaient pour potage une goutte de
rosée sur une feuille d’acacia, pour rôti une aile de papillon dorée à
un rayon de soleil, et, pour dessert, ce qui reste à un pétale de rose
du baiser d’une abeille.

--Un maigre dîner! dit le roi, qui ne put s’empêcher de rire malgré les
soucis qu’il avait.

--C’est pourtant le seul qui me fasse envie. Je ne saurais me nourrir,
comme les autres hommes, de la chair des bêtes tuées, ni des légumes nés
du limon. Octroyez-moi de m’en aller chez les fées, et, si elles me
convient à leurs repas, je mangerai à ma faim et reviendrai plein de
santé.

Qu’eussiez-vous fait, à la place du roi? Puisque le jeune prince était
sur le point de mourir, c’était une façon de sagesse que de consentir à
sa folie; son père le laissa donc partir, n’espérant plus le revoir.

Comme le royaume était près de la forêt de Brocéliande, l’enfant n’eut
pas beaucoup de chemin à faire pour se rendre chez les fées; elles
l’accueillirent fort bien, non point parce qu’il était le fils d’un
puissant monarque, mais parce qu’il se plaisait à écouter le chant des
rossignols quand la lune se lève et à regarder, accoudé au balcon, les
lointaines étoiles. On donna une fête en son honneur dans une vaste
salle aux murs de marbre rose, qu’éclairaient des lustres en diamant;
les plus belles des fées, pour le plaisir de ses yeux, dansaient en
rond, se tenant par la main, laissant traîner des écharpes. Il éprouvait
une joie si grande, malgré de cruels tiraillements d’estomac, qu’il eût
voulu que les danses durassent toujours. Cependant il devenait de plus
en plus faible, et il comprit qu’il ne tarderait pas à mourir s’il ne
prenait point quelque nourriture. Il avoua à l’une des fées l’état où il
se trouvait, osa même lui demander à quelle heure on souperait. «Eh!
quand il vous plaira!» dit-elle. Elle donna un ordre, et voici qu’un
page, qui était un gnome, apporta au prince, pour potage, une goutte de
rosée sur une feuille d’acacia. Ah! l’excellent potage! Le convié des
fées déclara qu’on ne saurait rien imaginer de meilleur. On lui offrit
ensuite pour rôti une aile de papillon dorée à un rayon de soleil,--une
épine d’aubépine avait servi de broche,--et il la mangea d’une seule
bouchée, avec délice. Mais ce qui le charma surtout, ce fut le dessert,
la trace d’un baiser d’abeille sur un pétale de rose. «Eh bien, dit la
fée, avez-vous bien soupé, mon enfant?» Il fit signe que oui, extasié,
mais, en même temps, il pencha la tête et mourut d’inanition. C’est
qu’il était un de ces pauvres êtres,--tels sont les poètes
ici-bas,--trop purs et pas assez, trop divins pour partager les festins
des hommes, trop humains pour souper chez les fées.




LA TIRE-LIRE


I

Jocelyne était mendiante sur un chemin où ne passait personne; de sorte
qu’il ne tombait jamais aucune monnaie dans la frêle main lasse d’être
tendue; quelquefois, d’une branche secouée par le vent, une fleur
s’effeuillait vers la pauvresse, et l’hirondelle qui vole vite lui
faisait, dans un flouflou d’ailes, l’aumône d’un joli cri; mais ce sont
là de chimériques offrandes que l’on ne saurait donner en payement aux
personnes avares qui vendent les choses que l’on mange ou les choses
dont on s’habille, et Jocelyne était fort à plaindre; d’autant plus que,
née elle ne savait quand, d’elle ne savait qui, n’ayant d’autre souvenir
que celui de s’être éveillée, un matin qu’il faisait du soleil, sous un
buisson de la route, elle ne rentrait pas, le soir, dans une de ces
bonnes chaumines, pleines d’une odeur de soupe, où les autres fillettes,
après avoir tendu le front au père et à la mère, s’endorment dans de la
paille tiède, sur le coffre à pain, en face du feu de sarment, qui
s’endort aussi. Elle se résignait à grimper, dès que montait la nuit,
dans un orme ou dans un chêne, et sommeillait, couchée le long d’une
grosse branche, non loin des écureuils qui, la connaissant bien et ne
s’effrayant plus d’elle, lui sautaient sur le bras, sur l’épaule, sur la
tête, jouaient de leurs petites pattes dans ses cheveux ébouriffés,
couleur d’or et si clairs qu’il était difficile de s’assoupir dans
l’arbre, comme dans une chambre où il y a de la lumière. Lorsque les
nuits étaient fraîches, elle se serait volontiers fourrée dans quelque
nid de loriot ou de merle, si elle n’avait été trop grande. Son
habillement était fait d’un vieux sac de toile, trouvé, un jour de
chance, dans le fossé du chemin; elle le rapiéçait de feuilles vertes,
chaque printemps; comme elle était jolie et fraîche, avec des joues
fleurissantes, vous auriez pris cet habit pour la feuillaison d’une
rose. Pour ce qui était de sa nourriture, elle n’en connaissait guère
d’autre que les avelines du bois et les sorbes de la venelle; son grand
régal était de manger des sauterelles grillées à point sur un petit
brasier d’herbes sèches. Vous voyez bien que Jocelyne était la créature
la plus misérable que l’on puisse imaginer, et si son sort était déjà
bien cruel durant la belle saison qui met de la chaleur dans l’air et
des fruits aux arbustes, pensez ce qu’il devait être quand la bise
saccageait les noisetiers stériles et lui gelait la peau à travers ses
loques de feuilles mortes.

Une fois, comme elle s’en revenait de sa cueillette d’avelines, elle vit
une fée, toute habillée de mousseline d’or, sortir d’entre les verdures
d’un épinier; la fée parla d’une voix plus douce que les plus douces
musiques:

--Jocelyne, parce que tu as le cœur aimable autant que ton visage est
charmant, je veux te faire un don. Tu vois cette tire-lire, toute
petite, qui a la forme et la couleur d’un œillet éclos? Elle
t’appartient. Ne manque pas d’y mettre tout ce que tu as de plus
précieux; le jour où tu la casseras, elle te rendra au centuple ce
qu’elle aura reçu.

Là-dessus, la fée s’évanouit comme une flamme éteinte d’un coup de vent,
et Jocelyne, qui avait eu quelque espérance à l’aspect de la belle dame,
se sentit plus triste que jamais. Ce ne devait pas être une bonne fée,
non! Était-il rien de plus cruel que de donner une tire-lire à une
pauvre fille qui n’avait ni sou ni maille? Qu’y pouvait-elle mettre, ne
possédant rien? Les seules économies qu’elle eût faites, c’était ses
souvenirs de jours sans pain, de nuits sans sommeil dans la bise et la
neige. Elle fut tentée de briser contre les pierres ce présent qui se
moquait d’elle; elle n’osa point, le trouvant joli; et, pleine de
mélancolie, elle pleurait; les larmes tombaient une à une dans la
tire-lire pas plus grande qu’une fleur, pareille à un œillet épanoui.


II

Une autre fois, il lui arriva un bonheur qui la rendit plus malheureuse
encore. Sur le chemin où ne passait personne, le fils du Roi, au retour
de la chasse, vint à passer, l’épervier au poing. Monté sur un cheval
qui secouait sa crinière de neige, vêtu de satin bleu ramagé d’argent,
la face fière et à ce point lumineuse de soleil que l’on ne s’étonnait
pas d’y voir éclore la fleur rouge des lèvres, le prince était si beau
que la mendiante crut voir un archange en habit de seigneur. Les yeux
écarquillés, la bouche ouverte, elle tendait les bras vers lui, et elle
sentait quelque chose, qui devait être son cœur, sortir d’elle, et le
suivre! Hélas, il s’éloigna, sans même l’avoir vue. Seule comme
devant,--plus seule, d’avoir un instant cessé de l’être,--elle se laissa
tomber sur le revers du fossé, fermant les yeux, sans doute pour que
rien n’y remplaçât l’adorable vision. Quand elle les rouvrit, mouillés
de pleurs, elle aperçut à côté d’elle la tire-lire qui ressemblait un
peu à des lèvres entr’ouvertes. Elle la saisit et, avec l’acharnement
désespéré de son vain amour,--mettant dans son souffle son âme,--elle la
baisa d’un long baiser! Mais le présent de la fée, sous l’ardente
caresse, ne s’émut pas plus qu’une pierre touchée d’une rose. Et, à
partir de ce jour, Jocelyne connut de telles douleurs que rien de ce
qu’elle avait enduré jusqu’alors ne pouvait leur être comparé; elle se
rappelait, comme de belles heures, le temps où elle n’avait souffert que
de la faim et du froid; s’endormir quasi à jeun, frissonner sous les
rafales, ce n’est rien ou c’est peu de chose; maintenant elle n’ignorait
plus les véritables angoisses.

Elle songeait que d’autres femmes, à la cour, illustres et
parées,--«moins jolies que toi», lui disait le miroir de la
source,--pouvaient voir presque à toute heure le beau prince au lumineux
visage; qu’il s’approchait d’elles, qu’il leur parlait, qu’il leur
souriait; avant peu de temps sans doute, quelque glorieuse jeune fille,
venue de Trébizonde dans une litière portée par un éléphant blanc à la
trompe dorée, épouserait le fils du Roi. Elle, cependant, la mendiante
du chemin sans passants, elle continuerait de vivre,--puisque c’est
vivre que de mourir un peu tous les jours,--dans cette solitude, dans
cette misère, loin de lui qu’elle aimait si tendrement; elle ne le
reverrait jamais, jamais! La nuit des royales noces, elle coucherait
dans son arbre, sur une branche, non loin des écureuils; et, tandis que
les époux s’embrasseraient par amour, elle mordrait de rage la dure
écorce du chêne. De rage? non. Si douloureuse, elle n’avait pas de
colère; son plus grand chagrin était de penser que le fils du Roi,
peut-être, ne serait pas aimé par la princesse de Trébizonde autant
qu’il l’était par elle, pauvre fille.


III

Enfin, un jour qu’il neigeait, elle résolut de ne plus souffrir. Elle
n’avait plus la force de supporter tant de tourments: elle se jetterait
dans le lac, au milieu de la forêt; elle sentirait à peine le froid de
l’eau, étant accoutumée au froid de l’air. Grelottante, elle se mit en
route, marcha aussi vite qu’elle pouvait. C’était par un matin gris,
sous la pesanteur des flocons. Parmi la tristesse du sol blanc, des
arbres dépouillés, des buissons qui se hérissent, des lointains mornes,
rien ne luisait que ses cheveux d’or; on eût dit d’un peu de soleil
resté là. Elle marchait toujours plus vite. Quand elle fut arrivée au
bord du lac, elle avait sur ses haillons, à cause de la neige, une robe
de mariée.

--Adieu! dit-elle.

Adieu? Oui, à lui seul.

Et elle allait se laisser tomber dans l’eau lorsque la fée, en robe de
mousseline d’or, sortit d’entre les branches d’un épinier.

--Jocelyne, dit-elle, pourquoi veux-tu mourir?

--Ne savez-vous point, méchante fée, combien je suis malheureuse? La
plus affreuse mort me sera plus douce que la vie.

La fée eut un bon petit rire.

--Avant de te noyer, reprit-elle, tu devrais au moins casser ta
tire-lire.

--A quoi cela me servirait-il, puisque, étant si pauvre, je n’ai rien
mis dedans?

--Eh! casse-la tout de même, dit la fée.

Jocelyne n’osa pas désobéir; ayant tiré de dessous ses haillons
l’inutile présent, elle le brisa contre une pierre.

Alors, tandis que la forêt d’hiver devenait un magnifique palais de
porphyre aux plafonds d’azur, étoilés d’or, le beau fils de Roi, sorti
de la tire-lire envolée en miettes, prit la mendiante entre ses bras, la
baisa dans les cheveux, sur le front, sur les lèvres, cent fois! En même
temps, il lui demandait si elle voulait bien l’accepter pour mari. Et
Jocelyne pleurait de joie, pleurait encore. La bonne tire-lire lui
rendait au centuple, comme elle lui avait rendu le baiser, les larmes de
tristesse en larmes de bonheur.




LA BONNE RÉCOMPENSE


Rien ne pouvait distraire de son chagrin la princesse Modeste, et vous
auriez eu pitié d’elle si vous aviez pu la voir. Non point qu’elle fût
devenue laide à force de pleurer,--jolie comme elle était, on ne saurait
cesser de l’être,--mais elle pâlissait chaque jour davantage; et c’était
une rose rose, changée en rose blanche. Vainement ses demoiselles
d’honneur faisaient leur possible pour la tirer de souci; elle ne
daignait sourire ni de leurs chansons ni de leurs danses; si on lui
offrait, à l’heure du goûter, des confitures de perles, dont elle était
naguère très friande, elle détournait la tête avec un soupir; il lui
arrivait de repousser du pied son sapajou favori, qui en était pour ses
frais de jolies singeries; attristée de la joie des autres, elle avait
fait ouvrir la porte de leur cage à ses perruches familières, dont le
jacassement l’importunait. Même elle ne prenait plus aucun plaisir à se
mirer, tandis que ses femmes lui mettaient dans les cheveux des fleurs
de pierreries. Enfin, il serait impossible d’imaginer une désolation
pareille à celle de la princesse Modeste, et des cœurs de roche s’en
fussent attendris. Je vous laisse à penser quelle devait être
l’inquiétude du roi, qui aimait tendrement sa fille. Il n’avait goût à
rien, ne s’intéressait plus aux affaires de l’État, bâillait aux
flatteries de ses courtisans; c’en était au point qu’il assista un jour,
sans la moindre satisfaction, à la pendaison de deux ministres, bien que
les spectacles de cette espèce eussent toujours eu le privilège de le
mettre en belle humeur. Ce qui le navrait surtout, c’était que la
princesse s’obstinait à ne point révéler le pourquoi de son chagrin; il
perdait l’espoir de guérir une douleur dont il ne connaissait point la
cause. «Voyons, ma fille, disait-il, serait-ce qu’il vous manque quelque
chose?--Hi! hi! répondit la princesse en pleurs.--Avez-vous envie d’une
robe couleur d’étoiles ou d’aurore?--Hi! hi!--Voulez-vous que je fasse
mander des joueurs de guitare ou des chanteurs de ballades renommés pour
chasser la mélancolie?--Hi! hi!--Vous est-il venu dans la pensée qu’il
vous serait agréable d’être mariée à quelque beau fils de roi, aperçu
dans un carrousel?--Hi! hi!» On ne pouvait obtenir d’autre réponse. Une
fois cependant, à force d’être suppliée, la princesse finit par avouer
que si elle se chagrinait de la sorte, c’était à cause d’un objet perdu.
«Eh! ma fille, que ne le disiez-vous plus tôt! Ce que vous avez perdu,
on le retrouvera. Quelle est, s’il vous plaît, cette précieuse chose?»
Mais, à cette question, Modeste poussa un cri d’effroi, et se cacha la
tête dans les mains, comme une personne qui a honte. «Jamais,
balbutia-t-elle, jamais je ne nommerai l’objet que je regrette. Sachez
seulement que c’était un présent des fées, en mousseline, qu’il était le
plus beau du monde avec ses broderies et ses dentelles d’or légères et
lumineuses comme une nuée du matin, qu’on me l’a dû dérober un jour
d’été que je me baignais avec mes demoiselles, dans la rivière sous les
saules, et que je mourrai sûrement si on ne le retrouve pas!» Là-dessus,
toute rougissante, elle s’enfuit dans son appartement; et le bon père
eut le cœur serré d’entendre des plaintes à travers la porte, et de
petits sanglots, par secousses.

Bien que les renseignements donnés par Modeste n’eussent rien de précis,
et que sa description de la chose égarée ou volée ne fût pas de nature à
éviter les confusions, le roi résolut de mettre en œuvre le seul moyen
dont il disposât pour consoler le désespoir de sa fille. Des courriers
parcoururent toute la ville, furent envoyés dans les moindres bourgades,
dans les plus lointaines campagnes, avec mission d’annoncer que la
princesse, en folâtrant près de la rivière, sous les saules, avait perdu
un très précieux objet, le plus beau du monde, en mousseline, orné de
fines broderies et de dentelles d’or légères et lumineuses comme une
nuée du matin; et, pour ce qui était de la récompense à celui qui le
rapporterait, le roi faisait savoir qu’il ne reculerait devant aucun
sacrifice, qu’il s’engageait par un grand serment à ne rien refuser de
ce qui lui serait demandé. Il est inutile de dire que cette proclamation
mit en émoi tout le pays. Les gens qui avaient fait, très loin de la
rivière, n’importe quelle trouvaille, sans dentelle ni broderie, ne
laissèrent pas de rêver de beaux rêves; et ceux qui n’avaient rien
trouvé se mirent en devoir de chercher. Il y avait une grande foule, du
matin au soir, sous les saules, le long de l’eau; hommes, femmes,
enfants, courbés vers les herbes, écartant les branches, haletaient
d’espérance, s’imaginaient à chaque instant qu’ils allaient mettre la
main sur leur fortune; et, pendant toute une semaine, on apporta au
palais mille vaines bagatelles, pièces de monnaie, bribes de rubans,
gants déchirés, qui n’avaient aucun rapport avec la description faite
par les courriers. Chaque fois qu’on lui présentait un nouvel objet, la
princesse détournait la tête, faisant signe que non, et se replongeait
plus profondément dans ses mélancolies.

Or, il arriva une fois qu’un jeune pêcheur, fort bien fait de sa
personne, et très agréable à voir malgré ses haillons de bure, entra
dans la cour du palais, et dit, avec un air d’assurance, qu’il voulait
parler au roi. La première pensée des hallebardiers qui étaient là fut
de jeter ce misérable à la porte; on ne s’entretient pas avec des
personnes couronnées quand on n’a sur la tête qu’un méchant bonnet de
laine rouge déteint sous la pluie et le vent. Mais dès que le pêcheur
eut affirmé d’une voix haute qu’il avait dans une poche de sa veste de
quoi ramener le sourire sur les lèvres de la princesse, les gardes
prirent un air beaucoup moins rébarbatif, et le jeune homme fut
introduit dans la salle du trône.

En le voyant, le roi haussa l’épaule.

--Évidemment, dit-il, celui-ci ne sera pas plus heureux que les autres;
ma fille, cette fois encore, n’aura point le contentement qu’elle
espère.

--Sire, dit le pêcheur, Votre Majesté se trompe; la princesse Modeste,
grâce à moi, va sortir de peine.

--Est-il possible?

--Cela est certain.

En même temps, le jeune pêcheur, à qui ne manquait pour être beau comme
un fils d’empereur que d’être habillé de velours ou de brocart, tira de
dessous sa veste quelque chose de léger, de long, qui était enveloppé
d’un papier rose.

--Sous ce papier, reprit-il, se trouve l’objet perdu par la princesse,
et je pense qu’elle en tombera d’accord, si Votre Majesté veut bien le
lui faire remettre.

--J’y consens.

Sur un signe de Sa Majesté, un chambellan, ayant pris le paquet rose,
l’alla porter à la princesse.

A vrai dire, la tranquillité du pêcheur, le ton ferme dont il parlait,
avaient inspiré quelque confiance au père de Modeste. Il se pouvait que
le jeune homme eût trouvé le présent des fées! Mais non. Vaine
espérance. Chimère. Modeste serait triste aujourd’hui, comme les autres
jours.

Un éclair de rire sonna, vif, clair, joyeux, pareil à un bris de
verroteries, et la princesse, rose de plaisir, courant avec un air de
danser, se précipita dans la salle, sauta au cou de son père. «Ah! quel
bonheur! je l’ai! je l’ai! comme je suis contente! Ah! mon bon père!
Aussi, voyez, je ris comme une folle, moi qui ne cessais de pleurer!»
Une chose qu’il serait difficile d’exprimer, c’est la satisfaction du
roi en entendant ces paroles. En dépit de l’étiquette, il se mit à rire
lui-même, et, comme les courtisans ne manquèrent pas de l’imiter, comme
les valets des antichambres et les hallebardiers de la porte, entendant
qu’on riait, crurent bon de rire aussi, ce fut dans tout le palais un si
joyeux tumulte d’hilarité que le sapajou de la princesse, debout sur la
queue de la robe, n’y put tenir, et se prit les côtes, en pouffant!

Cependant le roi se tourna vers celui à qui l’on devait l’heureux
événement:

--J’ai engagé ma parole royale, et ne me dédirai pas! Quoi que tu
désires, parle sans crainte: Je te l’accorderai.

Le jeune pêcheur s’agenouilla.

--Sire, je pourrais vous demander des richesses, des charges, des
titres; à cause de votre serment, vous ne manqueriez pas de me faire
riche, puissant, glorieux. Mais je n’ai point de telles visées. Puisque
j’ai rapporté à la princesse l’objet disparu pendant qu’elle se baignait
avec ses demoiselles sous les saules de la rivière, je demande seulement
qu’on m’en donne--la doublure!

--La doublure! s’écria le roi plein d’étonnement. C’est donc une robe ou
un manteau que ma fille pleurait?

--Peut-être, sire! Quoi qu’il en soit, j’en demande...

--La doublure! J’entends bien. Et je te promets que tu l’auras. Car,
enfin, ta réserve est digne de louanges. Quand il te serait permis
d’exiger tous les trésors, tous les bonheurs, tu te bornes...

Mais cette phrase ne fut point achevée: la princesse, rouge jusqu’aux
cheveux, se laissait tomber, évanouie, sur les marches du trône. Car ce
qu’elle avait perdu et retrouvé, c’était sa chemise; le pêcheur exigeait
une étrange récompense. D’ailleurs, le roi ne put refuser, puisque sa
parole était donnée, de marier sa fille avec le subtil jeune homme; et
le jour des noces venu,--voyant le marié plus beau que tous les princes
sous ses habits de brocart et de velours,--Modeste songea sans trop
d’épouvante à ce qu’il adviendrait du très précieux présent des fées,
orné de broderies et de dentelles d’or diaphanes comme une nuée du
matin.




LES MOTS PERDUS


I

Il arriva une fois qu’une très cruelle Fée, jolie comme les fleurs,
méchante comme les serpents qui se cachent dessous, résolut de se venger
de tout le peuple d’un grand pays. Où était situé ce pays? dans la
montagne ou dans la plaine, au bord d’un fleuve ou près de la mer? C’est
ce que l’histoire ne dit point. Peut-être était-il voisin du royaume où
les couturières se montrèrent habiles à broder de lunes et d’étoiles les
robes des princesses. Et quelle offense avait subie la Fée? C’est ce que
le conte ne dit pas davantage. On avait peut-être omis de la prier au
baptême de la fille du roi. Quelque opinion qu’il vous plaise d’avoir
sur ces deux points, tenez pour assuré qu’elle était fort en courroux.
Elle se demanda d’abord si, afin de désoler la contrée, elle n’y ferait
point mettre le feu à tous les palais et à toutes les chaumines par les
mille petits génies qui lui servaient de pages, si elle n’y flétrirait
point tous les lilas et toutes les roses, si elle n’y rendrait pas
toutes les jeunes filles laides et vieilles comme des branle-dents. Elle
aurait pu déchaîner par les rues des tarasques vomissant des fumées et
des flammes, ordonner au soleil de faire un détour pour ne point passer
sur la ville détestée, commander aux orages de déraciner les arbres et
de renverser les édifices. Elle s’arrêta à un dessein plus abominable
encore. Comme un voleur que rien ne presse choisit dans un écrin les
plus précieux joyaux, elle ôta de la mémoire des hommes et des femmes
ces trois mots divins: «Je vous aime!» et se déroba, le mal commis, avec
un petit rire qui eût été plus affreux qu’un ricanement de diable, s’il
n’avait eu les plus roses lèvres du monde.


II

Dans les premiers temps, les femmes et les hommes ne s’aperçurent qu’à
demi du tort qu’on leur avait fait. Il leur semblait qu’il leur manquait
quelque chose, ils ne savaient pas quoi. Les fiancés qui se donnent des
rendez-vous, le soir, dans les venelles d’églantiers, les époux qui se
parlent bas aux croisées, songeant aux délices prochaines après les
fenêtres closes et les rideaux tombés, s’interrompaient brusquement de
se regarder ou de s’entrebaiser; ils sentaient bien qu’ils voulaient
dire une phrase accoutumée, et ils n’avaient pas même l’idée de ce
qu’avait été cette phrase; ils demeuraient étonnés, inquiets, ne
s’interrogeant pas, car ils n’auraient su quelle question se faire, tant
était complet en eux l’oubli de la précieuse parole; mais ils ne
souffraient pas trop encore, ayant la consolation de tant d’autres mots,
murmurés, et de tant de caresses. Hélas! ils ne tardèrent pas à être
pris d’une profonde mélancolie! C’était en vain qu’ils s’adoraient,
qu’ils se nommaient des noms les plus tendres, qu’ils tenaient les plus
doux propos; il ne leur suffisait pas de s’écrier que toutes les délices
sont épanouies dans la rose du baiser, de se jurer qu’ils étaient prêts
à mourir, lui pour elle, elle pour lui, de s’appeler: «Mon âme! ma
passion! mon rêve!» ils avaient l’instructif besoin de proférer et
d’ouïr une autre parole, plus exquise que toutes les paroles, et, avec
l’amer souvenir des extases qui étaient en elle, l’angoisse de ne jamais
plus la prononcer ni l’entendre! Après les tristesses, il y eut les
querelles. Jugeant son bonheur incomplet à cause de l’aveu interdit
désormais aux plus ardentes lèvres, l’amante exigeait de l’amant, et
l’amant de l’amante,--sans dire quoi, sans le pouvoir dire,--la seule
chose précisément que ni l’un ni l’autre ne pouvaient donner. Ils
s’accusaient mutuellement de froideur ou de traîtrise, ne croyaient pas
à la tendresse qui n’était pas exprimée comme ils eussent voulu. De
sorte que bientôt les fiancés cessèrent d’avoir des rendez-vous dans les
venelles d’églantines fleuries; et, même après les fenêtres closes, les
chambres conjugales n’entendaient plus que de froides causeries dans les
fauteuils qui ne se rapprochent point. Peut-il y avoir de la joie où il
n’y a point d’amour? Ruiné par les guerres, dévasté par les pestes, le
pays que haïssait la Fée n’eût pas été aussi désolé, aussi morne qu’il
était devenu à cause de trois mots oubliés.


III

Et il y avait dans ce malheureux pays un poète qui était fort à
plaindre. Ce n’était point qu’ayant quelque belle maîtresse, il se
désespérât de ne plus dire et de ne plus entendre la parole volée; il
n’avait point de maîtresse, aimant trop les vers; mais c’était qu’il lui
était impossible de terminer un poème commencé la veille du jour où la
méchante Fée avait accompli sa vengeance. Et pourquoi? parce que le
poème, justement, devait s’achever par: «je vous aime!» et ne pouvait en
aucune façon s’achever autrement. Le poète se frappait le front, se
prenait la tête entre les mains, se demandait: «Serait-ce que je suis
fou?» Il était pourtant sûr d’avoir trouvé, avant d’entreprendre son
ode, les mots qui en précéderaient le dernier point d’exclamation. La
preuve qu’il les avait trouvés, ces mots, c’est que la rime dont ils
étaient la rime, écrite déjà, les attendait, les réclamait, n’en voulait
point d’autres, pareille à une bouche qui, pour devenir le baiser,
attend une bouche jumelle. Et, la phrase indispensable, fatale, il
l’avait oubliée, ne se souvenait même pas de l’avoir jamais sue!
Certainement il y avait là quelque mystère, et c’est à quoi le poète
rêvait sans trêve, avec une amère mélancolie--ô tristesse de poèmes
interrompus!--sur la lisière des bois, près des sources claires, où
c’est la coutume des fées de venir danser en rond, le soir, au clair des
étoiles.


IV

Or, une fois qu’il rêvait sous les branches, la méchante Fée voleuse
l’aperçut et l’aima. On n’est point fée pour se gêner en tout: plus vite
qu’un papillon ne baise une rose, elle lui mit ses lèvres aux lèvres! et
le poète, si occupé qu’il fût de son ode, ne laissa point de trouver
exquise cette caresse. Dans les profondeurs de la terre s’ouvrent des
grottes de diamants bleus et roses, s’épanouissent des jardins de lys
lumineux comme des étoiles; c’est là qu’en un char d’or attelé de taupes
ailées qui fendaient le sol en volant, furent entraînés le poète et la
Fée, et très longtemps ils s’y aimèrent, oublieux de tout ce qui n’était
pas leurs baisers et leurs sourires. S’ils cessaient un instant d’avoir
leurs bouches unies ou de se regarder dans les yeux, c’était pour
prendre plaisir aux plus aimables divertissements: des gnomes habillés
de satin zinzolin, des formoses vêtues de la brume des lacs, formaient
devant eux des danses que rythmaient d’invisibles orchestres, tandis
que, dans des corbeilles de rubis, des mains volantes, qui n’avaient
point de bras, leur présentaient des fruits de neige, parfumés comme une
rose blanche et comme un sein de vierge; ou bien, pour lui plaire, il
lui récitait, en pinçant les cordes d’un théorbe, les plus beaux vers
que l’on puisse imaginer. Toute fée qu’elle était, elle n’avait jamais
connu de joie comparable à celle d’être chantée par ce beau jeune homme
qui inventait chaque jour de nouvelles chansons, et elle se mourait de
tendresse à sentir, quand il se taisait, le souffle d’une bouche toute
proche lui courir dans les cheveux. Et c’était, après tant de jours de
bonheur, des jours de bonheur, sans cesse. Cependant, elle avait
quelquefois des rêveries moroses, la joue sur une main, les cheveux lui
tombant en ruisseau d’or jusqu’aux hanches. «O reine! qu’est-ce donc qui
t’attriste, et que peux-tu désirer encore, au milieu de nos plaisirs,
toi qui es toute-puissante, toi qui es belle?» Elle ne répondit pas
d’abord. Mais, comme il insistait: «Hélas! soupira-t-elle,--on finit
toujours par souffrir du mal que l’on a fait,--hélas! je suis triste
parce que jamais tu ne m’as dit: Je vous aime.» Il ne prononça point la
parole, mais il poussa un cri de joie, d’avoir retrouvé la fin de son
poème! La Fée voulut en vain le retenir dans les grottes de diamants
bleus et roses, dans les jardins de lys lumineux comme des étoiles: il
revint sur la terre, acheva, écrivit, publia l’ode où les hommes et les
femmes du triste pays retrouvèrent à leur tour les divins mots perdus.
Si bien qu’il y eut, comme autrefois, des rendez-vous dans les venelles,
de tendres causeries aux fenêtres conjugales. C’est à cause des vers que
les baisers sont doux, et les amoureux ne se disent rien que les poètes
n’aient chanté.




LA MÉMOIRE DU CŒUR


I

Le royaume était dans la désolation, parce que le jeune roi, depuis
qu’il était devenu veuf, ne s’occupait plus du tout des affaires de
l’État, passait les jours et les nuits à pleurer devant un portrait de
la chère défunte. Ce portrait, il l’avait fait lui-même, autrefois,
ayant appris à peindre tout exprès; car il n’y a rien de plus cruel pour
un amant ou un époux vraiment épris, que de laisser à un autre le soin
de reproduire la beauté de la bien-aimée; les artistes ont une façon de
regarder de près leurs modèles, qui ne saurait plaire à un jaloux; ils
ne mettent pas sur la toile tout ce qu’ils ont vu; il doit leur en
rester quelque chose dans les yeux, dans le cœur aussi. Et ce portrait,
maintenant, était la seule consolation du jeune roi; il ne pouvait
retenir ses larmes en le considérant, mais il n’aurait pas échangé,
contre la douceur des plus heureux sourires, l’amertume de ces pleurs.
C’était en vain que ses ministres venaient lui dire: «Sire, nous avons
reçu des nouvelles inquiétantes: le nouveau roi d’Ormuz lève une armée
innombrable pour envahir vos États»; il feignait de ne pas entendre, les
regards toujours fixés sur l’image adorée. Un jour, il entra dans une
grande colère et faillit tuer un de ses chambellans, celui-ci s’étant
hasardé à insinuer que les douleurs les plus légitimes ne doivent pas
être éternelles, que son maître ferait bien de songer à se marier avec
quelque jeune fille, nièce d’empereur ou fille de paysan, n’importe.
«Monstre! s’écria l’inconsolable veuf, oses-tu bien me donner un si
lâche conseil? Tu veux que je sois infidèle à la plus aimable des
reines? Ote-toi de mes yeux, ou tu périras de ma propre main. Mais,
avant de sortir, apprends, pour le répéter à tous, que jamais une femme
ne s’assoira sur mon trône et ne dormira dans mon lit, à moins d’être de
tout point semblable à celle que j’ai perdue!» Et il savait bien qu’en
parlant ainsi, il ne s’engageait guère. Telle qu’elle revivait en son
cadre d’or,--hélas! morte, pourtant!--la reine était si parfaitement
belle que, par toute la terre, on n’aurait pu trouver sa pareille.
Brune, avec de longs cheveux souples qui s’écoulaient comme de l’ébène
liquide, le front un peu haut, d’ivoire couleur d’ambre, les yeux
profonds, d’un noir de nuit, la bouche bien ouverte par un sourire où
luisaient toutes les dents, elle défiait les comparaisons, les
ressemblances, et même une princesse qui aurait reçu dans son berceau
les plus précieux dons de toutes les bonnes fées, n’aurait pu avoir
d’aussi beaux cheveux sombres, d’aussi profonds yeux bruns, ni ce front,
ni cette bouche.


II

Beaucoup de mois s’écoulèrent,--plus d’une année,--sans apporter aucun
heureux changement au triste état des choses. On recevait d’Ormuz des
nouvelles de plus en plus alarmantes; le roi ne daignait pas prendre
garde au danger grandissant. Il est vrai que les ministres percevaient
les impôts en son nom; mais, comme ils en gardaient l’argent au lieu de
l’employer à équiper des soldats, le pays ne manquerait pas d’être
ravagé, après avoir payé pour ne pas l’être. De sorte qu’il y avait tout
le jour, devant le palais, des groupes de gens, qui venaient supplier et
se plaindre. L’amoureux de la morte ne sortait point de sa mélancolie;
il n’avait d’attention que pour le charme silencieux du portrait. Une
fois, cependant,--c’était à l’heure où l’aube teint de rose et de bleu
les vitres,--il se tourna vers la croisée, écoutant une chanson qui
passait, une chanson grêle et frêle, jolie et matinale comme un tireli
d’alouette. Il fit quelques pas, étonné, colla le front à la vitre,
regarda. Il eut peine à retenir un cri d’aise! il n’avait jamais rien vu
d’aussi charmant que cette petite bergère menant aux champs son troupeau
de moutons. Elle était blonde au point que ses cheveux doraient le
soleil plutôt qu’ils n’en étaient dorés. Elle avait le front un peu bas,
rose comme les jeunes roses, les yeux clairs, d’une clarté d’aurore, et
sa bouche riait si étroite que, même ouverte par la chanson, elle
laissait voir à peine cinq ou six petites perles. Mais le roi, tout
charmé qu’il fût, se déroba à ce spectacle, mettant ses mains sur ses
paupières closes, et, tout honteux de s’être un instant détourné de la
belle défunte, il revint vers le portrait, s’agenouilla, pleurant de
douleur et de délice; il ne se souvenait plus du tout qu’une bergère
avait passé, sous la fenêtre, en chantant. «Ah! tu es bien sûre,
gémissait-il, que mon cœur en deuil t’appartient pour toujours,
puisqu’il n’existe aucune femme qui te ressemble; et il faudrait, pour
que je fisse une reine, que, d’un miroir où elle se serait éternisée,
ton image sortît, vivante!»


III

Or, le lendemain, en admirant le portrait de la morte, il eut une
surprise pénible. Il songea, il se dit: «Voilà qui est fort étrange. Il
faut croire que cette salle est humide; l’air qu’on y respire n’est pas
bon pour les peintures. Car, enfin, je me souviens parfaitement que les
cheveux de ma reine n’étaient pas aussi sombres que je les vois. Non,
certes, ils n’avaient pas cette noirceur d’ébène liquide. Ils
s’ensoleillaient çà et là, je m’en souviens, couleur d’aurore, non de
soir.» Il demanda ses pinceaux, sa palette, corrigea très vite le
portrait qu’avait gâté l’air humide. «A la bonne heure! voilà bien la
chevelure d’or léger que j’aimais si éperdument, que j’aimerai
toujours.» Et, plein d’une amère joie, il renouvela, à genoux devant
l’image maintenant pareille au cher modèle, ses serments d’éternelle
constance. Mais, véritablement, quelque méchant génie devait se jouer de
lui: trois jours s’étant passés, il fut obligé de reconnaître que le
portrait avait encore subi des détériorations notables. Que voulait dire
ceci? Pourquoi ce front d’ivoire, couleur d’ambre, était-il si haut? Il
avait bonne mémoire, grâce à Dieu! il était sûr que la reine avait un
petit front, rougissant et frais comme les jeunes églantines. En
quelques coups de pinceau, il baissa la chevelure dorée, rosa le front,
d’un rose clair. Et il se sentait le cœur plein d’une tendresse infinie
pour le tableau restauré. Le jour suivant, ce fut pis encore! Il était
évident que les yeux et la bouche du portrait venaient d’être changés
par une volonté mystérieuse ou par quelque accident. Jamais la
bien-aimée n’avait eu ces prunelles sombres, d’un noir de nuit, ni cette
bouche trop ouverte, qui montrait presque toutes les dents. Ah! bien au
contraire, le bleu matinal du ciel, où volette le tireli des alouettes,
n’égalait pas en douceur l’azur des yeux dont elle regardait son ami;
et, quand à ce qui était de sa bouche, elle était si étroite que, même
ouverte pour une chanson ou pour un baiser, elle laissait voir à peine
quelques mignonnes perles. Le jeune roi se sentit pris d’une violente
colère contre ce portrait absurde, qui contredisait tant de chers
souvenirs! S’il avait eu en son pouvoir l’exécrable enchanteur auquel
cette transformation était due,--car il y avait ici, à coup sûr, quelque
enchantement,--il se serait vengé de lui d’une façon terrible. Pour un
peu, il aurait décroché, foulé aux pieds, la mensongère image! Il se
calma cependant, songeant que le mal était réparable. Il se mit au
travail; il peignait d’après ses fidèles souvenirs; et, quelques heures
plus tard, il y eut sur la toile une jeune femme aux yeux bleus comme le
lointain de l’aube, à la bouche si petite que, si elle eût été fleur, il
y aurait pu tenir à peine deux ou trois gouttes de rosée. Et il
regardait sa reine, plein d’un douloureux ravissement. «C’est elle! Ah!
c’est bien elle!» soupirait-il. Si bien qu’il n’eut aucune objection à
faire le jour où le chambellan,--dont c’était la coutume de regarder par
le trou des serrures,--lui conseilla de prendre pour épouse une mignonne
bergère qui passait tous les matins, devant le palais, en chantant une
chanson; car elle ressemblait de tout point,--un peu plus jolie
peut-être,--au portrait de la belle reine.




LES TROIS BONNES FÉES


Il y avait en ce temps-là trois fées,--elles se nommaient Abonde,
Myrtile, Caricine,--qui étaient bonnes au-delà de ce qu’on peut
concevoir. Elles ne prenaient plaisir qu’à venir en aide aux malheureux,
et c’était à quoi elles employaient toute leur puissance. Rien ne
pouvait les décider à se mêler aux jeux de leurs pareilles sous les
clairs de lune de la forêt de Brocéliande, ni à s’asseoir dans la salle
des festins, où des sylphes-échansons versent des gouttes de rosée dans
des calices de lys,--au dire de Thomas-le-Rimeur, il n’est pas de
boisson plus agréable,--si elles n’avaient d’abord consolé beaucoup de
douleurs humaines; et elles avaient l’ouïe tellement fine, qu’elles
entendaient, même de loin, se serrer les cœurs et couler les larmes.
Abonde, qui visitait de préférence les faubourgs des grandes villes,
apparaissait tout à coup dans les pauvres logis, soit en cassant le
carreau de la lucarne--mais il était vite remplacé par un carreau de
diamant, sans qu’il fût besoin d’appeler le vitrier,--soit en se faisant
un corps de la fumée du fourneau à demi éteint; prise de pitié à la vue
de ces mansardes où grelottaient, mourant de faim, de misérables
familles sans travail, elle avait tôt fait de les transformer en de
somptueuses demeures, bien garnies de beaux meubles, de garde-manger
pleins de victuailles, de coffres pleins de monnaies d’or. Non moins
charitable, Myrtile fréquentait surtout les gens des campagnes, qui se
lamentent dans leurs chaumières quand la grêle a meurtri la promesse en
fleur des vergers, et qui, entre la huche sans pain et l’armoire sans
linge, se demandent s’ils ne feraient point sagement d’aller perdre
leurs enfants dans les bois, n’ayant ni de quoi les nourrir ni de quoi
les vêtir; elle réussissait facilement à leur rendre courage, leur
offrant des talismans, leur conseillant de faire des vœux qui ne
manquaient jamais d’être accomplis; et tel qui, trois moments
auparavant, n’aurait pas eu de quoi faire l’aumône à un rouge-gorge
cognant du bec à la vitre, se trouvait riche bourgeois dans une maison
approvisionnée de tout, ou puissant monarque dans un palais de porphyre
et de pierreries. Quant à Caricine, c’étaient les chagrins des amoureux
qui l’émouvaient plus que toute peine; elle rendait fidèles les
coquettes et les inconstants, faisait s’attendrir les parents avares qui
refusent de consentir au bonheur de leurs enfants; et, lorsqu’elle
apprenait qu’un vieux mendiant des chemins était épris de la fille d’un
roi, elle le métamorphosait en un prince beau comme le jour afin qu’il
pût épouser sa bien-aimée. De sorte que, si les choses avaient longtemps
duré ainsi, il n’y aurait plus eu de misères ni de chagrins dans le
monde grâce aux trois bonnes fées.

Cela n’aurait pas fait le compte d’un très cruel enchanteur qui était
animé, à l’égard des hommes et des femmes, des plus mauvais sentiments:
la seule idée que l’on cesserait de souffrir et de pleurer sur la terre
lui causait un tourment insupportable; il se sentait donc plein de
courroux contre ces excellentes fées,--ne sachant laquelle des trois il
détestait davantage,--et il résolut de les mettre hors d’état de faire,
selon leur coutume, le bonheur des malheureux. Rien ne lui était plus
facile, à cause du grand pouvoir qu’il avait.

Il les fit comparaître devant lui, puis, fronçant le sourcil, leur
annonça qu’elles seraient privées, pour beaucoup de siècles, de leur
féerique puissance; ajoutant qu’il ne tiendrait qu’à lui de les
transformer en de vilaines bêtes malfaisantes ou en des objets sans
pensée, tels que marbres, troncs d’arbres, ruisseaux des bois, mais
qu’il daignait, par miséricorde, leur permettre de choisir les formes
sous lesquelles elles passeraient leur temps de pénitence.

On ne saurait se faire une idée du chagrin qu’éprouvèrent les bonnes
fées! Ce n’était pas qu’elles fussent tristes outre mesure de perdre
leurs gloires et leurs privilèges; cela leur coûterait peu de renoncer
aux danses dans la forêt de Brocéliande et aux fêtes dans les palais
souterrains où s’allument des soleils de rubis; ce qui les navrait,
c’était que, déchues, elles ne pourraient plus secourir les misérables.
«Quoi! pensait Abonde, des hommes, des femmes mourront de froid et de
faim dans les mansardes des faubourgs et je ne les consolerai plus!»
Myrtile se disait: «Que deviendront, dans leurs chaumières, les paysans,
et les paysannes, quand les averses de grêle auront cassé les branches
des pommiers fleuris? Combien de petits enfants pleureront abandonnés
dans les broussailles sans chemin, n’apercevant d’autre clarté pendant
que le loup les guette, que la lampe allumée, au loin, par la femme de
l’ogre!» Et Caricine, toute sanglotante: «Que d’amoureux vont souffrir!
songeait-elle. Justement, j’étais informée qu’un pauvre petit chanteur
des rues, sans maison ni famille, languit de tendresse pour la princesse
de Trébizonde. Hélas! Il ne l’épousera donc point?» Et, toutes trois,
les bonnes fées se désolèrent, longtemps, longtemps, comme souffrant
toutes les douleurs dont elles ne feraient pas des joies, comme versant
toutes les larmes qu’elles ne pourraient pas essuyer.

A vrai dire, elles avaient, dans leur désespoir, une petite consolation.
Il leur était permis de désigner les apparences sous lesquelles elles
vivraient parmi les humains; leur bonté, grâce à un heureux choix,
trouverait peut-être encore le moyen de s’exercer. Quoique réduites à
l’impuissance des personnes mortelles ou des choses périssables, elles
ne seraient pas tout à fait inutiles aux pauvres gens. Elles se mirent
donc à réfléchir, se demandant ce qu’il valait mieux être pour ne pas
cesser d’être secourable. Abonde, qui se rappelait les pauvretés des
faubourgs, conçut d’abord le désir de se voir muée en une riche personne
qui répand les aumônes sans compter; puis songeant aux fourneaux qui
s’éteignent, aux grabats sans couvertures, il ne lui aurait pas déplu de
devenir une flamme réchauffante, un bon lit où se reposeraient les
travailleurs harassés. Myrtile rêvait d’être une reine qui ferait des
chambellans chamarrés de tous les laboureurs vêtus de loques, ou le
rayon qui écarte les mauvais nuages, ou la bûcheronne qui ramène au
logis les enfants égarés. Quant à Caricine, dans son dessein d’être
douce aux cœurs, elle eût volontiers consenti à être changée en une
belle épouse, fidèle, sincère, ayant pour seul souci le bonheur de
l’époux, ou en une timide et aimante fiancée. Puis, d’autres pensées
leur venaient, et elles hésitaient, comparant les avantages des diverses
métamorphoses.

Cependant l’Enchanteur cria:

--Eh bien! êtes-vous résolues? Voilà trop longtemps que vous
réfléchissez, et je n’ai pas de temps à perdre. Que désirez-vous être?
Allons, il le faut, parlez vite.

Il y eut encore un long silence; mais, enfin:

--Que je sois donc, dit Abonde, le vin que l’on boit dans les cabarets
des faubourgs! Car, mieux que le pain de l’aumône et la tiédeur des
poêles, et le repos dans un lit, l’ivresse consolatrice charme les corps
et les cœurs las.

--Que je sois, dit Myrtile, les cordes du violon d’un vieux ménétrier!
Car, bien plus que des habits dorés remplaçant des haillons, et que la
fuite des nuages menaçants, et que le retour au logis des enfants
perdus, la chanson qui fait danser est bonne aux misérables.

--Que je sois, dit Caricine, la belle fille bohème des carrefours, qui
offre aux passants son rire et ses baisers! Car, c’est dans le libre
amour, fou, changeant, hasardeux, sans déceptions ni regrets, que
l’homme oublie l’ennui ou le désespoir de vivre.

Depuis ce temps, Abonde rit dans les verres pleins sur la table des
cabarets, et Myrtile fait danser les noces paysannes sous les arbres de
la grande place ou dans la cour des auberges; elles sont heureuses, les
bonnes fées déchues, de la joie qu’elles donnent, mais jalouses aussi,
jalouses de Caricine, parce qu’elles savent bien que c’est elle qui fait
la meilleure charité.




LE RAMASSEUR DE BONNETS


Je suis en mesure de donner des nouvelles de Puck aux personnes
curieuses de savoir ce qu’il est devenu depuis qu’il quitta la forêt
près d’Athènes. On supposait généralement,--et j’étais moi-même enclin à
cette erreur,--que, puni pour une espièglerie un peu trop hasardeuse, il
languissait exilé dans un verger des îles d’Avalon; des gens qui se
prétendaient bien informés racontaient qu’il avait commis l’imprudence
de s’endormir, un soir, dans une rose amoureuse, et que la rose, s’étant
fermée, ne s’était plus rouverte. D’autres bavards répandaient d’autres
histoires. Tout le monde se trompait. La vérité, c’est que le compagnon
de Fleur-des-Pois et de Grain-de-Moutarde n’a jamais cessé de vivre
parmi les hommes; je l’ai rencontré, un matin de printemps, dans une
venelle d’aubépines, suspendu, comme un gymnaste au trapèze, à un fil
tremblant d’araignée. Mais il s’est rendu assez différent du Robin
Bonenfant de jadis; ce n’est plus lui qui hennit comme une pouliche
coquette pour tromper un cheval gras et nourri de fèves; ce n’est plus
lui qui s’insinue dans la tasse d’une commère sous la forme exacte d’une
pomme cuite, ou qui, s’offrant pour escabeau à une grasse matrone, se
retire tout à coup, de sorte qu’elle tombe sur son derrière aux grands
éclats de rire de l’assemblée. Non, Puck a des soins plus sérieux à
présent; il exerce une fonction grave; il est,--de son état,--ramasseur
de bonnets de l’autre côté des moulins!

D’abord, l’aveu de cette profession, assez étrange en apparence, ne
laissa pas de me surprendre; je fus tenté de croire que Robin m’en
voulait donner. On sait qu’il n’a pas de plus grand plaisir que de
bafouer les gens; il ne faut pas toujours s’en fier à sa parole. Mais,
après réflexion, je fus contraint d’admettre qu’un tel métier pouvait
exister; même il serait tout à fait inexplicable qu’il n’existât point.
Car, enfin, en vous promenant derrière les moulins, ou dans les sentiers
environnants, avez-vous jamais vu des bonnets, répondez-moi? Non, vous
n’en avez jamais vu. J’entends: par terre. Pour ce qui est d’en
apercevoir sur les cheveux bruns ou roux, ébouriffés, des belles filles
qui passent, il n’y a rien de plus fréquent, grâce à Dieu. Mais des
bonnets tombés sur l’herbe, ou accrochés aux branches, on n’en remarque
point. Il est cependant avéré qu’il s’en envole chaque jour,--et chaque
nuit,--un nombre considérable, et l’on marcherait à tout instant sur des
ruches, des dentelles, des blondes,--comme un méchant oiseleur
piétinerait des colombes,--si quelqu’un ne ramassait pas les bonnets!
Vraiment, je fus très penaud de n’avoir pas pensé depuis longtemps à la
nécessité de cette fonction; je l’aurais peut-être sollicitée,--bien
qu’il doive y avoir quelque chose de pénible, d’humiliant aussi, à
constater la chute de tant de pudeurs et d’innocences, lorsqu’on n’y a
été pour rien. Le charmant, ce n’est pas de ramasser un bonnet après
qu’il a fait sa culbute d’oiseau blessé, c’est d’en dénouer les brides.
D’ailleurs, les regrets n’eussent pas servi à grand’chose, puisque Puck
était en place et ne montrait aucune envie de donner sa démission malgré
les grandes peines qu’il était obligé de prendre.

--On ne saurait s’imaginer, me dit-il, combien est assujettissant
l’emploi qui me fut confié. Je ne trouve plus le temps de bavarder près
des sources avec les fauvettes des roseaux, ni de rire avec les
ruisselets caillouteux, ni de guerroyer contre les scarabées pour leur
voler l’émail de leurs ailes, dont on se ferait une si belle cuirasse;
dès que je commence à délacer le corset vert des roses en bouton, mon
devoir m’oblige à courir de-ci de-là, et les jeunes roses me gardent
rancune de n’avoir été déshabillées qu’à moitié, étant comme les femmes,
qui veulent absolument qu’on achève tout ce que l’on a entrepris. Ah! il
est fort heureux qu’il me suffise du quart d’un tiers de seconde pour
voler d’un bout de la terre à l’autre bout, car, presque à la fois, dans
tous les pays, des bonnets s’envolent et se posent. Depuis quelque temps
surtout, je ne sais, en vérité, où donner de la tête. Une neige de
coiffes bat de l’aile par-dessus les moulins, palpite, hésite, choit.
Avant-hier, je fus comme enseveli sous la légère avalanche. Je ramassais
vingt bonnets, il en tombait mille, et il en tombait d’autres, toujours!
J’ai pensé étouffer. Mais une telle mort ne m’eût pas déplu, parmi les
rubans, les batistes et les malines, à cause de cette odeur de cheveux
et de nuques, si grisante, que tu sais bien.

--Mais, Robin, dis-je à Puck, il y a une chose que je ne m’explique pas.
Tu ramasses les bonnets, à la bonne heure; une fois ramassés, où les
mets-tu? Si tu as coutume de les ranger sur des tablettes ou dans des
tiroirs, comme font les bonnes ménagères, il faut que tu aies un bien
grand nombre d’armoires ou de commodes.

Puck éclata de rire.

--Trois millions d’ébénistes, travaillant pendant trois millions
d’années, ne suffiraient pas à faire assez de commodes et d’armoires
pour que l’on pût, même en les serrant beaucoup, ranger tous les bonnets
jetés par-dessus les moulins! Viens avec moi, tu verras une chose qui ne
manquera pas de t’intéresser.

Quand on voyage avec Puck, on voyage très vite; une belle-de-nuit ne se
serait ouverte qu’à demi pendant le temps que nous employâmes à nous
rendre, de la venelle où nous étions, dans un étrange et vaste jardin,
si vaste que vous l’auriez cru à peine moins grand que toute la terre.
Et ce jardin, plein d’innombrables arbustes entrelacés, avait pour
jacinthes, pour roses, pour camélias, pour œillets, d’adorables petits
bonnets qui frémissaient au vent. Il faisait venir l’idée d’un immense
Eden qui serait une boutique de modistes. Je voyais, accrochés à des
aubépines, des bonnets de toile, sans rubans ni fleurs; bonnets de
pauvres filles, qui s’étaient envolés, un jour de moisson, après un faux
pas derrière une meule de blé. Il y avait des bonnets de guipure, des
bonnets de valenciennes, fleurant le white-rose et l’opoponax; des
bonnets qui étaient des coiffures de nonnes, et gardaient, avec une
odeur d’encens, une ressemblance de lys; il y avait aussi, plus
impossibles à nombrer que les étoiles du ciel et les grains de sable de
Nubie, des bonnets qui, au lieu d’être des bonnets, étaient des
chapeaux, des voilettes, des corsets, des jupes, des chemises! Car le
respect d’une proverbiale métaphore a des bornes après tout; on ne peut
exiger des jeunes personnes qui veulent jeter leur bonnet par-dessus les
moulins, qu’elles aient toujours un bonnet à leur portée; on jette ce
qu’on peut. Cependant, l’âme attendrie, je songeais à tant de baisers
donnés et reçus dans les bois, dans les ruelles, dans les cloîtres, dans
les boudoirs, et j’admirais la Femme et l’Homme, toute l’aimante
humanité.

--Oui, reprit Puck, ce jardin est agréable; on éprouve quelque
satisfaction à se promener dans ces allées; c’est une heureuse
imagination que j’ai eue d’accrocher aux arbrisseaux, chaque matin, les
bonnets de la veille.

--De la veille? m’écriai-je, stupéfait. Tu ne veux pas dire, je pense,
que tu me montres ici ta récolte d’un seul jour?

--Mais si, je veux le dire, et je le dis. Dès que l’aube se lève, je
remplace par des bonnets nouveaux les bonnets anciens. La journée
d’hier, relativement, n’a pas été très bonne.

O joie! ô orgueil! ô infini de l’amour! Combien de cœurs échangés!
combien d’âmes qui se mêlent! combien de bouches sur des bouches! Ah!
que les Dieux sont bons!

Je dis à Puck, quand je fus revenu de mon extase:

--En ce cas, tu me dois une explication encore. Les bonnets d’hier,
d’avant-hier, de jadis, de toujours, où les mets-tu, Robin Bonenfant?

--Où je les mets? partout! et, bientôt, il n’y aura plus de place.

Il continua, en s’amusant à faire grimper une coccinelle sur le petit
doigt de sa main gauche:

--J’en fais d’autres bonnets pour les ingénues au cœur encore introublé,
et ceux-là me reviennent vite, sachant déjà le chemin. J’en fais des
chemises de noces et des draps de lit nuptial, pour les amoureuses qui
sanctifient leur péché en devenant épouses. J’en fais des robes de bal
qui conseillent, par leur frôlement, les abandons de la valse, des
rideaux pour les alcôves, et, j’en fais aussi,--car je ne sais où les
fourrer,--des nappes de festin et des nappes d’autel. Mais il ne
suffirait pas, pour les employer tous, d’en vêtir toutes les femmes et
tous les hommes, d’en parer tous les appartements, d’en orner tous les
temples. Je les mêle à la nature, pour m’en débarrasser. Grâce à moi,
ils fleurissent en églantines, s’éparpillent en giboulées, s’égouttent
en rosée matinale, s’effiloquent en fils de la Vierge; je les déchire en
papillons qui aiment les roses, se souvenant des lèvres; l’oiseau s’en
sert pour que son nid soit plus doux; leur mousseline frissonne dans les
buées du matin, glissant sur les prairies; ce sont leurs pâles rubans
qui se déroulent dans l’interminable longueur des grandes routes plates,
leurs rubans bleus ou verts qui se prolongent dans le lisse éloignement
des fleuves; quand il neige, quelqu’un qui saurait les choses
reconnaîtrait leur blancheur dans les légers flocons. De sorte que vous
vivez, vous autres hommes, sans le savoir, au milieu de tant de bonnets
devenus fleurs, averse de grésil, aiguail, papillons, mousses des nids,
brouillards lointains, eau fuyante, et neige lente aussi! Et, quand j’ai
fini d’en emplir l’univers terrestre, j’en emplis le ciel, de ces
bonnets. Ils sont l’aurore,--ceux des fillettes,--le crépuscule du
soir,--ceux des vieilles filles, qui tardèrent longtemps; ils sont le
rose et l’azur des profondeurs mystérieuses; ils brûlent dans le soleil,
pâlissent dans la lune, voyagent avec les comètes, flamboyent en
météores; et c’est des bonnets jetés par-dessus les moulins,--blancheurs
éparses et fourmillantes,--qu’est faite la Voie lactée!




LES TROIS SEMEURS


Trois jeunes compagnons s’en allaient à travers le monde. Comme c’était
l’hiver, il pleuvait, ventait, neigeait sur tout le pays environnant;
mais la route où ils passaient se dorait de soleil, et les touffes
d’aubépines fleuries secouaient, à chaque souffle de la brise, des
envolées de papillons et d’abeilles, parce que c’étaient des enfants de
seize ans; pour que le printemps rie autour des voyageurs, il suffit
qu’ils l’aient en eux; au contraire, si un vieillard entre dans un
jardin d’avril, par une rose matinée, le jour s’éteint, le ciel se
voile, les églantines blanches sont de petits flocons de neige.

Donc, ils s’en allaient sans savoir où, et c’est la meilleure façon de
suivre son chemin. L’un se nommait Honorat, et l’autre Chrysor; le plus
jeune avait nom Aloys. Ils étaient beaux, tous trois, avec leurs cheveux
en boucles, que débouclait le vent, avec la fraîche santé de leurs joues
et de leurs bouches. Les voyant marcher sur la route ensoleillée, vous
auriez eu peine à faire quelque différence entre eux; pourtant Honorat
avait l’air plus hautain, Chrysor l’air plus sournois, Aloys l’air plus
timide. Ce qu’ils semblaient au dehors, ils l’étaient au dedans. Le
corps n’est que la doublure de l’âme, mais les hommes ont la mauvaise
habitude de porter à l’envers leur naturel habit. Honorat, dans ses
chimères, ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était le fils de quelque
puissant roi! Client affamé de l’auberge Hasard, mangeant les croûtes de
pain que jette par la fenêtre la satiété des gens riches, buvant l’eau
des sources dans le creux de sa main, dormant sous l’auvent des granges,
n’importe, il se voyait enveloppé de somptuosités et de gloires; ce
qu’il rêvait, c’étaient des courtisans éblouissants de chamarrures, qui
s’agenouillaient dans la salle du trône, entre des colonnades de jaspe
ou de porphyre; et, par une grande porte ouverte à deux battants,
entraient des ambassadeurs accourus des contrées les plus lointaines,
tandis que, derrière eux, des esclaves africains, vêtus de satin rouge,
portaient des coffres où s’entassaient, merveilleuses et charmantes,
pierreries, perles fines, étoffes de soie et de brocart, les humbles
redevances de l’empereur de Trébizonde et du roi de Sirinagor; ou bien
il s’imaginait qu’il menait à la victoire d’innombrables armées, qu’il
enfonçait, l’épée au soleil, les masses en déroute des troupes ennemies,
et que ses peuples le portaient en triomphe sous des arcs décorés de
bannières claquantes où battaient les ailes de la gloire! Chrysor, lui,
songeait des songes moins épiques. Des monnaies, beaucoup de monnaies,
des monnaies toujours, d’argent et d’or, d’or surtout, et des diamants
sans nombre dont un seul valait tous les trésors du plus riche des
monarques, voilà ce qui étincelait sous ses yeux, ce qui ruisselait
entre ses doigts, à l’heure même où il tendait aux passants sa main
contente de recevoir un sou de cuivre; si on l’eût placé entre deux
portes, celle du paradis et celle d’un coffre-fort, ce n’est pas la
porte du paradis qu’il eût ouverte. Quant au petit Aloys,--plus joli et
plus frêle que ses compagnons,--il ne s’inquiétait aucunement des
palais, des courtisans, des ambassadeurs, ni des armées; à une table
chargée d’or, il eût préféré un coin de prairie en fleurs. Avec son air
d’adolescent, d’adolescente même, il baissait volontiers ses yeux
attentifs aux coccinelles qui escaladent les brins d’herbe, ne les
levait que pour admirer à l’horizon la rougeur des juvéniles aurores, ou
celle des couchants pensifs. La seule joie qu’il désirât,--et il
l’avait,--c’était de chanter en marchant la chanson qu’il avait faite la
veille, une chanson aux belles rimes, que les oiseaux approuvaient, dans
les buissons de la route, en reprenant le refrain. De sorte que si, le
soir, dans le clair silence des étoiles, s’éveillait, grandissait,
mourait un de ces bruits qui sont les soupirs de la nature endormie,
«n’est-ce pas l’écho d’une sonnerie de trompette?» demandait Honorat;
«n’est-ce pas, disait Chrysor, le son lointain d’une pièce d’or qui a
roulé d’un tiroir?» mais Aloys murmurait: «Je pense que c’est le petit
gazouillis d’un nid qui se rendort.»

Or une vieille femme, un jour, les vit venir tandis que, dans un maigre
champ, elle creusait de sa bêche de tout petits sillons pour y semer des
graines. Elle était si vieille et si loqueteuse que vous l’auriez prise
pour un très ancien siècle habillé de chiffons; et son antiquité se
compliquait de laideur. Un œil crevé, tout jaune, l’autre à demi couvert
d’une taie, trois touffes de cheveux gris se recroquevillant hors d’un
foulard de sale cotonnade, la peau rouge, avec des verrues, et ses
lèvres faisant flic! flac! faute de dents, chaque fois qu’elle aspirait
l’air, elle était faite à souhait pour le désespoir des yeux; celui qui
eût passé devant elle, aurait pressé le pas, dévoré du besoin de voir
une belle fille ou une rose. Mais qui donc assumerait la tâche d’écrire
des contes de fées s’il n’avait le droit de transformer, au cours de ses
récits, les plus hideuses personnes en jeunes dames éclatantes de beauté
et de parure? On sait bien que, dans nos histoires, plus l’on est
repoussante, d’abord, plus on sera jolie, tout à l’heure. La séculaire
sans-dents ne manqua point de se conformer à la poétique du bon Perrault
et de madame d’Aulnoy. Quand les trois compagnons,--Honorat, Chrysor,
Aloys--l’aperçurent au bord du fossé, elle s’était changée en la plus
adorable fée que l’on puisse voir, et les volants de sa robe étaient si
fleuris de fleurs de pierreries que les papillons voletaient à l’entour,
croyant tous que le mois d’avril, dans ce maigre champ, s’était épanoui.

--Beaux enfants, arrêtez-vous, dit la fée. Je vous veux du bien parce
que vous êtes jeunes,--ce qui est la plus charmante façon d’être
bon,--et parce que vous prenez toujours garde, en marchant, de ne pas
écraser les insectes qui traversent la venelle. Venez là, je vous le
conseille, et faites vos semailles dans le sillon que j’ai creusé. Foi
de bonne fée, ce vilain champ, plus fécond qu’il n’en a l’air, vous
rendra au centuple tout ce que vous lui aurez donné.

Vous pensez si les voyageurs furent charmés de voir une aussi belle
personne et d’entendre d’aussi obligeantes paroles; mais, en même temps,
ils se trouvaient bien embarrassés, étant pauvres au point qu’ils
n’avaient rien du tout à semer dans le féerique sillon.

--Hélas! madame, dit Honorat (après avoir pris conseil de Chrysor et
d’Aloys), nous ne possédons aucune chose que nous souhaiterions nous
voir rendue au centuple, sinon nos rêves, qui ne germeraient pas.

--Qu’en savez-vous? reprit-elle en écartant, d’un remuement de cheveux,
un papillon qui lui frôlait l’oreille (et il avait cette excuse que
c’était un œillet, cette oreille), qu’en savez-vous, enfants étourdis?
Semez vos songes dans la terre ouverte, nous verrons bien ce qui
poussera.

Alors Honorat, agenouillé, et la bouche vers le sillon, commença de
conter ses chimères ambitieuses: les palais de porphyre et de jaspe où
resplendissent les chamarrures des courtisans, et les ambassades entrant
par la royale porte, et les nègres chargés de tributs, et les armées et
les triomphes! Il n’eut pas le loisir d’achever. Des cavaliers au galop
se ruèrent dans la plaine, nombreux, cuirassés d’or, empanachés d’ailes
d’aigles, et proclamant qu’ils cherchaient, pour le conduire dans son
royaume, le fils du roi défunt. Dès qu’ils eurent aperçu Honorat: «C’est
lui!» s’écrièrent-ils, et, pleins de joie, ils emportèrent leur maître
vers les belles demeures de marbre et les batailles et les trophées!

Ayant vu cela, Chrysor ne se fit point prier pour semer dans le sol ses
désirs de richesse, son amour des vives monnaies sonnantes et des
précieuses pierreries. Il avait à peine prononcé quelques mots que le
creux se remplit d’or, d’argent, de diamants et de perles. Ivre de joie,
il se jeta dessus, les empoigna, s’en remplit les poches, la bouche
aussi, et s’enfuit, plus riche que les plus riches, cherchant quelque
cachette sûre où enfouir ses trésors.

--Eh! bien, demanda la fée, à quoi pensez-vous, Aloys? Ne suivrez-vous
pas l’exemple de vos compagnons?

Il ne répondit point d’abord, ayant à peine pris garde à ce qui se
passait, occupé d’un mariage de myrtils dans un volubilis.

--Eh! dit-il enfin, je ne désire rien, sinon d’écouter les rossignols
qui se plaignent, le soir, et les cigales qui crient dans le chaud midi.
Tout ce que je pourrais faire, ce serait de chanter vers le sillon
l’épithalame que j’ai fait hier pour l’hymen de deux fauvettes.

--Chante-le! répliqua la fée; cette semaille en vaut bien une autre.

Comme il commençait la seconde strophe, une belle jeune femme à demi
nue--si belle qu’aucun rêve d’amour ne l’eût souhaitée plus
parfaite,--sortit de la terre entr’ouverte, et mettant ses deux bras,
lianes pour l’enlacement et lys pour la blancheur, au cou de l’enfant
ravi: «Oh! comme tu chantes bien! je t’aime!» lui dit-elle.

C’est ainsi que la bonne fée vint en aide aux trois enfants vagabonds
qui suivaient, sans savoir vers où, la route ensoleillée. Mais, à peu de
temps de là, il se produisit des événements terribles. Vaincu dans un
combat, après des prodiges de courage, par des ennemis implacables, le
roi Honorat fut obligé de quitter sa capitale et de se réfugier dans un
cloître où on lui coupa les cheveux non sans lui avoir ôté sa couronne;
les larrons, qui sont toujours aux aguets, finirent par découvrir la
cachette où Chrysor-le-Riche avait enfoui ses trésors, et il en fut
réduit, haillonneux, sur les chemins, à demander l’aumône à ses voleurs,
qui ne la lui firent pas. Seul, Aloys ne cessa point d’être heureux,
baisé du soir au matin, et du matin au soir, par la belle jeune femme
dont les bras souples comme les lianes étaient blancs comme les lys; et
elle lui fut fidèle, toujours, toujours, parce qu’il avait chanté dans
le sillon féerique une chanson bien rimée!




LA BELLE AU CŒUR DE NEIGE


I

Il y avait, dans un royaume, une princesse si belle que, de l’avis de
tout le monde, on n’avait jamais rien vu d’aussi parfait sur la terre.
C’était bien inutile qu’elle fût jolie, puisqu’elle ne voulait aimer
personne. Malgré les prières de ses parents, elle refusait avec mépris
tous les partis qu’on lui proposait; lorsque des neveux ou des fils
d’empereurs venaient à la cour pour demander sa main, elle ne daignait
même pas les regarder, si jeunes et si beaux qu’ils fussent; elle
détournait la tête avec un air de mépris: «Vraiment, ce n’était pas la
peine de me déranger pour si peu de chose!» Enfin, à cause de la
froideur qu’elle montrait en toute occasion, cette princesse avait été
surnommée «la Belle au cœur de neige». Vainement sa nourrice, une
vieille bonne femme, qui avait beaucoup d’expérience, lui disait, les
larmes aux yeux: «Prends garde à ce que tu fais, ma fille! Ce n’est pas
une chose honnête que de répondre par de mauvaises paroles aux gens qui
nous aiment de tout leur cœur. Quoi! parmi tant de beaux jeunes hommes,
si bien parés, qui brûlent de t’obtenir en mariage, il n’en est pas un
seul pour lequel tu éprouves quelque tendre sentiment? Prends garde, te
dis-je; les bonnes fées, par qui te fut accordée une beauté
incomparable, s’irriteront, un jour ou l’autre, si tu continues à te
montrer avare de leur présent; ce qu’elles t’ont donné, elles veulent
que tu le donnes; plus tu vaux, plus tu dois; il faut mesurer l’aumône à
la richesse. Que deviendrais-tu, mon enfant, si tes protectrices,
courroucées par ton indifférence, t’abandonnaient à la méchanceté de
certaines fées qui se réjouissent du mal, et rôdent toujours, dans de
mauvaises intentions, autour des jeunes princesses?» La Belle au cœur de
neige ne tenait aucun compte de ces bons conseils; elle haussait
l’épaule, se regardait dans un miroir; et cela lui suffisait. Quant au
roi et à la reine, ils se montraient désolés plus que l’on ne saurait
dire, de l’indifférence où s’obstinait leur fille; ils en vinrent à
penser qu’un mauvais génie l’avait maléficiée; ils firent proclamer par
des hérauts, dans tous les pays du monde, qu’ils donneraient la
princesse elle-même à celui qui la délivrerait du Sort dont elle était
victime.


II

Or, vers le même temps, dans une grande forêt, il y avait un bûcheron,
très hideux de sa personne, contrefait, et boiteux à cause du poids de
sa bosse, qui était la terreur de tout le pays; car, le plus souvent, il
ne se bornait pas à bûcheronner les arbres; embusqué dans quelque
ravine, il attendait, la hache levée, le voyageur sans défiance, et lui
tranchait le cou, aussi habilement que l’aurait pu faire le bourreau le
plus expérimenté. Cela fait, il fouillait le cadavre, et, avec l’argent
qu’il trouvait dans les poches, il achetait des vivres et du vin, dont
il se gorgeait dans sa hutte en poussant de grands cris de joie. De
sorte que ce méchant homme fut plus heureux que beaucoup d’honnêtes
gens, tant qu’il passa des voyageurs dans sa forêt. Mais elle eut
bientôt si mauvaise renommée que des gens même très hardis faisaient de
longs détours plutôt que de la traverser; le bûcheron chôma. Durant
quelques jours, il vécut tant bien que mal du reste de ses anciennes
ripailles, rongeant les os, égouttant dans sa tasse le fond des
bouteilles mal vidées. C’était un maigre régal pour un affamé et pour un
ivrogne tel que lui. La rigueur de l’hiver mit le comble à son
infortune. Dans son repaire, où soufflait le vent, où neigeaient les
flocons, il mourait de froid, en même temps que de faim; quant à
demander secours aux habitants du proche village, il n’y pouvait pas
songer, à cause de la haine qu’il s’était attirée. Vous pensez:
«Pourquoi ne faisait-il point de feu avec des fagots et des broussailles
sèches?» Eh! parce que le bois, comme les feuilles, était si pénétré de
gel, qu’il n’y avait pas moyen de l’allumer. On peut supposer aussi
qu’afin de punir ce vilain homme, une volonté inconnue empêchait le feu
de prendre. Quoi qu’il en soit, le bûcheron passait de fort tristes
journées et de plus tristes nuits, près de sa huche vide, devant son
foyer noir; le voyant grelottant et maigre, vous n’auriez pas manqué de
le plaindre, si vous aviez ignoré combien il avait mérité sa misère par
ses crimes.

Cependant quelqu’un eut pitié de lui. Ce fut une méchante fée, appelée
Mélandrine. Comme elle se plaisait à voir le mal, il était naturel
qu’elle aimât ceux qui le faisaient.

Une nuit donc, qu’il se désolait de plus belle, claquant des dents,
l’onglée aux doigts, et qu’il eût vendu son âme,--qui, à vrai dire, ne
valait pas grand’chose,--pour une flambée de sarment, Mélandrine se fit
voir à lui, sortant de dessous terre; elle n’était point belle et blonde
avec des guirlandes de fleurs dans les cheveux, elle ne portait pas une
robe de brocart, resplendissante de pierreries; mais laide, chauve,
bossue aussi, haillonneuse comme une pauvresse, vous l’auriez prise pour
une vieille mendiante des chemins; car, étant méchante, on ne peut pas
paraître jolie, même quand on est fée.

--Ne te désespère pas, pauvre homme, dit-elle; je veux te venir en aide.
Suis-moi.

Un peu étonné de cette apparition, il marcha derrière Mélandrine jusqu’à
une clairière où l’on voyait des amas de neige.

--Maintenant, allume du feu, reprit-elle.

--Eh! madame, la neige ne brûle pas!

--C’est en quoi tu te trompes. Tiens, prends cette baguette en bois de
cornouiller, que j’apportai pour toi; il te suffira d’en toucher l’un de
ces grands tas blancs, pour avoir le plus beau feu que l’on vît jamais.

Il fit comme elle avait dit. Jugez de son étonnement! A peine la branche
s’en était-elle approchée, que la neige se mit à flamber, comme si elle
eût été, non de la neige, mais de l’ouate; toute la clairière fut
illuminée de flammes.

A partir de ce moment, le bûcheron, tout en continuant d’avoir faim, ne
connut plus du moins la souffrance d’avoir froid; dès qu’il avait un
petit frisson, il faisait un tas de neige dans sa hutte ou sur le
chemin, puis il le touchait de la baguette que lui avait laissée
Mélandrine, et se chauffait devant un bon feu.


III

Quelques jours après cette aventure, il y avait une grande agitation
dans la capitale du royaume voisin; la cour du palais était pleine de
pertuisaniers qui faisaient sonner leurs hallebardes sur les dalles.
Mais c’était surtout dans la salle du trône que l’émotion était grande:
les plus puissants princes de la terre, avec beaucoup d’autres jeunes
hommes, s’y étaient donné rendez-vous pour tenter, dans une lutte
courtoise, d’émouvoir enfin la Belle au cœur de neige.

Le neveu de l’empereur de Trébizonde courba le genou.

--Je commande à plus d’hommes armés qu’il n’y a de feuilles dans toutes
les forêts, et j’ai, dans mes coffres, plus de perles qu’il n’y a
d’étoiles au ciel. Voulez-vous, ô princesse, régner sur mes peuples et
vous parer de mes perles?

--Qu’a-t-il dit? demanda la princesse.

A son tour le fils du roi de Mataquin s’agenouilla.

--Quoique jeune encore, j’ai vaincu dans les tournois les plus illustres
preux, et, d’un seul coup d’épée, j’ai tranché les cent têtes d’une
tarasque qui dévorait tous les nouveau-nés et toutes les vierges de mon
royaume. O princesse, voulez-vous partager ma gloire qui grandira
encore?

--Il a parlé si bas, dit la princesse, que je ne l’ai pas entendu.

Et d’autres princes, après l’héritier de Trébizonde et l’héritier de
Mataquin, vantèrent leur puissance, leur richesse, leur gloire; il vint
ensuite, s’inclinant avec de tendres paroles, des poètes qui jouaient de
la guitare comme un séraphin de la harpe, des chevaliers qui avaient
défendu l’honneur des dames dans les plus périlleux combats, de jeunes
pages aussi, tremblants, roses de pudeur, dont la lèvre frémissait dans
l’espérance d’un baiser.

Mais la Belle au cœur de neige:

--Que veulent tous ces gens-là? Qu’on les prie de sortir; je ne saurais
endurer plus longtemps leur bavardage, et j’ai hâte d’être seule pour me
regarder dans mon miroir.

--Ah! ma fille, ma fille, dit la nourrice, crains d’irriter les bonnes
fées!

Alors s’avança un rustaud, très hideux de sa personne, contrefait,
boiteux à cause du poids de sa bosse. Les courtisans, qui étaient au
pied du trône, voulurent l’écarter, se moquant de ce paysan qui se
mêlait de prétendre à la main d’une royale personne. Lui, cependant,
continua d’approcher, et, d’une baguette qu’il avait dans la main,
toucha le corsage de l’indifférente enfant. «Ah! que je l’aime!»
s’écria-t-elle, sentant tout son être s’allumer et fondre en tendresse.
Vous pensez l’émoi qui s’ensuivit! Mais un roi n’a que sa parole; le
père de la princesse dut la laisser aller avec le méchant bûcheron vers
la forêt mal famée; elle y vécut fort malheureuse, car son amour ne
l’aveuglait pas au point de lui cacher combien en était indigne celui
qui l’avait inspiré; et ce fut le châtiment de la Belle au cœur de
neige.




LES DEUX MARGUERITES


I

Lambert et Landry, qui n’étaient point heureux dans leur famille, étant
fils de très pauvres gens, résolurent de s’en aller à travers le monde,
afin de chercher fortune. Ce fut par une matinée de printemps qu’ils se
mirent en chemin. Landry avait quinze ans. Lambert en avait seize; ils
étaient donc bien jeunes pour vagabonder de la sorte; avec beaucoup
d’espoir, ils avaient un peu d’inquiétude. Mais ils furent
singulièrement réconfortés par une aventure qui leur échut dès le
commencement du voyage.

Comme ils longeaient la lisière d’un petit bois, une dame vint à leur
rencontre; elle était toute parée de fleurs; des boutons d’or et des
pimprenelles riaient dans ses cheveux, les volubilis dont
s’enguirlandait sa robe tombaient jusqu’à ses mignons souliers de mousse
pareille à du velours vert; ses lèvres ressemblaient à une églantine,
ses yeux à des bleuets. Chaque fois qu’elle bougeait, des papillons
s’envolaient d’elle dans un éparpillement de rosée. Et il n’était pas
surprenant qu’il en fût ainsi, puisque c’était la fée Primevère, que
l’on voit, dès l’avril, passer avec une chanson dans les bois reverdis
et par les prés refleurissants.

--Çà, dit-elle aux deux frères, puisque vous partez pour un long voyage,
je veux faire à chacun de vous un don. Landry, reçois cette marguerite,
et, toi, Lambert, une marguerite aussi. Il vous suffira d’arracher à ces
fleurs un pétale et de le jeter au loin, pour éprouver à l’instant même
une joie sans pareille, qui sera précisément celle que vous aurez
désirée. Allez, suivez votre chemin, et tâchez de faire bon usage des
présents de Primevère.

Ils remercièrent avec beaucoup de politesse cette obligeante fée, puis
ils se remirent en route, aussi satisfaits que possible. Mais, arrivés
en un carrefour, il y eut entre eux un désaccord: Lambert voulait aller
à droite, Landry voulait aller à gauche; si bien qu’ils convinrent, pour
finir la querelle, que l’un comme l’autre agirait à sa guise, et ils se
séparèrent après s’être embrassés. Peut-être chaque frère n’était-il
point fâché d’être seul afin d’user plus librement du don que lui avait
fait la dame habillée en fleurs.


II

En entrant dans le prochain village, Landry aperçut une jeune fille
accoudée à la fenêtre, et il eut peine à retenir un cri, tant elle lui
paraissait jolie! Non, il n’avait jamais vu une aussi charmante
personne; même il n’avait jamais rêvé qu’il pût en exister de pareille.
Presque une enfant encore, avec des cheveux si légers et si blonds qu’on
les distinguait à peine de l’air ensoleillé, elle avait le teint pâle
ici et là un peu rougissant--lys au front, rose aux joues; ses yeux
s’ouvraient comme une éclosion de pervenches où luirait une perle de
pluie; il n’était pas de lèvres qui, près des siennes, n’eussent voulu
être abeilles. Landry se garda bien d’hésiter! Il arracha, jeta au loin
l’un des pétales de sa marguerite: le vent n’avait pas encore emporté le
frêle débris, que l’enfant de la fenêtre était dans la rue, souriant au
voyageur. Ils s’en allèrent vers le bois voisin, les mains unies, se
parlant bas, se disant qu’ils s’aimaient; rien qu’à s’entendre, ils
éprouvaient de telles délices, qu’ils se croyaient dans le paradis. Et
ils connurent beaucoup de moments pareils à ce premier moment, beaucoup
de jours aussi doux que ce premier jour. C’eût été le bonheur sans fin,
si l’enfant n’avait trépassé un soir d’automne, pendant que les feuilles
flétries, envolées dans la bise, heurtaient à petits coups les vitres,
comme les doigts légers de la mort qui passe. Landry pleura pendant
longtemps; mais les larmes n’aveuglent pas si bien que l’on ne puisse
regarder au travers: une fois, il vit une belle passante, vêtue de satin
d’or, les yeux hardis, la lèvre folle; et, jetant au vent un pétale
encore, il partit avec elle. Dès lors, insoucieux, demandant à chaque
heure d’être une joie et à chaque joie de ne durer qu’une heure, épris
sans relâche de ce qui charme, affole, extasie, il dépensa les jours et
les nuits, sans compter, dans tous les rires et dans tous les baisers.
La brise trouvait à peine le temps de remuer les branches des rosiers et
de soulever les voilettes des femmes, étant toujours occupée à emporter
les pétales de la marguerite.


III

La conduite de Lambert fut tout à fait différente. C’était un jeune
garçon économe, incapable de gaspiller son trésor. Dès qu’il se trouva
seul sur le chemin, il se fit à lui-même la promesse de ménager le
présent de la fée. Car, enfin, si nombreux que fussent les fleurons de
la corolle, un jour viendrait où il n’y en aurait plus, s’il les
arrachait à tout propos. La prudence exigeait de les réserver pour
l’avenir; en agissant de la sorte il se conformerait certainement aux
intentions de Primevère. Dans la première ville où il passa, il acheta
une petite boîte très solide, fermant à clé; c’est là dedans qu’il mit
la fleur, résolu à ne jamais la regarder; il voulait éviter les
tentations. Il n’aurait pas commis la faute, lui, de lever les yeux vers
les jeunes filles des fenêtres, ou de suivre les belles passantes, aux
regards allumés, aux lèvres folles. Raisonnable, méthodique,
s’inquiétant des choses sérieuses, il se fit marchand, gagna de grosses
sommes. Il n’avait que du mépris pour ces étourdis qui passent le temps
en fêtes, sans avoir souci du lendemain; quand l’occasion s’en
présentait, il ne manquait pas de leur faire de belles semonces. Aussi
était-il fort considéré par les honnêtes gens; on s’accordait à le
louer, à l’offrir en exemple. Et il continuait de s’enrichir,
travaillant du matin au soir. A vrai dire, il n’était pas heureux comme
il eût voulu l’être; il songeait, malgré lui, aux joies qu’il se
refusait. Il n’aurait eu qu’à ouvrir la petite boîte, qu’à jeter un
pétale au vent, pour aimer, pour être aimé! Mais il refrénait tout de
suite ces velléités dangereuses. Il avait le temps! Il connaîtrait la
joie, plus tard. Il serait bien avancé, quand sa marguerite serait
dépouillée? «Patience! ne nous pressons pas!» Il ne risquait rien à
attendre, puisque la fleur était en sûreté, dans la boîte. La brise, en
rôdant autour de lui, avait beau murmurer: «Jette-moi un pétale, jette,
afin que je l’emporte et que tu souries!» Il faisait la sourde oreille;
et le vent s’en allait remuer les branches des rosiers et taquiner sur
la joue des jeunes femmes la dentelle des voilettes.


IV

Or, après beaucoup, beaucoup d’années, il arriva un jour que Lambert, en
visitant ses propriétés, rencontra dans la campagne un homme assez mal
vêtu qui longeait un champ de luzerne.

--Eh! dit-il, que vois-je? N’est-ce pas toi, Landry, mon frère?

--C’est bien moi, répondit l’autre.

--Dans quel fâcheux état je te retrouve! Tout me porte à croire que tu
as fait un mauvais usage du don de Primevère.

--Hélas! soupira Landry, j’ai peut-être jeté trop vite tous les pétales
au vent. Pourtant, quoique un peu triste, je ne me repens pas de mon
imprudence. J’ai eu tant de joies, mon frère!

--Cela te fait une belle jambe! Si tu avais été aussi circonspect que
moi, tu n’en serais pas réduit à de stériles regrets. Car, apprends-le,
je n’ai qu’un geste à faire pour goûter tous les plaisirs dont tu es
sevré.

--Est-il possible?

--Sans doute, puisque j’ai gardé intact le présent de la fée. Ah! ah! je
puis me donner du bon temps, si je veux. Voilà ce que c’est que d’avoir
de l’économie.

--Quoi! intact, vraiment?

--Regarde plutôt, dit Lambert en ouvrant la boîte qu’il avait tirée de
sa poche.

Mais il devint très pâle, car au lieu de la fraîche marguerite épanouie,
il n’avait sous les yeux qu’un petit tas grisâtre de poussière, pareil à
une pincée de cendre tumulaire.

--Oh! s’écria-t-il avec rage, maudite soit la méchante fée qui s’est
jouée de moi!

Alors, une jeune dame, toute habillée de fleurs, sortit d’un buisson de
la route:

--Je ne me suis pas jouée de toi, dit-elle, ni de ton frère; et il est
temps de vous expliquer les choses. Les deux marguerites n’étaient pas
des fleurs en effet, c’étaient vos jeunesses elles-mêmes; ta jeunesse,
Landry, que tu as jetée à tous les vents du caprice; ta jeunesse,
Lambert, que tu as laissée se flétrir, sans en faire usage, dans ton
cœur toujours clos; et tu n’as même pas ce qui reste à ton frère: le
souvenir en fleur de l’avoir effeuillée!




L’ANGE BOITEUX


Un matin qu’il se promenait, en été, sous la neige,--car, dans ce
pays-là, il neige en plein été sous le tiède soleil, et les flocons,
blancheur sans froideur, s’accrochent aux arbrisseaux en jasmins et en
lys,--le fils du roi des Iles-Pâles vit par terre quelque chose de
diamantin et d’argenté, de doucement frémissant comme une harpe que
viennent de quitter les doigts de la musicienne. Plus petite, cette
forme légère, emperlée de larmes d’aurore, aurait pu être l’aile d’une
colombe, qu’arracha et laissa choir la serre d’un autour; mais, grande,
avec un peu d’azur qui, sans doute d’avoir traversé les paradis, lui
restait au bout des plumes, elle était l’aile d’un ange; on ne pouvait
s’y méprendre. Le fils de roi, à cette vue, se sentit tout alangui de
mélancolie. Eh! quoi, un divin messager, peut-être dans une bataille
avec quelque ténébreux esprit, peut-être sous un coup de vent infernal,
avait perdu l’une de ses ailes? Avait-il commis l’imprudence de se
poser, un soir,--se trompant de chambre,--près du lit trop parfumé d’une
de ces cruelles amoureuses qui n’ont pas de plus cher plaisir que de
meurtrir ce qui vole et de déplumer les illusions? Il suffit souvent
d’une caresse ou d’un souffle de femme pour qu’une aile tombe. Quoi
qu’il en fût, il devait être fort en peine maintenant. Quelle
humiliation et quelle tristesse pour lui, les soirs de ces bals où l’on
danse avec les plus jolies des onze mille vierges, d’être raillé par ses
frères célestes, pauvre maladroit, qui valse mal, étant boiteux.
Boiteux? certainement. Puisqu’ils sont, non des corps, mais des âmes
avec des plumes, les anges ne boitent pas du pied, mais de l’aile. A
cause de cette douleur probable, le prince des Iles-Pâles songeait
douloureusement. Il ne pouvait supporter l’idée, en sa compassion, d’un
chérubin ou d’un séraphin pareil à un ramier blessé; et, cette chose
qu’il avait trouvée, si blanche, diamantine, argentée, et doucement
frémissante, il résolut de la rendre à qui l’avait perdue. Mais c’était
là un dessein plus facile à concevoir qu’à exécuter. Le moyen de trouver
l’ange qui regrettait son aile? On n’entre pas comme on veut dans le
paradisiaque séjour. Quant à faire afficher sur les murs des villes,
dans tout le royaume, que celui des élohim à qui manquait un objet
précieux le pourrait retrouver au palais du roi, c’eût été un inutile
soin; les anges n’ont pas coutume de se promener par les rues comme les
badauds humains. De sorte que le jeune prince était fort perplexe. Il
pensa qu’il ferait bien de consulter une petite fiancée qu’il avait par
amour à l’insu de ses parents. Elle était la fille d’un bûcheron dans la
forêt. L’aile sous le bras, il s’en alla la voir.

Il la rencontra sur la lisière du bois, un peu en avant de la chaumine
où elle habitait.

--Ah! chère âme, lui dit-il, c’est une triste nouvelle que j’apporte.

--Et laquelle, s’il vous plaît? demanda-t-elle.

--Un ange a perdu l’une de ses ailes blanches.

Elle rougit, mais elle ne parut pas surprise. On aurait dit qu’elle
était déjà instruite de ce fâcheux événement; et, quand il eut ajouté:
«Je suis bien décidé à la lui rendre», elle baissa les yeux, plus
rougissante encore.

--Ma chère âme, reprit-il, vous seule pouvez me révéler comment je dois
m’y prendre pour mener à bien mon entreprise. Vous êtes si jolie et si
pure que tous les célestes esprits se donnent rendez-vous, le jour, dans
vos pensées, et, la nuit, dans vos songes. Il est impossible que, les
écoutant, vous n’ayez pas entendu parler de ce qui est arrivé à l’un
d’eux.

--Hélas! dit-elle, je suis au courant des choses autant qu’il est
possible; c’est mon ange gardien, justement, qui a perdu l’une de ses
ailes.

--En vérité? votre ange gardien? voilà une singulière rencontre.
Apprenez-moi, je vous prie, comment ce malheur lui est advenu.

--Par votre faute, je vous assure! Vous vous souvenez de cette promenade
que nous fîmes ensemble, l’autre soir, sous les citronniers où les
étoiles tremblaient comme des fruits d’or?

--Comment l’aurais-je oubliée? C’est ce soir-là que vous permîtes à mes
lèvres, pour la première fois, de toucher votre joue, et, depuis ce
temps, j’ai la bouche parfumée comme si j’avais mangé des roses.

--Oui, ce soir-là, vous me donnâtes un baiser, mais, s’il me fut doux,
il fut cruel à l’ange qui me suivait parmi les branches pour m’avertir
et me défendre. L’une de ses ailes s’envola de lui, tandis que me
frôlait votre caresse. C’est la loi des gardiens à qui le ciel confie
les jeunes filles, d’être les premières victimes des péchés qu’elles
font.

--Oh! la fâcheuse loi! Je m’imagine que votre ange, estropié, doit être
fort marri.

--Plus que vous ne sauriez le croire! Penaud, chétif, incapable de
retourner au ciel quand même il l’oserait, il se désole et pleure; et
j’ai le chagrin, la nuit, de ne pas rêver de vous, car il m’empêche de
dormir, par ses lamentations.

--Il importe donc que nous lui rendions, à tout prix, son aile! Je ne
saurais me repentir du mal que j’ai fait, mais je voudrais pourtant
qu’il eût un moyen de le réparer.

--Je pense qu’il y en a un, murmura-t-elle.

--Oh! lequel? dites vite!

--Il faudrait (elle parlait si bas qu’il l’entendait à peine), il
faudrait remettre les choses en l’état où elles étaient avant la
promenade sous les beaux citronniers. Mon ange a perdu son aile parce
que j’ai reçu votre baiser; il la reprendrait sans doute, si...

--Si?... achevez, de grâce?

--Si je vous le rendais!

En disant ces mots, frémissante et la pudeur aux joues, elle avait l’air
d’une sensitive qui serait une rose; et comme le prince s’approchait
d’elle, extasié du moyen qu’elle avait imaginé, elle s’enfuit à travers
les branches qui, secouées, éparpillèrent dans le soleil des
gouttelettes de diamant et d’or.

Il courut, la rejoignit, la força de s’asseoir au pied d’un myrte plus
grand que les grands chênes; dans le mystère profond des bois, parmi le
silence des nids qui se taisaient pour entendre, il lui parlait à
genoux, comme on prie dans les temples.

--Vous que j’aime! vous que j’adore! pourquoi me fuir, après cette
parole! Ne m’avez-vous donné l’espérance de vos lèvres sur ma joue, que
pour me laisser, plus amer, le désespoir de ne les avoir pas senties s’y
poser, doucement? Oh! comme les fleurs sont ravies quand s’y ferme le
vol d’un hélïas qui tremble; c’est de délice que frémit l’eau rayée de
libellules; on ne peut concevoir la joie des feuilles qu’une colombe
frôle. Mais combien je serais plus heureux que la fleur où le papillon
se clôt, et que l’onde sous le tremblement des demoiselles, et que le
feuillage caressé de plumes, si votre bouche,--ah! votre
bouche--m’effleurait de son souffle de rose!

Elle ne répondait pas, détournait la tête, ne voulait pas voir le cher
visage d’enfant, épanoui comme le matin où elle aurait eu tant de
plaisir à mettre un long baiser.

Il continua de parler, tristement:

--C’est donc que vous êtes bien cruelle, puisque vous ne voulez pas! Je
comprendrais que vous me refusiez l’incomparable joie que j’implore,
s’il ne s’agissait que de moi, que vous n’aimez pas assez. Mais, ô
méchante, vous ne songez donc pas à votre ange qui pleure son aile
blanche? Oubliez-vous qu’en me restituant le baiser reçu, vous lui
rendriez le libre vol parmi les nuées et les étoiles de son paradis?
Comme il est malheureux, et comme il est à plaindre! il se traîne sur le
sol, au lieu de planer dans les aurores; accoutumé à resplendir de jour,
il est tout gris de poussière. Avez-vous jamais vu une tourterelle à
demi morte qui veut regagner sa branche, et ne peut pas? C’est à cet
oiseau qu’il ressemble. Ah! le pauvre. Si vous n’avez point pitié de
moi, ayez pitié de lui, et résignez-vous à me rendre heureux, afin qu’il
le soit!

Ce fut certainement à cette considération que céda l’hésitante jeune
fille. Elle jugea que son devoir lui ordonnait de consentir au bonheur
d’un homme pour le bonheur d’un ange; et, lentement, avec ce retard des
choses qui se savent désirées, ses lèvres s’approchèrent de la jeune
joue en fleur. Elles s’y posèrent! Un frémissement secoua les
branchages. C’était l’ange qui s’envolait, avec deux ailes, joyeusement.
Seulement les deux ailes, qui furent blanches, étaient roses, comme les
deux baisers.




LES TRAITRISES DE PUCK


I

Un jeune homme, en armure d’argent, les ailes d’un alérion de neige
éployées à son casque, chevauchait de grand matin, sur une cavale
blanche; il arriva qu’une belle princesse, en se promenant sous les
pommiers en fleurs, le vit par delà la haie; elle fut si émue qu’elle
laissa tomber, avec un papillon qui était dessus, la jacinthe qu’elle
avait dans la main.

--En vérité, soupira-t-elle, d’où qu’il vienne, où qu’il aille, ce
cavalier emportera ma pensée avec lui.

Elle lui fit signe de s’arrêter, elle dit:

--Je vous aime, vous qui passez. Si votre désir s’accorde au mien, je
vous conduirai vers mon père, qui est le roi de ce royaume, et nous
aurons de belles épousailles.

--Je ne vous aime pas, répondit le passant.

Il suivit son chemin. La princesse poussa la porte du verger, et se mit
à courir sur la route.

--D’où venez-vous? demanda-t-elle, et où allez-vous de si grand matin,
vous qui ne voulez point vous marier avec moi?

--Je viens de la ville où habite ma bien-aimée et je vais au-devant de
mon rival qui arrive ce soir.

--Qui est votre bien-aimée?

--La fille d’un vavasseur; elle file à sa fenêtre, en chantant une
chanson que les oiseaux écoutent.

--Qui est votre rival?

--Le neveu de l’empereur de Golconde; quand il tire son épée, on croit
que le ciel va tonner, parce qu’on a vu des éclairs.

--Que disiez-vous, étant près d’elle, à votre bien-aimée?

--Je lui disais: «Donnez-moi votre cœur»; elle me le refusait.

--Que direz-vous, l’ayant rencontré, à votre rival?

--Je lui dirai: «Je veux votre sang»; il faudra bien qu’il me le donne.

--Combien j’ai peur que le vôtre ne coule! Oh! permettez que je vous
accompagne.

--La seule dont il me plairait d’être accompagné est à cette heure en
son logis.

--Laissez-moi monter en croupe auprès de vous; je n’exigerai rien de
plus.

--Les hommes n’ont pas coutume d’aller au combat avec une femme en
croupe.

Et le cavalier éperonna la cavale blanche. La fille du roi pleurait,
malheureuse pour toujours. Comme il était de très grand matin, le soleil
ouvrait à l’horizon un œil encore tout sillé d’ombre, et les pinsons,
avec les linots, éveillés et gazouillant parmi les feuillées,
projetaient entre eux des parties de plaisir à travers les bois
printaniers.


II

D’un buisson d’azalées, Puck sortit, habillé de deux feuilles de trèfle
jointes ensemble par des fils de la vierge; il est si petit, que ce
costume lui était un peu large; pour bonnet de fou, un volubilis des
haies, où tremblait, ainsi qu’une clochette, un bouton d’or mi-clos.

--Yolaine, dit Puck en riant comme un nid, pourquoi te désoles-tu si
fort?

--Mon seul amour s’en va, et je ne puis le suivre.

--Ton amour est-il ce beau jeune homme, en armure d’argent, les ailes
d’un alérion de neige éployées à son casque, qui chevauche là-bas, sur
une cavale blanche?

--C’est lui-même. Ses yeux sont bleus comme le ciel et il a les cheveux
couleur de la nuit.

Puck agita la ramille d’aubépine qui lui tient lieu de marotte.

--Quand c’est mon plaisir, Yolaine, la tortue paresseuse devance les
nuages, et les emportés étalons, soudainement ralentis, courent moins
vite que le scarabée qui met toute une heure à traverser la feuille d’un
platane. Yolaine, suis ton amour, sans inquiétude. Où il va, tu
arriveras en même temps que lui.

Tandis que Puck rentrait dans le buisson d’azalées, Yolaine se mit en
marche; les cailloux où elle posait ses petits pieds chaussés de satin
et de perles, disaient dans un joli bruit: «Merci, petits pieds
d’Yolaine.»


III

Mais le malicieux Puck, qui se plaît à ces jeux, avait trompé la
princesse. Vainement elle marcha tout le jour et tout le soir, elle ne
rejoignit point le cavalier dont les yeux étaient bleus comme le ciel.
Seulement, à minuit, sur la route, elle vit passer, sur un spectre de
cheval, un grand fantôme blanc.

--Oh! qui es-tu, forme qui passes? demanda Yolaine.

--J’étais un beau jeune homme aux cheveux couleur de la nuit;
maintenant, je ne suis plus rien. J’ai rencontré au carrefour voisin le
neveu de l’empereur de Golconde, mon rival; nous nous sommes battus, et
mon rival m’a tué.

--Où vas-tu? reprit-elle.

--Je vais à la ville, dans le logis où dort ma bien-aimée.

--Tu lui feras grand’peur! Penses-tu qu’elle t’aimera mort, toi qu’elle
n’aima point vivant? Viens avec moi, qui t’ai choisi; je te ferai de mon
lit un tombeau nuptial; je m’y endormirai pour toujours auprès de toi et
nous aurons de belles funérailles.

--Non. Cette nuit, profitant du sommeil de ma bien-aimée, je veux lui
dire adieu dans ses rêves; je baiserai, sur ses lèvres endormies, le
songe de sa chanson.

--Permets du moins que je t’accompagne; laisse-moi monter en croupe
auprès de toi!

--Ce n’est point la coutume des fantômes d’aller visiter leurs
bien-aimées avec une femme en croupe.

Et la forme s’évanouit. La fille du roi pleurait, plus désespérée
encore. Comme il était minuit passé, la lune, mélancoliquement,
argentait l’horizon, les champs, la route, d’une lueur de neige; et les
pinsons, avec les linots, endormis parmi le silence des feuilles,
rêvaient de leurs folles volées à travers les bois printaniers.


IV

Puck sortit d’un buisson d’asphodèles; il portait un habit de deuil fait
avec deux moitiés d’une tulipe noire; une petite toile d’araignée était
le crêpe de son bonnet de fou.

--Yolaine, pauvre Yolaine, dit Puck, pourquoi te désoles-tu si fort?

--Mon seul amour est mort, et je ne puis le suivre.

--Est-ce ton amour, ce fantôme qui vient de passer sur la route?

--C’est lui-même. On lui a arraché ses cheveux couleur de la nuit, et,
de regret de perdre sa bien-aimée, il a pleuré ses yeux bleus comme le
ciel.

--Je sais les herbes qui font revivre et je sais les herbes qui font
mourir. Retrouve le corps de ton préféré, je te donnerai l’herbe qui
fait revivre.

--O Puck, tu m’as déçue! Mais, si tu trompes quand il s’agit de faire le
bien, tu dis vrai, quand il s’agit de faire le mal. Donne-moi l’herbe
qui fait mourir.

--Prends-la donc dit le malicieux Puck. Dès que tu seras morte, tu
rejoindras ton amour, et jamais plus vous ne vous quitterez.

Il lui donna quatre brins d’une herbe qu’en souvenir d’une histoire
d’amour on appelle la Simonne; lorsque Puck fut rentré dans le buisson
d’asphodèles, Yolaine porta l’herbe à ses lèvres et mourut sans
souffrances.


V

Mais Puck, cette fois encore, avait trompé la princesse. Comme l’âme
d’Yolaine montait vers le ciel, elle vit une âme qui descendait vers
l’enfer. A la lueur d’une étoile, elle reconnut l’âme du beau jeune
homme.

--Où vas-tu, âme de mon seul ami?

--Hélas! hélas! j’ai parlé d’amour à ma bien-aimée dans ses rêves, et
mes baisers posthumes ont effleuré sa bouche, comme un papillon noir qui
tremble sur une rose. Je suis damné, je vais en enfer.

--Veux-tu que je te suive, moi qui suis morte pour te revoir? Je te
consolerai dans les tourments, je te relèverai dans les défaillances, je
t’aimerai dans l’éternité. Mon amour sera la source de calme et de
résignation offerte aux lèvres de ta douleur. Veux-tu que je te suive?

--Non, le souvenir de ma bien-aimée doit seul m’accompagner.

Et l’âme du beau jeune homme se perdit dans les ténèbres, tandis que
l’âme de la jeune fille s’élevait, seule, vers l’affreux Paradis!
Pendant ce temps, Puck, satisfait du succès de ses ruses, préparait dans
la mousse d’un chêne, avec des brindilles en croix, des pièges où se
prendraient les coccinelles réveillées.




LES LARMES SUR L’ÉPÉE


I

Une fois que le preux Roland revenait de combattre les Morisques, il
entendit conter par un pâtre,--tandis qu’il laissait souffler son cheval
dans une gorge pyrénéenne,--que non loin de là un enchanteur se rendait
odieux à tout le pays par sa tyrannie et par sa cruauté. A ce récit, le
cheval dressa l’oreille en secouant sa crinière, prêt à prendre le
galop, car il n’ignorait pas que son maître, d’ordinaire, mettait peu
d’intervalle entre le moment où on lui révélait de tels forfaits et
celui où il châtiait les coupables. Mais le justicier, patient ce
jour-là, interrogea longuement le berger de la montagne. Il apprit de
fort étranges choses. Le mauvais magicien, qui habitait dans un château
près de la mer, ne se bornait pas à dépouiller les voyageurs, à dévaster
les campagnes, à incendier les villages, à meurtrir les vieillards et à
forcer les filles; il triomphait de tous les nobles hommes qui venaient
le défier dans l’intention de mettre un terme à tant de barbaries; il
avait fait mordre la poussière aux plus valeureux; même par la fuite on
ne se dérobait point au trépas. Devant le donjon, que battait d’un côté
la furieuse mer, il y avait des tas énormes d’os rongés par les bêtes,
blanchis par la pluie; et toujours une bande de corbeaux, flottant et se
déroulant sous le ciel, mettait au sommet de la tour une bannière noire.
Le bon Roland ne put s’empêcher de rire! le moyen de croire qu’un
méchant sorcier avait vaincu des paladins bardés de fer, l’épée ou la
lance au poing! Le conteur ne savait ce qu’il disait, ou bien ceux qui
avaient défié le seigneur du donjon étaient des couards indignes du nom
de chevalier, de petits pages ayant revêtu, pour se jouer, des habits de
bataille. «Bon seigneur, dit le pâtre, ce n’est point par son courage
que l’enchanteur met à mal tous ses ennemis; il a inventé, grâce à son
infernale science, une arme inconnue jusqu’à ce jour, qui tue de loin,
sans danger pour celui qui tue.--Hein?» fit Roland, rempli de surprise
et sentant un dégoût lui monter aux lèvres comme s’il eût avalé une
viande gâtée. Le berger continua: «Il n’a garde de descendre dans la
plaine, de faire face aux combattants; car il sait bien que s’il offrait
sa poitrine, même couverte de bronze, une pointe ne tarderait pas à y
entrer. Il se tient blotti derrière sa muraille, ou derrière le tas des
os amoncelés; puis, de sa cachette, dans un bruit sec, une flamme sort
tout à coup, et, sans avoir le temps de dire un _Pater_, le chevalier,
qui s’avançait avec confiance, tombe sur la terre, une plaie rouge à la
gorge ou au front.

--Par Jésus vainqueur de Tervagant! s’écria le neveu de Charlemagne; je
n’ouïs jamais parler d’une si lâche façon d’agir! il est vraiment fort
heureux que je me sois arrêté dans ce lieu sauvage pour laisser souffler
mon cheval; car je pense qu’avant le jour prochain, si les saints me
prêtent assistance et si sa demeure n’est point trop éloignée, j’aurai
châtié le traître dont la vie est une offense à Dieu. Mais sait-on,
parle avec franchise, comment, de quoi, est faite cette arme
diabolique?--On assure qu’elle se compose d’un tube assez long où
s’allume d’un côté un morceau de salpêtre et d’où sort, de l’autre côté,
une bille de métal, qui fend l’air, va droit au but, et frappe avec la
vitesse de la foudre.» Roland n’en demanda pas davantage; il assembla
les brides, serra ses genoux où les ferrailles grincèrent; et le cheval,
la crinière envolée, galopait vers le rivage de la mer. Mais le preux
baissait la tête, tristement, pendant cette chevauchée. Il lui répugnait
d’avoir à salir son épée du sang d’un lâche. C’était la première fois
qu’il allait au combat sans plaisir.


II

Les nuées du couchant étaient rouges sur la mer, quand apparut le
château; on aurait pu croire que c’était de tous les crimes commis
devant ces pierres que s’ensanglantait l’horizon. Roland s’arrêta,
regardant l’horrible habitacle vers lequel montait, sous le ciel noir
d’oiseaux croassants, un pâle escalier de squelettes! Il cherchait,
entre les ossements, un sentier; il vit qu’il n’y en avait point tant
les débris humains étaient nombreux, pressés, entassés; impossible
d’arriver jusqu’au donjon sans marcher sur la mort. Ah! généreux
combattants, venus de tous les coins du monde pour affronter le perfide
enchanteur, vous qu’avait lâchement frappés, de loin, un invisible
adversaire, combien Roland, dans son âme, vous plaignait et vous
honorait! Combien il souffrirait d’entendre, sous les sabots de son
cheval, craquer vos os sans sépulture! En même temps, une colère lui
venait, terrible; et le devoir de vous venger l’emporta sur l’instinct
de vous respecter. Il piqua des deux, Durandal au poing! Alors, là-bas,
d’entre les pierres, une lueur pétilla dans un fracas rude qui roula
d’écho en écho; un sifflement effleura l’oreille du cavalier. Le sorcier
se servait de sa traîtresse invention. Mais il n’eut pas le loisir d’en
user une seconde fois. Sous la poussée de Roland, qui était descendu de
cheval, une porte grinça, geignit, cria, bâilla parmi un écroulement de
pierres, et, saisi à la gorge, étranglé, crachant son âme dans un
blasphème, l’enchanteur tomba sur les dalles, à côté de son arme
inutile, tandis que le preux, à peine essoufflé, souriait, content de
lui. Pendant ce temps les corbeaux s’envolaient de la tourelle qui
s’illumina de clarté sous l’adieu du soleil; ce fut comme si une
oriflamme de lueur et d’or remplaçait la noire bannière. Mais Roland
cessa bientôt de sourire. Après avoir repoussé du pied le cadavre, il se
pencha, ramassa l’arme, la considéra longtemps, la mania avec dégoût.
Elle se composait, en effet, d’un tube à deux ouvertures; par l’une la
mort entrait, elle sortait par l’autre. Le preux songeait avec
mélancolie.


III

Quand la nuit fut tout à fait venue, il marcha vers la mer. Une barque
était là, il y entra, rompit l’amarre, rama de ses bras forts vers le
large; l’acier de son armure, dans le va-et-vient du corps, reluisait
sous les étoiles. Où allait-il? Quel voyage le tentait dans les
ténèbres? Las de fatigues guerrières, avait-il conçu le dessein de se
reposer dans l’une des îles miraculeuses où de belles fées caressent de
leurs mains légères, éventent avec de grandes feuilles vertes, les
chevaliers endormis? Ou bien, instruit de quelque injustice sous des
cieux très lointains, avait-il résolu, fidèle à sa mission, de faire
luire, là-bas, parmi les mensonges et les traîtrises, la tranchante
équité de l’épée? Non, il voulait achever son œuvre de ce jour,
incomplète encore. L’enchanteur gisait sans vie, le château renversé se
dressait comme l’énorme et glorieux sépulcre de tant de chevaliers
vaincus par trahison; c’était bien; ce n’était pas assez! Il fallait que
l’arme lâche, avec laquelle on frappe de loin, disparût pour toujours,
ne pût jamais être retrouvée. Il avait d’abord songé à la briser; mais
un méchant homme en aurait pu ramasser les morceaux, aurait pu faire une
arme semblable, d’après les débris rassemblés. La cacher sous la terre?
Qui savait si quelqu’un, un jour, par hasard, ne l’eût pas déterrée? Le
plus sûr, c’était de la jeter, la nuit, dans la mer, loin des rivages;
c’est pourquoi il ramait vers le large. Quand il fut loin de la rive,
très loin, quand il fut certain qu’il ne pouvait plus être vu, quand
lui-même il ne vit plus rien, sinon l’immensité de l’onde et l’immensité
du ciel, il se dressa, prit dans sa droite l’arme diabolique, cracha
dessus, et la lança dans la mer, où elle s’enfonça très vite. Puis il
resta pensif, sa hautaine stature, que blanchissaient les étoiles,
lentement remuée par le balancement des flots, il ne se sentait point
paisible, malgré ce qu’il avait fait. Il se disait qu’un jour ou
l’autre, dans un avenir proche ou lointain, on s’aviserait peut-être
d’inventer des appareils semblables à celui qu’il avait précipité dans
les flots; il avait, lui, le preux, qui se réjouissait des lances
rompues dans la rencontre des palefrois, des entre-choquements lumineux
des glaives, des poitrines affrontant les poitrines, des rouges
blessures proches des bras qui les firent, il avait la sombre vision
d’une guerre étrange, où l’on se hait de loin, où ceux qui frappent ne
voient pas ceux qu’ils frappent, où le plus lâche peut tuer le plus
brave, où le traître hasard, dans de la fumée et du bruit, dispose seul
des destinées. Alors, considérant Durandal, qui étincelait sous les
étoiles, Roland pleura, pleura longtemps; et ses larmes tombaient une à
une sur l’acier loyal de l’Épée.




LA PETITE FLAMME BLEUE


I

Oui, bel enfant, dit la fée, grâce à la petite flamme bleue que je t’ai
mise au front, tu pourras triompher de toutes les ténèbres, tu entreras
enfin, après beaucoup d’efforts, dans le jardin miraculeux de la Joie et
des Rêves, qui ouvre, de l’autre côté de l’ombre, sa porte de diamant.
Là, tu vivras éternellement heureux, ayant oublié les tristesses du
monde obscur, respirant un air subtil fait de l’âme des roses et de la
claire haleine des étoiles; et d’angéliques lys, par milliers, seront
les encensoirs de ta gloire. Va donc, à travers les périls, va sans
crainte et sans doute; aucune puissance humaine ou diabolique ne saurait
t’empêcher de parvenir à ton but, si tu conserves, toujours allumée, la
petite flamme bleue. Mais si elle s’éteignait,--garde-toi de la laisser
s’éteindre!--tu serais enveloppé, tout à coup, d’une nuit profonde, et,
marchant à tâtons, te heurtant à d’invisibles murs, roulant dans des
précipices imprévus, tu ne retrouverais jamais plus la route de
l’incomparable Jardin.

L’enfant remercia la bonne fée du présent qu’elle lui avait fait et des
conseils qu’elle lui donnait; il se mit en chemin par un sentier de
fleurs, qu’ensoleillait la matinée. La flamme bleue qu’il avait au front
était plus lumineuse que le jour.


II

Il ne tarda pas à rencontrer les fondrières où il eût été très facile de
se rompre le cou; sous ses pas roulaient des pierres, et, comme par
l’écho de la secousse, des blocs de marbre, à droite, à gauche,
au-dessus de sa tête, s’ébranlaient et tombaient: plus de vingt fois, il
faillit être écrasé sous ces lourdes chutes; il l’aurait été bien
certainement, si la flamme bleue, grandissante, ne l’avait enveloppé,
quand il le fallait, d’une armure diamantine où s’émiettaient, sans
l’érailler, les blocs; puis, le danger passé, elle n’était plus qu’une
petite lueur d’or et d’azur parmi les cheveux de l’enfant. Comme il
traversait la clairière d’une grande forêt, une bande de loups, les
poils hérissés, du sang et du feu aux yeux, se rua sur lui! il se crut
perdu; il sentait déjà dans sa chair d’affreuses dents dévorantes! Il en
fut quitte pour la peur. La flamme bleue, en s’inclinant, avait ébloui
les prunelles des loups qui s’enfuirent dans les broussailles en hurlant
d’épouvante. Un autre jour, comme il pataugeait parmi les joncs d’un
marécage, il arriva qu’il sortit des herbes et des fanges un grand
nombre de reptiles qui l’enlacèrent pour l’étouffer; mais la petite
lueur devint un serpent, elle aussi, un serpent pareil à un long éclair,
et les bêtes rampantes se tordirent et moururent toutes,--on eût dit des
sarments sur des braises,--dans les joncs incendiés. L’enfant qui
voyageait vers le jardin de la Joie et des Rêves échappa encore à
beaucoup d’autres périls. Il vit bien que la fée n’avait pas menti, que
rien ne pourrait lui porter dommage tant que luirait la petite flamme
bleue. Et elle ne se bornait pas à le défendre contre les méchancetés et
les maléfices; elle lui donnait de la joie au milieu des plus amers
tourments. Sa clarté dorait les tristes paysages, mettait des fleurs
vivantes dans les broussailles mortes; il n’était si sombre soir qu’elle
n’égayât d’un éparpillement d’étoiles. En même temps, l’enfant avait
comme une délicieuse caresse la chaleur qu’elle lui mettait au front; il
sentait s’y épanouir sa pensée comme éclot, dans un rayon, une fleur; et
toute son âme flambait, épurée, extasiée, sur ce divin petit bûcher.


III

Une nuit, les quatre vents, des quatre coins du ciel, se mirent à
souffler à la fois! Ce fut une si terrible tempête, sur la terre et sur
la mer, que les toits des maisons ruinées s’envolaient ainsi que des
nids d’oiseaux et que les plus grands navires, voiles arrachées et mâts
rompus, tournaient dans l’air comme une toupie sous le fouet d’un
enfant. Aucun chêne ne résista à la poussée furieuse des souffles. On
entendait, parmi les rafales, des craquements énormes, à cause des
forêts qui se couchaient sur le sol plus vite qu’une herbe foulée aux
pieds; l’effondrement des montagnes roulait en torrents de sapins et de
rocs; et la nuit était noire parce que la tempête avait éteint toutes
les étoiles. Vous pensez si l’enfant eut peur pour la petite flamme
bleue! Certainement, elle ne pourrait pas résister, si chétive, à
l’acharnement des vents. Réfugié dans la crevasse d’un mont qui ne
s’était pas encore écroulé, il essayait, joignant les mains, de la
garantir, autant que possible, de la forcenée bourrasque; mais un
redoublement de tempête s’engouffra dans le creux de la roche; il fut
renversé, tomba sur les pierres, défaillit, le front saignant. Quand il
sortit, le lendemain, de pâmoison, il se prit à pleurer. Le moyen
d’espérer que la jolie lueur n’était pas morte dans cette nuit
formidable où les astres eux-mêmes avaient cessé de briller? Mais il
vit, à travers ses larmes, un reflet tremblant de clarté sur un marbre
tombé là. O adorable prodige! Il avait toujours au front la petite
flamme bleue.

Quelques semaines plus tard, par une tiède matinée de juin,--marchant
toujours vers le jardin de la Joie et des Rêves,--il traversait une
vaste plaine où il n’y avait pas une maison, pas un arbre. Il s’étonna
d’apercevoir, au loin, vers la ligne de l’horizon, quelque chose de
long, de sombre et de lisse, avec des blancheurs par endroits, qui
s’avançait peu à peu, comme un rempart vivant détaché du ciel, dans un
profond et grossissant murmure. Il ne tarda pas à reconnaître que, ce
qui s’approchait, c’était une masse énorme d’eau! Une inondation, telle
que jamais encore il n’y en avait eu de pareille, envahissait
irrésistiblement la plaine; et toute la terre, dans un instant, ne
serait plus qu’une mer immense. L’enfant trembla de peur; non pas pour
lui-même, mais pour la petite flamme. Elle serait vaincue par l’onde, si
elle avait été victorieuse du vent. Il se mit à fuir, courant à perdre
haleine. Vainement. Le flux énorme le suivait, le suivait, le gagnait de
vitesse, l’atteignit, l’emporta. Pendant bien des heures,--tantôt
surnageant, tantôt couvert par l’humide lourdeur,--il fut une épave
roulant dans l’eau qui coule; et, quand l’inondation eut atteint un
désert brûlant dont les sables la burent, quand il fut couché sur les
fleurs d’une oasis, il sanglota, navré de n’avoir point péri. Car, cette
fois, c’en était fait, il était sûr de ne plus avoir la douce lueur au
front. Elle avait dû s’éteindre, à jamais, dans la froideur de l’eau. Il
poussa un cri de joie. Là, dans la flaque d’un creux de sable, tremblait
un reflet d’or et d’azur. Elle vivait toujours, la petite flamme bleue!

Dès lors il connut le bonheur de l’espoir sans trouble et de la
certitude. Ayant répudié tous les doutes, il marcha fièrement à la
conquête de son rêve. Puisque la vivace clarté avait triomphé de la
rafale et des flots, il était sûr d’entrer dans le miraculeux Jardin qui
ouvre, de l’autre côté de l’ombre, sa porte de diamant.


IV

Après avoir traversé toutes les villes et toutes les solitudes, après
avoir défié des ténèbres plus denses que la poix et des incendies plus
furieux qu’un coucher du soleil, il s’arrêta, ébloui, car il voyait
enfin, lumineuse et diaphane, la porte diamantine. Il était arrivé! il
allait pénétrer dans l’auguste paradis de la Joie et des Rêves; là, il
vivrait éternellement heureux, ayant oublié les tristesses du monde
obscur, respirant un air subtil fait de l’âme des roses et de la claire
haleine des étoiles; et d’angéliques lys, par milliers, seraient les
encensoirs de sa gloire.

Comme il pressait le pas, il tourna la tête, à cause d’un petit rire.
Une jeune femme lui faisait signe, à demi nue sur un lit d’herbes
fleuries, montrant, dans toute sa blancheur grasse, une bouche pareille
à une rose un peu grande et des bouts de seins, pareils à deux petites
roses.

--Eh! bel enfant, dit-elle, que vous avez donc là, au front, une jolie
flamme bleue!

--Oui, dit-il, elle est jolie.

--Vous ne savez pas ce que vous feriez si vous étiez courtois et
complaisant comme il faut l’être avec les dames?

--Que ferais-je? demanda-t-il.

--Vous me laisseriez regarder de plus près cette petite lueur; et, pour
prix, je vous donnerais un baiser de ma bouche sur votre front. Il n’est
rien de plus agréable que les baisers que je donne.

L’enfant ne vit aucun inconvénient à faire ce que voulait la jeune femme
demi-nue. Quel péril y avait-il à laisser admirer, par cette belle
créature sans méchanceté l’invincible lumière qui avait triomphé des
bourrasques et de l’eau furieuse? et il se sentait doucement ému à cause
de l’espoir du baiser.

Il inclina son front pour qu’elle y mît sa bouche, pour qu’elle regardât
à son aise la clarté d’or et d’azur.

De son côté, elle s’approchait, souriante, ouvrant ses lèvres roses.

O délicieux instant! Mais sous le souffle de la jeune femme, pendant le
baiser, la petite flamme bleue s’éteignit. Et, tout à coup, le voyageur
fut enveloppé d’une nuit profonde. Et depuis bien des années il se
lamente, marchant à tâtons, se heurtant à d’invisibles murs, roulant
dans des précipices imprévus. Et jamais plus il ne retrouvera la route
de l’incomparable Jardin.




MARTINE ET SON ANGE


I

En ce temps-là, dans ce pays, il y avait une enfant de quinze ans,
appelée Martine, qui était sur le point de rendre l’âme. La maladie
l’avait prise tout à coup; maintenant elle allait trépasser. Ses
parents, de pauvres campagnards qui ne possédaient rien autre chose
qu’une vieille chaumière au milieu d’un maigre champ, éprouvaient une
cruelle affliction; car ils aimaient tendrement la jolie moribonde. La
mère surtout se désespérait; d’abord, parce qu’elle était la mère, et
puis parce que, la chaumière se trouvant très loin du village, elle
craignait que M. le curé n’arrivât pas avant la mort de Martine. Très
dévote, elle pleurait en songeant que sa fille cesserait de vivre sans
s’être confessée et sans avoir reçu l’absolution.

--Pour ce qui est de cela, n’ayez point de souci, madame, dit une voix
si douce que les parents, malgré leur douleur, en eurent l’ouïe
enchantée.

En même temps, ils voyaient, derrière le lit de l’agonisante, se lever
une forme blanche, un peu vague, avec des ailes.

La voix reprit:

--Je suis l’ange gardien de Martine, et je pense qu’un ange peut
remplacer un prêtre sans aucun désavantage. Tenez-vous dans ce coin,
là-bas, ne retournez pas la tête. Votre enfant me dira ses péchés: comme
elle est tout à fait innocente, ce sera l’affaire d’un moment.


II

Il arrive peu souvent qu’une jeune fille se confesse à un ange; la chose
arriva en ce temps-là dans ce pays. Martine eut bientôt fait d’avouer
ses menues peccadilles; le divin messager allait la bénir, pardonnée,
non des mains, mais des ailes, lorsqu’elle se souvint d’une grosse faute
qu’elle avait commise, la semaine passée. Envieuse d’un mouchoir de cou,
en soie rose, si joli, que lui avait montré une voisine, elle l’avait
dérobé pour s’en parer. Double crime: coquetterie et larcin. L’ange
demeura perplexe.

--Je ne sais, dit-il, si je dois vous absoudre d’un tel péché. Où
est-il, ce mouchoir?

--Sous l’oreiller, mon bon ange.

--Il faudrait le restituer.

--Oh! ce serait de grand cœur. Mais le puis-je? Malade comme je suis, je
ne saurais faire un pas ni même descendre de mon lit; et la maison de la
voisine est de l’autre côté du petit bois.

--Qu’à cela ne tienne, dit l’ange gardien qui avait réponse à tout.
Faisons un troc, pour un instant: donnez-moi votre maladie, prenez ma
bonne santé; et je resterai dans le lit au lieu de vous, tandis que vous
irez rapporter le mouchoir. Vos parents ne s’apercevront de rien; je
cacherai mes ailes sous le drap.

--Je ferai comme il vous plaira, dit Martine.

--Mais surtout gardez-vous de perdre le temps en chemin! Imaginez ce qui
arriverait si l’heure marquée pour votre mort sonnait avant votre
retour: il me faudrait mourir à votre place; ce qui serait tout à fait
malséant, puisque je suis immortel.

--N’ayez crainte, mon ange! Je ne vous exposerai pas à un si grand
malheur. Quelques minutes suffiront pour que j’aille et revienne.

Là-dessus, se sentant aussi dispose qu’il est possible de l’être, elle
sauta du lit et se vêtit à la hâte, en silence, pour ne pas attirer
l’attention de ses parents; quand ceux-ci se retournèrent, ils virent
sur l’oreiller un doux visage pâle, avec des cheveux blonds; sans doute
c’était l’ange, qui cachait ses ailes sous le drap.


III

Courant à travers les branches, sautant les fossés, Martine faisait
toute la diligence possible. Bien que ce fût déjà nuit noire, elle
connaissait trop bien la route pour qu’il y eût le moindre risque
qu’elle s’égarât. Elle arriva sans retard à la maison de la voisine,
entra sans frapper, glissa dans un bahut le mouchoir de soie rose,--par
bonheur, il n’y avait personne au logis,--et s’en revint sur ses pas. A
vrai dire, elle marchait un peu moins vite que tout à l’heure. Était-ce
qu’elle hésitait, au moment de rendre à son ange la santé qu’il lui
avait prêtée? Pas du tout. Elle lui gardait une grande reconnaissance de
ce qu’il avait fait pour assurer le salut éternel d’une pauvre fille, et
se sentait résolue à tenir sa promesse. Non certes, non, elle ne le
laisserait pas mourir au lieu d’elle! Si elle ne courait point, à
présent, c’était à cause de la fatigue. Puis, un rossignol chantait dans
les branches nocturnes tout argentées de lune, et qu’y a-t-il de plus
doux à écouter que ce chant la nuit? Elle l’entendait, hélas! pour la
dernière fois. En même temps une tristesse lui venait à penser qu’il y
aurait demain un ciel de lune et d’étoiles, qu’elle ne verrait point.
C’était affreux, ce lit, si proche, où elle s’endormirait pour toujours.
Mais elle secoua ces lâches regrets! Elle s’élança, et, déjà, elle
apercevait dans l’ombre la vieille chaumière au milieu du champ,
lorsqu’une musique de violon sonna dans le lointain. On dansait, là-bas,
dans le hangar d’une ferme. Elle s’était arrêtée. Elle écoutait,
troublée, ravie. Elle se disait que c’était tout près, cette ferme;
qu’une valse,--une toute petite valse,--ne dure pas longtemps; rien de
plus mal sans doute que de faire attendre l’ange qui souffrait pour
elle; mais enfin, l’heure où elle devait mourir n’était pas, peut-être,
si proche qu’on le croyait...


IV

Après une valse, ce fut une autre valse, une autre, une autre encore!
Avant chacune, «la dernière! pensait Martine, puis je m’en irai mourir.»
La musique recommençait; l’enfant n’avait pas la force de s’éloigner.
Elle avait des remords, certainement, mais des remords qui dansaient
avec elle. Pourtant, quand minuit sonna, elle réunit tout son courage.
Elle ne resterait pas une minute de plus! Elle reprendrait sa place dans
le lit mortuaire! Comme elle sortait du bal, elle se trouva en face d’un
jeune homme si beau qu’elle n’avait jamais rêvé qu’il en pût exister de
pareil. Et ce n’était pas un paysan, ni l’un des seigneurs des châteaux
voisins, mais le roi lui-même qui, revenant cette nuit-là d’une chasse
où il s’était égaré avec quelques courtisans, avait fait halte devant la
ferme pour voir comment se divertissent les gens de la campagne. A
l’aspect de Martine, il demeura ébloui,--jamais il n’avait admiré à la
cour une princesse aussi belle que cette fillette des champs,--et il
devint tout pâle tandis qu’elle devenait toute rose. Après un silence,
où ils achevèrent de s’éprendre l’un de l’autre à un point qu’on ne
saurait dire, le roi n’hésita pas à s’écrier que son cœur était fixé
pour toujours, qu’il n’aurait point d’autre femme que cette exquise
bergère. Il ordonna qu’on fît approcher un carrosse où elle prendrait
place pour venir à la cour. Hélas! Martine, délicieusement émue, ne put
s’empêcher de monter dans la royale voiture; en même temps, elle avait
le cœur bien gros en songeant à l’ange gardien qui se mourait dans la
chaumière, qui était peut-être mort, maintenant.


V

Elle fut reine, elle eut des palais merveilleux, et la joie des fêtes,
et la gloire d’être la plus illustre avec l’orgueil d’être la plus
belle. Mais ce qui la ravissait surtout, ce n’étaient pas les louanges
des chambellans et des ambassadeurs, ce n’était pas de marcher sur des
tapis de soie et d’or, de porter des robes fleuries de toutes les roses
et constellées de tous les diamants, non, c’était l’amour toujours
vivant, toujours grandissant, qui brûlait pour le roi, dans son cœur,
qui brûlait, dans le cœur du roi, pour elle. Ils éprouvaient l’un pour
l’autre une tendresse non pareille. Dans tout le vaste monde, ils ne
voyaient qu’eux seuls. Les affaires de l’État étaient le moindre de
leurs soucis; qu’on leur permît de s’adorer en paix, ils n’avaient pas
d’autre désir; et, sous leur règne, on ne fit point la guerre, tant ils
s’occupaient à faire l’amour. Au milieu d’une telle joie, Martine
songeait-elle au céleste messager qui avait pris sa place, par charité
pure? Rarement. Son bonheur ne lui laissait pas le temps de ce chagrin.
Que si,--parfois,--un remords lui venait de n’avoir pas accompli sa
promesse, elle s’en délivrait en se disant que Martine, dans la
chaumière, n’était peut-être pas aussi malade qu’il paraissait, et que
l’ange avait dû guérir. D’ailleurs, elle ne s’inquiétait guère de ce
passé si obscur, si lointain, et elle ne pouvait pas avoir de tristesse
puisqu’elle s’endormait tous les soirs, la tête sur l’épaule de son
royal époux. Mais il advint une chose terrible: le roi disparut un jour,
pour ne plus reparaître, et personne ne put savoir ce qu’il était
devenu.


VI

Dès qu’elle fut seule, dès qu’elle fut malheureuse, Martine se souvint
de l’ange qui l’avait attendue en vain. Quand on est à plaindre, on est
enclin à avoir pitié. Elle se reprocha amèrement d’avoir condamné au
trépas le miséricordieux immortel,--car, depuis longtemps, sans doute,
il avait cessé d’exister,--et, un jour, s’étant revêtue d’un habit de
pauvresse, d’un habit pareil à ceux qu’elle portait jadis, elle
s’achemina vers la chaumière au milieu du champ. Espérait-elle qu’il
serait temps encore de reprendre sa place dans le lit fatal? Oh! non,
elle savait bien qu’elle avait commis une faute irréparable; mais elle
voulait revoir, pèlerine repentante, le lieu où avait souffert celui qui
s’exposa pour elle. La chaumière n’était plus que décombres dans la
plaine en jachère. En s’informant chez les voisins qui se gardèrent bien
de la reconnaître, Martine apprit que les habitants de la demeure
aujourd’hui ruinée avaient quitté le pays, autrefois, après la mort
d’une fille chérie; et l’on ne savait pas quel chemin ils avaient suivi.
Quant à l’enfant, elle était enterrée dans le petit cimetière, au flanc
de la colline. Ainsi, c’était certain, le céleste remplaçant était mort
à l’heure où elle aurait dû mourir elle-même, et on l’eût ensevelie si
on ne l’avait pas enseveli. Du moins elle irait prier sur la tombe de
l’ange. Elle entra dans le cimetière, s’agenouilla devant une croix
basse où on lisait le nom de Martine parmi les hautes herbes fleuries.
Comme son cœur se déchirait! Comme elle se jugeait coupable! Avec quels
sanglots elle implorait la divine clémence! Mais une voix lui dit, une
voix si douce que, malgré sa douleur, elle en eut l’ouïe enchantée:

--Ne vous désolez pas, Martine; les choses n’ont pas aussi mal tourné
que vous pouvez le croire.

En même temps, elle voyait, derrière la croix, se lever une forme
blanche, un peu vague, avec des ailes.

La voix reprit:

--Je suis votre ange gardien, et tout est bien puisque vous voilà.
Hâtez-vous de vous coucher sous cette pierre, et j’emporterai votre âme
au paradis, afin de l’y épouser.

--Hélas! mon bon ange, combien vous avez dû souffrir, par ma faute, en
mourant, et combien vous avez dû vous ennuyer, seul si longtemps, dans
cette tombe!

--Bon! dit-il, je m’étais bien douté que vous ne reviendriez pas de
sitôt, et j’avais pris mes précautions en conséquence. Une vaine forme
abusa vos parents, sous le drap, sur l’oreiller; je vous ai suivie à
travers les branches; et, pendant le temps où j’aurais dû dormir à votre
place dans la fosse, sous les hautes herbes fleuries...

--Oh! pendant ce temps, en quel lieu étiez-vous, mon ange?

--J’étais dans notre royal palais, ma reine, où vous m’aimiez presque
autant que vous m’aimerez tout à l’heure au Paradis!




LA DERNIÈRE FÉE


Un jour, dans une calèche faite d’une coquille d’aveline et attelée de
quatre coccinelles, la fée Oriane,--qui n’était pas plus grande que
l’ongle du petit doigt,--s’en retournait vers la forêt de Brocéliande où
elle avait coutume de vivre avec ses pareilles. Elle revenait d’un
baptême de trois rouges-gorges, qu’on célébrait dans le creux d’un mur
tout fleuri de glycines; la fête avait été fort agréable dans le nid
sous les feuilles; les jolis cris des oiseaux nouveau-nés remuant leurs
ailerons roses à peine duvetés, avaient permis d’espérer que les
filleuls de la fée seraient un jour des chanteurs excellents. Oriane
était donc de très belle humeur, et, comme la joie fait qu’on est bon,
elle rendait service en chemin à toutes les personnes et à toutes les
choses qu’elle rencontrait; fourrant des bouquets de mûres dans le
panier des gamines qui s’en vont à l’école, soufflant, pour les aider à
éclore, sur les boutons d’églantines, mettant des brins d’avène
par-dessus les gouttes de rosée, de peur que les cirons courussent le
risque de se noyer en les traversant. Deux amoureux, paysan et paysanne,
s’embrassaient dans un champ où le blé vert leur venait à peine aux
chevilles; elle fit mûrir et grandir les blés afin que, de la route, on
ne vît point les baisers. Et comme, à faire le bien que vous conseilla
la joie, on devient plus joyeux encore, la fée Oriane était à ce point
pleine d’aise que, si elle n’avait pas craint de renverser la voiture,
elle se serait mise à danser dans la coquille de noisette. Mais,
bientôt, ce ne fut plus le temps d’être contente. Hélas! qu’était-il
arrivé? Elle était bien sûre d’avoir suivi la bonne route, et là où
naguère la forêt de Brocéliande remuait dans la brise les mystères
enchantés de ses profondes verdures, il n’y avait plus qu’une vaste
plaine, avec des bâtisses éparses, sous un ciel sali de noires fumées.
Qu’étiez-vous devenues, clairières vertes et dorées où l’on dansait au
clair des étoiles, fourrés de roses, buissons d’épines épanouies,
grottes où le sommeil souriait sur les mousses d’or, dans les parfums et
les musiques, et vous, palais souterrains aux murailles de cristal,
qu’illuminaient, les jours de fêtes, mille lustres de vivantes
pierreries? Qu’étiez-vous devenues, Urgande, Urgèle, Alcine, Viviane, et
Holda la païenne, et Mélusine la charmeuse, et vous, Mélandre, et vous,
Arie, et vous aussi Mab et Titania? «C’est en vain que tu les
appellerais, pauvre Oriane, dit un lézard qui s’arrêta de fuir entre les
pierres. Des hommes se sont précipités en grand nombre à travers vos
chères solitudes; pour qu’on pût bâtir des maisons, pour ouvrir un
passage à d’affreuses machines soufflant des vapeurs et des flammes, ils
ont abattu les arbres, incendié les fourrés de roses et les buissons
d’épines, comblé des pierres de vos grottes vos mystérieux palais de
cristal, et toutes les fées ont succombé dans les désastres, sous les
écroulements. J’ai vu Habonde, qui allait s’échapper, mourir avec un
petit cri sous le pied d’un passant, comme une cigale qu’on écrase.»
Entendant cela, Oriane se mit à pleurer amèrement sur la destinée de ses
compagnes chéries, sur son propre destin aussi; car, vraiment, c’était
une chose bien mélancolique que d’être la seule fée qui demeurât au
monde.

Que ferait-elle? Où se cacherait-elle? Qui la défendrait contre la
fureur des hommes méchants? La première idée qui lui vint, ce fut de
s’enfuir, de n’être plus dans ce triste lieu où ses sœurs avaient péri.
Mais elle ne put pas voyager en carrosse, comme c’était sa coutume; les
quatre coccinelles,--pour qui elle s’était toujours montrée si
bonne,--avaient entendu le discours du lézard et venaient de prendre
leur vol, avec l’ingratitude de toutes les ailes. Ce fut un coup très
dur pour la malheureuse Oriane; d’autant plus qu’elle ne détestait rien
davantage que de marcher à pied. Elle s’y résigna cependant, et se mit
en route, à pas menus, parmi les herbes plus hautes qu’elle. Elle avait
résolu de se rendre chez les rouges-gorges du mur fleuri de glycines; le
père et la mère de ses filleuls ne manqueraient pas de la bien
accueillir; leur nid lui serait un asile, du moins jusqu’à l’automne. On
ne va pas si vite, avec de toutes petites jambes, que dans une coquille
d’avelines, emportée par des bêtes-à-bon-Dieu qui voltigent. Trois longs
jours se passèrent avant qu’elle aperçût la muraille en fleur; vous
pensez qu’elle était bien lasse. Mais elle allait pouvoir se reposer
enfin. «C’est moi, dit-elle en s’approchant, c’est moi, la fée marraine;
venez me prendre, bons oiseaux, sur vos ailes, et portez-moi dans votre
logis de mousse.» Point de réponse; pas même une petite tête de
rouge-gorge, sortant d’entre les feuilles pour regarder qui est là; et,
en écarquillant les yeux, Oriane vit qu’on avait accroché au mur, à la
place où fut le nid, un morceau de faïence blanche, qui traversait le
fil d’une ligne de télégraphe.

Comme elle s’en allait, ne sachant ce qu’il adviendrait d’elle, elle
remarqua une femme qui portait dans les bras une corbeille pleine de blé
et poussait, pour entrer, la porte d’une grange. «Ah! madame, dit-elle,
si vous me gardez avec vous et si vous me protégez, vous n’aurez point
sujet de vous en repentir; les fées, comme les lutins, s’entendent mieux
que personne à démêler les bons grains d’avec la fâcheuse ivraie, et à
vanner, même sans van. Vraiment, vous aurez en moi une servante qui vous
sera très utile et vous épargnera beaucoup de peine.» La femme
n’entendit point ou feignit de ne pas entendre; elle poussa tout à fait
la porte et jeta le contenu de sa corbeille sous les cylindres d’une
machine qui nettoie le blé sans qu’on ait besoin des lutins ni des fées.
Oriane, un peu plus loin, rencontra sur le bord d’une rivière des hommes
qui se tenaient immobiles autour de ballots énormes, et il y avait, près
du bord, un navire; elle pensa que ces gens ne savaient comment s’y
prendre pour embarquer leurs marchandises. «Ah! messieurs, dit-elle, si
vous me gardez avec vous et si vous me protégez, vous n’aurez point
sujet de vous en repentir. J’appellerai à votre aide des gnomes très
robustes, qui peuvent sauter même avec des fardeaux sur les épaules; ils
auront bientôt fait de transporter toutes ces lourdes choses. Vraiment,
vous aurez en moi une bonne servante qui vous sera très utile et vous
épargnera beaucoup de peine.» Ils n’entendirent point, ou feignirent de
ne pas entendre; un grand crochet de fer, qu’aucune main ne tenait,
s’abaissa, s’enfonça dans l’un des ballots, et celui-ci, après un
demi-tour dans l’air, s’abattit lentement sur le pont du navire, sans
qu’aucun gnome s’en fût mêlé. Le jour montant, la petite fée vit par la
porte ouverte d’un cabaret deux hommes qui jouaient aux cartes, penchés
vers une table; à cause de l’obscurité grandissante, il devait leur être
fort difficile de distinguer les figures et les couleurs. «Ah!
messieurs, dit-elle, si vous me gardez avec vous et si vous me protégez,
vous n’aurez point sujet de vous en repentir. Je ferai venir dans cette
salle tous les vers-luisants qui s’allument aux lisières des bois; vous
ne tarderez pas à y voir assez clair pour continuer votre jeu avec tout
le plaisir possible. Vraiment, vous aurez en moi une servante qui vous
sera très utile et vous épargnera beaucoup de peine.» Les joueurs
n’entendirent point, ou feignirent de ne pas entendre: l’un d’eux fit un
signe, et trois grands jets de lumière, hors de trois pointes de fer,
jaillirent vers le plafond, illuminant tout le cabaret, beaucoup mieux
que ne l’auraient pu faire trois mille vers luisants. Alors Oriane ne
put s’empêcher de pleurer, comprenant que les hommes et les femmes
étaient devenus trop savants pour avoir besoin d’une petite fée.

Mais le lendemain, elle se reprit à espérer. Ce fut à cause d’une jeune
fille qui rêvait, accoudée à sa fenêtre, en regardant voler les
hirondelles. «Il est certain, pensait Oriane, que les gens de ce monde
ont inventé beaucoup de choses extraordinaires, mais, dans le triomphe
de leur science et de leur puissance, ils n’ont dû renoncer à l’éternel
et doux plaisir de l’amour. Je suis bien folle de n’avoir pas songé plus
tôt à cela.» Et, parlant à la jeune fille de la fenêtre:

«Mademoiselle, dit la dernière fée, je sais, dans un pays lointain, un
jeune homme plus beau que le jour, et qui, sans vous avoir jamais vue,
vous aime tendrement. Ce n’est pas le fils d’un roi, ni le fils d’un
homme riche, mais des cheveux blonds lui font une couronne d’or, et il
vous garde dans son cœur des trésors infinis de tendresse. Si vous y
consentez, je le ferai venir auprès de vous, avant qu’il soit longtemps,
et vous serez, grâce à lui, la plus heureuse personne qui ait jamais
existé.

--C’est une belle promesse que vous me faites là, dit la jeune fille
étonnée.

--Je la tiendrai, je vous assure.

--Mais que me demanderez-vous en échange d’un tel service?

--Oh! presque rien! dit la fée; vous me laisserez me blottir,--je me
ferai plus petite encore que je ne suis, pour ne pas vous gêner,--dans
l’une des fossettes que le sourire met aux coins de votre bouche.

--Comme il vous plaira! c’est marché conclu.»

La jeune fille avait à peine achevé qu’Oriane, pas plus grosse qu’une
perle presque invisible, était déjà nichée dans le joli nid rose. Ah!
comme elle s’y trouvait bien! Comme elle y serait bien, toujours!
Maintenant, elle ne regrettait plus que les hommes eussent saccagé la
forêt de Brocéliande, et tout de suite,--car elle était trop contente
pour négliger de tenir sa parole,--elle fit venir du pays lointain le
jeune homme plus beau que le jour. Il parut dans la chambre, couronné de
boucles d’or, et s’agenouilla devant sa bien-aimée, ayant dans le cœur
d’infinis trésors de tendresse. Mais, à ce moment, survint un fort laid
personnage, vieillissant, l’œil chassieux, la lèvre fanée; il portait,
dans un coffret ouvert, tout un million de pierreries. La jeune fille
courut à lui, l’embrassa, et le baisa sur la bouche d’un si passionné
baiser que la pauvre petite Oriane mourut étouffée dans la fossette du
sourire.




TABLE DES MATIÈRES


                             Pages
  Le Soir d’une fleur            1
  La Belle du monde             13
  La Bonne Trouvaille           31
  La Belle au bois rêvant       41
  Le Vœu maladroit              53
  Isoline-Isolin                65
  Le Miroir                     79
  La Princesse Oiselle          97
  Le Chemin du Paradis         113
  Les Baisers d’or             123
  Les Accordailles             137
  Le Mauvais Convive           151
  La Tire-lire                 161
  La Bonne Récompense          173
  Les Mots perdus              185
  La Mémoire du cœur           197
  Les Trois Bonnes Fées        209
  Le Ramasseur de bonnets      219
  Les Trois Semeurs            231
  La Belle au cœur de neige    243
  Les Deux Marguerites         257
  L’Ange boiteux               271
  Les Traîtrises de Puck       283
  Les Larmes sur l’épée        299
  La Petite Flamme bleue       311
  Martine et son Ange          325
  La Dernière Fée              343


Paris.--Typ. Ch. UNSINGER, 83, rue du Bac.




VICTOR-HAVARD, ÉDITEUR

Collection in-18 jésus à 3 fr. 50 le volume


  Jules Claretie.      La Vie à Paris, années 1880, 1881,
                         1882, 1883, 1884, 1885               6 vol.
                         (Chaque volume se vend séparément).
  Gyp.                 Le Druide, 20e édition                 1 vol.
        --             Dans l’ train, 16e édition             1 vol.
  René Maizeroy.       L’Adorée, 25e édition                  1 vol.
        --             Les deux Femmes de Mlle, 14e édit.     1 vol.
        --             Le Boulet, 12e édition                 1 vol.
        --             Souvenirs d’un Saint-Cyrien, 6e édit.  1 vol.
        --             Au Régiment, 6e édition                1 vol.
        --             Les Malchanceux, 4e édition            1 vol.
        --             La Dernière Croisade, 4e édition       1 vol.
        --             La Fin de Paris, 6e édition            1 vol.
        --             Masques, 5e édition                    1 vol.
  Guy de Maupassant.   Mont-Oriol, 40e édition                1 vol.
        --             Bel-Ami, 54e édition                   1 vol.
        --             Une Vie, 30e édition                   1 vol.
        --             La Maison Tellier, 17e édition         1 vol.
        --             Mademoiselle Fifi, 12e édition         1 vol.
        --             Au Soleil, 10e édition                 1 vol.
        --             Miss Harriet, 13e édition              1 vol.
        --             Yvette, 15e édition                    1 vol.
        --             La Petite Roque, 17e édition           1 vol.
        --             Contes de la Bécasse, 12e édition      1 vol.
  Catulle Mendès.      Jeunes Filles, 6e édition              1 vol.
        --             Jupe Courte, 8e édition                1 vol.
        --             L’Homme tout nu, 12e édition           1 vol.
  Jules de Glouvet.    Le Père, 12e édition                   1 vol.
        --             La Fille adoptive, 5e édition          1 vol.
        --             L’Idéal, 3e édition                    1 vol.
        --             Croquis de Femmes, 3e édition          1 vol.
        --             L’Étude Chandoux, 3e édition           1 vol.
  Gustave Toudouze.    Madame Lambelle, 10e édition           1 vol.
        --             La Séductrice, 6e édition              1 vol.
        --             Le Vice, 4e édition                    1 vol.
        --             La Baronne, 8e édition                 1 vol.
        --             Le Père Froisset, 4e édition           1 vol.
        --             Madame, 6e édition                     1 vol.
        --             Toinon, 5e édition                     1 vol.
        --             Le Ménage Bolsec, 5e édition           1 vol.
        --             Fleur d’Oranger, 6e édition            1 vol.
        --             Le Pompon Vert, 4e édition             1 vol.
        --             La Tête-Noire, 4e édition              1 vol.
        --             Le Train Jaune, 8e édition             1 vol.


Paris.--Typ. Ch. UNSINGER, 83, rue du Bac.






*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES OISEAUX BLEUS ***


    

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