Le moyen de parvenir, tome 2/3

By Béroalde de Verville

The Project Gutenberg EBook of Le moyen de parvenir, tome 2/3, by 
François Béroalde de Verville

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Title: Le moyen de parvenir, tome 2/3

Author: François Béroalde de Verville

Release Date: September 9, 2018 [EBook #57879]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE MOYEN DE PARVENIR, TOME 2/3 ***




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LE

MOYEN

DE

PARVENIR.

_NOUVELLE ÉDITION._

Augmentée d'une Table sommaire des Chapitres.

_Caritas inter jocosve regnat Moria._

TOME SECOND.

A LONDRES.

M. DCC. LXXXI.




[On a recopié, dans cette version électronique, le sommaire de ce tome
second, tiré du tome premier de l'original papier.]

_SOMMAIRE_

DES CHAPITRES.

_TOME SECOND._

I. Il continue sa dissertation, & se jette un peu sur la friperie des
parvenus, & de la façon de parvenir dans ce monde de désordre & de
dissolution.

_Plaisant parti d'un domestique_, p. 6.

II. L'histoire de Quenault & de sa serpe est coupée de diverses
instructions très-profitables. On y voit la différence d'une femme de
par dieu, d'avec une femme de par le diable. Sermon du curé de
Busançois, divisé en trois points.

_Le conte de Quenault & de Thibault_, page 7.

_Sermon en trois points, du curé de Busançois_, p. 10.

III. Devoir des prélats prescrit sous le voile de la plaisanterie:
_castigat ridendo mores_. Conte sur le proverbe, n'avoir ni rime ni
raison. Cette section est remplie de facétieuses aventures sans rime ni
raison. La cruche de malvoisie prise pour un lésard, par des femmes
ivres de vin. Bible hébraïque prise pour un livre de magicien par un
prêtre, &c.

_Conte du ministre qui avoit rime & raison_, p. 14.

_Conte de la malvoisie_, p. 16.

_Conte du pseautier hébreu pris pour livre de magie_, p. 19.

IV. Origine de la bonne eau pour faire la bonne double-bierre
d'Angleterre & de Flandres. Miracle de la Gousson toujours ployant du
linge, & de la Le Page toujours pissant, l'une pour avoir bien reçu un
besacier, l'autre pour l'avoir rebuté.

_Ruisseau à faire la forte bierre_, page 20.

_Conte de la Le Page & de la Gousson_, p. 23; contin. p. 24.

_Interrogatoire de maître Pierre_, p. 23.

_Propos de pisseurs_, p. 28.

V. Aventures plaisantes de plusieurs pisseurs. Platon moquant & moqué.
Pourquoi le _cela_ de l'homme a besoin d'aide pour pisser, tandis que
celui de la femme va tout seul. Minimes & capucins tournés en ridicule.
Allusion du mot de Joseph à l'antiquité des minimes. Description de la
sphere en termes estropiés: (c'est sûrement dans le _Moyen de Parvenir_,
que ces gens d'un esprit si sublime de notre siecle, ont trouvé le style
des parades, & ont voulu nous démontrer par solide argument, qu'il y
avoit plus d'imagination à composer la plus mauvaise des parades, qu'à
faire Cinna ou Mérope). Conte de Chabert & des trois filles, à qui il
demande une réponse de chacune sur le droit d'aînesse de la bouche ou du
chose. La section finit par une question, dont le titre de la section
suivante fait la réponse.

_Aventure de Platon & de Prédicat_, page 30.

_Bonne logique d'une chambriere_, p. 32.

_Plaisante origine des minimes_, p. 34.

_Description élégante de la sphere_, p. 35.

_Conte des trois filles_, p. 36; contin. p. 37.

_Propos d'un curé & d'un charpentier_, p. 37.

_Question d'une chambriere_, p. 38.

VI. Sapho commence à babiller, & elle en conte à faire mourir de rire ou
de honte. Dissertation de Nostradamus sur les culs, qui est terminée par
les prudentes réflexions concluantes d'Hypocrate. Histoire d'Esculape,
qui voyoit le jour par le trou du cul de sa femme. Plaisanterie sur les
femmes Allemandes de ce temps-là, & qui pourroit très-bien convenir aux
femmes Françoises de ce temps-ci. Satire contre ceux qui annoblissent
leurs noms par des _du_, _de_, _le_, &c. Origine du proverbe: _s'il a
bon coeur, qu'il mange de la merde_.

_Conte du cul de la femme d'Esculape_, p. 42.

_Changemens de noms_, p. 44.

_Conte de Stace avec la femme peteuse_, p. 45.

VII. Comparaison de l'outil des femmes avec des féves, qui ont la raie
noire & le bas contre mont. L'économie mene loin, puisque trois féves
semées ont fait le mariage d'une fille. Féve des gâteaux des rois
tournée en ironie. Avarice des avocats reprise par le conte d'une femme
dont on n'avoit fait le poil que d'un côté. Le marinier de Quilleboeuf
ne reconnoît plus sa femme, parce qu'elle se l'étoit fait tondre.

_Trois féves qui font le mariage d'une fille_, p. 47.

_Conte de la femme à moitié épilée_, p. 48.

_Obstination d'un marinier_, p. 49.

_Disputes de deux maquerelles_, p. 50.

VIII. Dissertation sur les fillettes, dont la conclusion est de les
distinguer en trois sortes. Comme on doit faire cas des larmes & du
désespoir des filles de joie. Plaisant conte sur un homme qui appelloit
le _comment a nom_ de sa femme un gardon. Origine de la solution de
continuité; Mercure couturier des ventres des hommes & femmes; trop ou
trop peu de fil fait la rosette ou la boutonniere. Exposition des
véritables sept merveilles du monde. Différence entre vérité & raison.
Le conte du beurre de la Soldée, qui est interrompu par des propos
facétieux.

_Lamentation de putain_, p. 51.

_Femme qui montre son cela, sans y prendre garde_, p. 52.

_Conte de jeune femme & vieux mari_, page 53.

_La couture des mâles & femelles_, p. 54.

_Le beurre net de la Soldée_, p. 57; contin. p. 60, contin. p. 61, fin.
p. 63.

_Propreté des femmes_, p. 57.

_Caractere des moines_, p. 58.

IX. Le conte du beurre de la Soldée continue dans cette section,
toujours avec quelques parentheses joviales, & il est bon de remarquer
que c'est toujours la belle & sage Sapho, qui, depuis la section VI,
tient impitoyablement le dez des propos poliçons. Caton disserte sur le
bon âge, & avance que le _cela_ des hommes est plus fort dans la
vieillesse que dans la jeunesse, parce qu'étant jeune une main le
conduit, & que dans la vieillesse deux ont peine à le guider. Satire
contre les chanoines & les médecins, & bon mot sur l'aumuce. Eloge du
livre fait par un poëte, & confirmé par un prophete.

_Emploi d'un contrat de mariage_, p. 60.

_Expérience de Sculpture_, p. 63.

_Conte du médecin_, p. 65.

_Mot à double entente_, p. 67.

X. Question embarrassante à résoudre pour un homme amoureux de sa
liberté. Différence entre farine & bran. Songe du pauvre paysan. Origine
du proverbe, _afin que le bon homme ait son sac_. Quelques-uns des
convives qui étoient sortis pour faire place à un verre de vin,
rentrent. Socrates parle & est moqué dès le premier mot. Ridicule jetté
sur ceux qui grassayent en parlant, par bon air, ou pour ne pas se
fendre la bouche.

_Le revenant_, p. 71.

_Conte du sac du bon homme_, p. 72.

_Réponse humble d'un valet_, p. 73.

_Propos naïf d'une fille_, p. 75.

XI. Origine des bossus: enfilade de propos burlesque au premier calibre.
Raison pourquoi l'on salue quand on boit. Reprise, en-dessous oeuvre, de
l'éloge de ce livre, & prophétie inintelligible sur sa destinée.
Enthousiasme furieux contre les critiques & les dévots.

XII. La langue françoise est riche en termes de chouserie. Dissertation
sur le _Pheros_ ou ambrosie des dieux, & sur la nourriture des ames.
Interprétation du mot _apprendre_. Conte fort plaisant à ce sujet.
Maniere de faire des barbes passées sous la meule, & plaisanteries sur
les barbes faites. Conte de la femme du procureur, accouchée d'un maure,
& de la naïveté du procureur avec son écritoire.

_Conte du bonnet tombé_, p. 83.

_Bonne leçon d'une vieille servante_, p. 85.

_Conte du moulin à barbe_, p. 87.

_Chanoine pris par son propos_, p. 88.

_Conte de l'écritoire du procureur_, p. 89.

XIII. C'est ici ou se développe le grand mystere du menton ras des
prêtres. Conte sur Hugonis, suivi du conte de la sage-femme qui vient
accoucher un garçon. Erasme s'étend sur les polissonnes invectives dont
il avoit accablé un docteur. Secret de sentir l'hérésie. Pays de
papefiguiére, ou l'on est toujours gras & vigoureux comme un _moine_.

_Plaisante réponse d'un homme gras_, p. 93.

_Le jeune homme en couche_, p. 93.

_Quiproquo d'un domestique_, p. 94.

_Nom tronqué_, p. 95.

_Conte de la dispute d'Erasme_, p. 95.

_Plaisant jugement_, p. 96.

_Description du pays de papimanie_, p. 99.

XIV. Moeurs de ce pays de bonne santé. Termes amphibologiques; Cardan &
Jamblique disent quelques bourdes sur les succubes & incubes. Satyre
contre ces faux-dévots qui veulent que le diable soit le pere de nos
passions & de nos plaisirs, & qui en refusent la prudence à la divinité,
& l'honneur à l'homme. Les hommes font tout dans le travail amoureux,
les femmes ne font que présenter l'écuelle. Conte de l'écrevisse
attachée au bord de l'écuelle d'une femme par une patte, & à la lèvre
supérieure du mari par l'autre.

_Eloge de la vis des tuileries_, p. 100.

_Conte de l'écrevisse au bord de l'écuelle_, p. 103, contin. p. 104.

_Les beaux sont les gros_, p. 105.

XV. Cette section commence par le plaisant conte de Jean Laillée, qui
mit sa machine à faire pauvreté dans une souriciere à ressort, croyant
être dans un urinal. Sa plaisante insolence avec une chambriere.

_Conte d'un moine pris en partie, comme une souris_, p. 108.

XVI. Dissertation sur la poudre de projection. Ridicule texte d'un
sermon. Gaillarde maniere de défendre son bien, mise en usage par un
moine, contre deux voleurs. Explication de certains sobriquets; chose
qu'on ne prendroit pas pour un fagot, à moins qu'on ne le dise.
Véritable explication du mot _quasimodo_, & de quelques autres
intéressans à bien savoir. Termes de bienséance devant les gens
qualifiés tournés en ridicule. Malheur d'une pauvre femme qui a épousé
un cocu. Maniere d'être poussé.

_Sermon dont le texte est plaisant_, page 110.

_Conte du moine & des voleurs_, p. 110.

_Conte du fagot_, p. 112.

_Le mot _quasimodo_ expliqué_, p. 113.

_Secret pour être poussé_, p. 116.

XVII. Madeleine en dégoisse & fait des contes libertins à perte de vue;
cornes des femmes sont les ongles. Qui ne prend pas plaisir, n'est pas
putain. L'attention à regarder, fait qu'on est volé; exemple de l'âne du
paysan. Les femmes changent entre les mains de certains maris. Façon
subtile de se confesser. Les bons avis ne sont point à rebuter. Valeur
du terme de chausse-pied de mariage.

_Conte canonique d'un homme & d'une femme_, p. 117.

_Conte de l'âne volé sous son maître_, p. 120.

_Confession d'une femme_, p. 121.

_Bon avis d'un galant homme_, p. 124.

XVIII. Le plaisant tournevis ou vilbrequin. Grand commentaire sur les
cocus cocuans & cocués, à propos de la chose la plus imparfaite. Le
cocuage est plus grand miracle que la pierre philosophale, puisqu'il
s'opere en l'absence des sujets sur qui il est fait.

_Conte des hommes vissés_, p. 124.

_Conte de la courtisanne Conscience_, page 130.

XIX. Le bon prédicateur fait bonnes moeurs; exemple d'un qui détournoit
ses auditeurs de tout vice. Le commentaire sur cocu & cocuage reprend &
continue de plus belle. La naïveté de la dame de compagnie de madame
l'amiralle, vient égayer. (_Nota._ Dame de compagnie, auprès des dames
de haut-parage, est même chose qu'_esprit_, auprès de leurs maris. On
dit: monsieur D. est l'_esprit_ du duc D.)

_Conte des prédicateurs ennemis des paillardises_, p. 134.

_Naïveté de la belle Dubois_, p. 137.

XX. Disputes de savans, richesse des langues vivantes. Nouvelle éloge de
ce livre, & crainte sur l'abus qu'on en fera. Les moines sont si
libertins, que leurs prieurs s'en scandalisent: le moyen d'y mettre
remede: Plaisant françois de Margot. Les putains jurent toujours
_vérité_ & _honneur_, (serment sans conséquence.)

_Vérité dans la bouche d'une Normande_, p. 145.

_Conte du Prieur de Marmoutier_, p. 146.

XXI. Sage politique exercée dans la ville de Lubec, pour les vibaniers &
conbaniers. Façon d'essayer, aussi connue aujourd'hui à Paris qu'_in
illo tempore_ à Lubec. Alcibiades crie, jure, blasphême, se radoucit,
pour prouver par sentimens son goût antagoniste des femmes.

_La ville de Lubec_, p. 148.

XXII. Madame raconte une histoire, dont le commencement & la fin
prouvent qu'elle étoit franche putain. Certitude de cocuage aux maris
dont les enfans ont cheveux de deux couleurs.

_Conte de l'origine du putanisme_, p. 155.

XXIII. Explication du terme de _putain_, faite par plusieurs, & terminée
de main de maître. Mots qui autrefois étoient éloge, aujourd'hui sont
injures. Satyre sur les chambrieres de prêtres, chanoines, curés, &c.
&c. &c. Trois choses sont à éviter; trois voeux à faire. Satyre contre
la justice & ses administrateurs. Origine du proverbe de _fesse tondue_.
Cette section & ce volume finit par le conte de l'éguillette, & par une
réflexion fort sensée, pourquoi les moines sont appellés _béats peres_.

_Stupidités ou distractions d'un prince ultramontain_, page 163.

_Conte de la fesse tondue_, p. 162.

_L'éguillette nouée et dénouée_, p. 168.

_Le Chanoine dupe_, p. 170.

XXIV. Quittant la théologie & les théologiens, les convives s'étendent
sur les quatre vertus cardinales; rire, manger, boire & dormir. Il faut
toujours se tenir en garde contre ceux qui viennent de loin: croire aux
miracles de Paracelse, c'est avoir un grand fond de soi, satire contre
ce fameux alchimiste. Transition heureuse d'un évêque à un soufflet;
dissertation sur l'origine des mitres.

XXV. Invectives contre les prêtres sous le titre d'hiérarchie de double
linge. Asclépiade attrapé par une fille de chambre de madame de
Combardavit. Les nonnains sont les perdrix du monde, & les chanoines en
sont les faisans. Bonne sentence à mettre sur l'entrée de chaque maison.
Conduite de Jean Dissolez, moine & voleur de poires. Origine du mot _tu
autem_. Sarcasmes contre les moines, & définitions intéressantes, qu'il
faut lire, sans m'obliger de les écrire. Conte de Ferrand & de Margeou,
deux moines.

_Conte d'un page attrapé_, page 177.

_Jean Dissolez, voleur de poires_, p 180.

_Aventure de Ferrand & Margeou_, p. 183, continuée, p. 192.

XXVI. Raison solide des voyages de moines par deux. Le trouble se met
dans la conversation. Musique plaisante d'un homme à sandales. Les deux
moines en fonction: origine du proverbe de la chape à l'évêque. Bon avis
à ceux qui portent soutanes dans des cas pressés. Le conte de Ferrand se
reprend & se termine.

_Musique d'un moine_, page 188.

_Les deux moines en fonction_, p. 188, continuée, p. 191.

_Origine du proverbe de la_ chape à l'évêque, p. 189.

XXVII. Les femmes de sergens ne sont pas des plus sotes en amour. Jeu de
gripeminaud sans rire. Conte de Jacques Adriot & de sa femme: on a
crainte de le raconter, parce qu'il y a dedans un peu de prêtre. Saillie
naturelle d'une présidente.

_Histoire d'une femme de sergent_, p. 194.

_Conte de Jacques Adriot_, p. 197, contin. p. 198.

_Plaisant mot d'une présidente_, p. 198.

XXVIII. Bon secret pour fixer un mari; les femmes sont anges à l'église,
diables à la maison, singes au lit. Conte de la femme d'un huissier.
Dissertation forte & chaude sur le joujou du ménage. Conte des
religieuses de Poissi; plaisante façon de décliner un adjectif. Il n'est
que femmes pour bien juger des choses.

_Conte de la femme d'un huissier_, p. 200.

_Conte des religieuses de Poissi_, p. 203.

_Conte sur le mot groseille_, p. 204.

_Résolution académique de trois nonnains_, p. 205.

XXIX. La religieuse qui croyoit être devenu bête, se corrigea bien de sa
stupidité, & fut en état vingt-quatre heures après, de donner leçon.
Alain Charrier, tourné en ridicule sur son style gonflé &
inintelligible, reprend son conte comme il peut. Aveux indiscrets de
femmes à confesse. Les noms génériques se font mieux entendre, & la
preuve est dans cette section. Ronsard & Baïf se disent quelques dures
vérités. Remarque sensé sur les femmes avares de beurre dans les sauces.
Façon d'un curé d'imposer silence.

_Le conte de Nabuchodonosor_, p. 207, contin. p. 209.

_La confession sincere_, page 214.

_Conte d'une femme avare de beurre_, p. 218.

XXX. La premiere loi d'un état, c'est d'être soumis aux volontés de son
prince. Excès de mémoire de Béroalte. Satire sur la vénalité des
charges, & réflexions très-judicieuses sur les contrariétés du siecle.
Conte du chaudron. Qui jure pour rien, devroit bien jurer pour quelque
chose. Menot le grand prédicateur donne les principes d'une morale
furieusement relâchée. Histoire du fromage mou & de l'aveugle.

_Femme soumise aux volontés du roi_, p. 220.

_Conte du chaudron_, p. 223.

_Le fromage mou & l'aveugle_, p. 228.

XXXI. Histoire de la mule de Rabelais, prise pour le cheval de
l'antechrist. Le mulet de Gravereuil & ses farces. Effet horrible d'un
appareil mis sur une blessure.

_Le cheval de Rabelais_, p. 229.

_Conte du mulet_, p. 231.

XXXII. Le ministre encavé, & retiré par la servante de l'hôtellerie.
Proverbes sur l'inutilité de la paillardise des vieillards. Différence
de putain à fille entretenue. La franchise se trouve par-tout, jusques
chez les gens de cabaret. Dissertation sur les femmes de bien. Conte de
la huguenote en colere. La dissertation continue de plus belle. Avicenne
& Lycofron aux prises. Origine du nom de mignons aux chanoines.

_Le ministre en cave_, p. 238.

_Franchise d'un hôtelier_, p. 242.

_La huguenote en colere_, p. 244.

XXXIII. Bon avis d'un médecin. Qualités de chair d'une fille & d'une
femme. Conte de l'époussetée de deux façons. La servante prudente dans
ses souhaits.

_Conte de l'époussetée de deux façons_, p. 251.

_Prudence d'une servante dans ses souhaits_, p. 255.

XXXIV. Réflexion d'un curé publiant des bans. Naïveté de neuves mariées.
Egrillardise du curé paillard bien puni. Conte du jardinier & des
prunes.

_Bans publiés_, p. 256.

_Curé égrillard puni_, p. 257, continuée, page 259.

_Le jardinier & les prunes_, p. 258.

XXXV. Propos dissolus de moines prêchans. Conte du _thuribulum_.
Quelques explications de phrases latines.

_Le conte de_ thuribulum, p. 266.




LE

MOYEN

DE

PARVENIR.




PARLEMENT.


I. Je sais qu'il y a un autre univers que Dieu a fait. Mais nous; _id
est_, nos peres, les hommes & femmes, en avons fait un autre plus
accompli, si Aristote dit vrai. Ne dit-il pas que les femmes sont plus
parfaites que les filles, parce qu'elles sont dépucelées, & qu'ainsi
elles ont une forme acquise plus notable & excellente qu'auparavant?
Dieu fit la fille, & l'homme l'a faite femme. Hé bien, voilà pas les
hommes qui font bien des choses plus accomplies? Ainsi est-il du monde
de piperie plus accord, plus joli, plus parfait, plus délicat, & mieux
sentant son bien que le premier. Et qu'y a-t-il de remarquable? Une
quintessence céleste, direz-vous. Vraiment, vous avez raison, votre âne
pette, & au nôtre qu'y a-t-il? Quoi, qué, qué? Une quintessence plus
profitable, plus pénétrante, plus glorieuse, plus intelligible & plus
vivifiante: les sages & les parvenans l'ont reconnue, & l'ont apprise à
plusieurs. Ceux qui ont été plus subtils, & ont reconnu les quatre
élémens de piperie, extraits ainsi de la supposition ecclésiastique,
judiciaire, médecinale & trafiquante, ont tâché à y entrer pour
parvenir: aussi n'y a-t-il point d'autres moyens à cet effet, outre
ceux-ci, qu'un qui est la vraie quintessence, selon laquelle plus
aisément, & avec moins de peine, on gagne davantage; ayant plus loisir &
plus grand profit. Et c'est ceci qui se remarque en tous ordres, où le
moyen de parvenir est proposé, auquel, comme en toutes vacations, ceux
qui font le plus de bruit, ont le plus de soin & de peine; s'avançant en
plus de travail, gagnent le moins: & par conséquent ceux qui sont les
plus accommodés ont moins de sollicitude, & avec moins de difficultés
emportent plus de profit. Ceci observé de siecle en siecle, parce que
les vignerons ne boivent pas le bon vin, les miniers ne possedent gueres
d'or, encore qu'ils le serrent en grands labeurs, sans que pour le
préparer, il leur demeure ès mains. Il n'y a que maquereaux pour être
aisé, d'autant qu'ils entendent aussi les matieres. Le grand Alexandre
n'avança jamais qu'un voleur, un maquereau & un traître. O belle chose à
imiter! Là, là, passez & touchez; (votre âne a pissé) il est avenu que
les gens de bon esprit ont traité la quintessence, non comme ces tristes
enfumés, qui le plus souvent ont plus de trébillons que de testons,
desquels le cul paroît pour mieux souffler; mais en habiles, savans &
industrieux attrapeurs de commodités. Et de fait, ils l'ont trouvée, à
savoir ès finances, où se pratique, non par transpiration imperceptible,
mais par emplissement naturel, le plus saint, magnifique & commode
secret d'amasser. Le diantre y ait part, j'ai été de tous les honnêtes
métiers du monde, hormis de cettui-là, & professeur en folie. De venir
aux finances, il n'y a plus moyen à ceux qui ne les pratiquent d'heure.
Quant à l'autre, j'étois hier en pensée de m'y faire passer maître,
comme un de vous autres; mais encore qu'il n'y ait personne, qui eût
plus d'envie d'être fou que lui, parce qu'aux fous tout est permis pour
rire; si ai-je quelqu'honneur qui m'en empêche: aussi n'oserois-je
sauter ce bâton de peur de perdre les bonnes graces de ma maîtresse.
Toutefois je vous proteste que, s'il y avoit autant d'honneur qu'aux
folies d'être chancelier ou premier président, ou de telle autre qualité
de fous qui foussoient les autres fous, il n'y auroit gueres de bons
esprits qui ne fissent paroître que, _quisque abundat in suo sensu_,
c'est-à-dire, chacun est, sera, ou est dit, ou deviendra, s'il ne l'est,
fou par la tête. Or notez, amiables freres, & dressez les oreilles,
comme la queue d'une vache qui mouche, que je vous ai déclaré la vraie
matiere, & la juste quintessence, dont le magnifique usage est tel, que
l'on vient, en l'obtenant, à bout de toutes entreprises; on l'obtient,
en l'ayant, ce qu'on pourchasse; & on fait ce qu'on veut. Parquoi, vous
avez en somme succintement tout du long, proportionnément au petit pied,
& sans allégories, les élémens, principes, fondemens, raisons,
résolutions, évidences, puissances & causes de parvenir tout du long, à
l'usage de Genève, imprimé à Rome, & sans rien requérir, comme une
quille de beurre frais.

BIAS. Vous ne faites que parler de parvenir, sans possible en savoir la
pratique, à quoi peut-être vous êtes stilé, comme un âne à jouer du
flageolet. Voudriez-vous bien dire que vous l'eussiez de la sorte que je
l'ai, qui porte tout mon avoir avec moi, de peur d'avoir bien faute de
poux; & qui sais, comme me le font accroire ces Crisotechnes, cette
belle science qui rend riches?

L'AUTRE. Je me suis tant amusé à vos fadaises de sagesse étant jeune,
que j'ai laissé passer les oiseaux. Par mon serment, si jamais la paix
est faite, j'irai à la guerre aussi-bien que les autres. Croyez que, si
j'eusse su maintenant, je fusse dedans; & à cette heure que je sais le
secret, on se défie de moi. Que male foire embrene le nez de ceux qui
m'ont fait perdre le temps; que cent coups de cornes au cul leur
déchirent le fondement; que puissent-ils devenir cocus, après le trépas
de leurs femmes de bien. Je gage que vous ne savez ce que je veux dire;
[ni moi aussi, dit Chipon, quand il perdit le manteau de son maître. Je
gage, dit ce seigneur, que ce coquin a perdu mon manteau. Gagez,
monsieur, vous gagnerez. Le paillard l'avoit détourné, pour s'en
approprier.

LYCURGUS. Ce fut un moyen de parvenir.] Voilà, il y en a qui parviennent
diversement; les uns, sans y penser; les autres, par artifice; aucuns,
par danger; quelques-uns, rencontrant d'un en cherchant d'autre; aucuns,
courant comme ils attrapent quelques autres en dépit d'eux; & s'en faut
rapporter aux exemples, ainsi qu'une truie qui avorte.

BODIN. Voilà de belles maximes, & desquelles je pourrois tirer beaucoup
de science; j'éplucherons, en passant, ceux qui parviennent.




VERSET.


II. Il y en a infinis qui ne savent pas leurs élémens; & s'ils les
savent, c'est par grand pitié de hazard & routine, & trop souvent par
fausse entente, ainsi qu'il avint à Quenaut, qui se promenant un jour
vers le colombier, & voulant passer une haie pour aller au travers, il
coupa une branche avec son outil, qui lui échappa dans l'enclos du
jardin. Là étoit le maître du jardin avec sa femme de par le diable.

PINAUT. Qu'est-ce à dire?

CHILO. Que d'interruptions! Voilà grand cas qu'il faut passer jusques en
Grece, pour savoir _sa femme de par le diable_. C'est-à-dire, sa garce
en françois, comme si vous disiez une femme de prêtre en révérence. Les
gens du monde, les gens du siecle sont mariés de par dieu; & ont des
enfans de par dieu; & les autres en ont de même, mais c'est de par le
diable, qui sera le ménestrier à vos dernieres noces. La sienne étant
donc avec lui & ses enfans, Thibaut, son gendre, qui avoit épousé sa
plus grande fille, qui étoit belle & désirable, comme un jeune cheval
qui sort d'apprentissage, ils devisoient se devisant près la peinte
archidiaconalement. Quenaut, qui ne savoit rien de cette compagnie,
parloit assez haut, répondant à son compagnon, qui lui reprochoit sa
longue demeure, & s'il avoit repris sa serpe, & disoit: je l'aurai, je
la vois. Thibaut, qui ouit ces mots, croyant qu'on parloit de sa femme,
qui peut-être aimoit l'amble, (comme étant de nos soeurs, dieu merci, &
vous qui a fille de femme de plaisir) tout en colere, vint vers le lieu
où il oyoit cette voix, & faisant le fendant, répond: toi, tu l'auras,
toi, pance de boeuf? Non, auras pargoi. Si aurai, dit Quenaut. Tu auras
menti, par la double tigne qui te puisse coëffer. Mais toi, ou le diable
t'emportera. J'ai bonne épée. Si ai bien moi. Sur ces propos, Quenaut
s'avançant, vit Thibaut, lui dit: que diable tu te fais de peine! Et que
te faut-il de tant jurer pour ma serpe qui est chute en ton jardin? Je
te fais grand tort de la vouloir ravoir? Si j'ai fait dommage,
demande-le moi, ou sors & nous battons. Je ne te demande que ma serpe;
que prétends-tu? L'autre l'oyant lui dit: prends-là, si tu veux; qui
t'en empêche? Tu as peut-être tant bu, que tu es fâché d'autre chose.
Voilà comme ils parvenoient tous deux.

CLEOBULE. Vous impliquez contrariété. Nous n'aurons meshui fait. Cette
canaille de sages nous fera devenir fous. Au diable l'importunité de ces
pédans. Je suis perdu, puisque vous en venez-là. Si est-ce que je crois
que je suis homme, si ceux qui sont faits comme moi le sont; encore ne
sais-je si je suis mâle ou femelle. S'il n'y a un autre devant moi, &
qu'en tâtant, je compare pour savoir ce qui en est, & lors me trouvant
gros de résolution, parce qu'elle n'appartient à autre animal, je vous
dirai des choses que vous ni moi n'entendons, ni entendrons, ni n'avons
entendus; ou je me tairai, comme fit le Curé du Busançois, qui dit: je
vous prêcherois aujourd'hui; mais nous n'avons pas le loisir. Toutefois
je vous dirai un bout de sermon, que nous diviserons en trois parties.
La premiere, je l'entends & vous ne l'entendez pas. La seconde, vous
l'entendez, & je ne l'entends pas. La troisieme, ni vous, ni moi ne
l'entendons. La premiere, que j'entends, & vous n'entendez pas, c'est
que vous fassiez rebâtir le presbytere. La seconde que vous entendez &
que je n'entends pas, c'est que vous entendez que je chasse ma
chambriere, & je ne l'entends pas. La troisieme, que vous ni moi
n'entendons pas, est l'Evangile d'aujourd'hui; parquoi, n'en disons mot.
Adieu.

PITTACUS. Que direz-vous?

CLEOBULUS. Je vous dirai vos vérités malicieuses, si je parle; & si je
me tais, je ferai démonstration que vous n'êtes que pleins de vent & de
néant.

PITHOU. Quant à moi, voyant bien que vous me voulez donner le trait pour
vous piquer, je vous déclare que je ne sais rien que tout le monde ne
sache, ou pis; aussi je me contregarde si bien, que je n'offense que
Dieu & le monde. Et si je vous dirai que je ne peche que par plaisir;
c'est que je suis amoureux des femmes & des filles. Ce que j'en fais,
c'est pour naturaliser & parfaire les symboles d'éternité, n'y ayant
plaisir au monde semblable à celui de la chouserie: foin, de par le
diantre, foin.

PELICIER. Ne le flattez point; nommez le diable tout-à-fait.




JAMAIS.


III. Jamais ces gens, qui font tant la petite bouche, ne furent
qu'hipocrites. Ils jurent _par ma finte_; ils n'osent proférer le
mauvais; ils ne savent dire les choses par leur nom: & cependant leur
coeur est plein de déception & tromperie, d'autant que leur ame
symbolise à leur bouche, Tu...

GAZA. Bien donc, là, ne nous détournez plus, & n'en parlons plus, de par
le diable, sans blasphêmer. Bran, vous n'en faites que causer, c'est
assez. Pourquoi?

QUELQU'UN. Parce que l'on fait des réponses qui ne sont pas bonnes.
Pensez la belle chose que c'est, de mettre des ignorans au rang des
doctes. C'est pour avoir de belles interprétations. Si je n'avois peur
d'être cause que plusieurs blasphêmeroient, je vous conterois une
infinité d'interprétations que les Cordeliers m'ont apprises. Or, bien
que nous fassions ici mine de rire, si le disons-nous à la honte de ces
dépouilleurs d'andouilles pour les nettoyer, & qui nous voudroient
reprendre, encore que toute leur vie soit confite d'actions impudentes.
Vous, Prélats, qui voyez comme nous faisons ici les fous en découvrant
les folies, faites-les cesser, corrigez les fautes, détournez les
impiétés, ôtez les mauvaises coutumes, minez l'ignorance; & les oeuvres
d'icelle s'écouleront. Sachez que ce volume est fait pour vous jetter la
paille en l'oeil, afin que vous abbatiez la simonie. Hé bien!
diront-ils, on ne baillera plus d'argent pour les bénéfices; on
n'entendra plus les écritures. Ce n'est pas-là le mal; il faut faire des
prêtres, qui ne prennent point d'argent, pour distribuer les sacremens,
& autres opérations ecclésiastiques.

SOCRATE. Or là, fendez, frappez, tirez, faites de belles défonçades
d'entendement; il n'y a plus moyen de vous tenir. Cent mille petits
diablotins de deçà & delà les monts, qui vous extravaguent, vous
puissent casser des noix; que la gorge vous coupe le cou, il n'y a ni
rime ni raison en votre fait.

LERI. J'aimerois autant les habitans de Versoi, du temps que la parole
étoit de l'Evangile, lesquels avoient un Ministre, qui sans cesse leur
reprochoit leur ignorance & indécence de moeurs, leur reprochant qu'il
n'y avoit ni rime ni raison en leurs affaires; & si souvent leur tint
ces propos, qu'il en devint fâcheux; tellement que la visitation étant,
ils demanderent un autre pasteur; & ce avec grande instance, disant que
cetui-là leur étoit insupportable. Le Consistoire averti, tant de la
simplicité de ce peuple, que de la façon du Ministre trop rude pour
agréer à ce petit troupeau, leur en adjugea un autre qui fut averti.
Celui-ci les prêcha quelque temps par essai, puis pour l'établir
absolument, il fut question d'assembler les habitans, pour savoir si ce
nouveau venu leur seroit agréable. Ce qu'étant fait, & un de la
compagnie des habitans étant délégué pour parler au Ministre, & lui
faire trouver bon qu'il demeurât, lui dit: Monsieur, vous êtes agréable
à tous nous autres, tant parce que vous êtes bel homme, que
principalement à cause qu'il n'y a ni rime ni raison à tout votre fait.

L'AUTRE. Ainsi en est-il de ce livre, qui jadis fut fait en belle rime
croisée: mais celui qui l'a transcrit, sans y aviser, mêlant ce qui
étoit deçà & delà, a fait qu'il n'y a ce semble, ni rime ni raison en
apparence, non plus qu'à l'élection d'un Cardinal de ce temps, selon
l'ordre hiérarchique du bon temps, que l'on s'alloit cacher & jetter
dans les puits, de peur de devenir Evêque, pour la peine & labeur qu'il
y a. Qu'ainsi vous en puisse avenir, Monsieur le Commissaire, qui êtes
venu réformer les pavés qui usent trop les souliers. Je m'enquis de
cette histoire du Ministre, passant par-là, d'autant que je ne veux rien
dire, ni présenter, ni ouir, s'il n'est vrai. Si vous vous en souvenez,
Monsieur de Pise, nous allions à une Diete en Suisse; & lors j'étois
avec Mylord Bochow, lequel le Baron de Tierci, parce que _baccon_ à
Genève signifie du _lard_, le nommoit _Monsieur du Lard_? Comme nous
soupions, je donnai à notre Prélat d'alors une tête de poulet; & par
honneur, j'en présente une fendue de même au Baron de Kitblitz,
Allemand, alquemiste. Il me cuida humer la vue avec les yeux, & manger
le blanc du cul, tant il me regarda creux, comme si je l'eusse estimé
sans cervelle. Ce ne fut pas tout. On n'y ose demander de malvoisie;
c'est à propos de la morue rouge d'Ablis. Les femmes des pêcheurs de
Versoi étoient allées à Geneve, (qui est le Paris de ce pays-là; c'est
pourquoi le Duc de Savoye la voudroit avoir, pour faire le Roi) elles y
avoient porté leur poisson, qu'elles vendirent fort bien; aussi étoit-il
jeûne: & de fait, on s'escrime de jeûnes en ce pays-là avec un bâton à
deux bouts, en disant que de se frotter d'une peau de jambon sans la
savourer, est plus méritoire, que de se crever de poisson. Ces femmes
avoient fait grand gain, parce que déja on surfait la marchandise en ce
pays-là; & des Allemands avoient acheté leurs denrées à leurs mots à
beaux quarts comptant, sans l'autre monnoye. Cette joie fut cause
qu'elles s'accorderent de bere in peu de malvesia; & allerent en un
cabaret, près la Fusterie, où elles eurent ce qu'elles demanderent pour
de l'argent, (cela s'entend aussi bien qu'à Rome. Qui a nez pour sentir,
qu'il flaire.) Elles s'en trouverent si bien, qu'en cet aise elles
redemanderent de cette bonne liqueur; ce qui fut tant poursuivi, qu'à la
fin, & gain, & fonds, tout y alla; & encore quelque bague d'argent à six
tours demeura pour gage avec les plates. Tant que le bon goût & les
vapeurs durerent, elles ne se soucioient de rien. Ainsi gaies &
gaillardes, elles s'en retournerent. Ayant un peu passé la franchise, &
trouvé un endroit de belle verdure, (c'étoit en été) elles s'aviserent
de dormir un petit, qui dura jusqu'à presque soleil couchant, qu'une se
réveilla qui réveilla les autres. Cette premiere, encore toute étourdie,
avisa une bouteille verte, qu'une d'elles avoit emplie d'huile avant
boire, elle s'écria: _ô di, comera la Guernera, vede; vede vo le gro
lizard ver?_ De cela, les autres épouvantées se leverent; & toutes
ensemble, comme cette-là, à belles pierres, se mirent à lapider cette
bouteille; & la bouteille se cassant, elles disoient, l'oyant casser:
_les ous se cassent_; & puis, l'huile épandue, disoient; _c'est le
velain qu'il rend; vees commi il mode_. Depuis ce temps-là, la malvoisie
a été à si bon marché, que qui en demande à Versoi, en a pour soi & pour
sa chartée de beurre frais.

CONTERI. J'attendois que vous parleriez de ce petit ruisseau que nous
passâmes avec cette compagnie-là, quand nous y fûmes pour les affaires
des ubiquitaires. Je me souviens qu'ayant passé le pont de beurre,
Curion, notre hôte de Basle, nous fit baisser, pour voir ce ruisseau
tant célebre. (Le seigneur Chevalier, grand Hébreu, & si savant qu'il en
étoit bossu, a mis l'histoire dans le Talmuld, qu'il a revu, quand nous
le faisions imprimer à Basle. Je le vous dirai; aussi-bien il n'y a
personne qui ne le sache; & c'est pour vous montrer que j'ai de
l'esprit, & que je m'entends à l'hébreu, comme une pie à étendre du
beurre frais sur du pain. Quand j'en faisois leçon, cela alloit à la
balance, comme un chat qui pese des doublons en une bouteille. Même,
s'il vous souvient, je le vous dirai en notre langue, pour survenir à
ceux qui n'entendent pas le chrétien. Un jour, pour faire le mignon,
j'avois en l'Eglise mon Pseautier en Hébreu, où je lisois ne plus ne
moins qu'un singe qui épluche des noisettes vertes. Je devois dire la
leçon; je laisse mon livre & m'en vais au lutrin. Si-tôt que je fus
descendu de ma chaire, notre ami Chastin prit mon livre, & l'ouvrit:
mais aussi-tôt il le laissa & se retira de-là, allant se plaindre aux
autres chanoines, que je tenois des livres méchans; que j'étois
magicien: & que je ne portois à l'Eglise que des livres prophanes, comme
une bible, & autres de telle farine. Par dépit, je dirai mon histoire en
langage que tout le monde entendra, s'il s'y connoît: je la dirois bien
tout autrement; mais je n'y entends que le haut Allemand; il est trop
froid; cela ne seroit jamais fait).




PASSAGE.


IV. Es pays d'Alsassie, en un endroit assez beau, [si vous n'y avez été,
cela ne vous servira de rien de vous le décrire, parce que vous n'y
connoîtrez rien; & si vous y avez été, c'est assez, cela vous
importuneroit de le rapporter, sinon allez-y.] Là, les dames sont assez
libres, mais sages; & pour le bien faire paroître, elles ne pissent
qu'une fois la semaine: & c'est au vendredi qu'elles s'assemblent, au
matin, toutes par bandes; ce qu'il fait étrangement beau voir] & selon
leurs dignités, s'en vont en pisserie, comme on va à la foire: de quoi
elles n'ont non plus de honte, que les femmes de bien, qui montrent
l'appanage de leur fessier aux eaux de Pougues. Que c'est que des
coutumes des pays! On ne le trouveroit pas bon ici; & là il est
délectable: ainsi qu'ès villes de Normandie, où plusieurs en leur
pochette gauche portent un mouchoir pour le cul, ainsi qu'en la droite
un pour le nez. Ces femmes étant arrivées au lieu de la pissoire, ou
pissotiere, elles se disposent comme les montagnes d'Angleterre, chacune
où elle est, y gardant dignités, prérogatives & honneurs, ainsi qu'ès
actes publics & notables, ne plus ne moins que se mettent les chevaliers
en leur rang, le jour de leur cérémonie. En cette commodité,
abondamment, joyeusement, & à la copieuse & bénigne décharge des reins,
elles vuident leurs vessies, & pissent tant, que cette riviere en est
faite & continuée; & de-là les Allemans, Flamans & Anglois font venir la
bonne eau, pour faire de la biere, la plus double & du plus haut goût.
Cela est cause que leurs femmes ne les aiment pas tant, qu'elles font
les François, d'autant que ces femmes-là pensent que leurs maris leur
veulent derechef reverser leur urine dans le corps. Que s'il y a des
femmes qui ne savent bien pisser, on les envoie à Genève, d'autant que
là il y a plusieurs belles écoles, où on apprend à pisser & chier en
public & en compagnie, au grand soulagement des honteux, qui là
apprennent à perdre la sotte honte qui resserre le boyau culier. Et je
vous dirai que ce qu'ils font est, parce qu'il n'y a point de moines en
ce pays-là; & partant point de frocs, & par ainsi point d'instrumens de
deshonterie. On m'a assuré que depuis, ceux d'Amiens en ont dressé de
belles écoles aux Botrues, où l'on fait leçon de chierie.

DURANTIUS. Vous vous êtes équivoqué, sans faillir; mais vous n'avez pas
commencé à l'origine de cette riviere. Il falloit le dire. Ce que je
vous dirai, tiré du Zohar, que le bon vieillard Postel a traduit, après
qu'il eut conféré avec un juif qui devint chrétien. Après avoir lu cette
histoire, laquelle aussi fit réduire quelques huguenots à se faire
catholiques, aussi-bien que les moines qui s'en firent huguenots; & ce
que ceux-ci en ont fait, est pour se mieux entendre en garces. Quant au
juif, il l'a fait pour avoir congé de manger du lard & du salé, afin de
trouver le vin meilleur. Du temps que les bons hommes [c'est-à-dire non
les minimes, qui sont très-petits; & jamais bonté ne se mit en peu de
lieu] alloient par le monde, [je n'entends pas des faiseurs de mines,
mais des simples & sages] il y eut un saint personnage, qui, passant
chemin, se rencontra à Barace, près de Durtal en Anjou. [Je ne parle pas
de maître Pierre, que le prévôt des maréchaux cherchoit: & l'ayant un
jour rencontré, ne sachant pas que ce fût lui, le laissa, ne le
connoissant point. Avant que le laisser, il lui demanda: qui es-tu? Je
suis un pauvre homme, petit marchand. Comment as-tu nom? Pierre
Chaillou, ou Caillou. D'où es-tu? De Durtal. Où va-tu? A Rochefort. De
quel métier es-tu? Sabotier. Que diable! tu es dur, il ne te faut plus
qu'être vêtu d'une cuirasse, pour t'achever de durcir.

CALPIN. Comment diriez-vous une _cuirasse_ ou _corselet_ en latin?
C'est, dit frere Jean de Laillée, _durabit_. Or taisez-vous; vous
empêchez l'affaire de ce saint homme. Achevez, monsieur le doguetter.)

DURANTIUS. Ce personnage s'étant assez reposé sur le bord de la
fontaine, avisa le tard; donc il s'en vint au village, & s'adressa chez
le Page à la dame du logis, priant ladite dame de le loger cette
nuit-là, pour l'honneur de dieu. Elle qui étoit avaricieuse, comme un
financier qui a fait ses affaires, & n'a point d'enfans, s'excusa, & le
pria d'avoir pour agréable son refus, qui ne venoit qu'à cause que son
mari étoit chiche & grondeur. Le bon homme passa outre, & va droit
s'affraper chez la chambriere de Chiquetiere, nommée la Gousson, de
laquelle, lui ayant fait sa requête, il fut reçu fort honorablement, &
bien traité de la pauvre femme, qui le mit en un bon lit, cette bonne
femme.

ESCHINES. La bonne femme n'est pas encore levée.

DURANTIUS. Taisez-vous; bran: ces poëtes en veulent toujours aux femmes,
qui les affrontent aussi; & cela leur est employé comme fievre en corps
de moine. Cette bonne femme donc lui avoit fait du mieux qu'elle avoit
pu; & lui, le matin, s'en trouvant bien édifié, étant levé & voulant
partir, lui dit: madame je vous remercie bien humblement de tant de bien
que vous m'avez fait; & vous prie de m'excuser, si vous n'avez autre
paiement de moi. Ho, dit-elle, monsieur, vous avez été le bien venu; &
le serez toutes les fois qu'il vous plaira venir céans. Ce n'est point
l'espoir de paiement qui m'a fait vous recueillir, en cette maison où
vous demeurez, s'il vous plaît, à votre volonté. Je vous ferez au moins
mal que je pourrai, pour l'amitié du maître que vous servez. Madame, je
vous rends graces infinies de tant de biens & d'amitié: je prie le bon
dieu qu'il lui plaise de vous bénir; si que la premiere besogne que vous
ferez aujourd'hui lui soit tant agréable, que ne puissiez tout le jour
faire autre chose. Il partit; & elle, qui n'y pensoit point, l'ayant
recommandé à dieu, se fit apporter un peu de buée qu'elle avoit étendu
le jour précédent, & se mit à ployer son linge; & tant ploya, & encore
tant ploya, que plus elle ployoit, plus il y avoit à ployer & ployer; &
ployoit toujours, tellement qu'elle avoit de grands monceaux de toutes
sortes de linge, qui multiplioit au touchement de ses mains. Par hazard,
celle qui avoit refusé le bon homme, vint quérir quelque chose chez la
Gousson. La voyant empêchée, lui dit: hé bien, ma mie la Gousson, que
faites-vous? Donc elle lui conta toute l'aventure & cause de ce grand
bien. Adoncques l'autre fut bien étonnée & fort triste d'avoir laissé
passer une telle commodité: parquoi, sans faire semblant, elle s'en va,
& puis se mit au chemin où elle pensoit trouver ce personnage; & suivant
par avis son train, ayant su en s'en enquérant, qu'il étoit allé vers
Vieille-ville, elle faisoit mine de cueillir des herbes pour sa vache.
Puis l'ayant apperçu, elle fait de l'étonnée; elle s'approche de lui &
lui dit? monsieur, que je suis aise de vous avoir trouvé! Que
faites-vous ici à vous morfondre? En dà, le bon dieu a bien changé mon
mari; & je ne le savois pas. Quand je lui dis hier que je vous avois
éconduit, il me cuida venir méchef, tant il me tança. Je loue le bon
dieu de son amendement. Je vous prie de ne le prendre point en mauvaise
part; mais de nous faire ce bien de venir ce soir loger chez nous. Bien;
madame, j'irai, quand j'aurai achevé mon service. Il n'y fit faute; &
fut le bien reçu avec joie & grande chere, & traité en apériateur de
commodités. Au matin, se retirant, il fit sa petite excuse à l'usage de
besace; & son hôtesse lui dit: par ma finte, monsieur mon ami, je n'en
voulois rien: pour dieu soit, si dieu plaît, je n'en veux rien. Bien
donques, grand merci madame; je prie dieu que la premiere besogne que
vous ferez aujourd'hui, se continue tant, que ne fassiez autre oeuvre de
tout le jour. Grand merci, monsieur. Elle étoit déja ennuyée qu'il ne se
hâtoit, pour aviser à son fait. Aussi-tôt qu'il eut montré les talons,
elle dit à sa servante: or çà, Marquise, va là-haut quérir ce linge,
j'en aurai aussi-bien que la Gousson. Apporte ces serviettes, ce menu;
que je ploie. La chambriere ayant tout apporté, voilà que le Page
voulant mettre la main à l'oeuvre, s'avisa d'aller pisser, afin de ne se
débaucher point. Ainsi, toute en hâte, elle sort en sa cour, où elle
s'accroupit pour pisser. Mais ce fut ici une efficace terrible, d'autant
qu'elle commença pisserie, qui continua tout le jour. Jan, elle avoit
dit qu'elle auroit force linge; mais elle coula force eau, & fit ce
ruisseau qui passe au pied des Loges, & va jusqu'aux Indes. Ses amies la
venant voir, & la trouvant ainsi distillant le dissolvant philosophique,
lui demandoient: hé quoi, ma commere! Hélas! disoit-elle, hélas!...

CASSIODORE. Elle leur répondit, comme mon compere Bonin, qui se leva
d'auprès sa dame, & alla pisser par la fenêtre. Il avoit bu, au soir, &
il pleuvoit. Il oyoit l'eau de la goutiere qui tomboit, & il tenoit son
pauvre petit, étant toujours à la fenêtre. Elle lui dit: hoi, Bonin,
aurez-vous tantôt pissé: Je pisserai tant qu'il plaira à dieu.




GLOSE.


V. QUELQU'UN. L'année passée, le petit Travers eut une autre opinion.
Monsieur de Beaumont nous avoit donné à souper, où étoient plusieurs
chantres, qui, ayant trinqué & chanté, voulurent s'en aller, afin de
pisser. Moi qui m'en apperçus, je leur dis: attendons un peu à nous en
aller, & allons pisser. C'est cela, dirent-ils, & chacun se mit à
pisser. Travers avoit pissé, & un autre pissoit d'en-haut. Quoi, lui dit
Multon, frere, tu pisses encore, & tu as remis ton cas! O, ho, se
dit-il, grand merci. Et lui de le reprendre, & le laisser là à l'air
fort long-temps; dont il lui avint un grand inconvénient, c'est que
depuis il fut enrhumé. Et y prennent garde les pisseurs, pour ce qu'à
faute de resserrer son engin, on se morfond en bon escient; ce qui peut
aussi avenir aux femmes, quand elles n'étament pas bien leur cas du
devant de la chemise, afin de lui clorre les mâchoires, de peur que le
vent n'y souffle.

OVIDE. Il y a trois ans que j'étois à Vezins; & Prédicat étoit avec
vous, & Platon aussi, lequel, au soir, fut laissé avec les demoiselles
faire des anagramatismes; & Prédicat s'en alla coucher: son lit avoit
été préparé en la couchette, fort près de la cheminée. Quelques heures
après, ainsi qu'il dormoit, Platon s'en vint coucher au grand lit, qui
étoit de l'autre côté de la cheminée. Je ne sais s'il avoit bu
_egregiè_, (c'est-à-dire _en Grec_) il se leva d'auprès de moi, la nuit,
pour pisser; & ne trouvant le pot, il alla pour s'évacuer en la
cheminée, ainsi qu'on fait aux hotelleries, sur le chemin de Paris. Il
se fourvoya, prenant le droit pour le côté; & se mit à pisser roide
contre le visage du dormeur, & lui flaquoit des ondes d'urine si fort
sur le minois, qu'il l'éveilla, & fit tousser, comme un boeuf qui avale
une plume. A ce bruit; il eut si belle peur, que si le douzil n'eût
tenu, il l'eût laissé cheoir, tant il eut belles affres, cuidant qu'il y
eût quelque démon dans les briques de la cheminée. En cette émotion
mutuelle, & qu'il étoit tout troublé de reste de sommeil, & l'autre
d'aspersion pissotiere, Platon se retira tout bellement, & s'étant remis
au lit & rassuré, se doutant bien ce qu'il y avoit, demanda: quel bruit
est-ce cela? C'est moi, dit l'autre. Je ne savois rien de cette affaire,
& ne pensant à aucun mal, je lui dis ainsi: je ne sais ce qu'il y a;
mais cet homme est fort troublé. Hélas! oui, dit-il, & d'un nouvel
accident. C'est que j'avois la tête panchée sous la cheminée; & il m'a
plû en la gorge si chaud & si salé, que j'en ai le gosier tout écorché.
Le paillard rioit, en se mordant la langue; & le consoloit, faisant de
l'endormi. Le lendemain, il en fit le conte aux filles, qui en menerent
bien le patient de la pluie salée: mais Platon y perdit, d'autant que,
faisant ce discours devant les dames nos soeurs; Prédicat dit que cette
eau venoit filant douge comme petits filets de soie: de quoi elles
conclurent qu'à mêche si déliée, la chandelle ne devoit guere être
grosse. Il avoit une maîtresse, qui pour cela fut fort dégoûtée de lui,
tellement qu'elle le prit à partie; elle se moquoit de lui, & _le vit
lui pendoit_, lui faisant plusieurs opprobres. Lui pendoit-il comme à
Georges de Boeuf de Chinon, qui, pissant, un jour, contre une muraille,
tenoit son écritoire, _aliàs_ la gaine de son couteau, pensant tenir son
fait ou canon à pisser; il pissoit dans ses chausses?

ANACREON. Si Rolette, chambriere de Maldonar, l'eût tenu, elle se fût
bien moquée de lui. Elle me reprochoit, un jour, que notre bête étoit
bien sotte de ne pouvoir pisser seule: & qu'il la falloit mener par la
main; & que la sienne pissoit sans aide & net, d'autant qu'il se fait un
joli petit pet, & par ainsi le cul souffle les bourriers tout autour.

VIRGILE. Pourquoi est-ce que l'on pette en pissant?

AFRODISEE. Hé, pauvres médécins, qui cherchez des causes étrangeres ès
minimes, que je vous plains! Sachez cette maxime; c'est que l'on n'en
peut avoir sans vent.

L'ESCOT. Il étoit bien besoin que vous parlassiez de messieurs les
minimes.

AFRODISEE. Foi de nourrice, je ne pensois point à eux; & toutefois je
m'en avise: aussi bien faut-il, par-ci, par-là, ranger ces gens
d'église, desquels si nous ne parlons, il leur semblera avis que nous
les craignons, ou que nous les méprisons comme hérétiques. Mais ce n'est
rien de ceux-ci au prix des capucins & feuillans. Je voudrois, par fin
desir, qu'il n'y eût pas un de ceux qui veulent avec tant de desir
devenir gueux honorables, & gentilshommes coquins, qui n'eût le vit d'or
& le nez d'argent. Mais, se dit le sire du Quesnoi, parlez de qui vous
voudrez; & laissez-là les bons minimes, ayant révérence à l'antiquité.

PAUL-JOVE. Quelle antiquité! Cet ordre est tout nouveau; je l'ai vu
naître. Il n'est donc pas antique: joint que, pour être antique; il
faudroit qu'il y eût mille ans; ancien, deux cents; vieil, plus de cent
ans.

CASSIODORE. Ils sont fort anciens, voire plus qu'antiques. Je le sais;
ils sont du temps de la famine universelle, quand l'Egypte avoit seule
de vivres; témoin Joseph, qui, parlant à ses freres, & leur faisant
l'inconnu, leur demanda: _ubi est frater vester minimus?_ où est votre
frere le minime.

MUNSTER. Tout beau, ne mêlons point le saint avec le profane.

HIGINUS. Vous le mêlez, comme Boispierre, qui parloit du corps de leur
métropolitaine: lequel avoit une cure à deux lieues de là, où il alloit,
& laissoit quelquefois sa charge. Quoi, dit cettui-ci, ce compagnon-là
ne devroit bouger de l'église: on ne peut servir à deux maîtres, à dieu
& au diable. Sainte dame? voilà un grand mot. Et lequel étoit le diable?
Je n'en parle plus; demeurons en notre antiquité.

TITE-LIVE. Je me ris de vous ouir parler de l'antiquaille; & m'est avis,
voyant ainsi jaser de l'_anticle_, de l'_ancien_, du _vieil_, que j'oi
le maître horlogeur de Geneve, qui me discouroit de l'épée, me disant
que c'étoit un calibre yeuxcellent, où il y avoit plusieurs sarches &
points à noter; qu'il y avoit l'épaule antique, & l'épaule authentique,
par le travers desquels passoit le duc de Saxe: au milieu étoit les
quatre os ou écarteleures, qui en bande étoit tranché par le soudiacre,
aux bords duquel étoient les deux hypocrites, coupés par deux saichés
qui venoient des épaules, lesquels sont les deux couleuvres de
laisse-faire: au haut & bas sous les deux épaulieres; à l'entour est la
raison, qui est coupée du médionneur. Mais je laisse là ce pifre, parce
que, quand il vint chez nous, il chia au lit, & devint ortlogeux. Il
étoit aussi bon interlogue, que l'apothicaire de monsieur de Tours, qui
lui conseilloit de ne sortir point, un jour de saint André, parce que le
temps étoit aromatique. Par le plus S. faux serment que je dois à la
race féminine, qui me nomme le bon homme _Trompecon_, j'oubliois mon
conte, pensant à la folie que vous faites sur la comparaison du temps
passé. Je ne cuide pas que ce qu'il y a mille ans qui est passé &
anéanti, soit plus vieil que ce qui se passe tous les jours, & qui va
dans le sac de vielliesse, dans l'écrin de l'oubli; & ce qu'on propose
de plus ou moins vieil, est d'aussi bonne grace que la question de
Martin Chabert, qui aimoit trois filles, auxquelles il dit, pour arrêt,
un jour, mes filles mignonnes, je ne puis vous épouser toutes trois,
bien que je vous aime de toute ma loyale frussure, & plus chacune l'une
que l'autre. Je ne sais comment faire, sinon qu'il faut que j'aie à
choisir: & pour nous ôter de cette peine, je vous dirai, si vous voulez,
un moyen; c'est que j'épouserai celle qui me dira la plus naïve vérité
de ce que je lui demanderai. Elles s'y accorderent. Or, çà, dit-il,
lequel est le plus vieil de vô chouse ou de vô bouche?) J'ai quasi
bronché des mâchoires. Mais pourquoi dit-on _confitures_? Que ne dit-on
_ficontures_, ou _fiturescon_? Et tant d'autres mots qui commencent
ainsi, comme _congrégation_, _conscience_?

ELPHIS. C'est bien entendu pour un philosophe? ne savez vous pas bien
qu'il est devant & jamais derriere? Et pourtant il faut le colloquer en
la tête. Le charpentier, qui demande au curé: pourquoi dites-vous,
_dominus vobiscum_? Que ne dites-vous, _dominus vobiscu_? Le curé lui
dit: pourquoi dites-vous un _compas_? Que ne dites-vous un _cupas_?

HIGINUS. Sainte Marrande, vous avez raison; mais faites parler ces
filles).

TITE-LIVE. L'aînée répondit: c'est mon cela qui est le plus vieil,
d'autant qu'il a de la barbe; & ma bouche n'en a point. La seconde:
c'est ma bouche qui est la plus vieille, parce qu'elle a des dents; &
mon petit n'en a point. La petite dit: je dis comme ma soeur. Dites
donc, mignonne, une belle raison comme nous. Elle pétilloit & frétilloit
comme une marmote déchaînée. C'est, dit-elle, ma bouche qui est la plus
vieille, pour autant qu'elle est sévrée; & mon con tette tous les jours.
A, ha! hé, or devinez, vous autres, & jugez laquelle a le mieux dit,
afin que Martin soit le marié comme les autres. Jan par la certebieu,
dit Coypeau; aussi étoit-il tout réformé. Alors j'aimerois autant ma
chambriere, qui, nous oyant ainsi discourir, me reprocha que, si ce
n'étoit leur cas, je ne saurions que dire; & là-dessus me dit: vous qui
en savez très-tant, si vous aviez trouvé un con tout seul, que lui
diriez-vous?




SERMON VI.


VI. Néanmoins, messieurs, beuvez pour la pareille. Aussi bien peut-on
mentir en liberté de conscience, deux fois l'an: l'une en été, disant:
je n'ai pas soif: l'autre en hiver, disant: je n'ai pas froid. Mais
pourquoi est-ce que, quand on demande à boire, fusse à un laquais, on y
va courtoisement, de même qu'à requérir une garce de dormir avec elle
théologalement? Nous en sommes bien! Voilà de belles demandes, dit
Sapho! C'est parce que cela coule comme foutre de prêcheur. Achevez;
aussi bien cette fille a voué son pucelage à autre chair qu'à vie
consacrée; & nous dites la résolution de la caupeaude. Ha, vous en
souvenez vous? Hé, bel engin de dame! ainsi vous puisse-t-il croître de
jour en jour. Nous demeurâmes tous cois, & plus étonnés qu'un évêque
sans mitre. Elle nous ferma la bouche, & nous dit, il lui faudroit dire:
con sans cul, que fais-tu là? Epaminondas, qui venoit de racoûtrer ses
chausses, rentra à table à ces mots; & les ayant ouis, il dit: que
répondroit-il? Voire, voire, c'est bien parlé à moi; mais pourquoi
est-ce qu'un tel cas, puisqu'on le nomme ainsi, ne parle point, vu qu'il
a une langue!

ALBERT. C'est parce que le cul est auprès, qui lui dit paix.

EVIMQUARBRE. Quel sermon est-ceci? Vous ne parlez que du cul.

NOSTRADAMUS. Ce seroit belle chose de parler du cul; ce seroit un
langage excellent; il seroit plein de toutes sentences: & si cela étoit,
on parleroit comme on s'assiet; & si on écrivoit de même, vraiment on
verroit de belles orthographes de femmes, qui souvent écriroient du cul.
Cela me fait souvenir de ceux qui parlent du nez, s'ils écrivoient comme
ils parlent, ils écriroient du nez. Or, mon bel ami, sans cul on ne fait
rien. Savez-vous pas que c'est la base & le vrai milieu du corps, le
mignon de l'ame; d'autant que, s'il ne se porte bien, & que ses affaires
soient incommodées, elle s'en déplaît & s'enfuit par-là. Je parle pour
les doctes. Or donc, doctes, venez ici succer la moëlle de doctrine;
venez apprendre de beaux secrets, sans vous amuser à brider chevaux au
rebours, _id est_, leur mettant le mords au cul, tout ce qui se fait au
monde est pour exercer monsieur du cul, pour lequel boucher sans y
toucher, (grand miracle) il ne faut rien permettre entrer en la bouche.
Mais devant que j'acheve, je vous demande à vous, François & Anglois, à
qui le baiser est commun, lequel vous aimeriez mieux baiser une fille au
dernier noeud de l'échine ou à l'entonnoir du cul?

HYPOCRATE. A, ha, e, hé, l'entonnoir du cul est la bouche. Et de fait,
tout ce que l'on apprête de plus friand, n'est enfin que pour faire de
la merde entre les dents, & partant pour mettre en oeuvre maître cul,
_id est, frater culus_, frere cul, qui est le gouvernail de tout le
corps, & le mignon de l'ame. Je le vous prouve. Si le cul ne se porte
bien & ne fait bonne chere, que ces affaires ne soient en bon état,
l'ame en est incommodée, & le plus souvent sort par le dédain qu'elle en
a, & nommément quand les matieres sont par trop claires, & que l'ame s'y
laisse couler faute de glu. Le cul n'est-il pas le prince des membres,
puisque tous lui font service, & que ses dédains, ou ennuis, ou coleres
les affligent tous? Puis, c'est lui, à qui tous font honneur, le faisant
seoir le plus dignement & le premier: & de fait, il chemine en prélat,
après tous les autres membres, allant en procession.

FORBIN. Je ne m'étonne pas si vous en parlez tant, ayant été disciple
d'Esculape, qui voyoit le jour par le cul de sa femme.

DIOGENES LAERTIUS. Il y en a beaucoup qui voient le jour par le cul,
comme vous diriez les chaudronniers, & ceux & celles qui travaillent de
l'éguille, & les bons buveurs, qui voient le cul & le montrent aux
autres. Mais comment voyoit-il le jour par le cul de sa femme?

FROBEN. Sur ses vieux jours, ce bon preud'homme épousa une femme
Allemande. En allemand, une femme est appellée _frau_, c'est-à-dire,
tromperie. Voilà pourquoi les dames Allemandes aiment mieux les
François, que ces gros pifres d'Allemands, qui ne font que souffler &
les injurier. Le pauvre grand bon hommet, quelquefois ayant veillé après
ses études, & s'étant couché tard, s'endormoit: puis sur le matin, ainsi
que toutes les femmes, après avoir été approvisionnées, (je vous le
conte comme il me le racontoit) je voulois, disoit-il, à cause de ce bon
vin grec, étant tapis dans le lit, fomenter ma complexion. Alors ma
femme qui m'aime tant, qu'elle tire de son ventre pour me le donner,
étant confite en humeurs, ouvrant les yeux, elle ouvre le cul & laisse
aller une vesse ou une vesne épouventable, & qui, couvée entre les
replis de gras double, a une odeur de tous les mille diables. Adonc
sentant cette alenée postérieure, (femmes ont beaucoup de conduits,
évaporant des parfums de plus haute odeur que civette) moi qui crains
ces venues culieres, à cause de l'air mélancolique & coëde, qui, rendant
le cerveau rélant, cause l'épilepsie par un effet de corrosion punaise,
à quoi sont sujets les hommes du siecle qui sont mariés, (aussi pour
cette cause, moines & prêtres sont plus longuement sains, d'autant
qu'ils s'abstiennent de la fréquentation des femelles, joint que, s'ils
les hantoient, l'odeur leur feroit bander la cervelle.) Je dis; je (sans
plus faire de parenthèse) odorant ce spécifique exodin & abominable, je
jette le nez hors du lit, ouvrant les yeux, de peur d'y avoir enfermé
cette espece de vapeurs & corps momentaires, ne tombant que sous un
sens; je vois le jour tout clair, parquoi me résous à me relever: &
voilà un des bons usages de ce benoît cul.

STAT. C'étoit une vesniere que cette femme; & à cela je me souviens, lui
changeant de nom, de ces messieurs d'Angers, qui changerent leurs noms,
sur quoi un oyant qu'ils avoient mis _du_, _de_, ou _le_, &c. à leurs
noms, dit: j'ai nom Vanier; & me nommerai le Vesnier.

PUC. Mais vous ne dites pas de celui, qui voulut servir de secrétaire à
notre Prélat; & il avoit nom _Meusnier_. Monsieur voulut qu'il eût nom
_Mesnier_; parce que, dit-il, mon ami, quand vous viendriez après moi,
on diroit: _meusnier touche ton âne._

RABELAIS. Mais vraiment, pour mieux dire, cette femme étoit ou devoit
être une belle grande vesse, d'autant que chaque espece engendre sa
semblable.

STATIUS. Je ne sais pas qu'en dire; mais elle étoit fort haute à la
main, & possible aussi au nez. Ce fut elle qui me mit une fois en
colere. Vraiment, la porte en est bien étroite: joint que chacun sait
que je n'y entrai jamais, qu'alors qu'elle m'appella _beau vaisseau_, &
je l'appellai, _belle vesse_, elle. Lui faisois-je tort?

LICOFRON. Il faut avoir bien dur coeur, & encore en soupant, pour
supporter telles paroles, & tant ordes.

METRODORUS. O le délicat! tu es né entre la merde & le pissat; & tu en
veux conter! Mais à quoi est-ce qu'on connoît le bon coeur d'un homme?
C'est quand il mange la merde, d'autant qu'il faut avoir bon coeur pour
la manger. Après que vous avez bien senti les fleurs, vous entamez le
fruit.

LEON HEBREU. Quel fruit d'abomination! Cela me contamine. Je ne serai
net de trois fois sept jours. Je suis bien venu à l'heure de corruption;
& pource, je suis d'avis que l'arbre, la fleur & le fruit ayons en
abomination. O dà, je m'équivoque. Et qu'est-ce que je deviendrois? Je
suis fils du ventre d'une femme. Fruit du ventre, c'est merde. Je suis
donc merde. Ah! pargoi, bran & merde fine soit pour ce beau jaseur, qui
nous a appris à syllogiser; le Lucifer des ténebres le puisse sigilliser
& syllogiser en enfer!

PITAGORAS. Tu es tant savant en tes spéculations, que tu es fou.




DIETTE.


VII. Je suis d'avis, mon ami du coude, du montoir, ou de quelqu'autre
façon & race, que tu laisses arbre & fruit non vivant, _id est_, mort; &
que tu l'aies en horreur ainsi que moi, & les Ecclésiastiques Romains,
qui rejettent l'outil des femmes comme feves, dont il porte la figure,
ayant la raie noire, & le bas contre mont. Notez bien feves, pour le
symbole éminent qu'elles ont; c'est que, quand quelqu'un y a été
attrapé, qu'une goule sans dents lui a donné une morsure; il est dit le
roi de la feve: sur quoi je m'avise d'un beau ménage. Le Maugrin vit un
jour sa chambriere, qui jettoit, en balayant, trois feves; elle lui dit:
vraiment, baboine, ce sera-là ton mariage. Elle les prit, & les sema; &
en eut d'an en an, assez pour la marier. Et de-là j'infere que, si le
roi défendoit de mettre des feves aux gâteaux des rois, & qu'il prît ces
feves-là, & les semât; il en tireroit un grand soulagement pour le
peuple. Or, sans nous amuser à ces gueux de rois, si tu veux être libre,
n'aie jamais de femme; parce que, si tu es marié, tu seras obligé; tu
paieras la taille & la taxe aussi, & il faut que tu le fasses par
contrat: ainsi sont tenus les gens mariés; ce à quoi les libres
ecclésiastiques ne sont obligés, n'ayant affaire au particulier ni à la
_raye publique_; que pour leur plaisir & récréation; & ce les
après-dînées, & au temps d'ébat, non pour tenir femmes avolées toutes
nuits, parce qu'à leur réveil ils sont obligés de dire leurs heures à
jeun; & ils auroient bu de l'ordinaire, comme les Ministres; & on les
accuseroit d'être hérétiques: tellement qu'ils auroient bu la façon de
leur journée, ayant bu de l'ordinaire.

LUCRECE. Je mourus par ce poison; toutefois c'est tout un. Tandis que
nous sommes encore aux fauxbourgs, avisons un peu à ces trois filles;
parce que celle-là, qui a dit que son cul avoit de la barbe, me fait
souvenir de monsieur Libreau, Avocat à Paris. Cette mignonne étoit allée
aux étuves, avec des dames de ses amies; & ce, par le congé de son mari
qui étoit fort chiche. Sur quoi, les autres, qui avoient su qu'il ne lui
avoit donné qu'un quart d'écu, s'aviserent de lui faire une
méchanceterie: ce qu'elles exécuterent. Et avint que, comme elle fut
retournée & couchée avec son mari, ainsi qu'il l'amignotoit & prenoit
son jouet, il n'y trouvoit du poil que d'un côté. Voilà, dit-elle, mon
ami, on ne m'a fait de la besongne que pour mon argent. Aussi je vous
avois demandé demi écu. Que ne me le bailliez-vous? Cela a été cause que
je n'ai eu le poil fait qu'à moitié; on n'a fait mon affaire qu'à demi.
Cette remontrance fut occasion, qu'elle eut le lendemain un demi écu,
pour se rajeunir par le bas.

ARETIN. Les avocats & les mariniers ne sont pas de même opinion. Un
marinier de Quilleboeuf fit tout autrement, ayant été long-temps absent.
A sa venue, sa femme, pour le récréer & rajeunir, avoit fait ras & net
le poil de son chose; & ce maître rustaut, se voulant jetter sur elle,
comme dans le fond de son bateau, & passant la main à la breche, & n'y
trouvant point de poil, il méconnut l'étable ordinaire de son courtaut;
& s'écria, en disant: _ha! méchante vilaine, che n'est chi mie mon coin.
Si est,_ dit-elle. _Ne n'est: tu l'as laissé chez ces quenoines; va le
quérir; va, je veux poil & tout._ Il fallut qu'elle fût absente, tant
qu'elle l'eût trouvé, d'autant disoit-il encore toujours: ce n'est point
le mien; je le veux avoir avec le poil.

SENEQUE. Il m'est avis que cela n'est pas beau de parler ainsi des
femmes. Il semble que vous en dites, comme si elles n'étoient pas femmes
de bien.

PERSE. Vous avez raison, mon pere, mon ami; vous êtes digne d'être
empereur, d'autant que la reine d'Egypte vous aime (parlez bas, de peur
de ce que je ne sais, tant j'ai de peur de faillir). C'est de par le
gibet, aussi je me souviens que l'année que j'étois Recteur en
l'Université de Paris, sous le nom de Marius, ce grand Consul Romain, je
vis prendre une maquerelle du bourg de Four. La raison étoit qu'elle se
battoit avec une autre, qui lui dit; ha! chienne, tu veux ici faire de
la reine d'Egypte. Tu as menti, dit-elle; je suis femme de bien. Quant
aux fillettes qui sont du tiers ordre, je les plains en ma conscience.
Hé que j'ai bu! Je pense que je sors de propos, & vais de la truye au
levain.

ARCHIMEDES. Qui sont celles que vous appellez _fillettes_?

L'AUTRE. Chacun en dira sa ratelée, m'ayant oui.




ANNOTATION.


VIII. Fillettes nous disons, celles qui sont capables de rendre compte
par déduction; ainsi sont-elles propres au déduit. Il y en a
généralement de trois sortes, & ceci pour simple intelligence de ce
qu'on dira tantôt. Notre bon ami que voici, (je ne dis pas _vessi_; mais
chassez ces chiens; ces femmes ont vessi). Or donc il y a trois ordres
de ces commeres. Il y a celles, qui tiennent rang entre les femmes de
bien; il y a des filles d'église, lesquelles demeurent aux cloîtres,
_actu, aut potentiâ, vel potestate_; & les autres, qui sont comme à
Geneve, à Camp de Fior, près de Lorrache, celles-là sont du tiers ordre.
Hélas! l'autre jour, je fus tout embaumé de commisération, pour une
pauvre petite qui pleuroit chaudement. Les larmes lui tomboient des
yeux, de la grosseur de cirons d'Inde; & crioit que ces brigans de
sergens, & autres de telle étoffe, leur pilloient en un jour tout ce
qu'elles avoient pu gagner en un mois, à la sueur de leur corps. Puis,
après cela, elle rioit avec les autres, se réconfortant, & par dépit
disoit: mais dis-moi, hé! maquerelle ma mie, s'il y avoit en un sac un
sergent, un meunier & un coûturier; qui sortiroit le premier? Voire,
voire, dit-elle, à tout ce qu'elles répondoient, ce seroit un larron. La
femme de mon compere Bignon les regardoit, toute ravie de voir ces
garces ainsi affligées, & incontinent consolées; & en cette entente,
elle étoit je ne sais comment assise, & si bien qu'en dà presque
paroissoit le but mignon de ficherie? Son mari, qui l'apperçut, lui dit:
ho! ma mie, venez ici, & fermez la boutique, il est aujourd'hui fête. Je
vous dis vraiment qu'en se remuant de cet état, où elle étoit si
proportionnément assise, je vis ce qui se peut voir de son gardon à la
dérobée.

QUINTILIEN. Quelle cornucopie est ceci? Quel nom amenez-vous?

SENEQUE. Encore avez-vous bien dit, d'autant que la copie & les
originaux des cornes se font illecque.

L'AUTRE. Je vous dirai. Le bon homme Genebrard avoit épousé une jeune,
belle, mignonne femme, avec laquelle étant couché, l'ayant baisée, il
mit la main à son comment a nom, & le tapant, dit: gardon, ma mie,
gardon. Ce qu'il continua souvent, sans autre effet. Le vendredi
d'après, la chambriere (c'étoit à Paris, où les servantes, qui vont à
l'emplette, gagnent le moins de gages) eut commission d'aller à la
poissonnerie, & demanda à sa maîtresse ce qu'elle apporteroit. Ce que tu
voudras, dit la dame. Apporterai-je des gardons? Va à tous les diables!
Je n'orai jamais parler ici que de gardon.

GANPIL. Vous faites bien de les nommer gardons, à cause des gardes que
nature y a mises, lesquelles si elles n'y étoient, vu cette grande
solution de continuité, les femmes seroient toujours enrouées. Et c'est
merveille comment, cela étant si déjoint, il est toute-fois si conjoint.

SAPHO. C'est une décoûture au bas du corps; ce qui avint, quand Jupiter
eut coupé l'androgine. Il commanda à Mercure de recoudre le ventre à
l'un & à l'autre; cela est cause que le ventre est si délicat. Il cousit
l'homme avec un lacet trop long; tellement qu'à la fin de la coûture il
en resta un bout. Et cousant la femme, il prit le lacet trop court, si
qu'il y eut faute, & il y demeura une fente, faute de points. Et en
avez-vous? Mettez cela en la boëte au saffran. Mais encore, messieurs
les savans, savez-vous bien les sept merveilles du monde? Vous ne dites
mot. Je vous ferai savoir de belles choses, si je veux. Or préparez-vous
à ouir. Ne vous recordez-vous point que les souris courent en la paille,
sans se pocher les yeux? Je vous dirai des secrets plus notables, & qui
contiennent toutes sciences. Les sept miracles, ou merveilles, sont 1º.
Une poule noire, qui fait un oeuf blanc. 2º. Le vin clairet, qui est beu
comme le vin blanc, & pissé blanc non rouge. 3º. Le bout d'un homme, qui
n'a point d'oreilles, & oit quand on parle d'accrocher. 4º. Le cas d'une
femme, qui est un vaisseau qui a la gueule contre bas & est étanché. 5º.
Le paillard outil d'un amant, qui se bande sans guindal, de lui-même.
6º. Le bouton d'amour d'une femme, qui tire la moëlle des os, sans le
casser. 7º. Et le cul, qui se ferme & ouvre, comme une bourse, sans
tirans. A, a, a, ha, hé. Toute la compagnie se mit à rire; & nous nous
trouvâmes joyeux & alegres, comme une belle troupe de jeunes ou nouveaux
cardinaux.

BATILE. Vraiment, Sapho, vous avez tort; vous êtes bien salaude: jamais
vous ne direz rien de net. Non, dit-elle, non plus que la Soldée ne peut
jamais faire de beurre net.

QUINTILIEN. Je vous prie de nous expliquer votre dire.

SAPHO. Par mes amours, je le veux: mais me direz-vous la vérité de ce
que je vous demanderai?

QUINTILIEN. Oui.

SAPHO. Si mon cul vous baisoit; le baiseriez-vous?

QUINTILIEN. Passe outre.

SAPHO. Quelle difference y a-t-il entre votre nez & le cul du chien? Le
cul du chien a le poil dehors, & votre nez dedans; ainsi différent
vérité & raison. Si votre nez étoit en mon cul de derriere, il seroit
vérité; mais ce ne seroit pas raison qu'il y demeurât. Or voilà comment
je leurre ces savans; que le dianche les puisse saupoudrer. Ils ont tout
leur engin en la cervelle. J'aimerois autant qu'un savant, qu'un pédant,
qu'un de ces doctes de lettres me fichât une cheville en l'oeil, que me
copuler amoureusement, tant leur consuétude est fade. Il n'est que bons
compagnons, qui savent la mignotise pour s'en ébattre; & non point se
faire payer pour cela, comme ces entendus, qui, à vrai dire, sont veaux
de double pelisse. Mais avant; & puis. Là, vous me voulez remettre; j'y
suis, bien que ce ne soit pas là, ains autre part, qu'il me démange. La
Soldée étoit une honnête beurriere de Bourgueil en chrétienté: (c'est
auprès de Touraine, & non en Touraine. Si cela fût avenu en ce pays là,
on n'en eût fait que rire, parce que les fous y croissent comme en votre
pays, monsieur le Lisart). Un jour devisant, son mari lui reprochoit sa
saleté. Vraiment, ma commere, tu ne saurois faire de beurre net, tant tu
es mal propre. Agà, si ferai; j'en ferai, & le ferai si net, que t'en
ferai manger; & le salerai pour ton carême, que je te ferai mieux faire,
que ne font les moines, qui mettent du sain doux en leurs choux en
carême, pour épargner le beurre par humilité, à cause des hérétiques de
Saumur. Or bien notre Soldée (qui étoit aussi propre que la femme de
Périclès, qui se torchoit le cul au bout de la nappe, & presque aussi
sotte que celle de Tite-Live, qui, voyant des béliers, demandoit ce que
c'étoit qui leur pendoit encre les cuisses: c'est leur couille, dit gros
Jean. Comme elle vit venir les brebis, & voyant leur pis enflé, elle
disoit: elles ont belles couilles, nos brebis.

L'AUTRE. Ainsi Pindare, hier, dînant avec nous chez Mécénas, louoit fort
une bonne tétine de boeuf routie, & mise à la sauce douce. Mais
n'oubliez pas le beurre: c'est la douceur d'entre les jambes.

MADAME. Vous êtes si sage, que vous êtes fou.

L'AUTRE. Ho, ho, gardez-vous de prononcer, ainsi que fit Charlotte à
Blois; durant les états, que nous étions avec ce moine de Bourmoyen, qui
rioit tant avec trois nonnains. Le voyant ainsi rigolant, je dis tout
haut, ce moine est fort crêté & frétillard après ces nonnains. Voire,
dit Charlotte, il est fou trois fois la semaine.

DENIS. Sec, frere Jean, il le feroit neuf fois, à chacune trois fois,
sans les autres; outre cela il aime bien besogne d'église faite.

MICLEOT. Il n'en est pas toujours si ardent; il est feru, comme un chien
d'un bâton. Si on lui dit: allez à l'église. Qui y est? Ils y sont tous.
Ils sont donc assez. Une autre fois: qui y est? Il n'y a personne. Je
n'y ferois rien tout seul.

HÉSIODE. Vous vous êtez trompé du lieu: cettui-là étoit de Mermoutier,
c'est-à-dire de _la mer des moûtiers_.

DENIS. Non étoit.

HÉSIODE. Si étoit.

DENIS. Vous avez menti bien humblement.

HÉSIODE. C'est vous, si je puis.

DENIS. Mais bien vous, sans vous faire tort.

HÉSIODE. Mais vous, sans péché, comme disoit mon compere Guillaume. Et
bien, mon ami tant gai, où est le temps que nous besongnions ces belles
garces, çà & là, sans offenser dieu?

MADAME. Paix, paix.

HÉSIODE. Bien je reviens, je le sais, je ne dis rien sans en être bien
informé, & tout de même que l'étoit _Hérode qui radote_: & par ma digne
conscience qui est aussi nette de mensonge, que d'ulcere le corps d'un
vérolé.




BÉNÉDICTION.

IX. MADAME. N'oubliez pas le beurre, encore une fois.

SAPHO. On dit que les femmes sont grandes parloires; mais vous l'avez
gagné à ce coup sur moi; & est venu à propos, parce que cela est cause
qu'encore aux carmes, à Paris, on crie: (_n'oubliez pas le beurre._) Or
donc Soldée, ayant reproché à sa femme qu'elle ne feroit jamais de
beurre net, parce qu'elle n'étoit pas si propre que mademoiselle de
Lausnai, (qui, pour aller au privé, prenoit son masque, sa devantiere &
tout son harnois à chevaucher, pour mieux serrer les poings,
c'est-à-dire, chier; d'autant qu'une femme, faisant du gros, serre les
poings; faisant du menu, elle les dilate. Mais, belles dames, ne soyez
dégoûtées de beurre, à cause de ce que je dirai; ainsi que le fut la
fille du président de notre ville, qui fut plus d'un an sans en manger,
parce qu'elle avoit oui beautems raconter; comme ayant couru plusieurs
postes, & étant à Moulins, il prit un parchemin, (C'étoit le contrat de
mariage de la dame de la poste) & le couvrit de beurre qu'il se posa au
cul, qu'il avoit tout effleuré sans croupiere. Ce beurre ne fut jamais
mangé: celui de Soldée fut fait avec beaucoup de propreté. Elle avoit
pris une chemise blanche, une gorgerette, un garderobe; bref elle étoit
en beau point, & si propre qu'un jeune coureur de fortune l'eût
volontiers encochée. Ainsi ajoppée & bien lavée, elle se mit environ son
beurre. Son mari tout émerveillé, considéroit cette grande aventure: &
déja espéroit que sa femme le feroit mentir, tant son cas étoit propre.
Le beurre étant prêt, mis en livres, demi-livres, quarterons, & n'y
restant plus que la petite façon dessus; (c'est que les biens-disans
disent _le verbe_, _le garbe_, ou comme vous voudrez.) Cette joliveté
s'y faisoit avec un petit bois taillé, qui étoit enveloppé dans un linge
net, & mis sur le badaut. Badaut est un engin qui tient au plancher; &
ainsi plusieurs badauts y a qui ainsi pendent vis-à-vis. La Soldée,
voulant prendre ce petit bois sur ce badaut, monta sur une selle à trois
pieds. Qu'au diantre soit celui qui fit la maison, où fut marié le pere
de l'évêque, lequel sacra le prêtre, qui maria la mere de celui qui
forgea la cognée dont fut coupé le bois où fut émanché le pic, dont on
releva la terre, pour planter l'arbre, duquel fut faite la premiere
selle à trois pieds. Comme cette pauvre femme, si propre, s'élança de
dessus sa sellette; voilà cette abominable selle qui va broncher, & ma
pauvrette: ayant une jambe en l'air, & autre assez près, qui coula avec
la selle, va faisant une petite ruine, sans se dépécer, & tomba si à
point, pour n'être pas offensée, que son cul donna en plate forme, & si
proportionnément dans sa gidelle sur son beurre, qu'elle le remit en
chaos, défaisant toutes ces figures distinctes; & le repaîtrit
malheureusement par la pesanteur de son fessier, qui, de la roideur du
coup, étampa l'impression de ses fesses si abondamment, que le beurre en
fit la vénérable remembrance en creux.

RABELAIS. Vous avez vu des culs relevés; si vous en voulez voir de
creux, faites faire tel essai; il n'y a rien de si propre à mouler
fesses fermes, que beurre frais. Je l'ai appris des Ecossois
Insubériens, qui se délectent à la vue des fesses, parce que là est la
parfaite beauté qui ne se hâle point. Ho! dit maître Jérôme, vous m'avez
blessé; & là, le nez; je n'y joue plus. Achevez.

SAPHO. La soldée bien étonnée, se résolut en sa disgrace; & pour réparer
son désastre, se mit à arracher de son cul à belles mains, le beurre qui
y étoit attaché.

HYPOCRATE. Mais les chymiques disent qu'ils cherchent les esprits: & de
là il sembleroit que vous voulussiez conclure que les femmes ayant plus
de cul, eussent plus d'esprit que les hommes.

CELSUS. Cela est vrai, & y paroît. Qu'ainsi ne soit; une fille de sept
ans pissera plus gros que ne fera un garçon de dix-neuf, comme étant
plus coupable, & partant ayant davantage de jugement.

ORONCE. Vous ne mettez en avant que des redites. Que pensez-vous? Croyez
que plusieurs savent ce qui se fait ici. Qu'y ferez-vous,
puisqu'aussi-bien tout ce qui est dit ailleurs est pris d'ici, qui est
la source de toutes sciences? J'ai étudié plus de cinquante ans en ce
livre, tant je l'ai trouvé de savoir inépuisable.

L'AUTRE. Boute, mon ami, boute; écris tout ce que nous disons; tu
transcris & nous récitons par coeur; & puis un bon oeuvre n'est jamais
prescrit.

PRICIAN. Ceux qui disent: j'ai vu ceci ou cela autre part, sont des
chétifs averlans. Quand on mange d'un chapon, est-ce le chapon qu'il y a
plus de cent ans qui fut mangé & chié?

QUELQU'UN. O que vous dites bien, sage vieillard, que vous avez un bel
âge.

L'AUTRE. Ne vous déplaise; je vous dis que vingt-cinq ans est un plus
bel âge; & n'en déplaise à Caton, qui disoit tantôt qu'il étoit si bon
compagnon, qu'à l'âge de soixante ans il le faisoit encore deux fois.

CATON. O! lourdaut mignon, mon ami; c'est une fois en été, & l'autre en
hiver. J'aimerois autant le vieil médecin qui me nommoit son fils, quand
il me voyoit, & je l'appellois _pater_, parce qu'ils sont relatifs: il
disoit qu'en son vieil âge il le faisoit mieux que jamais, d'autant
qu'il y étoit plus long-tems, & y prenoit beaucoup plus de peine; &
qu'aussi son instrument étoit plus fort que sa jeunesse, parce que jadis
il se bandoit seul; & maintenant, encore qu'ils fussent deux, si n'en
pouvoient-ils venir presque à bout.

CETTUI-CI. Tandis que nous tenons ce médecin, je veux dire comme il me
gaussa l'année que je me fis chanoine; sur quoi vous pourrez apprendre
pour votre usage, un des plus exquis secrets de ce monde, nature étant
restituée; ce fut en la présence d'un médecin & d'un financier. Il me
dit donc: il y avoit un badin (_notate verba, & colligite signa_; ainsi
disons-nous, nous autres Latins) qui ayant fait une grande remontrance à
son fils, sur ce qu'il devoit devenir, lui proposa l'infidélité des
marchands, la déloyauté des gens de justice, les impostures des
médecins, toutes les voleries des financiers, la tromperie des artisans,
la perfidie des précepteurs, touchant au vif ceux qui, de toutes ces
sortes, ne sont pas gens de bien. Puis après, il lui demanda quelle
condition il vouloit suivre? Le fils ayant justement pensé, lui dit: mon
pere, je ne veux aucun de ces états que vous avez dit; je desirerois
être de la vacation de ceux qui portent des peaux de veau sur le bras
gauche. A cela je réponds: grand merci, monsieur; hachez menu, la chair
est dure; touchez-le doucement, je hais la peau délicate, ne le sanglez
pas si fort, qu'il ne pette. A cela il me tend la main (or avoit-il
femme jeune & belle encore;) j'avance main; & prenant la sienne, je lui
dis bien humblement: voici la main de celui qui, dieu merci, a besongné
mademoiselle votre femme, ou n'a tenu qu'à lui. Je parlois de la sienne;
& il ne l'entendoit pas. Et dà, pourquoi est-ce que nous portons
l'aumuce? c'est-à-dire, cette peau sur le bras. (Cette peau de veau, à
propos de vous, qui disiez tantôt... Or là, dites. Le bon homme étoit
tout pensif de ce que je lui avois dit, aussi-bien que mon procureur,
qui a belle jeune femme, auquel parlant des femmes, je lui dis: par mon
serment, cousin, j'ai besongné votre femme aussi-bien que vous. Il est
vrai, peuple ententif, parce que je ne le besongne jamais, ni elle
aussi: je les avois donc besongné l'un comme l'autre.) Alors je dis à
mon médecin: il faut que je vous le déclare, pour vous ôter de songerie;
c'est signe que nous ne mourrons pas en la peau de veau comme vous
autres.

PROPERCE. Que ne savois-je ces belles réponses, & ces doctrines! Je suis
fort déplaisant, & meurs de regret, que je n'attendis à écrire, pour
être le secrétaire de ce simpose, qui m'eût plus apporté de réputation,
que n'en auront tous les écrivains, toutes les écritures & tous les
écrits ensemble. Or c'est tout un; j'ai la copie des discours, tant
verbaux que couchés par écrit, comme disoit notre avocat: je me tiens à
mes demandes faites par requêtes verbales, desquelles la copie est en
mon sac. Et voilà comment je me tiens aussi à ces futures sentences qui
sont ja écrites. En outre, je prévois pour tout que ce banquet sera le
grand, unique & universel sur tous autres, & monarque des simposes
oecuméniques.

ZOROASTES. Je suis tout ému d'esprit prophétique, & connois devant &
derriere qu'ici se résoudront toutes les questions du monde; ainsi qu'il
est ordinaire, que sans le boire & le manger, on prend, on a pris &
prendra occasion d'enseigner cela qui est tout parfait; & comme la
vérité & la vanité, l'excellence & la sottise s'affrontent, l'un &
l'autre se pratiqueront en ce lieu; & on verra souvent la gloire
proposer à son client l'honneur du premier lieu à la mangeoire, comme
aux privés publics, on s'entre-fait place honorable pour fianter
glorieusement; & même à Genève l'assiette, pour poser le fondement, est
aussi nette que le tranchoir sur lequel vous mangez.




TEXTE.


X. Comme j'étions ententifs: & qui sommes nous? Je sommes ce que je
sommes; je jouons. Et que jouons je? Je jouons ce que j'ons. Et
qu'ons-je? J'ons ce que j'ons. Ons-je en jeu. Si je n'y ons, j'y fons.
Foin, ces Parisiens-ci me troublent. Paix, ou que la merde vous puisse
baiser.

GUALTER. A propos, si vous étiez en prison environné d'étrons,
qu'aimeriez-vous mieux, ou en sortir par amitié, ou par force? Par
amitié; il faudroit donc les baiser les uns après les autres. Par force;
il faudroit donc leur donner à chacun un coup de dent. Et vous,
taisez-vous, que j'acheve; & que nous prenions garde à tant de parfaites
doctrines. Quelques-uns de la compagnie, pour faire une pause
récréative, se donnerent le petit mot du guet. C'étoit la fleur des plus
sages, qui firent un complot de gaieté, pour faire rire la compagnie; &
allerent en une autre chambre, inventer une comédie à l'Italienne. Je
vous dirai qui furent ceux-là, à la charge que, si vous le dites, &
qu'il m'en soit fait quelque reproche, le diable vous emporte. C'étoient
Socrates, Plutarque, Rabelais, Gaguin, Luther, Ronsart, Pindare, Marot,
& quelques autres de même farine & pareils brans, & assez sages & fous
pour contenter le monde.

LUCIEN. Quelle différence mettez-vous entre farine & bran, vu que la
plupart de ceux-ci sont, comme dit l'autre, tournés en farine de diable?

L'AUTRE. Vous ne changerez jamais, encore que notre bon ami Pithagoras
vous ait fait passer par son alambic; si est-ce que vous êtes toujours
de même; & je crois que c'est vous qui en êtes la vraie farine de
diable, d'autant que Dieu vous fit bon comme farine, & vous êtes méchant
comme bran. Et afin que vous le sachiez, je vous dirai d'où vient ce
dictaire; je me dépêcherai, afin que le bon homme ait son sac. Il y
avoit un pauvre petit paysan, qui avoit quantité d'enfans, & n'avoit
point de pain pour leur donner, pour lors que la famine pressoit. Une
nuit s'étant endormi de tristesse, il songea qu'il trouva le diable qui
le consola, & lui dit que, s'il vouloit, il lui donneroit de quoi
bailler à dîner à son menu peuple, & là-dessus le mena en une forêt
obscure où il lui montra de grands sacs pleins de farine. Le paysan
ébahi & aise, dit: mais comment trouverai je ce lieu, si j'en pars? Le
diable lui dit: eh! chie auprès, pour le remarquer. Le triste pauvre
homme s'efforça, & fianta dans le lit, plus que six ladres constipés ne
feroient par un clystere enforcé de quadruple dose de fine bénédicte. A
son réveil, il trouva le bran, en quoi s'étoit réduite toute cette
diabolique farine.

LUCIEN. Mais encore, puisque vous y êtes, déclarez-nous un peu d'où
vient ce bon mot, _afin que le bon homme ait son sac_.

GUEVARRE. Cela avint en Anjou, en un bois qui est près de la
Rochefouque. Un gentilhomme avoit fort recherché une demoiselle du pays,
sienne voisine, qui ne l'osa accommoder de son ustensile, parce que la
commodité ne s'y offroit pas, & que possible, lorsqu'il le vouloit, il y
en avoit quelqu'autre (& notez, qu'il n'y a que ces deux raisons, avec
celle qui a été dite tantôt, qui empêchent les femmes de prêter leur
gnomon.) Un matin cette demoiselle, ayant affaire en une sienne métairie
(possible alloit-elle voir un de ses amis) passant à travers ce bois,
fut rencontrée du gentilhomme, qui alloit giboyer & n'avoit en main que
son arquebuse. Le gentilhomme prit la rencontre, & dit à celle-ci:
vraiment, il y a assez long-temps que vous m'attermoyez. Je vous prie
que ce soit à cette heure; il y a toute occasion à propos. Hélas! lui
dit-elle, que pensez-vous faire? Attendez à une autre fois. A cette-ci,
& à une autre, tout sera bon. Mais quoi! je suis en manteau; je me
salirai toute. Ce gentilhomme, levant la tête, vit un pied-gris passant
auprès d'eux, lequel avoit un sac. Il le prit, & lui dit: compere,
attendez-moi. Ayant ce sac, il le lui montra. Et bien, dit-il, voilà
pour mettre sous vous. Elle, se voyant pressée, & qu'il falloit passer
par-là, en dépit qu'elle le vouloit bien, lui dit: là donc, dépêchez,
afin que le bon homme ait son sac. Achevez, je vous prie. Socrates,
comme le plus fou (ainsi disent ceux qui passent une porte: _je passerai
le premier comme le plus fou_; _ergò_, les autres fous en leur présence,
à leur nez, & sans contredit. Mon sot de valet ne fut pas si sot. Un
soir qu'il falloit porter la chandelle, pour éclairer aux gens d'honneur
qui sortoient, il ne vouloit jamais passer devant, disant que l'honneur
ne lui en appartenoit pas. Cette petite bande entra de même, & le sire
Socrates marchant en gravité posée, comme monsieur le chantre de Paris
aux bonnes & nobles fêtes, ayant toussé, & s'étant monocordisé sur son
geste, préparé en pompe minoise, après avoir remué sa trogne
scientifique, ainsi que voulant annoncer quelque grande chose avec un
accent admirable, va dire: hem, hem, hem. JE SUIS. Et ainsi qu'il
faisoit une trop grande pose présidentale, pour exciter à émotion
audienciere, la reine d'Egypte, qui vraiment y étoit par honneur, se
fâchant d'attendre si long-temps, ajouta à son propos, UN SOT. Tout le
monde, jusques aux anges & aux serpens, sans les pierres et les cailloux
qui en creverent, se mit à rire si fort, que la mule du Curé de Saint
Eustache en foira de si pure joie, que la vie lui en faillit par le
fondement. Ainsi la farce fut gâtée & tout le cidre répandu, & la
gentillesse remise à une autre fois; & chacun fit comme aux nôces.

ARNOB. Vraiment, Socrates mon ami, tu devois bien y aller. Et que
diable! tu es fat, de te faire moquer de toi, sous ombre de l'opinion
que tu as d'être savant & sage, plein de doctrine comme la gibeciere
d'un hermite frais tondu. Voilà ce que c'est, tu es présomptueux; parce
que tu n'as fait toute ta vie que chanter aux latrines avec les
couillaux.

BARLET. Parlez net.

ARNOB. Je pensois dire _lettrain_ avec les choriaux, ma langue a suivi
l'usage commun. Ne savez-vous pas qu'il y a des églises, où les
chanoines ont des vicaires qui font pour eux, & sont dits choriaux?
Mais, parce que ce nom est rude, les filles ont inventé de dire
couillaux; comme celle qui disoit qu'elle ne vouloit pas que l'on
tournât son nom, de peur que l'on n'y trouvât quelque couillonnerie:
elle vouloit dire quelque coyonnerie. C'est tout un, la douceur en
vient.




SINODE.


XI. Par la vertu de l'herbe de la Saint-Jean, penses-tu qu'il te sied
bien de faire le fou? Ces grands sages n'ont point d'esprit à boufonner;
ils ont l'échine trop plate, le col trop roide & la cuisse trop avalée,
& s'ils s'en veulent mêler, cela avient, comme une huiliere à coëffer
une reine, tellement qu'ils trébuchent si roide, qu'ils paroissent fous
de haute alkimie, & au-delà. Tandis que César écoutoit ceci, son
laquais, qui depuis fut roi d'Espagne, étoit derriere lui, pour avoir de
la chair. Etant importuné, il se retourna, & lui dit: cap de biou, mon
laquais, je vous donnerai mornifle: & tout sert. Si tu veux de la chair,
prens-toi au fesses.

BOECE. Il a mis cela en effet, & est cause qu'il y a tant de dames
bossues, d'autant qu'il savoit en plusieurs lieux que celles qu'il
attraperoit, il les happeroit aux fesses; comme étant les plus
savoureuses & mieux faisandées, joint qu'il étoit assez aisé parce
qu'alors les dames n'avoient point de culotte. Il est vrai, (oui; je ne
dis point comme les autres fois, quand je mentois par oüi dire. Je l'ai
vu): c'est que pour crainte que cela n'avînt, plusieurs ont fait faire
des calleçons, ou brides à fesses, afin de se garantir; & les autres,
qui n'avoient pas cette industrie, pour sauver leur cul, craignant la
dent laquaïsme, ont mis la chair de leurs fesses sur leurs épaules. Cela
est donc cause des bossues. Vraiment, si elles engendroient leurs
semblables, bientôt le monde seroit bossu. Fi, fi; il ne le faut faire
qu'aux belles; la bosse leur sert de grace: & puis tous choses sont
choses. Sec, gardez-vous de cheoir, madame Safy, il y a un grand trou
devant vous; si vous mettez le pied dedans, vous vous gâterez.

MADAME. En dà, si vous aviez le nez dedans, & deux autres de même autour
des deux yeux, vous auriez une belle paire des lunettes.

BOECE. Taisez-vous; vous êtes belle. Que sera cela? Les belles se font
prier, & les laides prient; chacun fait ce qu'il peut pour vivre.
Pourquoi faire des lunettes?

CÉSAR. Pour mieux voir.

BOECE. De quoi voit-on le plus?

CÉSAR. Des yeux.

BOECE. Si votre nez étoit en mon cul, vous ne verriez que des fesses.

LE BON HOMME. Que voici de sentences accomplies! Que vous êtes heureux,
vous qui les savourez, tandis que ceux-là boivent sans nous ouir; & je
gage que; vous auriez beau dire, ils ne l'entendroient pas, d'autant que
ceux qui oient en beuvant, tiennent de la ladrerie, comme le tient &
afferme Janotin, maître apothicaire, du métier dont il se mêle.

SOCRATES. En dà, vous avez mieux dit qu'un four, & n'avez pas la goule
si grande. Pourquoi fait-on des fours?

ELPHIS. C'est pour cuire du pain.

SOCRATES. Voire, le niais! C'est pour cuire.

ELPHIS. Va te promener; & me dis la raison, qui fait que l'on boit les
uns aux autres?

SOCRATES. C'est parce que celui qui boit perd la parole, & devant qu'il
lui avienne mal, prie que l'on l'assiste s'il lui survenoit danger;
tandis qu'il est ainsi entre la vie & la mort, comme une ame qui sort de
purgatoire, ou qui pense y aller. Je ne m'y connois encore guère; je
suis à pardonner, parce que ce pauvre homme possible est prêt à se
noyer.

L'AUTRE. O vous trois fois pleins de béatitude, qui, accomplissant votre
félicité, venez lire, étudier & méditer ici nuit & jour, pour trouver la
pierre philosophale, que j'ai cachée en ces traits plus finement,
occultement, clairement, & patepeluement, que ne firent oncques Gebert,
Théophraste, Lulle, ou autres affineurs; mais de meilleure grace, & de
front plus minon, pour la rendre plus aisée à trouver, & divertir les
beaux esprits qui consument trop de temps au feu; & les inciter plus
gaîment à poinçonner leurs intellects, qui, pleins de concupiscence
célestes, s'agitent après ces fideles commentaires. Et encore,
messieurs, un mot en passant. Là, croyez-vous, dites, que toutes ces
bonnes gens fussent ici, & que ceux du temps à venir y étoient? Nous
avons celé les noms de quelques-uns, de peur qu'ils fussent reconnus, &
que plusieurs allassent au-devant, quand ils viendroient, pour leur ôter
leur argent, comme font les gentilshommes, en tems de paix. Or je vous
avertis que j'en dirai un; voire sans rien nommer, c'est que, d'ici à
plusieurs jours, l'empereur entendra le midi; il sera fils d'onze
heures; il mettra le midi à une heure, comme à Bâle en sottise (je
cuidois dire _en Souisse_) Pardon, Souissercons; je vous tiens pour gens
de bien, deussai-je mentir. Le petit diable de la nouvelle étoile vous
puisse chatouiller, pour vous faire rire. Et dà, vous en grincez déja
les dents. En ce tems si tranquille de cette benoîte aventure impériale,
personne ne fondra dispute ni secte, que pour se réjouir sur
l'intelligence de ces mémoires, qui seront divisés en dix-sept parties,
à l'honneur des dix-sept Provinces philosophiques; & on les reverra avec
une attention. Même il y aura devant ou après un beau joyeux petit
prélat de Basse-Bretagne, qui traduira ce code en toutes langues, depuis
celle de boeuf, jusques à celle de carpe pour le carême, & mettra par
rôles les colomnes de cet original, de peur des fausses positions, afin
de secourir les enfans de la science, & y fera-t-on des commentaires,
comme sur une pannerée d'air, une aulne de tems, une poignée d'ombre, &
une coudée de vessi, bon, chaud & humide, frayant comme un limaçon sans
coque. Mais quelque difficile galopin de piéfayés me viendra faire ici
une distinction, (je parle ici des hérétiques comme de chiens, parce que
les gens de bien rient toujours comme à eux tous seuls, auxquels la joie
appartenant & prenant en bonne part, louent l'intention telle que je
l'ai, qui est de profiter comme une poule égarée au renard) & pensera,
ce clabaut, me montrer quelque faute ou erreur, d'autant qu'il ne
l'entend pas; ou bien il est une bête, parquoi se faut taire, de peur de
honte: si on oit ou voit quelque gentillesse, il ne la faut point juger;
mais en rire & l'admirer, comme les Italiens & Espagnols qui font la
finesse. Or, que ce mignon ne me fâche point. Que s'il le fait, cordié,
morgoi, sandé, &c. Je sais bien que je rapporte tout à propos; & ainsi
que je lui dirai qu'il est un sot, par maniere de dire; & moi, pauvre
pifre, me prens-tu pour un apprivoiseur de mouches? Que l'aze te puisse
saillir en place. C'est une belle chose de savoir tout! C'est que notre
langue françoise est la plus ample de toutes. _Sic probo._ Elle a le
plus de termes, pour remarquer la copulation, qui est cause que tout est
produit. _Ergò_, elle est la plus produisante.

BARRELETTE. Voilà dit cela; & si vous êtes si pauvre de ne l'entendre
pas, je vous le ferai entendre.




TOME.


XII. Entendez donc que les bêtes chevalines saillent, les ânes
baudouinent, les chiens couvrent, les pourceaux souillent, les chevres
forboucsient, les taureaux vétillent, les beliers empreignent les
brebis, les cerfs rutent, les poissons fraient, les cocqs cochent, les
chats margaudent. Cherchez les autres; j'ai hâte. Mais que font les
hommes avec les femmes? Ils font. Quoi font? Cela: proprement, c'est le
faire. Je dirois bien comme disoit hier madame, qui se promenant en
l'isle sauta un fossé, & je lui aidai, & sa coeffure demeura: vraiment,
dit-elle, se remontant de tête; j'ai perdu je ne sais quoi; je laisse
tomber ma coifoutre, c'est-à-dire, ma _coeffe, outre_ ce fossé. Encore
n'est-ce pas tout; j'en hais ce fat qui vient blâmer notre entreprise, &
me dit: vere; Socrates n'a pu y être avec vous où l'on boit & mange,
puisqu'il est mort. Va, prophete de Mahon; il y a long-temps que tu
aurois le cul écorché, si les veaux portoient croupieres. Ne sais-tu pas
bien qu'il y a provision pour tous? Les chairs des bêtes sont pour ceux
qui ont corps & ames; & si les bons trépassés nous sont venus voir; ne
seront-ils point fêtoyés? Tu admets les banquets des dieux; tu y fais
des songes creux, & les admire: & nous ici, riant de ta sotise, nous
avons recouvré de ces cuisinieres du temps passé; qui savent apprêter
cette viande nommée PHEROS, mangeaille de dieux, & béchées de déesses,
qui se fait de divers apprêts & parties des ames de bêtes assommées,
lesquelles par ce moyen sont consommées. Sachez que ces douillettes ames
toutes chaudes, sont fort délicates, & étant assaisonnées de fumées &
quintessence de nos sauces à l'ombre de votre feu, à l'odeur de vos
épices, aux vapeurs de votre rôti, & de toutes les délices du monde,
faisant bonne chere, elles sont confites en goût trop délectable. Voire,
oserois-tu point dire que; sitôt que l'animal est jugulé, c'est pour te
faire plaisir & t'apprendre; (comme disoit la vieille à Jean Hardi. Ce
compagnon étoit un de nos closiers, qui avoit une belle jeune femme. Il
avoit aussi une vieille servante: tous trois n'avoient qu'un lit. Une
fois, que sa femme s'étoit levée pour aller pisser, cettui-ci, ne s'en
étant apperçu, & désirant évacuer nature ritillante, se jetta sur la
vieille, pensant que ce fût sa femme. Comme il s'en fut avisé, il cuida
s'ôter. La vieille lui dit: ne bougez, ne bougez: ce n'est pas pour bien
que vous me fassiez, ce n'est que pour vous _apprendre_.) Si vous en
parlez davantage, vous gâterez tout; vous rendrez honnie toute la
doctrine des colléges; & n'y aura plus de plaisir de s'étudier après les
fadaises de la science des poëtes anciens. Si vous déclarez ainsi le
secret des esprits, vous troublerez l'apothéose, (je voulois dire: _vous
découvrirez le pot aux roses_.) Pensez-vous que ce soit bien fait? Je ne
dirai pas tout: non, je ne veux que reprendre ceux qui pensent que
l'animal, étant comme mort, le soit; & pour l'amour de vous, je ne vous
ferai qu'une démonstration. L'ame du brochet ne s'en ira jamais, que le
brochet ne soit cuit, d'autant qu'elle veut être mangée plus
cordialement par quelques beaux esprits. Qu'ainsi ne soit; ne voyez-vous
pas ès cuisines des grands, que l'on en met le coeur sur le bout de la
table, pour voir si le corps sera cuit? Certes ce coeur remuera, tant
que la cuisson soit parfaite. Je me retiens par le bon, vraiment; & je
fais bien, parce que je dirois choses & autres, au préjudice des bons
garçons, qui n'ont conscience qu'en apparence, & cependant cuident que,
tandis qu'ils sont dispos, ils accommodent à coeur gai ces fillettes,
depuis que l'on en a fait conscience, & que ces hérétiques ont parlé de
réformer, comme ceux de Geneve qui veulent que ceux, qui vont demeurer
en leur ville, aient lettre d'habitation authentiquée; & toutefois ils
ne veulent pas qu'on habite. Nous n'avons point eu de bien, depuis que
les talons des souliers ont été aculés, & les andouilles ont pué la
merde. (En tout honneur, il est aussi aisé que de dire, jeu sans
vilénie, quand on dit _feutre à fourche_, & _fourche à feutre_.) Et les
secrets ayant été ainsi étalés devant le monde, les gentillesses sont
allés au bourdel, & les excellences se sont changées en vétilles. Et
voilà que c'est de parler devant le monde; par quoi je ne veux plus rien
dire de rare: d'autant que, si je continuois, je dirois tant de choses,
que, force de les étudier, le monde deviendroit fou comme vous.

CASSIODORE. C'est ce que je vous disois; il est vrai que, quelque peine
que j'aie prise à mettre tout d'accord, en tirant le bon bout de mon
côté, & que, prostituant ainsi les sciences, on a parlé des doctrines en
la présence intelligible des femmes, on n'a vu que des hérésies, & les
hémorroïdes en sont chutes au fondement, & les barbes ont été pirement
faites que ci-devant. Et y regardez; vous ne verrez plus de barbes bien
faites, parce que l'on n'y entend plus rien. De mon jeune temps, on
alloit gaiement & sans artifice chez l'émouleur; & on avoit la barbe
faite en deux coups, mettant une joue sur la meule, & puis l'autre,
après cela faisoit frac, rest, zest; une barbe étoit faite toute prête.

XILANDER. Vraiement, vous êtes un beau danseur! C'étoient de belles
barbes! Elles étoient faites en queues d'hirondes, & les cheveux comme
l'écuelle d'un ladre. Laissons-là les laïques, auxquels je ne me plais
point. Je vous dirai bien que, de mon temps, les gens d'église avoient
la barbe rase; & je vous dirai une remarque: c'est que, quand le pape a
la barbe grande, les prêtres la veulent avoir de même; s'il a le menton
ras, les prêtres le veulent aussi; parce que chacun prétend au papal.
Ainsi donc les sages portoient leurs barbes; les ras n'avoient garde de
les porter, puisque le menton étoit ras; la barbe ôtée étoit demeurée
chez le barbier. A cela fut pris Hauteroue, chanoine de S. Martin de
Tours. (Il faut tout dire, de peur des garces qui nous écoutent, parce
que la fréquence de toutes femelles y abondoit jadis, avant notre
réformation, ainsi qu'aux autres lieux.) Il y songeoit; & le fit
paroître, un matin que l'on le vit barboyé; & un autre chanoine le
voyant, lui dit: monsieur, vous avez aujourd'hui donné de l'eau bénite à
la barbe ôtée. Lui, comme _reus_, va dire: _per meam_, je ne la connois
point. A cela, je jugeai de l'innocence de tous les autres, qui se
passent de garces, comme un bon procureur d'écritoire.

L'AUTRE. J'en prends à témoin mon compere Livet, procureur au châtelet
de Paris, qui ne laissoit jamais son écritoire. Il avint, par
malencontre de bas avis, que madame sa femme, voyant un gai, gaillard &
jeune maure, eut envie d'en être couverte. Elle le fit entrer; &, pour
remédier à un mal d'estomac qu'elle avoit, elle le fit coucher sur elle.
Ce qu'elle en faisoit, étoit qu'elle considéroit que sa peau, vu sa
nation, seroit plus chaude que celle d'un François. Le jeune homme ayant
été là assez long-tems, fut remercié & salarié de son bon office, où il
n'y avoit point de mal, vu que cela tendoit à la santé. Mais que c'est
des impressions! Il lui avint que son mari venant à la copuler, elle qui
se souvint du maure, en engendra un; ce qui parut, quand elle accoucha.
Sa commere voyant à son enfantement, cette aventure si noire, l'en
avisa; & la pauvrette lui dit sa friande imagination; à quoi la bonne
commere & amie pourvut, & s'en alla au châtelet faire appeller Livet,
qui venu lui dit: hé bien, ma mie, qu'avons-nous? Un beau fils, lui
dit-elle; mais je vous prie, dites-moi en conscience, mon compere,
n'avez-vous jamais accolé ma commere, que vous eussiez votre écritoire à
votre côté? O que si ai, plus de trente fois. Vraiment, vous avez bien
besongné! Je m'en doutois bien; voilà, il est chut de l'encre dedans, si
que vous avez fait un enfant noir comme un maure.

TIBERE. Que vous avez belle envie d'échapper.




ALLÉGATION.


XIII. Or çà, belles entendoires, qui tous avez hâte pour amasser des
argumens cornus, & changer vos thêmes; pourquoi est-ce que les gens
d'église ont en plusieurs lieux, comme jadis, le menton ras?

CASSIODORE. Foin sans blasphémer.

TIBERE. Je ne veux plus nommer personne; venez voir qui y sera: c'est
trop se déclarer. Qui sont les gens d'église?

XILANDER. Hé dà, ce sont les prêtres.

TIBERE. Ne vous déplaise, par la gorge, ce sont les images qui y sont
jour & nuit, qui jeûnent sans cesse, comme y étant idoines. Toujours ils
ne font point ce qu'il ne faut point faire; ils s'abstiennent & sont
tels que doivent être vrais gens d'église.

SOCRATES. _Distinguo_, s'il vous plaît: votre mule pisse: elle se
morfondra par le fondement. Telles gens d'église sont toujours en un
état comme les rois du palais, y habitant sempiternellement de
sempiternité lapidaire; mais ceux dont vous parlez, ne sont gens
d'église que par adoption. J'entends parler des corps animés, qui vont &
viennent à l'église pour la servir, qui sont hommes vifs; & toutefois
qui sont intellectement comme nous sommes, vivans de la vie du monde,
bien qu'ils soient boivans & mangeans, & chians & pissans; lesquels
toutefois sont hommes sains & mortifiés, & de saison; lesquels pour
n'être affectés en apparence publique, sont dits morts par excellence,
vu la mine. Et de fait, on les nomme morts, pour autant que l'outil qui
perpétue la vie, leur est bouclé par la vertu de certaines paroles
conférantes ordre supernaturel; & ainsi l'usage naturel leur est
interdit par voeu. Ils s'en rasoient le menton, afin que le regret
qu'ils ont de n'oser ni vouloir fréquenter la douceur du monde ne parût
aucunement, joint qu'ils doivent être joyeux, (_venite exultemus_) & que
leur état est une joie perpétuelle, laquelle il faut faire paroître,
encore qu'elle ne fût pas. C'est la cause pour laquelle ils se font
raser le menton, parce qu'il semble qu'un homme, ainsi réparé du minois,
rie toujours. Et y prenez garde; & s'il n'est vrai, que de quinze jours
ne puissiez-vous aller à vos affaires. De-là est venu & procédé ce canon
du concile de Quarante: le prêtre fera sa barbe en couene de lard, afin
qu'il paroisse toujours riant, friant, fringant, _donec, &c_.

CATON. C'est pourquoi le bon homme Hugonis étoit toujours joyeux.

ALBERT LE GRAND. Voire, ce moine l'étoit vraiment; & de fait, il étoit
gros & gras, comme un mâtin qui tete deux fesses, il étoit ample autant
que le cul d'un ministre qui accouche en liberté. Une fois qu'il passoit
près de S. Avoye une belle demoiselle le voyant, dit à une autre par
admiration: que voilà un moine qui est gros! Il l'ouit, d'autant que,
ses membres étant proportionnés, il avoit belles oreilles, & lui
répondit: mademoiselle, il y a long-temps que je fusse accouché, si
j'eusse trouvé une sage-femme.

L'AUTRE. Pourquoi est-ce qu'on appelle _sages-femmes_ celles qui
reçoivent les enfans, & ont le gouvernement des pays-has.

HÉLIODORE. C'est parce qu'elles voient de grands cas. Je me souviens que
j'étois encore bien vieil, la cour de parlement étant à Tours, que de
bons garçons firent une galantise à une sage-femme. Ils mirent un gars,
en guise de femme prête d'accoucher, dans un lit; & firent venir une
sage-femme, qui, mettant la main dessous les draps, & trouvant son
braquemart, dit tout haut: courage, l'enfant viendra bientôt; j'en tiens
le bras. Elle le vouloit remettre, sans qu'elle reconnût ce que c'étoit:
or devinez. (Un jour je pissois contre une muraille; & une belle dame me
regardoit; je lui dis: devinez ce que je tiens, & vous l'aurez.)

CATON. Encore faut-il que je me souvienne de ce bon homme Hugonis, qui a
été mon maître, d'autant que les huguenots faisoient bruit par la
France. Que le diantre y avise, puisque les autres n'en veulent rien
faire; bran, cela m'est échappé. En ce temps-là que j'étois si fort
étudiant, ce mien maître hantoit ce bon prince catholique, le pere de
cette pauvre dévoyée, qui a tant fait disputer. Il avint un jour, que le
basque étant à la porte de notre prince, Hugonis vint heurter; je le
suivois. Comme on eut demandé: qui est-ce? Je dis; c'est notre maître
Hugonis. Le basque va dire à monsieur: c'est maître Conin, qui est
là-bas, qui veut parler à vous. Quoi! dit monsieur, ce pipeur? Va lui
dire qu'il aille autre part faire ses tours de passe-passe. Un jour
durant, il fut estimé hérétique; mais cela passa, par une prédication
que j'en fis tout chaudement, tellement que ceux qui cuidoient que
monseigneur sentît mal de la foi, furent résolus; & le tout se tourna en
risée domestique.

ERASME. Cela me fait souvenir de ce que me dit frere Lucas.

CATON. Quoi! qui? frere Lucas qui avoit mal au chose, & on le lui coupa,
si que, le cas lui étant ôté, il n'est plus que frere Lu?

ERASME. Non, ce n'est pas cela; je parle bien d'un docteur: c'est de
celui qui, à ma réception, me prit par la main, & me dit: mon frere, mon
ami, _doctissime baccalaure_, j'ai une parole de très-grande conséquence
à vous dire: c'est que vous sentez mal de l'hérésie.

CATON. Que lui répondites-vous?

ERASME. Je me mis en colere; & lui dis que mon âne étoit plus sage que
lui. Il me fit appeller; & je lui prouvai mon dire: parce que mon âne
venoit bien de la riviere tout seul ayant bu; & lui, il le falloit
rapporter de la taverne, quand il avoit trinqué. Je gagnai mon procès,
faisant quinaut le juge, en lui demandant: pourquoi est-ce que mon âne
va à pied? Il ne le sut dire; & je lui ai enseigné, disant: c'est parce
qu'il n'a point de cheval comme vous, monsieur le Juge. Il se
trémoussoit comme une pie en gésine, & me dit: regardez à qui vous
parlez; je suis gentilhomme. Il me remâcha cette parole, étant descendu
du siége: & alors ne le craignant plus, je lui dis: vraiment vere, si
tous les gentilshommes du monde avoient les jambes cassées, vous ne
lairiez pas de courir. Mais je suis gentilhomme; oui, je veux bien que
vous le sachiez. Si j'avois pour un liard de telle noblesse dans le
ventre, je prendrois pour cinquante écus de rhubarbe, pour la chasser.
Le Juge dit: si je remonte en mon siége, je vous ferai affront. Vous me
feriez comme le Juge de la Fleche, qui condamna un homme à être pendu &
étranglé, sauf son recours contre qui il verroit bon être. Aian,
répondit-il, encore un coup, ne me fâchez pas. Bien, lui dis-je, pour
vous appaiser, je vous veux apprendre un secret. Pourquoi est-ce que les
femmes pissent, quand elles en ont envie? Vous voilà à pied des raisons,
le cul aussi près de terre qu'un pâtissier qui n'a que faire. C'est
parce qu'un autre ne sauroit pisser pour elle. Et moi je chierois bien
pour vous.

CATON. Fi, fi, cela se sentiroit mieux & plutôt que l'hérésie.

SOCRATES. Comment la sent-on?

ERASME. Il faut mettre le nez au cul de l'hérétique, & en retenir le
goût & l'odeur; puis aller sentir au cul des bons Docteurs & Cordeliers,
pour voir s'ils sentiront de même. Mais n'allez pas sentir au cul des
minimes; je pense qu'ils flairent horriblement le clystere, à cause que
leur cul est une sentine d'huile perpétuelle.

NÉRON. Comme vous parlez impudemment! Il semble qu'il n'y a ici qu'à se
détraver en sales paroles, & que toute honnêteté & vergongne soit
perdue.

DIOGENES. Tout est permis ici; nous sommes pair à compagnon: on doit
faire & dire ici tout ce qu'on peut & pense.

ALEXANDRE. Vous y perdriez, pauvre homme, parce que, si tout étoit
permis, je vous battrois bien à cette heure, pour me venger de
l'affront, que, l'année qui vient, vous me fîtes en Grece.

DANEAU. Est-ce en _graisse_ dure ou fondante, de quoi vous parlez?
Certes je suis en suspens, quand j'en oi parler, à cause des gréges qui
engraissent les personnes pour les faire mourir, & les autres les
engraissent pour les faire vivre.

ROBERT ETIENNE. Je ne m'en soucie pas: je voudrois avoir trouvé un bon
moyen de m'engraisser; je me porterois bien. En dà, je suis aussi maigre
que le vendredi oré, & aussi défait que la semaine peneuse; & dà, je
suis aussi maigre qu'un millier de clous.

JOLIVET. Il faut donc que vous alliez en un pays que j'ai fréquenté, que
vous appreniez ce que les gens de-là font, pour s'engraisser. Vraiment
ils sont-là toujours gras & en bon point, comme de beaux petits moines
de bonne étoffe. Les moines sont gras comme de belles vaches portantes;
mais les vaches ayant vellé, elles deviennent maigres, & les bons moines
qui n'ont point vellé, sont toujours gras. Je parle aux doctes sorets,
harengs sorets & massorets.




AVIS.


XIV. En ce pays que je vous dis, tout y est gras; même aussi les jours
maigres y sont graissés: & je vous dirai une belle invention, que m'ont
apprise ceux qui font exercice. Ces bonnes gens prennent les jours
maigres dès la veille, & les châtrent, puis les mettent en mue. Je ne
fus jamais si étonné, que quand j'y vis monsieur de carême en une grande
mue, où trois vieilles croupieres l'appâtoient des pâtons de blanc de
chapons. Vraiment il n'étoit plus, comme je l'avois vu autrefois à Rome;
il étoit gras & refait comme le chien d'un vielleux; il étoit si
engraissé, que la graisse lui sortoit par les yeux, comme les puces
sautent dans un four qui sue de froid.

DIOGENES. Vous parlez de suer; & en quel temps est-ce que les vis suent?

CESAR. Fi, fi, vous êtes salaud.

MADAME. Oui, je l'entends comme vous; je dis jeu sans vilénie, comme
nous disons nous autres filles; c'est quand il menace de pluie, que la
vis de notre grenier sue, & qu'elle est relente, & si le noyau de la
vis, ou la vis même est de pierre, tant mieux, elle en durera davantage,
ainsi que celle des tuileries.

DIOSCORIDES. Vraiment, l'autre jour que j'y étois, je voyois des dames
Parisiennes, qui admirent cet ouvrage, y montant, elles relevoient leurs
cottes & s'entredisoient? madame, ma mie, que voici une belle entrée de
vis! Jean voire, leur dis-je à deux belles, que puissiez-vous jamais
n'être à votre aise, que je, n'en aie fait la preuve par essai naturel.

HÉLIODORE. C'est votre souverain bien que ces imaginations, & plus
encore quand vous en tenez la cause: je ne dis pas les imaginaisons: il
faudroit avoir les doigts bien subtils. Il est vrai que ces esprits
familiers, ainsi montant, sont de bonne rencontre & facile accès.

JAMBLIQUE. Ne parlez point des esprits, je m'y suis trop rompu la tête,
& n'en ai su venir à bout.

L'AUTRE. Ce n'est que votre faute, d'autant que le familier s'approche
aisément. Et qui en sait plus que moi? Vere, vere, ce sont abus que vos
contes de loup, d'esprits fantastiques.

CARDAN. Vous vous paillardez lanterniérement sur l'éloquence, & faites
ainsi admirer la suite d'une vaine rencontre d'esprits: ce qui se trouve
inepte & fat, sans fruit, cela n'étant que rêverie: & pourtant je vous
dis que vos frivoles conceptions ne sont rien au prix de la douceur &
mignonne rencontre, non d'esprits qui ne sont pas, mais d'essences
vraies. Et n'y a rien tel, pour le contentement, que la formelle
embrassade d'un esprit familier, incube ou succube, _id est_, femelle
pour nous, & mâle pour les dames, qui les appellent _foulons_, qui vont
la nuit fouler le monde, & leur presser la rate.

L'AUTRE. Vos contes sont fadaises, & ne sont que folles fantaisies; mais
la réalité temporelle, sensitive & communicable d'une vérité perceptible
est la perfection produisante bon & singulier effet de délices, bien
loin des pensées mélancoliques, qui sont persuadées par crainte, folie
ou sotte curiosité. Il y en a tant qui desirent des esprits familiers;
jamais personne n'en eut faute: l'ayant voulu autrement, nul n'a osé
entamer le propos ni la piece, ni congner ou laisser congner en
l'entamée ou entameure. Il faut tout dire; ceux qui sont savans s'y
connoissent; & puis dites, ô vous qui vous macerez: le diable me tente.
Tu nous la bailles belle! C'est votre propre nature nerveuse, qui
s'excite selon la loi naturelle vîte & sainte; & vous faites semblant de
ne l'entendre pas. Il faudroit, afin que ce que vous dites fût vrai, que
le diable vous soufflât au jaret, comme il fit à Andocidès, ainsi qu'on
le pratique aux veaux. Cependant, cruels hypocrites, vous ne voulez pas
donner gloire à madame nature qui opere; vous aimez mieux en faire
auteur le diable; & ainsi vous lui faites hommage, lui attribuant une
puissance qui est en vous. C'est grande pitié! Cela vient de la folle
spéculation. Et ces messieurs les parfaits réformés, qui coursoient leur
bonnet selon leur fantaisie! Qu'ainsi ne soit; je le prouverai par
raison; il n'y a homme, tant soit-il débile, qui ne le fasse mieux qu'un
diable, encore que l'on dise: il le fait en diable. Ce qu'il faut
entendre sainement. C'est-à-dire: il le fait autant (quand c'est un bon
faiseur) comme un diable seroit desireux de le faire, s'il savoit ce que
c'est. On ne dit point en diablesse; aussi les mâles font tout: les
femmes font comme gueux; elles ne font que tendre leur écuelle.

DARIUS. Appellez-vous cela une écuelle? Quand le cancre de mer prit les
levres du cas de madame, il n'avoit à ce conte pris que le bord d'une
écuelle.

MADAME. Sachons cette menée, je vous prie.

DARIUS. Je le veux. Monsieur le gouverneur, (alors nous habitions un
port de mer) étant à la ville, ainsi qu'à tels seigneurs le menu peuple
fait force présens, reçut, de quelques pêcheurs, un présent d'une
pannerée de fort beaux cancres vifs tous choisis (on dit _beaux_ les
plus gros; ainsi étoit un fort bel homme, le gros Chenu d'Orléans, qui
étoit gros comme une pipe; & tel monsieur de la Contiere d'Anjou, qui se
faisoit porter sur une charrette, ne pouvant aller à pied, & qui, un
soir de vendredi saint, voulant jeûner, mangea seulement un boisseau de
pruneaux, ce qui tint si peu de place en son ventre, qu'il cuida
défaillir de faim avant minuit; ainsi étoit une belle femme la dame des
Carneaux). Mondit seigneur, ayant reçu ces cancres, les fit poser près
de la cheminée. Tandis qu'il s'amusoit, un des cancres se glissa, & se
rampant, s'enlassa entre une tapisserie & la muraille. Les autres furent
portés à la cuisine, pour y être troussés comme mugette. La nuit que
chacun dormoit, ce maître cancre, ayant affaire d'eau, & la sentant à
l'odeur marine, va au pot à pisser, où il se rangea en si peu qu'il y
avoit; & ainsi glissé au fond du pot, s'y tenoit, attendant miséricorde.
Quelques heures après, madame eût envie de se consoler à la décharge de
ses reins chargés d'urine, déja tirée en la vessie, dont la pesanteur
par filandres tire à soi les roignons, qui se délectent de son
évacuation; & prenant le pot, s'étant un peu relevée, se flanqua dessus,
de peur de pisser au lit; & ainsi madame...

ARCHIMEDE. (Baisez-la au cul, si c'est la vôtre, tandis que je
chercherai la mienne; c'est une regle de géométrie.

DARIUS. Petit follet, laissez-moi en paix; il n'est pas possible que
vous me fâchiez, comme vous le desirez; il n'y a qu'un moyen de me faire
taire: prenez un rateau, & me baillez des dents au cul; & j'aurai tant
de douleur, que je me tairai). Voilà donc madame, qui laisse aller l'eau
de la goutiere naturelle entre les arcs-boutans des crevasses physiques,
& pissant roide comme une pucelle qui n'ose, arrousa de cette liqueur
fraîche & chaudement émouvée le paillard cancre, qui soudain se dilate &
releve; en ouvrant un de ses bras, qui est de telle condition que
s'étant ouvert & pris à quelque sujet, il ne le laisse point. Que
prit-il, bonnes gens? A l'aide! Il trouva & prit. Quoi? Cela est si
délicat & mignon, que je n'ose le dire. Il happa & serra le bord, le
limbe, la levre, l'ornement, la mâchoire, cette fente mignarde,
extrémité éminente qui se releve en crête de fossé, au bas du ventre
féminin sur le devant, pour faire honneur aux babines du chose de
madame. Cela est si sensible, qu'elle s'en écria si haut, qu'elle
éveilla son mari, qui lui demanda ce qu'elle avoit. Hélas! dit-elle, je
suis perdue. Elle soupiroit, & n'osoit le dire. Toutefois sa douleur lui
fit déclarer que quelque fantaisie la mordoit au bord de son cas.
Monsieur, en bon mari, ayant fait apporter la chandelle, & vu l'effet ès
parties naturelles de la femme: paix, ma mie, paix, dit-il; je lui ferai
bien lâcher prise; je sais le secret: il ne faut que souffler contre. Il
se mit à souffler; & le cancre, levant l'autre bras, l'empoigna à la
levre d'auprès le nez. Il faisoit beau voir cette remembrance. Il avoit
le nez bien près du cela de sa femme; il pouvoit bien voir si d'autres y
étoient: il n'eût pas été cocu sans avis. Le valet de chambre, qui
survint avec des ciseaux, coupa les deux bras du cancre, mit monsieur &
madame en liberté.

MADAME. J'eusse bien voulu voir la grimace qu'ils faisoient. Je ne sais
si cette femme avoit envie de rire, voyant l'humilité de son mari.

PETRONIUS. Cela me fait souvenir de la fortune de frere Jean Laillée
notre bon ami.




COMMENTAIRE.


XV. Un jour, proche des avents, allant à Angers, il ne put attrapper la
ville, si qu'il coucha chez une bonne femme qui le connoissoit de longue
main: s'il m'en souvient, c'étoit chez la jeune Coibaude. Comme il fut
au lit, on lui mit sur la selle d'auprès le chevet un pot de nuit: or
sur la même chaire, il y avoit une ratiere quarrée & creuse en rond; ce
n'étoit pas de celles qui ont une porte, mais un ressort qui serre le
rat par le milieu du corps: cet engin-là, qui a pour le moins demi-pied
de diametre, & est en cube, étoit fort tendu & le ressort fort bandé.
Frere Jean se réveilla, pour faire de l'eau; & prit cet engin par le
bord, cuidant que ce fut un vaisseau à pisser, & y présenta son outil,
qui s'avançant donna jusques à la détente; parquoi le ressort échappa, &
prit le pauvre cas du cordelier, qui sentit plutôt cela que le jour. Il
se prit à crier si haut, que Lucifer s'en fût éveillé; & on lui apporta
de la chandelle pour le dégager. La chambriere en rioit d'aise, d'autant
qu'elle étoit bien vengée d'une autrefois qu'il logea là-dedans; c'étoit
en été; & parce qu'il y avoit presse, lui qui étoit des amis, coucha en
la chambre basse, où la bonne femme & sa chambriere couchoient en
l'autre lit. Ce mignon se leva, pour prendre l'air; la nuit étoit un peu
noire; il appella la chambriere: marquise, je suis égaré: je te prie,
viens me quérir. Cette pauvrette se leve, & va à lui, qui avoit troussé
sa chemise & levé fort haut le bras. Prens-moi la main, je te prie. Elle
tâtonnoit & trouva son bout. Hélas, ce dit-elle, que vous avez les
doigts gros! ho, & c'est votre bras. Il n'y a point de main! &
qu'est-ce? en dà, je n'en ferai rien. Elle lui tira une secousse, & le
laissa là.

SIMLER. Maître Jean Pinaut, ministre de Genève, m'a conté qu'il lui en
prit autant à Chamberi.




DISTINCTION.


XVI. A cause de quoi, il avient toujours quelque disgrace à ces pauvres
innocents, & leur tombe quelque échec; témoin celui qui précédoit à
Dampierre, quand nous y cherchons la pierre philosophale, avec tous ces
barons de Normandie, & que nous bûmes le bon vin que Nabot avoit
persuadé à monsieur de Chansegré d'y faire apporter, pour en faire de la
poudre de projection. Il y avoit blanc & rouge; c'étoit faire la pierre
pour la projection de l'argent & de l'or potable. J'avois avec moi mon
Pierre, qui étoit un bon vaurien. Le dimanche venu, nous ouimes le
sermon d'un cordelier qui avoit une ulcere en une jambe; & le thême de
son prêchement étoit _Modicum_, qu'il répéta plusieurs fois, ce qui fut
cause que mon valet sortit, disant: que diable avons-nous affaire, si le
maudit con lui a fait tort? Les faucons engendrent les mauvais, & les
mauvais les faucons. Quand ce moine fut guéri, il s'en alla & prit congé
du cul & de la tête, comme c'étoit la coutume: or, étoit-il galant de sa
personne, dispos & courageux, (j'ai quasi dit _vaillant_, ce qui
n'appartient qu'à nous, chevaliers & écuyers.) Le frere, passant sur
l'étang de la Ferriere, fut rencontré de deux voleurs à pied, qui eurent
envie de son habit, par quoi ils lui dirent: frere, cet habit vous est
trop chaud & importun; baillez-le nous un peu à porter pour votre santé.
Sans faute, dit-il, messieurs, tout est à vous, corps aussi; je vous
supplie me donner congé de me dévétir, & n'outragez point ma pauvre
personne. Ce qu'ayant dit, il met son bâton à deux bouts à terre, le
pied dessus, & dévêt le froc, qu'il leur jetta aux pieds, puis reprend
son bâton, & tout en pourpoint leur dit humblement: messieurs,
prenez-le. Un d'eux se baissant pour l'amasser, le moine lui vint
décharger un si grand revers de son bâton sut l'autre flanc, qu'il
l'envoya béchever du long de la levée. Cette épauliere ainsi déchargée
sur le haut de la personne de ce vilain, qui cheut sur le ventre comme
une grenouille éhanchée, épouvanta tant le compagnon de l'écrasé, qu'il
s'enfuit; & le cordelier de le supplier courtoisement de venir au reste.
Le trébuché, qui craignoit le demeurant, disoit: ha, frere Gilles! Mon
bon pere confesseur, je me jouois, vous êtes bien rude de ne prendre
rien en jeu! Et le moine s'avança de lui apprendre les dimensions, non
du _baculus_ de Jacob, mais du bâton de Gilles, & le pauvret de crier:
hélas, monsieur, pardon! A ce mot de monsieur, il le recommanda à tous
les diables, & s'en alla aussi. Il y a trois sortes de gens qui n'aiment
point à être appellés par leur nom: comme vous diriez chien & chat,
moines, ministres, prêtres, putains & bâteleurs. Minon & chat,
c'est-à-dire, monsieur; à cela vous connoîtrez qu'il faut dire mignon,
monsieur le prieur, notre maître, &c.

OECOLAMPADE. Le docteur de chez nous ne fut pas si habile, quand sa
garce le battit, parce qu'il se laissa égratigner le visage; & le
lendemain, comme on lui demanda qui l'avoit ainsi marqué, il dit que
c'étoit un fagot.

EMPEDOCLES. Diantre, quel fagot! C'est possible un fagot de foin, ainsi
que le rapporta maître Alain, qui fut trouvé avec une garce; il ne
s'excusa pas comme Denost, qui, au chapitre, quand on le tença qu'il ne
bougeoit d'avec les garces: certes, ce dit-il, je n'y ai pas été depuis
_Quasimodo_. Aussi venoit-il de coucher avec une.

SIMLER. Tu en as toi qui parlois tantôt de foin pour chair: mais, si on
te tournoit de langage, te donnant à déjeuner, & que pour de la chair on
te donnât du foin, que seroit-ce?

LEON HÉBREU. Ah! voilà bien argumenté pour un vieil plaideur. Notez que
tout honnête homme ne mange point de morceau de boeuf, ni de morceau de
pourceau. Pourquoi? parce qu'un morceau de boeuf est une poignée de
foin; & un morceau de pourceau, c'est un étron, qui vous puisse servir
de masque à carême prenant.

PERICLÈS. Les gens ont tort; & celui qui parle a raison; mais il mâche
de travers, & si je vous dirai qu'il n'y a gueres qu'il le sait: il ne
le dit encore gueres bien.

EMPEDOCLES. Vous n'avez pas dit, comme on dit monsieur en moine.

SIMLER. Ho, vous en souvient-il? J'étois bien loin. Et que sais-je?
Notez que ceux qui parlent tant des friponniers d'un état doivent en
être, en avoir été, ou les avoir trop fréquentés. J'étois vragnant en
Savoye, où j'écoutois parler à son altesse.

VIVES. Et moi à Rome, où j'oyois supplier sa sainteté.

CARDAN. Et moi en enfer, où j'oyois dire sa diablerie.

L'AUTRE. Et moi chez notre archevêque, où l'on baisoit les mains de son
archiepiscoperie; & il répondit à son suffragant: j'honore votre
espiscoperie; & à un chanoine: je me recommande à votre chanoinerie.

SIMLER. Je voyois un mignon qui parloit à un jurisconsulte, & lui
disoit: comment se porte votre conseillerie. Aussi sa conseillerie lui
avoit donné à dîner. Comme sa majesté lui avoit donné sa lettrerie, j'ai
pensé dire sa _ladrerie_, soient sauvées les jumens. Nous sommes, je dis
vous autres, de grands sots. Je ne pensois pas que cette femme eût la
tête si fausse, de taper ainsi son pauvre maître de docteur.

TEXTOR. Je vous prie, parlez bas, & ne vous mariez point de peur d'être
cocu. Mais je me trompe, j'ois ce beau procureur qui en parle; il est
marié, il est heureux, sa femme est grosse, elle accouchera.

SIMLER. Parlez sobrement des femmes.

TEXTOR. Tu y devois bien venir, toi qui a si belle femme. Par ma
conscience, elle est belle & de mérite, & des plus jolies du monde: & je
suis fâché pour elle d'une chose; c'est qu'elle est la femme d'un cocu,
qui a pendu aux fesses les trébillons d'un veau.

SIMLER. Par Hercules, à la fin, tu troubleras ma patience. A ce conte,
tu ferois ma femme putain?

TEXTOR. Si je l'avois couverte, sans doute elle le seroit, & l'aurois
faite telle.

SIMLER. Mais qu'as-tu affaire de dire cela? Tu sais bien qu'elle est
femme de bien; à grand-peine seroit-elle débauchée. Vraiment, elle
n'aime point le déduit; aussi je ne prens pas plaisir d'avoir affaire à
elle.

TEXTOR. J'y en prendrois bien, quant à moi.

SIMLER. Si tu me fâches, je te pousserai & te hâterai d'aller.

TEXTOR. Je ne veux qu'aller au palais de Paris, pour être poussé, ainsi
que répondit Limois au conseiller son maître, qui lui promettoit de le
pousser. Pargoi, monsieur, je serai plus poussé en demi-heure, à la
sortie du châtelet, ou du palais, que ne sauriez me pousser, toute votre
vie. Au reste, pauvre homme, je voudrois que tu m'eusses tant hâté
d'aller, que j'eusse passé le mauvais tems.

SIMLER. Encore tu te moques? Va, je veux bien être cocu; mais si tu me
courouces, je te ferai porter les stigmates des cornes de cocus.

DIOSCORIDE. Voilà une drogue dont je n'ai jamais ouï parler: apprenez-la
moi, pour la mettre en mon livre.

MADELAINE. Voilà cette belle Diotine, qui est enragée de faire leçon aux
doctes. Demandez-lui. Toutefois j'en sais plus qu'elle; mon mari me l'a
appris.




PARTIE.


XVII. Quand je tenois école d'écriture à Toulouse, avec les chanoines de
Saint Sernin, d'entre lesquels il y en avoit un qui étoit curé là
auprès, & entretenoit la premiere femme de mon mari, laquelle étoit
belle. Un jour, j'oyois ce mari qui parloit à elle: d'où viens-tu?
fit-il. Du four, fit-elle. Que faire? fit-il. Un tourteau, fit-elle.
Est-il bon? fit-il. Tâtez-y, fit-elle. Est-il chaud? fit-il. Soufflez-y,
fit-elle. Et où, fit-il. A mon cul, fit-elle. Ha putain! fit-il. Ha
cocu? fit-elle. Ha, ha, fit-il. A, a, fit-elle. Voilà comment je suis
femme de cocu; & si, je suis femme de bien; ce que l'on ne penseroit
jamais. Cependant je conserve bien mon bon homme en sa qualité, sans
faire faute de mon corps, non plus qu'une nonnain griesche. Si est-ce
pource que je me tenois assez mignonne, on parloit mal de moi; en dà, on
avoit tort; c'est parce que je n'eusse su faire que ce qui déja étoit
fait. Et puis, comme j'ai appris des docteurs que j'ai fréquentés jour &
nuit, le cocuage est un caractere indélébile, tenant comme moinerie au
corps & à l'ame d'un profès; & bien plus fort, mais non si visiblement
que merde en derriere de chemise. Et parce que cela étoit, je me
contenois fort en devoir, aimant bien mon mari, que je mignardois, tout
ne plus ne moins que si j'eusse été un peu putain. Et de fait, comme,
étant femme, je sais la nature féminine, je vous assure qu'il n'est aux
hommes que d'avoir femmes qui en tiennent tant soit peu: cela est levain
de perfection, pourvu qu'elles n'en soient âpres; & ce d'autant que
telles femmes aiment mieux les hommes, & les servent mieux quand ils
sont malades, & avec moins de dédain que ces sottes femmes de bien.
Encore que je traitasse bien mon preud'homme, si est-ce que quelquefois
il se fâchoit contre moi: & sur-tout une fois, qu'il me trouva devisant
d'affaires avec un commandeur, qui, pour me guérir du mal de la colique,
m'avoit appliqué sa croix sur le bas de l'estomac, & me disoit à
l'oreille les paroles qu'il y falloit dire pour ma santé. Mon vieillard
eut une fausse impression, dont il me querella; mais je le fis taire. Or
sus paix, c'est assez. Que tu es méchante. Voire, si je ne l'eusse fait
taire, il eût huché jusques à demain. Je l'eusse volontiers battu, sans
que dieu & vergogne le défendent; & y eût paru, parce que je lui eusse
fait sentir, non les cornes de cocu, ains celles de sa femme.

MECENAS. Mais quelles sont les cornes d'un cocu, & celles des femmes,
qu'elles fassent ainsi mal?

MADELAINE. Sont les ongles. Il vous faudroit mettre dessus; encore ne
vous en appercevriez-vous, non plus que le pauvre meûnier qui étoit sur
son âne, & fut surpris d'une grande procession, qui le pressoit fort; &
lui, ayant son bonnet à la main, dandinoit, regardant la banniere & les
beaux joyaux. Deux ou trois fripons, approchant de lui, couperent les
sangles de son bât, & soutinrent le bât assez long-temps, portant le
drôle, tandis qu'un autre arrêta le mulet, le tenant par la queue, comme
une anguille. Quand ils l'eurent assez porté, ils le planterent-là; & le
pauvret de crier & hucher: & où est mon âne? O, va le chercher. Or,
puisqu'il faut tout dire, ce bon homme étant mort, j'épouse, pour la
seconde fois, le plus grand sot du monde, tant à cause de lui que de
moi. Je n'ai point honte d'ainsi parler, puisque je ne ments point.
Voilà! son âne m'étoit contraire: ainsi, par ma finte, il avoit eu deux
autres femmes, dont la seconde étoit une des plus femmes de bien de la
terre; & elle ne fut pas si-tôt avec lui, que l'astre de cet homme ne la
rangeât au point des soeurs. Je dis donc ceci avec toute gloire, à cette
heure que je suis fille pénitente, & qu'il y a du plaisir à raconter les
vieilles vétilles, & que c'est un grand mérite, que de se souvenir de
ses fautes, dont par ainsi la rétribution est grande en pardons,
abondant sur l'iniquité. En ce mien mariage, je me gouvernai en femme de
bien, ne plus ne moins que les dames de Paris, qui ont des intervis.

CESAR. Quels diables sont-ce?

MADELAINE. Vous le saurez tantôt. Et ne m'avint qu'une douce infortune,
en quoi je ne fis point de faute, parce que Pichonneau disoit, en
chaire, que ce n'étoit point péché, quand on n'en tiroit ni profit, ni
plaisir. Il y eut un beau jeune homme de bonne maison, qui me fit
l'honneur de m'aimer; &, parce qu'il étoit fort apparenté, crainte que
je fusse cause qu'il lui avînt du mal, je le laissai faire de moi ce
qu'il put, sans que j'y apportasse aucun consentement: aussi je n'y
prenois aucun plaisir. Je le laissois faire à son aise pour le
gratifier, & pour le grand amour qu'il me portoit, afin qu'il ne m'en
pensât tant son obligée, & qu'il en prétendît récompense: je lui
permettois & voulois bien qu'il eût tout plaisir qu'il vouloit de moi,
puisqu'il disoit qu'il y en trouvoit, encore que cela ne m'en fît
aucunement.

PORCENA. A qui fait-il plus de bien, aux hommes ou aux femmes?

GEBER. C'est aux hommes, dit Saint-Gelave. A, ha, ha, dit mon compere
Bardou, vous vous trompez; c'est aux femmes. Avisez que si l'oreille
vous démange, & que la gratiez de votre petit doigt, qui a plus de
plaisir & de bien? N'est-ce point l'oreille? Et puis il y a en la
chanson: _vous aurez sur l'oreille_.

MADELAINE. Je ne sais rien de tout ce que vous dites; vous êtes des
causeurs; je ne prends point de plaisir à si peu de chose. Bien que l'on
me l'ait assez voulu persuader, à ce que l'on disoit, & qu'on a dit de
moi ce qu'on a voulu, je me suis pourtant portée en tout honneur.
Pensez-vous qu'une femme ne puisse pas coucher avec un homme, sans
toutes ces badineries là? Pour autant que cet honnête bon seigneur avoit
couché avec moi, & que l'on disoit qu'il y avoit danger, ce que je ne
trouvai onques, je fus à confesse; & comme le prêtre m'enquêtoit
soigneusement, je répondis avec un bel excès de contrition de coeur,
selon les péchés que j'avois commis, ajoutant que j'avois fait un
oiseau. Comment, ce me dit-il tout émerveillé, un oiseau, ma mie? Oui,
monsieur. Le pauvre petit bon homme n'entendoit pas que je parlois d'un
cocu; & de-là vint le proverbe, que depuis on a dit: _pauvre prêtre_, vu
la pauvreté de cettui-ci en science. Et pour vous faire entendre
l'excellence & la vive nature de cet oiseau, il est convenable de savoir
qu'il ne s'engendre point comme les autres. Il est éclos, fait, parfait,
dressé & accompli en un moment; il ne faut qu'un coup de bandage. Aussi
monsieur des Fléches m'en avoit averti, me voyant deviser avec ce
gentilhomme. Il me dit: par le corbeau du bois, ma mie, ce godelureau te
scellera un passeport sur le ventre. Cela ne s'est pu détourner; les
destinées le vouloient: il est vrai que je l'aimois; & si j'eusse été à
marier, je l'eusse aimé pour ami, & non pour mari, d'autant qu'il
n'avoit point de chausse-pied de mariage.

MÉCENAS. J'ai beaucoup vu & ouï des poëtes à ma table, & en mes
particuliers discours, & infinis philosophes & autres docteurs; mais je
n'avois jamais ouï parler de tel outil.

MADELAINE. Ce sont les filles de ville, & sur-tout de Paris, qui parlent
ainsi; & voyant quelque jeune homme qui est pourvu de quelque état ou
office, elles disent: il a un chausse-pied à con.

MÉCENAS. Je ne savois pas cela.




SECTION.


XVIII. Bien ai-je ouï dire à Philon Juif, quand il me fréquentoit, qu'il
avoit demeuré en un pays, où les gens mariés sont en grand peine, au
prix de ceux de ce pays; c'est que, quand l'homme se veut ébattre
naturellement avec sa femme, il faut qu'il ait deux serviteurs, ou deux
autres personnes ou amis, à la pareille, qui lui aident & le tournent
sur sa femme, comme quand on perce le noyau moyen ou bouton d'une roue;
& les tours se comptent selon les qualités des personnes, pour faire
mâle ou femelle, roi, prince ou empereur. Il est vrai que, si on n'est
pas capable d'engendrer ce qu'on a apposé, le bout se trouve si petit,
que l'on ne peut plus tourner. Et de-là est venue l'origine des fils de
putain, bâtards, avoutres, gueux & pendus; & pour connoître si les tours
sont achevés, il est aisé, d'autant que la femme tourne; & c'est le
signe qu'il n'y a plus de quoi virer masculinement. Je m'enquis, avec
ample diligence, de la cause de cette affaire; & je sus qu'en ce pays-là
les femmes avoient leur cas fait à vis; tellement qu'y ayant fait, il
faut retourner, comme disoit dame Jaqueline que son cas sentoit le
revas-y.

MELA. Notre coutume vaut mieux; tant d'artifice est triste; ce n'est
jamais bien fait.

MÉLANTON. Aussi en faisant, on fait. Mais qui est le sujet le plus
imparfait qui soit au monde? Il y en eut quelqu'un qui dit: ce sont les
cocus, d'autant qu'ils ont cornes, & ne les voit-on point. Ce sont les
chats, ils crient & chousent ensemble; aussi n'y a-t-il animal si
farouche, qui ne s'arrête quand on l'affourche.

L'AUTRE. Voilà bien à propos! Vous n'y êtes pas, & n'aurez meshui fait.
C'est la femme, d'autant qu'il y a toujours à besogner, & sur-tout à
celle d'un cocu.

MELA. Que diable, vous en voulez bien à ces pauvres cocus! Je pense que
vous le soyez, ou l'ayez été, ou ayez envie de l'être, comme un beau
financier qui n'a pas payé son état. Et là-dessus, monsieur le beau
diseur, je vous demande, qu'est ce qu'un cocu? C'est, dit Vigenaire, un
oiseau qui pond au nid d'un autre.

GEBER. C'est bien chié en trois lieux. Il faut, à ce que je vois, que je
vous leve le voile qui empêche votre coeur de comprendre les sciences; &
je vous dirai des choses notables. Ce fut par la déclaration de ce
secret, que l'empereur des Turcs me fit si grand, quand je reniai le
christianisme, où je retournai pourtant, à cause que l'on m'apprit la
vérité de la pierre: & pour le sujet proposé, il n'y a personne qui vous
en parle plus sainement que moi, & sans passion, d'autant que j'ai été
cocu. Dieu merci, je me porte bien: qu'ainsi soit-il de vous. Et de cela
je m'en trouvois bien, sans m'en fâcher, d'autant que j'en étois fort
aise, parce que j'étois toujours le maître: on me craignoit, révéroit &
honoroit. Et qu'avons-nous davantage en ce monde pour l'accomplissement
de nos desirs ambitieux? Or, sachez tous en gros & en détail, que le
cocu est un animal capable de douceur, humble & pacifique, craint,
redouté & honoré de sa femme, & des amis d'icelle, desquels il est
considéré comme maître du gibier; & ne se faut pas amuser au nom de cet
oiseau, mais d'un autre plus meilleur. Il n'y a guere d'animaux entiers
mâles qui aient plus de faveur que le coq (entier est le contraire de
châtré) puisque je vois que vous le voulez savoir; le coq a plusieurs
femmes qu'il fournit & appointe, tant il est délibéré & bon; mais sitôt
qu'il est usé, les poules le chassent & le battent, & n'en veulent plus,
& ainsi le destinent à châtrerie, & en admettent d'autres vigoureux &
bons. Ces femmes qui couvent & font des cocus, sont de même naturel que
les poules. Qu'ainsi ne soit, une femme prête à faire l'enfant, crie
comme une poule qui veut pondre: je voudrois être morte. Etant délivrée,
elle chante comme celle qui a pondu; il n'est que l'être; cependant que
le coq chante: _qu'un con est cru!_ & s'en rit, disant: je le fais quand
je veux. Ainsi sont nos femmes en leurs actions & desirs, tellement que,
leurs maris étant usés, ou les estimant tels, ou les voulant ménager de
peur de les user, vont à d'autres: en quoi je vous admoneste de la
différence du péché mortel & du véniel. Le péché mortel est, si vous
allez voir la femme d'autrui chez lui, & qu'il vous tue; sans faute la
mort sera toute notoire. Faites venir la dame chez vous; le péché sera
véniel. Les dames faisant ainsi le petit divorce vertueux, il ne se peut
faire que les sages amies ne le sachent; parquoi les avertissant de leur
salut, elles leur disent: comment, pauvre femme, ma mie, votre mari est
donc cocuusé? Et ce mot venant à être commun, & qu'aussi on coupe la
queue à ces pauvres innocens, on dit simplement cocu: & certes, sans
mahumétiser, je vous dirai que c'est bien avoir la queue coupée, que de
la mettre en danger d'être prophanée dans un évier public ou commun. Or,
le cocu est un oiseau qui, pour ce qu'il a deux pieds, chante mieux &
plus distinctement que nul autre, ayant de la raison jusques au cul. Que
si cela passoit outre, il ne seroit pas cornard.

ZABAREL. Mais voyez cet alchimiste, comme il avale gros & mâche menu! Je
ne sais s'il court comme il attrape. _Corpo di gallina_. J'ai fait tout
ce que j'ai pu, pour savoir & entendre parfaitement la philosophie: mais
je vois que jusques à cette heure, s'il dit vrai, je n'y ai rien
entendu. Il n'est que monnoyeur pour se connoître en billon. Notre ami &
bon maître Aristote ne fait aucune mention de tels oiseaux. Notez bien
ce que je dirai à l'honneur des dames, contre celui de tantôt qui les
appelloit bêtes, afin que l'on n'ait pas opinion que je fusse entaché du
péché qui les fait hair. Je dis que ce fat étoit tant niais, tant veau
de dîme, âne de plat pays, sot d'outre mesure, Badeau de Paris, &
bestion de si grande conséquence, qu'il pensoit que ce mot _animal_, fut
à dire _bête_. Il me fit souvenir de feue Conscience, belle courtisane,
qui ne vouloit pas que ma petite chienne fût une créature, & ne lui
plaisoit pas d'être animal. Hoi, disoit-elle; Bichonne n'est point
créature, & je ne suis point animal. Or, maintenant j'ai reçu une grande
lumiere d'entendoire; je suis illuminé comme un fallot qui tombe tout du
long d'un degré, & je conçois qu'il y a des oiseaux de poing, des
oiseaux de leurre, des oiseaux d'épaules, comme ces oiseaux de maçons, &
des oiseaux de selle. Les deux premiers, je les laisse à messieurs de la
volerie, autrucherie, fauconnerie, & autres qui savent appliquer le vent
aux aîles. Je croyois qu'il y eût des autruchers qui portassent les
autruches sur le doigt; & les derniers je les spéculerai: d'autant que
je trouve, en les minoisant intelligiblement, une grande, creuse &
profonde sapience, en tant qu'ils se font naturellement, & se procréent
par imperceptible transpiration de substance, faisant une grande
mutation sans changement, acquérant une forme sans altération. O
admirable & épouvantable secret, entre tous les secrets! Ceux qui ainsi
deviennent oiseaux, le sont parfaitement, sans qu'on les touche, sans
qu'ils le sentent, & souvent sans qu'ils le voient ou sachent; de s'en
douter, gare! Il est permis de se douter de tout: n'y a presque homme
qui n'en ait quelque doute. Or, pour être cocu, il en faut être capable;
& pour cet effet, il faut avoir une femme épousée; & ne faut pas
seulement avoir égard à la mine ou encolure mystique qu'un homme en peut
avoir, à cause de l'influence sous laquelle il est né, selon son idée
naturelle & prédestinée: mais il faut considérer le vouloir & pouvoir
des parties intervenantes en cette métamorphose, qui agit exactement
autant de loin que de près. Il n'y a rien en tout de semblable; &,
disent les alchemistes ce qu'ils voudront de leur poudre de projection,
ou cendre à faire des nuances; cela n'est rien au prix, d'autant qu'il
faut qu'il y ait de la présence, ce qui est le contraire en ceci. Celui
qui aura fait le fou tout le long des jours gras, n'assagira pas le
mercredi par la cendre, si elle ne lui est posée en propre personne
présente. Et tel sera joyeusement cocu, quand il seroit à l'autre bout
de la terre; & ce en un instant. Cette forme court plus vîte que
l'éclair. On dit, selon le conte des bonnes femmes, que les tortues
couvent leurs oeufs avec les yeux: aussi font tous animaux, parce qu'ils
ne les laissent pas, si de fortune ils ne les ont perdus, comme la
borgne, à laquelle nous savonâmes tous les fauxbourgs du derriere,
l'année passée. Et bien les oeufs de tortues, auxquels elles ne touchent
point, éclosent à la fin; & il se fait une mutation formelle, comme il
convient ès transformations naturelles, si elles ne sont
chimico-mentales. Ces changemens se voient en ce qui est commun; mais en
ces oiseaux rien n'y paroît de changé, ni en la forme, ni ès accidens,
ni en la naturelle, ni en l'espece intrinseque, ès formes qui se
reçoivent sans mutation de substance; encore y a-t-il du mouvement au
sujet de muance. Mais en cettui-ci, soit qu'il s'émeuve, ou ne s'émeuve
point, & quelque absent qu'il soit, il est pénétré, transpercé,
outrepercé, surpris, enduit, enveloppé, & tellement organisé en
spécifique & disposée formation, que subitement, subtilement, tout d'un
coup, voilà un homme cocu, comme il sera démontré tantôt.




EPÎTRE.


XIX. NICOLE. J'ai ouï autrefois en notre ville de Paris, un prêcheur,
(je ne dirai pas de quel ordre, de peur de scandale) qui se mettant à
prêcher, fit une ample déclamation des péchés. Comment, disoit-il,
encore celui qui jure, il relâche son coeur & demande pardon; celui qui
vole, c'est pour s'accommoder, & ainsi des autres, comme dit notre rime.

    Pere & mere honoreras,
    Afin d'avoir bien de l'argent.
    L'oeuvre de chair n'accompliras,
    Qu'avec les belles seulement,
    Faux témoignage ne diras,
    Qu'en mariage seulement.

Mais celui qui paillarde, hélas! que fait-il? il fout. Si cela duroit
toute la vie! Que dis-je, toute la vie! S'il duroit un an! Que dis-je un
an! S'il duroit un mois! Que dis-je, un mois! S'il duroit un jour! Que
dis-je un jour! S'il duroit une heure! Que dis-je, hélas! une heure!
Hélas! le puis-je bien dire aux pauvres dévoyés? Hélas! quoi? il ne faut
que zac, zac, zac; voilà une pauvre ame damnée. Aussi monsieur de Senlis
disoit: vive la majesté de dieu, vous êtes pécheurs. Quoi! Et en ce
péché de luxure? Et que pensez-vous que ce soit? C'est une petite
planche qui n'est pas plus large que deux doigts, sur laquelle étant,
soudain on trébuche. Et dis que tu en as, viel hérétique de tous les
diables. Si vous êtes de cette chouserie-là, allez à Genêve.

GEBER. Mais encore à ces cocus, que si, à la fin ou plutôt, il vient à
le savoir & qu'il s'en fâche, il sera un sot, s'ennnuyant de chose qui
ne diminue ni accroît sa substance, parquoi il sera encore plus fat. Il
doit avoir cette gloire en son coeur de l'être, sans en faire semblant,
d'autant que tels sont honorés & bénits; & on se moque de ces pifres,
qui veulent faire les savans, & se tourmentent comme ânes trop sanglés.
Or jamais les antiques docteurs ne spéculerent tant avant, que l'on met
avant ces formes qui sont tant excellentes, notables & mystiques; &
certes ceci est proprement ce qui est & n'est point, & qui s'acheve sans
être commencé, comme est dit que l'homme & la femme ne sont qu'un corps:
par quoi un ministre & sa femme ne font qu'un: _ergò_ un ministre est
mâle & femelle. Quant à ces formes, elles n'ont point d'heure: il ne
faut point spéculer les astres; les temps ni les momens n'y servent de
rien, qu'à y apporter de la commodité; tous instans sont propres à les
faire subsister; & toutes rencontres bonnes à les exciter, pourvu qu'il
y ait de la vigueur aux doux heureux outils de formation naturelle, &
que l'on sache & puisse. O belles contemplations, que vous êtes
vigoureuses & grandes? Ces beaux discours me font voler encore plus
outre, connoissant le naturel des bons seigneurs, à qui la fortune donne
de devenir oiseaux; & je m'ébahis qu'en France & en Perse, nations tant
symbolisantes, on ne le désire plus qu'on ne le fait. Je ne le dis pas
sans cause, moi qui suis gentilhomme, & qu'en tels pays chacun desire
l'être; & pour être gentilhomme, faut avoir droit de pont-levis; c'est
avoir deux brancards sur le front, lesquels on passe ainsi que la tête
de bécasse béant aux étoiles. Beaux oiseaux, vous m'apprenez beaucoup de
bien; je sais à cette heure & tout maintenant, que pour votre seule
occasion, Normandie est appellée le _pays de sapience_, d'autant qu'en
ce pays-là les belles, bonnes, grosses, grasses bécasses y sont nommés
vis de coqs, quasi _vis de cocus_: aussi _vis_ signifie _visage_ en
vieil françois; donques _visages de cocus_, c'est-à-dire, _vis de coqs_,
sont bécasses, d'autant que leurs têtes sont les propres archetipes
visibles des invisibles visages des cocus. Cette intelligence & propre
interprétoison vous ôtera de peine, quand vous en orez parler. Si la
belle Dubois (qui servoit madame l'amirale, notre chere & révérée dame;
je ne sais si je dis encore bien, parce que l'âge m'a ôté la mémoire)
eût su ce que nous venons d'apprendre, elle ne fût pas tombée en un tel
inconvénient. Cette demoiselle étoit fort agréable à sa maîtresse, parce
qu'elle savoit une infinité de petites gentillesses & galantises qui
sont communes, & toutefois secretes, mais utiles à la cour. Il avint une
fois qu'il n'y avoit point de compagnie étrangere, madame devisoit avec
la Dubois, & lui disoit: ma mie, vraiment je vous aime; j'ai envie de
vous avancer & faire du bien: continuez à me bien servir. Mais encore,
ma mie, qui vous a appris toutes ces gentillesses? Madame, dit elle,
c'est une demoiselle avec laquelle j'ai demeuré quelques années. Comment
la nommoit-on? Excusez moi, madame, je ne vous l'oserois dire. Pourquoi,
ma mie, en avez-vous honte? N'étoit-elle point femme de bien? Elle étoit
fort honnête & très-femme de bien; elle avoit une bonne prud'hommie de
femme; mais son nom est trop laid & trop déshonnête à dire: je ne vous
le dirai pas, s'il vous plaît, madame. Si vous ne me le dites, je ne
vous aimerai plus; mais dites-le moi, les paroles ne sont point sales.
Puisqu'il vous plaît, madame, je le dirai; mais aussi vous m'excuserez.
En dà, j'en ai grand honte: elle se nommoit mademoiselle de Courvi. O
ho, ma mie, & est-ce là ce qui vous retenoit? Vous ne savez que mon nom?
Ne savez-vous pas comme je m'appelle en mon surnom, qui est le nom de
notre famille? De Lonvis. Hà, madame, que votre nom est beau! Voilà
comment on apprend, en hantant les sages: ainsi par hantise se forment
les têtes de bécasses & compas mesurant le ciel. Telles sont, ou
peuvent, ou doivent être les armoiries des doctes; à propos des
entendus, auxquels ainsi en puisse prendre; notamment aux marchands, qui
refusent crédit aux notaires, qui ne croient pas ce que l'on dit; & à
toutes sortes de gens mariées, qui parlent de vexer & faire ennui aux
pauvres petites clientes qui font plaisir aux gens de bien. Ainsi puisse
le monde abonder en cocus, afin qu'il s'envole bientôt, s'il y est
destiné.

AGESILAUS. Quel est l'oiseau qui chante plus haut que le cocu?

ALCIBIADES. C'est l'hirondelle, qui est en la cheminée, tandis que les
cocus sont dessous, lesquels elle couvre.




CANON.


XX. Que vous plaît-il? J'y étois. Nous faisions si grande chere chez ces
cocus, que nous jettions les portes par les fenêtres: cela s'entend sans
le dire, comme les heures d'un jeune chanoine.

GEBER. Taisez-vous, causeurs; vous direz quelque folie dont on vous fera
bien repentir.

ALCIBIADES. Taisez-vous vous-même; à qui vous joue-tu? Mais, encore à
propos, qui est le plus fou de nous deux, ou vous qui lisez & oyez ceci,
ou moi qui vous le propose, ainsi que dit notre féal Socrates François?

GEBER. En bonne foi, monsieur, moi qui écris ces galantises, je m'en
donne le plaisir le premier; & y a différence entre vous & moi, comme
entre un pourceau & ma philosophie: oui, ne suis-je pas philosophe?
Sachez donc que je fais bonne chere de ceci: puis l'ayant digéré, je le
baille à remâcher, ainsi que quand j'ai bien dîné, je vais fianter; & un
pourceau vient qui en fait son profit.

L'AUTRE. Et cependant qui pensez-vous que je sois, moi qui vous produis
tant de témoignages de parvenir? vous me pensez faire honte: & j'en
rougirai comme un vaisseau d'albâtre. Je veux donc que vous sachiez que
je suis moi; vous, vous êtes vous; toi, vous êtes toi; & si, je ne m'en
soucie pas. Il est vrai que j'ai regret, pour l'amour des ignorans, de
mettre ceci en la plus magnifique langue du monde; témoin Charles-Quint,
qui disoit que les Espagnols parloient en glorieux, les Allemans en
charretiers, les Italiens en charlatans, les Anglois en niais
apprivoisés; mais les François en princes. Et de fait, il n'y a que ce
livre, & les belles tragédies ou graves histoires, qui aient grace en ce
langage: toutes badineries & contes de jongleur n'y paroissent point.
Voilà pourquoi, ayant tant de majesté en ceci, lui en donnant davantage,
j'ai grand peur que ceci ne soit difficile, que chacun le cachera, de
peur aussi que les secrets ne soient divulgués; en quoi je crains un
notable accident pour le pauvre peuple, si les destinées n'y ont prévenu
& pourvu. Or est-il, & je le sens à la disposition de ma fressure, que
les bons destins m'ont contraint de faire ce que je fais, pour honorer
le monde. Aussi j'eusse mis ce livre en une autre langue; mais tout a
son tour. Si ce n'eût été de peur de faire dormir la jeunesse, je
l'eusse mis en la langue de veau; mais quoi! la vicissitude des choses
l'a emporté. J'eusse bien dit des chouses, sans que je sais comment il
faut parler, d'autant qu'il n'y a gueres de femmes, qui écrivent ce mot
de chose, sans y faillir. Ignorez-vous pourquoi le vulgaire en Grece ne
parle plus grec, en Judée hébreu, en Italie latin; & la cause pour
laquelle ces bons langages ne sont plus vulgaires? Oyez cette vérité que
je prononce. C'est pource que les sciences y sont traitées, & sur-tout
la doctrine du maquerellage en latin, & que l'on n'a pas voulu que les
disciplines fussent communes au peuple. Partant, on a caché les langues,
pour, avec leur secret, ne les communiquer qu'aux gens de bien &
d'honneur, ainsi que langues de boeuf à la cheminée, qui ne sont pas
pour les gueux, au moins par délibération, si que le menu peuple n'y
peut toucher. Et ma crainte, qui sans doute aura occasion de durer,
d'autant que ce que je crains aviendra, c'est que ce livre venant à être
goûté, savouré & digéré, on tâchera d'abolir le françois; & ôter de la
bouche du peuple ce beau langage, de crainte que ces bonnes & meilleures
doctrines ne viennent à tomber entre les mains du populaire, qui,
avenant tel cas, feroit aussi aisément la pierre philosophale que les
doctes, qui sans faute la trouveront ès rencontres où nous parlons plus
finement, & disons des choses que des blasphémateurs prendroient en un
autre sens; & pource il les faut bien & diligemment peser. Il y a encore
un autre danger de plus grand mal: c'est que si j'eusse fait ce livre en
grec, la médecine fût périe; si en latin, les loix eussent été abolies:
& ne s'en est gueres fallu, que je ne l'aie mis en hébreu, pour faire
plaisir aux théologiens, qui seuls eussent eu tout ce labeur, qui est la
quintessence du Coras, des Talmuds, du Sefetholan, du Zoar, & tels
livres faits ou à faire, ce que je n'ai garde, & n'en ferai rien, par
dépit d'un moine huguenot, qui disoit que ceux qui étoient en colere, &
ne juroient point, étoient hérétiques. Quelque tonsuré à poil folet,
quelque docteur confit au serpolet, quelque fabricateur de prosélites;
bref, quelque fat se pourra formaliser, & selon sa cervelle
hypocrisifiée, dira de moi, de tous mes amis & de ceux qui font état de
ces pures & parfaites disciplines, & prononcera que nous sommes tous
excommuniés, comme une paire de beaux petits couillons sacrés. (Et
pourquoi ceux-la plutôt que les autres?) La premiere fois que j'allai en
Normandie, je n'y étois jamais venu, encore que j'en sois, comme je
crois, ou d'autre part; mais que ne vous déplaise, je suis le premier
Manceau qui l'a confessé. J'étois avec le sage Bouilli, philosophe
autant naïf, qu'un oison paté. Devisant un jour avec sa femme, & lui
disant que par dépit que je ne pouvois devenir riche, je ferois comme
les freres mineurs: je vouerois pauvreté. O, ho, dit-elle, monsieur mon
ami, qu'il ne vous vienne point d'envie d'être pauvre. Si vous l'étiez,
tant de gentilshommes, seigneurs, & autres, tant dames que demoiselles,
ne vous feroient aucun accueil, parce que l'on ne fait plus de cas de
pauvres que de couillons: on les laisse à la porte; jamais n'entrent. De
cela je me souviens qu'il étoit vrai; & qu'à ce fort jeu, la charrue va
devant les boeufs, comme dit Martial notre ami; & les sacrés encore
davantage, qui n'en osent approcher du tout.

MARTIAL. Vous êtes bien trompé d'autant qu'il n'y a gens qui soient plus
sur le cul que moines & gens bénis, ministres & savans qui étudient
assis; & qui au lieu de conserver les saints ordres qui leur ont été
conférés les quittent; & abandonnant l'ordre de dieu, se rangent aux
ordres du diable, qui leur confere grace d'être plus ribauds que jamais,
& plus putains que les autres gens. Je m'en rapporte à l'antique de
Mairmoutier, qui se plaignoit que tous ses moines étoient paillards &
avoient des garces; & voyant passer un jeune dispos, qui traversoit vers
la boulangerie! je gage, dit-il, que même ce petit rustre en a une. Il
l'appella, & moineau d'approcher. Il lui dit: n'avez-vous pas une garce
comme les autres. Non, monsieur, dit-il, faisant une grande révérence;
je ne suis pas encore _in sacris_. Margot ma commere, qui mangeoit de
toutes ses dents, s'avisa de ce mot. En dà, me dit-elle, vous avez tort
de parler toujours ainsi en latin devant les femmes. Elle étoit tant
attentive à mâcher, qu'elle n'avoit ouï que cette parole; & continuant,
s'adressa à un homme d'église, & lui dit: est-il pas vrai, monsieur
l'aumônier, qu'il a tort? Dites donc, n'a-t-il pas tort? A vos trois
vis? Et il lui répondit: à _vostracons_, madame.

MARGOT. Je disois, _à votre avis_, dà. Qu'il faut parler sagement devant
vous! Non, je n'en ai qu'un, dont je suis bien empêchée; chacun me le
demande; je voudrois pouvoir le bailler à rente, afin qu'on ne m'en
importunât plus. Encore si on pouvoit s'en aider sans que j'y fusse,
cela iroit tout le jour.

L'AUTRE. Vous dites que vous n'en avez qu'un; & je ne sais s'il est
entier.

MARGOT. Pour le vrai!...

L'AUTRE. Tout beau! ne jurez pas; & principalement ce juron, qui est
toujours en la bouche des putains, si on vous oyoit, que diroit-on de
vous!

MARGOT. Oui, oui; il est tout entier & joyeux; je n'y eus jamais mal: je
voudrois en être toute; je n'aurois mal nulle part.

L'AUTRE. Mais pourquoi desiriez-vous donc tantôt qu'il fût séparé de
vous?

MARGOT. Demandez-le à monsieur Robin, qui a été à Lubec, pour l'amour de
ce qu'il m'en a dit. Je voudrois faire de même, nous vous le demandons,
monsieur. Nous ne lui avons pas fait dire.

ROBIN. Ecoutez donc ma ratelée.




THÉOREME.


XXI. Lubec est une ville fort bien policée, & où il n'y a point de
pauvres; & la raison occasionnée en est, de ce que toutes les personnes
ne sont comme ici & surtout pour le commun: de sorte que ceux & celles
qui naissent de bas lieu, n'ont rien entre les jambes; les mâles n'ont
qu'un petit tuyau insensible, & les femelles qu'un petit pertuis à
pisser, y ayant ès endroits formels de certaines cicatrices à ressort;
esquelles on peut appliquer les outils naturels de génération, s'il en
est besoin; & tels membres sont conservés par la république avec grande
diligence & soin: si bien qu'il ne s'y en trouve point de vieils,
d'autant qu'ils les accommodent, de sorte que les ouvriers les tiennent
en l'état de quinze à vingt ans; & tels sont à la maison de ville,
réservés pour les pauvres & moindres personnes: en quoi il est bon à
considérer la sagesse de ce peuple, pour autant qu'il n'appartient pas à
ces cocus d'avoir autant de plaisir & si souvent, que les honnêtes gens.
De ces outils, lorsqu'il en est nécessité, on les loue; (parquoi on les
appelle _banniers_) qui servent à la commodité des gens de basse
condition, pour avoir des enfans & faire des serviteurs, de peur que
l'engeance s'en perde; & ces conbaniers & vibaniers sont comme fours,
dont chacun paie le louage de ce qu'il en a pris. (Ce n'est point
salauderie de dire ainsi, puis qu'il est permis de dire _confitures_.)
Que s'il avient que ceux qui les demandent, soient si nécessiteux,
qu'ils devinssent gueux, on les leur refuse: par ainsi, vu l'égard de
cette bonne police, il n'y a point de cagnardiers. Même, ce qui en bien
utile, les valets ni les chambrieres n'en ont point; il est vrai que
_gratis_ on leur en prête en les mariant, après avoir bien servi. Aussi
bien souvent avant que les marier, monsieur & madame leur prêtent les
leurs par plaisir: ce qui est chose qui fait moult bon voir; & pource
que, quand une chose a servi à quelque sujet, elle s'en sent toujours,
ainsi que quand une chienne a été couverte d'un chien noir, & qu'elle en
ait fait, il aviendra que toujours elle en fera; de même, dieu sauve la
chretienté; il avient à cause de ce prêts, qu'il y a de grands seigneurs
qui ressemblent à des valets. Mais retournons aux banniers. Cette loi
est bonne. Aussi quelle apparence y a-t-il que gens de peu, & qui ont
besoin de pain, aient du plaisir, comme prélats & honnêtes gens? Foin,
foin, ôtez cela: ce n'est pas le chausse-pied, dont on coule en cet
escarpin. Ce n'est pas tout dit une affetée; je ne suis pas content. Qui
est-ce qui a parlé des putains? C'est moi, dit Alcibiades. Vous êtes,
lui dit-elle, aussi un vrai ruffien. Maudites sont ces sottes, qui le
prêtent aux causeurs! Si j'en avois cent, je n'en prêterois pas la
moitié d'un à telles gens.

ALCIBIADES. Non dà, vous le prêteriez tout entier: mais je ne parle pas
de vous; vous êtes Tourangelle.

PIERRE L'HERMITE. Ces Tourangelles sont chiches & sujettes cruellement à
l'argent; toutefois, je ne sais s'il y a du mal; mais j'ouis une fois un
Parisien, qui, parlant des Tourangeaux, les appella bougres de Tours.

MADAME. C'est qu'il vouloit dire _bougrans_, pource que les bons
bougrans s'y font.

PIERRE L'HERMITE. Voire, voire! C'est que, durant les guerres des
huguenots, les dames d'Orléans, bonnes catholiques, s'enfuirent à Tours;
& les Tourangeaux, pour les désennuyer, les couvrirent. Aussi l'on dit
_chiennes & chiens d'Orléans_.

MADAME. Et delà est venu ce méchant & détestable proverbe! Que
voulez-vous dire de couvrir? Quoi! ils couvrirent leurs yeux? Ils leur
donnerent des couvertures?

PIERRE L'HERMITE. Par saint Picot, tu nous la bailles belle! Je dis
qu'ils habiterent & dormirent avec elles.

BOECE. Habiter & dormir n'apportent rien d'extraordinaire.

PIERRE L'HERMITE. Le diantre soit le stoïque: (j'ai quasi dit
_sotique_.)

ALCIBIADES. Eh! bien le voici. Habiter est à la réformée; & dormir à
l'hébraïque; tellement qu'entre dormir avec une femme, ou habiter en
théologien, c'est faire la belle rage que vous entendez, qui se dit
aussi la _cause pourquoi_.

MADAME. Mais ne m'abusez point; je suis femme de bien; il me faut
satisfaire: achevez, pour effacer l'injure que vous m'avez faite.

ALCIBIADES. Dites-moi quelle différence il y a entre les femmes de bien
& les autres: & puis je tâcherai à vous contenter.

MADAME. Bien je le veux; aussi-bien ai-je été l'une & l'autre en tout
honneur: voilà pourquoi je l'entends; & sinon que je suis usée comme la
braguette d'un postillon: le maître vous le dira; j'ai autre chose à
dire.




SOMMAIRE.


XXII. Quand je fus mariée, pour être faite femme de bien, je portai de
mariage plus de dix mille francs que j'avois? ainsi que font plusieurs
filles de bonne maison, gagnés à faire plaisir à mes amis. Que plût à
dieu qu'aujourd'hui le monde fût tel! Il n'y a plus de bonnes personnes
pour bien aimer. Il y a quarante ans que l'on m'aimoit de si bon coeur;
voire, de parfaite fressure: & aujourd'hui, on ne fait que feindre. Il
n'y a plus de bons coeurs d'amour; on n'aime plus.

ALCIBIADES. Toutes les vieilles parlent toujours ainsi.

MADAME. Taisez-vous, causeur; & me contentez.

ALCIBIADES. Vous n'avez pas fait tout ce que je vous ai dit.

MADAME. Vous n'avez donc pas écouté?

ALCIBIADES. Si vous ne savez que cela, soyez encore autant toutes les
deux, pour en apprendre davantage. Or je vous dis que je ne sais comment
on fera; vu que, si vous en ôtez environ de demi-pied de place, ce sera
tout un. Toutefois, je vous dirai que j'ai ouï dire à un vieil
spéculateur, qu'il fit un commentaire sur ce que vous avez dit de cette
différence notable; qu'elle est telle que d'un moine à un fou. Ils ont
capuchon tous deux. Aussi femmes ont de quoi contenter tous hommes
capables; mais leurs vaisseaux sont différens, d'autant que l'un est à
honneur, & l'autre à déshonneur. Et s'il y a bien pis; c'est que femmes
de bien, souvent ressemblent aux fous, d'autant qu'elles ne savent jouer
que d'une marote; & en fasse son profit qui pourra. Vrai est que bons
ouvriers savent s'aider de plusieurs outils, pour bien faire; & dit-on
que les enfans de femmes, qui font ainsi, ont volontiers le poil de deux
couleurs, ou ont telles ou telles marques dissemblables, au respect des
femmes de bien. Quant aux putains, je vous dirai ce que j'en ai appris,
durant que je hantois la cour emputannée de Perse, & les gens du monde:
j'oyois quelquefois que l'on disoit de quelques grands, qu'ils étoient
maris de putains: j'étois si badin, que je croyois que c'étoient cocus,
d'autant que le hazard des grands personnages est d'être cocus
honorablement. La cause que les habiles gens courent cette fortune est,
que l'échet de la tempête tombe volontiers sur les plus hautes pointes:
or j'ai été relevé de cette fausse intelligence. Vous devez savoir,
(oui, vous le devez, je vous en montrerai l'obligation) que, du tems des
premiers hommes, il y eut en Mésopotamie une dame qui se fit reine
absolue; & tous ceux du pays, qui parloient en hébreu corrompu, la
nommoient _putain_, c'est-à-dire, madame, en langue babylonienne, comme
dit Balaam en ses étymologies imprimées, avant mille ans, en la Chine.
Notre hôte & bon ami en prêta le livre à Scaliger, quand il passa par
Tours. Vous trouvez en ce livre, si vous le lisez, que la reine signifie
_demoiselle_; & vesse, vaut autant à dire que _fille d'honneur_: aussi
pour le mystique honneur qu'on porte à l'église, on appelle leurs
contubernales _vesses_. Depuis ce tems-là, les dames qui ont eu de la
réputation, & ont été grandes par le monde, & relevées en honneur, ont
voulu être putains; nom qui a été fort révéré pour la révérence portée à
la vénérable antiquité; & n'y a pas long-tems, ainsi que tantôt l'a bien
remarqué l'autre, que par honneur, quand on parloit des dames de la
cour, voire des plus sages & honnêtes, on disoit, pour dénoter cette
honorable assemblée, _le bordeau de la cour_. Par cela, belles gens,
vous ne serez plus scandalisés, (je le dis, parce qu'il y en avoit qui
chavissoient les oreilles, comme ânes en appétit, d'autant que Platon
n'avoit point reparti, quand il a été appellé fils de putain; aussi les
sages ne s'étonnent & ne se formalisent de rien): or d'autant que, pour
paroître en magnificence, il faut triompher, les dames qui étoient
putains, _id est_, grandes, triomphoient & alloient à la guerre. Mais
parce que, du commencement, à cause de leur délicatesse, elles ne se
pouvoient bien accoûtrer au harnois, pour s'y façonner, elles joûtoient
nud à nud avec les hommes, & ainsi en essayoient plusieurs, pour se
rendre plus adroites, accomplies & fermes aux combats, afin de vaincre
heureusement; ces joûtes se faisoient bravement. Depuis, les femmes, qui
en ont ouï parler, & qui, à cause des troubles, n'ont pas vu clair aux
histoires; & qu'aussi les choses déchéent, n'étant pas si roides ni
vigoureuses que celles-là, venoient à la joûte pour se rendre leurs
pareilles; & ayant peur en tombant de se blesser, ont fait tendre des
linceuls & beaux draps. Après, la paix étant faite, & qu'il falloit
néanmoins entretenir les courages par les exercices, afin d'y avoir plus
de grace, on s'est mis entre deux draps sur de bons lits. Les femmes
communes, je veux dire le reste des autres femmes, qui oyoient parler de
ces joûtes, vouloient les essayer; & ainsi voyant qu'il étoit licite
d'entrer nud à nud, comme aux étuves, entre deux draps, elles ont rendu
cela si commun, comme vous savez, que depuis, on l'a eu en dédain entre
les vieillards dédaigneux & hypocrites, ou chatemites; & ainsi le métier
se prophanant, ce beau & vénérable nom de putain est tourné en opprobre
& risée, ainsi que le saint nom de _tyran_ a été viré en mal. Je vous
dirai pourtant que les galants diseurs & écrivains, se voulant relever
sur le bien dire, & orner de belles fleurs leurs propos, tirant de
l'antiquité de beaux mots & des dictions étranges, pour avoir de belles
paroles, usent souvent de ce mot de _putain_ en bonne part, & selon sa
vraie signification, comme fait Virgile, usant de ce mot de _tyran_.

MARGOT. Mais encore, dites-nous pourquoi avez-vous parlé des femmes de
prêtres? est-ce pour déplaire à quelqu'un?

ALCIBIADES. Non, ou je me contamine, je m'abomine, je déteste, je
trentemille, je précipite, j'horrible, je...

SOCRATES. Oh taisez, taisez-vous; faites-le boire qu'il ne soit enragé:
ne blasphémez point, pour vous facher sans qu'aucun s'en soucie, parlez
amiablement.

ALCIBIADES. Ecoutez-donc; je ne suis plus en colere; elle passe aussi
légérement qu'un baiser de bien-venu, & avisez à l'antiquité, mere de ce
siecle. Telles dames, comme vous savez, sont subrogées aux sages &
saintes vestales. Celles-ci sont donc vestales? Et parce que cela est
rude à dire, on dit _vessailles_; & pour veste, radoucissant ce mot à la
françoise, on dit facilement _vesses_, parce que cela coule plus
doucement en votre nez.

TURPIN. Or ne vous faites point de discours, sur ce qu'ils ont des
femmes ou non; je vous dis & déclare: que qui n'aime point l'animal de
société, qui ne fait point de cas des femmes, est sot & méchant, ou
sodomite. Si, laissons ces loups-garoux, instrumens de toute souillure,
un homme, qui honnêtement aime une douce femme, est humble & gracieux:
mais cettui-là qui les rejette, est de qualité d'usurier, médisant,
malin, ennemi de dieu & des hommes, & qu'il s'aille faire couper le
bout; zest, c'est autant de cas raclé. Voilà une affaire faite, aux
autres.

POMPONATIUS. Les femmes hantant les gens d'église, ne sont pas leurs
femmes. Vraiment, vous y êtes! Non, elles sont chambrieres, puis femmes,
puis dames & maîtresses.




STANCE.


XXIII. Ces chambrieres ne sont pas ainsi que celles du monde. Savez-vous
comment elles tiennent serf le petit monsieur, & si c'est avec tout
honneur? Qu'ainsi ne soit, prenez-y garde: quand ce ne seroit qu'un
gueux, si elles parlent de lui, elles diront _monsieur_ sans queue.
Elles ne sont pas comme cette demoiselle, qui, s'estimant plus noble que
son mari, quand elle parle de lui, dit: _celui-là_.

ME. PIERRE DU FOUR-L'ÉVEQUE. Encore que je ne vous fasse que verser à
boire, si me ferez-vous, s'il vous plaît, l'honneur de m'ouir, en la
défense des femmes, dont avez parlé, & auxquelles j'ai part. Quand
j'étois vicaire, j'avois une femme à la mode & usage de vicairerie;
depuis, m'étant remis au monde, elle fut ma femme, épousée selon les
droits & usages des autres gens. Quand les femmes du premier ordre ou du
saint, & principalement celles des pauvres prêtres, parlent de leur
ménage & proficiat, elles disent, (non point comme femmes absolues,
elles ont bien plus d'honneur au respect de leurs maîtres; témoin celle
de messire Blaise, qui, au four, se plaignant de leur petit moyen,
ajoutoit: hélas! encore si ce n'étoit nos messes, je ne sais que je
serions), mais ce n'est pas tout, elles se tiennent si bien pour femmes,
que, si celles des vicaires trouvent celles des messieurs, elles leur
feront honneur; & celles des chanoines suivent la dignité & rang de leur
monsieur. Et pensez-vous, vous qui en riez, que cela ne soit pas vrai?
Pour vous le faire croire, je m'en rapporte aux gueux, qui, aux grandes
fêtes, les voyant venir de la premiere grand-messe, leur crient ainsi:
nobles chambrieres, ayez pitié de moi. Voilà, messieurs, ne vous
déplaise; il vaut mieux en avoir chez soi pour s'ébattre en bon
chrétien, que d'aller, comme méchant voleur, courir çà & là, en danger
d'être pincé au colet, comme Cornu, qui mourant de la vérole, soupiroit,
disant: hélas! je connois maintenant que c'est chose moult sainte &
juste, que vivre de ménage.

ARETIN. _Voi havete molto parlato delle putane; ma tu non hai ben inteso
che è questo; ne sapete l'etimologia della putana, per che voi dobete
saper una ragion maravigliosa, & notare la derivatione di tanto nome è
celebrato, non solamente da noi, ma da tutto il mondo. Ascoltate donque,
e notate che putana si dice, per che gli putte la tana._ Fernel se fâcha
de cela, & dit que les choses puants sont ceux de celles qui font des
enfans, d'autant que le cul y passe, merde & tout; mais ceux des putains
sont si souvent brayés & savonnés, qu'ils ne puent point, & que l'Arétin
y mette le nez, pour moult voir.

PLAUTE. Il étoit bien question que ce maquereau d'Arétin nous vînt
troubler & en parler, quarante lieues après la premiere parole. Il a
fait comme le prince de delà les monts, qui demandant à Paris, per infor
de velurs, & le marchand qui pensoit qu'il dit en prendre grande
quantité, lui dit: bran, bran. Ce seigneur étant sur la montagne de
Tarare, s'en souvint, & demanda à ses gens que c'étoit à dire bran. Le
plus hardi lui dit que c'étoit merde. Ha, dit ledit seigneur, en ta
gorge, marchand de Paris. C'est lui-même, qui ayant mangé des lentilles
qui lui avoient échaudé la goule, & se trouvant en un champ, comme on
lui eut dit: que ce qui s'étoit levé étoient lentilles; piquez, piquez,
dit-il, qu'elles ne brûlent pas les pieds des chevaux.

PIERRE L'HERMITE. Mais rentrons, à propos du ménage de Cornu, qui est de
se tenir constamment à une chose, de peur de pis: toutefois le bon pere
Perault m'a appris qu'il y a trois sortes de chouses, dont il se faut
garder.

TURPIN. Quels chouses?

PIERRE L'HERMITE. Chouses à travailler naturellement; chouses à chouser;
chouses que les femmes portent, sans les laisser à la maison: je ne
saurois mieux dire, si je ne les nommois pas la tête du consistoire. Or,
ces trois chouses sont, l'armé, le trop hanté, le pauvre. Gardez-vous du
con armé, de peur d'être tué, en faisant le péché mortel. Je vous assure
qu'il n'y a point de plaisir à l'être, non plus qu'à se faire pendre,
quand on ne l'a pas accoutumé. D'un trop hanté, crainte d'avoir
occasions judiciaires.

MARGOT. Qu'est-ce?

PIERRE L'HERMITE. Causes, pour lesquelles on seroit repris de justice,
comme d'avoir chancre, chaudepisse, poulains & vérole renforcée; ainsi
passer la basse, moyenne & haute justice: pour à quoi obvier, je vous
dirai qu'il y a un moyen; c'est que vous fassiez comme les chiens, après
l'avoir fait, léchez-vous le _casus_: jamais chiens n'ont mal. Aussi
leur cas est d'os, qui est fort propre à faire des cure-dents pour
celles qui ballent ou badinent des doigts autour leur visage, quand on
les sonde, pour savoir si elles ont la matrice close. A propos de chien,
je me souviens de monsieur le commandeur de Compesiers, qui desiroit
être comme trois sortes d'animaux, à savoir, ainsi que le cigne, qui
plus vieillit & plus embellit; comme le chien, auquel vieillissant le
membre grossit; & tel que le cheval & le cerf, qui plus vieillissent
plus le font. Et d'un affamé, (je reviens à nos moutons; j'y pensois
d'autant, que voyant ce poil, je cuidois que ce fût laine) un affamé
vous ruinera, il vous engloutira; & si n'en mourrez pas, qui est le pis.
Voilà un bel enseignement.

STURMIUS. Ne ferez-vous aujourd'hui autre chose que de parler de ceci?

CESAR. Quoi! de ceci?

STURMIUS. Il faut parler de cela aussi; & en dà, qui ne le diroit, on
l'oublieroit, plus on ne le feroit; si plus on ne le faisoit, on ne
mangeroit plus de chapons, ni de lard. Ces réformateurs-ci veulent tout
perdre; & bien je m'en tairai, & le laisserai aux autres, & au maître de
céans, suivant l'avis de ce gentilhomme qui soupa hier céans, qui disoit
qu'il n'appartient qu'au maître de la maison & au coq à le faire.

B. Je m'en souviens: sa fille voyant le coq qui cauquoit les poules à
petit semblant...

CICERON. (Il faut dire _cochoit_, en bon françois, comme tantôt le
disoit notre maître Barrelette, parlant de ce que font les autres
animaux; & ainsi que je lui ouis dire en chaire, il protestoit, de
grande douleur, de la faute qui se commettoit au genre humain; c'est que
les grands, & ceux & celles qui ont des juges leurs amis, si d'aventure
vont s'exercer le bout autre part, ou faire amittonner l'ouverture
spéculative après nature, cela leur est joliment imputé à faire l'amour
en tout honneur & galantise. Mais si c'est quelque pauvre diable, cela
sera dit adultere, ou paillardise, ou rapt; & puis vous fiez à ces
Justinians de tous les diables. Or, je les recommande tous à chapitre,
s'ils veulent être gratifiés. Ainsi il faut punir ceux ou celles qui
n'ont de quoi maintenir ou acquérir réputation. Je m'en rapporte à ce
que jadis nous faisions en notre ville de Rome. Si quelque pauvre
preneur de loups étoit surpris en la réverbération naturelle, il étoit
mené en la place publique, & là on lui appliquoit de la poix toute
chaude au cul, qu'après on tiroit: & ainsi on lui arrachoit le poil, &
puis en vieil & bon langage hétrusque, on le nommoit drôle qui avoit la
fesse tondue.) Cette fille, quoi! Dites-nous donc.

STURMIUS. Le coq faisoit mine de donner la venue aux poules, dont cette
fille, qui le voyoit, & en étant fâchée, pour l'intérêt de ces pauvres
poules qui étoient trompées, me dit tout haut: voilà un coq qui fait
bien l'ivrogne.

BEZE. Il avoit peut-être l'éguillette nouée, comme R. qui rechercha
long-tems la belle Marguerite, avec laquelle il fut marié. Mais P. son
corrival, qui étoit fâché de cette alliance, & qui aimoit la belle, leur
noua l'éguillette, si bien que jamais ils ne purent avoir accointance
mystique l'un de l'autre, qui fut cause qu'après plusieurs procédures,
R. fut déclaré impuissant, & partant démarié; & puis, par le
consentement de tous, P. fut en grace, & marié avec Marguerite. Le soir
qu'ils devoient coucher ensemble, la belle étoit allée en la chambre,
pour l'apprêter, où ayant vu d'ordre les besongnes, & la tavayole de P.
en y nichant, elle trouva une éguillette violette nouée, qu'elle prit,
sans que l'on s'en apperçût. Ayant avisé à ce petit ménage, elle descend
& se vint remettre en la troupe, dont elle ne s'étoit retirée qu'à
l'heure qu'on dressoit les tables pour le souper, qui est le tems que
chacun va à ses petites commodités, & les filles pisser. Le soir, comme
on eut bien dansé, qu'il ne s'en falloit gueres que l'on ne parlât de
mener coucher la mariée, qui se feignoit lasse; P. la vint entretenir:
eh bien! ma maîtresse, comment vous va? Elle lui répondit, selon l'avis
qu'elle eut; & se mit à deviser avec lui; sur quoi, elle lui conta
qu'elle avoit été voir son deshabillé, & ajouta qu'elle y avoit vu une
éguillette nouée, dont il se prit à rire. Elle l'enquêta qu'il avoit à
rire; & il lui conta qu'il rioit du bien que cette éguillette lui avoit
fait étant cause qu'il l'avoit eue. Après qu'il lui eut déclaré cette
fourbe, elle ne fit mine aucune; aussi se prit à rire, sans dire qu'elle
eut l'éguillette. Or il fallut faire collation, & déshabiller la mariée.
La mariée, étant avec une sienne chambriere d'âge, qui savoit ses
secrets, fit semblant de vouloir aller à la garde-robe; mais elle alla
bien plus loin. Elle, avec cette bonne femme, prit le chemin de la
maison de R. Cependant on la cherchoit; & pensoit-on qu'on l'eût
détournée pour rire, comme souvent il avient. Etant arrivée chez R. elle
dénoue l'éguillette, & s'entre-communiquerent les douceurs prétendues; &
l'autre fut le plus sot.

TURPIN. Mais elle, d'autant que demeurant avec P. n'eût pas laissé de
s'accommoder avec R. comme il avint à notre ami maître André, qui, à
cette heure, est sergent. Il avoit une prébende à Chartres, laquelle il
laissa, pour se marier avec une belle fille, à laquelle, au matin de la
premiere nuit de ses nôces, il dit: eh bien, ma mie, tu vois comme je
t'aime, d'avoir laissé ma prébende pour t'avoir! En dà, vous avez fait
une grande folie; vous deviez garder votre prébende, vous n'eussiez pas
laissé de m'avoir.

BEZE. Elle savoit donc, qu'il y a des chanoines qui fouaillent? Le
penseriez-vous?

NERON. Vraiment, il les feroit beau voir, si cela étoit; ils feroient
des enfans qui seroient charretiers, qui meneroient pere & mere à tous
les diables. Pourquoi non ne s'ébattront-ils avec les femmes?

TURPIN. Avisez-y; & sachez que cloîtriers, qui n'aiment point les
femmes, sont toujours après à relêcher quelque vieille hérésie, sous
ombre de dégoiser sur la réformation, parlant des vices qu'ils imputent
aux autres, lesquels sont plus tolérables que les leurs. Hé bien,
s'accommoder avec femmes n'est pas tant mal que de troubler la
chrétienté; & puis, faire tel oeuvre, apporte la béatitude: de là vient
qu'on les appelle _béats peres_.

CICERON. C'est bien parlé cela, aussi ne faut-il pas dire comme le
commun, qui dit: _beau-pere_. Et certes ils sont béats, c'est-à-dire,
heureux, d'autant que bienheureux est le pere, qui n'a point la peine de
nourrir ses enfans.

L'AUTRE. Hé gai, vive l'amour! Il n'est que d'être quitte, libre, &
jouir de ses amours. Ainsi puissions-nous avoir santé & de l'argent.




ABSOLUTION.


XXIV. Achevons en gens de bien; & laissons ces théologiens avec leurs
vertus théologales. Quant à nous, suivons les quatre cardinales, qui
sont rire, manger, boire & dormir. Telles sont nos vertus. Quant à
celles de ces malheureux théologiens, selon la penarde remarque des
scolastiques, ennemis de nature, elles sont avarice, envie, bithuminie.
Par mon serment, & à propos d'une vertu théologale, je me souviens que
du temps que nous étions hérétiques, & allions au prêche, nous ouimes un
bon conte. (J'ai quasi nommé le seigneur qui nous menoit; & j'eusse tout
conchié votre prétoire.) Or nous allions gayement, comme pélerins qui
délogent; & nous dogmatisions, par plaisir, sans péché. Le Preux, ce bon
marchand, étoit avec nous, qui venoit fraîchement d'Allemagne; aussi
étoit arrivé en hiver. C'est ainsi qu'il avint au boiteux Laurier qui
entra céans; & Multon lui dit: soyez le bien venu; je pense que vous
êtes tenu par la pluie; vous êtes encore tout tortant. Ha, ha! Le Preux
nous contoit des miracles: qu'avoit fait Paracelse en Germanie. Ho! tu
t'en souviens bien, Couillette mon ami; & vous aussi, Connaut; vous
faisiez le voyage avec nous. Ainsi il nous emplissoit de telles
merveilles, faites à la pointe de la pincette, au ressort de la cornue,
au tintin de l'alambic, & à l'ombre du fourneau; & ainsi amplifiant sa
gloire, nous disoit qu'il avoit guéri toutes sortes de maladies. Comme
je lui faisois houette: voire, ce dit-il, il en a même guéri de la
bougrerie. Dieu sauve les chameaux hongrés!

CESAR. Voilà de belles disées, de beaux dictons; c'est ce que notre
grand chien abayoit toute la nuit: mais ce qu'a chanté notre coq,
entendez-vous bien le jargon des bêtes?

ULDRIC. Parlez à ce maître, qui parloit tantôt en poule.

GEBER. Pourquoi non? Un chien abaye bien à la lune, & une chevre regarde
bien un ministre, & un chien un évêque, dont moult il s'ébahit.

ERASME. Mot, paix-là: gardez de trop dire; nous avons parlé du roi des
alquemistes, n'en disons plus rien.

NERON. Pourquoi? Il n'y a point de danger, puisque, depuis qu'il a
produit ses oeuvres, il a si bien mis l'alquemie en la tête de tout le
monde, que chacun s'en veut mêler: il n'y a pas même les demoiselles &
les petits enfans, qui portent des soufflets à leurs ceintures.

CESAR. C'est bien, à propos d'un évêque, venir à un soufflet.

ERASME. Pas tant que vous diriez; & notez ce que je vous dirai. Jadis,
il n'y avoit que les ecclésiastiques qui touchassent aux secrets, &
sur-tout de la pierre philosophale; aussi tous les livres nouveaux qui
en ont été faits, sont issus de couvents. Or est-il que les orientaux
ont eu les sciences les premiers: & comme cette-là venoit, messieurs les
comtes de Lyon l'arrêterent, & s'entre-communiquerent ce secret, si que
tous s'y rendirent maîtres. En signe de quoi, pour témoigner leur gloire
pour telle invention, ils ont depuis toujours porté des soufflets sur la
tête; ainsi sont-ils mitrés comme beaux petits évêques portatifs.




ARTICLE.


XXV. Mais pour vous rendre joyeux comme un âne qui a un bas tout neuf,
je vous commencerai encore à vous dire qu'il y a ici plusieurs messieurs
qui se fâchent d'être nommés, parce qu'ils dédaignent la sotte gloire, &
ne veulent pas qu'on estime qu'ils soient payés pour cela. Pensez-vous
que Ciceron soit aise qu'on dise de lui: voilà des épîtres qu'il a
faites? Non, non; il veut que l'on croie qu'il est avec une belle épée,
faisant le tiercelet d'empereur. Ainsi plusieurs, qui sont gentilshommes
portant les armes, témoignent par leurs écrits que ce qu'ils font, en
vers ou en prose, n'est que pour dire que, s'ils y prenoient autant de
peine que treize, ils en tireroient quelque échantillon. Ceux-là sont
galants; ils ont le laurier des armes, où souvent ils ne savent gueres,
& encore moins aux lettres; d'autant qu'il est mal séant à un guerrier
de savoir.

CUSA. Et puis dites que vous en avez, hérétiques, qui crevez de dépit,
quand vous voyez un homme de bien qui profite, & que vous venez à lire
les authentiques des peres, & vous ne savez qui les a écrites.

QUELQU'UN. Or ça, pour l'amour que je porte à la bonne chrétienté, je
vous veux enseigner une chose notable, & que vous ne trouverez autre
part, parce que ce qui doit être dit, doit être ici. Jadis, il y avoit
une sorte de gens qui vivoient quatre fois autant que les autres, il y
en a encore en la hiérarchie de double linge.

CICERON. Qu'est-ce à dire?

L'AUTRE. Que tu es sot! Ceux qui ont un surplis, n'ont-ils pas double
linge? Ceux-là sont les secrétaires de vérité. Aussi ont-ils charge de
considérer les femmes grosses, les enfans qui en naissent, afin que,
s'il avient que quelqu'un soit ou grand, ou saint, ils sachent à dire ce
que déja il faisoit dans le ventre de sa mere, encore qu'elle eut vécu
cent ans. Hé bien, vous ne saviez pas cela? Je vous en dirai bien
d'autres, si vous me voulez promettre de ne vous enquérir plus de nos
amis. Que si vous les savez, & qu'il vous plaise vous en donner au coeur
joie, mettez leurs noms devant les articles de ces dialogues. Ceci, se
fait, parce que nous sommes au plus délicieux des secrets, & on diroit:
c'est tel ou tel qui les a découverts. Il ne le faut pas. Je ne sais si
je me pourrai amancher en discours.

ASCLEPIADES. Là, donc, mon mignon du Touret, pour l'amour de la
compagnie, je vous prie ne me reprochez la vieille mode des dames; je
m'en souviens assez. Quand j'étois page de madame Combardavit, il avint
en ce temps-là que nous allions en un voyage d'amour; j'étois
émérillonné comme un sacre; les filles étoient allées ployer le toret,
c'est-à-dire, _pisser_. Or il y en avoit une qui, pour n'avoir eu le
loisir de sortir du chariot, avoit chié en ses queues, sous le nez de
vous. Elle étoit en la garderobe, fort empêchée, & coupoit le derriere
de sa chemise emplâtrée, comme le cataplame d'un goutteux. Je l'épiois,
d'autant que c'étoit une belle foireuse. Elle qui m'avisa, me va droit
jetter au nez ce qu'elle avoit coupé de son derriere. Au diable le
parfum! J'en eus une belle museliere; & dieu merci & vous, vous m'en
faites la guerre.

CESAR. Oh bien, je ne le dirai plus; en dà, poursuivez.

ASCLEPIADES. Par mon ance! on pourroit aller autre part, qu'on ne
trouveroit pas un homme si délibéré que moi.

ALEXANDRE. Je voudrois pour la récompense, cher ami, que tu eusses
épousé, c'est-à-dire, que tu fusses marié à la plus jolie nonnain du
monde.

ASCLEPIADES. Ho, monsieur, pardonnez-moi, s'il vous plaît; il ne
m'appartient pas: quoi, c'est la perdrix du monde! Il faut bien pour
colloquer la douer avec le faisan du monde, qui est le chanoine; ainsi
tout ordre aura lieu. Hé gai, gardez-vous-en: mon pere qui avoit mangé
de la vache enragée, & étoit délié comme soie fendue en deux, avoit fait
mettre au front de la porte de sa maison:

    Chassez au loin ces prêtres & ces moines
    Et ne donnez entrée à ces chanoines.

LE BON HOMME. En dà, tout ira bien, puisque nous rimons. Monsieur
Bacchus commence à faire mines, aussi-bien que font les moines.

CESAR. Que font les moines?

OECOLAMPADE. Ils font des traits mignons & de fait; toutes bonnes
rencontres & proverbes vieux viennent d'eux, & toutes belles inventions
en sortent: témoin les moyens de faire hâter les jours aux papes,
empereurs & rois. Mais, pour la modestie de Psellus qui me le fait dire,
je passerai outre.

TOSTAT. Vraiment, je vous dirai un bon conte de frere Jean Dissolez, qui
prenoit les poires de bon chrétien du pauvre Tournereau, qui lui disoit:
frere Jean, je vous vois bien. Et frere Jean de mettre au capuchon,
disant: quand tu ne me verras plus, je m'en irai. Le pauvre homme s'en
alla cacher, afin que frere Jean ne le vît plus; comme le gentilhomme de
Bousille, qui se cachoit quand il voyoit les pauvres qui lui déroboient
son bois, & disoit, qu'il le faisoit, parce que, s'ils l'eussent vu, ils
n'eussent rien emporté. Frere Jean descendu, Tournereau le prit à part,
& lui dit: frere Jean, monsieur le prieur, mon ami, vivons en paix, je
vous prie; ne me dérobez plus mes poires, j'aime mieux vous en donner.
Combien m'en bailleras-tu? Je vous en fournirai trois quarterons. Ho,
ho, dit le moine, je n'ai garde de faire ce marché-là, j'y perdrois
trop.

BEZE. Sandé, celui-là savoit bien le _tu autem_.

TOSTAT. Hé bien! qui pourra dire ce que cela prétend, s'il n'a été
moine, ou à peu près?

BEZE. Aussi nul ne peut médire, ni bien parler d'un état, s'il n'en a
été, ou s'il n'a trop fréquenté les compagnons.

TOSTAT. Quand les moines dînent, il y en a un qui est en chaire, qui
leur fait lecture des actions des satrapes; & ainsi légendant, il
barbillonne les oreilles de ses confreres, qui cassent la bribe, sans
songer à ce que dit ce pauvre lamponnier, qui est là-haut perché sur les
intentions dénouées, bien loin de ce qu'il dit: d'autant qu'il a
l'oreille attentive vers le prieur, qui est sous le dais, ou en la belle
place à mouler des intelligences de tripes; durant quoi il se souvient
par fois de ce pauvre diable qui s'égueule à faute de s'écouter, & dit,
en touchant du doigt sur table: _tu autem_; qui est à dire, qu'il
finisse, parce qu'à chaque bout de leçon on dit cette fin. Si de fortune
ce lecteur est si sot d'avoir plus d'attention à sa lecture qu'au dîner,
(_absit_) & qu'il veuille achever jusques au sens parfait, & qu'ainsi il
perde le temps; les autres disent, en concluant chapitralement contre
lui, qu'il n'entend pas le _tu autem_. Ainsi en est-il du reste;
cachez-le.

ASCLEPIADES. Avant que laisser les moines, & devant qu'ils nous oient,
voyez-vous, en voila un qui regarde. C'est le même que je vis tant
arguër, quand notre maître Benoît fut passé docteur; il trépignoit, &
venoit aux atteintes: pourquoi il eut un docteur, qui, se fâchant & se
tournant, vit ce carme, & pource qu'il faut parler latin, lui va dire:
_iste carmen_. A cela, il se tut; & ne fut plus si impudent, parce qu'on
dit, bran pour les carmes.

CESAR. A cause de quoi?

ASCLEPIADES. Ne savez-vous pas qu'il y a les quatre temps pour les
mendians, ainsi fait au compost. _Post._ Pan. Cru. Lu. Bran. _Quatuor
tempora._ Pan; c'est pour les cordeliers, qui ont une corde toute prête.
Cru; c'est pour les jacobins, qui ont la croix, ils sont riches. Lu;
pour les augustins, qui sont luxurieux, à cause qu'ils portent tantôt le
blanc, tantôt le noir. Bran, pour les carmes.

BEZE. Quelle différence y a-t-il entre son, bran & merde! Je le dirai.

DIOGENES. Son, est pour les cloches, ou bien en vient; bran, pour les
pourceaux, & merde pour les médecins & pour vous. A, ha, né.

ASCLEPIADES. Voilà bien de quoi rire! Laissez-moi conter ce que je
voulois dire. Je vous dirai ce que frere Ambroise le Sené m'a dit d'un
de ses confreres, quand j'étois enfant, & dont je me souviens, comme de
ma premiere chemise, & vous de la premiere fois que vous vous torchâtes
le cul tout seul, après avoir appris à manger tout seul. Ce confrere
avoit nom Ferrand, qui étoit gaillard, & avoit toujours plus d'argent
qu'un chien: parquoi il payoit pour un autre, nommé frere Margeou, qui
savoit détourner la biche. Voilà comment les inventions se trouvent,
pour avoir du crédit. Sur un bon avertissement, ces deux-ci vont
ensemble chez Conscience, qui avoit une chambre garnie d'un lit & d'une
couchette.

PISO. Vous parlez des moines: que ne mettez-vous aussi souvent des
ministres en campagne.

ASCLEPIADES. Ils n'ont encore guères régné; & puis, s'ils venoient à
périr, ainsi que cela aviendra bientôt, d'autant que leur fondement est
foible, & que l'on en trouveroit tant en ce registre, cela feroit
éveiller les esprits, pour s'enquérir quelles gens c'étoient: & par
ainsi on réveilleroit l'hérésie, qui sera éteinte comme feu de paille
dessus l'eau, quand on aura toujours quelque conte de moine qui fera
rire, au lieu de s'aller amuser mélancoliquement à égratigner la
théologie pour en abuser. Or, en la chambre préparée aux moines, il y
avoit un malade à demi guéri, qui étoit dans la couchette; & le grand
lit fut apprêté pour ces deux amis, qui, après souper, se retirerent
pour se coucher, & en se déshabillant parlerent de propos de consolation
à ce malade, qui incontinent leur donna le bon soir, & eux à lui, & se
mirent au lit. La dame, qui avoit fait provision pour l'exercice du cas,
avoit baillé le mot à la chambriere, qui laissa l'huis ouvert, ayant
fait semblant de le fermer. Quelque petit espace de temps après, selon
la diligence qu'en avoit fait Margeou, vinrent deux mignonnes, telles
que celles qui ont ci-après été dites chevres à oreilles d'étoffe, & se
placerent avec toute humilité auprès des freres qui les attendoient, non
touchés de l'infirmité naturelle, (aussi ce n'est pas de tel biais que
l'on peche, comme certains malotrus de docteurs veulent prouver, pour
déguiser leur puante ambition ou triste avarice) mais en habileté,
gaieté, vigueur & fermeté de nature, selon lesquelles ils firent leur
devoir de cognebas, fesser les doucettes, qui s'en trouverent
naturellement bien; tant pour la délicatesse, que par sympathie, elles
en reçoivent ès oreilles, par le grand bien que cela fait où il touche.




RISÉE.


XXVI. Ceux-ci firent mieux tant pour tant, que les deux cordeliers qui
furent en équipage. Mais encore, pourquoi est-ce que les mendians vont
toujours deux ensemble?

SACROBOSCO. Pour se faire compagnie, c'est-à-dire,

    Hos brevitas sensûs fecit conjungere binos.

C'est le bon vin de madame, qui me fait ainsi dire. O liqueur
prophétique, bénigne humeur qui nous fais doctes, radoucis nos
adversités, & réjouis les coeurs qui ont faute de consolation salutaire.

CIRUS. Vous ne faites que traverser; que n'achevez-vous, sans tant vous
donner de traverses? Je vois Platon qui s'en fâche, parce qu'il y avoit
plus d'ordre chez lui.

CAMBISES. Là où il y a tant d'ordre pour dîner, il y a du désordre pour
faire ses affaires.

L'AUTRE. Voilà qui va bien, prenant affaire pour office culier.

ASSUERUS. J'avois ouï dire que l'on épargneroit les hommes spirituels;
mais tantôt la raison m'a bien satisfait; jamais Mammuchan n'en dit de
meilleures. Il est vrai que, si hors d'ici j'oyois ainsi parler à ceux
sur lesquels j'ai pouvoir, je leur passerois le pied par l'épaule. Or,
je connois qu'il se faut ici donner carriere. Il est vrai, pource que
nous sommes tous amis, que je souffre tout; & moi-même je dis des
choses, que je ne souffrirois pas dire à d'autres. Mais il faut aviser
que nous ne pouvons mal dire, ni mal faire, d'autant que nous sommes en
l'être parfait, & à l'instant qu'il n'y a plus de passions: parquoi nous
nous satisfaisons, & vous aussi, en battant le chien devant le lion;
c'est que nous galoperons les ecclésiastiques, qui sont parfaits en leur
vie, afin d'intimider les ames par les choses qu'ils diront. Or,
regardez au prix, s'il se met après nous, comme il nous gâtera; & voilà
comment on fesse les enfans devant les valets. Donc ces bons messieurs,
fils aînés de la sainte maison, ne prendront point en mauvaise part
qu'on tourne la parabole sur eux, afin que leur charité soit reconnue; &
qu'étant innocens, ils veulent bien être accusés & châtiés de ce qu'ils
n'ont pas fait; afin que les coeurs vicieux aient honte, & se corrigent,
voyant la bonté de ceux qui portent leurs iniquités.

SACROBOSCO. Je ne puis tenir mon eau; je vous dirai ce conte de ces deux
cordeliers. Donc, comme nous étions ensemble en Bretagne, l'un d'eux
devisant fit un pet. L'homme de chambre de monsieur lui dit: de quel ton
est-ce, monsieur notre maître! Il répond: duquel vous le voudrez;
entonnez bien: & voilà pourquoi depuis à Châtelleraut on a amanché des
coûteaux de la belle corne de couleur. L'an d'après, lui & son compagnon
encore novices, allerent à Angers, chez une honnête dame que l'ancien
gouvernoit: si qu'étant entrés, le maître monte en haut, & laisse en bas
avec la chambriere le jeune apprentif. Le bon est que, comme le moine
fut sur madame, le gros trompette, qui s'étoit caché sous la cheminée,
les voyant aux prises, se mit à fanfarer, dont les amans furent fort
étonnés; mais ils appointerent avec ce maître trompette, qui étoit venu
un peu devant pour hocher la chambriere, & de peur d'être surpris,
s'étoit caché. Le trompette sorti, & la collation ayant été prise,
monsieur notre maître se mit à la juchée. Savez-vous qu'il faisoit, & ce
qu'elle pâtissoit. En dà, ils étoient comme le gueux que vit maître Jean
de Guigni, allant aux nonnains, & passant par sur le pont de St. Eloi.
De fortune le vent fort lui emportoit son chapeau, auquel il mit la
main; mais il ne le put si bien retenir, que le cordon n'échappât:
c'étoit sa bonne fortune qui lui induisoit si franche rencontre. Voyant
son cordon échappé, il jetta la vue en bas sous l'arche, où le cordon
étoit chu. Vraiment il le vit, & bien autre chose. Que vit-il? Le
spectacle d'immortalité, les effets de concupiscence, le progrès de
génération, quatre jambons pendus à une cheville, deux animaux encruchés
& soulevés faisant le quadrupede raisonnable, la bête à double ventre,
ou à deux têtes, l'animal à quatre yeux, l'homme femelle, la femelle
mâle, le principe de l'engeance anagogique, une femme en proche
disposition d'être châtrée, un homme prêt d'être décoché. Comme il voit
ce mystere s'effectuant, il dit tout haut: en dà, de mon chapeau je
donne la ceinture à celle, ou cil qui a le bout en la jointure;
c'est-à-dire, je donne mon cordon à qui a le vit au con. Quand l'homme
fut levé, il s'avança pour prendre le cordon: la femme aussi y va, parce
qu'elle le veut avoir. O! ho, dit l'homme, il est à moi. E! hé,
dit-elle, c'est à moi, d'autant que j'avois le bout où il a dit; je ne
l'avois pas en l'épaule, vous le savez bien; aussi vous l'y aviez mis, &
bouté. Voire, dit-il, & moi l'avois-je aux talons? Ne savez-vous pas
bien où je l'avois fiché? Vraiment, je ne l'avois pas sur la tête;
j'avois bien autre lieu où l'employer, & où il en faudroit beaucoup pour
l'étouper. Mais devinez à qui de droit ce cordon appartient, afin d'en
être juge)? Le grand cordelier ayant achevé son affaire avec la
disposition de sa pâte, qui fut levée aussi-tôt que le four fut chaud,
ce qui n'avient pas toujours. (Je me reprens, d'autant que toujours le
four est chaud, mais la pâte n'est pas levée. Aussi les femmes font
comme les gueux, elles tendent toujours leur écuelle). Après ce mystere,
les freres s'en vont; le grand aussi saoul que s'il eût mangé une vache;
& dà, en bonne foi, je crois qu'il y a autant à besongner à une femme
toutes les semaines, comme il y a à manger en un boeuf. Les deux
religieux revenus, il fallut rendre compte chacun de sa villication. Le
grand raconta son désastre, mais que pour cela il n'avoit pas délaissé
de faire la cause pourquoi. En après, il demanda au jeune ce qu'il avoit
fait, & si par vif effort il avoit vaincu sa concupiscence, en la
foulant sous soi, selon les délectations de victoire future. Voire, dit
le pauvre, qu'eussé-je fait? Cette fille est innocente; elle ne s'aidoit
point, quand, au bas du degré, après que la porte fut fermée, & que je
l'eus poussée, je lui levai ses robes, & puis je levai la mienne. En
levant la mienne, la sienne tomboit; puis levant la sienne, la mienne
baissoit; & tant, & tant que vous êtes venu, avant que le j'aie pu
approcher. Cette réponse ouie, tous les bons freres soupirerent de
deuil, oyant la bêtise de cet enfant, lequel fut condamné d'avoir le
petit chapitre, pour se souvenir qu'une autre fois il eût à prendre sa
robe à belles dents, quand il leveroit celle d'une fille avec une main,
tandis qu'il foutilleroit de l'autre: ceci s'adresse à ceux qui portent
des soutanes.

CESAR. Mais nous laissons nos deux amis chez Conscience long-temps
dormir.

ASCLEPIADES. Or bien, ayant passé la nuitée, ils se leverent assez
matin. Ils observoient ou pratiquoient ce que doivent bien noter
nouveaux mariés, c'est de se lever matin pour se reposer. Sur les huit
heures, la dame alla en la chambre visiter le malade, qui avoit le
cerveau creux, à cause qu'il ne l'avoit pas rempli d'humeurs nutritives,
& partant les outils de son intelligence étoient déflochés, si qu'il
avoit bien plus veillé que dormi. Après qu'elle lui eut donné le bon
jour, (ainsi dit-on, & on ne donne rien) & qu'elle l'eut interrogé de sa
santé; madame, qui sont ces deux qui ont couché là cette nuit passée? Ce
sont, dit-elle, deux honnêtes hommes. Or ne savoit-il rien de la
compagnie françoise. Il réplique: ils sont leurs grands diables;
comment! tous les gibets, pourroient-ils être honnêtes, qu'ils n'ont
fait toute la nuit que s'entreculbuter de telle rage de cul, que je
pensois que la maison en cherroit! Elle se prit à rire comme toute
honteuse, & ne dit rien pour ce coup, jusqu'à ce qu'il le releva de la
mauvaise opinion qu'elle avoit eue par la communication de telle
courtoisie; & ainsi, lui effaçant ce scrupule, elle a fait paroître
qu'il se dit beaucoup de choses mal à propos, & surtout des
ecclésiastiques. Amen.




COYONNERIE.


XXVII. THUCIDIDE. Et sur cela, je vous dis donc, que vous avez tort,
d'autant que ce ne fut pas chez Conscience. Je m'y trouvai exprès; &
celle qui fit ce trait étoit femme d'un sergent, qui en fit un bien plus
subtil à notre ami Ruart, qu'elle alla voir chez lui, & y dîna: puis par
mégarde, s'ébatit une petite fois à la dérobée sans péché, pourvu qu'il
n'y eût pas plus de peine que de plaisir. Ceci ne fut que le coup de
l'assignation, qui fut donnée au lendemain chez ladite dame. Le
compagnon ne faillit point à se trouver à point nommé, où trouvant
commodité, voulut se paître de ce dont il avoit tiré le jour précédent;
mais elle lui dit que cela n'étoit pas sain à jeun, parquoi il débanda
un écu, pour avoir de quoi repaître. Et afin qu'elle eût meilleur
courage, il dit à la belle, qu'il alloit quérir vingt écus qu'on lui
devoit, & la prioit que le déjeûner fût bientôt prêt. Il y alla, & reçut
sans confession. Voilà comment les amans ne sont pas toujours menteurs,
comme vous ribauds & rufians, qui vous donnez au diable, en promettant
pour peines de défaut, & puis étant hors d'avec les fées, vous n'avez
non plus de mémoire que chats, qui ont tant crié en le faisant qu'ils
ont tout oublié. Il revint avec ses écus qu'il fit paroître, cela
faisoit rire la mignonne comme une guenon sur une cheminée. (Et je vous
demande en conscience & bonne foi, répondez-moi, si on vous présentoit
sur une table deux mille fois autant d'écus que vous en avez, ou bien
cent mille écus comptant, & qu'on vous dît: cela sera vôtre, & vous en
pouvez prendre galamment trois poignées en disant gripe minaut sans
rire, c'est-à-dire, que vous ne rirez point; vous dites qu'oui.

DIOGENES. Vous feriez vos fortes fievres mules; frappez votre nez en mon
cul, c'est ce que je vous baille en trois coups, voire en quatre visées;
mais allez grater votre cul au soleil, & succez vos ongles encore un
coup, si ne l'avez fait.

THUCIDIDE. C'est bien reparti.) Ce mignon présente de son argent à
madame, qui lui dit qu'il falloit aller sobrement. Vraiment, mon ami, il
faut un peu épargner son argent, dit-elle, il y a plus de jours que de
semaines; nous n'aurons pas trop de tout. Et ainsi le dorlotant
putatiquement & le caressant, il la couillaudoit, couillevassoit,
culbutoit perpathétiquement; si qu'il s'enivroit en cette délice permise
à gogo, moyennant la dispense ministrale. Et le compagnon fut si bien
culbuté, tournoyé & friponé, & tant rabatu de concupiscence par la dame,
qu'elle lui ôta, sans qu'il le sentît, & bourse & argent. Quelque sotte
l'eût laissé, & vous y fiez. Cette mignonne le traita comme Jacques
Adriot fut traité de sa femme.

POGGE. Je vous prie, dites ce conte, qu'il ne vous échappe; & je vous en
dirai quatre en récompense.

THUCIDIDE. J'ai peur qu'on se fâche, parce qu'il y a un peu du prêtre, &
un ministre me l'a appris.

POGGE. N'ayez point cette peur; non, jamais on ne s'en fâchera; &
surtout les moines, qui ne le prendront pas à coeur, parce qu'on
estimera que ceci sera mensonge, d'autant qu'il y en a tant de sectes,
que devant que l'on sache qui a fait la joyeuseté, tout sera passé; &
puis cela sera peut-être réputé à mérite, d'autant que par ce moyen un
homme de conscience ayant foulé sous soi la concupiscence, & enfoncé le
fort de satan, où il aura écrasé la tentation, elle s'en sera tellement
allée, qu'il aura les femmes en horreur, jusqu'à ce qu'il en ait
affaire, & c'est alors qu'il fera rage de prêcher.

THUCIDIDE. Or bien, pour vous faire plaisir, je ferois cette parenthese.
Ce Jacques dont est question, étoit un grand abatteur de bois remuant, &
culbuteur de commere, & n'épargnoit rien de ce qui se présentoit. (Ce
fut lui, & deux autres qui rencontrerent la Ponneuse, qui étoit belle &
jeune, mais garce d'un chapelain; & l'enfoncerent dix-sept fois en une
soirée, à coupe-cul: puis s'en allerent chacun leurs voies. Le lendemain
cela fut su, d'autant que la fille se plaignoit qu'elle avoit été ainsi
dévergondée; & on le contoit à quelques honnêtes femmes. En la compagnie
étoit la femme d'un président, qui, oyant ce conte tant de fois,
répondit & dit: au diable soit la carogne, tant elle étoit aise! Cela
n'aviendroit pas si-tôt à une femme de bien.)




EXPOSITION.


XXVIII. La femme de Jacques, triste de ce que son mari alloit ainsi
transportant la provision du particulier, faisant couler partout cette
benoîte liqueur, dont on baille tant d'argent; & si on n'en trouve point
à vendre au marché, alla trouver un de ses amis, pour lui demander
conseil confortatif en son affaire. Cettui-ci, (je ne le vous nommerai
pas, pour la conséquence que je porte à l'honneur) lui enseigna ce
secret; c'est qu'il falloit qu'à point, mignardement, à propos, avec
industrie politique, elle nouât le cas de son mari une seule fois; & que
cela avenu, jamais il n'iroit à d'autres. La femme de Jacques croyant
qu'elle noueroit ainsi pour jamais l'amour de son mari, recevoit ces
mots dorés, je devois dire, _coralisés_, comme sentences prophétiques.
Parquoi elle ne faillit point à essayer. Elle prit le bout de son mari,
qu'elle considéra manuellement, pour le courber & le nouer. Or est-il,
comme vous savez, belles filles, que les mains féminines sont grilles,
sur lesquelles la chair revient. Ainsi la piece de génération par cet
attouchement revenoit, grossissoit comme pâte en met, & pourtant le
billouart se mettoit en point; & à ce conte, Jacques s'enfiloit avec sa
femme; & tout autant qu'elle fit l'essai à nouer, autant fut faite
l'exécution à vétiller: si que ce mari voyant l'importunité des doigts
de sa femme, qui ne faisoient que patiner son pauvre chose, fit bande à
part, de peur que cette friponnerie ne le fît devenir sec comme un
lévrier. La bonne dame en eut du déplaisir, & fit autrement qu'elle ne
pensoit, parce qu'elle ne noua pas le bout, mais elle retint son mari,
qui, depuis, ne fut plus coureux; & puis sa femme accoutumée à dodeliner
son cas, ne faisoit autre exercice au lit, que le promener.

POGGE. Dames, qui êtes jalouses, empoignez cette suave doctrine. Aussi
femmes sont anges à l'église, diables en la maison, singes au lit. Ma
commere l'huissiere traita presque de même son marjolet, que tout
belourd elle renvoya mignardement déchargé, & le conduisit jusques à la
porte, avec des baisers accompagnés de faux semblant de regret: cela
s'appelle des baisers de passage. Quand il eut pris l'air, & qu'il fut
au bout de la rue, s'avisa de pisser: pissant, il avoit la main en sa
pochette; & y tâtant, la trouva vuidée de l'aposthume pécuniaire; le
voilà qu'il devint aussi froid qu'un four miné. Il retourna chez la
dame, où il entre avec toute mignonne humiliation, & requiert que son
argent lui soit rendu. Ayant fait son entrée & requête, il trouva une
femme plus froide que lui, qui fait l'étonnée, l'ébahie, la déconnue,
ainsi que si elle ne l'eût jamais vu. (Voilà comme les beaux esprits
savent passer d'une extrémité à l'autre, pour se réformer! Vous faites
état de votre femme de biennerie, vous autres femmes de bien; &
toutefois vous n'en sauriez faire autant que cette-ci.) Lui qui pense
faire l'effronté comme s'il étoit maître, ayant été si fat que de bâtir
sur un grand chemin, veut faire le grand & le commandeur, dit qu'il veut
ravoir son argent; il se dépite & enrage. Elle fait la constante & la
résolue: il tranche du ruffien, qui a puissance sur une femme; il
tempête & jette à terre son manteau; elle fait l'humble & la discrette,
& plus la femme de bien que si elle s'en fût mêlée toute sa vie; & sur
ses gestes s'ébahit moult de cette apparence, & lui dit: monsieur, que
faites-vous? Où pensez-vous être? Ce n'est pas ainsi qu'il faut vivre
chez les femmes de bien. Quand j'aurai patienté, je me fâcherai. Merci
dieu, êtes-vous hors du sens? Sortez de céans; ou si mon mari vient, il
vous échinera. Ce disant, elle jetta le manteau par la fenêtre, & cria:
à l'aide, au secours & à la force. Il vint du monde, qui, voyant ce
petit méchant monsieur ainsi dévergondé, lui remontrent & le menacent de
la justice, vu son scandale. Le mari pensoit entrer; mais oyant le
bruit, & voyant ce manteau, le prit, & passa outre. Ce qu'il en faisoit,
étoit de peur de se courroucer. Ce manteau lui sert aujourd'hui ès
bonnes fêtes. Le misérable démantelé & dévalisé, eut congé de s'en aller
chercher un autre manteau, qu'un moine de saint Julien lui prêta;
c'étoit un manteau de camelot ondé, pour lui faire avoir souvenance que
les ondes de la fortune avoient passé sur lui.

GLICAS. Ce maître causeur nous en a bien conté, de nous proposer un
noeud, d'un cas si court qu'est celui de l'homme. Certes, c'est de quoi
nature l'a retranché, vu que tous animaux l'ont en proportion plus long.
Je m'en crois, & pense ce que m'en a appris Albert le Grand; c'est parce
que toute l'intelligence est à contraire raison là-dedans; par ainsi
vous voyez que fous en ont de belles venues, & les grands personnages en
sont chichement pourvus. Un taureau en a plus que trois hommes; & un
homme a plus d'esprit que cent boeufs.

L'AUTRE. Si vous saviez de quoi est fait un chose viril, vous sauriez
s'il se peut nouer, ou non.

GLICAS. De quoi est-il fait ce badinage d'amour?

POGGE. Les religieuses de Poissi me l'ont appris, ainsi que j'allois à
Longchamp, & en telles autres religions réformées. Voilà, je ne nomme
jamais personne, ni lieu, de peur que d'autres y aillent. Il y en avoit
trois qui en disputoient. L'une disoit qu'il étoit de nerf, & qu'elle en
avoit eu autrefois une belle nervée, la cour étant à Blois: l'autre dit
qu'il étoit de chair courroyée, d'autant qu'en le touchant, on le
trouvoit plus mignon à la peau, que le maroquin du levant, & plus
douillet que velours: l'autre dit, qu'il étoit de tendons, parce qu'il
tend plus qu'il ne peut. La prieure, qui les avoit ouies, leur dit
qu'elle jugeoit plutôt qu'il fut d'os, parce qu'elle en avoit, le matin,
tiré la mouelle d'un.

PENAS. Vous vous égarez; ce ne furent pas elles; mais bien ces trois,
qui, se promenant au beau jardin de Nantes, trouverent une groseille, &
s'entredemanderent à la dire en latin. Comment le diriez-vous, ma soeur?
La jeune dit, _groselus_; l'autre, _grosela_; & la vieille dit: vous
êtes sottes; il faut _gros & long_: mes petits connaux de dîmes
charitables.

CHANOURI. C'étoit bien trois autres, dont j'étois jadis confesseur.
L'abbé de Gastines, qui les aimoit toutes trois, leur promit de leur
envoyer des couteaux de Châtelleraut; pourquoi bien effectuer, il
endoctrina son valet; & l'ayant embouché, lui mit le présent en la main,
pour le porter aux trois amies. Le valet, qui pensoit, selon que son
maître l'avoit endoctriné, faire si bien que madame n'en sauroit rien,
fut trompé, parce que madame, ayant un message d'amour à faire, y avoit
employé la portiere, au lieu de laquelle elle se tint à la porte, & y
étoit, quand l'homme de l'abbé y arriva. Il fut surpris; & elle lui dit:
or çà, Riolan mon ami, que je voie ce que vous avez-là: c'est quelque
chose que votre maître nous envoie. Elle savoit bien que ce n'étoit pas
pour elle, d'autant qu'un abbé n'eût pas osé entreprendre sur les
brisées de l'évêque de Lombes, qui l'aimoit. La dame ayant le paquet,
elle envoya Riolan à la dépense; & mande aux trois mignonnes qu'elles
vinssent; lesquelles, ne se doutant de rien, s'approcherent; & elle leur
montra les lettres & les présens, leur disant: mes filles bien aimées,
voyez des lettres & un présent que vous envoie notre bel ami l'abbé de
Gastines. Elles lui dirent en toute humilité: c'est possible à vous,
madame, qui le méritez mieux. Non, dit-elle, les lettres en font foi; je
sais bien que vous avez mérité ces joyaux & encore plus: aussi êtes-vous
bonnes filles: mais encore il y a, & faut de la considération en tout;
je veux savoir de vous qui est la plus entendue; & pour cause, afin
d'instruire les novices, pour bien entretenir l'ordre & antique façon de
vivre du couvent. Et partant, celle qui rencontrera le mieux à propos ce
qui lui semble de l'action notable de délectation, & ce qu'elle a
remarqué faisant la cause pourquoi, en faisant son service, jouxte le
bréviaire à l'usage de Reims, cette-là aura non-seulement son présent,
(c'étoient couteaux), mais aussi fera des autres à son plaisir. Les
voilà toutes trois en cervelle: si qu'éguisant le fil de leur
entendement, elles tâchent toutes trois à répondre: l'aînée répondit
qu'elle n'avoit jamais goûté à sauce si douce, sans sucre: l'autre dit
qu'elle n'avoit oncques rencontré chair si dure, sans os: la tierce
proféra qu'elle n'avoit jamais apperçu, ni ouï, ni senti tant cracher,
sans toussir.

ALAIN CHARTIER. Je pensois que vous y mettriez ma cousine de Montrouge
qui pensoit être en terme de devenir bête.




EMBLÊME.


XXIX. Elle avoit vu, ès livres de ces nouveaux voyageurs, qu'il y avoit
des gens sauvages qui étoient tous velus comme bêtes infideles. La
pauvre petite se mit tellement cela en tête, qu'un jour changeant de
blanchette, comme réformée qu'elle étoit, sans chemise de linge, selon
la coutume de notre temps, (aussi blanchette en théologie, c'est-à-dire,
chemise de laine) elle s'avisa par mégarde que son pauvre petit chouse
étoit chu en pauvreté; & que le poil lui avoit percé la peau. Les filles
de prêtres n'en ont point à l'âge de dix-huit ans; (je ne suis donc pas
fille de prêtre, dit la jeune fille qui l'ouit; j'en ai, & si je n'ai
pas quinze ans). Ma pauvre cousine, ayant vu cet inconvénient, se signa
fort dévotieusement, & devint toute troublée de son sautier. Son
entendement péripatetisa tout du long de la culmination de son
intelligence curiale: si que, depuis, elle fut mélancolifiée, que
c'étoit une déplorable imaginaison que la sienne. Si les autres
approchoient d'elle, elle, par une humeur saupoudrée de tristification,
s'en reculoit. A la fin, elles l'arraisonnerent du dedans, qu'elle avoit
au flux & reflux de conflit compagnable; & leur fit réponse, qu'elle
n'étoit pas digne de converser méritoirement parmi l'honorifique bande
de leur société doucette.

JODELLE. Quand je vous ois ainsi paillarder sur votre outrecuidance, de
bien dire, il m'est avis que vous me pissez aux oreilles! Que diable ne
parlez-vous droit, sans aller léchonnant les friponneries du sot
langage. Je pense, vous oyant, être auprès du beau S. Jean, racontant
comme il fut chassé: _nous apperçûmes le lépore, qui s'étoit manifesté;
mais parce qu'il se réintégra, nous ne le pûmes appréhender_. C'est
comme ces badauds de Paris, à la bataille de Senlis, qui, ayant leurs
bâtons à feu sur le haut de l'échine, demandoient: _où est l'averse
partie? Elle ne comparoîtra pas?_ Encore la Goibaude parla mieux, venant
à monsieur le Gouverneur, pour s'excuser de la taxe que l'on avoit
employée pour les fortifications: _monseigneur, je suis une pauvre femme
en veuvesse; je vous prie avoir pitié & componction de moi; on m'a trop
cautérisée pour les fornications_.

TACITE. Laissez dire notre poëte. Que voulez-vous? Le bon preud'homme,
il savate notre langage; toutefois il dit bien, mais il va un peu de
côté.

ALAIN. Vous me défagoteriez quasi bien tout le menu brouillis de mon
intelligence. Or bien donc, cette fille, leur disant son excuse, ajouta
qu'elle étoit indigne d'être avec elles, parce qu'elle devenoit bête.
L'abbesse voyant cette fille ainsi farouche & toute dilatée sur le
progrès de diminution familiere; (ardez, cette curagerie d'éloquence ne
peut m'abandonner) en voulut savoir la raison, & sur ce que les autres
filles lui avoient rapporté par avertissement. Timoré l'appella en sa
chambre: & l'ayant concionnoirement avisée qu'il falloit, en
l'humiliation de son devoir, qu'elle enfourchât la vérité, lui demanda
par amour & vesse (foin, je cuidois italienniser, & dire: _amore
volesse_) l'occasion de sa déconvenue. Adonc en gémissant & pleurant des
yeux, elle dit: ma sacrée chere dame & preude mere, j'ai bien grande
occasion d'être en extrémité de marisson, parce que je deviens bête;
j'ai déjà un petit minon qui m'est venu entre les jambes. Que je voie.
Elle le montra, exhibant physiquement sa natureté. Alors l'abbesse, pour
repartir par pieces similaires, & réciproque démonstration, se
découvrit, & lui fit paroître sa naturance. Il y avoit un petit
cordelier caché derriere, qui l'avisa, & cria à maître Bastien, en
courant: _magister Bastiane, ego vidi coelos apertos_. Et la fillette de
dire: hé qu'est cela, madame? O quelle abondance de bestialité! Ma mie,
ma mie, dit l'abbesse, le vôtre n'est qu'un petit minon: quand il aura
autant étranglé de rats que le mien, il sera chat parfait; il sera
marcou, margaut & maître mitou... Oho, oho, o... Il n'est pas temps de
s'évacuer à rire; attendez un peu; le mot pour rire n'est pas dit. La
belle s'avisa de demander à frere Etienne de Sanssay ce que vouloit dire
madame, par ces rats & chats; ce que le pauvre corps, par innocence
charitable, & humilité graduelle, & selon la sainteté de nos premiers
voeux inférans graces abondantes, lui fit entendre & pratiquer, en lui
faisant naturellement étrangler le rat de nature, par le chat mystique
du bas de son ventre, de quoi elle avoit recueilli un fruit mélodieux de
savoureuse délectation, qui ne devroit appartenir qu'à princes &
prêtres, si tout alloit d'ordre. Elle étoit par ce moyen ingénieusement
déniaisée; & sur cette profonde aisance, elle étoit, une après-dînée, à
se promener en grande contemplation, devisant à bâtons rompus avec une
sienne compagne, qui, oyant ce faux bourdon de musique mentale, lui
demanda à quoi elle songeoit, vraiment, dit-elle, ma soeur, je
pensois... Songez donc ce que vous pensiez bien. Et aussi je vous le
dirai. J'avois les yeux sur cette chevre que voilà qui broute. Ma mie,
ma soeur...

JODELLE. C'est ce que disent les menestriers, ramenant la mariée du
moutier: _ma mie, ma soeur, quelle douceur en fretillant; recordez-les
avec votre flageol_. Maître Janotin, puisqu'il vous plaît, il faut
savoir qu'ils ont dit en la menant: _nous la menons au moutier,
l'ordure, l'ordure, l'ordure du foyer_: mais vous n'y entendez rien;
c'est ainsi qu'ils le font en la menant à l'église, & jouant au beau
trio: _pucelle la menons_, bis; _encore ne sait-on_, ter; _on ne sauroit
qu'en dire_.

ALAIN. Vous me faites de l'interruption; le ciel vous en punaisira; &
regardez bien que signifie cela. Laissez-moi achever; fou enragé qui ne
m'écoute; & plus fou est-il qui s'y amuse. Je voudrois, dit-elle, ma
cousine, être comme cette chevre. Voire, que tu es sotte! L'année
passée, tu disois que tu devenois bête, pour un petit poil folet que tu
avois entre tes deux gros orteils; & ores que dis-tu? J'étois bien bête
par le bon vraiment; & dà je ne le suis plus. Que c'est que d'enfance!
Ces petites ames seroient du tout heureuses avec leur innocence, si
elles faisoient l'amour, & que les petits enfans couchés ensemble
fissent ce que me fait quelquefois frere Etienne. T'hébahis-tu ma fille?
Je desire être comme cette chevre; ne t'en émerveille point: mais
fais-en état. Vois tu, si j'étois comme cette chevre, ainsi velue
par-tout le corps, je serois la plus heureuse du monde; d'autant que je
n'en ai pas si grand qu'une petite écuelle, & frere Etienne m'y fait si
grand bien: si j'étois de même par-tout le corps, il me feroit de même
par-tout, & je mourrois de fine bonne rage de bien, tant je serois aise.
Les pauvres nonains n'en pouvoient mais: voilà pourquoi vous avez tort
de les mêler en vos saturniales.

MACROBE. Je n'y saurois que faire, c'est la vérité qui me contraint,
_inter porcula_, comme chez le roi Assuérus, où parut l'orgueuil de
Vastit, qui toute sa vie avoit été humble comme une savate de
brunisseur. Je m'en rapporte au confesseur de madame Loyse, laquelle lui
disoit en confession, qu'un moine l'avoit haillonnée; qu'il avoit eu
affaire à elle, qu'il s'étoit mis dessus elle pour voir de plus loin:
bref, elle disoit qu'il l'avoit f. (j'ai quasi tout dit tant j'ai la
langue à l'usage de prédicateur.) Le confesseur lui remontrant, la
tançoit, disant: comment, ma mie, vous vous êtes fait accoster à un
mort? Je ne sais pas quel mort, mais je ne vis ni sentis jamais si bien
remuer. Le cas lui alloit, comme à un qui mouche une chandelle avec les
doits sans mouchettes. De ce ci, toute la belle compagnie se mit à rire,
comme un troupeau de fenesseaux.

COLINET. Voire, ne faut-il pas bien s'ébattre, & principalement à jeux
auxquels il convient? N'est-il pas dit, _croissez, multipliez &
remplissez la terre_? Et qu'est-ce, sinon qu'il est enjoint par nature
aux petits, de croître; aux forts & de bon âge compétent, de multiplier,
& aux vieillards, de se laisser mourir pour emplir la terre? Et cela
aussi appartient à ceux qui veulent faire les vieux, à ces idiots,
voués, caffards & inutiles, qui ne font que scandaliser le bon monde de
dieu.

RONSARD. Les rencontres m'en font souvenir, & je dirois bien de la
besongne, sans que le défunt évêque d'Angers fût blâmé des docteurs,
qu'il s'accommodoit aux textes bénits de l'écriture sainte. Que si je
m'y enfonçois comme je les sais, je vous donnerois bien du passe-temps;
mais je ne veux pas faire de planche à ces hérétiques qui en feroient
leur profit. J'aime mieux aller à ce bout, gausser avec ces pénaillons
de garçons & filles, qui s'ébattent sans mal penser, chopinant près ce
buffet, & vogue la galere.

MAROT. Mon ami, dites votre _confiteor_, & laissez peter renard.

BEZE. _Quisque fictor fortunæ suæ_; c'est-à-dire, chacun fait ce qu'il
peut pour vivre. Il le faut faire, si on ne le faisoit, le monde
demeureroit vuide, contre l'intention de nature. Ho! madame, réveillez
vous, & notez qu'un con bien ménagé, à Paris sur tout, vaut presque
autant qu'une bonne procuration, & mieux que deux métairies. Filles, je
vous nomme aussi toutes de peur de jalousie, avisez à vos affaires. Je
sais qu'il y en a qui le font pour le plaisir, ce sont celles qui nous
entretiennent: & les autres, pour gagner leur paillarde vie. _Optimum
philosophari, melius vivere._ Et pource, je vous dis que vous ménagiez
bien vos métairies naturelles.

BAIF. Ho, & ai, compere, comme tu parles! Ne t'avises-tu point des
ordres que tu as?

BEZE. Corps de mordienne, si elles m'importunent un peu, je m'en déferai
bien, & les secouerai comme un âne fait les mouches de ses oreilles.
Qu'as-tu à me venir ici ravauder l'entendoire? Est ce ici le lieu & le
temps d'en parler? Que le diable te puisse casser des noix. Il faut
prendre le temps à propos, ainsi que les gens de justice, quel satan &
réformateur es-tu? Je crois que tes hémorroïdes te rendent ainsi
religieux & conscientieux; ta sainteté t'époinçonne par le cul.

BAIF. Voire, mais avisez à ce que disent nos docteurs: bran, il faut
crier à ce sourdaut, comme pour prendre une taupe.

RONSARD. Tu es un beau faiseur de mines (je cuidois dire de _mimes_); tu
es un grand docteur, tu nous en veux conter; & encore l'écrire. Va, va,
j'ai plus usé de papier à me torcher le cul, que tu n'en as employé à
écrire tout ce que tu pensois savoir.

MADAME. Qu'est-ce là? Est-ce à bon escient?

BAIF. Non, non; ce n'est que pour rire; ne vous fâchez pas. Vous pensez
à autre chose, madame; vous rêvez, le con vuide.

AUSONE. Je n'avois jamais oüi dire cette élégance: bien est-il, que
derniérement étant aux Vallins, on nous présenta un peu de beurre.
Eschine s'en fâcha, & dit à la fermiere, qui nous l'avoit présenté, que,
puisqu'elle étoit chiche de beurre, elle avoit le cas grand. Avisez bien
à ceci, mes dames, ainsi que fit la chambriere de Ciceron, laquelle
ayant ouï qu'on lui reprochoit qu'elle mettoit trop de beurre en la
poële, pour une fricassée, en retourna quérir abondamment pour clore sa
grande ouverture. Et afin que vous sachiez un secret à propos, je vous
dis que les hommes qui n'ont gueres de manche, sont plus courtois &
gracieux, que les autres qui en ont bonne provision; & ce d'autant que
ces manqueux n'ayant pas tant de quoi payer, il faut qu'ils avancent de
la monnoie du singe. Pour cette cause, quand les demoiselles, filles &
femmes sont ensemble à deviser, & parlant de quelque homme qui ait
abondamment de quoi elles ont affaire, elles disent: cettui-là a un
grand persuasif; il a de quoi faire une belle expression de ses pensées
amoureuses; il en a assez, pour faire endéver une dégoûtée. Le bon homme
Sandé, curé de Claye, qui oyant les demoiselles qui rageoient sur sa
chambre, & cela l'empêchoit d'étudier possible, il leur cria: si je vais
là-haut, je vous foutrillerai toutes, tant que je vous ferai enrager.




SOFPASSUC.


XXX. Nous en sommes bien vraiment, nous voilà bien: je fais belle forme
juste comme à la boëte aux oublies.

MENOT. Il ne falloit plus que cela, pour achever sainte Croix d'Orléans
au moule de la chartreuse de Pavie, où j'ai été nourri écuyer; d'autant
que de page il ne s'en parle point; il n'y a point d'enfans, ils sont
tous grands: on ne fait pas là des enfans, il faut les envoyer tout
faits comme à la cour de parlement, sauf l'honneur de la justice la
bonne dame.

BAIF. Ce n'est pas ce que nous disions; taisez-vous: laissez ces
gens-là. Encore les ecclésiastiques sont traitables; ils ne font
qu'excommunier; cela va & vient comme eau claire: mais ces gens de
justice font tache d'huile, que le diable y ait part, mon ami:
laissons-les; achevons ces contes.

RONSARD. Or, pour vous remettre sur vos chouses, je vous dirai, durant
que la ligue étoit en vigueur, on cherchoit à Tours un ligueur; & après
plusieurs perquisitions, on alla au cloître le chercher chez une dame,
qui logeoit avec un chanoine. Cette dame n'étoit point encore levée.
Elle entretenoit son embonpoint. Un monsieur archer du prévôt entra dans
sa chambre l'épée au poing, laquelle raclant contre les carreaux, pour
faire du mauvais, dit tout haut: par la double rouge crête de coq, je
foutrai tout céans, de par le roi. La petite Sevin, qui pour lors étoit
avec elle toute tremblante, s'approche de ce fendeur de naseaux, & lui
dit: hélas! monsieur, pour dieu, ne faites rien à madame; elle se trouve
si mal, je vous prie d'avoir patience. Madame qui l'ouit, ouvrit son
rideau, & adressant la parole à la fillette, lui dit: voire, ma mie; &
dà, pourquoi non aussi bien qu'à vous, puis que c'est de par le roi.

BEROALTE. J'y étois; je m'en souviens comme si c'étoit toutes ores; &
aussi-bien que de ce qui m'avint étant encore au ventre de ma mere, un
jour qu'elle rioit avec un président, qui l'entretenoit selon les
usances de messieurs de la cour de Bretagne, qui nous viennent voir
durant leur semestres. Il avint que de joie elle fit un pet; je pensois
que ce fût un coup d'artillerie, & que nous fussions assiégés: même ce
monsieur la tabourdoit si fort avec une lance à deux boulets, que je
croyois que c'étoit un mouton, que maintenant en honnête architecture de
guerre, on appelle un foutoir. Cela me fit si grand peur, que je sortis
incontinent, & n'y avoit pas plus de quatre mois & demi que ma mere
étoit mariée: aussi il y en a qui sont de race de faire ainsi leur
premier enfant, qui volontiers ont bon esprit; cela fut cause que je
devins poëte.

BELLEAU. Ne le dites pas, s'il n'est vrai.

BEROALTE. Puisque j'en jure, il est vrai; & faut croire un homme de
bien, quand il se parjure. Il y en a beaucoup qui jugent à faux, ainsi
que font nos messieurs de justice, que dieu garde de mal, lesquels font
serment de n'avoir pas acheté leurs états, & toutefois l'argent en est
encore écrit en leurs doigts. Ils ne le dirent point; mais qu'ils
prêtent de l'argent au roi. Vraiment un maître iroit chercher qui lui
bailleroit de l'argent, pour le servir. Aussi proprement l'argent fait
tout: il fait jurer, sans offenser dieu! il fait que monsieur le juge
couchera avec la femme d'autrui, sans commettre adultere; il fera donner
un arrêt le plus mignon du monde. Voilà, certes, monsieur; l'argent a si
bien fait, que pour l'avoir envoyé & baillé à propos, quelques voleurs
des biens du roi ont été libérés. Ces voleurs, miens amis (aussi les
poëtes sont amis de tous, & ennemis de chacun) s'en vindrent, au lieu
d'avoir la corde au col, ce bel arrêt au poing, le dernier de septembre.
Visitez les cours, & vous le trouverez, L. C. a ordonné que ceux accusés
& convaincus de larcin, concussion & péculat, seront châtiés sans
encourir note d'infamie & punition, &c. Que veut dire, L. C. La cour, le
conseil, la chambre, le chouse, la coyonnerie; tout ce que vous voudrez:
que m'en souciai-je, puisque je n'y sens plus d'intérêt; & que jurer ou
non, c'est tout un, si quelqu'un ne se fait partie, afin que monsieur
l'argent vienne loger chez nous. C'est assez interrompre mon dessein; je
voulois vous dire ce qui avint à mon compere Drouet, qui avoit un
procès, pour lequel juger, il fallut être assuré & éclairci de certain
point qui ne pouvoit être connu que par le serment de cettui-ci: il lui
fut dit qu'il ne tenoit plus qu'à cela qu'il ne gagnât son procès. Ha!
vraiment, dit-il, l'ai donc gagné; parce que, s'il ne tient qu'à jurer,
je jurerai des pieds, des mains, de la bouche; &, s'il est besoin, du
cul, en la présence de messieurs. Aussi en avoit-il fait son
apprentissage, aux dépens de mon compere Colin, qui lui avoit prêté un
chaudron. Colin lui dit: Drouet, rendez-moi mon chaudron. Et quel
chaudron? Si tu étois prêcheur, tu ne prêcherois que de chaudron. Je te
prie, rends moi mon chaudron. Je n'ai point de chaudron à toi. Colin le
fait appeller. Etant devant Bodion le bon juge, Colin demande son
chaudron à Drouet; & Drouet dit qu'il n'en a point à lui. Bodion lui
commande de jurer sa part du paradis, s'il a ce chaudron. Lui qui n'y
prétendoit possible rien, je ne dis pas au chaudron, se met en état de
jurer. Comme il juroit, le bon Colin lui disoit tout bas, en le tirant
par le bras: hé compere, ne jure pas; hé compere, tu perds ton ame. Et
Drouet lui répondoit en l'oreille: & toi, ton chaudron.

CETTUI-CI. La femme du peintre qui coloroit notre maison, vouloit bien
autrement; parce qu'elle incitoit son mari à jurer, encore que ce fût à
faux, parce qu'il y avoit une utilité apparente. Maître Mathurin avoit
prêté dix-sept francs à ce peintre, & les lui demandoit assez
importunément. L'autre, différant, enfin est ajourné. Maître Nicolas
notre peintre, qui avoit encore un petit coupeau de conscience, eût bien
voulu ne rien payer, parce qu'il y avoit long-temps qu'il devoit. (Il
pensoit tout de même que faisoit Billonneau de Poictou, à qui monsieur
le chantre avoit prêté quarante livres, lesquelles il lui demanda treize
ans après. Ho, ho, disoit l'autre, & sa femme aussi, s'en souvient-il?)
Maître Mathurin fait venir son créditeur devant le juge: ces deux ayant
proposé leur fait, & dit oui & non, & vere; le juge fit jurer maître
Nicolas, pour savoir la vérité. Cette pauvre bonne personne d'homme
n'osoit, & se feignoit. Sa femme étoit derriere, qui lui disoit: jure
vilain, jure, puisqu'il y a à gagner; tu jures si souvent que tu n'y
gagnes rien. S'il eût juré, qu'eût-ce été?

MENOT. Il eût gagné les dix-sept francs qui lui eussent fait profit; &
il en eût donné cinq ou six sols aux pauvres, & cela l'eût garanti de la
perte de son ame. Savez-vous pas bien qu'en matiere de prudence
humani-monacalo-chanoinesse, un grand tort ou dommage invisible est
réparé & satisfait par un petit bien manifeste, comme ès cours, les
présens font souvent gagner de méchantes causes. Ainsi plusieurs, tant
laïques qu'autres, ayant bien dérobé en cachette, fondent publiquement
de beaux anniversaires solemnels, où ils produisent les fruits mignons
du mammon d'iniquité. Les gens de justice en bâtissent de beaux
châteaux, qui honorent le royaume; les financiers en parent tout. Et
même je vous dirai que, si un petit commis de mes fesses a volé dix
écus, incontinent il se fera paroître, quand il ne le devroit qu'avec
une ceinture de broderie; & un méchant procureur fera incontinent bâtir.
Quant aux conseillers, ils n'y entendent rien; ils ne dérobent que
l'écume; ils ne mettent pas la main au fond du pot, si je ne mens. Et
ainsi sont effacés les larcins, monopoles, sacriléges, fraudes, & telles
joyeuses inventions & moyens de parvenir. Vous rêvez, & songez creux;
vous gâtez tout. Si on sait ce que vous dites, personne n'aura plus
d'envie de faire pis, afin que bien en avienne.

GEBER. Vous proposez une cabale de rêver en soupant; je voudrois, tant
je suis ennuyé de la fracture de mon fourneau, que nous fussions en état
parfait de rêverie; je serois aise, & n'aurois non plus de mauvaise
passion, que le pâtissier Rigole qui songeoit, tant il étoit aise en
rêvant, que sa grand'mere lui donnoit du fourmage mou.

BACON. Jamais fourmage mou ne gâta gorge; non plus que cul chaud ne gâte
jamais linge: & je ne ris jamais tant de fourmage mou ou de crême, que
de celle de Manassés, secrétaire du patriarche de Constantinople. Ce
grand esprit, il acheta un jour un fourmage de crême qui ne lui coûta
rien. (Je montrois un jour à monsieur le chancelier, où c'étoit qu'il
entra trois Flamans au cimetiere des saints Innocens, par la porte de
l'autre côté, dont l'un tomba, & mit le nez en la selle d'une fille qui
venoit de quérir de l'eau. Voilà comment je remarque tout, comme le
derriere de votre chemise fait le conte de vos selles.) Manassés ayant
eu en main son fourmage, prit un des chevaliers de la fleur de lys, un
des quinze-vingts, & le pria de dire un _salve_ à son intention: pour ce
faire, il lui mit un beau jetton au creux de la main. Le pauvre ayant
accordé ses badigoinces, griguenotoit ce _salve_ avec une voix
horrifique, à laquelle Manassés s'accordoit: comme il en fut venu au
verset, qu'il se faut égueuler de crier, & qu'il eût ouvert amplement la
gorge, & desserré la gueule assez grande, pour y enfourner un
demi-alloyau de boeuf, les babines étant déjointes bien demi-pied,
demeurant ouvertes en cette belle extase de chant royal. Manassés lui va
flaquer ce fourmage mou dans le bagoulier si proprement, qu'il entra
tout, & rien n'en sortit, que ce que malheureusement le triste criard
fit écheoir, estimant avoir la bouche pleine d'une autre mixtion de plus
haut goût.

PAUSANIAS. Je pense que ce jour-là étoit fait pour rire.




DICTIONNAIRE.


XXXI. Ne vous souvient-il point que rencontrâmes la mule de Rabelais? Le
bon homme ne s'en soucioit-il non plus que de celle du pape, ayant assez
d'autres bonnes affaires. Il l'avoit laissée chez Fesandat, imprimeur; &
avoit prié les garçons d'y prendre garde, pour la faire boire à ses
heures, comme la truye des carmes. Déja deux ou trois jours s'étoient
passés, qu'elle avoit assez bû; mais au diantre la goute, parce qu'elle
ne bougea de l'attache, comme un vrai chien couchant. Jean du Carroi,
jeune verdaut, s'avisa de cette bête, & monta dessus à dos sans la
sangler; un autre le voit qui lui demanda la croupe, un tiers encore y
saute; & les voilà ainsi que les quatre fils d'Aimon, à chevau sur la
mule sans selle, n'ayant que le chevêtre, (que ne lui baillez-vous votre
licou). Ainsi relevée de ces suffisans personnages, la bête prit son
chemin à val la rue de saint Jâques: passant auprès de saint Benoît, au
lieu de s'avancer, sentant l'eau d'une lieue loin: comme vous auriez
l'odeur d'un bon jambon, & s'approchant de l'église, elle reçut une
odeur débonnaire de l'eau bénite, qui, l'attirant par la conduite
magnétique de sa saveur, la fit, en dépit des chevaucheurs; entrer en
l'église. Il étoit dimanche, heure de sermon, où grand monde étoit
convenu; & nonobstant ce peuple, & résistance des baudouineux, la mule,
dure de tête & oppressée d'altération, donne jusques au benoitier, où
elle mit & enfonça son horrifique mufle. Le peuple, qui voit
l'effronterie de ce maudit animal, qui par dépit n'engendrera jamais,
pense que ce soit un spectre, portant quelques ames jadis hérétiques,
mais ores pénitentes, qui viennent chercher le doux réfrigératoire des
bienheureux (laissez la boire), & déja chacun pensoit qu'il se feroit
quelque émotion (laissez boire la mule) ou autre acte merveilleux de
commotion spirituelle; mais la bête fut modeste, si qu'ayant
légitimement bien bû, selon sa vacation, se retira sans autre cérémonie.

ORPHÉE. Le mulet de Gravereuil étoit bien autre; il les faut marier
ensemble. Il y en avoit, qui, voyant la méchanceté de cette bête,
disoient que c'étoit quelque diable, fauteur d'hérétiques, punissant
leurs ennemis: & cela venoit à propos, parce que, de mon tems, ce prêtre
avoit fait effondrer une bonne & ample quantité de huguenots, qu'il
tuoit bravement jusqu'à la mort. Un jour, un élu de Tours emprunta ce
mulet, & monta dessus, & adressa ses voies à Langes. Y étant arrivé, le
mulet prit le mords aux dents: &, sans se soucier de ce qu'il avoit sur
l'échine, & du profit du roi, se mit à courir par tout à travers hommes,
femmes & enfans; & s'adressant vers la poterie, passa par-dessus pots,
buïes, casses, chaufferettes, qu'il brisa, cassa, rompit & gâta, comme
un étourdi: puis, ayant fait sa montre, reprit ses erres, emportant le
triste élu, qui eut voulu être au fond de sa cave, de peur du tonnerre;
& le mulet de courir, sans arrêt ni crainte: & comme il couroit, il y
avoit un pauvre homme, qui avoit trouvé la bougette d'un autre qui avoit
passé, & l'avoit laissé cheoir. Cet homme, pensant que ce fût cet élu
qui avoit perdu sa malette, lui crioit: monsieur, arrêtez-vous; tenez,
voici votre malette. L'élu, pensant qu'il se moquât de lui, & ne se
pouvant arrêter, lui crioit: je te ferai pendre, coquin. Le paysan
couroit criant, brayant: monsieur, tenez votre bien. Coquin, tu seras
pendu. Monsieur, tenez, arrêtez-vous. Le vilain, voyant qu'il ne
s'arrêtoit point, jetta la malette là; & un autre la prit qui s'en
trouva bien, & fit bâtir une belle maison à Portillon. Le méchant mulet
courut sur les ponts, où étant arrivé, il s'arrêta aussi mignon qu'un
cochon rôti, traitable ainsi qu'un agneau. Monsieur l'élu le mena où il
voulut; mais se ressouvenant de sa peur, il l'alla rendre. Je vous
assure, & m'en croyez, que si ce chevaucheur de mulet n'eût été élu, il
se fût rompu le col, & fût allé, comme les autres, à tous les diables.
Une autre fois que Gravereuil venoit du Plessis endossant son mulet,
monsieur le mulet voyant l'eau, & y prenant plaisir, y porta son maître,
& laissant à côté le pont sainte Anne, passa à travers l'eau: ce fut à
messire de se tenir serré. Si ce n'eût été un prêtre qui venoit de
confesser un minime, il étoit en danger de périr; mais il étoit en trop
bon état; le diable n'en avoit encore cure. Voilà comment le muletier
échappa, se tenant ferme de peur de mouiller ses cheveux. Par dépit de
telles malversations, Gravereuil ayant assemblé le conseil de ses amis à
ce connoissans, il fut résolu que dom mulet seroit châtré; ce qui fut
exécuté au détriment des pendiloches qui furent levées. Le mulet guéri
se trouva assez humble pour un tems: mais je m'en ris encore; & j'eus ce
plaisir, un samedi matin, que ce vieillard voulant aller aux champs,
monta sur sa bête, qui savoit le chemin de sa cure. Voilà qu'il est en
train d'aller. Ce méchant mulet, étant en la rue de la grosse tour,
avisa le châtreux qui l'avoit émancipé; aussitôt il se ressouvint de
cette opération, & comme il l'avoit malheureusement exterminé, lui ôtant
toute espérance de bénédiction mulative. Oubliant selle, bride & maître,
il s'élança après; & ne se souciant plus de coups, de guide, & de tout
ce que vous voudrez dire, s'enfonça droit & roide vers ce châtreux pour
le dévorer, ouvrant la bouche grande comme un four à ban: & en dà, il
l'eût diffamé & vilipendé sans sa feinte. Le pauvre siffleur se sauva en
une maison; & le mulet après y porta son maître, qui fut obéissant, ne
pouvant chevir de sa bête qui l'emporta après le châtreux, qu'il suivit
tout du long d'un escalier, portant toujours son possesseur, qui n'avoit
plus autre espérance que d'avoir le cou rompu. Le châtreux se jetta sur
une pièce traversante, où le mulet, qui le voyoit, recanoit trépignant
en la chambre, & béant comme une carpe qui se noie. Ainsi baillant,
ouvrant la bouche grande comme un ministre qui dit son premier sermon,
il fit tant de désordre en se tremoussant, que les quatre jambes lui
entrerent dans le plancher; & messire Gravereuil eut le cul fort
rehaussé, tellement qu'aisément il se put ôter de l'encombre où il
étoit. Il ne fut point sot; il s'en ôta, & laissa là sa bête, qui, après
que le pauvre châtreux fut échappé, fut levée par l'industrie de quatre
ou cinq hommes qui l'enleverent. Ce mulet, depuis cette aventure qu'il
ouvrit tant la bouche, mordit comme un chien; aussi ne vivoit-il que de
mordre, pourquoi son seigneur lui fit arracher quatre dents, dont de
dépit il devint pire, & jamais ne bûvoit qu'il ne lui prît fantaisie.

HERCULES. Pourquoi est-ce qu'un âne ne boit pas, s'il n'a soif?

CALVIN. Faites votre proposition vive.

HERCULES. Je ne m'ébahis; si tu fus hérétique. Va, je te le dirai. C'est
parce qu'il ne boit que de l'eau. Que s'il buvoit du vin, il boiroit à
tout moment, comme un bon théologien: mais _tu venisti sobrius ad
evertendam rempublicam_.

CALVIN. Jamais il n'y eut homme savant, qui n'entendît raillerie, que
toi. Va te faire lanterner, & me regardez; vous voyez votre maître. Mais
que devint ce mulet?

ORPHÉE. Gravereuil le vendit à un Gascon, qui, étant informé des
conditions de la bête, ne laissa de la bien payer, estimant qu'aisément
il en viendroit à bout, parquoi il l'acheta, & le paya bien
authentiquement; aussi la bête étoit de belle apparence & forte. Quand
le Gascon fut dessus, & qu'il l'eut un peu mené outre son premier gré,
le mulet s'avisa & emporta mon homme après ses propres fantaisies, à
travers haies & buissons, champs & prés, & le menoit, comme un nouveau
Plutus, dans ronces & épines de tous les diables. A la fin, lassé ou
remis, le soldat, qui ne pouvoit oublier cette injure, se renforça de
colere, si qu'étant descendu, il lui passa son épée au travers le corps.
Le mulet, sentant ce coup énorme, & sa vie déterminée, en appella à la
mule du pape, par la vertu de laquelle il s'évertua, & excédant en
vigueur, frappé comme il étoit, il se jetta sur son homme, auquel en
mourant il emporta toute une épaule. Le pauvre Gascon se vint faire
panser à Tours de sa morsure, plaie & contusion: mais il ne lui servit
de rien, parce qu'il en mourut, d'autant que l'appareil qui fut mis sur
sa blessure, avoit été appliqué sur la chemise d'une fille, qui étoit
pucelle à vingt-cinq ans & demi, & que de là même on avoit fait le
charpis qui avoit mis le feu par-tout.




ÉLÉGIE.


XXXII. CÉSAR. Bien remarqué!

RENÉE. Devant que vous laissiez ce prêtre, je vous l'accompagnerai d'un,
afin qu'il n'aille pas tout seul, & lui baillerai un caillou en la main,
de peur qu'elle ne lui enfle. Il y eut un ministre Breton de Bretagne,
qui courut chez nous une belle fortune. Il se plaignoit fort d'une
douleur de jambe; & ayant pris conseil de son mal, il s'alla coucher. On
avoit oublié de lui bailler un pisse-pot, si que, durant la nuit, ayant
desir d'uriner, & ne trouvant point de vaisseau, il se leva, & s'avisa
d'aller pisser en la cour. C'étoit environ la toussaint, en nouvelle
lune. Il sort de sa chambre, & enfile le degré, lequel étoit contigu à
celui de la cave, qui n'étoit point fermée, tellement que suivant la
vis, il alla tant qu'il trouva terre, qui fut, quand il eut mis le pied
au fond de la cave, où étant, il s'avança trois pas, & pissa abondamment
selon la désirable évacuation de sa vessie. Voilà que, par male tigne,
il s'étoit tant avancé, qu'ayant pissé il se trouva plus déchargé & plus
éveillé; pourquoi il veut retourner: sur cette intention il cherche le
noyau du degré & de la sortie ou entrée; mais il ne le peut trouver. Le
voilà tout égaré; il leve les yeux à mont, & s'éguisant la vue, il tâche
de trouver des étoiles; mais il n'avoit garde. Ho, disoit-il, que le
temps est nuble! que le ciel est noir! que l'air est étouffé! Ho, y, il
fait ici noir comme en une cave. Les nuées étoient si épaisses, qu'il ne
voyoit goutte qui soit. Il se résout de sortir de ce lieu tant obscur,
qui est la cour, à son avis; mais il ne peut trouver de passage: il va,
& vient, & de tant plus il s'englue. A la fin, il se met à appeller, &
crier qu'on lui portât de la chandelle. Il se mettoit à hucher, puis se
reposoit; plus il huchoit, & moins on s'en soucioit; aussi que sa voix
n'étoit point entendue venant de si bas. Après qu'il avoit bien crié, il
se taisoit, & écoutoit; puis, un peu après, il recommençoit. A la fin,
je m'éveille & demandai: qui est-là? Il m'entr'ouit, & dit: c'est moi.
Et qui? Moi pauvre ministre. Et où êtes-vous? Ici. Et où? je ne sais. A
la fin, la voix me conduisit à la cave, où je le vis tout nud, aussi
ébahi que Petou. Qui, tous les diantres vous a mis ici? C'est moi: je
cuidois être en la cour; & je ne sais comment j'ai descendu si bas. Et
que n'avez-vous pris des souliers? Si j'eusse pensé tant y être, j'eusse
pris mes souliers & ma robe. Mais, pour dieu, menez-moi chauffer; je
transis de froid. Je fus presque en pensée de le mettre échauffer en mon
lit: mais l'odeur de ministre me déplaît; je m'étonne de celles qui les
aiment tant, & les épousent.

VITRUVE. Mais venez çà, Renée; faites honte au diable. Ce Breton ne vous
pria-t-il point d'amour en la cave?

RENÉE. En bonne finte, il n'avoit garde; il ne lui en tenoit; il avoit
trop froid aux pieds. _Qui a froid aux pieds, la roupie au nez, & le cas
mou, s'il demande à le faire, c'est un fou._ Croyez qu'il avoit la
friandise bien ravallée.

VITRUVE. Il falloit le lui frotter. Voire, _vin chauffé & cas frotté ne
tendent qu'à pauvreté_. Ce fut donc à l'autre chambriere à laquelle il
le fit.

RENÉE. O! vere, en ma conscience, je vous jure qu'elle est une pauvre
petite putain, aussi fille de bien que fut jamais votre mere; & n'y en a
pas une en ces cloîtres, qui fasse moins faute de son corps. Que si elle
est avec un homme qui l'entretient, hé bien, il n'y manque que l'église;
elle ne laisse d'être mariée: & ce mariage, au dire de nos prêcheurs,
est aussi bon que celui des huguenots, qui ne se marient, non plus que
nous, à la messe. Et bien, vous voilà bien en peine pour une messe!
Dites ce que vous voudrez; je l'aime bien. Le diable l'emporte, si elle
songe plus en cela qu'une vraie abbesse, à qui dieu en veuille faire
pardon.

VITRUVE. Mais messire Gabriel nous a conté qu'il n'alloit la voir, que
pour en tirer une venue.

RENÉE. C'est un sot de le dire, au respect du maître qu'il sert. Qu'il
aille chez lui, de par le diable. Il est donc de ces gens-là?
L'hypocrite! Je vous prie, quand il chemine, vous ne diriez pas qu'il y
pense. Que ne va-t-il droit? Il va douanant, comme un badin; & trotte de
côté, comme un chien qui vient de vêpres. Je dirai à Perrine que vous
l'avez nommée putain.

VITRUVE. Et à qui vous joues-tu? Je sais comme il faut rabattre de tels
coups.

RENÉE. A l'usage de notre maître, qui, un soir, demanda à ma maîtresse,
qui servoit le gouverneur logé au château: ma mie, avez-vous porté du
linge à ces putains du château. Elle lui répondit: vraiment, pour un
vieil homme, vous dites de vilaines paroles; il vaudroit mieux vous
taire, ou dire votre patinostre. Voire, dis-je, monsieur, appellez-vous
madame, ses filles, ses soeurs & ses demoiselles putains! O, dit-il, je
ne les pouvois mieux nommer; ne le seront-elles pas bien, si elles
veulent!

DIOGENES. Il y en a beaucoup qui le voudroient bien être, & ne peuvent
un seul petit coup: par ainsi beaucoup de monde va en paradis par sa
faute.

CATULLE. S'il y avoit autant d'honneur, de grace & de commodité paisible
à être putain, que d'être femme de bien, on ne pourroit tenir les
femmes.

AVICENNE. Vous êtes importun de ces femmes de bien. Qu'est-ce que peut
faire une femme de bien, que de bruit en une maison! Elles ne font que
rechigner, elles sont ennemies de tout exercice vertueux: bref, ces tant
femmes de bien feront pour dix écus de ménage en une maison, & y feront
pour cent écus de vilenie, tant elles sont seches de courtoisie. Depuis
qu'une femme a juré: par la merci de dieu, je suis femme de bien de mon
corps; on n'en sauroit plus chevir; on ne lui ose plus rien dire.

SENEQUE. Vous n'êtes pas recevable à parler des femmes, d'autant que
vous êtes jaloux de la vôtre.

AVICENNE. Parmagri, eh! de qui voudriez-vous que je fusse jaloux? De ma
mule, de ma chatte, de ma chienne, comme vous de votre chevre; vraiment
je vous les abandonne, aussi-bien êtes-vous savetier, vous travaillez en
vieil cuir à racoûtrer la mere de l'Empereur. Laissez-moi dire, ou je
vous ferai rougir comme un plat d'étain. Pensez vous que, pour si peu de
choses, & qu'à si petit cas de pitié, une femme soit connue. Il y a des
femmes qui sont enclines à faire la pauvreté, par nature qui les induit
vivement à la contenter, qui, au reste, sont les plus justes &
admirables du monde, & ne voudroient endommager autrui. Il est vrai que,
quelquefois, il y en a qui s'accommodent, pour subvenir aux nécessités
de la maison. Vaut-il pas mieux avoir un peu de commodité & faire
plaisir aux honnêtes gens, que de trancher de la glorieuse & avoir
disette? Sachez l'axiome de Normandie: _plus de profit et moins
d'honneur_. On acquerra assez d'honneur, après que l'on aura des moyens.
Il est vrai que je veux mal à celles qui le font pour se venger, comme
la huguenote de Lyon, qui disoit à son mari qui la battoit: va, chien,
vilain, par dépit de toi, grand excommunié, j'irai tant à la messe & me
ferai tant haillonner. Mais j'excuse celles qui le font par honneur, de
peur d'en aller honteusement demander, & qui le font pour honnêtement
gagner leur vie. Toutefois, je me fache de ce qu'elles ne sont toutes
unies. Il y en a qui sont loches; les autres sont croches, ainsi que me
disoit la feue princesse qui a été nonnain. Les loches deviennent
misérables, tout leur chet du cul, rien ne leur tient, elles sont
vilaines putacieres. Quand aux croches, elles sont sages & prévoyantes;
elles attrappent tout & le retiennent; il ne leur faut pas jetter d'eau
aux fesses comme aux cavalles; elles retiennent bien, elles sont de
bonne sorte, elles sont femmes de bien en dépit des autres, pour ce
qu'elles sont braves, ont du support & de l'argent. Retenez cela,
putains. Que si vous voulez tenir un homme en bride, faites-le bien
payer: ceux qui vous le font pour néant, n'en font compte; ceux qui
l'achetent, font état de vous, comme on fait entre les bons marchands,
de ceux qui ont de quoi, & sont sujets à large, pour le faire venir.
Quant à Licofron, il en fait suivant la venue que lui bailla celle qui
le pressura l'an passé.

LICOFRON. Je ne la garderai gueres, ce que j'en faisois étoit pour
suivre ma destinée, qui est, à mon avis, que je le dois faire à toutes
les femmes & filles, & l'ayant fait à cette-là, c'étoit autant de fait.
Quand j'aurai accompli ma fatalité, vous serez mon beau-pere, votre
fille est belle & de nos soeurs, & puis, si j'empoigne votre femme...

AVICENNE. Tout beau, la mere & la fille.

LICOFRON. C'est tout un, il n'y a point de lignage en cul de putain,
l'eau claire l'efface. On mange bien en Grece d'une truye dont on aura
mangé le cochon.

AVICENNE. Mais voyez comme il appelle ma femme & ma fille putains.

LICOFRON. Prenez que nous ne soyons mariés, ni l'un, ni l'autre. Si je
devois accommoder toutes les filles, & vous toutes les femmes, lequel
auroit plus de peine? Ce seroit vous, compere mon ami, parce que quand
j'aurois accoûtré les filles, il faudroit que, comme à femmes, vous leur
fissiez.

AVICENNE. Mais à qui seroient les enfans?

LICOFRON. Ils seroient à nous, qui serions leurs mignons, ainsi que
beaux petits chanoines.

AVICENNE. Voire, mais les filles ne sont femmes, que le prêtre n'y ait
passé.

LICOFRON. Dà, qu'il faudroit que le trou fût grand; envoyez-les à Rome &
à Angers, il y a assez de prêtres pour faire ce qu'ils pourront.

AVICENNE. Vous les voudriez faire putains.

LICOFRON. Et qui le saura? Qui est-ce qui pourra dire, qu'une fille, ou
femme, soient putains que par opinion; s'il n'en a été maquereau, ou par
méchante calomnie, s'il ne l'a besognée.

MENANDRE. Pourquoi est-ce que les chanoines se font nommer _mignons_ à
leurs enfans!

LICOFRON. Parce que mon mignon, mon oncle, mon maître en chanoine;
c'est-à-dire, mon pere en ministre, comme, monsieur en grand.

STATIUS. Allez leur dire, & vous chauffez à leur feu, & accommodez leurs
pucelles. Ce sont bonnes pucelles d'apparence; mais elles sont femmes en
substance, ayant reçu la même transmutation momentaire, qu'une femme ou
une putain.

JOSEPHE. Il y a plus de trois mille minutes que je suis après, pour vous
attrapper à ce point, sans vous interrompre; mais il ne venoit pas à
propos. Vous avez dit qu'il y a des femmes qui le font, & sont femmes de
bien.




RESPECT.


XXXIII. FEU MONSIEUR. J'avois en ma cour un gentilhomme, qui disoit
qu'il avoit trouvé sa femme le faisant plusieurs fois. Hé, gros oison:
c'étoit lui, voilà comment il le faut entendre. J'aimerois autant mon
premier médecin, qui, parlant à un de mes maîtres d'hôtel, qui se
plaignoit qu'il avoit trop d'enfans; & qu'il eût voulu avoir un secret,
pour le faire à sa femme, sans lui faire des enfans. Le médecin lui en
promit, pourvu qu'il fît le juste présent. Ce qu'étant accompli, le
médecin lui dit: mon ami, défaites au matin ce que vous aurez fait au
soir; ou bien ne le faites jamais à votre femme, qu'elle ne soit grosse.
Monsieur, ce n'est pas cela. Je m'entends bien; je veux dire qu'elle le
fasse, comme font les putains. Pourquoi, je conclus qu'il faudroit
établir un certain ordre; & puisque vous avez la tête si lourde que vous
ne pouvez entendre, je vous dis qu'il faut qu'elles soient de l'ordre de
sainte Glougourde, qui prêtoit son chouse pour une patinostre. Et je
vous dirai, tout prosélite que je desire être: on a parlé de la piété:
elle se peut connoître par les effets. J'ai observé que les femmes qui
ont long temps ébattu leur jeunesse, se venant à retirer de cet état,
sont plus dévotes que les autres; vous les voyez sans cesse tomber en
oraison, les yeux larmoyans, la bouche pleurante, le cas riant.

STATIUS. Et comment est-ce qu'il riroit:

LICOFRON. Il a une bouche & les levres. Il n'est pas de cela pour rire.

STATIUS. De quoi est-il fait:

LICOFRON. Celui d'une fille est fait de chair de cirons, il demange
toujours; & celui des femmes est de terre de marais, ou d'eau de mer,
parce que le cas d'un homme, qui est de liége, ne peut aller au fond.

AVICENNE. Ce n'est pas-là ainsi que disoit la belle fille, qui vouloit
être touchée au bas du ventre: achevez ces dévotes. Je vous laisse dire,
pour vous avertir que les jeunes filles passant vingt ans, & jeunes
veuves qui n'osent le faire & le voudroient bien, sont toujours près les
piliers des églises à prier, afin que leur contentement avienne; & les
vieilles pécheresses invoquent à ce qu'il ne leur soit rien imputé, pour
l'excès qu'elles en ont eu, au préjudice des autres qui en jeûnent; & ce
d'autant que toutes, tant nonnains soient-elles, ne pensent qu'à cela,
parce que c'est la fin finale, pour laquelle la femme a été faite.

RADEGONDE. Puis qu'ainsi est, je voudrois que mon cas fût un benoîtier,
afin que tout le monde mît dedans.

ÆLIAN. A ce que je vois, il n'est que de mettre dedans. A ce propos, je
vous dirai de mademoiselle d'Amelie, qui a beaucoup acquis de
réputation, ayant hanté la cour toute sa vie, parce qu'elle étoit mariée
à un impuissant; & elle l'a enduré, sans aller à notre-dame des aides;
ou pour mieux dire, à la cour des aides. Elle n'a, tout ce temps-là,
rien mis dedans; & si on ne voyoit en rien son désastre, tant elle
faisoit bonne mine. Ce premier mari lui a duré dix ans, il faut que vous
sachiez cette vérité. Etant mariée à ce bon personnage, la premiere nuit
de ses noces, il la caressa de baisers & de petites mignardises
superficielles; & puis mit la main à une paire d'époussettes de soie qui
étoient pendues au chevet du lit, & lui épousseta son cas; ce qu'il fit
deux ou trois fois, & ainsi les passant & repassant par son velu d'entre
les deux gros orteils, la contentoit, sans qu'elle y pensât autre
finesse. Le lendemain les amies lui demanderent comment elle se portoit,
& ce qu'elle disoit de ce bon homme. Vraiment, dit-elle, il m'a
épousseté trois fois mon cas. O, ho! dirent-elles, vous êtes bien, ma
mie. (Ainsi font les dames de Paris, & disent à la nouvelle mariée: hé
bien, la jeune femme, comment vous portez-vous! Si d'aventure elle est
bien ointe en sa jointe, elle dira: fort bien, madame; j'ai un bon mari,
il me donne tout ce que je demande; si je voulois manger de l'or, il
m'en donneroit. Mais si elle est mal servie: ardez, dit-elle; mon mari
est un grogneux; il est chiche, & ne fait que penser à son avarice.
Hélas! voyez, voilà grande pitié). Cette-ci n'étoit si fine, elle ne
savoit ce que c'étoit, & s'ébahissoit comment les femmes faisoient si
grand cas de si peu de chose, qu'elle estimoit moins que rien, encore
qu'au dire des dames ce fût beaucoup d'excellence: je laisse à penser ce
qu'elle jugeoit de l'entendement des autres. Il avint que ce bon mari
fut malade; & se voyant près de sa fin, fit son testament, & donna à sa
femme sa maison, ainsi qu'elle se comportoit, meubles & tout: puis il
trépassa, comme dit l'autre, dont elle fut en grande angoisse, parce
qu'outre cela il étoit le meilleur petit bon homme, qui fût d'ici au
saut d'une puce armée. Quelque temps après, un brave jeune dispos se mit
à rechercher cette belle veuve, qui, au commencement n'en fit cas,
n'ayant affaire de rien. Ainsi estimoit-elle le bien que peut faire un
homme, qui est plus grand que jamais pere & mere n'en firent; cela, qui
est le bien des autres, ne l'émouvoit point. Or ce que l'amour ne put
exciter, l'ambition l'éveilla en cette-ci; d'autant qu'elle considéra
que ce jeune homme avoit un beau chausse-pied de mariage, qui seroit
cause qu'étant mariée à lui, elle passeroit devant ses soeurs: parquoi y
pensant, elle consentit au mariage tant desiré par le jeune homme. Ils
furent donc mariés, aux us & coutumes du pays. Ainsi que le prêtre leur
dit, (j'y étois) & leur acheva ainsi la benoîte cérémonie: vous, Claude,
vous promettez-bien aimer Marie: Marie, au cas semblable, gouvernerez
bien votre mari Claude autant sain que malade, &c. Cela promis, la belle
emmena son jeune mari en sa maison, où elle lui fit bonne chere; puis
ils coucherent ensemble au même lit, où le bon homme lui avoit épousseté
son cas. Le jeune compagnon n'eut pas la patience d'attendre; mais se
juche sur elle, qui se trouve scandalisée de cette façon. Quoi,
dit-elle, me voulez-vous outrager? Etes-vous fou ou enragé! Je veux vous
faire comme votre défunt mari faisoit. Il ne faisoit pas ainsi; il
prenoit ces époussettes, & m'en époussetoit mon engin; il ne me fouloit
pas comme vous faites; il passoit & repassoit ces époussettes sur la
prée de ce petit fossé, que j'ai contre-bas. Vraiment, c'est cela.
Laissez-moi faire, je l'entends mieux que lui; il n'étoit pas clerc.
Elle s'y accorda; & comme elle sentit l'embouchement entre les
hipocondres, chose qui lui étoit toute nouvelle; hélas! crie-t-elle, mon
ami, pensant aux époussettes, je crois que vous avez mis le manche
dedans. Voilà comment il l'accommoda, & s'en vanta. Et toutefois il
n'étoit pas si bon compagnon qu'il se disoit; je le sus de la femme de
chambre, qui ouit le discours & les effets. Je lut demandai s'il étoit
vrai qu'il eût frétillé-naturé sa femme neuf fois, comme il se vantoit.
Elle, se moquant, secoua la tête, me disant: je voudrois avoir ce qu'il
s'en faut. Depuis cette fortune, la demoiselle s'est reconnue, & n'a
plus été si niaise. De fait, on m'a assuré que, comme les autres, elle
aimoit mieux un vit au poing, qu'un bourdon sur l'épaule.

ANDOCIDES. Pendant que nous sommes aux noces, demeurons-y.




COUVENT.


XXXIV. J'eusse oublié ceci, si je n'y eusse pensé. La bonne femme la
Baudouin marioit sa fille; & l'ayant fiancée, vint au soir le notaire
qui avoit passé le contrat, qui disoit que tout étoit bien. Mais,
dit-elle, il faut des bans; je vous prie me les écrire. Il faut parler
au clerc. Julian mon ami, puisque monsieur le notaire le veut, écrivez,
je vous prie, qu'il y a promesse de mariage entre Pierre du Pin, & la
fille de chez nous. Ce gars écrivit ce qu'elle dit, & le lui bailla.
Elle porta son fait au curé, qui le mit en sa ceinture. Le dimanche au
matin, publiant ces bans, il dit: il y a promesse de mariage entre
Pierre du Pin, & la fille de chez nous. O, ho! si est-ce, par saint
Jean, qu'il n'y en a point! Chacun s'en rioit, comme on fait au
conclave, quand on a élu un pape.

GRATIAN. Je les vis fiancer, ainsi que le curé les eut fait toucher en
la main, il prit un verre & fit boire le fiancé. Or ce fiancé avoit eu
la fievre, qui lui avoit chié au bec, si que sa bouche étoit un peu
galeuse. Le fiancé ayant bu, le curé présenta ce verre à la fille, qui,
le tenant, jetta ce qui étoit dedans, & le tourna. Quoi! dit le curé, ma
mie, vous ne voulez pas boire? C'est votre grace, monsieur: mais s'il
vous plaît, donnez-m'en deux doigts dans le cul. Elle entendoit le cul
du verre.

L'AUTRE. Un jour j'étois aux noces vis-à-vis du curé, qui étoit près de
la mariée, laquelle avoit eu de l'usance qu'elle avoit usée. Je lui
donnai un croupion qu'elle voulut saucer; & ne trouvant rien en sa
sauciere, dit: monsieur le curé, tremperai-je mon cul en votre sauce?
Trempez, ma mie, trempez. Mais ce curé fut bien trompé.

GRATIAN. Comment?

L'AUTRE. Ce curé étoit amoureux de cette fille, de laquelle il avoit
pratiqué le mariage, pourvu qu'après il fut reçu à faire avec elle
choses & autres, selon l'intelligence délectable, à quoi la fille
s'accorda, & en avertit son mari, afin qu'il ne le trouvât point
étrange, s'il n'y remédioit. Sur cette promesse, le mariage fut fait; &
le mignon de curé s'attendoit de faire goûter à la jeune femme de son
fruit de cas-pendu. (Cas-pendu est le cas qui pend; les pommes qui ont
des pendans sont pommes de cas-pendu; & telles sont les pendiloches
naturelles des hommes.

HORACE. Vous faites une équivoque trop dissemblable; je vous entends
bien. Les pendilloires ne sont pas pommes, d'autant qu'elles ont mieux
la figure de prunes; & de fait il y paroît, parce que notre jardinier en
disoit, les nomcupant naïvement. Mademoiselle étant venue au jardin, &
arraisonnant le Jardinier, vit en un prunier de ces prunes qu'on appelle
_billons d'âne_. Jardinier, donnez-moi de ces prunes. Il faut que vous
en ayez, mademoiselle; je m'en vais appeller mon fils; je ne suis pas
assez fort. O Jean! ô viens vîtement donner ici une secouée de couillons
à mademoiselle. Achevez, s'il vous plaît.)

L'AUTRE. Monsieur l'amoureux poursuivit son instance. La jeune mariée,
qui, comme toutes nouvelles jeunes femmes font, aimoit son mari encore
pour le bien & aise qu'elle avoit eu d'avoir été accomplie, ne faisoit
guères d'état de messire Jean, principalement ayant eu l'argent qu'elle
prétendoit. C'étoit autant de vinette cueillie. Un jour qu'il la trouva,
il lui dit: sais-tu pas bien que tu m'as promis? Et quoi? De mettre un
de mes membres dans un des tiens. Je le veux, monsieur le curé, mettez
donc votre nez en mon cul, ainsi vous boucherez trois pertuis d'une
cheville. Les petits menus propos lui donnoient espérance que bientôt il
l'émouveroit toute vive, par ainsi il se rendoit plus privé & importun,
dont la jeune femme se voulut défaire moyennant le complot pris avec son
mari, qui fit semblant d'aller aux champs. Par ainsi, monsieur le curé
qui alloit & venoit pour rencontrer la belle, eut assignation de venir
au soir. Sur la brune venant, voici mon curé qui vint; comme elle le
vit: helas! dit-elle, personne ne vous a-t-il vu? J'en suis toute
tremblante. Ma mie tout ira bien, assurez-vous. Et bien, monsieur, vous
soyez le bien venu. Tâtons au vin: non, pas encore, Françoise ma mie,
tâtons à autre chose avant. Vraiment, vous avez grand hâte, si votre
fosset est fait, la piece n'est pas perçée. Attendez que nous soyons
couchés, vous aurez assez de quoi vous embesogner; je vous baillerez un
petit endroit, où il y a plus à travailler, qu'il n'y a à moudre en
quatre septier de bled. Soupons vîtement, puis, nous nous coucherons.
Cependant il déroba quelques baisers, qu'il furta tandis qu'elle apprêta
tout. Ils se hâterent de souper, puis elle dit: là, couchons-nous; c'est
assez friponner sur la viande morte, c'est trop languir. Jamais le
mignon ne se trouva si aise. Il se jetta bientôt au lit, & elle, presque
toute nue, faisoit mine d'aller éteindre la chandelle; & musoit un peu,
& il lui disoit: _Françoise, vien tôt, voici Jacquemart de bandeliroide
qui vous attend, c'est Perrin boutte-avant, venez tôt, il est fort comme
un os; venez qu'il vous serve._ Elle approche comme pour se jetter au
lit, n'ayant plus que sa chemise: ho, dit-elle, je m'en vais ôter ma
chemise, mais aussi vous ôterez la vôtre, je ne la pourrois souffrir. Il
l'ôte, puis elle lui dit: je vais éteindre la chandelle, tendez-moi la
main pour vous trouver. Elle faisoit de l'interdite, semblant d'ôter sa
chemise, une manche, puis l'autre: foin des puces, bran elles me
mangeront. Le drôle prenoit plaisir à la lueur de la chandelle, de voir
ces mysteres qui avoient bonne grace; mais voici bien du changement.
Ainsi que déja cette chemise passoit par-dessus la tête, qu'il voyoit un
beau tableau, on heurta à la porte assez épouventablement. Lors elle
comme surprise: hélas! monsieur, où vous mettrez-vous? Je suis perdue.
D'autre côté, on frappoit, disant: ouvre-moi, Françoise, ouvre vîtement,
je suis mort; je te prie, ouvre vîte. Elle crioit: mon mari je me leve
en si grand hâte, que je ne sais ce que je fais. Cependant elle aidoit
au curé à monter sur un travers, où les poules nichoient. Cela fait,
comme toute hors de soi, elle vint ouvrir la porte à son mari & lui dit:
& où allez-vous si tard? Il est belle heure de venir. Ha! ma mie,
excuse-moi, je suis mort. Ne te fâche point: tu ne me verras plus
guerre; je me meurs, envoie quérir monsieur le curé que je me confesse.
Il se tenoit le ventre auprès du feu, comme s'il eût eu la colique, &
faisoit semblant par fois de s'évanouir. Il fait appeller des voisins à
l'aide, qui s'assemblent à le reconforter & le mettre sur un lit à
terre. Mais il ne faisoit plus que soupirer & dire: jamais, jamais! Hé,
compere, prenez courage. Jamais. Ce ne sera rien: or sus, mon ami, là,
aidez-vous. Jamais. Il faut voir monsieur le curé. Jamais. Il vous dira
quelque bonne parole. Jamais. Encore ne faut-il pas se laisser ainsi
aller. Jamais. Il semble que vous ne nous connoissiez point. Jamais.
Voilà mon compere cettui-ci, mon cousin cettui-là, qui vous sont venus
voir. Jamais. Quand presque toute la paroisse fut assemblée, & que l'on
lui va dire: or ça compere, debout, allons au lit; vous y serez mieux.
Et bien que vous faut-il? Adonc, jettant les yeux & dressant la main
vers le curé, il va dire: jamais je ne vis un tel Jean avec mes poules.
Adonc monsieur le curé de se trémousser; & lors les destinés à faire
fouetterie lui aiderent à descendre, & le singlerent à droite & à
gauche, sans faire semblant de le connoître. Quelle loi, _canis_! Là,
là, disoient les femmes, fessez, fessez, c'est le foulon. Tels sont les
esprits familiers, incubes, sucubes & fées, qui, en phantômes
domestiques, trompent hommes & femmes. Flanquez-lui ces nerfs de boeufs
autour des échines, tant que la peau lui parte.




APOSTILLES.


XXXV. HORACE. Ces femmes disoient tout outre, comme frere Orimont qui
prêchoit durant les états, se mettant en colere contre les usuriers:
sur-tout il raconta que les diables les tenoient en enfer, où ils les
flagelloient, les sanglant avec de grands vits de boeuf. Après le
sermon, quelqu'un lui remontra; & sur cette remontrance, il nous
enseigna qu'il y avoit deux temps, qu'il falloit tout nommer par son
nom, ou que l'on avoit congé de tout dire; en innocence, & en colere.
Ainsi, nous, ajoûta-t-il, qui sommes en chaire, en vraie innocence,
laquelle nous fait venir la sainte colere, ne péchons point, si nous
disons ce qui seroit interdit à un autre. Ainsi devons-nous parler
naïvement, afin de ne causer aucun doute. Savez-vous pas bien que la
honte est signe de péché? Or nous, qui n'avons pas envie de pécher, si
ce n'est à bon escient, avons occasion, liberté & science de tout dire
explicablement; & puis si nous, plein de protection formelle, déguisons
les matieres, on ne croiroit plus; on dira que nous sommes menteurs.
Voudriez-vous que je die, comme les femmes de Blois, v, i, t, pied; c,
o, n, pantoufle? Que si en choses connues de vulgaire, nous apportions
du déguisement, que ferions-nous ès inconvéniens & contingences de
conséquence.

CALIGULA. Le grand cordelier de Poitiers étoit donc en colere ou en
innocence, quand prêchant les regrets de la mort de l'un de leurs
confreres qui avoit été pendu à Vendôme, disoit aux dames en pleine
chaire: voyez, mes dames, comme vos bons peres spirituels sont
accoûtrés. Et faisant geste d'un homme bien fâché, y ajoutoit une
mystique démonstration, mettant la main gauche à la jointure du bras
droit, qu'il démenoit comme un encensoir, soupirant disoit, faisant
cette question en complainte plusieurs fois: il m'en pend autant, mes
dames; il m'en pend autant.

TOSTAT. Je le connois ce bon frere. Il aide volontiers de sa faveur à
ceux qui vont aux ordres. Et de fait, un jour qu'un jeune clerc se
présentoit, monsieur le grand-vicaire, qui n'est pas plus habile que
l'évêque, (aussi ce seroit honte) vint pour l'interroger; & ouvrant le
livre, trouve: _angelus tenebat thuribulum_. Or ça, dit-il à ce clerc,
qu'est-ce à dire _thuribulum_? Le voilà surpris: il cherche en son
cerveau, si l'esprit lui suggérera quelque réponse. Maître Robert, qui
étoit derrière le grand vicaire, faisoit signe du bras à ce répondant, &
lui faisoit le même mystere que le cordelier. Le clerc considéroit
fermement, & voyoit bien que ce maître lui faisoit signe comme les
enfans de choeur à Paris; mais il ne pouvoit bien deviner. Le docteur le
pressant, enfin il va répondre selon l'apparence du signe: _thuribulum_,
c'est-à-dire, un vit de mulet, monsieur.

CARLOSTADE. Mon compagnon ne répondit gueres mieux que moi, quand nous
allâmes nous faire exorciser avec Malo. On demande à Liset, sur ce
texte, _quidem habebat villicum_: qu'est-ce à dire _villicum_? Il répéta
le texte; puis ayant pensé que c'étoit à dire chose, & qu'il le falloit
dire honnêtement, & que possible le texte parloit d'un adultere, se
ramentevant que c'étoit, selon Bocace, mettre le diable en enfer; plein
de belles résolutions, & pensant aviser les autres d'une science
profonde: dit: _dicam, domine_. Là donc, dites, dites; qu'est-ce à dire?
_Habebat villicum_, c'est-à-dire, il avoit le diable au corps.

BEZE. Si je n'avois peur de blasphémer, je dirois quelque chose de cinq
religieuses qui furent baillées à gouverner à frere Notonville, qui les
engrossa toutes. Comme on l'en tançoit, il dit: _quinque_, &c. tu m'as
baillé cinq talens; j'en ai gagné cinq autres. Or sus, n'en parlons
plus; nous serions ici meshui. Sur quoi étions-nous?

ASCLÉPIADES. Nous étions sur celles qui le font à petit semblant.


_Fin du Tome second._






End of the Project Gutenberg EBook of Le moyen de parvenir, tome 2/3, by 
François Béroalde de Verville

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assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
www.gutenberg.org



Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
volunteers and employees are scattered throughout numerous
locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
date contact information can be found at the Foundation's web site and
official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:

    Dr. Gregory B. Newby
    Chief Executive and Director
    [email protected]

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.