La pénétration saharienne (1830-1906)

By Augustin Bernard and Napoléon Lacroix

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Title: La pénétration saharienne (1830-1906)

Author: Augustin Bernard
        Napoléon Lacroix

Release date: August 9, 2024 [eBook #74216]

Language: French

Original publication: Algiers: Imprimerie algérienne, 1906

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by Bibliothèque numérique Paris 8 (Octaviana))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA PÉNÉTRATION SAHARIENNE (1830-1906) ***

                                  LA
                        PÉNÉTRATION SAHARIENNE


                         RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
                   GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L’ALGÉRIE
                               * * * * *

                                 =LA=
                       =PÉNÉTRATION SAHARIENNE=
                             =(1830-1906)=

                                  PAR

       =AUGUSTIN BERNARD=                     =N. LACROIX=

           Professeur               Chef de Bataillon d’Infanterie h. c.
       à l’École Supérieure                    Chef du Service
       des Lettres d’Alger                 des Affaires Indigènes
  Chargé de Cours à la Sorbonne     au Gouvernement Général de l’Algérie

[Décoration]

                                =ALGER=
                         IMPRIMERIE ALGÉRIENNE
                                =1906=




                          TABLE DES MATIÈRES
                               * * * * *


                                                                   Pages

  INTRODUCTION                                                         V

                           CHAPITRE PREMIER

                 LES PREMIÈRES TENTATIVES (1830-1852)

  L’occupation étendue et l’occupation restreinte. — Les
  renseignements anciens et nouveaux. — Cartes de Rennell et de
  Lapie. —  D’Avezac. — La Commission scientifique de
  l’Algérie. — Carette (1844). — Daumas (1845). — Carte du
  Sahara algérien. — El-Aïachi et Moula Ahmed. — Expéditions
  dans l’Atlas Saharien (1844-47). — _Les Établissements
  Français._ — L’expédition Cavaignac et le docteur Jacquot. —
  Nouvel ouvrage de Daumas. —  Projets commerciaux : Subtil,
  Jacquot. — Tentatives d’exploration : Prax, Berbrugger. —
  Conclusion                                                           1

                              CHAPITRE II

               LA PÉRIODE DU MARÉCHAL RANDON (1852-1864)

  Gouvernement du maréchal Randon. — Voyages de Barth. —
  Traduction d’Ibn Khaldoun. — Grammaire tamacheq de Hanoteau.
  — Occupation de Laghouat (1852) et capitulation du Mzab. —
  Renou (1853). — Rôle des Ouled-Sidi-Cheikh. — Si Hamza,
  Cheikh-Othman et Ikhenoukhen. — Projets commerciaux. —
  Double objectif des explorations : le Touat et Ghadamès             16

  _I. Explorations dans l’Ouest._ — Dastugue (1853). —
  El-Ouazzani (1854). — Mac-Carthy (1854). — De Colomb
  (1854-59). — Correspondance de 1858 concernant Si Hamza. —
  Colonieu et Burin (1860). — Projets sur le Touat et le Niger.
  — Rohlfs (1864)                                                     24

  _II. Explorations dans l’Est._ — Occupation de Touggourt
  (1854). —  Forages de Jus dans l’Oued-Rir (1856). — Ville
  (1855-63). —  Pomel (1862). — Bonnemain à Ghadamès (1856-57).
  — Bou-Derba (1858). — Duveyrier (1859-61). — Mission et
  traité de Ghadamès (1862)                                           39

  Conclusion. — Cartographie. — Faidherbe au Sénégal                  53

                             CHAPITRE III

                 LA PÉRIODE DE STAGNATION (1864-1879)

  L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh. — La guerre
  franco-allemande de 1870. — Colonnes du Sud-Ouest : de
  Colomb, Colonieu ; expédition du général de Wimpffen dans
  l’Oued-Guir. — Colonnes du centre : de Lacroix, de Galiffet.
  — Les explorations : Dournaux-Dupéré et Joubert (1873-74). —
  Soleillet (1874). — Largeau (1875-77). — Louis Say (1876-77).
  — Les missionnaires du cardinal Lavigerie : les Pères
  Paulmier, Ménoret et Bouchard (1875-76) ; les Pères Richard
  et Kermabon (1879). — Colonisation de l’Oued-Rir. — La mer
  intérieure : mission Roudaire (1876). — _Le Sahara_ de Pomel.
  —  Masqueray au Mzab. — Conclusion                                  57

                              CHAPITRE IV

                LA PÉRIODE DU TRANSSAHARIEN (1879-1881)

  La question du Transsaharien. — L’ingénieur Duponchel. — La
  mission Pouyanne (1879) ; renseignements recueillis par MM.
  Sabatier et Coyne ; hypothèse de M. Sabatier sur
  l’Oued-Saoura. — La mission Choisy (1879-80). — Les deux
  missions Flatters (1880-81). Résultats scientifiques.
  Véritables causes du massacre de la mission. — Occupation de
  la Tunisie (1881)                                                   73

                              CHAPITRE V

                  LA PÉRIODE D’EFFACEMENT (1881-1890)

  I. Conséquences du massacre de la mission Flatters. —
  Création du poste d’Aïn-Sefra et insurrection de Bou-Amama
  (1881). —  Projets de Saussier sur Figuig (1882). —
  Occupation du Mzab (1882), de Ouargla, de Touggourt,
  d’El-Oued, de Djenien-bou-Rezg (1885). — Inauguration des
  voies ferrées d’Aïn-Sefra (1887) et de Biskra (1888). —
  Sondages artésiens dans l’Oued-Rir et à Ouargla. — Idées du
  commandant Rinn                                                     93

  II. Explorations. — Les Pères Richard, Morat et Pouplard
  (1881). — Première mission Foureau (1883). — Teisserenc de
  Bort (1885). —  Palat (1886). — Douls (1889)                        97

  III. Cartographie. — Renseignements recueillis par MM. de
  Castries (1882) et Le Châtelier (1885-86). — Missions de M.
  René Basset. — Ouvrages de MM. de Motylinski, Masqueray, Amat
  sur le Mzab. — Les Touareg Taïtoq prisonniers : travaux de
  MM. Masqueray et Bissuel                                           103

  Mission Crampel. — Fondation du Comité de l’Afrique
  française                                                          108

                              CHAPITRE VI

            LA PÉRIODE DU PARTAGE DE L’AFRIQUE (1890-1900)

  I. — La convention de 1890 avec l’Angleterre. — Occupation
  d’El-Goléa (1891). — Voyage de M. Cambon à El-Goléa (1892). —
  Projets d’expédition au Touat. — Les bordjs (1892-93). —
  Prise d’In-Salah (1899). — Progrès dans l’Afrique occidentale
  et centrale. — Prise de Tombouctou. — Politique saharienne du
  Soudan. — La « course au lac Tchad ». — La convention de
  1899                                                               111

  II. — Explorations : Jacob (1892). — Godron (1895). — Flamand
  (1896-1900). — Germain et Laperrine (1898). — Cornetz
  (1891-94). — Foureau (1890-1900). — La mission Foureau-Lamy
  (1898-1900).                                                       119

  III. — Tentatives de pénétration commerciale. — G. Méry
  (1892-93). — D’Attanoux (1893-94). — Morès (1896). — Question
  des marchés francs (1893). — Question du Transsaharien             139

  IV. — Renseignements recueillis par MM. Deporter (1890) et
  Sabatier (1891). — Ouvrages de MM. Schirmer, Vuillot, de la
  Martinière et N. Lacroix. — Cartographie saharienne                148

                             CHAPITRE VII

                        LA SOLUTION (1900-1906)

  I. _L’occupation des oasis du Sud-Ouest et ses conséquences._
  —  La question de la Zousfana. — Protocoles de 1901 et 1902.
  —  Attentats de 1902. — Bombardement de Zenaga. — Affaire de
  Taghit. — Le général Lyautey (septembre 1902). — Occupation
  de Béchar (novembre 1903). — Organisation de la région entre
  Zousfana et Oued-Guir. — Le chemin de fer. — Le commerce. —
  Reconnaissances et explorations. — Cartographie.                   153

  II. _La question Touareg._ — Les raids Cottenest,
  Guillo-Lohan, Laperrine, Pein, Besset, Touchard. — Action du
  Soudan. — Jonction de l’Algérie avec le Soudan (18 avril
  1904). — Missions Etiennot, Gautier, Chudeau. — Occupation de
  Taoudeni. —  Résultats scientifiques                               170

  III. _L’organisation du Sahara._ — La limite sud de
  l’Algérie. —  La limite Nord du Soudan. — Les communications
  transsahariennes : le télégraphe, le chemin de fer                 181

  Conclusion                                                         193

  Carte hors texte : Sahara septentrional en 1830, 1852, 1866,
  1881, 1900, 1906.




                             INTRODUCTION


Le Sahara peut être défini la zone à pluies irrégulières et rares
(moins de 20 centimètres par an), comprise entre la zone des pluies
subtropicales d’hiver, c’est-à-dire les pays méditerranéens,
et la zone des pluies tropicales d’été, c’est-à-dire le
Soudan. Ses limites n’ont rien de précis, et, surtout en l’état
actuel des connaissances, ne peuvent être fixées avec certitude.

De cette immense zone désertique, la partie qui nous intéresse
le plus directement est la région qui s’étend au sud de nos
possessions d’Algérie et de Tunisie et se prolonge d’une part
jusqu’au bassin du Niger, de l’autre jusqu’au lac Tchad. La
moitié septentrionale, comprise entre l’Atlas et l’Ahaggar,
se rattache à nos établissements de l’Afrique du Nord.

La géographie physique du Sahara septentrional, entre l’Atlas
et l’Ahaggar, est des plus simples. A l’Ahaggar ou massif
central Targui, composé de terrains cristallins anciens surmontés
de roches éruptives et dont les sommets atteignent 2.000 mètres
d’altitude, s’adossent une série de plateaux gréseux dévoniens,
notamment le Mouydir et le Tassili des Azdjer. Une grande auréole de
plateaux crétacés, comprenant le Mzab, le Tademayt, le Tinghert,
la Hamada-el-Homra, sépare les deux bassins d’atterrissements du
Melrir à l’Est et du Gourara à l’Ouest, recouverts d’alluvions
tertiaires et quaternaires. Le bassin du Melrir ou de l’Igharghar,
constituant le Bas-Sahara (700-300 mètres), a sa pente générale du
Sud au Nord, celui du Gourara s’incline du Nord au Sud. Deux grands
massifs de dunes, l’Erg occidental et l’Erg oriental, occupent une
surface importante dans chacun de ces deux bassins hydrographiques.

La cause de l’aridité du Sahara ne doit pas être cherchée dans
la nature du sol : il ne diffère pas géologiquement des autres
contrées du globe ; il n’est pas, comme on le croyait, entièrement
formé de sables (1/9 à peine de sa surface), et d’ailleurs
les sables sont loin d’être aussi stériles que les plateaux
caillouteux ou hamadas. La cause de cette aridité n’est pas non
plus le relief : le Sahara n’est pas une immense plaine comme on se
l’imaginait : il a ses montagnes, ses plateaux et ses dépressions ;
ce qui domine dans l’ensemble, ce sont les plateaux aux couches
sensiblement horizontales, traversés par des vallées sèches ou
_oued_, limités par de grandes lignes de falaises découpées,
au profil souvent assez accentué pour recevoir le nom de _djebel_
ou montagne. « Ce n’est pas le sol infécond qui se refuse à
produire, c’est le climat qui le condamne à la stérilité[1]. »

Le Sahara septentrional, pour une superficie plus vaste que celle
de la France, ne compte pas plus de 300.000 habitants. C’est que
la vie sédentaire n’est possible que près des points d’eau
permanents, autour desquels on trouve des cultures irriguées,
et qui constituent les oasis. Les deux groupes d’oasis situées
au Sud de nos possessions méditerranéennes occupent le fond des
deux grands bassins d’atterrissements : c’est, d’une part,
la série des oasis d’Ouargla, de l’Oued-Rir (Touggourt), des
Ziban (Biskra) et du Djerid tunisien, dans le bassin du Melrir ;
d’autre part, le chapelet des oasis du Gourara, du Touat et du
Tidikelt, dans le bassin de l’Oued-Saoura. Ces dernières oasis,
quoique à une latitude plus méridionale que celles de l’Oued-Rir,
en forment le pendant au point de vue géographique et sont, comme ces
dernières, dans la dépendance naturelle de l’Algérie. Quant aux
oasis du Mzab, situées sur le plateau crétacé, elles occupent une
situation anormale et en quelque sorte contre nature, qui s’explique
par des raisons historiques.

En dehors de ces quelques oasis habitées par des populations
sédentaires, le Sahara est vide. Les explorateurs, à la suite de
leurs reconnaissances, ajoutent indéfiniment des noms sur la carte
de ces solitudes, mais ces noms ne s’appliquent qu’à des puits,
à des dunes et à certains accidents de la topographie saharienne
(Ghourd, Gassi, Feidj, Draa, etc.) Les points qu’ils désignent
n’ont aucune importance économique ou politique.

Dans le désert proprement dit vivent des groupes de Berbères
nomades, les Touareg. On a coutume de diviser en deux grandes
confédérations, celle des Hoggar et celle des Azdjer, les Touareg
que l’on rencontre en abordant le Sahara par nos possessions de
l’Afrique du Nord. En réalité, le lien qui unit les diverses
tribus est très lâche ; les chefs ou amenokal n’ont aucune
autorité effective, et personne ne peut se flatter de parler au
nom de la confédération tout entière. La cohésion est très
faible et l’anarchie complète. La vie pastorale ne procurant au
désert que des ressources tout à fait insuffisantes, le pillage
est admis comme moyen d’existence par toutes les tribus errantes
du désert, qui, mourant littéralement de faim, vivent dans un
état de désordre et de guerre perpétuel. Les nomades sont les
véritables maîtres des oasis, qu’ils exploitent et où ils se
ravitaillent ; le centre de ravitaillement des Hoggar est In-Salah,
celui des Azdjer est Ghadamès.

La valeur économique du Sahara est nécessairement des plus
faibles ; il s’y fait deux sortes de commerces : le commerce
de ravitaillement et le commerce de transit. Au point de vue du
commerce saharien proprement dit, les deux seuls objets susceptibles
d’échange sont la datte et le sel. Au point de vue du commerce
transsaharien, le désert doit être regardé comme un obstacle aux
communications et aux relations commerciales. Cet obstacle n’est
pas infranchissable. Des relations ont toujours existé à travers
le désert entre le Soudan et l’Afrique méditerranéenne. Mais on
s’est bien mépris sur leur importance ; la valeur du commerce total
du Soudan à la mer par le Sahara est évalué à environ 9 millions,
le mouvement d’un port de vingtième ordre. L’importance de
ce commerce va sans cesse en diminuant, non seulement dans les
possessions françaises de l’Afrique du Nord, mais aussi en
Tripolitaine et au Maroc. Les entraves au commerce des esclaves et
l’ouverture des voies de la côte occidentale d’Afrique sont
les principales causes de cette décadence, à laquelle on espère
remédier par la construction de voies ferrées transsahariennes.

Le Sahara septentrional, entre l’Atlas et l’Ahaggar, a été
le théâtre de tentatives d’exploration et de pénétration
parties de nos colonies de l’Afrique du Nord. Ces tentatives
se présentent sous trois formes principales. On peut rechercher
uniquement le progrès des connaissances géographiques, dresser la
carte de territoires inconnus, recueillir sur le sol, le climat,
les populations des renseignements de tous ordres, sans viser le
moins du monde à s’établir dans la contrée. On peut avoir pour
objet l’occupation directe ou indirecte des régions sahariennes,
prendre possession de tel ou tel groupe d’oasis et y établir
l’autorité française, que cette autorité soit d’ailleurs
exercée par des Européens ou par des indigènes. On peut enfin
se livrer à des entreprises culturales, chercher à reconnaître
et à exploiter des richesses minérales, s’efforcer de nouer des
relations commerciales et de créer un mouvement d’échanges. Ces
trois modes de pénétration peuvent être appelés _la pénétration
scientifique, la pénétration politique et la pénétration
économique_. Nous nous proposons de les passer en revue et d’en
faire l’historique sommaire, depuis 1830 jusqu’à nos jours.

La première édition de la présente brochure avait été publiée
à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900. Nous
l’avons remaniée et augmentée. Ainsi qu’on en pourra juger,
la pénétration saharienne a fait, dans ces dernières années,
des progrès considérables et la plupart des questions sahariennes
sont résolues ou sur le point de l’être.

                               * * * * *


[Note 1 : SCHIRMER, _Le Sahara_, Paris, 1893, p. 23.]




                                  LA
                        PÉNÉTRATION SAHARIENNE
                               * * * * *

                           CHAPITRE PREMIER

                 LES PREMIÈRES TENTATIVES (1830-1852)

L’occupation étendue et l’occupation restreinte. — Les
renseignements anciens et nouveaux. — Cartes de Rennell et
de Lapie. — D’Avezac. — La Commission scientifique de
l’Algérie. — Carette (1844). — Daumas (1845). — Carte du
Sahara algérien. — El-Aïachi et Moula Ahmed. — Expéditions dans
l’Atlas Saharien (1844-47). — Les _Etablissements français_. —
L’expédition Cavaignac et le docteur Jacquot. — Nouvel ouvrage
de Daumas. — Projets commerciaux : Subtil, Jacquot. — Tentatives
d’exploration : Prax, Berbrugger. — Conclusion.


Lorsque la France, en 1830, fut amenée par la prise d’Alger
à s’établir sur la côte barbaresque, il ne pouvait être
encore question d’entrer en contact avec le Sahara. Il fallut
d’abord conquérir le Tell, et d’ailleurs, pour le Tell même,
les discussions durèrent plusieurs années entre les partisans de
l’occupation étendue et les partisans de l’occupation restreinte,
voire de l’évacuation.

Les événements, plus forts que les théories, se chargèrent de
résoudre la question. On fut amené par la force des choses à
conquérir l’Algérie toute entière ; on s’aperçut[2] qu’il
fallait être maître partout, sous peine de n’être en sécurité
nulle part.

Cependant, dès le début de la conquête, on s’était préoccupé
de rechercher et de réunir des renseignements sur les régions
sahariennes, en attendant qu’on pût en faire l’exploration
directe. Il y a lieu, disait le capitaine Carette[3], de distinguer
la géographie mathématique, c’est-à-dire les éléments obtenus
par les opérations exactes, ayant le caractère de la certitude,
et la géographie critique, c’est-à-dire les indications fournies
par des voyageurs auxquels l’usage des instruments de précision
était interdit, ou par des géographes dont le témoignage n’est
pas irrécusable. C’est de 1830 que date l’ère de la géographie
positive en Algérie : le Sahara, au contraire, restait et devait
rester longtemps encore le domaine de la géographie critique.

Parmi les renseignements dont on disposait, les uns remontaient
à une époque antérieure à 1830. Les auteurs principaux
auxquels on les empruntait étaient, outre les géographes grecs
et romains, El-Bekri (XIe siècle)[4], Edrisi (XIIe siècle)[5],
Léon l’Africain (XVIe siècle)[6], Thomas Shaw (XVIIe siècle)[7],
enfin les naturalistes français Peyssonnel, Desfontaines[8] et Poiret
(XVIIIe siècle)[9]. Le major Laing (1825-1826), puis René Caillié
(1827-1828) avaient visité Tombouctou, mais leurs traversées du
Sahara avaient fourni peu de résultats scientifiques. La carte
d’Afrique publiée par Rennel en 1790 (revue en 1803), dont nous
reproduisons la partie relative au Sahara, peut être considérée
comme représentant assez exactement l’état des connaissances
avant la conquête française. La carte publiée par le colonel Lapie
(1828)[10], appuyée surtout sur Shaw, ne marque pas un progrès bien
sensible sur la carte de Rennel, bien que Carette ait dit « qu’il
était impossible de faire un usage plus judicieux de matériaux
incohérents[11] ».

Mais des faits nouveaux s’introduisirent bientôt dans le domaine
de la discussion et agrandirent le cercle des connaissances. On avait
rencontré à Alger même des Mozabites et des Biskris organisés
en corporations de métiers, et on avait obtenu d’eux quelques
renseignements sur leur pays d’origine[12]. En 1835, d’Avezac
publiait ses _Etudes de géographie critique_[13]. Il avait pris
pour point de départ un itinéraire fourni à William B. Hodgson,
consul général des Etats-Unis à Alger, par un habitant de
Laghouat. Hodgson avait traduit en anglais la relation d’El-Hadj
ebn ed Din el Laghouati, et d’Avezac en avait fait une version
française. Les itinéraires de cet indigène vont de Laghouat
à In-Salah et d’El-Goléa à Ghadamès. Désirant tracer ces
itinéraires sur une petite carte, d’Avezac sentit la nécessité
de faire table rase de tous les travaux antérieurs et de construire
à neuf la carte de la région ; il fut ainsi amené à discuter de
nombreux itinéraires, et à utiliser divers renseignements qui lui
furent communiqués par l’état-major français. Cette discussion
savante et approfondie est le commentaire de la carte, datée de
février 1836.

En 1837 fut constituée une Commission pour l’exploration
scientifique de l’Algérie[14] qui, organisée en 1839, commença
à fonctionner vers 1840, et publia les excellents travaux
géographiques du capitaine du génie Carette. Les deux ouvrages
qu’il fit paraître en 1844 sont la mise en œuvre d’informations
indigènes[15].

Où commençait le Sahara ? Telle était la première question qu’on se
posait alors. « A une époque où l’on connaissait à peine le Tell
algérien, pour qui était à Oran et à Alger, les villes de Mascara,
de Tlemcen et de Médéa étaient des oasis en plein désert ; pour qui
était dans ces villes de l’intérieur, Saïda, Tiaret, Teniet-el-Had,
tous les postes qu’on venait de créer sur les limites du Tell, étaient
au bout du monde. Ceux de nos officiers qui faisaient la guerre, qui
observaient, savaient seuls à quoi s’en tenir. Mais pour tout le
monde le désert commençait au-delà de ces postes, et il fut un temps,
dans la province d’Oran, par exemple, où une colonne qui s’était
hasardée jusqu’au Chott croyait être arrivée aux limites du possible,
et avoir atteint une ligne au-delà de laquelle l’air n’était plus
respirable que pour les nègres et les antilopes[16] ».

On comprend d’ordinaire dans le Sahara algérien la région des
steppes ou hautes plaines, souvent appelées aussi le Petit-Désert,
qui s’étend au sud de la dernière ride de l’Atlas Tellien,
au-delà de Daïa, Tiaret et Boghar. Cependant d’autres auteurs[17]
reconnaissaient que le Sahara ne commence qu’au sud des montagnes
de la _Kibla_, c’est-à-dire au sud de l’Atlas Saharien. Carette
s’efforçait à son tour[18] de marquer les limites entre le Tell,
région des laboureurs et des céréales, et le Sahara, région des
pasteurs et des palmiers. Il était amené à distinguer entre la
zone des landes (les steppes), et la zone des oasis, qui s’étend
jusque vers Ouargla, « limite naturelle de l’Algérie ». Au-delà
s’étend le désert proprement dit, « parcouru plutôt qu’habité
par les Touareg ». Cette distinction se retrouve dans la plupart
des ouvrages de cette époque. Carette étudiait successivement les
lieux d’échange du commerce saharien, les moyens d’échange
et voies de commerce, les objets d’échange. Il examinait en
détail les divers itinéraires et les reportait sur sa carte. Il
fournissait également, dans sa _Carte des tribus_[19], bon nombre de
renseignements sur les populations de l’Algérie méridionale. La
_Description de l’empire du Maroc_, de Renou, parue aussi dans
l’_Exploration scientifique de l’Algérie_[20], contenait des
documents sur le Sahara oranais.

En 1845, le lieutenant-colonel Daumas, autorisé et encouragé
par Bugeaud, publiait le _Sahara Algérien_, résultat des études
poursuivies pendant plus de dix ans par la direction centrale des
affaires arabes et des témoignages recueillis de la bouche de plus de
200 indigènes[21]. Le colonel Daumas les interrogeait, le capitaine
Gaboriaud dessinait et coordonnait le tracé, Ausone de Chancel,
secrétaire archiviste de la direction des affaires arabes, prenait
des notes et rédigeait. Une carte du Sahara algérien, publiée
sous les auspices du maréchal Bugeaud et gravée sous la direction
du dépôt de la guerre, servait de complément à l’œuvre de
Daumas. On avait pris pour limite même de nos possessions, « les
forts de séparation qui couronnent le Tell et dominent le Sahara »,
c’est-à-dire la ligne de postes Tiaret-Boghar-Tébessa. Au Sud,
on avait choisi comme limite une ligne brisée passant par Nefta,
le Souf, Ouargla et In-Salah. On divisait la région considérée
en deux parties, orientale et occidentale, séparées par la grande
ligne d’Alger à Ouargla. On étudiait d’abord cette ligne,
puis l’Est et enfin l’Ouest, en procédant par itinéraires et
en s’avançant de renseignements en renseignements. « Dans son
ensemble, disait le colonel Daumas[22], le Sahara présente, sur un
fond de sable, ici des montagnes, là des ravins ; ici des marais,
là des mamelons ; ici des villes et des bourgades, là des tribus
nomades dont les tentes en poil de chameau sont groupées comme
des points noirs dans l’espace fauve. » On est donc revenu de
l’idée qui considérait le Sahara comme entièrement inhabitable
et inhabité. Peut-être même tend-on à tomber dans l’excès
contraire ; on remarque que les centres de population sont, dans la
première zone du Sahara, beaucoup plus nombreux que dans le Tell[23].

La méthode d’utilisation des informations indigènes fut
dès le début portée par Carette, et surtout par Daumas, à
une perfection qu’on n’a pas dépassée depuis et qu’on
a rarement égalée. Carette avait insisté sur l’usage que
l’on pourrait faire des voyageurs algériens dans l’intérêt
des sciences économiques et géographiques. « Il est possible,
dit-il[24], sans quitter les villes abordables du continent
africain, d’obtenir sur l’intérieur des renseignements de
toute nature. Ces renseignements, recueillis avec persévérance,
rapprochés et contrôlés avec discernement, conduiraient à la
connaissance des faits généraux. » Il concluait en demandant la
fondation d’une école pratique d’explorateurs indigènes.

Dans les bibliothèques mêmes, il était possible de trouver
des documents indigènes intéressants pour la connaissance du
Sahara. Berbrugger, membre titulaire de la Commission scientifique de
l’Algérie, conservateur de la bibliothèque et du musée d’Alger,
traduisit (1846), d’après deux manuscrits de la bibliothèque
d’Alger, le voyage de deux pèlerins musulmans, El Aïachi (XVIIe
siècle) et Moula-Ahmed (XVIIIe siècle), qui se rendirent du Maroc
en Tripolitaine par les oasis du Sahara septentrional[25].

Cependant les progrès de notre domination et le souci même de la
sécurité du Tell avaient amené les troupes françaises jusque dans
les oasis sahariennes. En février-juin 1844, le duc d’Aumale,
commandant la province de Constantine, s’avançait jusqu’à
Biskra et occupait les Ziban. Le cheikh de Touggourt, Ben Djellab,
reconnaissait notre autorité. La même année, dans la province de
Titteri, la colonne du général Marey-Monge, opérant contre les
Oulad-Naïl, s’était avancée jusqu’à Laghouat[26]. En 1845,
dans l’Oranie, le colonel Géry, du 56e de ligne, passant par
Stitten et Rassoul, s’emparait de Brézina[27] ; le commandant
de Martimprey, alors chef du service topographique de la division
d’Oran, avait accompagné la colonne. En 1847, les généraux
Renault et Cavaignac allaient visiter les ksour du Sud-Oranais ; la
colonne Cavaignac s’avançait jusqu’au Djebel Haïmeur, au sud
de Moghrar, et poussait une pointe sur l’Oued-Namous, jusqu’à
l’endroit où cet oued sort des montagnes pour déboucher dans
le Sahara[28]. En 1849, le général Pélissier se montrait à son
tour dans les mêmes régions. En 1850, après la prise de Zaatcha,
on occupait Bou-Saâda. Ainsi, dans l’Est comme dans l’Ouest,
à El-Kantara comme au défilé d’Arouïa, où dépassait l’Atlas
Saharien, on franchissait le _bab-es-Sahra_[29].

Une notice rédigée d’après les renseignements contenus
dans le journal de l’expédition du colonel Géry[30] et dont
les matériaux ont été fournis par Martimprey et Maire, donne
des renseignements sur les ksour du Petit-Désert de la province
d’Oran. Cette notice se termine par un aperçu sur le Gourara,
d’après des renseignements recueillis par le commandant Charras,
chef de poste de Daïa ; il sera facile, dit l’auteur, de nouer
dans un avenir rapproché des relations avec ces oasis.

L’expédition du général Cavaignac eut pour historiographe
le docteur Félix Jacquot, dont l’ouvrage[31] est accompagné
d’une carte de la contrée parcourue par la colonne et d’un
certain nombre d’intéressants dessins d’après nature. Ce
qui fait aujourd’hui le principal intérêt de la relation du
docteur Jacquot, c’est qu’il fut le premier à signaler[32] les
sculptures rupestres de Tiout et de Moghrar Tahtani, représentant
entre autres choses des scènes de chasse et divers animaux, parmi
lesquels l’éléphant. Mais le docteur Jacquot ne pense pas que
ces dessins soient vraiment préhistoriques, et croit qu’ils sont
l’œuvre d’individus originaires du Soudan.

Nos colonnes avaient vérifié l’exactitude des renseignements
consignés par Daumas dans son ouvrage sur le Sahara algérien
à une époque où on ne l’avait pas encore parcouru. Daumas
forma alors le projet d’utiliser des renseignements puisés
aux mêmes sources sur les contrées situées encore plus au Sud,
sur le commerce de l’intérieur de l’Afrique et sur les usages
des peuples qui habitent ou traversent le Sahara. De là le livre,
fort inférieur à son _Sahara Algérien_, qu’il publia en 1848
en collaboration avec Ausone de Chancel[33]. C’est le récit de
voyage d’un Chaânbi de Metlili, El Hadj Mohammed, qui était
allé trois fois dans le Haoussa pour y acheter des esclaves dont il
faisait le commerce. L’itinéraire passe par El-Goléa, Timmimoun,
In-Salah, le Mouydir, l’Ahaggar, Assiou et l’Aïr, Agadès, le
Damerghou. Il est accompagné d’une carte du Sahara au 1/10.000.000
par Mac-Carthy.

Dès le début de la conquête, on s’était préoccupé de
recueillir des détails sur la marche annuelle des caravanes et
le commerce de la régence avec l’Afrique intérieure. On avait
cherché à se renseigner sur l’importance que ce commerce avait
eue jadis, sur les nouvelles directions que la guerre l’avait
forcé de prendre, sur les moyens de le rappeler dans les lieux
qu’il avait si longtemps fréquentés, et peut-être de lui donner
d’utiles développements[34] ». On étudiait aussi les rapports
de Constantine avec Biskra et Touggourt[35].

C’est en 1840 que Youssef, pacha de Tripoli, fit reconnaître
son autorité à Ghadamès, et c’est de cette époque que
date l’abandon à peu près complet du débouché commercial de
Ghadamès sur la Tunisie par Gabès et sur l’Algérie par le Souf
et Ouargla[36]. En 1842, la Régence devenait une simple province
de l’empire Ottoman, et Ghadamès reçut un représentant de
l’autorité turque.

Un certain E. Subtil pensait avoir trouvé les moyens de faire
arriver en Algérie les caravanes de l’Afrique centrale[37] ; il
suffisait pour cela, selon lui, d’établir deux agents consulaires
français à Ghadamès et Touggourt et de s’entendre avec Mohammed,
fils d’Abd el Gelil, prince des Tibbous. L’auteur avait vu ce
Mohammed à Linouf, en Tripolitaine, et avait passé avec lui, en
1841, un traité de commerce par lequel il s’engageait à faire
aboutir à Constantine toutes les caravanes de l’intérieur :
l’original de ce traité avait été remis, paraît-il, aux mains
du maréchal Soult.

C’était dans un but commercial autant que pour des motifs
politiques, et dans l’espoir d’ouvrir des débouchés à notre
industrie, que, depuis 1844, on était intervenu à diverses reprises
dans le Sahara, notamment dans le Sahara oranais[38]. On insistait[39]
sur le rôle commercial des populations du Sud-Oranais, qui, dans
leurs migrations annuelles, sont les intermédiaires naturels entre
les habitants du Tell et les peuplades des contrées méridionales :
« Aux uns elles apportent du Sud des dattes, de la laine, des plumes
d’autruche, des plantes tinctoriales, des esclaves noirs et même
de la poudre d’or ; aux autres elles livrent en échange, sur les
marchés des oasis, des céréales et des produits de l’industrie
européenne. »

Dans un rapport du 13 Juillet 1844, le duc d’Aumale, commandant
supérieur de la province de Constantine, marquait les résultats
commerciaux qu’on était en droit d’attendre de la prise
de possession des Ziban, et indiquait que des commerçants se
proposaient, vers la fin de novembre, d’aller juger par eux-mêmes
de l’importance du marché de Touggourt. Le docteur Félix
Jacquot[40] se livrait à une comparaison entre les deux grands
courants de caravanes passant l’un par Touggourt à l’Est,
l’autre par In-Salah à l’Ouest. Il donnait la préférence
à cette dernière ligne, parce que, dit-il, elle est plus facile
et plus courte, et parce que Tombouctou est le principal centre du
commerce du Soudan et beaucoup plus important que le pays Haoussa.

C’est aussi de l’intérêt économique et commercial que
s’inspiraient la plupart des explorations ou reconnaissances
individuelles entreprises pendant cette période, explorations
d’ailleurs peu importantes et médiocrement fructueuses. En 1836,
Loir-Montgazon[41] avait passé un mois à Touggourt. En 1848, un
autre voyageur, Garcin, négociant à Constantine, s’y rendait
également de Biskra. En 1848, Prax[42], ancien officier de marine,
accomplissait dans le Sud algérien le premier voyage qui ait eu un
caractère un peu plus scientifique. Parti de Tunis, il se rendit
au Souf et rentra en Algérie par Touggourt et Biskra. L’année
suivante, il publia une brochure[43] sur le commerce transsaharien ;
il énumérait les produits que l’on pouvait tirer du centre
de l’Afrique et les denrées qu’on pouvait porter dans le
Soudan. Il concluait à la nécessité d’avoir un consul au Touat,
lieu d’étape commode entre les dernières pentes de l’Atlas et
les rives du Sénégal.

En 1850, J.-B. Renaud, ancien soldat au 48e de ligne, qui avait
embrassé l’islamisme et pris le nom d’Abdallah, résolut, à
la suite d’un pèlerinage à la Mecque et d’un voyage de trois
mois au Darfour, de se rendre d’Algérie à Tombouctou par le
Touat. Ce projet n’aboutit pas ; le cheikh de Ngoussa, instruit
du dessein de Renaud, l’obligea à retourner sur ses pas à cause
de l’insécurité des régions qu’il voulait traverser.

La même année, Berbrugger entreprenait, avec un succès bien
différent, un voyage dans l’Est. Il avait formé le projet[44]
d’explorer la « deuxième ligne » des oasis algériennes, par
Gabès, le Souf, Touggourt, Ouargla, El-Goléa, le Touat avec retour
par le Mzab ; il devait s’attacher surtout à l’étude des faits
qui importent à la politique et au commerce. Son voyage ne le mena
pas si loin ; il se rendit[45] en Tunisie par Souk-Ahras, visita
le Djerid, le Souf, l’Oued-Rir, Ouargla et le Mzab ; il rapporta
nombre de renseignements géographiques et archéologiques sur les
régions traversées[46].

En 1851, Ducouret (Hadj Abd el Hamid Bey) partait de Tunis avec une
mission du Ministre de l’instruction publique dans le Sahara. Il
sollicita l’appui de l’autorité militaire pour gagner Ouargla
et le Mzab, mais il parut dangereux de l’autoriser à parcourir ce
pays, où Berbrugger avait rencontré d’assez grandes difficultés
l’année précédente.

Résumons, au triple point de vue auquel nous nous sommes placés,
les résultats obtenus pendant cette période.

La connaissance scientifique du Sahara a considérablement avancé
par les informations indirectes, surtout celles de Carette et de
Daumas. L’exploration directe, si on en excepte le voyage de
Berbrugger, n’a encore donné aucun résultat. L’occupation a
rapidement progressé, puisque, malgré les hésitations du début,
elle nous a amenés d’Alger à Laghouat. Enfin, au point de vue
de la pénétration commerciale, on a formé des projets nombreux
et souvent grandioses, mais on n’a en fait rien obtenu. La carte
du Sahara algérien[47] de 1852 montre l’état des connaissances
à cette date : c’est une nouvelle édition de la carte de 1845,
dont les indications avaient guidé nos colonnes ; on a réparé les
omissions et comblé les lacunes que l’expérience avait signalées.

Une nouvelle période s’ouvre avec la prise de Laghouat (4
décembre 1852), bientôt suivie de la capitulation du Mzab. Grâce
aux circonstances favorables, grâce aussi à l’impulsion donnée
par le maréchal Randon, cette période, comme on va le voir, est
une des plus brillantes et des plus fructueuses de l’histoire de
la pénétration saharienne.

                               * * * * *


[Note 2 : DAUMAS, _Le Sahara Algérien_, in-8o, Paris, 1845, p. 5.]

[Note 3 : CARETTE, _Etude sur les routes suivies par les Arabes dans
la partie méridionale de l’Algérie et de la Régence de Tunis_,
in-8o, Paris, 1844, p. 3 et suiv.]

[Note 4 : Traduction française de la _Description de l’Afrique_,
publiée par QUATREMÈRE dans le tome XII des _Notices et Extraits
des Manuscrits_.]

[Note 5 : Traduit par A. JAUBERT en 1836.]

[Note 6 : LEO AFRICANUS, _De l’Afrique_, traduction de Jean
Temporal, Paris, 4 vol. in 8o, 1830. « Imprimé aux frais du
Gouvernement pour procurer du travail aux ouvriers typographes. » La
même année était réimprimée, à Venise, la traduction italienne
de Ramusio.]

[Note 7 : TH. SHAW, _Travels and Observations relating to several
parts of Barbary and the Levant_, in-4o, Oxford, 1738. Traduction
française à La Haye, 1743.]

[Note 8 : DUREAU DE LA MALLE, _Voyages dans les Régences de Tunis
et d’Alger_, par Peyssonnel et Desfontaines, 2 vol. in-8o, Paris,
1838.]

[Note 9 : POIRET (l’abbé), _Voyage en Barbarie_, 2 vol. in-8o,
Paris, 1789.]

[Note 10 : _Carte comparée des Régences d’Alger et de Tunis_,
dressée par le chevalier Lapie, premier géographe du roi, officier
supérieur du Corps royal des Ingénieurs (les noms anciens revus
par Hase, les noms arabes par Jaubert), Paris, 1828, chez Picquet.]

[Note 11 : _Routes suivies par les Arabes_, p. VII. Cette remarque
semble s’appliquer à la carte de 1828 ; la date de 1838, donnée
par Carette, paraît une faute typographique : nous n’avons pas
découvert de carte d’Algérie de Lapie portant cette date.]

[Note 12 : _Tableau de la Situation des Etablissements Français
dans l’Algérie_, 1838, p. 161.]

[Note 13 : Paris, 1836, in-8o.]

[Note 14 : _Etablissements Français_, 1838, p. 113 ; 1840, p. 109.]

[Note 15 : E. CARETTE, _Recherches sur la géographie et le
commerce de l’Algérie méridionale_, avec 3 cartes (_Exploration
scientifique_, in-4o, Paris, 1844). Id., _Etude des routes suivies
par les Arabes dans la partie méridionale de l’Algérie et de la
Régence de Tunis_ (_Exploration scientifique_, in-8o, Paris, 1844).]

[Note 16 : DE COLOMB, _Notices sur les Oasis du Sahara_, 1860,
p. 1. « Dès le débarquement, en 1830, il fut question du désert
à propos du terrain sablonneux de Sidi-Ferruch. Plus tard, les
sables reculèrent jusque dans la Mitidja où, selon l’expression
de Pellissier, on n’en ramasserait pas de quoi poudrer une lettre ».
(BERBRUGGER, _Voyages dans le Sud de l’Algérie, par El-Aïachi
et Moula-Ahmed_, Paris, 1846, p. 4).]

[Note 17 : BERBRUGGER, ouvrage cité.]

[Note 18 : E. CARETTE, _Recherches sur la géographie et le commerce
de l’Algérie méridionale_, p. 7.]

[Note 19 : _Etablissements Français_, 1844, p. 377 et 396 ; _Carte
de l’Algérie divisée en Tribus_, par CARETTE et WARNIER, à
1/1.000.000e (avril 1846).]

[Note 20 : In-8o, Paris, 1848, avec _Carte du Maroc_ à 1/2.000.000e,
datée de 1845. Cf. _Carte du Maroc_ de BEAUDOUIN, 1848 (excellente
pour l’époque et encore utile à consulter).]

[Note 21 : DAUMAS (Lieutenant-colonel), _Le Sahara Algérien_,
études géographiques, statistiques et historiques sur la région
au Sud des établissements français, in-8o, Paris, 1845.]

[Note 22 : P. 5.]

[Note 23 : DAUMAS, p. 1, reproduit et défiguré dans les
_Etablissements Français_ de 1850-52, p. 651. Il convient de dire
que, précisément à l’époque ou Daumas écrivait ces lignes,
le traité de 1845 avec le Maroc reproduisait l’ancienne conception
du Sahara inhabitable et inhabité.]

[Note 24 : _Recherches sur la Géographie et le Commerce de
l’Algérie méridionale_, p. 142.]

[Note 25 : ADRIEN BERBRUGGER, _Voyages dans le Sud de l’Algérie et
des Etats barbaresques par El-Aïachi et Moula-Ahmed_ (_Exploration
Scientifique de l’Algérie_), in-8o, Paris, 1846.]

[Note 26 : PELLISSIER DE REYNAUD, _Annales Algériennes_, Alger-Paris,
1854, tome III, p. 123-126.]

[Note 27 : H. M. P. DE LA MARTINIÈRE et N. LACROIX, _Documents
pour servir à l’étude du Nord-Ouest africain_, réunis et
rédigés par ordre de M. Jules Cambon, Gouverneur général de
l’Algérie. Gouvernement général de l’Algérie, Service des
Affaires indigènes, 4 vol. in-8o et 1 vol. de pl., 1894-97 ; tome
III, p. 73 et 791. Nous citerons cet ouvrage en abrégé sous le
titre de _Documents_.]

[Note 28 : H. DUVEYRIER, _Historique des Explorations au Sud et
au Sud-Ouest de Géryville_, _Bull. Soc. Géogr. de Paris_, 1872,
p. 229.]

[Note 29 : _Etablissements Français_, 1845, p. 4. PELLISSIER DE
REYNAUD, _Annales Algériennes_, III, p. 160.]

[Note 30 : _Tableaux des Etablissements français dans l’Algérie_,
1846, p. 515. On sait que cette collection des _Etablissements
français_ est la source la plus précieuse pour l’histoire des
débuts de la conquête et de la colonisation.]

[Note 31 : Dr FÉLIX JACQUOT, _Expédition du général Cavaignac
dans le Sahara Algérien en avril et mai 1847_, in-8o, Paris.]

[Note 32 : P. 149 et 165.]

[Note 33 : DAUMAS et DE CHANCEL, _Le grand désert, ou itinéraire
d’une caravane du Sahara au pays des nègres_, in-8o, Paris, 1848.]

[Note 34 : _Etablissements français_, 1837, p. 324.]

[Note 35 : _Id._, 1840, p. 371.]

[Note 36 : Colonel REBILLET, _Les relations commerciales de la
Tunisie avec le Soudan_ (_Revue gén. des Sciences_, 1896, p. 1158).]

[Note 37 : _Revue de l’Orient_, 1845, tome VI, p. 6.]

[Note 38 : _Etablissements français_, 1850-52, p. 651.]

[Note 39 : _Id._, 1846, p. 515.]

[Note 40 : _Expédition du général Cavaignac_, p. 199.]

[Note 41 : _Revue de l’Orient_, 1844, tome IV, p. 76.]

[Note 42 : Instructions pour le voyage de M. Prax dans le Sahara
septentrional, in-8o, Paris, 1847. — PRAX, _Tougourt, le Souf_
(_Revue de l’Orient et de l’Algérie_, 1848, tome IV, p. 129).]

[Note 43 : PRAX, ancien officier de la marine nationale, _Commerce
de l’Algérie avec la Mecque et le Soudan_, Paris, 1849. Cf. _Carte
des routes commerciales de l’Algérie au pays des Noirs_, dressée
par M. Prax à 1/10.000.000, s. d. (très intéressante).]

[Note 44 : BERBRUGGER, _Projet d’exploration de la 2e ligne des
oasis algériennes_, in-8o, Alger, 1850.]

[Note 45 : _Résultats obtenus jusqu’à ce jour par les explorations
entreprises sous les auspices du Gouvernement de l’Algérie pour
pénétrer dans le Soudan_, in-8o, Alger, 1862. Cette brochure,
due au capitaine de Polignac, a paru dans le _Bull. de la Soc. de
Géogr. de Paris_, 1862, p. 222. Nous la citerons en abrégé sous
le titre _Résultats_.]

[Note 46 : Mémoire publié dans l’_Akhbar_, Alger, 1853.]

[Note 47 : _Etablissements français_, 1849, p. 719 et 1850-52,
p. 651. Cf. _Carte des divisions politiques, administratives et
militaires de l’Algérie_, dressée sur les documents officiels
par ordre de M. le général Randon par CH. DE LA ROCHE, attaché
au Ministère de la Guerre, 1851, à 1/1.000.000.]




                              CHAPITRE II

               LA PÉRIODE DU MARÉCHAL RANDON (1852-1864)

Gouvernement du maréchal Randon. — Voyages de Barth. —
Traduction d’Ibn Khaldoun. — Grammaire tamacheq de Hanoteau. —
Occupation de Laghouat (1852) et capitulation du Mzab. — Renou
(1853). — Rôle des Ouled-Sidi-Cheikh. — Si Hamza, cheikh Othman
et Ikhenoukhen. — Projets commerciaux. — Double objectif des
explorations : le Touat et Ghadamès.

I. _Explorations dans l’Ouest._ — Dastugue (1853). — El-Ouazzani
(1854). — Mac-Carthy (1854). — de Colomb (1854-59). —
Correspondance de 1858 concernant Si Hamza. — Colonieu et Burin
(1860). — Projets sur le Touat et le Niger. — Rohlfs (1864).

II. _Explorations dans l’Est._ — Occupation de Touggourt
(1854). — Forages de Jus dans l’Oued-Rir (1856). — Ville
(1855-57). — Bou-Derba (1858). — Duveyrier (1859-61). — Mission
et traité de Ghadamès (1862).

Conclusion. — Cartographie. — Faidherbe au Sénégal.


Le maréchal Randon est une des figures les plus intéressantes
de l’histoire moderne de l’Algérie. « Après le maréchal
Bugeaud, le second rang dans l’histoire de la conquête appartient
de droit au maréchal Randon ; au génie de l’un a succédé la
persévérance de l’autre ; celui-ci a parachevé l’œuvre de
celui-là[48]. » En même temps qu’il conquérait la Kabylie,
il préparait et organisait l’expansion de l’Algérie vers le Sud.

Le maréchal Randon fut gouverneur de l’Algérie de 1851 à 1858 ;
mais la brillante période de pénétration saharienne ne commence
guère qu’en 1852, pour se continuer jusqu’en 1864, parce que
l’impulsion ne se fit pas immédiatement sentir et se prolongea
d’autre part pendant un certain temps après le départ de celui
qui l’avait imprimée. Le mouvement d’exploration et d’expansion
fut arrêté net par l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh, qui eut
des conséquences si fâcheuses à tous égards pour nos rapports
avec le Sahara.

Un événement considérable dans l’histoire des découvertes
géographiques s’accomplissait alors. Un des plus grands voyageurs
des temps modernes, Barth, effectuait sa magnifique exploration à
travers le Sahara et le Soudan (1850-1855). « Il faudrait de longues
pages[49] pour faire ressortir les nombreux résultats du voyage de
Barth. Avant lui, tout n’était que fables ou données vagues sur
l’Afrique centrale et ses habitants ; il était réservé à Barth
de rapporter au monde civilisé des notions précises aussi bien
sur la région du Tchad que sur le Sahara, de fixer la géographie
encore incertaine de ces pays, d’étudier l’histoire des tribus
qui les habitent, enfin de recueillir des renseignements d’une
valeur inestimable sur l’ethnographie, l’histoire ancienne et
l’état politique des vastes étendues de territoire qu’il a
parcourues. » Il est le premier et le plus grand des explorateurs
vraiment scientifiques du continent noir[50].

Vers la même époque paraissaient en Algérie, sous les auspices
du Gouvernement général, deux des ouvrages les plus remarquables
qui aient été publiés depuis la conquête : la traduction de
l’_Histoire des Berbères_ d’Ibn-Khaldoun[51] par de Slane
(1852), et la grammaire de la langue des Touareg par Hanoteau,
commandant supérieur du cercle de Dra-el-Mizan[52]. Le premier de ces
ouvrages faisait connaître le document capital sur l’histoire et
les traditions des populations sahariennes, le second nous initiait
à leur langue ; Duveyrier a pu contrôler l’exactitude de la
grammaire de Hanoteau et il a rendu hommage à l’excellence de
cet ouvrage[53], comme bien d’autres l’ont fait après lui.

Le gouvernement du maréchal Randon, le voyage de Barth
déterminèrent une période des plus actives dans notre œuvre
de pénétration au Sahara central, œuvre à laquelle d’autres
circonstances, qu’il convient d’indiquer, étaient par ailleurs
très favorables.

L’insurrection soulevée en 1852 par le chérif Mohammed ben
Abdallah parmi les tribus du Sud détermina la prise d’assaut
et l’occupation définitive de Laghouat[54] (4 décembre
1852). Quelques jours après, les habitants du Mzab, redoutant des
représailles de notre part, en raison de l’hospitalité donnée
par eux au chérif Mohammed, prirent la résolution d’entrer en
négociations avec nous.

Dans une convention du 24 janvier 1853, décorée plus tard du nom de
traité, mais qui mérite bien mieux le titre de capitulation[55],
Randon posait aux Mozabites ces conditions : « Il ne saurait
être question, disait-il, d’un traité de commerce entre vous
et nous, mais bien nettement de votre soumission à la France. En
dehors de cette pensée, il ne peut y avoir aucun arrangement. Vos
ressources de toute espèce nous étant connues, chaque ville ne
paiera que ce qu’elle doit raisonnablement payer. Comptés dès
lors comme nos serviteurs, notre protection vous couvrira partout,
dans vos voyages à travers nos tribus et pendant votre séjour
dans nos villes. Nous ne voulons en aucune façon nous mêler de
vos affaires intérieures ; vous resterez à cet égard comme par
le passé. _Nous ne nous occuperons de vos actes que lorsqu’ils
intéresseront la tranquillité générale et les droits de nos
nationaux et de nos tribus soumises_. » Ainsi le maréchal Randon
trouvait dès le premier jour la véritable formule qui doit présider
à nos relations avec les populations sahariennes, formule dont on
s’est trop souvent écarté depuis, soit en traitant de puissance
à puissance avec les Sahariens, soit en intervenant à outrance
dans leurs affaires intérieures.

Peu après, Renou, collaborateur de l’_Exploration Scientifique
de l’Algérie_, après une excursion d’Alger à Laghouat,
se décida, sur les conseils du général Yousouf, commandant
les troupes indigènes, à pousser jusqu’au Mzab. Il partit de
Laghouat en compagnie du lieutenant Carrus, chef du bureau arabe,
et se rendit à Berrian, où il fut parfaitement accueilli ; il
profita de son séjour dans cette localité pour en déterminer la
longitude et la latitude.

C’est à partir de cette époque que les Ouled-Sidi-Cheikh
commencent à jouer un rôle considérable dans nos projets
de pénétration. On songe d’abord à se servir d’eux pour
ces projets, et des résultats dont on ne saurait méconnaître
l’importance sont obtenus par cette voie. Mais ces résultats ne
sont pas aussi complets qu’on l’avait espéré, d’abord parce
que, comme on le verra, ils ne s’y prêtent pas toujours sans
réticences et sans hésitations, puis parce qu’on s’exagère,
peut-être sur leurs propres indications, leur pouvoir sur les
populations sahariennes et qu’on leur demande plus qu’ils ne
peuvent donner.

Le chef de la branche aînée des Ouled-Sidi-Cheikh était alors
Si Hamza ben bou Bekeur. Ce personnage[56] était d’une humeur
très versatile, tour à tour sérieux et capricieux comme un enfant
gâté ; malaisé à mettre en selle, mais y restant des journées
entières ; curieux comme une femme ou indifférent à l’excès ;
aujourd’hui flexible comme un roseau, demain ferme comme un
chêne. Cependant sous cette versatilité apparente se cachait une
rare ténacité lorsque ses intérêts étaient en jeu. Enfin, un
des traits les plus frappants de son caractère était son extrême
avidité ; il entassait dans ses magasins, où ils se perdaient
sans profit pour personne, les dons en nature qu’il recevait
des indigènes et ne craignait pas de s’abaisser en faisant le
commerce des œufs d’autruche. Malgré ces graves défauts, il
faut convenir avec M. Jules Cambon[57] que « Si Hamza montra, dans
le cours de sa vie, une grandeur peu commune, associa sa cause à la
nôtre et nous témoigna une fidélité dont on ne s’est peut-être
pas toujours souvenu. Il détruisit le sultanat d’Ouargla pour le
remettre entre nos mains et fut ainsi le principal agent de notre
expansion dans l’Extréme-Sud. »

L’ambition de Si Hamza était de commander à tout le Sud,
sinon jusqu’à Tombouctou[58], du moins depuis Ouargla jusqu’au
Touat. En 1852, il fut investi d’un grand commandement et nommé
khalifa. En même temps, on plaçait auprès de lui un officier
pour jouer le rôle de nos résidents actuels dans certains pays de
protectorat ; on choisit le lieutenant de Colomb, qu’on chargea
de le guider et de l’initier à nos exigences administratives. La
mesure fut complétée par la création d’un poste à El-Biodh
(Géryville), où s’installa le lieutenant de Colomb avec une petite
garnison. Cet officier reçut d’abord le titre de « chef politique »,
titre qui se transforma au fur et à mesure que l’organisation
du nouveau commandement se développait, et devint successivement
celui de chef de poste en 1853, chef d’annexe en 1854, commandant
supérieur en 1855.

A peine installé, le nouveau khalifa fut appeler à coopérer
à la lutte engagée avec Mohammed ben Abdallah et dut, avec ses
contingents, poursuivre les Larbaâ et les Ouled-Naïl qui avaient
pris fait et cause pour le chérif ; il en vint à bout pendant que
nos troupes assiégeaient Laghouat. Quelques mois plus tard, à la
fin de 1853, Si Hamza, bientôt suivi par le colonel Durrieu et une
colonne légère, nous faisait sans coup férir traverser Metlili,
le Mzab, et planter pour la première fois notre drapeau sur les
vieilles kasbas de Ngoussa et de Ouargla. Il tenait ainsi la promesse
qu’il avait faite de conquérir pour nous l’Extrême-Sud[59].

Le maréchal Randon avait aussi témoigné à Si Hamza le désir
de nouer des relations avec les Touareg. En 1854, le khalifa
était allé à Ghat et avait décidé divers personnages touareg,
appartenant aux tribus des Oraghen, des Ifoghas et des Imanghasaten,
à l’accompagner à Alger[60]. L’un d’eux était le cheikh
Othman, de la tribu maraboutique des Ifoghas et de l’ordre des
Tidjani, neveu de Sidi Ahmed el Bekkay qui avait accueilli Barth à
Tombouctou[61]. Cheikh Othman, homme d’intelligence et de cœur,
d’un dévouement éclairé et sincère, semble avoir souhaité
réellement faire régner la sécurité et la paix — une paix
relative — chez les Touareg.[62] Le cheikh fut l’objet de
l’accueil le plus favorable de la part du maréchal Randon,
auquel il promit une alliance avec la France, en son propre nom et
au nom d’Ikhenoukhen, amenokal des Azdjer. Ikhenoukhen, vieillard
énergique, guerrier respecté pour sa force, paraît lui aussi avoir
éprouvé une certaine sympathie pour les Français[63]. Après un
séjour d’un mois à Alger, Cheikh Othman repartit pour le Sud. Sa
visite devait être féconde en résultats, puisqu’elle a abouti,
comme on le verra, à l’exploration de Duveyrier et au traité
de Ghadamès.

Une des principales occupations de Randon était d’établir des
relations commerciales avec le Soudan[64]. A son avis, l’arrivée
régulière sur nos marchés des caravanes qui, en échange des
produits de notre industrie, nous donneraient les matières dont
Tripoli et le Maroc profitent seuls, était de nature à procurer
à la France d’incontestables avantages. Personne ou à peu
près ne mettait en doute, à cette époque, l’importance du
commerce saharien et transsaharien, quoique dès 1854 le comte
H. de Sanvitale eût émis à cet égard des appréciations assez
pessimistes[65]. Quant aux « pays noirs », on s’en faisait
une idée assez vague ; on les considérait comme uniformément
riches et peuplés ; la renommée antique de Tombouctou attirait
particulièrement les imaginations[66].

Cependant c’est seulement en 1860 que furent rapportées les mesures
douanières de l’ordonnance du 16 décembre 1843, qui avait interdit
toute importation en Algérie par les frontières de terre. Un décret
du 25 juin 1860 déclara la ligne Géryville-Laghouat-Biskra ouverte
à l’importation en franchise de droits de douane des produits
naturels et fabriqués originaires du Sahara et du Soudan.

Les projets de Randon se résumaient en ceci : étant donné que
des échanges s’effectuent avec le Soudan à travers le Sahara,
attirer les caravanes vers les possessions françaises, et frayer
également à des caravanes parties de nos possessions le chemin
du Soudan. Ce résultat devait être obtenu autant que possible
d’une manière pacifique, en agissant à l’Ouest dans la vallée
de l’Oued Saoura, à l’Est dans la vallée de l’Igharghar, en
pénétrant à In Salah et à Ghadamès. D’où un double objectif
des explorations : le Touat et Ghadamès. Nous allons passer en
revue successivement les tentatives faites dans ces deux directions,
en commençant par celles qui furent dirigées vers le Sud-Ouest.


                                   I


C’est sous le patronage du khalifa Si Hamza que le général de
Lussy de Pelissac, commandant par intérim la province d’Oran,
proposa en 1853 de pousser une mission d’exploration au Gourara,
qui serait confiée au sous-lieutenant Dastugue, adjoint au bureau
arabe de Mascara. Cet officier devait partir avec la caravane
annuelle des Trafi, et le terme extrême du voyage devait être
Timmimoun. Là, le lieutenant Dastugue recueillerait une foule de
renseignements, principalement sur Insalah, sur l’importance du
commerce qui s’y fait et sur les routes qui y conduisent. Les
événements politiques qui se déroulaient dans l’Extréme-Sud
empêchèrent les nomades d’envoyer des caravanes au Gourara à
la fin de 1853, et le projet d’exploration présenté par Dastugue
ne fut pas exécuté. Mais Dastugue est un des officiers qui ont le
plus fait pour la connaissance scientifique du Sud-Ouest Algérien,
un de ceux dont les travaux, aujourd’hui encore, présentent
le plus d’intérêt. Plus tard colonel, puis général, il a
recueilli et publié avec intelligence des données sur le Sahara
orano-marocain[67] ; il a donné notamment un excellent travail sur
la géographie du Tafilelt, d’après des renseignements recueillis
en 1859-61.

En 1854, de nouveaux essais furent projetés ou tentés dans la
direction de Tombouctou. Un indigène appartenant à la famille
des Cheurfa d’Ouezzan, El Hadj Mohammed ben Ahmed el Ouezzani,
qui avait déjà fait pour son compte à différentes reprises le
voyage de Tombouctou, était chargé d’une mission dans le Sud
en vue de lier des relations avec ces régions et de préparer les
moyens d’y expédier plus tard des caravanes. Cet individu, après
une absence de quatre mois et demi, forgea un récit de voyage,
un itinéraire à Tombouctou, et présenta un morceau de houille
soi-disant trouvé dans les environs d’In-Salah, mais pris en
réalité au Maroc. Sa fable fut découverte et on put reconnaître
l’inutilité de cette mission[68].

Le géographe Mac-Carthy fut aussi chargé de se rendre à Tombouctou
par le Sahara. C’était un homme original et intéressant, le
prototype, dit-on, du Vandell dont Fromentin, dans _Une année dans le
Sahel_, a retracé la physionomie. « Chez Vandell et chez Mac-Carthy,
même ouverture d’esprit et même curiosité de toutes choses,
même insouciance et mépris de la vie matérielle, même philosophie
douce et tranquille, même négligence à utiliser les matériaux
péniblement amassés[69]. » Au milieu des préparatifs de départ
de Mac-Carthy, des renseignements venus de Gourara présentèrent
le voyage comme trop périlleux. Il sembla préférable d’attendre
le résultat des efforts tentés à la même époque pour nouer des
relations avec le Touat, avec les principaux personnages touareg
et même avec les notables de Tombouctou. En attendant, on proposa
à Mac-Carthy d’explorer le Sahara central en partant de Tripoli,
et de rentrer en Algérie par le Touat, si auparavant une caravane
parvenait à y effectuer un premier voyage comme on l’espérait. Cet
itinéraire ne fut pas plus exécuté que le précédent. On
prétend que, plus de vingt ans après, le biscuit préparé pour
l’expédition existait encore et que Mac-Carthy parlait toujours
de son prochain départ. S’il n’exécuta aucun de ses grands
projets, il renseigna et guida souvent les explorateurs. Devenu
conservateur de la bibliothèque d’Alger après Berbrugger,
Mac-Carthy prit notamment une grande part à la préparation
scientifique du voyage au Maroc du vicomte de Foucauld : ceux qui
ont fréquenté la bibliothèque à cette époque savent combien les
conseils du vieux savant furent précieux à l’illustre explorateur.

D’autres propositions furent faites pour le voyage à Tombouctou,
qui hantait à ce moment les esprits, et pour lequel la Société de
Géographie de Paris avait voté quelques fonds. Vignard, chef du
bureau arabe départemental de Constantine, se mit sur les rangs,
ainsi que Cusson, d’Oran. Un israélite d’origine allemande,
nommé Joseph Benjamin, domicilié à Oran chez le grand rabbin,
demanda les moyens de parcourir le Sahara pour y retrouver les
tribus perdues d’Israël ; l’enquête faite démontra qu’on
avait affaire à un personnage suspect, et on l’embarqua pour
Marseille. Un certain Auguste Krafft, né à Mulhouse, et se
recommandant de la grande duchesse Stéphanie de Bade, ne mérite pas
plus d’intérêt[70]. En 1856, un habitant du Touat, El Hadj Abd el
Kader ben Aboubekeur, de passage en Algérie, fut chargé de lettres
pour les principaux personnages de son pays ; il revint en Algérie,
où il reçut 1.500 francs de gratification, mais ne rapporta aucune
réponse. Ainsi les grands projets de traversée saharienne dans la
direction de l’Ouest n’avaient donné aucun résultat.

Il en est autrement des expéditions moins ambitieuses de De Colomb,
un des hommes qui ont le plus contribué à nous faire connaître
le Sud-Ouest Oranais. Il convient de rappeler les travaux de cet
officier, en y rattachant ceux de ses collaborateurs et de ses
compagnons, notamment le docteur Paul Marès et de la Ferronays[71].

C’est en 1854 que commence l’ère des travaux de De
Colomb ; au mois de décembre, prévenu qu’un fort parti de
Doui-Menia s’était réuni pour piller nos tribus, il part
d’El-Abiod-Sidi-Cheikh et s’enfonce dans la direction de Figuig,
en prenant par le sud des montagnes vers l’Oued-Namous, qu’il
coupe à El-Outed. Arrivé à Oglat-el-Hadj-Mohammed, il défait
les Doui-Menia et rentre à Géryville.

L’automne de l’année 1856 voit encore de Colomb sur les routes
du Sahara ; il était cette fois accompagné du docteur Paul Marès,
qui se livra à des observations météorologiques et géologiques,
et détermina les altitudes des principales stations. La colonne
traversa la région du Chott-Tigri et s’avança jusqu’aux redirs
de Meharroug, à 43 kilomètres Nord-Ouest d’Hassi-el-Aricha ;
elle revint par la région de Figuig.

En janvier 1857, un voyage pacifique mena de Colomb jusqu’à moitié
route entre El-Abiod-Sidi-Cheik et les premières oasis du Gourara. A
peine rentré à Géryville, il en repartit aussitôt, emmenant
encore avec lui le docteur Marès : « C’est, dit de Colomb[72],
un jeune médecin touriste, qui s’occupe beaucoup de géologie et
de météorologie. Il désirait autant que moi s’égarer dans les
solitudes sahariennes et explorer un pays que jamais pied européen
n’avait foulé, et qui semblait promettre bien des révélations,
bien des merveilles à sa science favorite. Il nous accompagna
et donna à notre excursion une tournure d’exploration savante
qui lui seyait à merveille. » Le lieutenant de la Ferronays,
adjoint au bureau arabe, se chargea du levé géographique de la
route parcourue. Les voyageurs, partant d’El-Abiod-Sidi-Cheikh,
suivirent la vallée de l’Oued-el-Khebiz (Oued-Gharbi), passant à
Benoud et à Mengoub et s’avançant jusqu’au redir de Metilfa. De
là, ils se dirigèrent vers le S. S. E., entrèrent dans la région
des dunes et des daïas qui se trouvent à leur lisière nord,
et regagnèrent Géryville par la vallée de l’Oued-Seggueur. La
relation du voyage de Colomb[73] est fort intéressante et marque
un progrès notable des connaissances. L’auteur décrit très
bien[74] et à peu près comme on pourrait le faire aujourd’hui,
les régions naturelles qu’il a parcourues : chaîne saharienne
avec les Kheneg par lesquels débouchent les grands oueds du Sahara
oranais ; hammadas avec leur gour « qui s’élèvent, coupés à
pic, au-dessus des plaines sahariennes, semblables à ces témoins
que, dans un déblai, les ouvriers terrassiers laissent de distance
en distance pour que l’ingénieur puisse cuber leur travail ;
indices du gigantesque travail de nivellement qui s’est accompli
dans ces solitudes ; » vallées des grands oueds avec leur cours
souterrain et leurs redirs ; région des daïas où ces grands
oueds, sauf l’Oued-Saoura qui tourne la digue, sont arrêtés
par les dunes et créent à la lisière des pâturages magnifiques,
« magnifiques pour des Sahariens, bien entendu[75] ». De nombreux
renseignements sont donnés sur la flore, la faune, les habitants
de ces régions, leur genre de vie et leurs légendes. Justice est
faite de la légende de la Daïa-el-Habessa[76] qui, au dire des
indigènes, engloutissait les voyageurs. Enfin Marès rapportait de
ce voyage des documents pour l’étude géologique de la région,
dont il traçait peu après lui-même les premières grandes lignes
avec beaucoup de sagacité[77]. En 1858, Marès accompagnait encore
Cosson dans son exploration botanique des parties méridionales
de l’Algérie, et visitait successivement l’Oued-Rir, le Souf,
Touggourt, Ouargla et le Mzab.

Le repos de De Colomb fut de courte durée. Une colonne
expéditionnaire, réunie sous ses ordres, quittait
El-Abiod-Sidi-Cheikh au mois d’avril 1857, se dirigeait vers
l’Ouest, en longeant le versant sud des montagnes ; après avoir
passé El-Outed et franchi l’Oued-Namous, elle arrivait par le
Kheneg-Zoubia en vue de Figuig. Elle parcourait tout le pays des
Douï-Menia, s’avançant jusque près de la zaouïa de Kenadsa
et du ksar d’Aïn-Chaïr. En 1859, pendant que l’expédition
placée sous les ordres du général de Martimprey opérait contre les
Beni-Snassen, le colonel de Colomb conduisait une colonne légère
jusqu’à Athnacher-Gara-ou-Gara, chez les Beni-Guil, non loin
de la région des sources de l’Oued-Guir[78]. En 1860, de Colomb
rédigeait un mémoire complet par renseignements sur les oasis du
Gourara et du Touat, leur commerce, leurs lignes de communication ;
il dressait une carte de ces oasis dont l’exactitude a été
vérifiée ultérieurement[79]. Enfin, dans trois rapports sur
le décret du 25 juin 1860, il étudiait d’une manière très
complète la question du commerce transsaharien ; il montrait les
difficultés que soulèverait dans le Sud la création de postes de
douanes, déconseillait l’établissement d’agences de commerce
au Touat, et proposait de créer des comptoirs à Géryville et plus
tard à Laghouat[80].

Cherbonneau rééditait en 1857 un _Itinéraire de Touggourt à
Tombouctou_[81], traduit de l’arabe, qui donnait quelques détails
sur le Touat. En 1860, le docteur Maurin[82] racontait le voyage fait
au Gourara par un indigène à la solde d’un négociant de Saïda,
nommé J. Solari, et recueillait de nouveaux renseignements sur le
commerce des caravanes.

Jusqu’à la fin de son commandement, le maréchal Randon n’avait
cessé de poursuivre, en les développant et les précisant, la
réalisation de ses projets de pénétration économique au Sahara. Il
en vint à penser (mai 1858) que la solution de cette question serait
indéfiniment ajournée si les négociants du Soudan se trouvaient
livrés à l’avidité peu scrupuleuse d’une certaine classe de
commerçants. Pour réussir, il ne fallait pas seulement attirer à
nous les marchands par la sécurité des routes, il fallait y joindre
la loyauté dans les transactions. Dans ce but, le maréchal fit appel
au concours d’une maison de commerce importante et se recommandant
par sa haute moralité, la maison Lafon et Cie de Marseille. Un de ses
membres, désigné particulièrement par sa longue pratique des choses
algériennes, L. Bourilhon, fut chargé d’exposer au Gouvernement
les combinaisons commerciales qu’il croyait propres à assurer, sous
le patronage et avec le concours de l’administration, l’arrivée
régulière des caravanes sur les marchés d’Algérie. En même
temps, il manifestait aux Ouled-Sidi-Cheikh le mécontentement que
lui causait leur peu d’empressement à seconder ses desseins ; des
documents inédits, qu’il nous a paru intéressant d’analyser,
font connaître les différentes phases de ces pourparlers :

Plusieurs fois, écrivait le maréchal Randon[83], des renseignements
qui me sont parvenus m’ont fait connaître le peu d’empressement
de Si Hamza, khalifa des Ouled-Sidi-Cheikh, à favoriser nos projets
de relations avec le Sud. Loin d’engager, selon mes désirs, les
habitants du Touat et du Tidikelt à entrer en rapports avec nous,
je crois savoir qu’il les en détourne.

La famille des Ouled-Sidi-Cheikh a gardé dans toute la région
saharienne, sur le Gourara, le Timmi et même le Tidikelt, une
influence qui ne saurait être contestée. Si le khalifa actuel, Si
Hamza, avait voulu mettre à notre service cette influence puissante,
nul doute que déjà nous n’eussions atteint notre but ; mais loin
de là, nous en sommes encore à chercher les moyens d’entrer en
relations, parce que le mauvais vouloir de ce chef tend à neutraliser
nos efforts.

En faisant donner à Si Hamza la récompense qu’il ambitionnait avec
tant d’ardeur, j’avais en vue non seulement ses services passés,
mais surtout ceux qu’il devait rendre. Il n’ignorait pas à cette
époque combien je souhaitais établir le courant commercial entre le
Soudan et l’Algérie, et ses promesses me laissaient croire qu’il
était disposé à me seconder dans cette entreprise. Il paraît
non seulement avoir oublié et la récompense et ses promesses,
mais encore il semble animé du désir d’entraver nos desseins.

Je vous prie d’inviter M. le Général commandant la subdivision de
Mascara à faire connaître à Si Hamza que je suis bien disposé à
ne pas subir une telle situation ; que je le rends personnellement
responsable des empêchements que les Chaanba pourraient chercher
à mettre au parcours des caravanes, ainsi que de tous les bruits
fâcheux qui pourraient être lancés dans le pays. Il lui appartient
de les démentir et de nous montrer sous notre véritable jour. Je
regarderais même l’inaction et l’inertie de Si Hamza comme une
protestation contre ce que nous voulons faire.

Je désire que des observations très sérieuses soient faites
à Si Hamza et qu’on ne lui laisse pas ignorer que je ne suis
nullement satisfait de son attitude en ce qui concerne les relations
commerciales avec le Touat et le Soudan. Il ne tient qu’à lui de
me faire modifier mon opinion à son sujet en déployant le zèle
qu’il aurait déjà dû mettre au service de mes intentions.

Conformément aux instructions du Gouverneur, le général Durrieu,
commandant la subdivision de Mascara, fit venir Si Hamza et lui fit
part, avec tous les ménagements que comportait son caractère et sa
position importante dans le Sud, du mécontentement du maréchal. Une
lettre du général Durrieu[84] fait connaître le résultat des
conférences qu’il eut avec le khalifa :

Si Hamza se plaint que trop de monde ait voulu à la fois se mêler de
la question qui intéresse M. le Gouverneur général à un si haut
degré, l’ouverture du Sud à nos relations commerciales. Combien
de fois n’a-t-il pas eu, dit-il, à prêter son concours à des
émissaires qui ont traversé son pays pour chercher à pénétrer
dans le Sud ; mais ces émissaires n’avaient ni le courage,
ni la capacité nécessaires pour réaliser leurs promesses ; ils
ont préféré rejeter sur lui l’insuccès dont ils n’avaient
à accuser qu’eux-mêmes ; son aide ne leur a jamais manqué. Il
se plaint aussi de n’avoir jamais reçu à cet égard de mission
nette et définie : on ne lui a jamais dit ce qu’on attendait de
lui[85]. Quant il a été chargé spécialement par M. le Gouverneur
général de faire venir du Sud une djemaâ des Touareg, il s’y
est employé de toute son activité et a eu la satisfaction de
la conduire lui-même à Alger. Depuis cette époque, toutes les
négociations avec le Sud ont été entreprises en dehors de lui,
soit par Laghouat, soit par Biskra, sans qu’il ait eu aucun rôle
à jouer. En examinant sa conduite, le khalifa m’assure qu’il
ne croit avoir aucun reproche à se faire, et du moment qu’on
recherche encore ses services, il est tout prêt à les donner et
à mettre en cela à la disposition de M. le Gouverneur général,
pour seconder ses vues, tout ce qu’il peut emprunter à sa position
politique et religieuse et à sa connaissance personnelle du pays.

D’après le résumé de mes conversations avec lui, voici à peu
près à quoi il s’engage : 1o à conduire de sa personne jusqu’à
El-Goléa, et au besoin jusqu’à Tidikelt, une mission française
de quatre personnes, dont le choix serait naturellement fait par
M. le Gouverneur général ; 2o à constituer et gréer un convoi de
50 chameaux destiné à transporter le matériel nécessaire à la
mission et des marchandises à lui appartenant, lesquelles, d’après
ses calculs, peuvent s’écouler dans le Sud ; 3o à faire arriver la
mission de Tidikelt à Tombouctou, par son influence et ses relations
avec les chefs des Touareg Hoggar et des Nabeugh. Aujourd’hui, et
avant de savoir si un projet de cette espèce sera agréé par M. le
Gouverneur général, je n’entrerai point dans les détails qui,
d’après Si Hamza, doivent assurer le succès de la mission. Il
les a développés devant moi avec une certaine complaisance et
des appréciations qui indiquent une grande connaissance du pays
à traverser. Je me borne à vous dire que l’époque favorable
pour le départ de cette mission, qui serait réunie à Géryville,
serait le commencement de novembre.

D’après Si Hamza, une fois arrivée à Tombouctou, pays
organisé, où l’autorité est respectée, la mission n’aura
plus d’inquiétude à avoir, surtout si elle s’annonce comme
attirée par le seul désir de nouer des relations commerciales. Il
ne doute pas que si, par ses cadeaux, elle gagne les bonnes grâces
du chef de Tombouctou, elle ne parvienne à visiter tous les autres
états du Soudan.

M. le Gouverneur général a, sur la nature de la mission à donner
à des Européens dirigés sur Tombouctou, des idées plus nettes que
celles que je puis avoir. Aussi ne hasarderai-je qu’avec une grande
réserve celles qui me sont suggérées par ma conversation avec Si
Hamza. La mission, d’après moi, devrait être à la fois politique,
scientifique et commerciale. Les éléments qui la composeront
devraient donc répondre naturellement à ces conditions. J’y
mettrais : 1o un officier instruit, chef de mission ; 2o un homme
connaissant la physique, la minéralogie et la botanique ; 3o un
médecin ; 4o un commerçant. Tous parlant l’arabe et pouvant sous
le costume arabe, qui leur est indispensable jusqu’à Tombouctou,
passer au besoin pour des indigènes. Au dire de Si Hamza, le costume
européen sera leur meilleure garantie une fois qu’ils seront
dans le Soudan. Je ne m’étends pas davantage sur ces détails
d’exécution, avant de savoir s’il convient à M. le Gouverneur
général de tenter cette entreprise telle que la présente Si Hamza,
qui parle de son succès, je le répète, avec une confiance qui
me gagne.

Il semble naturel de voir l’exécution au moins partielle de ces
projets du maréchal Randon dans le voyage accompli en 1860-62, par
le commandant Colonieu[86] et le lieutenant Burin, accompagnés de
Si Bou Bekeur, fils du khalifa Si Hamza. Mais Randon n’était plus
là ; la mission fut organisée par le Ministère des Colonies, auquel
l’Algérie venait d’être rattachée, et le plan adopté diffère
sensiblement de celui que Si Hamza avait exposé au maréchal.

Colonieu et Burin s’adjoignirent à la caravane annuelle qui, du
cercle de Géryville, se rend dans les oasis septentrionales du Touat,
en vue d’y échanger les produits des troupeaux algériens contre
les dattes des oasis[87]. Le but de la mission était d’étudier
les moyens de développer les relations commerciales avec le Touat
et d’y porter des échantillons de nos produits. On partit[88]
d’El-Abiod-Sidi-Cheikh au mois de novembre 1860. On suivit
l’Oued-Gharbi en passant par Mengoub, itinéraire précédemment
relevé par de Colomb. Puis on traversa la région des Meharreg,
zone de bas-fonds qui s’étendent au nord de l’Erg. On s’engagea
ensuite dans l’Erg, pour aboutir à la petite oasis de Sidi-Mansour,
la première palmeraie du Gourara. Assez bien accueillis dans ce ksar,
ainsi qu’aux Oulad-Aïach et à Ksaïba, les officiers adressèrent
aux djemaâs des principales oasis des lettres les avertissant de
leurs intentions toutes pacifiques et de leur désir d’entrer avec
les ksour en relations d’amitié et d’affaires[89]. Mais lorsque,
se rapprochant de la grande sebkha du Gourara, ils voulurent entrer
aux Oulad-Saïd, ils trouvèrent les portes du ksar fermées et les
habitants en armes sur les remparts. Il en fut de même à Timmimoun,
la principale oasis du Gourara, puis à Taoursit, à Ouakda, et
l’exemple fut contagieux. Assurés d’une réception analogue
dans toutes les oasis du Timmi, où leurs envoyés avaient été
accueillis par des cris de mort, et afin de ne pas empêcher les
Arabes de la caravane d’effectuer leurs transactions, les officiers
préférèrent ne pas continuer leur route vers le Sud ; après une
pointe vers l’Aouguerout, où la réception des Khenafsa, serviteurs
religieux des Ouled-Sidi-Cheikh, fut un peu meilleure que celle des
oasis berbères, ils revinrent à Géryville en janvier 1861.

A quoi faut-il attribuer l’échec de cette tentative ? On a
parlé[90] des inquiétudes des négociants de Timmimoun qui,
intermédiaires actuels du commerce, craignaient de se voir
déposséder par nos commerçants. Mais la principale cause fut le
caractère hybride de ce voyage, qui, comme plus tard la mission
Flatters, n’était ni une mission pacifique ni une expédition
militaire[91]. Le commandant Colonieu le dit expressément[92] : les
populations des oasis, croyant que les envoyés arrivaient en forces,
jugeaient la résistance inutile et avaient résolu de subir la loi
du plus fort. Mais lorsqu’elles surent qu’ils n’avaient pas de
troupes et surtout pas de canons, qu’ils n’étaient accompagnés
que d’une escorte de cavaliers indigènes, leur attitude changea
du tout au tout, et elles refusèrent le contact avec eux. Le simple
retour en arrière d’une mission pacifique passa à leurs yeux pour
l’échec d’une expédition qui, devant leur ferme contenance,
n’avait pas osé se mesurer avec eux ; ce bruit se répandit
rapidement jusqu’à Tombouctou, comme le prouva une lettre du
cheikh El-Bakkay au Gouvernement Général de l’Algérie au sujet
du mauvais effet produit par cette mission[93]. C’est à partir de
ce moment que les Touatiens se tournèrent vers le Sultan du Maroc,
espérant de lui protection contre les Français[94].

La relation du voyage de Colonieu et Burin, publiée seulement
beaucoup plus tard (1892-94), contient nombre de renseignements
géographiques intéressants sur la route parcourue et de
données sur le commerce des oasis. En ce qui concerne le commerce
transsaharien[95], elle fait justice des illusions trop répandues
tant sur son importance que sur la facilité d’en détourner le
maigre courant vers nos possessions, puisque le principal objet de
ce trafic n’est autre que l’esclave : « Pourquoi, dirent les
Ksouriens à Colonieu[96], avez-vous rendu la liberté aux nègres ?
Vous avez brisé là notre commerce le plus important. Vous voulez,
dites-vous, les produits du Soudan : mais avant tout achetez donc les
négresses, nous vous en enverrons, le reste du commerce soudanien
n’est rien[97]. »

Pendant les années qui suivirent, les projets d’exploration
dans la direction du Touat et du Niger ne reçurent même pas un
commencement d’exécution. A peine convient-il de mentionner, en
1862, la fondation par Jules Gérard d’une Société africaine
internationale, cynégétique, zoologique et protectrice, qui
se proposait d’ouvrir des relations permanentes avec le pays
des nègres. La même année, Cosson, d’Oran, forma également
divers projets d’exploration saharienne, mais il ne dépassa pas
Aïn-Sfissifa. Les demandes du lieutenant Moulin, qui souhaitait
se rendre au Touat, du capitaine au long cours Maignan, qui voulait
établir un service de navigation par vapeurs démontables jusqu’à
Tombouctou, et de là une route de caravanes pour l’Algérie,
ne furent pas davantage prises en considération.

Cette période, féconde en somme au point de vue de l’exploration,
se termine par une importante tentative individuelle, le voyage
de l’Allemand Gerard Rohlfs ; il réussit à aller au Touat, qui,
désormais fermé aux Français, s’ouvre encore à un étranger venu
du Maroc et dissimulant sa qualité de chrétien. Né à Vegesack,
près de Brême, en 1832, Rohlfs s’était engagé dans la Légion
étrangère dans le but de se familiariser avec la langue arabe
et les coutumes indigènes afin de pouvoir se faire passer pour
musulman. Son premier voyage fut en quelque sorte un voyage d’essai ;
il visita le Sahara marocain (région du Draa et du Tafilelt), sans
grand profit pour la science, car il n’avait ni les instruments ni
l’expérience nécessaires (1862). Aguerri par cette première
exploration, il se disposa à traverser le Sahara pour gagner
Tombouctou par le Touat. L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh ayant
éclaté au moment où il se disposait à partir, il prit la voie
du Maroc et se rendit de Tanger à Insalah, muni de recommandations
du chérif d’Ouezzan. Après avoir visité le Tafilelt, il suivit
la vallée de l’Oued Guir, puis celle de l’Oued Zousfana-Saoura
à partir d’Igli. Il visita les oasis du Touat et du Tidikelt,
et réussit à entrer à Ksar-el-Kebir, où il rencontra Cheikh
Othman, qui devina en lui un voyageur Européen non-Français et
lui fit assez mauvais visage. N’ayant pu réussir à se rendre à
Tombouctou avec des garanties suffisantes de sécurité, Rohlfs se
résigna à reprendre le chemin de la côte. Il longea le bord sud
du plateau du Tademayt, passa à Hassi-Messeguem, à Temassinin,
gagna enfin Ghadamès et Tripoli.

Rohlfs, comme voyageur scientifique, est bien loin d’égaler Barth
et même Duveyrier, surtout dans ses premiers voyages. Cependant
les régions qu’il a parcourues étaient jusqu’à ces derniers
temps si fermées aux Européens, qu’on lui doit beaucoup de
renseignements géographiques importants sur la vallée de l’Oued
Saoura et sur les oasis du Touat et du Tidikelt. Notons enfin que
son itinéraire est le seul voyage _transversal_, d’Ouest en Est,
effectué à cette époque au nord du massif touareg.

Rohlfs a toujours professé en termes non équivoques que le
Touat fait partie du _hinterland_ de l’Algérie et qu’il est
de l’intérêt des Français d’en prendre possession sans
retard. Malheureusement, l’insurrection du Sud-Oranais (1864),
puis diverses autres circonstances fâcheuses, vinrent arrêter pour
longtemps notre expansion du côté du Sahara.


                                  II


Dans l’est du Sahara algérien, les Français n’étaient pas
demeurés inactifs pendant cette période. Ils avaient commencé à
accomplir dans l’Oued-Rir l’œuvre qui au désert leur fait le
plus d’honneur, les sondages artésiens. A ce pays déshérité,
la sonde artésienne donnait ce qui lui manque par-dessus tout,
l’eau. Ainsi se réalisait la parole du Prophète : « Alors dans
le désert il jaillira de l’eau, et la terre desséchée aura ses
fontaines. »

A la mort de Ben-Djellab, survenue en 1854, un usurpateur nommé
Sliman s’empara de l’Oued-Rir et se déclara contre nous ;
son attitude et les troubles causés par les querelles de çof
nécessitèrent l’intervention française ; à la suite du
combat de Meggarin[98] (29 novembre 1854), le colonel Desvaux entra
à Touggourt à la tête d’une petite colonne[99]. Un officier
français, M. Hauer, détaché du bureau arabe de Biskra, y résida
seul pendant sept ans. Une petite garnison y fut envoyée en 1861.

La région de l’Oued-Rir était alors en complète décadence. « L’art
primitif des puisatiers[100] ne suffisait plus à lui procurer l’eau
nécessaire. Malgré les efforts des plongeurs qui en retiraient les
sables, les sources artésiennes se faisaient de plus en plus minces à
l’orifice des puits, et plus d’une s’était tarie. » Le colonel Desvaux
fit demander en France des hommes et un matériel de puits artésiens.
En 1856, l’ingénieur Jus débarquait ce matériel à Philippeville, et le
17 mai on donnait le premier coup de sonde à Tamerna. « Le 7
juin[101], après avoir percé une couche de grès très dur, qui fit
plusieurs fois douter du succès de l’entreprise, on rencontra une
nappe de 4.000 litres par minute, qui jaillit avec force à la surface
du sol. En un clin d’œil, la population accourut : on arracha les
branches de palmiers qui entouraient l’équipage, chacun voulait voir
de ses yeux cette eau que les Français avaient su faire venir au bout
de cinq semaines, tandis que les indigènes avaient eu besoin de tant
d’années. » En quelques heures, sous la direction du commandant Lehaut
et du capitaine Zickel, les oasis qui se mouraient furent reconquises,
presque toutes furent dotées de fontaines nouvelles, et on avait
achevé une trentaine d’anciens puits ; en même temps, M. Jus
découvrait des nappes jaillissantes dans le Hodna, et deux oasis
nouvelles étaient créées dans le désert qui séparait Biskra
de l’Oued-Rir[102]. Rien n’était mieux de nature à frapper
l’esprit des indigènes et à nous encourager dans l’œuvre de
la pénétration saharienne.

Pour ceux qui, comme nous, mesurent l’importance d’une exploration
moins à la témérité de l’entreprise qu’aux résultats
effectivement obtenus, il convient de mentionner à cette place
les missions des géologues Ville et Pomel. Ces missions se relient
d’ailleurs à la question des sondages artésiens, puisque c’est
la géologie qui fait connaître dans quelle mesure les bienfaits
de la sonde peuvent être étendus au Sahara.

Dès 1862, Dubocq avait étudié la constitution géologique des
Ziban et de l’Oued-Rir, au point de vue des eaux artésiennes de
cette partie du Sahara[103]. De 1855 à 1863, Ville, ingénieur en
chef des mines, entreprit dans le Sud de la province d’Alger quatre
voyages, pour faire la géologie de ces contrées et rechercher des
eaux jaillissantes dans le bassin des Zahrez et sur la route d’Alger
à Laghouat[104]. En 1861, il reçut la mission d’étudier les
nappes artésiennes du Hodna, du Zab et de l’Oued-Rir, afin de
les comparer aux nappes artésiennes de la province d’Alger. Il
poussa jusqu’à Ouargla et revint par le Mzab. Il fit connaître
les résultats géologiques de ses explorations dans deux ouvrages
importants[105], qui formèrent la base de nos connaissances
jusqu’aux travaux de Pomel et de M. Rolland et qui sont encore
utiles à consulter aujourd’hui. Dans le second de ces ouvrages,
un chapitre, dû au lieutenant Cajard, commandant de l’escorte
qui ramena Ville d’Ouargla à Laghouat, traite de l’origine, des
mœurs, de la religion et de l’organisation politique des Mozabites.

Quant à Pomel, après avoir parcouru la région des Ksour avec le
commandant Dastugue, il eut la bonne fortune d’accompagner en
1862 le commandant Colonieu à Ouargla[106] ; il était attaché
à la colonne comme naturaliste, et eut même à lever le plan de
l’oasis[107]. Ce voyage d’exploration, par Géryville, Laghouat
et Metlili, lui procura d’importantes observations de tout ordre
qu’il devait utiliser plus tard (1872) dans sa publication sur
le Sahara.

Dans le but de développer ou de faire renaître, dans l’Est comme
dans l’Ouest, le commerce de caravanes, le Gouvernement général
résolut (1856) d’envoyer à Ghadamès le capitaine de spahis de
Bonnemain, avec la mission d’étudier la situation commerciale
de la ville et de démontrer aux autorités et aux principaux
commerçants tout l’intérêt qu’ils avaient à lier avec les
marchés sud-algériens des relations plus suivies. Profitant de la
présence d’une colonne dans le Souf, le capitaine de Bonnemain
partit d’El-Oued le 26 novembre 1856, avec une petite caravane de
gens du pays conduite par le cheikh Ahmed ben Touati. Sa route, toute
entière à travers les dunes, fut assez pénible. A son arrivée,
quoique recommandé par le pacha de Tripoli, il fut froidement
accueilli ; il réussit cependant dans une certaine mesure à
dissiper les défiances du _hakem_ (gouverneur), Osman-Bey, prévenu,
paraît-il, contre les Français par le consul anglais à Tripoli,
Dickson. Le capitaine de Bonnemain rapportait un itinéraire de son
voyage dans l’Erg et un mémoire sur le commerce de Ghadamès[108].

Après s’être rendu compte de l’accueil qui serait fait aux
caravanes algériennes à Ghadamès, il importait de savoir comment
elles seraient reçues plus au Sud, chez les Touareg Azdjer. Vers le
milieu de 1856, Cheikh Othman revint à Ouargla[109], et se chargea
de conduire une caravane composée de nos sujets indigènes, avec
leurs marchandises, jusqu’à la ville de Ghat. A trois jours de
marche de la ville, ils furent rejoints par El Hadj Ikhenoukhen, qui
entra avec eux à Ghat. La protection du cheikh et de l’amenokal se
montra efficace et réussit à calmer les habitants de Ghat, fort mal
disposés pour ces amis des Français. La caravane regagna Ouargla
au mois de Mars 1858, rapportant des présents pour le Gouverneur
de la part de quelques négociants de Ghat, entre autres d’un
Tunisien nommé Younès ben Sala, partisan des Français.

Au mois d’août de la même année, Cheikh Othman repartait
pour Ghat avec une caravane dont faisait partie un jeune indigène
algérien, Ismaïl Bou Derba, né d’un père musulman et d’une
mère chrétienne, ayant reçu une éducation toute française et
ayant dans l’armée le grade d’interprète militaire. Le choix
de Bou Derba était fort heureux. La caravane passa par Guerrara
et Ngoussa, laissant Ouargla un peu à l’Est, traversa l’Erg
jusqu’à El-Biodh et gagna Ghat par la route ordinaire, qui passe
par Temassinin et le lac Menghough. A Ghat, l’agitation à son
arrivée fut très grande, et il fut question de faire un mauvais
parti à l’envoyé du Gouverneur général. Cette fois encore,
le dévouement d’Othman et d’Ikhenoukhen réussit à rétablir
la tranquillité. Le retour à Laghouat s’effectua sans rencontre
fâcheuse. Les études de Bou Derba sur Ghat concordent avec celles
de Barth ; il avait en outre reconnu la route de Ouargla à Ghat
avec les points d’eau qui la jalonnent.

Ces résultats satisfaisants donnèrent un nouvel essor aux études
commencées et stimulèrent les explorateurs. Un jeune homme de
dix-huit ans, doué d’une rare énergie et de remarquables qualités
d’observateur, Henri Duveyrier, allait rapporter le premier travail
complet et sérieux sur le pays des Azdjer. « Il était[110] le fils
d’un Saint-Simonien de marque et l’élève de Barth. Son père,
disciple d’Enfantin, ami intime de Michel Chevalier, de Barrault,
de Péreire, de d’Eichtal, d’Urbain, de Félicien David, avait
embrasé son âme d’idées généreuses, et son maître lui avait
indiqué, comme le plus beau terrain d’apostolat scientifique,
son propre champ d’action, le Sahara central. Il y ajoutait de sa
personne un patriotisme élevé, que la conquête de l’Algérie
à peine achevée excitait au dévouement, et qui ne s’est jamais
démenti jusqu’à sa dernière heure. »

Duveyrier commença d’abord son exploration dans les limites
modestes d’un voyage privé, avec des ressources dues à
la libéralité de son père, d’Arlès-Dufour et d’Isaac
Péreire. Après un voyage d’essai qui, en 1857, le mena à
Laghouat, en compagnie de Mac-Carthy[111], il revint en Algérie le
8 mai 1859, et se rendit aussitôt à Biskra, ne redoutant qu’une
chose, écrivait-il à son père, que « soit par raison politique,
soit par défiance de mes forces, soit par un faux intérêt pour mon
sec individu, on me refuse la liberté d’aller plus loin[112]. »
Il n’en fut rien heureusement. Il put parcourir le Mzab, dont
il étudia à fond la constitution si curieuse, et s’avança par
Metlili jusqu’à El-Goléa[113]. Mais le fanatisme des habitants
du ksar arrêta ses projets ; il les stupéfia par sa témérité,
faisant tranquillement ses observations astronomiques sur la place,
malgré la population ameutée ; il fut retenu prisonnier trois jours,
et n’échappa à la mort qu’en revenant sur ses pas. Après une
deuxième excursion au Mzab, en novembre 1859, il partit de Biskra
le 1er février 1860, et visita successivement le Souf, Ouargla,
Touggourt, le Djerid tunisien et Gabès.

Ces voyages n’étaient pour Duveyrier que les préliminaires de
la grande exploration qu’il projetait de faire dans le Sahara
central, une préparation et un entraînement ; ils complétaient
ses connaissances techniques et son expérience des populations
africaines. Ils attirèrent sur lui l’attention du général de
Martimprey, qui obtint pour lui une mission officielle chez les
Touareg Azdjer, avec lesquels il devait, complétant la mission de
Bou Derba, nouer des relations amicales.

D’El-Oued, Duveyrier, accompagné de Cheikh Othman et de quelques
autres Touareg, se rendit d’abord à Ghadamès, où Ikhenoukhen
vint le rejoindre. Arrêté quelque temps dans cette ville par les
tracasseries des autorités turques, il n’en triompha qu’en
se rendant lui-même à Tripoli, d’où il revint muni de fortes
recommandations du pacha et du consul général de France, Botta. Il
put alors partir pour Ghat avec Cheikh Othman et Ikhenoukhen. Ce
dernier l’accompagna ensuite à Mourzouk où il le quitta pour
rentrer dans ses campements, tandis que Duveyrier, achevant son
voyage, aboutissait à Tripoli.

Duveyrier regagna aussitôt Alger, après un long voyage qui avait
duré près de trois ans. Mais une maladie terrible, une fièvre
typhoïde compliquée d’accidents pernicieux, ébranla si fort sa
santé et même sa mémoire, qu’il ne put rien ajouter aux notes
qu’il avait précédemment rédigées. Par bonheur, la carte
était gravée et le manuscrit en partie imprimé. Le concours du
docteur Warnier, qui avait soigné Duveyrier, permit de mettre le
volume sur pied. Ce volume, les _Touareg du Nord_[114] est dans les
mains de tous ceux qui s’occupent du Sahara. L’auteur s’est
effacé devant les faits qu’il rapporte ; il a proscrit de ce
compte rendu tout ce qui lui est personnel, tout ce qui n’est
que pittoresque, tout ce qui a trait aux obstacles rencontrés sur
la route, aux fatigues supportées, aux dangers courus[115]. Il a
préféré la forme d’un ouvrage méthodique à celle d’un récit
de voyage. L’œuvre est divisée en quatre livres : le premier
est consacré à la géographie physique, à la géologie et à la
minéralogie ; le second aux productions minérales, végétales et
animales ; le troisième, aux centres de rayonnement commerciaux
et religieux ; le quatrième traite des Touareg du Nord, de leurs
origines, de leur division en tribus, de leur constitution sociale,
de l’historique des tribus, de leurs caractères distinctifs, de
leur vie intérieure et extérieure[116]. La carte jointe au volume
comprend une partie positive et une partie hypothétique. La partie
positive est la réduction des itinéraires du voyageur ; la partie
hypothétique est basée sur des itinéraires par renseignements,
et sur le plan en relief des parties inexplorées du territoire
Touareg qu’à la prière du voyageur, Cheikh Othman fit pour lui
sur le sable. La carte de Duveyrier, à laquelle étaient empruntés,
jusqu’à ces dernières années, la plupart des renseignements
portés sur nos cartes pour le massif central, a été reconnue
très fidèle dans les parties où on a pu la vérifier, et la
mission Foureau-Lamy en a loué l’excellence.

Quant à l’ouvrage même, Duveyrier s’y révélait le digne
élève de Barth, élève bien inférieur au maître assurément,
mais le fait n’a pas lieu de surprendre, si l’on songe à son
extrême jeunesse. Il faisait connaître la véritable nature du
relief saharien et du massif central targui, pays très accidenté
et nullement plat comme on se l’imaginait ; il indiquait
le véritable caractère du climat saharien, avec ses extrêmes
brusques de température. Il a mérité cet éloge d’un juge
sévère, lui-même un des maîtres de la géographie moderne[117] :
« Henri Duveyrier a été le type accompli de l’explorateur
consciencieux et modeste. En voyage, il a fourni à lui seul, au
prix d’un labeur de tous les instants, autant de travail utile
que toute une mission scientifique ; et pourtant, nul n’a moins
que lui entretenu le public de sa personne, nul n’a fait à la
fois plus de besogne et moins de bruit. »

Les journaux de route de Duveyrier, c’est-à-dire les volumes de
notes d’où a été tiré le livre des _Touareg du Nord_, étaient
demeurés inédits : M. Ch. Maunoir s’était proposé de combler
cette lacune en faisant connaître un des principaux journaux, celui
du 13 janvier-15 septembre 1860. Son œuvre interrompue par la mort,
a été achevée par M. Henri Schirmer[118]. Dans ces notes, Duveyrier
se révèle plus vivant que dans le cadre sévère des _Touareg du
Nord_, plus personnel aussi que dans cette encyclopédie écrite
sous le contrôle d’un autre et où l’on risque de trouver
parfois l’écho d’une pensée qui n’est pas la sienne. Le
livre apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes, et
fait honneur aux savants qui l’ont fait connaître comme au grand
voyageur qui l’a écrit.

On a reproché à Duveyrier, non sans raison, d’avoir apprécié
avec trop d’optimisme le caractère des Touareg. Nul n’a
contribué plus que lui à propager sur leur compte d’étranges
illusions. A sa suite, « on les a dépeints généreux, hospitaliers,
pleins de droiture et de franchise, fidèles à leur parole, même
vis-à-vis d’un ennemi ; on s’est plu à les parer de toutes les
vertus chevaleresques, on leur a fait une auréole d’héroïsme
et de poésie[119]. »

Les vrais coupables sont ceux qui ont reproduit son témoignage
sans en faire la critique. Les généreuses illusions de Duveyrier
s’expliquent par les circonstances exceptionnellement favorables de
son exploration. A cette époque, les populations d’au-delà des
Areg ne nous craignaient ni ne nous haïssaient ; elles ne voyaient
en nous que les successeurs et les continuateurs des deys d’Alger,
dont l’autorité politique ne s’était jamais fait sentir de ce
côté. Elles étaient du reste rassurées par la présence entre
elles et nous de la principauté héréditaire des Ouled-Sidi-Cheikh,
et le Sahara n’était encore qu’un grand fief musulman, que notre
khalifa Si Hamza administrait à sa guise[120]. On s’explique
aussi les sentiments de gratitude, bien naturels chez Duveyrier,
pour le marabout d’une rare intelligence qui l’avait protégé
et guidé[121]. Enfin, comme on dit vulgairement, il prêtait ses
qualités aux autres : « Il était, dit Masqueray[122], doué
d’un tact très sûr et né pour se concilier les barbares. Il
était devenu l’hôte préféré du chef de guerre de ce peuple
sauvage. Le vieux Targui, âgé de près de 80 ans en 1860, et qui
mourut centenaire, s’était pris d’une sorte de tendresse pour
ce jeune homme imberbe qui osait pénétrer seul dans ces immenses
déserts, n’ayant pour armes qu’une politesse parfaite et un
mépris absolu de la mort. J’ai eu la bonne fortune de découvrir,
dans une lettre de Si Othman, l’impression qu’il avait produite
sur l’élément commerçant et maraboutique. Si Othman ne trouvait
qu’une chose à reprendre en lui, son extrême courage. Nous ne
savions, dit-il, comment faire pour le retenir. »

Le succès de Duveyrier devait-il rester à l’état isolé, ou
devait-il être le prélude d’une pénétration pacifique ? C’est
ce que l’avenir allait se charger de démontrer. Une belle vie,
a-t-on dit, est un rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr :
Duveyrier, qui avait vécu son rêve dans sa jeunesse, n’eut de
l’âge mûr qu’amertumes et déceptions. Condamné au repos
par les suites de son mal, bien que son intelligence fût redevenue
vigoureuse, il passa le reste de son existence à voir s’élever,
obstacles sur obstacles, la barrière qui nous sépara si longtemps
du Sud. Les bulletins de la Société de Géographie de Paris
témoignent qu’il n’avait pas cessé de s’intéresser aux
choses du Sahara et d’en parler avec compétence. Quoi qu’on en
ait dit, il se rendait parfaitement compte des changements survenus
depuis son exploration dans les conditions de pénétration chez
les Touareg[123]. Mais, « enseveli lentement[124] dans un passé
irrévocable, que de fois a-t-il dû se dire qu’il eût mieux valu
pour lui mourir à 25 ans dans la splendeur de sa jeune gloire,
quand aucune déception ne l’avait encore frappé ! Pour son
coup d’essai, il avait égalé ses devanciers les plus illustres,
et depuis il n’avait fait qu’assister à la ruine de son œuvre
comme au déclin de sa gloire. La fièvre avait été trop clémente
quand elle avait lâché prise sur son corps inutile après son
séjour chez les Azdjer. »

Pour profiter des résultats obtenus par le voyage de Duveyrier, on
avait songé d’abord à envoyer de nouveau une caravane indigène
à Ghat et même à Kano, sous la conduite de Cheikh Othman,
puis à installer à Ghadamès un agent consulaire, français
ou indigène ; ce dernier projet émanait de Léon Roches. Les
lettres d’Ikhenoukhen au général de Martimprey et au général
Pélissier témoignaient d’ailleurs des meilleures dispositions :
« Quiconque de chez vous viendra ici ne rencontrera que le bien,
la paix et la plus grande sécurité, soit actuellement, soit dans
l’avenir. Dieu soit loué, notre main s’étend jusqu’au
Soudan[125]. » Cheikh Othman, à la même époque, vint en
France et fut présenté à l’Empereur. On résolut de signer
directement un traité d’amitié et de commerce avec Ikhenoukhen,
et Ghadamès fut choisi comme lieu de l’entrevue[126]. Une mission,
placée sous la direction du commandant Mircher, et dont faisaient
partie le capitaine d’état-major de Polignac et l’ingénieur
des mines Vatonne, partit de Tripoli pour Ghadamès et y signa un
traité par lequel les Adzjer « s’engageaient à faciliter et à
protéger à travers leur pays et jusqu’au Soudan le passage des
négociants français ou indigènes algériens. » Ikhenoukhen et
les autres chefs auxquels on avait donné rendez-vous ne vinrent
pas ; la mission les attendit en vain ; seul, El Hadj, frère de
l’amenokal, et le Cheikh Othman, avec un chef des Imanghasaten,
signèrent la convention, le 26 novembre 1862. La mission Mircher
rentra à El Oued par Bir-Ghardaïa, route déjà suivie en 1857
par le capitaine de Bonnemain. Elle rapportait[127] diverses études
sur les régions traversées, notamment des travaux géologiques et
hydrologiques de Vatonne, des observations médicales recueillies par
le docteur Hoffmann, divers renseignements sur l’état politique
et social du Soudan, enfin une notice très complète sur Ghadamès,
avec un plan exact de la ville et de l’oasis.

Quelle était exactement la valeur de ce traité de Ghadamès ? On a
beaucoup discuté sur ce point. Dès le moment où il fut signé, on
émit des doutes sur sa portée. On lit dans un rapport du lieutenant
Villot, adjoint au bureau arabe de Géryville, du 17 décembre 1862 :
« Aucun chef touareg n’est assez puissant pour garantir la
traversée du Sahara à quelque prix que ce soit. Gens misérables,
vivant sur un sol misérable, disséminés sur des espaces immenses,
les Touareg ne reconnaissent aucun chef, si ce n’est les plus
habiles à conduire les razzia ». La franchise de ce rapport valut
au lieutenant Villot un blâme énergique de ses supérieurs.

On fit remarquer aussi que le traité avait été signé avec des
chefs qui n’apportaient en fait de pouvoirs que des assurances
verbales[128] et qu’on peut avoir quelques doutes sur un accord
conclu « au nom de la nation Touareg » par deux personnages
secondaires, alors que les chefs influents ne daignaient ni se
montrer ni répondre. Le ministre Rouher s’avançait beaucoup
lorsqu’il assurait que ce traité donnait une entière sécurité
aux caravanes françaises et algériennes[129]. En admettant même
qu’Ikhenoukhen se crût engagé par la convention, « au Sahara,
la parole d’un chef n’engage que lui-même et il n’est pas
de nation Touareg avec laquelle on puisse traiter[130]. Au reste,
ce chef, « dont la main s’étend jusqu’au Soudan », n’a
pu, appuyé par presque toutes les tribus, obtenir d’un petit
groupe de guerriers la restitution de chameaux pris à une tribu
alliée[131]. Enfin le véritable sens de ce traité, s’il en a un,
est qu’Ikhenoukhen se réserve le bénéfice éventuel du passage
des caravanes françaises. Au Sahara, le droit de _protéger_,
c’est-à-dire de recevoir d’un étranger le prix du passage,
se dispute avec la plus grande âpreté[132]. D’ailleurs, nous
savons aujourd’hui ce que valent ces traités signés avec des
roitelets africains, noirs ou blancs ; ils n’ont d’intérêt
qu’en tant qu’opposables à d’autres puissances européennes.

Ceux qui croient à la valeur du traité de Ghadamès répondent
qu’on n’a rien fait, du moins au début, pour en tirer parti.
« Il fallait, dit Masqueray[133], tenter d’établir un commerce
régulier avec les féaux d’Ikhenoukhen et de Si Othman. Les
bonnes relations avec les Azdjer nous ouvraient sans combat les
deux tiers du Sahara. On pouvait, grâce à leur exemple et par leur
intermédiaire, se concilier les Touareg de l’Aïr, leurs voisins ;
des négociations de même sorte avec les Ahaggar et les Aouelimmiden
auraient pu suivre. En somme, dès 1862, la solution du problème
de la jonction de l’Algérie au Tchad et au Niger était sûre,
sinon proche encore. Rien de tout cela ne fut tenté. Les Touareg,
n’entendant plus parler de la France, la dédaignèrent. Nos
adversaires leur apprirent à la braver. » Ces paroles contiennent
une grande part d’exagération et d’optimisme ; il faut convenir
cependant que, par suite d’une série d’événements, le traité
de Ghadamès se trouva rélégué dans les archives ; quand on voulut
l’en tirer il était trop tard : il y avait prescription.


                                   *
                                  * *


Résumons, comme nous l’avons fait pour l’époque précédente,
les résultats obtenus pendant la période 1852-1864, au triple
point de vue de l’occupation, de l’exploration et du commerce.

L’occupation française, ou tout au moins l’influence française,
règne désormais sur presque tout le pays situé au nord des Areg,
notamment sur les points importants de Laghouat, Ghardaïa, Ouargla
et Touggourt. Ce sont des limites qu’elle ne devait pas dépasser
sensiblement jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Au point de vue de l’exploration, les travaux de Colomb, de Colonieu
et Burin, de Rohlfs, ont fourni des données, encore incomplètes,
sur la région oranaise et le bassin de l’Oued Saoura. Les
voyages de Bonnemain et Bou-Derba, surtout la belle exploration
de Duveyrier, suivie de la mission Mircher, ont fait connaître le
pays des Touareg Ahaggar par renseignements, le Tassili des Azdjer,
les routes de Ghadamès et Ghat au Souf et à la Tripolitaine. La
carte de Duveyrier est le plus important document graphique pour le
Sahara central. D’autre part, le Dépôt de la guerre a publié
en 1855 une première carte du Sud-Oranais à 1/400.000e en noir,
qui a longtemps servi pour la partie méridionale de cette province,
et en 1861 une carte du Sahara oriental (région de l’Oued-Rir),
également à 1/400.000e.

Au point de vue économique, de merveilleux résultats ont été
obtenus par les sondages de l’Oued-Rir. En revanche, toutes les
tentatives de commerce transsaharien avec le Soudan et même de
commerce saharien sont restées sans efficacité. Elles reposaient
d’ailleurs sur une connaissance imparfaite des données du
problème. Du côté de l’Ouest, la tentative de Colonieu et
Burin n’a servi qu’à aviver le fanatisme des Touatiens ;
l’échec a été complet. Du côté de l’Est, les résultats,
sans être mauvais, n’ont pas été aussi brillants qu’on l’a
prétendu. Il faut remarquer que Duveyrier n’a réussi à entrer
à Ghat que sur la recommandation des Turcs de Tripoli. Quant au
traité de Ghadamès, sa portée est très contestable. La bonne
volonté d’Ikhenoukhen n’est pas certaine, et en l’admettant
même, son efficacité reste douteuse.

Peut-être cependant eût-il été possible de tirer parti de la
situation, à condition de le faire immédiatement. Il fallait agir
au Touat par les armes aussitôt après l’expédition Colonieu et
éprouver le traité de Ghadamès en envoyant des caravanes dans
la direction de l’Aïr. La puissance des Européens au Sahara,
comme aux colonies en général, est surtout une puissance morale,
une puissance d’opinion : avant qu’on n’y eût laissé
porter de graves et nombreuses atteintes, peut-être eût-on
réussi à faire brèche, en quelque sorte par surprise, dans le
monde saharien. Mais on le laissa se ressaisir, et les tentatives
faites n’eurent d’autre résultat que de jeter les Sahariens
dans les bras des Turcs à l’Est, du Maroc à l’Ouest[134]. Le
Sahara, un instant entr’ouvert sur les pas de Duveyrier, s’est
refermé : l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh, puis la guerre
franco-allemande de 1870, enfin le massacre de la mission Flatters
ont tout arrêté, et on peut dire que nous en étions restés,
jusqu’aux environs de l’année 1900, au même point qu’en 1864.

Enfin les conditions de la pénétration saharienne se sont trouvées
modifiées, vers la même époque, par d’autres facteurs étrangers
à l’Algérie. Le gouvernement de Faidherbe au Sénégal (1856-1862)
est contemporain de celui de Randon en Algérie. Comme Randon, il
cherche systématiquement l’expansion de la colonie ; dès 1863,
il indique à Mage et Quintin que leur mission est de préparer la
jonction des établissements du Sénégal avec le Niger ; grâce à
lui, un obscur comptoir est devenu le point de départ d’un grand
empire. C’est alors qu’a commencé l’expansion de la France dans
l’Afrique occidentale, qui s’est poursuivie avec de si brillants
résultats jusqu’à aujourd’hui. L’ouverture des voies de la
côte ne pouvait manquer d’influer sur le commerce transsaharien :
« Cheikh Othman me fait remarquer, écrivait Duveyrier[135], que
les convois d’or entre In-Salah et Ghadamès sont moins fréquents
depuis que M. le gouverneur Faidherbe a donné aux routes du Sénégal
une sécurité qu’elles n’avaient jamais connue jusque là,
et il craint que la concurrence de nos possessions sénégaliennes
n’achève de priver les routes du Nord de ce riche produit. »

                               * * * * *


[Note 48 : C. ROUSSET, _La Conquête de l’Algérie_, in-8o, Paris,
1889, II, p. 373. Cf. A. RASTOUL, _Le général Randon_, in-8o,
Paris, 1890. RANDON, _Mémoires_, 2 vol. in-8o, Paris, 1875-77.]

[Note 49 : PAUL VUILLOT, _L’Exploration du Sahara, étude historique
et géographique_, gr. in-8o, Paris, 1895, p. 41.]

[Note 50 : Gal-LIEUt VON SCHUBERT, _Heinrich Barth der Bahnbrecher
der deutschen Afrikaforschung_, in-8o, Berlin, 1897. C’est une
biographie intime d’après des papiers de famille. Cf. une notice
de Duveyrier sur Barth dans la _Revue contemporaine_ du 28 février
1866. Barth n’a pas encore été l’objet d’une biographie
digne de lui.]

[Note 51 : 4 vol. in-8o, Alger, 1852, publiés par ordre du Ministre
de la Guerre.]

[Note 52 : HANOTEAU, chef de bataillon du génie, _Essai de grammaire
de la langue tamachek_, Paris, Impr. imp., 1860. Les plus anciens
travaux sur la langue des Touareg sont ceux de Judas, _Note sur
l’alphabet berbère usité chez les Touareg_, _Journ. asiat._,
mai 1847 ; F. DE SAULCY, _Observations sur l’alphabet tifinag_,
Paris 1849 ; RICHARDSON, _Vocabulaire arabe, Ghadamès et Touareg_,
Londres, in-fol. 1846 ; l’abbé BARGÉS (_Rev. algér. et col._
1853, p. 72). Voir aussi _Revue de l’Orient_, 1857, tome V, p. 333,
tome VI, p. 25, 162 et 224.]

[Note 53 : DUVEYRIER, _Les Touareg du Nord_, in-8o, Paris, 1864,
p. 388.]

[Note 54 : MANGIN, _Notes sur l’histoire de Laghouat_ (_Revue
Africaine_, 1894 et 1895). Voir notamment les raisons données par
le général Pélissier en faveur de l’occupation définitive de
Laghouat (_Revue Africaine_, 1895, p. 8).]

[Note 55 : Dr CH. AMAT, _Le Mzab et les Mzabites_, in-8o, Paris,
1888, p. 20.]

[Note 56 : _Documents_, II, p. 809. Cf. les portraits de Si Hamza
donnés par le colonel TRUMELET, _Les Français dans le Désert_,
p. 96 ; _L’Algérie légendaire_, p. 153 et par F. GOURGEOT,
_Situation politique de l’Algérie_, p. 11.]

[Note 57 : _Documents_, II, préface, p. X.]

[Note 58 : C’est, semble-t-il, une exagération de VUILLOT (p. 48).]

[Note 59 : TRUMELET, _Les Français dans le Désert_, in-8o, Paris,
1862. Cet ouvrage est un récit de l’expédition d’Ouargla, à
laquelle l’auteur avait pris part. Cf. E. MANGIN, _Revue Africaine_,
1895, p. 19-23.]

[Note 60 : RANDON, _Mémoires_, I, p. 251. Cf. DEPONT et COPPOLANI,
_Les Confréries religieuses musulmanes_, in-8o, Alger, 1897,
p. 272, note.]

[Note 61 : A. LE CHATELIER, _L’Islam au Soudan_, in-8o, Paris,
1899, p. 167.]

[Note 62 : Voir le portrait qu’en fait DUVEYRIER (_Touareg du Nord_,
p. 363).

Rohlfs a porté sur son compte un jugement tout différent.]

[Note 63 : DUVEYRIER (_Touareg du Nord_, p. 352) a également tracé
un portrait d’Ikhenoukhen.]

[Note 64 : RANDON, _Mémoires_, I. p. 447.]

[Note 65 : Comte H. DE SANVITALE, _Tribus du Sahara Algérien_
(_Revue de l’Orient_, mars 1854).]

[Note 66 : Les documents qu’on utilisait étaient, outre ceux de
l’époque précédente, Ibn Khaldoun, Barth qu’on lisait dans
l’édition anglaise, et des renseignements recueillis auprès de
nègres habitant l’Algérie, peut-être avec une méthode moins
sûre que celle de DAUMAS. (V. _Résultats_, etc., p. 10.)]

[Note 67 : H. DASTUGUE, _Quelques mots au sujet de Tafilet et
de Sidjilmassa_ (_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1867, p. 337, avec
cartes). ID., _Hauts-Plateaux et Sahara de l’Algérie Occidentale_
(_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1874, p. 113 et 239).]

[Note 68 : _Résultats_, etc., p. 3.]

[Note 69 : E. CAT, _Biographies Algériennes : Mac-Carthy_
(_L’Algérie Nouvelle_, 1898, p. 91).]

[Note 70 : C’était un aventurier, écrivait BOTTA, consul de France
à Tripoli, dans une lettre inédite à DUVEYRIER. (Renseignement
communiqué par M. MAUNOIR.)]

[Note 71 : DUVEYRIER, _Historique_, etc., p. 229. Cf. la biographie
du Général de Colomb, mort en 1902, dans _Bull. Afr. Fr._, 1902,
p. 431.]

[Note 72 : DE COLOMB, _Exploration des ksours et du Sahara_, in-8o,
Alger, 1858, p. 10.]

[Note 73 : L. DE COLOMB, _Exploration des ksours et du Sahara de la
province d’Oran_, avec une carte de l’itinéraire par M. DE LA
FERRONAYS, Alger, Impr. du Gouvernement, 1858.]

[Note 74 : Voir notamment p. 57 et suivantes.]

[Note 75 : P. 36.]

[Note 76 : Il y a une autre Daïa-el-Habessa dans l’Oued-Mya au
sujet de laquelle on raconte la même chose (_Documents relatifs à
la mission Flatters_, in-4o, Paris, 1884, p. 283).]

[Note 77 : P. MARÈS, _Note sur la constitution générale du
Sahara dans le sud de la province d’Oran_ (_Bull. Soc. Géol. de
France_, 1857, p. 524). Cf. _Bull. Soc. Géol. de France_,
1864, p. 686. _C. R. Ac. Sc._, 1857, tome XLV, p. 26 et
_Ann. Soc. Météorol. de France_, 1857, p. 172 ; 1859, p. 222 ;
1860, p. 34 ; 1864, p. 174.]

[Note 78 : DUVEYRIER, _Historique_, etc., p. 234-235.]

[Note 79 : L. DE COLOMB, _Notice sur les oasis du Sahara et les
routes qui y conduisent_ (extrait de la _Revue Algérienne et
Coloniale_, 1860). Il existe de DE COLOMB une carte des oasis du
Touat à 1/1.600.000 et une autre à 1/400.000 gravée au Dépôt
de la Guerre (toutes deux de 1860). Cf. _Documents_, IV, p. 583.]

[Note 80 : H. SIMON (capitaine), _Trois rapports du lieutenant-colonel
de Colomb sur la question du commerce transsaharien_
(_Bull. Soc. Géogr. d’Oran_, 1905, p. 167 et suiv.).]

[Note 81 : A. CHERBONNEAU, _Itinéraire descriptif de Touggourt
à Tombouctou et aux Monts de la Lune_ (_Ann. Soc. Archéol. de
Constantine_, 1853, p. 91 ; _Revue Alg. et Col._, 1857, t. V, p. 224
(t. à p. 1860).]

[Note 82 : Dr A. MAURIN, _Les Caravanes françaises au Soudan_,
in-8o, Paris, 1863.]

[Note 83 : Lettre du maréchal RANDON au Général commandant la
division d’Oran, du 26 juin 1858.]

[Note 84 : 14 juillet 1858.]

[Note 85 : Sans doute parce qu’on ne le savait pas exactement.]

[Note 86 : V. la biographie du général Colonieu, mort en 1902,
dans _Bull. Afr. fr._, 1902, p. 371.]

[Note 87 : DUVEYRIER, _Historique_, etc., p. 236.]

[Note 88 : COLONIEU (commandant), _Voyage au Gourara et à
l’Aouguerout_. (_Bull. Soc. Géogr. de Paris_, 1892, p. 51 ; 1893,
p. 53 ; 1894, p. 430), avec carte dressée par Duveyrier, en 1864.]

[Note 89 : VUILLOT, _L’Exploration du Sahara_, p. 73. — SCHIRMER,
_Le Sahara_, in-8o, Paris, 1893, p. 380.]

[Note 90 : _Résultats obtenus_, etc., p. 11.]

[Note 91 : VUILLOT, p. 71.]

[Note 92 : _Id._ p. 72.]

[Note 93 : _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1894, p. 457.]

[Note 94 : DUVEYRIER, _Historique_, etc., p. 240.]

[Note 95 : Voir notamment _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1893, p. 94 ;
1894, p. 430 et suivantes.]

[Note 96 : _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1894, p. 431.]

[Note 97 : Les Ksouriens, pas plus que Si Hamza, ne se rendaient
bien compte de ce qui nous poussait à pénétrer dans ces régions
désolées et à vouloir y créer des relations commerciales.]

[Note 98 : MANGIN, _Revue Africaine_, 1895, p. 29.]

[Note 99 : Ce sont ces événements qui ont été racontés et
dramatisés par le romancier Hugues Le Roux (_L’Épopée du
Sud. — Gens de poudre_). Il a fait revivre les intéressantes
figures du Basque Séroka, chef du bureau arabe de Biskra, et du
Corse Carbuccia, commandant la légion.]

[Note 100 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 422.]

[Note 101 : _Id._, _Ibid._, p. 423.]

[Note 102 : JUS, _Les forages artésiens de la province de
Constantine_, Constantine, 1870, p. 8 et suiv. — _Rapport du
colonel Séroka_ (_Rev. Alg. et Col._, 1859, p. 339). — _Rapport du
lieutenant Rose_ (_Ibid._, p. 17). — VILLE, _Voyage d’exploration
dans les bassins du Hodna et du Sahara_, p. 345-417.]

[Note 103 : _Annales des Mines_, 1852.]

[Note 104 : VILLE, _Notice sur les sondages exécutés pendant les
années 1859 à 1862 dans le territoire militaire de la province
d’Alger_ (_Ann. des Mines_, 1864).]

[Note 105 : VILLE, _Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna
et du Sahara_, Paris, Impr. imp., 1868. Id., _Exploration géologique
du Beni-Mzab, du Sahara et de la région des steppes de la province
d’Alger_, Paris, Imp. nat., 1872.]

[Note 106 : COLONIEU, _Voyage dans le Sahara Algérien de Géryville
à Ouargla_ (_Tour du Monde_, 1863, p. 161).]

[Note 107 : E. FICHEUR, _Notice Biographique sur A. Pomel_
(_Bull. Soc. Géolog. de France_, 1899, p. 191).]

[Note 108 : CHERBONNEAU, _Relation du voyage de M. le Capitaine de
Bonnemain à R’damès_, Paris, 1857, in-8o.]

[Note 109 : _Résultats, etc._, p. 7. — Cf. RANDON, _Mémoires_,
I, p. 453.]

[Note 110 : E. MASQUERAY, _Journal des Débats_, 14 mai 1892. —
HENRI DUVEYRIER, _Journal de Route_, publié et annoté par
CH. MAUNOIR et H. SCHIRMER, précédé d’une biographie de
H. DUVEYRIER par CH. MAUNOIR, in-8o, Paris, A. Challamel, 1905.]

[Note 111 : H. DUVEYRIER, _Journal d’un voyage dans la province
d’Alger_, p. p. CH. MAUNOIR, in-8o, Paris, 1900 (non mis dans
le commerce).]

[Note 112 : Cité par Vuillot, p. 60.]

[Note 113 : _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1859, p. 217 et _Revue
Alg. et Col._, 1860, tome II.]

[Note 114 : DUVEYRIER, _Les Touareg du Nord_, in-8o, Paris, 1864.]

[Note 115 : H. SCHIRMER, _Henri Duveyrier_ (_Ann. de Géogr._,
1891-92, p. 415).]

[Note 116 : DUVEYRIER, Introduction, p. XII.]

[Note 117 : H. SCHIRMER, _Duveyrier_ (_Ann. de Géogr._, 1891-92,
p. 416).]

[Note 118 : HENRI DUVEYRIER, _Journal de Route_, publié et annoté
par CH. MAUNOIR et H. SCHIRMER, in-8o, Paris, 1905.]

[Note 119 : H. SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 278 et 281.]

[Note 120 : L. RINN, _Nos Frontières Sahariennes_, in-8o, Alger,
1886, p. 32.]

[Note 121 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 381.]

[Note 122 : _Journal des Débats_, art. cité.]

[Note 123 : HENRI WOLFF (Commandant), _Duveyrier ; son dernier projet
de voyage dans le Sahara_ (_Congr. nat. de Géogr. de Marseille_,
1898, p. 490).]

[Note 124 : MASQUERAY, art. cité.]

[Note 125 : _Résultats_, etc., p. 13.]

[Note 126 : VUILLOT, p. 77.]

[Note 127 : _Mission de Ghadamès_, in-8o, Alger, 1862.]

[Note 128 : _Mission de Ghadamès_, p. 121.]

[Note 129 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 382.]

[Note 130 : SCHIRMER, _Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts_
(Extr. du _Bull. de la Soc. de Géogr. de Lyon_, 1896, p. 20).]

[Note 131 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 271.]

[Note 132 : SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 15-16.]

[Note 133 : _Journal des Débats_, 14 mai 1892.]

[Note 134 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 390 et 391.]

[Note 135 : DUVEYRIER, _Les Touareg du Nord_, p. 360. Cf. MARCEL
DUBOIS et A. TERRIER, _Un Siècle d’Expansion Coloniale_, 8o,
Paris, 1901, notamment p. 280 et 658.]




                             CHAPITRE III

                 LA PÉRIODE DE STAGNATION (1864-1879)

L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh. — La guerre franco-allemande
de 1870. — Colonnes du Sud-Ouest : de Colomb, Colonieu ; expédition
du général de Wimpffen dans l’Oued-Guir. — Colonnes du centre :
de Lacroix, de Galiffet. — Les explorations : Dournaux-Dupéré et
Joubert (1873-74). — Soleillet (1874). — Largeau (1875-77). —
Louis Say (1876-77). — Les missionnaires du cardinal Lavigerie :
les Pères Paulmier, Ménoret et Bouchard (1875-76) ; les Pères
Richard et Kermabon (1879). — Colonisation de l’Oued-Rir. —
La mer intérieure : mission Roudaire (1876). — _Le Sahara_ de
Pomel. — Masqueray au Mzab. — Conclusion.


La date de 1864 marque une coupure profonde dans l’histoire
des explorations sahariennes. Jusque-là, la pénétration avait
suivi une marche régulière et normale. Nous n’avons eu garde
d’exagérer les résultats des explorations de Duveyrier et de
Rohlfs, non plus que du traité de Ghadamès. Cependant c’étaient
là des faits d’une importance indéniable. En 1864 survient un
arrêt prolongé ; une suite de circonstances malheureuses, que
nous indiquerons successivement, interrompt la marche en avant :
elle n’a été reprise que tout récemment, malgré quelques
efforts trop passagers et souvent malheureux. L’esprit de suite,
la confiance en soi, l’exacte compréhension des conditions
physiques et économiques nous ont presque toujours fait défaut et
ont paralysé notre politique.

La grande insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh est le premier de ces
fâcheux événements qui ont arrêté la pénétration au sud de
l’Algérie. Si Hamza mourut subitement à Alger le 21 août 1861,
probablement empoisonné à l’instigation du parti intransigeant
de la famille, qui ne pardonnait pas au marabout sa soumission à la
France[136]. Son fils Si Sliman, nommé bach-agha, ne sut pas comme
son père résister aux sollicitations de son entourage. Poussé
par son oncle Si Lala, il fit défection et souleva contre nous les
populations de son commandement[137]. La révolte des fils de Si
Hamza et du Sud-Oranais, commencée en 1864 par l’anéantissement
à Aouinet-bou-Beker de la petite colonne du colonel Beauprêtre,
devait durer près de vingt ans (1864-1883). « La longue durée
de cette rébellion surprend au premier abord. Il en faut sans
nul doute chercher la cause dans le dévouement des populations du
Sud-Oranais envers leurs chefs religieux, dans la nature du pays, dans
la difficulté des communications, et aussi dans les événements de
1870, qui vinrent se jeter à la traverse de toute action vigoureuse
dans ces contrées lointaines[138]. » Il faut aussi tenir compte de
l’ignorance où l’on était trop souvent à Paris des véritables
données du problème, des tiraillements entre Alger et Paris et des
incertitudes qui en résultaient. Enfin, « pour prolonger la lutte,
les Ouled-Sidi-Cheikh avaient, au-delà et en dehors du rayon de notre
influence, des points d’appui et des asiles, des partisans et des
moyens de ravitaillement dans les oasis de l’Extrême Sud. Par là,
ils étaient pour ainsi dire insaisissables, et ils nous le firent
bien connaître[139]. » Toujours vaincus et semblant chaque fois à
la veille d’un anéantissement complet[140], les Ouled-Sidi-Cheikh
reparaissaient bientôt à la tête de nouvelles forces, lançant
à l’improviste les bandes de pillards à leur dévotion sur
nos administrés, trouvant des auxiliaires non seulement parmi les
quelques dissidents de nos tribus restés attachés à leur fortune,
mais encore parmi ces turbulents nomades marocains qui ont leurs
parcours au sud-ouest de l’Algérie.

C’est de ce côté qu’il fallait agir, comme nous y autorisait
d’ailleurs le traité de 1845, et qu’on agit en effet. En 1865,
le colonel de Colomb[141], après un repos de cinq ans, poursuivit
ses expéditions antérieures dans le Sud-Ouest. En avril 1866,
il vint camper à El-Ardja, à 2 kilomètres des ksour de Figuig,
mais sans qu’il lui fût permis de s’attaquer à ce foyer de
désordre. En 1867, le général Deligny[142] proposa au Gouverneur
général, le maréchal de Mac-Mahon, de diriger une expédition
contre Figuig. Il montrait que l’apparition d’une force imposante
devant Figuig aurait un immense retentissement dans toute la zone
saharienne, aussi bien celle dépendant de l’Algérie que celle
relevant du Maroc : « Dans ma conviction, disait-il, l’opération
est très bonne, sera fructueuse en résultats et pourra clore pour
des années l’ère des insurrections. Dans aucun cas, elle ne
saurait rien présenter de dangereux et de compromettant[143]. »
Mais cette manière de voir ne fut pas adoptée par le Gouvernement.

Cependant les nécessités de la lutte avec les rebelles amenèrent
encore une fois sous les murs de Figuig le colonel Colonieu, en
avril 1868[144]. Ce fut la dernière expédition jusqu’à celle
du général de Wimpffen en 1870.

Le général de Wimpffen ne fut autorisé à entreprendre son
expédition de l’Oued-Guir, rendue nécessaire par une situation
menaçante, qu’à la condition expresse de ne point s’attaquer
à Figuig et de ne pas même s’en approcher. En ne lui laissant
pas toute latitude, on empêcha sa colonne d’avoir tous les
résultats qu’on en pouvait attendre. Les conséquences furent
néanmoins importantes, tant au point de vue géographique qu’au
point de vue politique[145]. L’expédition de l’Oued-Guir
imprima aux turbulentes populations du Sud-Ouest une haute idée de
notre puissance, en enlevant aux Ouled-Sidi-Cheikh la plus grande
partie de leurs moyens d’action ; elle maintint dans le devoir
les tribus hésitantes ; surtout, c’est grâce à elle que la
guerre franco-allemande de 1870 et l’insurrection algérienne de
1871 n’eurent pas leur contre-coup dans le Sud-Oranais, dont la
tranquillité ne fut pas troublée[146]. Deux succès remportés
à Benoud (1871) et à Nefich (1874) sur les Ouled-Sidi-Cheikh
achevèrent la défaite des dissidents.

En Algérie comme dans le monde entier, la guerre de 1870 nous imposa
une période de réserve pendant laquelle nous dûmes en quelque sorte
nous replier sur nous-mêmes, pour guérir nos blessures et attendre
le retour de nos forces. Cependant l’insurrection de 1871 avait
rendu une intervention nécessaire dans la région du Sud-Est. En
1866, à la suite de l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh,
l’aghalik d’Ouargla avait été rattaché à la province
de Constantine et placé sous le commandement d’un grand chef
indigène, le caïd Ali Bey ben Ferhat, qui commandait en même temps
l’Oued-Rir et le Souf et s’installa à Touggourt. Il se montra
insuffisant, et son action maladroite amena en mai 1871 le massacre
de la garnison et d’une partie de sa propre famille par le faux
chérif Bou-Choucha[147]. Peu de temps après (décembre-janvier
1871), Touggourt et Ouargla étaient réoccupés par le général
de Lacroix ; le lieutenant-colonel Gaume et le commandant Rose
poursuivirent quelques révoltés jusqu’à Aïn-Taïba, à la
limite du grand Erg[148]. L’année suivante (janvier 1873), la
colonne du général de Galiffet[149], forte de 700 hommes environ,
se dirigeait sur El-Goléa par la route de l’Ouest, qui passe
par Hassi-el-Hadjar, Hassi-Berghaoui, Hassi-el-Zirara. Arrivée à
El-Goléa le 24 janvier, elle trouvait l’oasis évacuée par les
habitants, qui avaient seulement laissé quelques nègres à la garde
des maisons. Le 1er février, le général de Galiffet reprenait le
chemin d’Ouargla qu’il atteignait par la route directe en sept
jours[150]. Cette petite expédition eût dû avoir pour conséquence
immédiate l’occupation du Touat et du Tidikelt, qui s’attendaient
à nous voir continuer notre marche en avant et nous envoyaient des
protestations d’amitié. Malheureusement, ce fut un effort sans
lendemain. Ne pas dépasser Ouargla était une politique, occuper le
Touat en était une autre ; nous n’avons su nous arrêter à aucune
de ces deux solutions, et nos hésitations ont duré vingt-cinq ans.


                                   *
                                  * *


Dans les conditions nouvelles où se trouvait l’arrière-pays
de nos possessions algériennes par suite de l’insurrection
algérienne et de la guerre de 1870, l’exploration individuelle
ne pouvait guère être fructueuse. Aussi les tentatives isolées
faites pendant cette période, le plus souvent sans l’aveu ou
contre le gré du Gouvernement, n’ont-elles guère donné de
résultats, pas plus pour la géographie que pour la pénétration
économique ou commerciale. Les rares explorateurs sahariens de cette
époque sont d’ailleurs, pour la plupart, des hommes sans culture
et sans préparation, incapables de voir et d’observer, pleins
d’ignorance et de présomption. Nous sommes loin des espérances
qu’avaient fait concevoir les Duveyrier et les de Colomb. Au point
de vue scientifique comme au point de vue politique, nous entrons
dans une période d’effacement et de stagnation.

En 1874, Dournaux-Dupéré, ancien commis de marine, ancien
instituteur à Frenda, accompagné de deux négociants, l’un
Français, Joubert, l’autre originaire du Souf, projetèrent
de gagner le Niger par l’Ahaggar, mais, modifiant leurs
plans primitifs, ils voulurent auparavant s’assurer l’appui
d’Ikhenoukhen. C’était en somme faire l’épreuve de la valeur
réelle du traité de Ghadamès[151]. Dans ce but ils se rendirent
d’abord à Ghadamès, pour de là gagner Ghat : « Les Touareg
que j’ai vus ici, écrivait Dournaux-Dupéré à Duveyrier,
se souviennent parfaitement du traité et s’en félicitent ;
le moment est des plus favorables à une reprise sérieuse des
relations avec eux[152]. » Cependant, quelques jours plus tard,
les trois voyageurs étaient assassinés au sud de l’Oued Ohanet,
à l’instigation, dit-on, des négociants de Ghadamès, jaloux
de voir les Français s’engager sur les routes suivies par leurs
caravanes. D’après le récit fait par un chef targui de Ghat
à l’explorateur allemand Erwin de Bary, les Ifoghas et les
Imanghasaten n’auraient pas été étrangers au meurtre[153].

La même année, un voyageur de commerce, Paul Soleillet, qui avait
déjà visité le Sud-Algérien et le Mzab, se propose, comme tant
d’autres avant et après lui, de réunir l’Algérie au Sénégal
par Tombouctou. Il était chargé par la Chambre de Commerce d’Alger
de « reconnaître la route d’Alger à l’oasis d’In-Salah par
Laghouat, le Mzab et El-Goléa ; de présenter aux populations du
Sahara central des échantillons de nos produits manufacturés et
de tâcher de ramener avec lui, à son retour, des négociants du
Sahara central, porteurs de quelques marchandises du désert et du
Soudan ». Une pareille mission, comme l’événement le démontra,
n’avait aucune chance de succès. Quittant El-Goléa, accompagné
de quatre indigènes seulement, il se dirigea rapidement sur In-Salah ;
arrêté au ksar le plus septentrional de ce district, celui de
Miliana, il reçut l’ordre de sortir immédiatement de l’oasis ;
il demanda une réponse aux lettres de la Chambre de Commerce et de
l’agha de Touggourt, on ne voulut même pas les ouvrir ; menacé
de mort, il dut remonter sur son mehari à onze heures, le même
soir[154]. Son voyage n’avait eu aucune espèce de résultat
« M. Soleillet, écrivait très justement M. Duponchel[155],
voit plutôt le fait du voyage en lui-même que l’utilité des
renseignements qu’il pourrait en rapporter. Ne s’imposant
d’autre tâche que de nous tenir au courant de ses moindres
incidents de route, il croit fort inutile de porter son attention
ou d’appeler la nôtre au-delà. » Son rapport à la Chambre
de Commerce[156] témoigne qu’il était presque sans culture ;
aucune route, aucun croquis d’itinéraire ne permet de suivre sa
marche, et les observations d’orientation qu’il a faites sont
si défectueuses, qu’on sait à peine quelle route il a suivie[157].

Une proposition d’un avocat, nommé Léon Seror, qui voulait aller
installer un marché à El-Goléa et créer un poste de résident
commercial à In-Salah, avec le titre de consul de France, ne fut pas
prise en considération et ne méritait évidemment pas de l’être.

Les seules explorations qui, dans cette période, offrent quelque
intérêt, sont celles de Victor Largeau, quoiqu’elles n’aient
pas eu non plus de bien grandes conséquences. Largeau résolut
de s’adresser aux négociants mêmes de Ghadamès, pour essayer
d’ouvrir ces régions au commerce français ; en 1875, remontant
d’abord l’Igharghar, il gagna Ghadamès par Hassi-Bothin et
rentra par El-Oued, après avoir obtenu des promesses encourageantes ;
les négociants s’engageaient à faire bon accueil à nos
commerçants et à entrer en relations d’affaires avec nos marchés
du Sud-Algérien. L’année suivante, accompagné cette fois de
trois jeunes gens, Louis Say, Gaston Lemay et Faucheux, Largeau se
rendit de nouveau à Ghadamès par Berresof. Il garantissait aux
Ghadamésiens la vente de leurs marchandises aux prix de Tripoli
et une entière sécurité pour la route, s’ils voulaient bien se
rendre en Algérie avec des produits du Soudan. Il reçut de belles
paroles et se croyait certain de détourner au moins une caravane
vers Touggourt[158]. Mais, quand le jour fut venu de l’accompagner
à son retour, les Ghadamésiens prétextèrent les menaces des
Turcs de Tripoli, tandis que le kaïmakam niait avoir reçu aucune
lettre du pacha. Il fut contraint de reprendre la route d’El-Oued,
ne ramenant ni un négociant, ni une charge de marchandises.

En 1877, Largeau tenta de se rendre au Tidikelt. Après un séjour
prolongé à Ouargla, il s’avança jusqu’au Hassi-Zmeïla dans
l’Oued-Mya, mais, effrayé des menaces des gens d’In-Salah,
qui avaient écrit aux Chaanba d’Ouargla de ne pas conduire
d’infidèles dans leur pays, il abandonna ses projets et revint
sur ses pas. Largeau a raconté ses deux voyages à Ghadamès dans de
nombreux articles et dans un ouvrage sans prétention scientifique,
mais qui n’est pas dépourvu d’intérêt et de couleur[159]. En
1876-77, l’enseigne de vaisseau Louis Say descendait d’Ouargla à
Aïn-Taïba, explorait les Gassi jusqu’à El-Biodh et s’avançait
jusqu’à Temassinin.

Le cardinal Lavigerie avait rêvé de répandre le christianisme
parmi les populations noires de l’Afrique et il espérait lui
aussi atteindre le Soudan par la voie du Sahara. La Société
des Missionnaires d’Alger ou Pères Blancs, fondée après la
famine de 1867, fut organisée définitivement en 1874. Les Pères
Blancs furent d’abord établis à Biskra, Géryville, Laghouat et
Metlili. De cette dernière ville partirent, en 1876, les Pères
Paulmier, Ménoret et Bouchard ; ils furent assassinés par leurs
guides un peu avant d’arriver à Hassi-Inifel. Ces guides étaient
des Touareg qui, chassant avec des Chaanba dissidents au sud du Mzab,
avaient été capturés par les nomades algériens et envoyés à
Alger ; l’année précédente, on les avait déjà proposés comme
guides à Largeau, qui les avait refusés. Ils offrirent eux-mêmes
leurs services au cardinal Lavigerie, qui eut le tort d’ajouter
foi à leurs protestations de dévouement.

Cet insuccès ne découragea pas Lavigerie ; il résolut d’essayer
de la voie de Ghadamès, qui avait toujours été reconnue un peu
moins dangereuse que celle de l’Ahaggar. En 1879, les Pères Richard
et Kermabon partent de Ghadamès, parcourent la région des Azdjer
pour l’étudier, se mettre en rapport avec ses habitants et chercher
le point le plus favorable à l’établissement d’une station de
missionnaires. Guidés par les Touareg Ifoghas, ils s’avancent
jusqu’à l’Oued-Tikhammalt, au nord-ouest de Ghat, gagnent de
là le lac Mihero, pour remonter ensuite sur l’Oued-Tidjoujelt,
et Temassinin, d’où ils gagnent Ghadamès après une absence de 56
jours. Ils avaient recueilli d’utiles renseignements géographiques
et noué de bonnes relations avec les plus importantes tribus Azdjer,
notamment les Ifoghas et les Imanghasaten.


                                   *
                                  * *


Les sondages de l’Oued-Rir[160], interrompus en 1866, furent repris
en 1873 : le débit de la nappe artésienne avait diminué dans la
plupart des oasis, et Sidi-Khelil, où l’on n’avait pu creuser
profondément, par suite de la fluidité des sables, souffrait de la
sécheresse malgré ses 27 puits. Un sondage poussé à 90 mètres
lui donna une source de 1.200 litres, tandis qu’une autre de près
de 2.000 litres rendait la vie à l’oasis d’El-Berd[161]. Enfin
l’initiative privée intervenait aussi dans cette région. En 1878,
comme l’Administration des Domaines mettait en vente les terrains
séquestrés après la petite insurrection d’El-Amri, MM. Fau,
Fernand et Albert Foureau se firent adjuger la petite oasis de
Foughala, au Zab, et deux autres oasis ; ce fut l’origine de la
_Compagnie de l’Oued-Rir_.

C’est également à la création de quelques oasis nouvelles qui
devaient aboutir en fin de compte les missions et les projets du
commandant Roudaire. Les grands chotts qui s’étendent au Sud
de la province de Constantine et de la Tunisie, jusqu’au fond
du golfe de Gabès, sur une longueur de 375 kilomètres, avaient
déjà depuis longtemps attiré l’attention des savants[162]
et dès 1845, M. Virlet-d’Aoust établissait qu’un des plus
importants de ces bas-fonds, le chott Melrir, était au-dessous de
la Méditerranée. Plus tard, les observations barométriques faites
par MM. Vuillemot, Marès, Dubocq, Ville, avaient également donné
des altitudes inférieures au niveau de la mer ; mais les résultats
obtenus présentaient entre eux d’assez grandes discordances. En
1872, le Ministre de la Guerre chargea le capitaine Roudaire et le
capitaine Villars d’exécuter les opérations géodésiques de la
méridienne de Biskra. Le nivellement trigonométrique fait en 1873-75
fournit la preuve que le fond des chotts Melrir et Rharsa se trouvait
à 24 mètres en moyenne au-dessous du niveau de la mer. M. Roudaire
conçut alors la pensée qu’il serait possible, en introduisant
les eaux de la Méditerranée dans la région des chotts, de faire
pénétrer la fertilité, le commerce, la vie jusqu’au cœur du
Sahara algérien. M. de Lesseps prêtait à ce projet l’appui de son
influence. Il fallait tout d’abord s’assurer de l’altitude du
chott Djerid et de la véritable nature des seuils qui le séparent
de la mer et du Rharsa. Tel fut l’objet de la mission que reçut
M. Roudaire en 1875 ; vérification faite, il dut convenir que le
niveau du Djerid se trouvait au-dessus du niveau de la mer.

Pomel[163], directeur de l’Ecole supérieure des Sciences d’Alger,
contesta qu’il y ait eu dans l’antiquité, comme le soutenaient
les partisans de la mer intérieure, communication entre la
Méditerranée et les chotts ; il exposa les faits dans diverses notes
présentées par lui à l’Académie des Sciences, en 1874-75. En
1879, Pomel obtint une mission à l’effet d’étudier les
formations littorales de la côte orientale de la Tunisie, le seuil de
Gabès et les dépôts du voisinage des chotts tunisiens ; ses idées
sur la véritable nature de ces dépôts et sur l’existence d’un
seuil crétacé se trouvèrent pleinement démontrées[164]. Pomel
refusait aussi de croire à la modification du climat de l’Algérie
qu’on escomptait, et estimait la dépense nécessaire à un chiffre
beaucoup plus élevé que M. Roudaire. D’autres objections étaient
formulées par Fuchs, Cosson, etc., sur les conséquences plus que
douteuses de l’entreprise. Aussi, dès cette époque, le projet
de mer intérieure peut être considéré comme condamné. En 1882,
une Commission chargée par le Gouvernement d’examiner le projet
Roudaire, conclut qu’il n’y avait pas lieu, pour le Gouvernement
français, d’encourager l’entreprise.

Des idées plus exactes sur la constitution géologique et la
véritable nature du Sahara commençaient d’ailleurs vers cette
époque à pénétrer dans le public. En 1872, Pomel[165], mettant
à profit les observations recueillies au cours de son voyage de
1862 et les documents fournis par les explorateurs, publiait une
étude d’ensemble sur le Sahara[166], œuvre de haute valeur,
dans laquelle il rectifie les idées erronées qui avaient cours
sur la géographie physique de cette contrée et discute, pour
répondre au désir exprimé par Edouard Lartet, les questions
relatives à l’hypothèse d’une mer saharienne à l’époque
quaternaire. Pomel montre que les pays de l’Atlas se rattachent
à l’Europe par leur structure géologique et sont séparés de
l’Afrique par le Sahara. Il présente un aperçu géographique
des différentes régions naturelles du Sahara, bassin des chotts,
hamadas, areg. Il fait justice des conceptions répandues alors sur
l’extension des dunes et leur infertilité absolue et montre que
les parties les plus stériles et les plus désolées du désert
sont au contraire les hamadas. Au Congrès de l’_Association
française pour l’avancement des Sciences_ à Clermont-Ferrand,
en 1876, Pomel revint sur ces questions et exposa, dans un résumé
d’une remarquable précision, l’_Etat actuel de nos connaissances
sur la géologie du Soudan, de la Guinée, de la Sénégambie et du
Sahara_. Comme directeur de l’Ecole Supérieure des sciences et du
Service de la carte géologique de l’Algérie, Pomel devait, pendant
de longues années encore, contribuer à l’étude scientifique du
Sahara, de sa constitution stratigraphique, des phases de son climat,
de ses faunes anciennes, de ses dessins rupestres.

Une autre mission scientifique nous a fait connaître exactement les
curieuses populations du Mzab : ce fut celle qu’obtint Masqueray en
1878. Il séjourna au Mzab près de deux mois[167] et en rapporta de
précieux documents, les livres historiques, législatifs et religieux
des Beni-Mzab, la Chronique d’Abou-Zakaria, le Kitab-en-Nil. Il
traduisit et commenta la Chronique, histoire de la secte ibâdite
et des origines de ce curieux groupe religieux, publia l’année
suivante une _Comparaison du dialecte des Zenaga du Sénégal avec
le vocabulaire des Chaouïa et des Beni-M’zab_[168]. Lorsqu’on
organisa l’enseignement supérieur à Alger, en 1880, Masqueray,
comme professeur et directeur de l’Ecole des Lettres, continua
à donner, tant par lui-même que comme directeur du _Bulletin
de Correspondance Africaine_, de précieuses contributions à la
connaissance de la géographie, de l’histoire, de la linguistique
du Sahara.

En 1876 parut la première édition de la carte générale de
l’Algérie à 1/800,000e en 4 feuilles, publiée par le Dépôt de
la guerre ; elle s’étend jusqu’à la latitude d’El-Goléa[169].


                                   *
                                  * *


Sauf ces résultats scientifiques et les résultats locaux obtenus
dans l’Oued-Rir, on voit que la période qui va de 1864 à 1879
mérite véritablement le nom de période de stagnation sous lequel
nous l’avons désignée. Si l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh
et la guerre de 1870 expliquent assez l’origine de cette stagnation,
on ne voit pas pourquoi elle s’est prolongée aussi longtemps. Or,
en pareille matière, ne pas avancer c’est reculer. Au point de vue
de l’occupation, la marche naturelle des choses nous conduisait
à prendre possession du Touat et à nous assurer de gré ou de
force de la route de Ghadamès et de Ghat. Nous n’avons osé agir
ni à l’Est, ni à l’Ouest ; l’expédition d’El-Goléa a
été une demi-mesure sans utilité, qui n’a fait en quelque
sorte que souligner notre faiblesse, de même que, dans nos
expéditions du Sud-Ouest, nous semblions avoir peur des ksouriens
de Figuig. Enfin, en 1874, Ghat, qui avait vécu indépendante
jusque là, fut occupée par les Turcs. L’importance de cette
prise de possession, contre laquelle nous aurions pu protester et
que nous aurions pu empêcher, nous échappa complètement à ce
moment[170]. Au point de vue de l’exploration, les résultats sont
nuls ; ceux des rares explorateurs qui ne sont pas de simples martyrs
de la foi ou de la science sont trop mal préparés et passent trop
rapidement pour pouvoir faire œuvre utile. Ils ne rapportent ni
itinéraires soigneusement levés, ni observations scientifiques,
trop heureux de rapporter leur tête sur leurs épaules. Au
point de vue commercial, les illusions, explicables pendant la
période précédente, se maintiennent et s’aggravent, malgré
les démentis de l’expérience. Dans la pratique, les caravanes du
Sud ont complètement abandonné le chemin de l’Algérie et aucun
échange de quelque importance ne se fait par cette voie avec le
Soudan. Les projets de chemins de fer transsahariens vont pendant
quelques années modifier cet état de choses et provoquer toute
une série de missions importantes.

                               * * * * *


[Note 136 : _Documents_, II, p. 817-818.]

[Note 137 : _Id._, II, p. 823.]

[Note 138 : JULES CAMBON, _Documents_, II, préface, p. XI.]

[Note 139 : J. CAMBON, _ibid._]

[Note 140 : _Documents_, II, p. 81.]

[Note 141 : DUVEYRIER, _Historique_, p. 242.]

[Note 142 : _Documents_, II, p. 515.]

[Note 143 : _Id._, II, p. 517.]

[Note 144 : DUVEYRIER, _Historique_, p. 245 (d’après PERROT). —
LÉON PERROT, _Itinéraire de Géryville à Figuig et retour_
(_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1881, p. 273). — COLONIEU, _Colonne
de Géryville en 1868_ (_Bull. Soc. Géogr. d’Oran_, 1891, p. 293).]

[Note 145 : DE WIMPFFEN, _L’Expédition de l’Oued-Guir_
(_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1872, 1er semestre, p. 34, avec
carte). — A. FILLIAS, _Récits Militaires, L’Expédition de
l’Oued-Guir_, in-8o, Alger, 1880. — _Itinéraires de la colonne
Wimpffen_ à 1/400.000e, levé par le capitaine KESSLER, autographié
au bureau de l’Etat-Major, Alger, 1870. — _D’Oran à l’oasis
de l’oued Guir_ (_Spectateur militaire_, 1878, 4e série, t. III,
p. 215 ; t. IV, p. 72, avec carte).]

[Note 146 : _Documents_, II, p. 82.]

[Note 147 : L. RINN, _Histoire de l’Insurrection de 1871 en
Algérie_, in-8o, Alger, 1891, p. 483 et 611.]

[Note 148 : L. RINN, ouvr. cité, p. 631 (d’après le rapport du
commandant ROSE, avec croquis à l’appui). — Cf. _Colonne Gaume
d’Ouargla à Aïn-Taïba_, 7-25 janv. 1872 ; rapport du commandant
ROSE (_Bull. d’Oran_, 1891, p. 99-121).]

[Note 149 : H. TARRY, _Colonne Expéditionnaire du Général
de Galiffet dans le Sahara_ (_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1873,
p. 327). — Capitaine PARISOT, _D’Ouargla à El-Goléa_ (ibid.,
p. 325). — DUVEYRIER, _La région entre Ouargla et El-Goléa_
(_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1876. 1er sem. p. 577) avec carte des
Itinéraires dans le pays des Chaanba 1859-73 (DUVEYRIER, ROSE,
PARISOT) à 1/1.600.000e.]

[Note 150 : Il résulte des recherches faites à notre demande par
M. le lieutenant-colonel Laquière, ainsi que des renseignements
recueillis par lui auprès du bachagha Lakhdar, que le général de
Galiffet n’a laissé aucune garnison à El-Goléa, contrairement
à l’assertion de M. P. VUILLOT (p. 115), qui paraît reposer sur
une erreur.]

[Note 151 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 382.]

[Note 152 : _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1874, p. 161.]

[Note 153 : SCHIRMER, _Le dernier Rapport d’un Européen sur Ghat et
les Touareg de l’Aïr_, in-8o, Paris, 1898, p. 22-23. Cf. la version
donnée par le P. RICHARD, _Missions Catholiques_, 1881, p. 161.]

[Note 154 : P. SOLEILLET, _Afrique Occidentale, Algérie, Mzab,
Tidikelt_, in-8o, Paris, 1877, p. 90, 222. Cf. SCHIRMER, _Le Sahara_,
p. 381.]

[Note 155 : DUPONCHEL, _Lettre à la Commission du Transsaharien_,
Montpellier, 1880, p. 14.]

[Note 156 : P. SOLEILLET, _Exploration du Sahara Central, Voyage
d’Alger à l’Oasis d’Inçalah_. Rapp. présenté à la Chambre
de Commerce d’Alger, Alger, fo, autogr., 1876. V. aussi MAC CARTHY,
_Le Cas de M. Soleillet_ (_Bull. Soc. Géogr. d’Alger_, 1880,
p. 116).]

[Note 157 : _Documents_, IV, p. 238.]

[Note 158 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 383.]

[Note 159 : V. LARGEAU, _Le Pays de Rirha, Ouargla, Voyage à
Rhadamès_, in-16, Paris, 1879. Cf. _Bull. Soc. Géogr._ Paris,
1877, 1er sem., p. 35. — V. LARGEAU, _Le Sahara Algérien_, in-16,
Paris, 1881.]

[Note 160 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 424.]

[Note 161 : ROLLAND, _Sur les sondages artésiens et les
nouvelles oasis françaises de l’Oued-Rir_, in-8o, Paris 1887,
extr. _C. R. Ac. Sc._ — Id., _L’Oued-Rir et la Colonisation
française du Sahara_ (_Bull. Soc. Géogr. comm._, 1887,
p. 663). Cf. _Revue Scientifique_, 18 juin 1887.]

[Note 162 : Nous empruntons tout l’exposé qui suit à L. LANIER,
_L’Afrique, Lectures Géographiques_, p. 338 (9e édition,
1897). M. L. LANIER donne la bibliographie complète de la question,
p. 344.]

[Note 163 : E. FICHEUR, _Notice biographique sur Pomel_,
_Bull. Soc. Géol. Fr._, 1899, p. 191.]

[Note 164 : POMEL n’a publié ses observations en détail qu’en
1884, sous le titre de _Géologie de la côte orientale de la Tunisie
et de la Petite Syrte_. (_Bull. de l’Ec. supér. des Sciences
d’Alger_, in 8o, Alger).]

[Note 165 : FICHEUR, _Notice nécrologique_, p. 199 et 212.]

[Note 166 : POMEL, _Le Sahara, observations de
géologie et de géographie physique et biologique_
(_Bull. Soc. climatolog. d’Alger_, 1872).]

[Note 167 : AUGUSTIN BERNARD, _Emile Masqueray_, notice nécrologique
(_Revue Africaine_, 1894, p. 350). Cf. E. MASQUERAY, _Chronique
d’Abou-Zakaria_, in-8o, Alger, 1879, introduction.]

[Note 168 : _Archives des Missions_, 1879, 3e série, tome V.]

[Note 169 : _Documents_, II, p. 941.]

[Note 170 : REBILLET (commandant), _Revue générale des Sciences_,
1890, p. 1162.]




                              CHAPITRE IV

                LA PÉRIODE DU TRANSSAHARIEN (1879-1881)

La question du Transsaharien. — L’ingénieur Duponchel. — La
mission Pouyanne (1879) ; Renseignements recueillis par MM. Sabatier
et Coyne ; hypothèse de M. Sabatier sur l’Oued-Saoura. —
La mission Choisy (1879-80). — Les deux missions Flatters
(1880-81). Résultats scientifiques. Véritables causes du massacre
de la mission. — Occupation de la Tunisie (1881).


La question de la pénétration saharienne entre dans une phase
nouvelle avec les projets de chemins de fer transsahariens. Puisque le
Sahara, dans son état actuel, se montrait si hostile et si fermé,
n’y avait-il pas moyen d’en faciliter l’accès par des travaux
publics et de l’ouvrir en employant les moyens de locomotion
modernes ? Puisque le commerce de caravanes s’obstinait à se
détourner de l’Algérie et demeurait d’ailleurs insignifiant, ne
pouvait-on créer un courant plus intense par la voie ferrée ? Le
Sahara, sans valeur économique en lui-même, n’est-il pas la route que
suivront, une fois les chemins de fer construits, toutes les richesses
du Soudan pour aboutir aux ports de l’Afrique septentrionale ?

C’est à l’ingénieur Duponchel que revient l’honneur d’avoir
appelé l’attention de la France sur le Soudan. Assurément,
l’idée d’atteindre les régions tropicales par l’Afrique du
Nord n’était pas neuve. Dès 1830 avait paru un mémoire signé
Augier La Sauzaie « sur la possibilité de mettre les établissements
de la côte septentrionale d’Afrique en rapport avec ceux de la
côte occidentale, en leur donnant pour point de raccord la ville
de Tombouctou[171]. » Dans la préface de la grammaire tamachek
de Hanoteau, publiée en 1860, apparaît pour la première fois
nettement l’idée d’un chemin de fer transsaharien. On venait
d’inaugurer la ligne de Blida : « Qui sait, dit Hanoteau, si
un jour, reliant Alger à Tombouctou, la vapeur ne mettra pas les
tropiques à six journées de Paris[172]. » Mais ces précurseurs
sont à Duponchel ce que Néchao est à de Lesseps : ils ne peuvent
lui contester la véritable paternité de son idée.

Dès 1875, Duponchel préconisait la construction d’un chemin
de fer d’Alger à Tombouctou par le Touat, en suivant soit
l’Oued-Mya, soit l’Igharghar[173]. En 1878, il sollicita et
obtint une mission pour étudier la question du Transsaharien. Sa
reconnaissance du terrain ne dépassa pas Laghouat, mais il
publia l’année suivante un rapport détaillé sur les voies de
communication entre l’Algérie et le Soudan[174]. Les plaidoyers
enflammés de Duponchel émurent l’opinion. Dans la discussion qui
s’en suivit, mille projets se firent jour. Chaque grande route du
Sahara eut ses partisans convaincus, d’autant plus intraitables
que derrière les arguments scientifiques se cachait la rivalité
des principaux ports algériens[175]. Une commission fut nommée
par M. de Freycinet, ministre des travaux publics, pour étudier
la question[176]. Le résultat des travaux de cette commission
fut l’envoi d’importantes missions scientifiques au Sahara :
les missions Pouyanne, Choisy et Flatters.

La mission confiée à Pouyanne, ingénieur en chef des mines (1879),
était chargée d’étudier un tracé à travers le Sud-Oranais,
dans la direction du Touat ; Pouyanne était assisté de M. Clavenad,
ingénieur des Ponts-et-Chaussées, et de M. Baills, ingénieur. La
mission devait comparer le tracé des trois lignes partant de
Tiaret, Saïda et Ras-el-Ma ; elle donna la préférence au tracé
par Ras-el-Ma, surtout sous le rapport commercial et politique. Elle
aboutit à l’établissement d’un avant-projet jusqu’à Moghrar
et El-Outed, mais ne dépassa pas Tiout et ne pénétra pas dans le
Sahara proprement dit. Plus au Sud, on avait songé à une mission
concertée avec la Société de Géographie d’Oran et confiée
à MM. Sabatier et Troyon : on y renonça par crainte d’un rezzou
des tribus marocaines.

Les renseignements personnels de Pouyanne s’arrêtent au
Kheneg-en-Namous ; au-delà, le rapport de mission contient de très
intéressantes informations indirectes sur le Sahara proprement
dit[177].

Il reproduit notamment des renseignements indigènes sur un
itinéraire du Figuig au Touat, publié par M. C. Sabatier dans
le _Mobacher_ en 1876, et d’autres renseignements publiés
par Coyne[178], qui donnent l’itinéraire de la ghazzia
faite en 1875 sur les Beraber par les Chaanba de Metlili et
d’El-Goléa. D’autres renseignements inédits, recueillis par
MM. Coyne, Sabatier, Graulle et par Pouyanne lui-même, forment
une annexe au mémoire. En utilisant ces documents nouveaux et en
discutant les documents déjà connus, Pouyanne est arrivé à
dresser une carte à 1/1.250.000e du bassin de l’Oued-Saoura,
qui améliore notablement les cartes antérieures.

Sur la région comprise entre le Touat et le coude du Niger,
M. C. Sabatier recueillait et publiait aussi des renseignements
indigènes. Il émettait l’hypothèse, reprise depuis sous une
forme d’ailleurs différente, que l’Oued-Saoura aboutirait
au Niger[179]. Ses mémoires, malgré ce que ses conclusions
présentent d’un peu aventureux, n’en sont pas moins d’un
vif intérêt[180].

La mission Choisy (1879-80) était chargée de comparer les
tracés de Laghouat-El-Goléa et de Biskra-Ouargla. Elle était
composée de MM. Choisy, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées ;
Barois, ingénieur des Ponts ; Rolland, ingénieur des Mines ; Dr
Weisgerber, lieutenant Massoutier, Descamps, Pech et Jourdan. Partie
de Laghouat, la mission gagna El-Goléa en passant par l’Oued-Nili,
Aïn-Massin et Hassi-Charef, et en laissant le Mzab à l’Est. Elle
revint ensuite sur Ouargla pour atteindre Biskra par Touggourt
et l’Oued-Rir. Elle rapportait la conviction que la ligne de
Biskra-Ouargla était préférable à tous égards.

En dehors de ce point de vue spécial de l’établissement de la
voie ferrée, la mission Choisy, et l’éminent géologue qui en
fit partie, M. Georges Rolland, ont puissamment contribué à faire
progresser nos connaissances sur la géologie et la géographie
physique du Sahara septentrional[181]. Outre un rapport d’ensemble
de M. Choisy, les documents de la mission comprennent une étude
des lignes par M. Barois et un important travail d’ensemble
sur la géologie du Sahara par M. G. Rolland. Des planches et
des cartes en grand nombre accompagnent l’ouvrage. Les rapports
géologique et hydrologique de M. Rolland, réédités et publiés
à part[182], forment encore aujourd’hui la base des études qui
se poursuivent sur l’arrière-pays de nos possessions. Outre des
aperçus généraux sur l’histoire géologique et sur les diverses
formations du Sahara, M. Rolland a donné une étude détaillée des
terrains crétacés et des atterrissements tertiaires et quaternaires
du Sahara. Le volume d’hydrologie contient une étude d’ensemble
sur le régime des eaux souterraines du Sahara crétacé et du
Sahara quaternaire oriental ou Bas-Sahara. En somme, l’ouvrage de
M. Rolland donne autre chose que les études préliminaires d’une
ligne de chemin de fer et conserve son intérêt indépendamment
même de cette question ; il renferme non-seulement le résultat
des observations de la mission Choisy, mais celui de tous les
travaux qui ont eu pour objet la géologie et l’hydrologie du
Sahara septentrional jusqu’à la publication, du moins en ce qui
concerne le bassin du Melrir, car le bassin de l’Oued-Saoura est
presque complètement laissé de côté et n’est l’objet que de
renseignements très sommaires.

Pendant que la mission Pouyanne se trouvait dans le Sud-Oranais et que
la mission Choisy quittait Laghouat pour se diriger vers El-Goléa,
le lieutenant-colonel Flatters, ancien commandant supérieur du cercle
de Laghouat, était chargé d’étudier le tracé du Transsaharien
au sud d’Ouargla.

Flatters nourrissait sans doute depuis longtemps déjà des projets
d’exploration, car, en mai 1862, le maréchal Pélissier ayant cru
devoir, relativement aux projets de Jules Gérard, prendre l’avis
de Jomard, membre de l’Institut et vice-président de la Société
de Géographie de Paris, celui-ci, dans sa réponse au maréchal,
« signalait l’aptitude pour les découvertes en Afrique de
M. Flatters, jeune homme élevé par les soins du baron Taylor
et qui paraissait bien préparé pour un voyage dans l’Afrique
intérieure. » Il envoyait en même temps au Gouverneur une lettre
du lieutenant Flatters à la Société de Géographie, lui demandant
son appui pour un voyage au Touat et à Tombouctou. Ses projets
avaient été, disait-il, approuvés par Elie de Beaumont.

Vingt ans plus tard, nous retrouvons Flatters à la tête
d’une mission saharienne, qui se composait de MM. Masson,
capitaine d’état-major ; Béringer, ingénieur de l’Etat ; Roche,
ingénieur des Mines ; Guiard, médecin aide-major ;
Bernard, capitaine d’artillerie ; Brosselard et Le Châtelier
sous-lieutenants ; Cabaillot et Rabourdin[183].

Le caractère et le but de la mission étaient indiqués dans la
lettre que le Ministre des Travaux publics adressait à Flatters,
le 7 novembre 1879 : « Je vous charge, y était-il dit, de diriger
une exploration, avec escorte indigène, pour rechercher un tracé
devant aboutir dans le Soudan entre le Niger et le lac Tchad. Vous
aurez à vous mettre en relations avec les chefs des Touareg
et à chercher à obtenir leur appui. Je vous invite à me faire
connaître, dans le plus bref délai, les bases d’organisation de
l’expédition dont il s’agit, de manière à lui conserver un
caractère essentiellement pacifique, ce qui est la condition _sine
qua non_ de la mission[184]. »

La majorité de la Commission transsaharienne s’était montrée, en
effet, absolument opposée à toute expédition affectant une allure
militaire, et croyait à la possibilité de nouer des relations
pacifiques avec les Touareg. Lorsque le colonel Flatters avait
proposé à la Commission supérieure de se charger de la direction
de la mission, quelques membres avaient fait à ce choix les plus
graves objections[185]. Il leur semblait impossible que la mission
pût conserver son caractère pacifique aux yeux des populations
sahariennes, si elle avait à sa tête un ancien commandant
supérieur, connu pour tel de toutes nos tribus du Sud. C’est
alors que Flatters avait offert de renoncer à l’escorte de
troupes régulières que la 3e sous-commission, par l’organe de
M. Georges Périn, avait déclarée nécessaire à la sécurité de
la mission. D’après cette proposition nouvelle, le colonel devait
constituer son escorte avec la population indigène, de manière
à enlever toute apparence agressive à sa colonne. Ainsi furent
levés les scrupules de la majorité de la Commission ; la mission
conserva son chef militaire, mais elle n’avait plus l’escorte
qui devait la faire respecter. A sa place furent recrutés 50
chameliers et 30 cavaliers méharistes, appartenant presque
tous aux Chaanba d’Ouargla. Quelques membres de la Commission
s’étaient vivement élevés contre cette manière de faire,
notamment le général Arnaudeau, ancien officier de bureau arabe
fort au courant des choses du Sud : « On dit, s’écriait-il,
qu’on veut être pacifique. N’est pas pacifique qui veut. A
quoi bon se faire assassiner pacifiquement ? 150 à 200 soldats
aguerris, partie français, partie tirailleurs algériens, peuvent
affronter l’attaque des plus fortes bandes sahariennes. Si
l’instant n’est pas venu d’agir ainsi, continuons à laisser
les explorateurs isolés se lancer à leurs risques et périls,
et plutôt que de faire les choses à demi, remettons à plus tard
la grande et sérieuse entreprise[186]. »

Quelle était la situation réelle en pays targui ? Elle s’était
profondément modifiée depuis l’exploration de Duveyrier et la
convention de Ghadamès. Dournaux-Dupéré en 1874, le naturaliste
allemand Erwin von Bary en 1877, avaient signalé ces changements. Une
guerre civile, qui avait duré dix ans, avait éclaté entre les
deux tribus Azdjer des Oraghen et des Imanghasaten, ces derniers
faisant cause commune avec la confédération des Hoggar.

Les Turcs avaient profité, pour s’installer à Ghat (1875), de
ce que l’émir aux abois leur avait demandé secours, et cette
acceptation de la domination étrangère était aux yeux des Touareg
une tare ineffaçable. L’émir Ikhenoukhen, à l’époque où
Flatters sollicitait son concours, avait près de cent ans ; ce
n’était plus le rude guerrier dont les colères étaient jadis
redoutées de tous les Azdjer ; son bras s’était affaibli, sa
clientèle réduite dans la guerre malheureuse soutenue contre les
Hoggar, et, même dans sa propre tribu, son autorité n’était
plus acceptée sans conteste. A côté de lui avaient grandi des
personnalités rivales, telles que ce cheikh Bou Beker, qui avait
laissé tuer Mlle Tinné, confiée à sa garde, et qu’Ikhenoukhen
n’avait pas osé punir[187]. Quant aux Hoggar, leur hostilité
farouche ne faisait pas de doute et s’était manifestée à
plusieurs reprises.

Partie de Biskra le 1er février 1880, la mission Flatters se dirigea
sur Ouargla, puis gagna Temassinin par Aïn-Taïba et El-Biodh,
à travers la région des dunes. A Temassinin, Flatters apprit
qu’Ahitaghel, amenokal des Hoggar, se trouvait campé très loin, au
Sud-Ouest du massif de l’Ahaggar, et qu’Ikhenoukhen et les chefs
Azdjer se trouvaient à Ghat. Au lieu de descendre vers le Sud comme
c’était son intention première, il résolut de s’approcher de
Ghat pour avoir une entrevue avec Ikhenoukhen[188] ; d’ailleurs,
les Chaanba de l’escorte menaçaient de faire défection si on
les menait chez les Hoggar. Flatters remonta donc la vallée des
Ighargharen jusqu’au lac Menghough, située par 26° 30′ de
latitude Nord[189].

Arrivé en ce point, le colonel dut entamer avec les Touareg des
négociations qui traînèrent en longueur. Ikhenoukhen ne venait
pas, les approvisionnements de la mission s’épuisaient par suite
des exigences des Touareg et étaient devenus insuffisants pour
poursuivre la marche en avant[190]. Un certain nombre d’incidents,
auxquels le _Journal de route_ ne fait qu’une allusion lointaine,
mais qui furent révélés par les récits concordants des divers
membres de la mission, montrent les véritables causes de cette
retraite. L’attitude équivoque des Chaanba de l’escorte faisaient
craindre qu’ils n’en vinssent à refuser le service. Flatters,
d’après ses instructions, ne devait pas passer de vive force et
n’était d’ailleurs pas maître de son personnel indigène. Or,
les Imanghasaten avaient une attitude trop menaçante pour qu’on
pût espérer qu’ils laisseraient la mission parvenir jusqu’à
Ghat ; plusieurs fois sur le point d’être attaquée, elle était
presque prisonnière des Touareg qui entouraient son camp. Quant à
Ikhenoukhen, s’il est resté inactif lors de la mission Flatters,
« ne serait-ce pas, dit M. Schirmer[191], qu’il n’avait
plus guère le pouvoir de commander et de punir ? Et de fait,
lorsqu’il réclama aux Imanghasaten le droit de passage versé
par Flatters et qui aurait dû lui revenir, on ne lui répondit
que par une dénégation hautaine. Ce n’est donc pas de son plein
gré que Flatters est retourné en arrière[192], et l’on ne peut
lui reprocher sans injustice d’avoir manqué de patience et de
résolution. La vérité est qu’il a été constamment paralysé
par le mauvais vouloir des Touareg et de son personnel indigène. »

La première mission Flatters avait obtenu d’importants résultats
géographiques ; elle avait fait un levé de plus de 1.200
kilomètres dans un pays à peu près inconnu. Elle rapportait des
renseignements précis sur la région au sud d’Ouargla ; elle avait
reconnu la région des grands gassis, c’est-à-dire la trouée de
l’Igharghar, passage à peu près libre de sables à travers les
dunes de l’Erg oriental ; elle avait relevé topographiquement
le contour septentrional du Tassili des Azdjer, le relief des
montagnes et les pentes des vallées[193]. Outre le _Journal de
route_, les documents de la première mission comprennent un mémoire
géographique et météorologique avec tableaux explicatifs, dû à
M. Béringer ; un mémoire géologique et hydrologique avec plan,
dû à M. Roche ; un avant-projet, dû à M. Béringer, d’une
ligne de chemin de fer dirigée d’Ouargla vers Amguid sur 610
kilomètres ; une note sur les collections végétales rapportées
par la mission ; un mémoire de M. L. Rabourdin sur les âges de
pierre du Sahara central.

Au point de vue politique, la première mission Flatters avait
échoué. M. Schirmer indique très clairement pour quelles causes.
« Elle a échoué[194] parce qu’on s’était mépris sur l’état
politique des peuplades qui occupent le Sahara central ; parce que,
cherchant des chefs d’Etat, elle n’avait trouvé que des bandes
uniquement préoccupées de l’accaparer à leur profit ; parce
que Flatters avait recruté son escorte parmi des éléments sur
lesquels il n’avait pas de prise, et qu’il s’était trouvé,
au moment décisif, sans autorité sur les uns, sans force vis-à-vis
des autres, à la merci des Chaanba et des Imanghasaten. »

Malheureusement, Flatters ne voulut convenir, ni vis-à-vis de
lui-même, ni vis-à-vis des autres, que sa retraite avait été
forcée et non volontaire. Il ne voulut pas se souvenir de la
situation grave où s’était un moment débattue la mission,
il prodigua les déclarations rassurantes, dans son ardent désir
d’être admis à renouveler ses tentatives et de réussir. En
vain quelques membres de la commission lui objectèrent qu’il
avait été arrêté et presque spolié en route. « L’insuccès
pouvait être douteux l’an dernier, écrivait Duponchel[195], il
est parfaitement certain aujourd’hui. Dans tout nouvel explorateur
qu’on leur enverra sans un appareil militaire suffisant pour
garantir sa sécurité et lui ouvrir un passage à main armée,
les indigènes du Sahara ne verront qu’une proie facile. »

Flatters n’osa pas non plus dénoncer les inconvénients de ce
système bâtard[196], qui ôtait à la mission toute force militaire
sans désarmer les défiances et les convoitises ; il repartit
sans emmener cette escorte régulière de 200 hommes que pendant
son premier voyage il regrettait de ne pas avoir. Les règles qui
auraient dû servir de base à l’organisation d’une entreprise
de ce genre existent nettement tracées[197] dans les rapports et
les écrits des Daumas, des Margueritte, qui ont commandé dans
le Sud à l’époque où nous prenions pied dans cette région ;
le colonel Flatters avait trop étudié les ouvrages écrits sur la
matière pour ne pas savoir parfaitement ce qu’aurait dû être
sa mission ; il ne fut pas maître d’appliquer ses idées et se
vit forcé de composer sa caravane suivant l’opinion qui avait
prévalu dans la Commission transsaharienne.

Le 4 décembre 1880, le lieutenant-colonel Flatters[198], ayant
réorganisé sa mission, quitta Ouargla pour se diriger vers
l’Ahaggar. La nouvelle mission comprenait quatre membres de
l’ancienne, MM. Masson, Béringer, Roche et Guiard, auxquels
étaient venus s’adjoindre MM. Santin, ingénieur civil, de
Dianous, lieutenant au 14e de ligne, Dennery, Pobéguin, Marjolet
et Brame. Le chef de la mission avait renoncé aux chevaux, eu
égard aux inconvénients résultant de la nécessité d’emporter
vivres et eau pour ces animaux ; le fait était très regrettable,
car la première mission avait probablement dû son salut à ses
chevaux. Pendant qu’il organisait sa caravane, Flatters reçut
une réponse d’Ahitaghel, amenokal des Hoggar, auquel il avait
annoncé son intention de revenir vers son pays. Cette réponse
était négative, hautaine et menaçante : « Vous nous avez
dit de vous ouvrir la route, nous ne vous l’ouvrirons pas[199] ».
Le colonel eut le tort d’ajouter foi à deux autres lettres,
destinées à atténuer le mauvais effet de celle-là, et de ne pas
tenir compte des avis peu rassurants qu’il recevait de toutes parts,
notamment de M. Féraud, consul général à Tripoli[200]. En outre,
il n’observa pas l’ordre de marche sévère qui est indispensable
au Sahara, se gardant mal, ne craignant pas de faire lui-même,
en avant de la colonne, des reconnaissances qui duraient plusieurs
jours, laissant les visiteurs parcourir son camp à leur gré
et leur accordant les cadeaux qu’ils demandaient[201]. Flatters
allait être victime chez les Hoggar de son optimisme systématique,
après avoir risqué le même sort chez les Azdjer.

D’Ouargla, la mission suivit une route non encore relevée par les
Européens : l’Oued-Mya et le rebord oriental du Tademayt, pour
aller rejoindre la vallée de l’Igharghar à Amguid. Elle donna
de ses nouvelles d’Hassi-Inifel, d’Hasi-Messeguem, d’Amguid,
enfin d’Inziman-Tikhzin (25° 30′ lat. N.), près de la saline
d’Amadghor. Chacune de ses dépêches contenait une portion du
journal de route, une carte dressée par l’ingénieur Béringer
et une note géologique rédigée par l’ingénieur Roche. Dans
la dernière, Flatters annonçait qu’il comptait atteindre en
25 jours Assiou, sur le grand chemin des caravanes qui vont de
Tripoli à Kano par l’Aïr. Mais, 18 jours après avoir écrit ces
lignes, à quelques journées de marche au Nord du puits d’Assiou,
le colonel Flatters et ses compagnons étaient massacrés dans un
guet-apens préparé par les guides, résolu à l’instigation des
gens d’In-Salah, et pour lequel toutes les fractions des Hoggar,
sauf une, avaient fourni des contingents[202].

Après avoir quitté Inziman-Tikhzin, la mission passa à la Sebkha
d’Amadghor et gagna le puits de Temassint. Le 16 février 1881,
Flatters n’hésita pas à s’éloigner de son camp et à aller
avec une faible escorte, poussant tous ses chameaux devant lui,
rechercher l’emplacement du puits où il voulait abreuver ses
animaux[203]. C’est là que lui et ses compagnons trouvèrent
une mort héroïque, en faisant chèrement payer leur vie à leurs
agresseurs. Le puits tristement célèbre où eut lieu le massacre,
connu jusqu’ici sous le nom de Bir-el-Gharama, s’appelle en
réalité Hassi-Tadjenout, dans l’Oued-Inhoaoene, ainsi que la
mission Foureau-Lamy l’a depuis lors fait connaître. Ce point
est situé à 108 kilomètres Ouest-Nord-Ouest de Tadent[204]. Les
ossements ont été brûlés, il ne reste pour ainsi dire rien
sur les lieux qui témoigne de la tragédie qui s’y déroula. Le
puits est à sec et la région paraît n’être plus fréquentée
depuis longtemps.

Les survivants de la mission s’enfuirent précipitamment, la plupart
périrent dans leur longue et douloureuse retraite, semant la route de
leurs cadavres ; manquant de vivres, mourant de faim, ils en étaient
réduits à manger les cadavres de leurs compagnons, parfois même
à achever les mourants pour les dévorer ; les bandes de Touareg
rôdaient autour d’eux comme des hyènes, tantôt leur offrant
des dattes empoisonnées avec la _bettina_ (_Hyosciamus faleslez_),
tantôt leur disputant le passage. Une vingtaine d’indigènes
seulement parvinrent à regagner Ouargla. On ne compte pas un seul
Français parmi les survivants. Telle fut l’issue fatale de cette
entreprise.

Les progrès que le colonel Flatters et ses compagnons ont fait
faire à la géographie saharienne sont très considérables. De
la deuxième exploration, on recueillit des fragments du journal
de route provisoire, des feuilles d’itinéraire, des notes
géologiques et météorologiques, des observations barométriques
et astronomiques. On y joignit des extraits de la correspondance
officielle et privée des explorateurs[205]. D’autre part,
le Service des Affaires indigènes du Gouvernement général
de l’Algérie publiait de son côté le journal de route de la
deuxième mission, en le reconstituant à partir d’Inziman-Tikhzin
avec les renseignements recueillis auprès des hommes qui
avaient échappé au massacre. Les détails anecdotiques tiennent
nécessairement la plus grande place dans les dépositions de ces
survivants indigènes, qui furent interrogés à Laghouat par le
lieutenant Massoutier, à Alger par le capitaine Bernard. Des pièces
justificatives, lettres et rapports, avec quelques itinéraires par
renseignements, complètent cet ouvrage[206].

La carte de l’Afrique septentrionale à 1/2.500.000e dressée par
M. L. Pech et publiée par décision du Ministre des Travaux publics
résume les travaux des missions Pouyanne, Choisy et Flatters, et
fait connaître les progrès qui leur sont dûs en ce qui concerne
la géographie du Sahara septentrional[207].

Au point de vue politique, comme l’a très bien établi
M. Schirmer[208], le massacre de la mission Flatters n’a pas été
un de ces accidents qui défient les prévisions humaines : c’est
l’épilogue retentissant d’un échec politique. « Il n’y a
que deux moyens, ajoute M. Schirmer[209], de pénétrer dans cette
région du Sahara : ou bien y aller seul, sans compagnon et sans
escorte, en s’assurant par avance le patronage personnel d’un
ou plusieurs chefs influents ; se faire petit, aussi peu encombrant
que possible, convaincre ces nomades ombrageux et cupides qu’on
est un personnage à la fois généreux et inoffensif : c’est
le système que Duveyrier a employé jadis. Ou bien, et c’est le
cas d’une mission proprement dite, constituer une petite colonne
d’hommes disciplinés à toute épreuve, qui puisse s’avancer
sans provocation, mais négocier sans faiblesse, et passer outre aux
manœuvres dilatoires qu’emploient si volontiers les diplomates
du désert.

L’émotion fut grande en France et en Algérie quand on connut la
triste fin de la mission Flatters[210]. Cet échec était un coup
décisif porté à notre prestige dans le Sahara. Les conséquences
en furent encore aggravées par la décision prise alors par le
Gouvernement de renoncer à châtier les coupables. Divers projets
avaient été mis en avant[211] : le lieutenant-colonel Belin,
commandant supérieur de Laghouat, proposait une _harka_ faite
exclusivement au moyen d’indigènes ; le général Loysel, un coup
de main indigène sur In-Salah, appuyé par une colonne sur El-Goléa ;
le capitaine Bernard préconisait une mission scientifique sans
objectif militaire, mais assez forte pour parer à tout danger et
passer où il lui plairait. D’autres officiers préparaient un
projet d’expédition chez les Hoggar, qui devait comprendre 250
hommes armés de fusils à répétition et 2 mitrailleuses. Ils se
placèrent sous le patronage de Duveyrier, qui devait être leur chef ;
l’illustre explorateur écrivit à son vieil ami Ikhenoukhen,
et fit le voyage de Tripoli pour se renseigner sur la situation
politique des régions sahariennes et sur les relations des Azdjer
avec les Turcs[212].

Ces projets, tous parfaitement exécutables, furent écartés, et,
à la grande surprise des Touareg, nous ne cherchâmes pas à venger
nos morts.

Quant au Transsaharien, l’idée en fut momentanément abandonnée,
et, pour clore la grande enquête ouverte en juillet 1879 par M. de
Freycinet sur cette vaste conception, le conseil général des
Ponts et Chaussées émit l’avis, dans sa séance du 21 juin 1881,
« que, puisque l’entreprise d’un chemin de fer transsaharien
ne pouvait être abordée que lorsqu’on aurait occupé d’une
manière permanente et définitive le Sahara algérien, il y avait
lieu d’ajourner toute décision sur le choix d’une ligne pour
amorce de ce chemin de fer, et de ne donner suite aux avant-projets
présentés qu’autant que l’exécution en serait réclamée dans
un intérêt politique et stratégique. »


                                   *
                                  * *


En cette même année 1881, qui vit le massacre de la mission
Flatters, se produisait un événement considérable dans notre
histoire coloniale, événement vraiment décisif pour l’avenir de
la France dans l’Afrique du Nord. Par le traité de Kasr-Saïd,
du 12 mai 1881, la France établissait son protectorat sur la
Tunisie. Les conditions de la pénétration saharienne allaient se
trouver de ce fait profondément modifiées et améliorées, puisque
cette pénétration, au lieu d’avoir pour base l’Algérie seule,
allait s’appuyer également sur la régence de l’Est ; celle-ci,
présentant par le golfe des Syrtes une échancrure du continent
africain qui met la mer en contact direct avec le désert, semblait
devoir offrir des facilités particulières pour l’établissement
de relations politiques ou commerciales avec le _hinterland_ saharien.

Du côté du Sénégal, après un long temps d’arrêt, les grands
projets conçus par Faidherbe étaient repris et poursuivis. Le
colonel Brière de l’Isle et l’amiral Jauréguiberry se firent les
champions de ces projets, qui donnaient les postes du Haut-Sénégal,
et non l’Algérie comme têtes de lignes aux routes commerciales
du Soudan. Un poste était établi à Bafoulabé en 1879, à Kita en
1881. Diverses missions d’études furent envoyées ; la principale
fut celle du capitaine Gallieni en 1881, qui entra en relations avec
le roi de Ségou, Ahmadou, et obtint des résultats géographiques
et politiques considérables. Les levés de la mission Derrien ayant
démontré l’absence de grands obstacles, on décida, en 1881, la
construction d’une première section du chemin de fer du Sénégal
au Niger, celle de Kayes à Bafoulabé[213].

Le Gabon comme le Sénégal servait de point de départ à
l’acquisition de vastes domaines. Les explorations de Marche,
de Brazza et de Ballay attirèrent l’attention publique sur le
bassin du Congo. En 1879, P. Savorgnan de Brazza, déjà connu par
une exploration de trois ans dans l’Ogooué (1875-78), fondait
Franceville, et en 1880 Brazzaville sur le Congo.

                               * * * * *


[Note 171 : In-8o, Paris, 1830.]

[Note 172 : Cité par P. LEROY BEAULIEU, _Le Chemin de fer
Transsaharien_, R. D. M. 1er juillet 1899, p. 94.]

[Note 173 : A. DUPONCHEL, _Le Chemin de fer de l’Afrique centrale_,
Montpellier, 1875. — Id., _Le Chemin de fer de l’Afrique
centrale_, extr. de la _Revue de France_, 1877.]

[Note 174 : A. DUPONCHEL, _Le Chemin de fer transsaharien, études
préliminaires du projet et rapport de mission_, Paris, 1879.]

[Note 175 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 401.]

[Note 176 : _C. R. des Séances de la Commission supérieure du
transsaharien_, 1879-1880 (autogr.).]

[Note 177 : _Ministère des Travaux publics, Documents relatifs à
la mission dirigée au Sud de l’Algérie par M. Pouyanne_, Paris,
Impr. Nat., in-4o, 1886.]

[Note 178 : COYNE, _Une ghazzia dans le Grand Sahara_, in-8o, Alger,
1881. Coyne est également l’auteur d’une excellente brochure
sur le Mzab, in-8o, Alger, 1879.]

[Note 179 : _Documents_, III, p. 137.]

[Note 180 : C. SABATIER, _Mémoire sur la géographie physique du
Sahara Central_ (_Bull. Soc. Géogr. d’Oran_, 1880, p. 271). —
Id., _La question du Sud-Ouest_, in-8o, Alger, 1881. Cf. _Mission
Pouyanne_, p. 178.]

[Note 181 : _Ministère des Travaux Publics. Documents relatifs à
la mission dirigée au Sud de l’Algérie par M. Choisy_, in-4o,
Paris, Impr. Nat. 1890.]

[Note 182 : GEORGES ROLLAND. _Géologie et Hydrologie du
Sahara algérien_, 2 vol. de texte et 1 atlas, in-4o, Paris,
Impr. Nat., 1890-94. Cf. Id., _Sur le Terrain crétacé du Sahara
septentrional_ (_Bull. Soc. Géol. Fr._, 1881, p. 508). — Id.,
_Sur les grandes dunes de sable du Sahara_ (_Bull. Soc. Géol. Fr._
1882, p. 31). Id., _Hydrographie et orographie du Sahara algérien_
(_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1886, p. 203).]

[Note 183 : _Ministère des Travaux Publics, Documents relatifs à
la mission dirigée au Sud de l’Algérie par le lieutenant-colonel
Flatters_, Paris, Impr. Nat. 1884, in-4o. Il existe, du Journal
de route imprimé dans ce volume, un texte autographié qui a
été remis en 1881 aux membres de la Commission supérieure du
Transsaharien. Cf. DERRÉCAGAIX, _Les deux Missions du Colonel
Flatters_ (_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1882, p. 131). — F. BERNARD,
_La sebkha d’Amadghor et le massacre de la mission Flatters_
(_Bull. Soc. Géogr._, Paris, 1882). — Id., _Deuxième mission
Flatters, historique et rapport rédigés au Service central des
affaires indigènes_, avec carte, in-8o, Alger, 1882. — Id., _Deux
missions françaises chez les Touareg_, Alger, in-8o, 1882. —
Id., _Quatre mois au Sahara_, Paris, 1882. — Id., _Deux missions
françaises chez les Touareg_, Alger, in-8o, 1896. — Anonyme (le
capitaine BERNARD) _Les deux missions Flatters, par un membre de la
première mission_, in-18, Paris, DREYFOUS, 1884. — H. BROSSELARD,
_Voyage de la mission Flatters au pays des Azdjer_, in-8o, Paris,
1883. — Id., _Les deux missions Flatters_, Paris, 1888, in-16. —
F. PATORNI, _Les tirailleurs algériens au Sahara. Récits de trois
survivants de la mission Flatters_, in-8o, Constantine, 1884. —
_Récits d’un des survivants indigènes de la deuxième Mission_
(Mohamed ben Haoua), dans _Chron. trimestr. des Missions d’Afrique_,
juillet 1881. — RABOURDIN, _Algérie et Sahara_, in-8o, Paris,
1882.]

[Note 184 : _Documents relatifs à la mission Flatters_, p. 1.]

[Note 185 : SCHIRMER, _Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts_
(_Bull. Soc. Géogr. de Lyon_, 1896). Nous prendrons cette excellente
brochure pour guide dans l’exposé de ce qui est relatif aux deux
missions Flatters.]

[Note 186 : Cité par SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 22-23.]

[Note 187 : Sur le meurtre de Mlle Tinné, v. H. SCHIRMER, _Pourquoi
Flatters_, etc., p. 19, note 1 ; _Ann. de Géographie_, 1898, p. 183,
et la polémique avec M. P. Vuillot dans _Questions Dipl. et Col._
15 janv. et 15 fév. 1898, et _Bull. Afr. Fr._ 1898, p. 313.]

[Note 188 : P. VUILLOT, p. 178.]

[Note 189 : F. BERNARD, _Deux missions françaises chez les Touareg_,
p. 134.]

[Note 190 : _Documents relatifs à la mission Flatters_, p. II.]

[Note 191 : H. SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 20.]

[Note 192 : SCHIRMER, art. cité, p. 13.]

[Note 193 : VUILLOT, p. 185.]

[Note 194 : SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 20.]

[Note 195 : A. DUPONCHEL, _Lettre à la Commission supérieure du
Transsaharien_, Montpellier, 1880, p. 12.]

[Note 196 : H. SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 21.]

[Note 197 : _Deuxième mission Flatters, Historique et rapport
rédigés au Service central des Affaires indigènes_, p. 333.]

[Note 198 : _Ibid._, notamment 327 et suiv.]

[Note 199 : _Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. réd. au
Serv. centr. des Aff. indig._, p. 3-4.]

[Note 200 : _Ibid._, p. 141 et suiv.]

[Note 201 : VUILLOT, p. 197.]

[Note 202 : Cela résulte très clairement de l’enquête qui suivit
la catastrophe (_Histor. et Rapp. du Serv. centr. des Aff. Indig._).]

[Note 203 : _Deuxième Mission Flatters, Histor. et Rapp. du
Serv. centr. des Aff. Indig._, p. 97 et suiv., 201 et suiv.]

[Note 204 : F. FOUREAU, _D’Alger au Congo par le Tchad_, 8o, Paris,
1902, p. 104 et suiv.]

[Note 205 : _Documents relatifs à la mission dirigée au Sud de
l’Algérie par le colonel Flatters_, Paris, Impr. Nat. in-4o, 1884.]

[Note 206 : _Gouvernement Général de l’Algérie, Deuxième
Mission Flatters, Historique et rapport rédigés au Service central
des Affaires indigènes_, in-8o, Alger, 1882.]

[Note 207 : _Carte d’une partie de l’Afrique Septentrionale_,
résumant les travaux des missions dirigées en 1879-81 par
MM. Flatters, lieutenant-colonel ; Pouyanne, ingénieur des Mines ;
Choisy, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, complétée à
l’aide des cartes des voyages de Barth, Duveyrier, Rohlfs, dressée
par L. Pech, publiée par décision du Ministre des Travaux Publics,
à 1/2.500.000e 1883, 4 feuilles.]

[Note 208 : SCHIRMER, _Pourquoi Flatters_, etc., p. 8.]

[Note 209 : P. 23.]

[Note 210 : KRYZANOWSKI, _Quest. Diplom. et Colon._, 1899, t. VII,
p. 132.]

[Note 211 : _Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. rédiges
au Serv. Centr. des Aff. indig._, p. 137 et suiv., 345 et suiv.]

[Note 212 : Commandant WOLFF, _Henry Duveyrier, son dernier projet
de voyage dans le Sahara, lettres inédites_ (_Congrès Nat. des
Soc. Fr. de Géogr._, XIXe session, Marseille, 1898, p. 490).]

[Note 213 : PAUL BOURDE, _La France au Soudan_, _Revue des
Deux-Mondes_, 1880, 1er déc., p. 659 ; 1881, 1er févr., p. 689.]




                              CHAPITRE V

                  LA PÉRIODE D’EFFACEMENT (1881-1890)

I. Conséquences du massacre de la mission Flatters. — Création
du poste d’Aïn-Sefra et insurrection de Bou-Amama (1881). —
Projets de Saussier sur Figuig (1882). — Occupation du Mzab
(1882), de Ouargla, de Touggourt, d’El-Oued, de Djenien-bou-Rezg
(1885). — Inauguration des voies ferrées d’Aïn-Sefra (1887)
et de Biskra (1888). — Sondages artésiens dans l’Oued-Rir et
à Ouargla. — Idées du commandant Rinn.

II. Explorations. — Les Pères Richard, Morat et Pouplard
(1881). — Première mission Foureau (1883). — Teisserenc de Bort
(1885). — Palat (1886). — Douls (1889).

III. Cartographie. — Renseignements recueillis par MM. de Castries
(1882) et Le Châtelier (1885-86). — Missions de M. René
Basset. — Ouvrages de MM. de Motylinski, Masqueray, Amat sur le
Mzab. — Les Touareg Taïtoq prisonniers : travaux de MM. Masqueray
et Bissuel.

IV. Mission Crampel. — Fondation du Comité de l’Afrique
française.


                                   I


Le massacre de la mission Flatters marque un nouveau temps d’arrêt
dans la pénétration saharienne. Ce temps d’arrêt a plus de
gravité et entraîne des conséquences plus fâcheuses que celui
qui s’était produit en 1864. En 1864, on nous savait occupés
ailleurs ; nous remettions à plus tard pour profiter d’un succès,
la convention de Ghadamès ; en 1881, notre effacement ne pouvait
être attribué qu’à la timidité et à la crainte, car nous
attendions pour tirer vengeance d’un échec, le désastre de la
mission Flatters. Aussi l’audace de nos adversaires sahariens,
enhardis par notre faiblesse, va-t-elle sans cesse en croissant,
et de nouvelles victimes viennent s’ajouter à la liste déjà
longue des explorateurs qui ont trouvé la mort dans le Sahara. « Si
vous ne faites rien, disait un indigène de Tripoli à M. Féraud,
qu’aucun des vôtres n’essaie plus de s’avancer dans le Sud :
le Targui, convaincu de votre faiblesse, tuera et tuera toujours
les vôtres[214]. »

La Division d’Oran proposait depuis longtemps d’envoyer
une colonne dans le Sud pour y montrer notre drapeau[215]. Les
événements allaient bientôt se charger de démontrer la nécessité
d’une action vigoureuse. C’est alors, en effet, qu’éclata
l’insurrection de Bou-Amama, petit marabout indigène qui ne fut
en somme que l’habile instigateur d’un grand rezzou. Bou-Amama
n’a pas créé de toutes pièces une rébellion ; son action a
été la résultante d’une situation telle, qu’à son défaut
un autre instigateur plus redoutable eût pu se dresser contre
nous. On put alors se rendre compte de la prévoyance du général
Cérez, commandant de la division d’Oran, lorsqu’il demandait
avec instance, depuis deux ans, l’envoi d’une colonne dans ces
régions pour y rétablir notre autorité et y fonder un poste
permanent. Dès que les événements le permirent, on reprit le
projet d’installation de ce poste. On choisit la localité
d’Aïn-Sefra, au centre de la région des Ksour, qui allait
nous permettre désormais d’exercer sur la contrée une active
surveillance. Mais cette installation demandait à être complétée
par une action vigoureuse de nos troupes. En 1881, le général
Delebecque reparut dans la région de Figuig, que nous n’avions
pas abordée depuis 1870[216]. En 1882, le commandant Marmet,
en poursuivant des dissidents, eut un engagement sous Figuig avec
les habitants de l’oasis, qui accentuaient de plus en plus leur
hostilité. Le général Saussier proposait d’en finir avec ces
Ksouriens et d’assurer enfin la sécurité de notre frontière ;
mais il ne reçut pas l’autorisation d’agir.

Cependant les velléités d’énergie que nous avions montrées dans
le Sud-Oranais, où nous avions poussé jusqu’à Fendi[217], sur
la rive droite de l’Oued-Zousfana, et jusqu’à l’Oued-Zelmou,
un des affluents supérieurs de l’Oued-Guir, allaient bientôt
porter leurs fruits. En 1883, le général Thomassin obtenait la
rentrée des Ouled-Sidi-Cheikh Cheraga, éloignés de nous depuis
1864. C’était la fin de cette guerre d’escarmouches perpétuelles
qui durait depuis vingt ans[218].

En mars 1885, le général Delebecque décidait d’élever un poste
fortifié à Djenien-bou-Rezg, destiné à couvrir les communications
qui relient Figuig à Aïn-Sefra à travers les montagnes et à
surveiller l’oasis marocaine. Djenien fut occupé en juillet 1885 ;
malheureusement, les travaux d’installation du nouveau poste, à
peine commencés, durent être interrompus, et le bordj ne fut achevé
qu’en décembre 1888. La réserve que nous nous étions imposée
en cette circonstance ne pouvait qu’être mal interprétée par
les indigènes de ces régions, et c’est ce qui eut lieu en effet.

Entre temps, on s’était décidé à donner au nouveau poste
d’Aïn-Sefra toute sa force en prolongeant la voie ferrée
jusqu’à ce ksar ; parvenue à Méchéria en 1882, elle atteignit
Aïn-Sefra en 1887.

Dans les deux provinces de l’Est, Laghouat et Biskra étaient
restées, en somme, les limites de notre occupation effective. Sous
prétexte que les Ouled-Sidi-Cheikh avaient tiré du Mzab une partie
de leurs approvisionnements pendant l’insurrection, on transforma
en annexion le protectorat du maréchal Randon[219]. Cette mesure fut
peut-être inutile ou même nuisible, car elle était de nature à
compromettre l’avenir de ce pays artificiel[220]. On la compléta
en occupant ou réoccupant successivement Touggourt et El-Oued, dans
la division de Constantine, et Ouargla dans celle d’Alger. En 1888
fut inaugurée la voie ferrée de Biskra.

Dans l’Oued-Rir, l’exemple donné par la Compagnie de l’Oued-Rir
fut bientôt suivi par d’autres Européens, qui y créèrent à
leur tour des exploitations prospères. MM. G. Rolland et de Courcival
fondèrent la _Société de Batna et du Sud-Algérien_, qui créa les
oasis nouvelles d’Ourir et de Sidi-Yahia (1882), et de Ayata (1884),
pendant que la _Compagnie de l’Oued-Rir_ créait Chria-Saïa (1881),
et acquérait du capitaine Ben-Driss l’oasis de Tala-en-Mouidi,
créée par lui en 1879[221]. De 1856 à 1890, le nombre des oasis de
l’Oued-Rir a été porté de 33 à 42 ; le chiffre de la population
a doublé. Le nombre des palmiers a monté de 360.000 à 630.000,
leur valeur de 1.300.000 francs à plus de 10 millions de francs ;
136 puits artésiens ont été forés suivant la méthode française,
débitant plus de 200.000 litres à la minute[222].

Dans la région d’Ouargla[223], depuis 1883, époque où le
premier coup de sonde fut donné, 54 sondages ont été tentés,
dont la grande majorité a réussi (débit total de 7.440 litres
à la minute en 1892). A El-Goléa, des puits artésiens ont été
forés avec succès.

En Tunisie, une organisation militaire fut créée dans l’Arad de
Gabès, peu de temps après la conquête : c’est le système des
trois points de Médenine, Metameur et Tatahouine.

En 1886, le commandant Rinn[224], étudiant l’état des frontières
sahariennes de l’Algérie, conseillait de porter notre ligne de
postes militaires tout contre les Areg, et préconisait notamment
l’occupation d’Igli, à défaut de celle du Touat. Igli, placé
sur la rive de l’Oued-Saoura, à proximité de l’Oued-Guir et
de l’Oued-Zousfana, fermerait l’ouverture entre nos derniers
établissements du Sud-Oranais et les Areg[225]. M. Rinn conseillait
surtout la construction progressive de voies ferrées, ouvrant le
pays à l’avant et garantissant sa soumission à l’arrière.


                                  II


Au delà de nos frontières et de la région occupée par nos troupes,
le Sahara se fermait de plus en plus. La douloureuse émotion causée
par le désastre de la mission Flatters était à peine calmée,
que le Sahara faisait de nouvelles victimes. Le bon accueil relatif
que le P. Richard avait trouvé en 1879 chez les Imanghasaten et les
Ifoghas avait fortifié sa résolution d’aller fonder une mission
à Ghat même[226]. Ce missionnaire, brillant tireur, cavalier
intrépide, médecin réputé infaillible, était devenu Arabe au
point de voyager avec les caravanes sans laisser soupçonner qu’il
fût Français, et put faire ainsi à plusieurs reprises la course
dangereuse d’Ouargla à Ghadamès[227]. A la fin de décembre 1881,
le Père Richard, accompagné des Pères Morat et Pouplard, partit
de Ghadamès, suivi de quelques Chaanba et guidé par des Touareg
Imanghasaten, avec l’intention de gagner Ghadamès. On apprit
bientôt que les trois Pères Blancs avaient été assassinés par
les Touareg peu de jours après leur départ. En 1893, M. Foureau,
au retour d’une de ses missions, put visiter le lieu du massacre,
à 11 kilomètres seulement à l’ouest de Ghadamès, un peu au
nord de la route de Ghadamès à Hassi-Imoulay ; il rapporta les
ossements de deux des victimes. Le cardinal Lavigerie, à la suite de
ce meurtre, renonça à la voie du Sahara pour étendre ses missions
dans le centre africain. Il se borna désormais à entretenir des
stations de missionnaires à Ghardaïa, Ouargla et El-Goléa[228].

Le Gouvernement de l’Algérie parut lui aussi se désintéresser
désormais des explorations sahariennes. Aussi ce fut au Ministère
de l’Instruction publique que s’adressa M. Foureau pour
obtenir l’appui qui lui était nécessaire, et c’est avec
son aide qu’il put entreprendre, en décembre 1882, son premier
voyage saharien. Son intention était d’aller au moins jusqu’à
Hassi-Messeguem. Partant d’Ouargla, il gagna directement Aïn-Taïba
par Hassi-Djeribia. Ses guides Chaanba refusant d’aller plus loin,
à cause de l’insécurité du medjebed d’In-Salah à Ghadamès,
il revint à Hassi-Djeribia, puis poussa une pointe dans le Sud-Ouest
sur Hassi-Ouled-Aïch par Hassi-Tamesguida et Hassi-Chaanbi. Il
reprit ensuite le chemin d’Ouargla, laissant à sa gauche la
vallée de l’Oued-Mya. Bien qu’il n’eût pas accompli son
programme primitif, il rapportait des renseignements intéressants
sur le Sud du Sahara d’Ouargla. Son itinéraire du Hassi-Djeribia
au Hassi-Ouled-Aïch est entièrement nouveau, et le voyageur a
fixé l’emplacement de tous les puits visités sur une carte au
1/500.000e qui reproduit dans ses moindres détails le relief de la
région parcourue[229].

En 1883, M. Bourlier, qui venait de visiter Ouargla, songea à
pousser une pointe sur In-Salah. Mais on le dissuada de donner
suite à ce projet ; pour qu’une pareille entreprise réussisse,
lui disait-on, il faut qu’elle soit exécutée avec rapidité,
afin de ne pas laisser à ceux qui pourraient y porter obstacle le
temps de se reconnaître ; mais alors les résultats en sont peu
profitables pour la science.

En 1885, M. L. Teisserenc de Bort, accompagné de
M. R. Deschellereins, ingénieur civil, et de M. Bovier-Lapierre,
préparateur au Muséum, partit de Touggourt et s’avança
jusqu’à Hassi-Ould-Miloud, dans l’Igharghar. Puis, inclinant
vers le Sud-Est, il alla passer à Bir-Aouidef et remonta ensuite
sur Berresof, gagnant de là le Nefzaoua et Gabès[230]. En 1888,
M. L. Teisserenc de Bort parcourut le sud de l’Algérie ; il
s’avança jusqu’à El-Goléa, et remontant l’Oued-Seggueur,
par Daïat-el-Hamra, atteignit Brézina[231].

Ces excursions sur les confins immédiats de nos possessions
demeurent seules possibles pendant cette période ; ceux qui tentent
de s’avancer au-delà succombent. L’un de ces derniers fut Marcel
Palat, lieutenant de cavalerie, qui avait publié, sous le pseudonyme
de Marcel Frescaly, plusieurs volumes de poésies ou de nouvelles
algériennes qui ne sont pas sans quelque mérite. Palat, qui avait
obtenu une mission et des fonds du Ministère de l’Instruction
publique, comptait d’abord partir du Sénégal. L’opposition des
bureaux de la Marine et la promesse de Si Hamza de l’accompagner
jusqu’à In-Salah le décidèrent à pénétrer par la province
d’Oran (1885). Mais Si Hamza, empêché au dernier moment, le confia
à un de ses parents éloignés ; Si Kaddour devait le rejoindre
au Gourara et le conduire à In-Salah. Palat se rendit d’abord
à El-Goléa, puis suivit l’Oued-Meguiden ; il séjourna quelque
temps dans les ksour du Tinerkouk (Gourara septentrional), où il
fut rejoint non par Si Kaddour, mais par son fils Mohammed. Palat se
rendit dans l’Aouguerout[232] et de là poussa seul une pointe
jusque chez Bou-Amama, dans le Deldoun, où il reçut un bon
accueil. De retour dans l’Aouguerout, il quitta définitivement
ses compagnons de route, les Ouled-Sidi-Cheikh, pour se confier
à des gens des Ouled-ba-Hammou, venus soi-disant le chercher de
la part d’Abd-el-Kader ben Badjouda, cheikh d’In-Salah. Quatre
jours après, Palat était assassiné à Hassi-Cheikh, à l’Ouest
d’In-Salah, avec son interprète Belkassem.

Quoique les détails de cette fin tragique et ses causes ne soient
pas exactement connus, et que l’endroit même où périt le
jeune officier n’ait pas pu être déterminé d’une façon
exacte[233], il semble qu’il ne faut pas en accuser seulement une
bande de pillards des Ouled-ba-Hammou[234] ; ni la responsabilité de
Bou-Amama, ni celle des gens du Gourara ne parait engagée dans cette
mort ; mais il n’en est pas de même des gens d’In-Salah, qui
avaient fourni à Palat les guides qui le tuèrent. D’ailleurs, une
pareille issue était plus que probable, étant donné les conditions
de l’exploration de Palat ; si Rohlfs avait pu parcourir les oasis
en 1864, c’est qu’il voyageait, comme il le dit lui-même, sous
le masque de l’Islam, à une époque où les populations du Touat
ne se sentaient pas encore menacées par la venue des chrétiens :
il en était autrement en 1885. Peut-être cependant la mission
eût-elle fini moins tristement si le Gouvernement général et
les Ouled-Sidi-Cheikh avaient déployé en sa faveur une action
plus énergique.

La fin de Camille Douls est enveloppée de plus d’obscurité
encore que celle de Palat. Elle n’est connue que grâce à
des renseignements recueillis par les officiers français dans le
Sud-Algérien, et consignés dans une lettre adressée au Président
de la Société de Géographie de Paris par le général Poizat,
commandant la division d’Alger[235]. Douls était un jeune
voyageur français qui voulait parcourir le Sahara en se faisant
passer pour musulman et même pour hadji ; mais il n’avait qu’une
connaissance insuffisante des idiomes et des coutumes de l’Afrique
musulmane. Après un premier voyage au Sahara occidental, il partit
en compagnie de deux pèlerins marocains ; il s’était muni,
paraît-il, de lettres de recommandation du chérif d’Ouazzan. Il
se rendit au Touat, refaisant vraisemblablement l’itinéraire
suivi par Rohlfs en 1864. Il fut reconnu comme Européen bien avant
d’atteindre le Reggan ; tout alla à peu près bien jusqu’à
l’Aoulef, mais avant d’atteindre les oasis d’Akabli, au lieu
dit Iliren, le voyageur fut assassiné par des Touareg avec qui il
avait fait marché pour être conduit à Tombouctou[236].

Mentionnons encore quelques projets d’exploration ou de
pénétration commerciale qui n’eurent pas de suite. En 1886, le
général Philebert propose de conduire à Amadghor, en passant par
El-Goléa, Farès-oum-el-Lil, Teganet, Kheneg-el-Hadid et Idelès,
une colonne suffisante pour n’avoir rien à craindre des Touareg,
et de former en ce point des caravanes qui seraient envoyées dans
les directions de Tombouctou par Timissao, de Kano par l’Aïr
et de Kouka par Ghat, Kaouar et Bilma. Si la seconde partie de ce
projet paraît peu pratique, la première en revanche, qui consistait
à se montrer en force dans l’Ahaggar, aurait eu sans doute les
meilleurs résultats.

En 1889, M. E. Bonhoure propose d’occuper pacifiquement le Touat et
le Tidikelt et d’y fonder un établissement commercial, en un point
bien choisi entre In-Salah et Akabli. Le Gouvernement général émit
l’avis que ce projet, pour produire des résultats avantageux,
devrait être précédé de tentatives qui permettraient à nos
négociants de s’initier aux choses du Sahara.

En 1890, MM. Hackemberger, ancien officier, et Flault, commis à
l’inspection académique de la Sarthe, sollicitent du Ministre de
l’instruction publique une mission pour se rendre d’Algérie à
Tombouctou et au Sénégal. Sur un rapport de Duveyrier et un avis
conforme du Gouvernement général, ces demandes sont rejetées parce
que leurs auteurs ne sont nullement préparés par leurs études
antérieures à accomplir un tel voyage et que les dangers à courir
sont trop grands pour des résultats bien précaires.


                                  III


A défaut d’explorations, il faut se contenter, pendant cette
période, de progrès cartographiques ou scientifiques et de
renseignements indirects. En 1885, le Service géographique de
l’armée commençait la publication d’une carte d’Afrique à
1/2.000.000e, dressée par le commandant Lannoy de Bissy, qui mit
à profit toutes les cartes françaises et étrangères, ainsi que
les renseignements fournis par les recueils géographiques et les
relations de voyages ; elle donnait autant que possible tous les
itinéraires des explorateurs. La première édition de cette carte
fut publiée de 1881 à 1890, en deux couleurs (planimétrie en noir,
figuré du terrain en gris bleuté).

Lors de la réapparition de nos armes dans la région de Figuig en
1881-82, le capitaine Henry de Castries avait souvent campé dans
les environs des oasis avec nos colonnes, mais sans pénétrer dans
aucun ksar[237]. Après avoir levé la partie ouest des plateaux
oranais en 1878, il avait dressé la carte de la région des ksour
en 1880-82[238]. En juin 1883 paraissait une réédition de la carte
du Sud-Oranais au 1/400.000e, revue et complétée d’après les
travaux de M. Castries et de diverses autres officiers[239]. En 1886,
le Service géographique publiait également une carte provisoire
du Sud-Oranais à 1/200.000e[240]. La même année, le Gouvernement
général publiait une carte de l’Extrême-Sud de l’Algérie
à 1/800.000e[241].

Après l’occupation de la Tunisie, le progrès géographique
marche de pair avec le progrès de la pacification. Une première
carte du Djebel-Douirat accompagne _Le Sud de la Tunisie_, par le
commandant Rebillet (1886). Vers la même époque paraît la carte
du Service géographique de l’armée à 1/200.000, dite _Carte de
reconnaissance_, œuvre tout à fait remarquable comme rapidité
topographique et aussi comme exactitude. La limite sud de cette
carte longe le bord méridional du Djerid et du Nefzaoua : elle
pousse ensuite une pointe dans le Sahara jusqu’au poste romain
d’El-Haguef ; elle donne le Djebel-Douirat et ses ksour[242].

En matière de cartographie privée il faut mentionner la carte
du Sahara septentrional par laquelle M. Foureau préludait à ses
explorations ultérieures[243].

En outre de ses travaux cartographiques, le capitaine de Castries
avait recueilli, dans la région de Figuig, les éléments d’un
remarquable et consciencieux mémoire[244], demeuré jusqu’à ces
dernières années le meilleur guide sur la grande oasis saharienne.

En 1886, le capitaine Le Châtelier publiait dans le _Bulletin
de la Société de Géographie_[245] un intéressant mémoire
sur le _Régime des eaux du Tidikelt_, et, dans le _Bulletin de
Correspondance Africaine_[246], une _Description de l’oasis
d’In-Salah_ d’après les renseignements recueillis pendant un
séjour de 18 mois à Ouargla. Il y traite de la géographie du
territoire d’In-Salah, des populations nomades et sédentaires,
de leur constitution sociale et politique, de la situation
commerciale. Les renseignements et itinéraires indigènes ont été
vérifiés et critiqués avec soin[247] ; c’est une œuvre de
recherches minutieuses et savantes autant que d’érudition. Le
même auteur a écrit l’histoire d’une bande de pillards
Chaanba, qui ont tenu le Sahara pendant dix ans, de 1874 à 1883,
et dont l’épopée forme un curieux chapitre de l’histoire
saharienne[248].

Diverses missions de M. René Basset intéressent la géographie
saharienne, celle notamment qu’il accomplit en 1881 à Aïn-Madhi,
et au cours de laquelle divers itinéraires au Sahara central lui
furent communiqués par le bureau arabe de Laghouat ; il les a
publiés et commentés avec l’érudition la plus sûre et la
plus étendue[249]. Dans un autre ordre d’idées, la mission
de M. René Basset au Mzab et à Ouargla en 1886 doit être
mentionnée ; il y faisait des recherches sur les manuscrits arabes
des zaouïas des oasis du Sud[250] et en rapportait de précieux
matériaux non seulement sur le dialecte parlé par les Mozabites,
mais aussi sur d’autres dialectes berbères, notamment sur celui
des Aoulimmiden[251].

Les curieuses populations du Mzab continuent d’ailleurs à
intéresser les savants. En 1885, M. de Motylinski donnait une
excellente notice sur Guerara[252] ; il dressait le catalogue
des livres des Beni-Mzab et analysait leurs principales
chroniques[253]. En 1886, Masqueray publiait son œuvre la plus
considérable au point de vue historique, la _Formation des cités
chez les populations sédentaires de l’Algérie_[254] ; un tiers
de ce bel ouvrage est consacré aux populations du Mzab, que le Dr
Ch. Amat, chargé de l’organisation du service médical au Mzab,
étudiait peu après à son tour à un point de vue différent[255].

Vers la fin de 1887, des Touareg Taïtoq et Kel Ahnet furent
amenés à Alger et internés au fort Bab-Azoun, à la suite d’une
expédition malheureuse qu’ils avaient entreprise chez les Chaanba
Mouadhi. Masqueray se mit en relations avec eux, fit faire à deux
d’entre eux, Kenan-ag-Tissi et Chekkad-ag-Râli, le voyage de
Paris en 1889, et publia son _Dictionnaire français-touareg_[256],
celui-là même qu’il avait dû se faire pour converser avec eux
dans leur langue. La mort ne lui a pas permis d’achever cette
publication, mais le dernier fascicule du _Dictionnaire_, ainsi que
les textes, ont été publiés par les soins de M. René Basset,
qui a succédé à Masqueray dans la direction de l’Ecole des
Lettres d’Alger. Masqueray a publié aussi, dans divers journaux,
des contes touareg, des descriptions de la vie et des mœurs des
Touareg, où l’imagination a peut-être une trop grande part, mais
qui sont néanmoins une importante contribution à la connaissance
des populations du Sahara.

Ces mêmes Touareg du fort Bab-Azoun fournirent à M. le capitaine
Bissuel, chef de bureau arabe, la matière d’un ouvrage qui
intéresse plus directement encore la géographie. Chargé par le
général Poizat, commandant la division d’Alger, d’interroger
ces captifs et d’obtenir d’eux le plus de renseignements possible
sur leur pays, M. Bissuel réussit au delà de toute espérance,
et se fit donner de précieuses indications géographiques,
consignées dans son ouvrage _Les Touareg de l’Ouest_[257],
accompagné de deux cartes portant, l’une les routes suivies par
les Touareg de l’Ouest, l’autre l’Adrar-Ahnet à l’échelle
approximative de 1/800.000e, d’après un plan en relief exécuté
par ces indigènes. Les renseignements recueillis par M. Bissuel
sur la direction des vallées de ce massif ne concordent pas avec
ceux de M. Sabatier[258].

Les Touareg Taïtoq sont encore liés d’une autre manière à
l’histoire de l’expansion française en Afrique. L’un d’eux,
Chekkad, fut donné comme guide au jeune explorateur Paul Crampel, qui
se proposait, partant du Congo, de gagner le lac Tchad. La mission
Crampel fut anéantie, et le Targui, malgré les protestations
d’amitié qu’il envoyait à Masqueray, doit vraisemblablement
porter la responsabilité du massacre.


                                   *
                                  * *


Le domaine de la France dans l’Afrique occidentale s’est
considérablement étendu pendant cette période décennale. En 1890,
les Etats situés sur les rives du Sénégal sont, ou directement
administrés par nos agents, ou soumis à notre influence. A l’Est
et au Sud, nous avons débordé sur les pays soumis de trois côtés
à la fois, au Soudan (Haut-Niger), dans le Fouta-Djallon, aux
Rivières du Sud. Ces résultats ont été obtenus avec des forces
militaires très restreintes. En 1887, le lieutenant de vaisseau
Caron s’est même avancé sur le Niger jusqu’à Kabara, port de
Tombouctou. Mais l’exécution de la voie ferrée du Sénégal au
Niger a été poursuivie avec une extrême lenteur. Les changements
de personnel, la cherté des envois, faits souvent pendant la mauvaise
saison, le gaspillage du matériel, enfin deux épidémies de fièvre
jaune absorbèrent la majeure partie des crédits[259] ; au bout de
deux ans, 40 kil. seulement étaient construits, et c’est seulement
en 1888 qu’on atteignit Bafoulabé (132 kil.)[260].

Pendant ce temps se passait sur le Bas-Niger un événement d’une
bien autre portée. En 1884, les Compagnies françaises qui avaient
remonté le Niger et y avaient fondé des comptoirs, lassées d’une
lutte inégale et n’étant pas soutenues par le Gouvernement, se
laissèrent acheter leurs comptoirs par leurs concurrents anglais. La
Compagnie anglaise ne perdit pas de temps. Pour prévenir le retour
d’un semblable péril, elle se fit décerner en 1886 une charte
royale lui donnant le droit d’administrer le pays, et dès le 18
octobre 1887, l’Angleterre notifiait officiellement son protectorat
sur les territoires possédés par la Compagnie du Niger[261].

Nos comptoirs de la Côte-d’Ivoire, Grand-Bassam et Assinie,
ont servi de point de départ à de nombreux explorateurs qui ont
entrepris la conquête pacifique de l’arrière-pays. En 1888,
le capitaine Binger signait à Kong un traité de protectorat qui
nous attribuait une partie de l’immense boucle du Niger, jusque
là à peu près inconnue.

L’acquisition de la nouvelle colonie donnée à la France par de
Brazza avait été ratifiée par le Parlement en 1882 ; à la suite
du Congrès de Berlin, l’Association internationale africaine
devenait l’Etat indépendant du Congo, dont le roi des Belges,
Léopold II, était reconnu souverain. Les limites entre cet Etat
et le Congo français furent fixées par un traité de 1887, qui
assignait comme limite à la France la rive droite de l’Oubangui,
depuis son confluent avec le Congo jusqu’à sa source. De même que
l’Ogooué nous avait conduit au Congo et le Congo à l’Oubangui,
l’Oubangui à son tour nous conduisit vers le lac Tchad et vers
le Haut-Nil.

C’est par cette voie que nos explorateurs ont pénétré dans
l’Afrique centrale, cherchant d’une part à relier par le lac
Tchad le Congo à l’Afrique nigérienne et soudanienne, de l’autre
à se rapprocher de la vallée du Nil.

La pénétration saharienne prend une allure différente à partir
de 1890. C’est cette année-là que fut fondé le _Comité de
l’Afrique française_, qui a joué un si grand rôle dans la
fondation de l’empire colonial français en Afrique, et a provoqué
le grand mouvement d’opinion qui rendit les entreprises africaines
populaires en France. La mort de Crampel n’arrêta pas l’action du
Comité ; les projets du jeune explorateur furent repris et exécutés
par d’autres missions. Enfin, le 5 avril 1890, une convention
franco-anglaise partageait entre la France et l’Angleterre une
partie des territoires sahariens et soudaniens. Le « partage de
l’Afrique », commencé pendant la période précédente, va marcher
à pas de géant pendant la période décennale qui termine le XIXe
Siècle. Du côté de l’Afrique septentrionale, notre politique,
quoique bien timide encore, est un peu plus active que dans la
période précédente. M. Jules Cambon, Gouverneur général de
l’Algérie, manifeste de diverses manières l’intérêt qu’il
porte aux questions sahariennes, et, bien que cet intérêt soit
généralement demeuré platonique, son gouvernement marque une
reprise de la pénétration saharienne. En dernier lieu, la mission
Foureau-Lamy et la mission Flamand-Pein sont venues apporter ou tout
au moins préparer la solution de questions pendantes depuis plus
de trente ans, et ouvrir véritablement une ère nouvelle.


[Note 214 : _Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. rédigés
au Serv. Centr. des Aff. Ind._, p. 164.]

[Note 215 : _Documents_, II, p. 103.]

[Note 216 : _Id._, II, p. 525.]

[Note 217 : _Documents_, II, p. 119.]

[Note 218 : _Id._, II, 115.]

[Note 219 : ROBIN, _Le Mzab et son Annexion à la France_, Alger,
1884.]

[Note 220 : Dr AMAT, _Le Mzab et les Mzabites_, in-8o, Paris, 1888,
p. 297.]

[Note 221 : JUS, _Les Forages artésiens de la province de
Constantine_, Constantine, 1890. WEISGERBER, _Notes sur l’Oued
Rir et ses habitants_, Paris, 1886. Id., _Aperçu sur les conditions
sanitaires et hygiéniques du Sahara algérien et de l’Oued-Rir_,
Paris, 1885. GEORGES ROLLAND, _C. R. A. Sc._, janvier 1887 ;
_Revue Scientifique_, 18 févr. et 2 juillet 1887, 18 mars 1888 ;
_Bull. Soc. Géogr. comm._, 1887, p. 663 ; _Afas_, Oran, 1888, t. I,
p. 47 (av. carte).]

[Note 222 : G. ROLLAND, _Hydrologie du Sahara algérien_, p. 56. ID.,
_L’Oued-Rir et la colonisation Française_, in-8o, Paris, 1887.]

[Note 223 : _Gouvernement Général de l’Algérie. Notes sur le
pays d’Ouargla et les sondages opérés dans ses Oasis de 1883 à
1888_, Alger, Giralt, in-4o, 1889. — Cf. P. BLANCHET, _L’Oasis
et le pays d’Ouargla_, _Ann. de Géogr._, 1900. p. 47.]

[Note 224 : RINN (commandant), _Nos frontières sahariennes_,
Alger, 1886.]

[Note 225 : _Documents_, II, p. 145.]

[Note 226 : VUILLOT, p. 201.]

[Note 227 : BAUNARD, _Vie du Cardinal Lavigerie_, p. 201.]

[Note 228 : VUILLOT, p. 213.]

[Note 229 : VUILLOT, p. 219. Cf. FOUREAU, _Excursion dans
le Sahara Algérien_ (l’_Exploration_, tome XVI, p. 335 ;
_Bull. Soc. Archéol. de Constantine_, 1888, p. 34). _Une Excursion au
Sahara Algérien : Rapport au Ministre de l’Instruction publique_,
in-8o, Paris, 1883.]

[Note 230 : _C. R. Soc. Géogr. Paris_, 1885, p. 326, 421, 437,
et 1887, p. 531.]

[Note 231 : _Id._, 1892, p. 172.]

[Note 232 : La carte donnée par VUILLOT indique un ksar d’Ygrouth ;
il n’existe pas de ksar de ce nom : il faut entendre l’Aouguerout ;
par contre, Deldoun n’est pas un ksar, mais un district.]

[Note 233 : _Documents_, III, p. 225, note.]

[Note 234 : VUILLOT, p. 227.]

[Note 235 : _C. R. Soc. Géogr._ 1898, p. 52.]

[Note 236 : DELEUZE (Ct), _Monument élevé à l’explorateur
Camille Douls_ (_Bull. Soc. Géogr. d’Alger_, 1902, p. 408-412).]

[Note 237 : _Documents_, II, p. 539.]

[Note 238 : _Documents_, II, p. 459.]

[Note 239 : _Carte du Sud-Oranais à 1/400.000_e publiée par le
dépôt de la Guerre en 1855, revue et complétée en 1883 d’après
les travaux du capitaine de la Croix de Castries, des lieutenants
Delcroix et Brosselard, 4 feuilles.]

[Note 240 : _Carte du Sud-Oranais à 1/200.000_e, édition provisoire,
héliogravure sur zinc en couleurs, 15 feuilles, 1886.]

[Note 241 : Mentionnée par DEPORTER, _Extrême-Sud de l’Algérie_,
p. 1.]

[Note 242 : V. CORNETZ, _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1896, p. 521.]

[Note 243 : _Carte d’une partie du Sahara septentrional_, dressée
par F. FOUREAU, d’après l’Etat-Major, les documents les plus
récents, les travaux, cartes et itinéraires de Duveyrier, Parisot,
Le Châtelier, Bajolle, F. Bernard, Pech, Teisserenc de Bort, Foureau,
à 1/100.000e, 1888.]

[Note 244 : _Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1882, p. 401. Cf. _Documents_,
II, p. 461.]

[Note 245 : 3e trim. 1886, p, 364.]

[Note 246 : _Bull. Corr. afric._ (_Publicat. de l’Ec. des Lettres
d’Alger_), 1885, p. 266. — Cf. _Documents_, IV, p. 286.]

[Note 247 : _Documents_, IV, p. 286.]

[Note 248 : LE CHATELIER, _Les Medaganat_, in-8o, Alger, 1888.]

[Note 249 : RENÉ BASSET, _Documents géographiques sur l’Afrique
septentrionale_, in-8o, Paris, 1898 (Articles parus depuis 1883 dans
le _Bull. de la Soc. de Géogr. de l’Est_).]

[Note 250 : RENÉ BASSET, _Les manuscrits arabes des bibliothèques de
Aïn-Mahdi et Temacin, de Ouargla et de Adjadja_, in-8o, Alger, 1885.]

[Note 251 : RENÉ BASSET, _Notes de lexicographie berbère_, Paris
1883-88, 1re partie : Ghat et Keloui ; 3e partie ; Sud-Oranais et
Figuig ; 4e partie : Touat, Gourara, Aoulimmiden. — Id., _Etude
sur la zenatia du Mzab, de Ouargla et de l’Oued-Rhir_, Paris, 1893.]

[Note 252 : A. DE C. MOTYLINSKI, _Guerara depuis sa fondation_,
Alger, 1884.]

[Note 253 : A. DE C. MOTYLINSKI, _Les livres de la secte abadite_,
_Bull. Corresp. afric._, 1885, tome III.]

[Note 254 : In-8o, Paris.]

[Note 255 : CH. AMAT, _Le Mzab et les Mozabites_, in-8o, Paris, 1888.]

[Note 256 : E. MASQUERAY, _Dictionnaire français-touareg_
(_Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger_, 3 fascic., Paris
1893-95). — Id., _Observations grammaticales et textes de la
tamahaq des Taïtoq_, publiées par R. BASSET et GAUDEFROY-DEMOMBYNES
(_Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger_, 3 fascic., Paris
1896-97).]

[Note 257 : In-8o, Alger, 1888. V. notamment p. 39 et suiv.]

[Note 258 : _Documents_, III, p. 158. — SCHIRMER, _Le Sahara_,
p. 182. — C. SABATIER, _Touat, Sahara, Soudan_, p. 10.]

[Note 259 : SCHIRMER, p. 404.]

[Note 260 : _Bull. Afr. fr._, 1896, p. 332.]

[Note 261 : SCHIRMER, p. 405.]




                              CHAPITRE VI

            LA PÉRIODE DU PARTAGE DE L’AFRIQUE (1890-1900)

I. — La convention de 1890 avec l’Angleterre. — Occupation
d’El-Goléa (1891). — Voyage de M. Cambon à El-Goléa (1892). —
Projets d’expédition au Touat. — Les bordjs (1892-93). —
Prise d’In-Salah (1899). — Progrès dans l’Afrique occidentale
et centrale. — Prise de Tombouctou. — Politique saharienne du
Soudan. — La « course au lac Tchad ». — La convention de 1899.

II. — Explorations : Jacob (1892). — Godron (1895). — Flamand
(1896). — Germain et Laperrine (1898). — Cornetz (1891-94). —
Foureau (1890-1900). — La mission Foureau-Lamy (1898-1900).

III. — Tentatives de pénétration commerciale. — G. Méry
(1892-93). — D’Attanoux (1893-94). — Morès (1896). — Question
des marchés francs (1893). — Question du Transsaharien.

IV. — Renseignements recueillis par MM. Deporter (1890) et
Sabatier (1891). — Ouvrages de MM. Schirmer, Flamand, Vuillot,
de la Martinière et N. Lacroix. — Cartographie saharienne.


                                   I


Par la convention du 5 août 1890, « le gouvernement de
S. M. B. reconnaît la zone d’influence de la France au Sud de
ses possessions méditerranéennes, jusqu’à une ligne de Say,
sur le Niger, à Barroua, sur le Tchad ». Cette convention a été
assez diversement appréciée[262]. Suivant les uns, elle nous permet
de réunir toutes les colonies françaises du nord et de l’ouest
de l’Afrique et d’en faire un tout. Suivant les autres, cette
union est purement fictive et imaginaire ; pour la satisfaction de
teinter aux couleurs françaises, dans nos atlas, les vastes espaces
vides du Sahara, nous avons abandonné aux Anglais les véritables
portes de sortie de l’Afrique centrale, le Niger inférieur et la
Bénoué. Sous prétexte de nous autoriser à prolonger l’Algérie
vers le Sud, autorisation qui ne nous était nullement nécessaire et
que personne ne songeait à nous refuser, nous nous sommes laissés
exclure des riches territoires du Sokoto. Lord Salisbury se vanta,
non sans quelque apparence de raison, de nous avoir attribué la
mauvaise part, en nous donnant « les terres légères » du Sahara,
où le coq gaulois trouverait « de quoi gratter ».

Quoi qu’il en soit, si nous voulions tirer parti de cette
convention, la première chose à faire était de prendre possession
du Touat sans plus tarder. Tel paraît bien avoir été un moment
notre pensée. Un projet d’expédition aux oasis du Sud-Ouest par
Igli et l’Oued-Saoura fut étudié en 1890, puis ajourné[263]. On
se contenta de créer en 1891 un poste permanent à El-Goléa, à
cheval sur l’Oued-Mya qui va à l’Igharghar et l’Oued-Seggueur
qui va à l’Oued-Saoura ; en ce point, l’Oued-Seggueur,
sortant de l’Erg, bute contre le plateau crétacé et repart par
un coude brusque dans une direction perpendiculaire, en prenant
le nom d’Oued-Meguiden et en se dirigeant à l’W. S. W. vers
l’Aouguerout[264].

Cette mesure aurait dû être le prélude d’une action sur
In-Salah. Au mois d’août 1891, M. Jules Cambon écrivait combien il
lui paraissait nécessaire qu’enfin la France prît une résolution
qui assurerait définitivement la tranquillité de l’Algérie et
sa domination dans le Sud : « Les oasis du Touat, du Gourara et du
Tidikelt, disait-il, ont servi de refuge à tous les hommes de nos
tribus plus ou moins compromis, et ont été le centre de toutes les
agitations qui se produisent contre nous ; c’est là, au Deldoun,
que s’est réfugié Bou-Amama, qui cherche par tous les moyens à
encourager les insurrections, les razzias et les défections. D’un
autre côté, le souvenir de la mission Flatters, qui n’a pas été
vengée, écarte de nous les Touareg qui l’ont concertée. Enfin
les nécessités de la politique nous ont conduits à reconnaître la
suzeraineté de la Porte sur Ghadamès et sur Ghat ; il en résulte
que, si nous laissons échapper le Touat, qui est la plus grande
ligne d’eau et de la population se dirigeant à travers le Sahara
vers l’intérieur de l’Afrique, comme d’autre part la ligne
des oasis de Ghadamès-Ghat ne nous appartient plus, nous n’avons
plus de voie de pénétration facile et sûre dans le Sahara, et
le traité conclu avec l’Angleterre l’an dernier relativement
à l’hinterland algérien sera devenu une lettre morte entre nos
mains[265] ».

Mais M. J. Cambon ne parvint pas à faire partager cette manière
de voir par le Gouvernement de la métropole. On s’en tint à
décider l’augmentation des forces militaires dans le Sud, et le
prolongement du chemin de fer d’Aïn-Sefra sur Djenien-bou-Rezg,
c’est-à-dire des mesures préparatoires qui ne furent suivies
d’aucune action. Les essais faits pour utiliser des influences
indigènes, notamment celle du chérif d’Ouazzan, demeurèrent sans
grand résultat. En 1892, nous perdîmes une des plus belles occasions
d’agir qui se soit présentée. M. Cambon, exécutant un projet
conçu par son prédécesseur M. Tirman, se rendit à El-Goléa,
accompagné du général Thomassin, et les Ouled-Sidi-Cheikh
vinrent l’y saluer. C’est alors qu’on songea à reprendre avec
Si-Kaddour la politique qui nous avait jadis donné avec le concours
de son père Si-Hamza, le sultanat d’Ouargla[266]. Le chef des
Ouled-Sidi-Cheikh promettait de diriger au profit de notre cause ses
efforts vers les oasis du Touat. Ce projet n’aboutit pas plus que
les autres. Pendant ce temps, la cour de Fès poursuivait ses menées
et investissait des caïds dans les oasis ; les efforts du Sultan,
évidemment dirigés par les puissances européennes, ne manquaient
ni de persévérance ni d’intelligence. En 1893, le sultan Moulay
el Hassan visita le Tafilelt, pour y prier, disait-on, sur la tombe
de ses ancêtres ; il dut revenir en toute hâte, rappelé par les
événements de Melila, et notre situation dans le Sahara n’eut
guère à souffrir de ce voyage. La mort du Sultan (1894) rendit
encore impossible l’année suivante l’expédition du Gourara.

C’était une compensation insuffisante à notre inaction que la
construction de quelques caravansérails fortifiés ou bordjs,
au-delà des points extrêmes de nos possessions. En 1893, on
créa de ces forts, ainsi qu’on appelle un peu pompeusement ces
petits ouvrages, à Berresof, sur la route du Souf à Ghadamès, à
Hassi-el-Mey, au sud d’El-Oued et à Hassi-Inifel sur l’Oued-Mya,
près du confluent de l’Oued Insokki. En 1894, on construisit
Hassi-bel-Heïrane (Fort Lallemand), dans les gassis de l’Igharghar,
Hassi-Chebaba (Fort Miribel) à 135 kilomètres Sud d’El-Goléa,
sur la route d’In-Salah par le Tademayt, Hassi-el-Homeur
(Fort Mac-Mahon), à 165 kilomètres S. W. d’El-Goléa, dans
l’Oued-Meguiden, sur la route du Gourara. En 1895, on occupa
dans la province d’Oran El-Abiod-Sidi-Cheikh et Djenien-bou-Rezg,
postes qui, installés sur le revers de l’Atlas Saharien, allaient
nous permettre de surveiller le pays en avant, ce que n’avaient
pu faire nos postes de Géryville et d’Aïn-Sefra, placés au
débouché nord des montagnes. Enfin, en 1897, le chef-lieu du
cercle de l’Extrême-Sud, qui était primitivement à Ghardaïa,
fut transféré à El-Goléa.

Ces mesures étaient parfaitement justifiées s’il fallait y
voir une solution d’attente, si ces bordjs devaient être des
gîtes d’étape et des points d’appui en vue d’une marche
immédiate sur In-Salah ; c’était une charge sans compensation
si l’on devait s’imposer pendant des années le ravitaillement
coûteux et parfois dangereux de ces postes. Avec les nomades, quand
on occupe un point, on n’occupe que ce point. Bugeaud l’avait
déjà dit[267], et ce principe stratégique, déjà vérifié aux
confins du Tell, devient un axiome en pays saharien. La garde d’un
point d’eau ou d’un défilé n’empêchera jamais un djich,
un rezzou ou une harka de « passer à côté ». Selon le mot de
M. de Castries[268] « on ne tient pas les nomades avec des bordjs,
on les tient par le ventre ». Ce n’est pas par une progression
lente de notre base d’opérations et par la création de postes
perdus dans les immensités sahariennes que nous établirons notre
domination ; c’est en allant tout droit occuper les oasis où
se trouve une population sédentaire et agricole, où, par suite,
notre installation est facile, et d’où nous pouvons tenir « par
le ventre » les turbulents et les insoumis. C’est en occupant
In-Salah, carrefour de routes et lieu de ravitaillement des Touareg,
que nous les aurons à notre merci[269].

En 1898, M. Laferrière prit possession du Gouvernement général
de l’Algérie. Il montra en maintes circonstances qu’il
s’intéressait vivement aux questions de l’Extrême-Sud, et
qu’il était résolu à en finir avec les difficultés que nous
rencontrions dans le Sud-Oranais et au Touat. La présence à ses
côtés du capitaine Levé, officier familier avec les problèmes
sahariens et apportant à préparer leur solution l’activité la
plus énergique, était un indice certain que la pénétration
saharienne entrait dans une phase nouvelle. En effet, les
questions posées depuis 1890, voire depuis 1864, se sont trouvées
rapidement résolues à la suite de l’attaque de la mission de
M. G.-B.-M. Flamand, qui mit fin à des hésitations inexplicables.

Cette mission scientifique était escortée d’un goum d’environ
140 hommes, commandé par le capitaine Pein ; chef du poste de
Ouargla, cet officier s’était distingué dans la poursuite
d’un rezzou jusque dans la région de Ghadamès, et c’est à lui
qu’était échue, en 1898, la difficile mission de ravitailler,
dans un pays inconnu, la mission Foureau-Lamy. La mission Flamand,
arrivée le 27 décembre 1899 dans la région d’Iguesten, fut
attaquée le lendemain au point du jour par une troupe de 1.200
hommes venus d’In-Salah et des ksour voisins, et ayant à leur
tête les chefs du sof antifrançais des Badjouda. Le capitaine
Pein, malgré le faible effectif dont il disposait, repoussa les
agresseurs, qui eurent 50 tués ou blessés et laissèrent plus de
60 prisonniers, parmi lesquels Badjouda. Les portes de Ksar-el-Kebir
lui furent ouvertes. A la nouvelle du combat, le capitaine Pein
avait été rejoint par le capitaine Germain, commandant les spahis
sahariens, qui avait reçu l’ordre de se maintenir en contact
avec la mission, de manière à pouvoir lui porter secours en cas de
besoin. Le 5 janvier 1900, un nouveau combat, livré près du petit
ksar de Deghamcha, amena la soumission de la population de tout le
groupe d’In-Salah. Le maintien de l’occupation de cette oasis
fut décidé, et le 18 janvier arrivaient des forces de soutien,
envoyées d’El-Goléa sous les ordres du commandant Baumgarten. La
pénétration saharienne se présentait dans des conditions toutes
nouvelles, par suite de cet événement décisif.

Dans nos possessions de l’Afrique occidentale, nous avons acquis
un domaine immense pendant la période décennale 1890-1900, et
déployé une très grande activité. Celui de tous ces événements
coloniaux qui intéresse le plus directement le Sahara est la
prise de Tombouctou en 1895 ; notre entrée dans cette ville eut
un grand retentissement au Sahara. Les campagnes de la flottille du
Niger de 1895-96, grâce, en particulier, au lieutenant de vaisseau
Hourst, ont fait connaître le cours complet de ce grand fleuve. La
pacification de la partie septentrionale de la boucle a été assurée
par l’établissement de postes à Bamba, Gao, Tozaye et Ansongo,
qui tiennent le fleuve contre les incursions des Touareg de la rive
gauche. Les questions sahariennes ont été étudiées au Soudan
avec un soin vraiment digne d’éloges, et le gouvernement de cette
colonie a publié sur les Touareg du Sud d’intéressantes études.

En 1898, M. Coppolani, administrateur-adjoint de commune mixte, fut
chargé d’une mission du Gouvernement général de l’Algérie pour
étudier les rapports entre les confréries religieuses musulmanes
de l’Algérie et celle du Soudan. Il entra en relations avec
les tribus de Maures et de Touareg Aouelimmiden dont les parcours
s’étendent au nord du Sénégal et du Niger et contribua à
leur pacification. Il traversa le Tagant, le Hodh, l’Azaouad,
et s’avança jusqu’à Araouan.

En 1890, le capitaine Monteil, parti de Bammako, atteint Say en
traversant le Massina, reconnaît les limites assignées par la
convention franco-anglaise et aboutit à Tripoli en traversant le
Sahara par la route de Bilma et du Fezzan. A la fin de la même
année, le lieutenant de vaisseau Mizon remonte le bas Niger, sur la
foi des traités qui assuraient la liberté complète de navigation
du fleuve et de ses affluents. Malgré les embarras de toutes sortes
que lui suscite la _Royal Niger Company_, il réussit à remonter
la Bénoué jusqu’à Yola. Il ne parvient pas à atteindre le
lac Tchad, mais il effectue sa jonction avec de Brazza, venu à sa
rencontre par la Sangha ; il avait ainsi fermé le hinterland du
Cameroun, qu’une convention franco-allemande de mars 1894 délimita.

Au Dahomey, les postes de Wydah et de Kotonou servent de point de
départ à une action énergique contre le Dahomey, qui aboutit à
la prise d’Abomey par le colonel Dodds. Les années suivantes sont
employées à effectuer la jonction du Dahomey avec nos possessions
de la Côte-d’Ivoire et du Haut-Niger, jonction réalisée de 1896
à 1897.

La capture de notre vieil ennemi Samory, en 1898, abat les dernières
résistances dans l’Afrique occidentale. Enfin une convention
du 14 juin 1898, par laquelle nous faisions à l’Angleterre des
concessions étendues, partage entre elle et nous les territoires de
la boucle du Niger[270] ; elle n’est en somme que la conséquence
de la fâcheuse convention de 1890.

Dans l’Oubangui, les missions Dybowski, Maistre (1892-94), Gentil
(1895-97), s’avançaient vers le bassin du Chari et le Tchad,
pendant que les missions Liotard (1892) et Marchand (1896-98)
étendaient notre domaine dans la direction du Nil.

La période de grande expansion en Afrique, la « course au lac
Tchad », inaugurée par l’exploration de Crampel, peut être
considérée comme close par la convention franco-anglaise de
1899, qui a fixé d’une manière à peu près définitive les
limites de notre empire colonial dans l’Afrique Centrale[271]. La
jonction au moins virtuelle des possessions françaises du Soudan,
de l’Algérie et du Congo français sur les bords du lac Tchad
est effectuée. La convention de 1899 consacre nos efforts dans
la région du Haut-Oubangui, du Chari et du Baguirmi ; elle nous
attribue le Ouadaï et le Tibesti, sans parler de vastes régions
purement sahariennes. Malgré ce qu’a eu de pénible pour nous
l’évacuation de Fachoda et notre exclusion des régions du
Haut-Nil, on reconnaîtra sans doute à la réflexion que la part qui
nous est faite par la convention n’est pas négligeable. A notre
avis, c’est en 1890 que les fautes irréparables ont été commises,
lorsque nous nous sommes laissé exclure du Bas-Niger et surtout de
la Bénoué, où Mizon nous avait acquis les droits les plus sérieux.


                                  II


La période décennale 1890-1900 n’a pas été sans profit au
point de vue de l’exploration et de la connaissance scientifique
du Sahara. Le martyrologe des victimes des Touareg semble à peu
près clos ; sauf le lieutenant Collot, tué au sud d’El-Goléa par
des Chaanba dissidents dans une reconnaissance topographique[272],
et le marquis de Morès, qui périt dans le sud de la Tunisie,
aucun nouveau désastre ne s’est produit dans le Sahara. Avant
de parler des diverses missions de M. Foureau, qui figurent au
premier rang pendant cette période, il convient de rappeler les
autres explorations accomplies dans l’arrière-pays de la province
d’Oran et de la Tunisie.

En 1891, le capitaine de Saint-Julien reconnaissait la vallée de
l’Oued-Namous. En 1892-93, M. Jacob, ingénieur des Mines, chargé
de l’étude hydrologique du sud des divisions d’Oran et d’Alger,
parcourait les vallées de l’Oued-Namous et de l’Oued-Gharbi,
s’avançait jusqu’à Hassi-Ouchen, à deux jours de Tabelkoza,
puis allait passer à Hassi-bou-Zid et gagnait de là El-Goléa. Il
déterminait divers points astronomiques, et M. le lieutenant
Fariau, qui l’accompagnait jusqu’à Hassi-bou-Zid, levait son
itinéraire. Divers itinéraires dans la région de Fort-Mac-Mahon
étaient reconnus et levés par le capitaine Pein, le lieutenant
Pouget et d’autres officiers[273]. En 1895, le commandant Godron,
accompagné des lieutenants S. du Jonchay et de Lamothe et de
l’interprète militaire Palaska, descendait l’Oued-Gharbi,
franchissait l’Erg et allait toucher à l’oasis de Tabelkoza[274].

Mais le principal explorateur du Sud-Ouest est M. G.-B.-M. Flamand,
professeur à l’Ecole des Sciences d’Alger et collaborateur du
Service de la Carte géologique de l’Algérie ; il a fait du Sahara
oranais son domaine propre et y a accompli ces mêmes explorations
méthodiques que M. Foureau a poursuivies plus particulièrement dans
le Sahara algéro-constantinois. C’est en 1890 qu’il commença à
voyager dans l’Atlas saharien et les régions limitrophes. En 1896,
il accomplit un voyage dont les résultats scientifiques ont été
importants. Parti d’El-Abiod-Sidi-Cheikh, M. Flamand aboutit à
Fort-Mac-Mahon (Hassi-el-Homeur) ; il reconnut la série des régions
naturelles parallèles, dirigées S.-W.-N.-E., que l’on rencontre
entre la chaîne saharienne et le plateau crétacé du Tademayt,
visitant l’Oued-Gharbi, l’Erg, le Tinerkouk, le Meguiden. Le
voyageur a signalé l’importance de la zone d’épandage des grands
oueds, réceptacle des eaux des grandes crues de l’Oued-Seggueur,
de l’Oued-Gharbi, de l’Oued-Namous ; cette zone n’a pas moins
de 400 kilomètres de développement, et sa largeur maximum dépasse
80 kilomètres. La lisière septentrionale du grand Erg est reculée
par M. Flamand jusqu’à Oum-es-Sif ; il va se terminer à l’Est
à El-Goléa, au sud de la grande vallée du Meguiden ; il est large
de 100 kilomètres à peine dans la partie où l’explorateur l’a
traversé. Une particularité de structure de cette région est la
présence de _tar’tar_ (plur. _tr’atir_), plateaux sableux sans
alignement défini[275].

M. G.-B.-M. Flamand s’est fait une place dans les études
sahariennes non seulement comme explorateur, mais comme géologue
et comme archéologue. Il a montré la grande extension dans
le Sud-Oranais des terrains tertiaires (dépôts gréseux et
caillouteux) analogues à ceux des gour de Brézina[276]. Il
a publié un ouvrage relatif à la géologie et aux productions
minérales de l’Oued-Saoura[277]. On sait en outre l’importance
de ses recherches et de ses publications sur les monuments rupestres
qu’il a décrits sous le nom de « Pierres Ecrites », et qu’il
a déterminés comme appartenant à trois périodes distinctes
(néolithique, libyco-berbère, musulmane[278]).

A la suite de sa mission au Tidikelt à la fin de 1899, M. Flamand a
fait connaître la tectonique et le régime hydrographique de cette
dépression. Des chaînes orotectoniques à direction méridienne ou
subméridienne et à axe cristallophyllien relient transversalement
le Tademayt à l’avant-pays du massif central targui. Les oasis
ont bien une direction nord-sud, mais les drains souterrains des
_feggaguir_ ont une direction est-ouest. Les eaux dérivent des
grès paléozoïques du Sud par des synclinaux subméridiens,
et non du Nord comme on l’avait cru jusqu’à ce jour ; la
nappe artésienne paraît beaucoup moins importante que celle de
l’Oued-Rir. D’autres notes[279] font connaître la présence au
Tidikelt du Dévonien inférieur et du Carboniférien (calcaires à
polypiers), reliant les assises carbonifériennes du pays des Azdjer
signalées par Foureau à celles du Sahara marocain rencontrées
par Lenz[280].

M. Flamand a également présenté[281] des observations sur les
nitrates du Sahara, à propos d’un échantillon de terre salpêtrée
provenant de la sebkha des Ouled-Mahmoud.

En 1898, MM. Germain et Laperrine, officiers de spahis sahariens,
traversaient le plateau du Tademayt de Fort-Mac-Mahon à In-Salah, par
Hassi-Aflissès, levant 662 kilomètres d’itinéraires nouveaux. Ils
reconnaissaient la configuration exacte du plateau et des oueds qui
l’entaillent, configuration assez mal indiquée jusqu’ici sur
les cartes. Le versant sud du Baten est abrupt et plonge tout d’un
coup sur le reg, où l’on descend par de profondes et difficiles
échancrures, telles que la gorge d’Aïn-Souf[282].

Dans le Sud-Tunisien, la région située au sud des grands chotts,
parcourue souvent encore par des razzias pendant les premières
années après l’occupation de la Tunisie, n’était guère connue,
jusqu’en 1891, au-delà de la limite de la carte au 1/200.000e du
Service géographique de l’armée, que par quelques renseignements
indigènes. Seul, M. de Béchevelle, officier du Service des
renseignements, chargé d’organiser le petit pays du Nefzaoua,
s’était avancé jusqu’à Bir-Kessira, sur la route de Douirat
à Ghadamès. Aucun voyageur européen n’avait encore parcouru
les routes conduisant de la Tunisie à Ghadamès.

C’est ce que se proposa un jeune ingénieur suisse, M. V. Cornetz,
qui accomplit, en 1891, un voyage de Douirat à Ghadamès et entra
même dans cette dernière ville. De 1891 à 1894, il a vécu sous
la tente avec les dernières tribus tunisiennes et fait de grandes
excursions cynégétiques, son principal point de départ ayant
été le village de Douz, au sud-est du Nefzaoua. M. Cornetz a
dégagé avec beaucoup de clarté[283] les traits généraux de la
géographie du Sahara tunisien, où la division fondamentale est,
comme dans le Sahara algérien, celle du Sahara quaternaire ou pays
des Puits (_Bled-el-Biar_) et du Sahara crétacé ou pays de la
Soif (_Bled-el-Ateuch_). Entre Ghadamès et le Nefzaoua. M. Cornetz
distingue 5 régions : une région de hammada ; une région de chebka,
longée par une large plaine d’érosion, le Djelel ; une région
de gour ; la région des _Toual_ (gour allongés) et la plaine des
puits. M. Cornetz a étudié les Areg tunisiens et leurs limites,
les points d’eau, les tribus, les principaux trajets de caravanes.

En 1893, MM. Cazemajou, capitaine du génie, et Dumas, lieutenant au
4e spahis, exécutaient un voyage de reconnaissance vers Ghadamès
en suivant la route Nefta-Ghadamès, non encore reconnue. Partis de
Berresof Cherf, ils s’avançaient à travers l’Erg jusqu’à
la zaouïa de Sidi-Maabed, à 2 kil. à l’ouest de Ghadamès,
levant leurs itinéraires à 1/100.000e[284].

Le principal explorateur de cette période décennale est M. Foureau,
qui reprend et continue, dans des conditions singulièrement plus
difficiles, les traditions de Duveyrier. Presque chaque année, depuis
1890, nous trouvons M. Foureau sur les routes du Sahara. La surface
des régions explorées par lui de 1890 à 1897 représente un carré
de 750 kil. du nord au sud et autant d’est en ouest compris entre
les latitudes de Touggourt et d’Edeyehouen, dans l’Oued-Mihero,
entre les méridiens d’In-Salah et de Ghadamès[285]. Les
itinéraires de M. Foureau, divergeant presque tous de Biskra,
embrassent la région comprise entre le Sud Algérien et le Tassili
des Azdjer, en passant par l’Erg et la hammada de Tinghert. Il a
franchi treize fois les grandes dunes de l’Erg oriental, trois fois
le massif de dunes au sud du Djoua (Erg d’Issaouan des cartes). Il
a résolu le problème du cours de l’Igharghar, reconnu des bras
très excentriques de ce fleuve fossile dans l’Erg de l’Est,
alors qu’on admettait avant lui qu’il suivait en un cours
unique le Gassi Touil. Il a déterminé l’altitude, la nature du
sol et la végétation dans les régions ainsi parcourues par lui,
dont ses itinéraires, soigneusement relevés, ont aidé à fixer la
carte. Ses missions ont eu d’importants résultats géologiques :
il a notamment fait connaître l’existence de larges bandes de
calcaire carbonifère dans l’Erg d’Issaouan, entre la hammada
crétacée de Tinghert et le plateau dévonien du Tassili.

En 1890, M. Foureau[286] part de Touggourt, va passer à Bir-Ghardaya,
Hassi-Botthin et Aïn-Taïba. Puis, traversant l’Erg dans la
direction du sud-ouest, par une contrée fort difficile, il va aboutir
à Menkeb-Souf, dans la région dite du _Maader_, estuaire terminal
des rivières descendues du Tademayt sur le versant nord-est. Il
passe à Hassi-Aouleggui, non loin de Hassi-Messeguem, coupant en
ce point la route de la deuxième mission Flatters. Puis il longe
le versant sud du Tademayt, cheminant sur une hammada noire qui
s’étend entre l’Oued-Massin à gauche et le Djebel-el-Abiod
à droite, le long du Baten. Arrivé au Koudiat-Mrokba, à partir
duquel le Baten s’éloigne dans la direction Ouest plein, il
reprend la route du retour, repasse à Menkeb-Souf, puis se dirige
sur Guern-el-Messeyed. De là, il suit la hammada Dra-el-Atchan ou
hammada de l’Oudje nord et rentre à Touggourt.

En 1892, M. Foureau se propose[287] de reconnaître la région au sud
d’Aïn-Taïba, entre Temassinin et Hassi-Messeguem. Il franchit
l’Erg deux fois, par des routes presque entièrement nouvelles,
pousse une pointe à travers le plateau rocheux de Tinghert jusqu’au
puits de Tabankort, visite Temassinin, petit jardin de 2 à 300
palmiers, où habite seul un hartani d’In-Salah, gardien de la
zaouïa, à dix jours de marche de tout centre habité. De Temassinin,
M. Foureau fait route sur Hassi-Messeguem en passant par El-Biodh,
et remonte ensuite sur Touggourt par Aïn-Taïba.

En 1893, M. Foureau parcourt de nouveau[288] le Sahara algérien et
relève des itinéraires nouveaux dans la région s’étendant entre
Ouargla, Temassinin et Ghadamès. A partir d’Aïn-Taïba, il gagne
El-Biodh par une route nouvelle et intermédiaire entre ses anciens
itinéraires de 1890 et 1892. A Temassinin, il apprend la présence,
près Ghadamès, de plusieurs nobles Azdjer qu’il désire rencontrer ;
il se décide alors à se rapprocher de cette ville en suivant
l’Oudje sud de l’Erg, au nord de la route suivie par Rohlfs,
région curieuse et jusqu’alors inexplorée, en sol de hammada
rocheuse extrêmement dure. Arrivé au Hassi-Imoulay, il ne crut
pas devoir s’approcher plus près de Ghadamès. Quelques Ifoghas,
auxquels il avait envoyé des émissaires, vinrent l’y visiter ; ils
déclarèrent que la convention de 1862 était ignorée de la masse
des tribus, et qu’ils ne pouvaient, pour le moment, lui assurer
le passage à travers leur territoire. D’après ces indigènes,
le commerce serait nul entre In-Salah et Ghadamès, peu important
entre l’Aïr, la région du Tchad et la Méditerranée. M. Foureau,
traversant l’Erg de nouveau entre les itinéraires de Largeau et
de Duveyrier, rentra à Touggourt par Hassi-Tozeri et Bir-el-Hadj.

En 1894, de même qu’en 1893, le but de M. Foureau[289] était de
pénétrer chez les Touareg Azdjer, de traverser leur territoire et
d’atteindre l’Aïr. Cependant, avant de prendre la direction
de Temassinin et du Tassili des Azdjer, il dut, afin de déférer
au désir du Gouvernement général de l’Algérie, faire un
levé rapide de la route d’El-Goléa au Tidikelt à travers le
Tademayt. Seul, sans bagages, ni tente, ni convoi, accompagné de
cinq Chaanba seulement, il passe par Hassi-Chebaba et s’avance
jusqu’à Hassi-el-Mongar, à 35 kilomètres N.-E. d’In-Salah. Il
se dirige ensuite sur El-Biodh et Temassinin, suit le Djoua par
l’Oued-Ohanet, puis, coupant à travers l’Erg d’Issaouan, il
gagne par une route complètement nouvelle le puits de Tadjentourt,
situé sur la route de Ghadamès à Ghat et qu’avait jadis visité
Duveyrier. De là, il traverse le plateau d’Eguélé et atteint
l’Oued-Tikhammalt (Oued-Mihero), où il a une entrevue avec
les chefs Azdjer, notamment Guedassen, Mohammed ben Ikhenoukhen,
et Moulay-ag-Khaddadj. Guedassen, le chef des Azdjer, est très
hostile aux Européens ; Mohammed ben Ikhenoukhen est plus calme
et plus sympathique ; Moulay ag Khaddadj, cousin d’Ikhenoukhen,
est peu influent[290]. Il n’y a d’ailleurs plus d’amenokal
depuis la mort d’El Hadj Ikhenoukhen ; l’anarchie complète
règne chez les Azdjer. Après de longues et pénibles discussions,
les chefs finirent par accepter de faire traverser leur territoire
à M. Foureau. Celui-ci remonta la vallée, encaissée dans le
Tassili, massif montagneux de grès noir hérissé de pics aigus,
mais sa marche vers le Sud-Est fut bientôt arrêtée, au point
dit Edeyehouen, avant le lac Mihero, par une bande de fanatiques à
l’encontre desquels les notables Azdjer ne montrèrent qu’une
médiocre bonne volonté. Le retour en arrière s’effectua à
travers l’Erg d’Issaouan et le plateau de Tinghert, par Hassi
Tabankort, Mouilah Maatallah, Hassi-Mokhanza et Touggourt.

Ces deux missions de M. Foureau à Hassi-el-Mongar et à Edeyehouen
sont parmi les plus importantes qu’il ait accomplies à tous les
points de vue. Il rapportait un itinéraire de 4.600 kilomètres
levé à 1/100.000e. Sa tentative de janvier 1894 pour traverser le
Tassili et pénétrer dans l’Aïr est celle qui fut le plus près
de réussir.

Pendant les années qui suivent, M. Foureau fait encore plusieurs
explorations plus ou moins longues dans l’arrière-pays de nos
possessions de l’Afrique du Nord ; d’octobre 1894 à mars 1895,
il effectue deux nouvelles tentatives[291]. Dans un précédent
voyage, il avait pris contact et séjourné quelque temps avec les
chefs Azdjer au milieu de leurs campements ; arrêté dans sa marche
vers le Sud par les efforts d’un chérif fanatique et la mollesse
voulue des chefs Azdjer, il rapportait une réclamation des Touareg
qui demandaient au Gouvernement français la restitution de chameaux
à eux razziés en 1885 par des nomades algériens d’El-Oued. Après
règlement de cette question, ils assuraient, disaient-ils, le libre
passage aux explorateurs français. Le Gouverneur général voulut
bien consentir, par mesure bienveillante, à payer aux Touareg leurs
chameaux ; mais ils devaient envoyer à Touggourt des mandataires
pour toucher cette somme, fixée à 9.000 francs.

M. Foureau se rendit chez les chefs Azdjer pour les informer de
cette décision. Passant par Aïn-Taïba, El-Biodh et Temassinin,
il traversa l’Erg d’Issaouan, où il reconnut l’existence
d’un grand gassi se dirigeant vers Aïn-el-Hadjadj ; il s’avança
jusqu’au lac Menghough, doublant à peu près l’itinéraire de
la première mission Flatters, et poussa jusqu’à Tadjentourt, où
eurent lieu avec les chefs des pourparlers qui durèrent 6 jours. Il
se décida à leur payer 2.000 francs à titre d’acompte, et
ramena deux mandataires auxquels fut versé le reste de la somme. Il
rentra à Touggourt par Hassi-bel-Haïrane, rapportant environ 1.000
kilomètres d’itinéraires nouveaux, notamment dans le grand Erg,
et ayant recueilli divers fossiles du dévonien et du carboniférien.

Les mandataires des Touareg, ayant reçu en janvier 1895 à El-Oued
le solde de leur compte, repartirent avec une lettre par laquelle
Foureau donnait rendez-vous aux chefs Azdjer au pied du Tassili pour
le mois de mai. Ayant rempli[292] toutes les conditions exigées
par eux, il devait trouver son escorte au jour dit. Mais cette
fois, il fut arrêté par un rezzou de Chaanba dissidents habitant
avec Bou-Amama. Il dut rentrer à Biskra, après avoir couru de
réels dangers, et ne rapportant que fort peu de renseignements
géographiques. La même année survenait un événement fâcheux
pour l’influence française, la mort de Mohammed ben Ikhenoukhen,
fils du protecteur de Duveyrier[293].

En 1896, les Touareg avaient accusé officiellement réception des
sommes versées le 3 février 1895 par les autorités françaises à
leurs mandataires. Leurs dispositions semblaient assez favorables,
mais le Gouvernement général s’opposa à ce que M. Foureau
pénétrât cette année-là chez les Touareg, où on signalait un
état troublé, et il dut se borner à une course dans le grand Erg
algérien et tunisien[294]. Il distingua dans l’Erg un certain
nombre de zones bien distinctes, différentes par l’aspect et la
végétation, reconnut un bras très oriental de l’Igharghar et
constata que la région de _l’Ouar_ (la difficile), qui succède à
l’Oudje nord, recouvre tout un système montagneux, aujourd’hui
à peu près complètement enseveli.

En 1897, M. Foureau tente une fois encore la traversée du Tassili
des Azdjer[295]. De Temassinin, il remonte la vallée des Ighargharen,
passe à Aïn-el-Hadjadj et au lac Menghough. Il a de longs palabres
avec les Azdjer au puits de Tassindja, dans l’Oued-Lezy, mais
sans plus de succès que précédemment. Il doit renoncer à gagner
l’Aïr, faute d’argent et de temps (il était parti trop tard,
en mars, et avait rencontré des températures très pénibles) ;
mais le principal obstacle résidait toujours dans l’attitude
des Azdjer « dont les appétits, au point de vue de l’argent,
sont aussi grands que leur complaisance l’est peu. »

Les explorations de M. Foureau donnent la conviction, à peu près
établie d’ailleurs dès sa mission de janvier 1894, que le système
employé par Duveyrier, et consistant à se présenter presque sans
compagnons en s’assurant le patronage de chefs influents, n’est
plus de mise et ne saurait désormais réussir, si bien préparé
que soit l’explorateur et quelle que soit sa connaissance des
choses du Sahara.

Il ne restait donc qu’à tenter la traversée du Sahara « avec une
petite colonne d’hommes disciplinés à toute épreuve, qui puisse
s’avancer sans provocation, mais négocier sans faiblesse, et passer
outre aux manœuvres dilatoires qu’emploient si volontiers les
Touareg, qui ne sont forts que de notre apparente faiblesse[296]. »
« Seule, écrivait M. Foureau[297], une escorte de 150 fusils bien
recrutés assure absolument la sécurité et la réussite ; avec
elle, on peut se passer des Touareg, solder les droits de passage
régulièrement dus, ne pas faire de cadeaux ». Il restait en somme
à recommencer la mission Flatters dans des conditions meilleures,
et avec la résolution ferme de passer de force si l’on ne
pouvait passer de plein gré. C’est ce qu’a exécuté la mission
Foureau-Lamy en 1898. Cette mission a prouvé la justesse des vues
de ceux qui avaient toujours affirmé qu’une petite troupe bien
organisée, placée sous le commandement d’officiers ayant pratiqué
le désert, ne devait rencontrer au Sahara d’autre résistance,
d’autre obstacle que ceux provenant de la nature.

Le legs fait[298] à la Société de Géographie de Paris par
M. R. des Orgeries permit à M. Foureau de réaliser ce programme,
qui reçut l’approbation des divers ministères et du Gouvernement
général de l’Algérie. Le commandant Lamy, ancien chef du poste
d’El-Goléa en 1891, alors officier d’ordonnance du Président
de la République M. Félix Faure, devint le second de M. Foureau
dans l’entreprise et fut spécialement désigné pour commander
l’escorte. La mission comprenait en tout 5 membres civils :
MM. Foureau, Villatte, Ménard-Dorian, Louis Leroy, du Passage (ces
deux derniers ne dépassèrent pas Temassinin) ; 10 officiers :
MM. Lamy, Reibell, Métois, Verlet-Hanus, Britsch, Oudjari, de
Chambrun, Rondeney, docteurs Fournial et Haller, et 277 hommes
de troupe.

Le 23 octobre 1898, la mission quitta Ouargla, emmenant avec elle un
immense convoi de 1.000 chameaux chargé d’approvisionnements de
toutes sortes. La mission passa d’abord par Aïn-Taïba, El-Biodh
et Temassinin. Un poste provisoire fut fondé en ce dernier point
pour rester le plus longtemps possible en relations avec la mission
et la couvrir au besoin ; grâce à cette précaution, négligée
bien à tort par Flatters, la mission, qui avait d’ailleurs avec
elle des forces suffisantes, devait être plus respectée encore
des populations touareg[299]. Le capitaine Pein fut chargé du
commandement de ce poste ; il avait avec lui 120 méharistes,
dont 50 spahis sahariens aux ordres du lieutenant de Thézillat,
et une quinzaine de chevaux ; il accomplit sa difficile tâche avec
un succès qui lui fait le plus grand honneur. Dès que la mission
Foureau-Lamy eut quitté Temassinin, le capitaine Pein partit
en reconnaissance vers le S.-W. jusqu’au puits d’In-Kelmet,
à deux jours au N.-E. d’Amguid, couvrant le flanc droit de la
mission. De retour à Temassinin, il en repartit pour s’avancer
jusqu’à Tikhammar et à l’Oued-Affatakha, qu’il ne comptait pas
dépasser ; mais la nécessité d’assurer le retour de l’escorte
d’un dernier et important convoi, que le lieutenant de Thézillat
avait dû accompagner à Assiou, le contraignit de pousser jusqu’à
Tadent. C’est seulement lorsque tout son monde fut rentré qu’il
se décida à revenir en suivant une route nouvelle, qui le ramena
à la Sebkha d’Amadghor et à Amguid[300]. Partout où il avait
passé, il avait fait le levé de son itinéraire, exécuté de
nombreuses reconnaissances, recueilli d’utiles renseignements
auprès des indigènes.

Quant à la mission Foureau-Lamy, elle fut retardée par la
difficulté d’abreuver et de nourrir un si grand nombre de chameaux,
difficulté encore aggravée par une sécheresse persistante. En
outre, la route présente des obstacles très rudes au point de
vue de la nature et du relief du sol. Jusqu’à Aïn-el-Hadjadj,
la mission suivit l’itinéraire de la première mission Flatters ;
mais à partir de ce point, elle entra en pays complètement
inconnu, jusqu’auprès d’Assiou (In-Azaoua), où elle rejoignit
l’itinéraire de Barth.

La carte de la région était complètement erronée, bien que
la succession des oueds, puits et points importants, fixée par
Duveyrier d’après renseignements soit tout-à-fait exacte et
rende de précieux services au voyageur. Mais il est nécessaire de
faire subir aux diverses régions des corrections de report soit vers
l’Est, soit vers l’Ouest, soit vers divers azimuts. On traversa
d’abord, non sans peine, le Tindesset, portion ouest du Tassili des
Azdjer, région gréseuse offrant des altitudes de 1.400 mètres,
et entourée vers l’Est d’étendues volcaniques ; la mission y
rencontra des températures très basses de − 8° et − 10°. On
découvrit ensuite l’Adrac, région difficile et tourmentée ; elle
se relie par son angle S. W. au massif d’Ahorrène, qui porte ses
sommets principaux à 1.800 mètres, ne le cédant en rien du reste
aux pics majeurs situés plus à l’Est et appartenant à l’Adrar
proprement dit. La ligne de partage entre la Méditerranée et
l’Atlantique fut franchie par 1374 mètres d’altitude et presque
sur le 25e parallèle Nord. Puis, devant l’Oued-Tafassasset, il
fallut marcher dix jours dans une nouvelle région montagneuse, le
massif de l’Anahef, composé de granit, de gneiss et de schistes,
absolument dépourvu d’eau.

La mission arriva ensuite à Tadent, sur la route des caravanes de
Ghat à l’Aïr. De ce point, MM. Foureau et Lamy allèrent, avec
une faible escorte de 30 Chaanba, visiter les parages où eut lieu,
en 1883, le massacre de la mission Flatters. La traversée entre
Tadent et Assiou fut encore très pénible par suite du manque de
toute espèce de végétation ; la mission perdit un grand nombre de
chameaux. Le puits d’Assiou n’existe pour ainsi dire plus comme
point d’eau ; il est remplacé par In-Azaoua, situé un peu plus
loin dans l’Oued-Tafassasset, qui draine toutes les eaux du flanc
oriental de l’Anahef.

D’In-Azaoua, une marche de 11 jours, à travers une région
montagneuse parfois très difficile, où un seul puits intermédiaire,
celui de Taghazi, permit de renouveler la provision d’eau, amena
la mission à Iferouane, premier village de l’Aïr, habité par
des Touareg. Le manque d’animaux de transport, pour remplacer
ceux très nombreux qui avaient péri en route depuis l’Algérie,
la mauvaise volonté des indigènes, les tromperies des guides,
retinrent longtemps les voyageurs dans l’Aïr. Ils y endurèrent
de cruelles souffrances, notamment par suite du manque de vivres,
et durent se résoudre à sacrifier une grande partie de leurs
bagages. Ils furent attaqués à deux reprises par les Touareg, sans
aucun succès d’ailleurs ; sur un des Touareg tués on trouva des
fragments de papiers, ayant appartenu à Erwin de Bary. M. Foureau
est d’accord avec l’explorateur allemand qui l’avait précédé
sur le régime climatique, la végétation de l’Aïr et le degré
d’importance d’Agadès.

Arrivée dans cette ville le 28 juillet, la mission ne la quitta
définitivement que le 17 octobre, et, par des marches longues et
pénibles, traversa l’Azaouak, zone désertique, puis le Tagama,
relativement boisé, le Damergou, plus découvert, avec des champs
de mil. Elle parvint enfin à Zinder, grande et belle ville,
où elle trouva un détachement d’une centaine de tirailleurs
sénégalais. De Zinder, Foureau-Lamy se dirigèrent vers le Tchad,
traversant Kouka en ruines ; arrivés sur les bords du lac, ils
opérèrent leur jonction avec deux autres missions françaises :
la mission de l’Afrique centrale, ancienne mission Voulet-Chanoine
devenue la mission Joalland-Meynier, qui s’était avancée du
Niger au Tchad, et la mission Gentil qui provenait du Congo et du
Chari. Pendant que Foureau rentrait en France par l’Oubangui,
ayant parcouru près de 10 degrés de latitude en passant par le
centre du continent noir, les forces réunies des trois missions,
sous les ordres du commandant Lamy, livraient bataille à Rabah à
Koussri ; le conquérant noir était tué, mais ce succès était
trop chèrement payé par la mort de Lamy enseveli dans son triomphe
(22 avril 1900). La défaite des bandes de Rabah était achevée à
Dikoa par le capitaine Reibell. La mission Foureau-Lamy, c’est en
somme la mission Flatters reprise et réussissant. Il est seulement
fâcheux qu’on ait attendu 20 ans pour cela. La preuve est faite
dorénavant qu’on peut traverser le Sahara avec une petite troupe
bien commandée.

Les résultats scientifiques de la Mission Saharienne sont trop
considérables pour qu’il soit possible d’en donner ici même un
aperçu. Les _Documents_ rapportés par la mission et l’exposé
méthodique des résultats de la grande expédition ont été
publiés par M. Foureau[301]. Les observations astronomiques
et météorologiques, l’orographie et la structure du pays,
l’hydrographie, la carte, la nature géologique, la flore et la
faune, l’ethnographie, les découvertes d’ordre préhistorique
sont successivement passés en revue. C’est en quelque sorte
l’encyclopédie des connaissances acquises sur cette longue bande
d’Afrique qui va d’Ouargla à l’Oubangui[302]. L’Atlas,
dressé par le capitaine Verlet-Hanus, d’après les travaux
exécutés sur le terrain par M. F. Foureau et par les officiers
de l’escorte militaire comprend 16 planches en couleur contenant
l’itinéraire général de la mission entre Ouargla et Bangui,
à l’échelle de 1/400.000e. Cet itinéraire est appuyé sur plus
de cent positions astronomiques. Il est complété par une série
de profils qui donnent une impression très nette de la région
traversée.

Au point de vue géologique, c’est à M. Foureau que nous devons les
documents paléontologiques permettant d’établir une chronologie
précise des formations géologiques qui affleurent dans le grand
désert : schistes siluriens du Tindesset, caractérisés par la
présence de graptolithes, grès dévoniens, grès et calcaires
carbonifères, argiles et grès albiens. Si l’on rapproche les faits
observés par M. Foureau de ceux qui ont été constatés depuis à
l’Ouest de l’Ahaggar, on constate[303] que le Sahara septentrional
et central comprend deux régions essentiellement distinctes : une
région de plissements postcarbonifères, et une région tabulaire
où les plissements sont antérieurs au dévonien. Les terrains
crétacés forment une vaste nappe transgressive, qui s’étend
indistinctement sur les deux systèmes de plissements. M. E. Haug
déclare que, parmi les faits stratigraphiques mis en lumière au
cours de ces dernières années, il n’en est certainement pas qui
dépassent en intérêt ceux qu’a moissonnés M. Foureau au cours
de ses voyages successifs en pays touareg.

Dans le chapitre consacré à la géographie physique, le Sud
Algérien, le grand Erg, la hammada de Tinghert, l’Erg d’Issaouan,
les massifs montagneux et les plateaux du Sahara central, les massifs
de l’Aïr, les plateaux sahariens du Tagama et du Damergou sont
décrits de main de maître ; M. Foureau y a joint des observations
sur les dunes et sur les phénomènes éoliens. Pour la richesse des
renseignements météorologiques, M. Foureau a toujours satisfait
les plus difficiles. L’hydrographie contient des considérations
sur le bassin de l’Igharghar, sur l’Oued Tafassasset, qui parait
s’acheminer vers le S.-S.-W., dans la direction de Sokoto et du
Niger, sur les oueds de l’Aïr, sur le problème du Tchad. Les
collections botaniques et zoologiques sont malheureusement
incomplètes, détruites par les accidents de la route.

Les collections préhistoriques reccueillies par M. Foureau
et commentées par le Dr Haug et le Dr Verneau, sont des plus
précieuses. Le chapitre ethnographique apporte beaucoup de
renseignements nouveaux sur les Touareg du Nord et sur les Keloui de
l’Aïr. Enfin l’aperçu commercial et les conclusions démontrent
que toute la partie du Sahara qui s’étend depuis le Sud Algérien
jusqu’aux confins septentrionaux de l’Aïr est improductive,
stérile et n’offre aucune ressource sérieuse. Dans la région
même de l’Aïr, les cultures sont extrêmement réduites, et
il y a peu de chances d’étendre ces petits jardins entretenus
à grand’peine. Dans l’état actuel des choses, le Sahara n’a
aucune valeur, ne produit absolument rien, et il y a lieu de procéder
à son organisation de la façon la plus économique possible[304].


                                  III


Parmi les missions sahariennes, il convient de mettre à part
celles de MM. G. Méry et B. d’Attanoux, à cause du caractère
de tentatives commerciales qui leur est propre.

En 1892, M. G. Méry fut chargé par M. Georges Rolland, ainsi que
par la Société d’études pour la construction d’une voie
ferrée de Biskra à Ouargla et prolongements, d’une mission
géographique et commerciale au sud d’Ouargla vers le pays des
Touareg Azdjer. Parti d’El-Oued avec 3 indigènes et 4 chameaux
seulement, il gagna El-Biodh par Aïn-Taïba, reconnaissant le grand
Gassi découvert par la première mission Flatters, le plus beau
couloir de la région tant par son sol régulier de _reg_ que par
sa largeur, qui atteint jusqu’à 12 kilomètres, et constatant
que l’établissement d’une voie ferrée ne rencontrerait aucune
difficulté provenant de la nature du terrain[305]. D’El-Biodh,
il marcha vers le S.-S.-E., comptant atteindre Tabalbalet, d’où
les premiers campements Azdjer n’étaient pas éloignés, mais,
après 3 jours de marche dans cette direction, il fut contraint
de revenir sur ses pas par suite du refus de son guide Chaanbi
de l’accompagner plus loin à cause des Touareg. Il revint à
Aïn-Taïba, où il rencontra M. Foureau revenant d’Hassi-Messeguem,
et rentra à El-Oued par Hassi-bel-Haïran et Hassi-Mey.

En 1893, M. G. Méry est envoyé de nouveau par le syndicat de
Biskra-Ouargla, avec mission de chercher à s’entendre avec les
chefs des Azdjer et d’obtenir le libre passage sur leur territoire
pour des caravanes à destination du Soudan central. M. Méry était
allé au préalable à Tripoli se renseigner sur le mouvement des
échanges existant entre ce port et le Soudan, ainsi que sur la nature
des marchandises échangées. D’El-Oued, M. Méry accompagné de
M. Guilloux, se dirigea sur Hassi-Mey et Hassi-bel-Haïran. Là,
il fut rejoint par un _miad_ de Touareg revenant d’Alger, où ils
étaient allés, dans un but mal défini, pour voir le Gouverneur
et échanger des salutations, dirent-ils, mais surtout pour se
renseigner sur nos intentions à leur égard[306].

La mission, conduite par Abd-en-Nebi, marabout des Ifoghas
et arrière-neveu de Cheikh Othman, se dirigea sur le lac
Menghough par Tabalbalet et Aïn-el-Hadjadj, suivant la route
de la première mission Flatters. Au lac Menghough, elle eut
des entrevues avec les chefs Azdjer Guedassen et Mouley. Elle
regagna ensuite El-Oued par Temassinin, El-Biodh, Aïn-Taïba
et Hassi-bel-Haïran. L’itinéraire avait été relevé à la
boussole par M. Méry, qui avait fait en outre des observations
météorologiques, recueilli des échantillons géologiques
et botaniques, tandis que M. Guilloux faisait des observations
astronomiques.

Au point de vue scientifique, le voyage de M. G. Méry n’a donc pas
été sans résultats. Au point de vue économique, les assertions
de cet explorateur étaient en complète contradiction avec celles
de M. Foureau. M. Méry affirmait que « tous les Touareg, même
les bergers, connaissaient le traité de Ghadamès, et que pas un
ne manquerait à la parole donnée par un chef au nom de toutes les
tribus[307] ». M. Foureau déclarait que la masse de la nation ne
connaissait point la convention de 1862. Le courant d’échanges
entre la Méditerranée et le Soudan est très important d’après
M. Méry, insignifiant d’après M. Foureau[308]. Une vive polémique
s’est engagée là-dessus ; elle ne présente d’ailleurs plus
qu’un intérêt rétrospectif, puisque les conditions de la
pénétration saharienne sont aujourd’hui complètement changées.

« Je ne crains pas, disait M. G. Méry, d’affirmer que nous
avons la route du Soudan ouverte par le Nord, et à ceux qui me
contrediraient, je me contenterais de répondre que je m’offre
à en faire pratiquement la preuve. » Cette réponse eût en
effet convaincu les plus incrédules. Malheureusement, elle ne
fut pas faite. En octobre 1893, le Syndicat Ouargla-Soudan, avec
l’appui officiel du Gouvernement général de l’Algérie,
envoya une mission pour essayer de tirer parti de la première
mission Méry. Cette mission comprenait M. Méry, chef de mission,
M. B. d’Attanoux, ancien officier, rédacteur au _Temps_,
M. Bonnel de Mézières, ancien membre de la mission Maistre,
et deux Pères Blancs, le P. Hacquart, supérieur de la station
d’Ouargla, et le P. Ménoret. Mais, dès les premiers jours,
un désaccord survint entre M. Méry et ses compagnons au sujet de
l’organisation de la caravane et des mesures à prendre pour assurer
sa sécurité. M. Méry, souffrant, rentra en France : il alla de là
à Tombouctou, où il ouvrit avec beaucoup de succès des comptoirs
commerciaux commandités par le Syndicat Ouargla-Soudan ; il mourut à
Tombouctou, après un séjour de plusieurs années. M. B. d’Attanoux
fut désigné comme nouveau chef de la mission, et le départ fut
ajourné pour utiliser le retour dans son pays d’une députation
de Touareg qui venait d’arriver à El-Oued, où elle fut reçue
par le général de la Roque.

La mission d’Attanoux reprit la route du Sud au mois de
janvier 1894, accompagnée des membres du _miad_ Touareg
et du marabout Abd-en-Nebi. Elle passa par Hassi-bel-Haïran,
Aïn-Taïba, Temassinin, et gagna le lac Menghough par Tabalbalet et
Aïn-el-Hadjadj. L’attitude des Touareg fut exactement la même que
dans les autres tentatives pour franchir leur territoire. La mission
rencontra, sur la route du Menghough, des Hoggar qui exigeaient le
droit de passage et avec lesquels la discussion faillit mal tourner ;
les Ifoghas suivaient la mission comme des chiens affamés, demandant
sans cesse des vivres et des cadeaux ; les chefs des Azdjer, campés
à 3 jours du Menghough, ne se dérangèrent point, et la mission
n’alla pas les trouver : « Des raisons d’ordre matériel et
moral, également impérieuses les unes et les autres, s’opposent
à ce que nous allions jusque-là. Nos provisions ne résisteraient
pas aux premiers assauts que leur donnerait la multitude que
nous y trouverions et pour laquelle la venue d’un voyageur bien
approvisionné est une bonne fortune inespérée. » On se borna à
des échanges de propos avec un représentant de la Djemaa, nommé
Kounni, qui déclara bien que les Azdjer « se considéraient comme
liés par le traité de Ghadamès », mais qu’ils exprimaient
« le désir de ne pas voir la mission aller plus loin cette année ».
On reprit la route de l’Algérie, en suivant le même chemin
qu’à l’aller jusqu’à Temassinin ; puis la mission gagna
Hassi-Tabankort, et, coupant à travers le grand Erg, se dirigea
sur Hassi-bel-Haïran et Touggourt. Bien qu’elle se déclarât
très satisfaite des résultats obtenus, elle n’avait pas réussi,
pas plus que celles qui l’ont précédée ou suivie, à traverser
le territoire des Azdjer avec le concours de ces derniers.

Un essai d’envoi de Souafa à Ghadamès, en 1896, ne réussit pas
davantage ; le kaïmakam, sur des ordres de Tripoli, à ce qu’il
prétendit, s’opposa à la mise en vente des marchandises, et
déclara que seuls les Anglais avaient le droit de faire le commerce
de l’ivoire avec Ghadamès[309].

La tentative du marquis de Morès eut une issue plus malheureuse
encore. Il cherchait à faire pénétrer vers le centre africain
des caravanes tunisiennes, avec l’appui de la Chambre de Commerce
et d’Agriculture de Sousse. Il quitta Djeneïen le 31 mai 1896 :
le 9 juin, il était massacré avec ses compagnons au lieu dit
El-Ouatia (Bir-el-Oti), entre Sinaoun et Ghadamès, victime de
la traîtrise de Touareg et de Chaanba dissidents entre les mains
desquels il s’était remis, faisant preuve ainsi d’une funeste
méconnaissance de ces contrées et de leurs habitants[310].

Un essai assez original fut fait en 1896, par le général de la
Roque, pour fixer aux environs de Berresof un certain nombre de
tentes touareg ; on espérait, par l’entremise de ces Sahariens,
développer nos relations avec leurs congénères du désert. Ils se
laissèrent nourrir pendant un certain temps, puis, lorsqu’on les
invita à planter quelques palmiers, repoussèrent l’offre d’un
travail indigne d’hommes libres, et firent comprendre que, si on
voulait leur donner des jardins, il fallait auparavant y attacher
quelques esclaves nègres. Ils se mirent ensuite à voler les chameaux
de nos nomades, pratiquant la razzia en quelque sorte sur place,
et finirent par reprendre le chemin du Sud, dûment engraissés
et repus[311].

L’échec des tentatives commerciales de MM. Méry et d’Attanoux
fit songer à l’emploi d’un autre moyen. Puisque nous ne pouvions
aller commercer au Sahara, il fallait amener le Sahara à venir
commercer chez nous. On pensa qu’il fallait avant toute chose
s’attacher à modifier le tarif douanier appliqué, lors de leur
entrée dans les ports algériens, aux marchandises françaises. Les
prix de nos produits se trouvaient majorés des 2/3 par les taxes
qu’ils subissaient comparativement aux denrées similaires
parvenant à la même latitude par Tripoli ou le Maroc[312]. Dans
le Sahara oranais, le sucre, le thé, le café et les objets de
quincaillerie étaient de provenance marocaine. En 1892, une caravane
de Rezaïna, chargée de denrées diverses d’une valeur de 65.828
fr., n’emportait qu’un seul produit de notre industrie française :
96 francs de bougie de Marseille ; ce chiffre a son éloquence. A
Figuig, les marchandises venues de Melila étaient meilleur marché
que celles d’Aïn-Sefra[313].

Une commission fut instituée en 1903, par ordre de M. J. Cambon,
pour chercher les moyens de remédier à cet état de choses. Elle
reconnut que le régime appliqué stérilisait notre action, et
conclut en demandant l’entrée en franchise des produits destinés
à traverser du N. au S. le territoire algérien pour se répandre
dans le Sahara[314]. Comme conséquence, elle réclamait la création
non de territoires francs, mais simplement de postes de sortie où
l’on s’assurerait que les exportations sont bien réelles. La
caravane emportant les produits détaxés serait escortée pendant
un certain temps pour prévenir toute fraude[315]. Un décret du 17
décembre 1896 réalisa cette mesure et indiqua comme postes de sortie
El-Oued, Touggourt, El-Abiod-Sidi-Cheikh, Djenien-bou-Rezg[316].

En Tunisie, la frontière saharienne est restée franche de toute
barrière douanière et la pénétration commerciale se présente
sous certains rapports dans des conditions plus favorables qu’en
Algérie. On pouvait espérer faire concurrence à Tripoli et
faire aboutir au golfe de Gabès une partie du commerce, faible
d’ailleurs, de Ghat et de Ghadamès. En y intéressant les Azdjer,
on comptait créer une voie indépendante de ces deux villes ;
le mouvement devait se produire par l’arrivée à Tataouïn de
caravanes conduites par les Sahariens eux-mêmes, et effectivement un
léger mouvement de reprise se produisit vers 1895, bientôt arrêté
par le meurtre de Morès. Ce mouvement ne paraît pas s’être
beaucoup accentué depuis[317]. Sans abandonner complètement tout
espoir de trafic transsaharien, on s’occupe surtout actuellement,
et avec juste raison, du développement économique des diverses
régions qui constituent l’Extrême-Sud tunisien[318].

Restait à essayer de la pénétration économique par les voies
ferrées, l’instrument évidemment le plus efficace au point de
vue politique comme au point de vue commercial. La question du
Transsaharien, un moment enterrée après la mission Flatters,
renaît de ses cendres vers 1890. Cette résurrection[319] est
due en grande partie aux efforts de M. G. Rolland, ancien membre
de la mission Choisy. Par ses brochures et ses conférences,
M. Rolland a ému l’opinion publique et suscité de nouvelles
controverses. M. Ed. Blanc, le général Philebert, furent également
parmi les plus chauds partisans du Transsaharien, examinant la
question économique, les rapports avec les Touareg, les difficultés
techniques[320]. « Faire un tout de l’Algérie, du Sénégal et du
Congo, par le Sahara touareg et par le Soudan central et occidental »,
tel est le but que se proposent MM. Philebert et Rolland[321],
M. Rolland examine les divers tracés : occidental, d’Aïn-Sefra
au Niger[322] ; central, de Laghouat à El-Goléa et au Niger[323] ;
occidental, de Biskra au lac Tchad par Ouargla, l’Igharghar et
Amguid. Enfin M. Ed. Blanc préconise plus particulièrement le tracé
du golfe de Gabès au Soudan par Ghat et Ghadamès[324]. En somme,
quatre tracés principaux étaient proposés, correspondant à chacune
des provinces algériennes et à la Tunisie, les tracés par le
Touat conduisant au Niger et ceux par l’Igharghar menant au Tchad,
quoique chacun d’eux puisse « faire la fourche[325] » vers le
Tchad et vers le coude du Niger. Les préférences de M. G. Rolland,
de M. Schirmer[326] et de beaucoup d’autres personnes compétentes
en matière saharienne paraissent être à cette époque pour le
tracé qui passe par Biskra, Ouargla et Amadghor et aboutit au Tchad.

En 1899, à la suite des progrès nouveaux de la domination
française dans l’Afrique centrale, il y a eu un troisième
réveil de la question du Transsaharien. Cette fois, c’est M. Paul
Leroy-Beaulieu qui prend la tête du mouvement[327]. Il fait ressortir
l’incohérence de notre empire africain, à laquelle il espère
remédier par la construction d’un Transsaharien. Il reprend les
arguments économiques et politiques précédemment développés,
en y ajoutant des considérations tirées d’événements récents,
tels que la mission Marchand. Il préconise la construction de deux
lignes allant l’une au Niger, l’autre au Tchad, et évalue
les dépenses à 100 millions pour la première ligne et 150 ou
160 millions pour la seconde. Cette fois comme les précédentes,
de nombreuses objections n’ont pas manqué de se produire[328].


                                  IV


La pénétration du Sahara par le Nord est demeurée jusqu’à ces
dernières années si difficile, que l’ère de la géographie
positive, pour reprendre l’expression de Carette, n’a encore
commencé que pour une faible partie de ces régions. Pour le reste,
il faut continuer à se contenter de renseignements indirects fournis
par les indigènes.

En 1890, le commandant Deporter publiait une volumineuse étude sur
l’_Extrême-Sud Algérien_[329], divisée en trois parties, la
première, concernant El-Goléa et son territoire, la deuxième le
Gourara, le Touat et le Tidikelt, la troisième le pays des Touareg
de l’Ouest. Le volume se termine par plusieurs itinéraires à
Tombouctou et à Agadès. Il n’est que le commentaire de la carte
du Sahara, publiée en même temps. La méthode suivie par Deporter
dans cet ouvrage a été, de la part de M. C. Sabatier, l’objet
de critiques très justifiées[330]. Deporter n’indique pas ses
sources ; on ignore si ses itinéraires sont dus à la déposition
d’un seul, ou s’ils sont appuyés par plusieurs témoignages,
et jusqu’à quel point ces témoignages sont concordants. « Nous
aimerions à connaître ses informants[331], savoir combien
de fois ils ont fait le voyage, savoir s’il y en a d’autres qui
ont vu comme eux, et faute par Deporter de nous fixer à ce sujet,
on n’utilisera le plus souvent ces itinéraires qu’à titre de
simple renseignement, quand ils combleront les lacunes de Barth et
non quand ils contrediront ses informations. »

Une faute grave de Deporter est d’avoir traduit en kilomètres
les distances accusées par ses informateurs en journées ou
heures de marche. Il y a là une précision inquiétante. On se
demande dans quelle mesure il a pu substituer son appréciation
personnelle à celle des indigènes. « Lorsque, comme Deporter,
on accompagne ses itinéraires d’une carte, on est tenté, très
loyalement d’ailleurs, de tirer sur les itinéraires comme sur
un fil élastique, tantôt les laissant se raccourcir, tantôt les
allongeant pour permettre une construction cartographique qui concilie
les renseignements qui sont venus de diverses sources[332]. »
La carte devient par suite incontrôlable. Ce n’est pas ainsi
qu’avait procédé M. Bissuel, qui enregistre comme un simple
notaire et indique lui-même dans quelles limites ses informateurs
sont susceptibles d’erreur.

L’ouvrage de M. C. Sabatier[333], paru en 1891, est au contraire
un véritable travail de géographie critique, digne pendant de
ceux des d’Avezac, des Daumas, des de Colomb. M. C. Sabatier donne
d’abord une note justificative à l’appui de sa carte du Sahara
central et méridional. Après un aperçu générale de la géographie
physique et économique de la région, il étudie les divers tracés
de Transsaharien et donne la préférence au tracé par Igli. Puis
il étudie la question du Touat et du Sahara. En appendice on trouve
une note intéressante sur la valeur, la recherche et l’emploi
des informations géographiques d’origine indigène, puis des
itinéraires indigènes recueillis par l’auteur et déjà en partie
connus. Malgré certaines exagérations et quelques illusions en
ce qui concerne le rôle économique du Transsaharien et du Touat,
l’ouvrage de M. C. Sabatier conserve une réelle valeur.

L’utilisation des informations indigènes peut encore fournir
nombre de documents. M. le capitaine Fariau a donné un itinéraire du
Kheneg-el-Hadid au pays d’Adrar[334] d’après le Targui Mohamed
Ould Ali ben Besis, qui donne de très intéressants renseignements
sur le Mouydir ; il est accompagné de deux cartes, dont l’une
est due au Targui lui-même, qui l’a dessinée d’une main sûre,
rapidement et sans hésitation. Enfin le _Bulletin de la Société
de Géographie d’Alger_ publiait[335] quelques indications dues au
Naïb des Kadrïa d’Ouargla sur l’itinéraire d’Hassi-el-Mongar
à In-Salah, complétant les renseignements de MM. Le Châtelier
et Deporter.


                                   *
                                  * *


Parmi les ouvrages scientifiques et les travaux d’ensemble
publiés sur le Sahara, il convient de mentionner en première ligne
l’ouvrage de M. Schirmer[336]. Cette thèse magistrale a contribué,
plus qu’aucun autre livre, à rectifier et à préciser les idées
répandues dans le public sur la géographie du Sahara. Les idées
de M. H. Schirmer sur la géographie physique et le climat du Sahara
sont aujourd’hui admises par tout le monde et ne soulèvent plus
d’objections. Quant à ses conclusions économiques, les objections
présentées par M. Fock[337] ne les atteignent en rien. Depuis
lors, M. Schirmer a fait entendre à plusieurs reprises son avis
toujours autorisé dans les questions sahariennes, traduisant Erwin
de Bary[338], combattant, en compagnie de M. Foureau, les illusions
que quelques personnes nourrissent soit à l’égard des Touareg,
soit à l’égard du Transsaharien.

L’_Exploration du Sahara_ de M. P. Vuillot[339] est un
ouvrage des plus utiles et un répertoire commode, auquel nous
avons fait de nombreux emprunts. Il est édité avec soin et
accompagné de cartes-itinéraires hors texte, précieuses pour les
travailleurs. Malheureusement, les appréciations de l’auteur
paraissent avoir été faussées par des idées préconçues,
notamment en ce qui concerne le traité de Ghadamès.

L’un de nous a publié, en collaboration avec M. H. M. P. de la
Martinière, et par ordre de M. Jules Cambon, des _Documents sur le
Nord-Ouest africain_[340] qui constituent une sorte de dossier des
affaires concernant l’Ouest et le Sud-Ouest de l’Algérie. La
question du Touat et les questions connexes y sont étudiées sous
leurs divers aspects. On a utilisé, outre les ouvrages imprimés,
divers documents des archives du Service des affaires indigènes,
des itinéraires européens et indigènes inédits, dont on trouvera
la liste à la fin de chaque volume.


                                   *
                                  * *


La cartographie saharienne a fait aussi de notables progrès. En
1890 paraissait la carte dite de l’Extrême-Sud, de Deporter,
à 1/800.000e, en 13 feuilles. En 1891, le Service géographique de
l’armée entreprenait une nouvelle édition de la carte d’Afrique
à 1/2.000.000e, sous la direction du capitaine Rouby ; cette
édition est en trois couleurs, la planimétrie en noir et en bleu,
le figuré du terrain en bistre. En 1894, le même Service rééditait
la carte générale de l’Algérie à 1/800.000e en six feuilles :
les deux feuilles méridionales s’étendent jusqu’à la latitude
d’In-Salah. En 1895, M. P. Vuillot accompagnait son historique des
explorations d’une carte du Sahara à 1/4.000.000e. De nombreuses
cartes accompagnent l’ouvrage que l’un de nous a publié en
collaboration avec M. de la Martinière ; l’une d’elles, à
1/2.000.000e, qui donne la région touatienne et les itinéraires
qui la relient à l’Algérie, rectifie utilement pour cette région
la feuille correspondante du 1/800.000e.

En Tunisie, la carte à 1/400.000e de la région frontière, carte
par itinéraires et renseignements publiée en novembre 1890 par
le commandant Rebillet, complète la lacune dans la géographie
de l’Arad entre la carte de reconnaissance à 1/200.000e et la
frontière tripolitaine. Au cours des années 1892 à 1894, M. le
lieutenant de Larminat a effectué la triangulation de la région
représentée sur cette carte, avec la topographie définitive à
1/50.000e[341]. Enfin la feuille Sud de la carte à 1/800.000e de la
Tunisie comprend le Sahara tunisien jusqu’à Ghadamès et une partie
de la Tripolitaine ; mais les renseignements qu’elle contient sont
fort incomplets. La carte que M. V. Cornetz a jointe à son travail
était destinée à remplacer ce document et à servir de carte de
reconnaissance aux triangulateurs et topographes ; elle a servi à
améliorer les éditions ultérieures de la carte à 1/800.000[342].


[Note 262 : H. SCHIRMER, _Les voies de pénétration au Soudan_
(_Ann. de Géogr._, 1891-92, p. 16). — Id., Le Sahara, p. 406.]

[Note 263 : _Documents_, III, p. 59.]

[Note 264 : _Documents_, II, p. 143 ; IV, p. 130.]

[Note 265 : _Documents_, III, p. 63-64. — Pour l’historique de
la question du Touat, v. _Documents_, III, ch. II, et G. MANDEVILLE,
_L’Algérie Occidentale et le Touat_ (_Quest. diplom. et colon._,
1898, t. III. p. 137).]

[Note 266 : _Documents_, III, p. 80.]

[Note 267 : RINN, _Nos Frontières Sahariennes_, p, 46.]

[Note 268 : _Journal des Débats_, 17 février 1899.]

[Note 269 : _Bull. Afr. fr._, 1897, p. 250.]

[Note 270 : _Bull. Afr. fr._, 1898, p. 207.]

[Note 271 : _Bull. Afr. fr._, 1899, p. 100.]

[Note 272 : _Id._, 1896, p. 381.]

[Note 273 : Ces travaux ont été utilisés dans les _Documents_
(voir notamment tome IV, p. 199, et l’atlas joint aux _Documents_).]

[Note 274 : _Documents_, III, p. 105.]

[Note 275 : G.-B.-M. FLAMAND, _De l’Oranie au Gourara_, in-8o,
Paris 1898. — ID., _La traversée de l’Erg occidental_. (_Ann. de
Géogr._ 1899, p. 231.)]

[Note 276 : ID., _L’Atlas Saharien_. (_Nouvelles géographiques_,
1892). — ID., _Caractères généraux des régions qui bornent
à l’ouest la province d’Oran_. (_Documents_ II, chap. III.,
p. 172 et suiv., 1896.) ]

[Note 277 : ID., _Aperçu général sur la géologie et les
productions minérales du bassin de l’Oued-Saoura et des régions
limitrophes_. (_Documents_, III, et tirage à part, 1897).]

[Note 278 : G.-B.-M. FLAMAND, _Les pierres écrites (Hadjrat
mektoubat) du nord de l’Afrique et spécialement de la région
d’In-Salah_. (_L’Anthropologie_, 1897-1901). Id., _Hadjrat
mektoubat ou les pierres écrites. Premières manifestations
artistiques dans le Nord Africain_. (_Bull. Soc. Anthropol. de
Lyon_, 1901, et _Bull. Soc. Géogr. Alger_, 1902). Id., _Note sur
les inscriptions et dessins rupestres de la gara des chorfa du
district de l’Aoulef (Tidikelt)_. (_Bull. Géogr. historique et
descriptive_, 1903).]

[Note 279 : ID., _Une mission d’exploration scientifique
au Tidikelt. Aperçu général sur les régions
traversées_. (_Annales de Géog._, 1900.) Id., _Au
Tidikelt. Le programme saharien_. (_Questions diplomatiques
et coloniales_. 1900). Id., _L’occupation d’In-Salah et
l’action française dans le Sahara_. (_Bulletin de la Réunion
d’Etudes algériennes_, 1900). Id., _Sur la position géographique
d’In-Salah_. (_C. R. Acad. Sc._, 1902). Id., _Sur le régime
hydrographique du Tidikelt_. _C. R. Acad. Sc._, 21 juillet 1902,
p. 212).]

[Note 280 : G.-B.-M. FLAMAND, _Sur la présence du Dévonien
à calceola sandalina dans le Sahara occidental_ (_Ibid._,
1901). Id., _Sur la présence du terrain carbonifère dans le
Tidikelt_. Id., _Sur la présence du Dévonien inférieur dans
le Sahara occidental_. (_C. R. Acad. Sc._, 1902). Ces deux notes,
ainsi que la précédente, ont été reproduites dans le _Bull. de
la Réun. d’études algériennes_, 1902, p. 304 et suiv.]

[Note 281 : ID., _Observations sur les nitrates du
Sahara_. (_Bull. Soc. Géol. Fr._, 1902, p. 366).]

[Note 282 : _Bull. Afr. fr._, juillet 1898, p. 227, av. carte par
P. VUILLOT.]

[Note 283 : V. CORNETZ, _Le Sahara tunisien, étude
géographique_. (_Bull. Soc. Géogr. Paris_, 1896, p. 518, av. carte
à 1/800.000e).]

[Note 284 : P. VUILLOT. _Note sur un voyage de Nefta à Ghadamès,
exécuté par MM. Cazemajou et Dumas_. (_Bull. Soc. Géogr. Paris_,
1896, p. 145).]

[Note 285 : F. FOUREAU, _Mes Missions dans le Sahara_ (_Bul. de
la Soc. de Géogr. de Marseille_, 1897, tome XX, p. 360). — ID.,
_Coup d’œil sur le Sahara français_ (_Ann. de Géogr._, 1894-95,
p. 61). — J. BERGERON, _Résultats des voyages de M. Foureau
au point de vue de la géologie et de l’hydrologie_ (Extr. des
_Mém. de la Soc. des Ingén. civils_, janvier 1897).]

[Note 286 : ID., _Mission du Tademayt_ (_Bull. Soc. Géogr. de
Paris_, 1891, p. 5). — Id., _Une mission au Tademayt (territoire
d’In-Salah) en 1890 : rapport au Ministre de l’Instruction
publique_, in-8o. Paris, 1890. Cf. P. VUILLOT, p. 248.]

[Note 287 : _C. R. Soc. Géogr._, 1892, p. 244. Cf. VUILLOT, p. 263.]

[Note 288 : F. FOUREAU, _Une mission chez les Touareg_
(_C. R. Soc. Géogr._, 1893, p. 256 ; _Bull. Soc. Géogr._ 1893,
p. 500). — Id., _Au Sahara : Mes deux missions de 1892 et 1893_
(Réédition du rapport de mission de juillet 1893), in-8o, Paris,
1897. — Cf. VUILLOT, p. 286.]

[Note 289 : F. FOUREAU, _C. R. Soc. Géogr._ 1894, p. 132 ;
_Bull. Soc. Géogr._, 1895, p. 10. — Id., _Rapport sur ma mission
au Sahara et chez les Touareg Azdjer (octobre 1893 à mars 1894)_,
1 vol. texte et 1 vol. carte, in-8o, Paris, 1894. Cf. _Documents_,
Atlas, pl. X. et VUILLOT, p. 302.]

[Note 290 : _B. S. G. P._, 1895, p. 32.]

[Note 291 : F. FOUREAU, _C. R. Soc. Géogr._, 1895, p. 45, 171,
210, 303. — ID., _Mission chez les Touareg, Mes deux itinéraires
sahariens d’octobre 1894 à mai 1895_, in-8o, Paris, 1895.]

[Note 292 : _C. R. Soc. Géogr._, 1895, p. 172-173.]

[Note 293 : _Id._, 1895, p. 306.]

[Note 294 : F. FOUREAU, _C. R. Soc. Géogr._, 1896, p. 99. — Id.,
_Dans le grand Erg : Mes itinéraires sahariens de décembre 1895
à mars 1896 : rapport au Ministre de l’Instruction publique_,
in-8o, Paris, 1896.]

[Note 295 : F. FOUREAU, _Mon neuvième voyage au Sahara et au pays
Touareg_. (_C. R. Soc. Géogr._, 1898, p. 229 ; _B. S. G. P._, 1898,
p. 229).]

[Note 296 : H. SCHIRMER, _Pourquoi Flatters et ses compagnons sont
morts_, _Bull. Soc. Géogr. Lyon_, 1896.]

[Note 297 : _B. S. G. P._, 1898, p. 229.]

[Note 298 : Sur la mission Foureau-Lamy, voir F. FOUREAU, _D’Alger
au Congo par le Tchad_, in-8o, Paris, 1902. — Id., _Documents
scientifiques de la mission Saharienne_, Texte et atlas in. 4o, Paris,
1905. — Ct REIBELL, _Le commandant Lamy d’après sa correspondance
et ses souvenirs de campagne_, in-8o, Paris, 1903. Cf. aussi _La
Géographie_, 1900, t. II, p. 433 et suiv.]

[Note 299 : _Bull. Afr. fr._, 1899, p. 176.]

[Note 300 : _Bull. Afr. fr._, 1899, p. 177.]

[Note 301 : F. FOUREAU, _Documents scientifiques de la mission
Saharienne_, Paris, 1905 (_Publicat. de la Soc. de Géogr._) 1
vol. in-4o de 1210 p., av. 428 fig., 30 pl. et 1 atlas.]

[Note 302 : H. SCHIRMER, _Ann. de Géogr._ 1904, p. 83 et suiv. —
L. GENTIL, _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 321-428. — E. HAUG, _La
Géographie_, 1905, t. XII, p. 297 et suiv.]

[Note 303 : HAUG, art. cité, p. 302.]

[Note 304 : _Documents scientifiques de la Mission Saharienne_,
p. 1160-1164.]

[Note 305 : _C. R. S. Géogr._, 12 juin 1892.]

[Note 306 : DEPONT et COPPOLANI, _Les confréries religieuses
musulmanes_, p. 273.]

[Note 307 : _C. R. Soc. Géogr._, 5 mai 1893.]

[Note 308 : P. VUILLOT, p. 228 (d’après M. Fock). — Cf. FOUREAU,
_B. S. G. P._, 1893, p. 529.]

[Note 309 : _Bull. Afr. fr._, 1896, p. 44.]

[Note 310 : _Bull. Afr. fr._, janvier 1895 ; _ibid._, 1896, p. 202
et 209. V. aussi _Dépêche Algérienne_ du 28 juillet 1902.]

[Note 311 : _Bull. Afr. fr._, 1896, p. 127 ; 1898, p. 232.]

[Note 312 : _Id._, II, p. 157.]

[Note 313 : _Documents_, II, p. 168.]

[Note 314 : _Bull. Afr. fr._, 1899, p. 202.]

[Note 315 : _Documents_, II. p. 163-164.]

[Note 316 : _Bull. Afr. fr._ 1898, p. 42.]

[Note 317 : P. REBILLET, _Relations commerciales de la Tunisie avec
le Soudan_, in-8o, 1896 (n. m. d. l. comm.). — Id., _Relations
commerciales de la Tunisie avec le Soudan_, (_Revue générale des
Sciences_, 1896, p. 1151).]

[Note 318 : E. FALLOT, _Etude sur le développement économique de
l’Extrême-Sud tunisien_ (_Bull. Dir. Agr. et Comm. de Tunis_,
1899).]

[Note 319 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 405.]

[Note 320 : G. ROLLAND, _C. R. Soc. Géogr._, 7 mars et 11 avril
1890.]

[Note 321 : PHILEBERT et ROLLAND, _La France en Afrique et le
Transsaharien_, Paris, 1890.]

[Note 322 : Recommandé notamment par M. BOUTY, _Bull. Soc. de
Géogr. d’Oran_, passim.]

[Note 323 : Préconisé notamment par M. BROUSSAIS, _de Paris au
Soudan_, in-8o, Alger-Paris, 1891.]

[Note 324 : LANIER, _L’Afrique, Lectures géographiques_,
p. 421. Cf. _C. R. Soc. Géogr._ années 1889-90. V. aussi G. ROLLAND,
_Le Transsaharien : Un an après_, Paris, 1891. — A. FOCK,
_Algérie, Sahara, Tchad_, Paris, 1891.]

[Note 325 : PHILEBERT et ROLLAND, _La France en Afrique et le
Transsaharien_, p. 65.]

[Note 326 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 414.]

[Note 327 : _Journal des Débats_, 30 sept. et 9 nov. 1898, 18 mars
et 31 août 1899, et surtout _R. D. M._, 1er juillet 1899, p. 4 et
113. On trouvera la plus récente et la plus complète expression des
idées du savant économiste sur la question dans PAUL LEROY-BEAULIEU,
_Le Sahara, le Soudan et les chemins de fer_, in-8o, Paris, 1904.]

[Note 328 : V. notamment P. LEFÉBURE, _Correspondant_, 25 juillet
1899, p. 324. — Général COSSERON DE VILLENOISY, _Bull. Afr. fr._,
1899, p. 259. — AUGUSTIN BERNARD, _La question du Transsaharien_,
in-8o, Alger, 1899.]

[Note 329 : In-8o, Alger, 1890.]

[Note 330 : C. SABATIER, _Touat, Sahara, Soudan_, p. 3.]

[Note 331 : _Ibid._, p. 5.]

[Note 332 : C. SABATIER p. 9.]

[Note 333 : ID., _Touat, Sahara, Soudan_, in-8o, Paris, 1891.]

[Note 334 : _Bull. Soc. Géogr. d’Alger_, 1899, p. 181.]

[Note 335 : _Id._, 1899, p. 197.]

[Note 336 : H. SCHIRMER, _Le Sahara_, in-8o, 1893.]

[Note 337 : _Revue générale des sciences_, 30 octobre 1893.]

[Note 338 : SCHIRMER, _Le dernier rapport d’un Européen sur Ghat
et les Touareg de l’Aïr_, in-8o, Paris, 1898.]

[Note 339 : P. VUILLOT, _L’exploration du Sahara_, étude historique
et géographique, gr. in-8o, Paris, 1895.]

[Note 340 : 4 vol., de texte et 1 atlas.]

[Note 341 : DE LARMINAT, _Etude sur les formes du terrain dans le
Sud de la Tunisie_ (_Ann. de Géogr._, 1895-96, p. 386).]

[Note 342 : _Bull. Soc. Géogr._, Paris, 1896, p. 521-522.]




                             CHAPITRE VII

                        LA SOLUTION (1900-1906)

I. _L’occupation des oasis du Sud-Ouest et ses conséquences._
— La question de la Zousfana. — Protocoles de 1901 et 1902. —
Attentats de 1902. — Bombardement de Zenaga. — Affaire de
Taghit. — Le général Lyautey (septembre 1902). — Occupation
de Béchar (novembre 1903). — Organisation de la région entre
Zousfana et Oued-Guir. — Le chemin de fer. — Le commerce. —
Reconnaissances et explorations. — Cartographie.

II. _La question Touareg._ — Les raids Cottenest, Guillo-Lohan,
Laperrine, Pein et Besset. — Action du Soudan. — Jonction de
l’Algérie avec le Soudan (18 avril 1904). — Mission Etiennot. —
Résultats scientifiques. — M. Emile F. Gauthier.

III. Les Territoires du Sud et leur organisation. — La limite Sud
de l’Algérie. — La limite Nord du Soudan. — Les communications
transsahariennes : le télégraphe, le chemin de fer.


                                   I


« L’Algérie n’est pas achevée, écrivait Rohlfs ; il est
absolument nécessaire que tout le système de l’Oued-Saoura, et
par suite le Gourara, le Touat et In-Salah soient attirés dans la
sphère d’action de la France. Il est tout-à-fait étonnant qu’on
ne l’ait pas reconnu après le massacre de la mission Flatters. »
L’expérience a démontré combien cette appréciation était
exacte. Par le retentissement qu’elle a eu parmi les populations
sahariennes, par le point d’appui qu’elle a donné à notre
politique, la prise de possession des Oasis du Sud-Ouest a été un
événement décisif, le plus décisif de tous dans l’histoire de
la pénétration saharienne, dont les conditions se sont trouvées
complètement modifiées à notre très grand avantage. Cette
occupation a été effectuée par à-coups, sans plan d’ensemble,
sans vues d’avenir, sous la pression des circonstances, et c’est
en partie pour cela qu’elle a été extrêmement coûteuse. Mais
enfin elle a été effectuée, c’est l’essentiel.

C’est seulement au mois de mars 1900[343] qu’on se décida à
l’occupation de tout le groupe des oasis du Sud-Ouest, conséquence
nécessaire de la prise d’In-Salah.

Une colonne commandée par le lieutenant-colonel d’Eu fut mise
en route pour achever l’occupation du Tidikelt, pendant qu’une
seconde colonne s’avançait de Duveyrier vers Igli sous les ordres
du colonel Bertrand. La première de ces colonnes eut à soutenir,
le 19 mars, un combat acharné et sanglant, à la suite duquel on
s’empara des oasis d’Inrar, situées à environ 50 kilomètres
à l’ouest d’In-Salah. Le chef Ed Driss ben Naïmi, qui avait
pris le titre de « pacha de Timmi », et n’avait pas cessé
d’être, depuis la prise d’In-Salah, l’agent le plus actif de
l’hostilité contre la France, avait rassemblé des contingents
tirés du Touat, de l’Aoulef, de Sali et évalués à 3.000 hommes
environ. La kasba du ksar Lekhal, où un grand nombre de combattants
s’étaient réfugiés, fut bombardée et s’écroula en partie
sur ses défenseurs. Les pertes de l’ennemi furent d’environ 600
tués ; parmi les prisonniers se trouvait Ben Naïmi. Nous eûmes
9 tués et plusieurs blessés[344]. Le combat d’Inrar fut suivi
de la soumission des oasis de l’Akabli et de l’Aoulef, les plus
occidentales du Tidikelt. D’autre part, la colonne Bertrand, forte
de 2.000 hommes, partie de Duveyrier le 25 mars, occupait Igli sans
coup férir le 5 avril. Enfin des forces venues d’El-Goléa et de
Géryville convergeaient sur Tabelkoza et Timmimoun, les premières
par l’Oued-Meguiden, les secondes par l’Erg, et occupaient
le Gourara.

Quelques semaines plus tard, le général Servière, nommé au
commandement de la division d’Alger, entreprenait une tournée dans
les oasis ; n’ayant comme escorte qu’une section de tirailleurs
et un peloton de spahis sahariens, avec un convoi de 200 chameaux,
il visitait d’abord les ksour du Tidikelt, entrait le 30 juillet
à Adrar (Timmi), le plus important des ksour du Touat, et revenait
à El-Goléa par le Gourara sans avoir perdu ni un homme ni un
chameau. Il réclamait la création à Adrar d’une circonscription
administrative semblable à celles que l’on venait d’organiser
à In-Salah et à Timmimoun.

Cependant certaines oasis du Gourara faisaient appel aux Beraber
pour organiser la résistance à notre domination. Le 30 août, le
capitaine Falconetti, chef de l’annexe du Gourara, se heurtait à
ces adversaires avec lesquels nous ne nous étions pas encore mesurés ;
il les rencontrait à Sahela-Metarfa, à 80 kil. environ au sud de
Timmimoun. Retranchés dans les kasbas, les Beraber résistèrent à
toutes les attaques, et les nôtres durent se retirer sur Deldoul,
après avoir perdu un officier (lieutenant Depardieu) et quatre
hommes[345]. Le 5 septembre, un nouveau combat, qui coûta la vie
au capitaine Jacques, n’eut pas plus de succès. On fut obligé
d’envoyer dans le Sud-Ouest des renforts assez considérables.

En janvier 1901, le général Servière[346], revenu aux oasis,
installa à Adrar une petite garnison qui devait occuper ce nouveau
poste. Pendant son séjour il apprit que, le 18 février, une harka de
Beraber, forte de 650 hommes, avait surpris la garnison de Timmimoun
et n’avait été repoussée qu’après un combat meurtrier. Il
l’atteignit à Charouin (28 février) et lui infligea des pertes
sérieuses. Après son départ, il poussa jusqu’au petit ksar de
Talmin, qui nous avait, comme Charouin, manifesté de l’hostilité
et qui, après un court engagement, fit sa soumission. Depuis lors,
la paix a régné d’une manière complète dans les oasis, et
aucun combat ne s’y est plus livré.

Au printemps de 1901, la « question du Touat » proprement dite
peut donc être considérée comme réglée et résolue. Cette
prise de possession ne s’est pas opérée sans d’assez grandes
difficultés, les unes inhérentes à l’opération elle-même,
les autres résultant d’hésitations ou d’erreurs de méthode :
hésitation à occuper les oasis après la prise d’In-Salah,
hésitations à s’établir à Adrar après la tournée du général
Servière ; erreurs de méthode consistant à accumuler inutilement
dans ces régions pauvres les inutiles, lourds et onéreux effectifs
de troupes régulières qui ne peuvent y subsister qu’au prix
d’énormes sacrifices d’argent et d’animaux, au lieu de s’en
tenir simplement à des tournées de police exécutées par des
éléments sahariens[347].

Au Touat comme dans tout le Sahara, on vient facilement à bout des
sédentaires, habitant des oasis ; les nomades, plus guerriers
et échappant plus facilement au châtiment, sont autrement
redoutables. Ce sont les nomades du Zegdou et la puissante tribu
des Beraber, dont le territoire s’étend derrière le leur, qui
attaquent nos postes et nos convois de ravitaillement. Nous avons
été amenés à utiliser la ligne de communication naturelle de
la Zousfana et de la Saoura pour relier les oasis à la région du
Sud-Oranais : c’est même par là qu’on aurait dû commencer
si l’on avait agi suivant un plan d’ensemble au lieu d’avoir
la main forcée par les événements. Pour assurer sa ligne de
ravitaillement, l’autorité militaire avait multiplié les postes
dans cette région dangereuse et exposée aux coups de main. En
1902, une nouvelle annexe était installée à Beni-Abbès, et
l’annexe d’Igli était transférée à Taghit, au centre des
oasis des Beni-Goumi. En 1901, une autre annexe avait été établie
à 13 kilomètres au sud de Figuig, à Djenan-ed-Dar, où un poste
destiné à surveiller cette oasis avait été placé dès le mois
de décembre 1900. Le 1er avril 1902, un décret avait créé les
compagnies des oasis sahariennes, dans le but de remplacer les
troupes régulières qui avaient jusqu’alors été maintenues au
Gourara, au Touat et au Tidikelt, par des unités plus mobiles et
d’un entretien moins onéreux. Ces compagnies, pourvues de cadres
français, sont composées d’hommes recrutés parmi les habitants
du Sahara et qui, au moyen de la solde qui leur est attribuée, se
nourrissent et s’entretiennent eux-mêmes. Chaque compagnie comprend
des fantassins, des cavaliers et des méharistes. Elle est pourvue de
pièces d’artillerie légère. Les officiers appartenant au service
des affaires indigènes sont chargés à la fois du commandement de
ces troupes spéciales et de l’administration du pays[348]. En même
temps, les Oasis sahariennes, qui jusqu’alors avaient relevé de
la division d’Alger, étaient rattachées à la division d’Oran.

Cependant ces mesures se montraient assez peu efficaces. C’est
qu’il n’était pas possible d’occuper le fossé,
c’est-à-dire la Zousfana, sans être obligé de s’assurer en
même temps du talus qui le borde, c’est-à-dire de la région des
Ouled-Djerir et des Douï-Menia qui s’étend entre la Zousfana
et l’Oued-Guir[349]. Quand on veut couvrir quelque chose,
on s’interpose entre ce quelque chose et l’ennemi[350]. Il
n’y avait évidemment qu’à user, comme nous l’avions fait à
plusieurs reprises, des droits qui nous sont conférés par le traité
de 1845, et à reprendre la politique que nous avions suivie jadis
avec de Colomb en 1855-57, avec de Wimpffen en 1870. Mais on craignait
de se trouver entraîné trop loin et d’ouvrir inopinément de ce
côté la question du Maroc.

Au mois de juin 1901, M. Paul Révoil était appelé au Gouvernement
Général de l’Algérie, où il succédait à M. Jonnart. Après
avoir été longtemps à Tunis, et représenté la France à Tanger,
il allait, comme gouverneur de l’Algérie, appliquer la politique
consistant à donner plus d’unité à notre action dans l’Afrique
du Nord. C’est à l’instigation de M. Révoil qu’avait été
signé à Paris, le 20 juillet 1901, un protocole[351] destiné à
interpréter et à compléter le traité de délimitation du 18 mars
1845, et à inaugurer dans ces régions la politique de collaboration
avec le makhzen. Il avait été stipulé que la France resterait
maîtresse du territoire des Ouled-Djerir et des Douï-Menia, et que
ceux de ces indigènes qui refuseraient de se soumettre à la France
devraient se transporter dans la région du Maroc que le Gouvernement
chérifien leur assignerait comme résidence. Cet arrangement fut
suivi de deux accords complémentaires (20 avril et 7 mai 1902)
établissant entre l’Algérie et le Maroc un _modus vivendi_
pour les relations politiques, administratives et commerciales dans
les régions-frontières. Mais, sur le terrain, ces conventions
ne purent être mises à exécution. Les commissaires français et
marocains chargés de notifier aux Douï-Menia et aux Ouled-Djerir
les arrangements les concernant avaient été fort mal accueillis à
Kenadsa. Ils avaient cependant réussi à éloigner de Figuig notre
vieil ennemi de 1881, Bou-Amama, qui y résidait depuis plusieurs
années ; Bou-Amama n’avait pas voulu profiter de l’aman qu’on
lui avait accordé en 1899, et se tenait depuis lors à l’écart,
cherchant en apparence à nous servir, mais en réalité excitant en
toute occasion les populations contre nous et prélevant sa part du
butin fait à notre détriment, le plus souvent par des bandits de
son entourage. Aussi sa présence dans l’oasis constituait-elle
pour nous une source d’ennuis de tous les instants. Sur notre
demande, Si Mohammed Guebbas, chef de la mission marocaine, invita
le vieux marabout à quitter Figuig ou à se soumettre ; il gagna,
par étapes successives, la région d’Oudjda, où il alla faire
cause commune avec le prétendant Bou-Hamara.

Cependant les vols et les agressions contre nos postes et nos convois,
enlèvements de troupeaux, assassinats de sentinelles, attentats
contre les isolés, vols de fils télégraphiques se multipliaient
d’une manière de plus en plus inquiétante dans la région de
la Zousfana. Au mois d’octobre 1901, deux enfants avaient été
assassinés sur la route de Duveyrier ; le 19 janvier suivant, deux
capitaines du 1er régiment étranger, MM. de Cressin et Gratien,
étaient tués dans la même région. Dans les premiers mois de 1903,
des convois étaient enlevés ou attaqués entre Djenan-ed-Dar et
Taghit, et la situation devenait de plus en plus intolérable.

M. Jonnart, député, ancien ministre des Travaux publics, replacé
à la tête du Gouvernement général de l’Algérie en mai 1903,
était décidé à mettre un terme à cet état de choses. Il
se rendit aussitôt dans le Sud-Ouest ; au cours de sa tournée,
le 31 mai, son escorte fut attaquée par les habitants de Zenaga,
le principal des ksour de Figuig. Cet incident ne fit que hâter
l’exécution des mesures de police prévues. Le 8 juin, le ksar
de Zenaga fut bombardé. Aussitôt après, les habitants de Figuig
vinrent faire des offres de soumission sans conditions. L’aman
leur fut accordé. Une petite colonne avait été envoyée en même
temps à l’ouest du Chott Tigri et une autre s’était avancée
jusqu’à Bechar sans incidents.

Depuis cette époque, la population sédentaire de Figuig peut être
considérée comme pacifiée ; mais les nomades n’ont pas cessé
les hostilités. Quelques agressions se sont encore produites dans la
deuxième partie de l’année 1903. Le 16 juillet, un détachement
de la compagnie saharienne du Touat fut attaqué à Hassi Rzell,
dans la Saoura ; le capitaine Regnault, chef de l’annexe de Beni
Abbès, atteignit les Beraber auteurs de ce coup de main et les
défit à Noukhila, le 28 du même mois.

Le poste de Taghit fut investi, du 17 au 21 août, par une horde de
plus de quatre mille Beraber, secondés par quelques Ouled-Djerir et
Chaanba dissidents. La petite garnison, sous les ordres du capitaine
de Susbielle, fit une admirable résistance et contraignit les
assaillants à la retraite. Le 2 septembre, un convoi fut attaqué
à El Moungar, dans la Zousfana ; la défense fut héroïquement
dirigée par le sergent-fourrier Tisserand après la mise hors de
combat des deux officiers qui commandaient l’escorte.

Cette dernière affaire, venant à la suite de la tentative
heureusement avortée de Taghit, avait ému l’opinion
publique. Aussi le gouvernement se décida-t-il, sur les instances du
Gouverneur général, à confier le commandement de la subdivision
d’Aïn-Sefra au général Lyautey, qui s’était déjà trouvé
aux prises avec de semblables difficultés au Tonkin et à Madagascar
et y avait fait ses preuves comme organisateur. Bientôt après,
on renforçait encore la situation du général Lyautey en dotant
la subdivision d’Aïn-Sefra d’une organisation autonome. Son
chef était investi de l’autorité directe sur toutes les troupes
stationnées dans son commandement, sous le contrôle du Ministre
de la Guerre et du Gouverneur général.

La situation troublée que rencontrait à son arrivée le général
Lyautey avait surtout pour origine le manque de mobilité de
nos troupes, en face d’un ennemi insaisissable, connaissant
admirablement le pays et qui apparaissait aussi vite qu’il
disparaissait. La multiplicité de nos postes, échelonnés tous
les 50 kilomètres environ le long de la Zousfana[352], ne pouvait
suffisamment remédier à un pareil état de choses, car, avec
leur effectif souvent restreint, leur action ne pouvait guère
s’étendre, et leur ravitaillement nécessitait l’envoi de
fréquents convois qui excitaient les convoitises de l’ennemi
et devenaient finalement fort onéreux. Il fallait donc de toute
évidence se décider à reporter plus à l’Ouest nos postes de
couverture, organiser des forces essentiellement mobiles et donner
à celles-ci l’appui d’une artillerie légère dont l’effet
moral est toujours très grand sur les populations primitives qui
peuplent ces régions. Il fallait enfin donner plus de cohésion à
nos différents postes en les reliant entre eux le plus vite possible
par le télégraphe afin de leur permettre de parer rapidement aux
surprises inopinées de l’adversaire[353].

Déjà la nécessité de réduire des adversaires aussi actifs que
les auteurs des récents coups de main avait amené au mois d’août
précédent l’occupation d’El-Ardja, pour surveiller les massifs
montagneux qui sont au nord de Figuig, puis celle de Ben-Zireg
à la pointe septentrionale du Djebel Bechar. L’œuvre ainsi
ébauchée fut bientôt complétée par la création (11 novembre
1903) d’un poste à Colomb, près de l’oasis de Béchar, de
façon à couvrir la route qui suit la vallée de la Zousfana et à
amener les Douï-Menia et les Ouled-Djerir, jusqu’alors insoumis,
à accepter notre juridiction, conformément aux droits que nous
avaient reconnus le protocole du 20 juillet 1901. Un cercle des
affaires indigènes était en même temps installé à Colomb.

L’année 1904 a été marquée par le perfectionnement
de l’organisation défensive de nos confins du Sud et du
Sud-Ouest. Deux nouvelles compagnies montées furent créées l’une
à la légion étrangère, l’autre au 2e régiment de tirailleurs ;
une quatrième compagnie saharienne fut constituée à Beni-Abbès,
et une cinquième à Colomb. D’un autre côté, un détachement
important alla s’établir le 15 juin à Berguent, point d’eau
de l’Oued-Charef, à 4 kilomètres au Sud de Ras-el-Aïn, afin
de parer aux incursions de Bon Amama et de ses contingents, et
d’enlever au marabout la possibilité de revenir dans le pays
compris entre Figuig et le Haut-Guir.

L’heureux résultat de ces efforts ne tarda pas à se manifester :
de nombreux groupes des Douï-Menia et d’Ouled-Djerir vinrent faire
leur soumission et les Beni-Guil, dans une entrevue solennelle à
Aïn-Sefra, affirmèrent leur désir de vivre en paix avec nous.

En 1905, des opérations sont dirigées contre un djich qui, au
mois de décembre 1904, avait attaqué une caravane à Hassi-Ouchen,
aux abords du Gourara. Les auteurs de ce coup de main sont battus et
dipersés sur le Guir, à Garet Douifa. A la suite de cette affaire,
le lieutenant Canavy s’avance jusqu’au ksar Es Saheli, dans le
Haut Guir, où se trouve la petite zaouïa de Moul-Sehoul dont les
marabouts reçoivent fort bien notre reconnaissance.

En janvier 1906, le groupe mobile de Berguent, appuyé sur une
compagnie de la légion montée, surprend dans l’Oued Nesly
un rezzou de Chaanba de Bou-Amama qui depuis plusieurs années
inquiétait nos postes et nos caravanes et lui inflige une sérieuse
leçon.

En mai 1906, trois détachements partis de Berguent, de Forthassa
et de Beni-Ounif, viennent converger à Metarka, dans l’Oued
Charef, à proximité des campements des Beni Guil dissidents qui,
en janvier 1905, avaient enlevé 145 chameaux à nos Hamyan. Cette
démonstration suffit pour amener les bandits à composition et les
contraindre à restituer leurs prises.

La situation s’est donc beaucoup améliorée dans le Sud-Ouest
depuis quelques années. Il n’y a plus eu de grand rezzou depuis
celui d’Hassi-Ouchen, et l’excellence de la méthode du général
Liautey a été démontrée par les faits.

Les négociations qui ont précédé la conférence d’Algésiras
ont reconnu et confirmé notre droit exclusif à assurer la police
dans la région-frontière « sur les territoires où résident,
campent et se meuvent traditionnellement les tribus marocaines,
sédentaires ou nomades en relations ou en contact habituels avec
les tribus algériennes[354] ».

Le Tafilelt est désormais la région la plus hostile à notre
influence. C’est là que vivent les Ouled Djerir et les Douï
Menia dissidents. C’est du Tafilelt que partent les grandes harkas
dirigées contre nos postes et nos administrés. L’une d’elles, au
mois de juillet 1904, s’avance même jusqu’auprès de Tombouctou
pour razzier les populations soumises à l’Afrique occidentale
française. Elle essuie dans cette région, au mois de novembre,
une sanglante défaite.

Les routes que suivent les harkas du Tafilelt pour aller au Sahel
ou au Niger échappaient jusqu’ici par leur éloignement à la
surveillance des postes extrêmes du Sud Algérien ; cependant
quelques-uns de leurs points de passage ont été reconnus en
1905 par le capitaine Flye-Sainte-Marie, commandant la compagnie
saharienne du Touat, qui a traversé l’Iguidi, poussé une très
belle reconnaissance dans l’ouest de la Saoura jusqu’à 9°
11′ Ouest, à 160 kilomètres seulement de Tindouf et recoupé,
aux puits de Marabouti et de Bir Aouina, les itinéraires d’Oskar
Lenz et de René Caillié[355]. Le capitaine Flye-Sainte-Marie a
reconnu ainsi toutes les routes du Maroc méridional au Soudan ;
elles seraient aisées à dominer en occupant quelques points de
l’Iguidi par lesquelles elle doivent forcément passer. Elles sont
d’ailleurs aujourd’hui entièrement désertes, et aucun commerce
n’y existe plus[356].


                                   *
                                  * *


En même temps que s’effectuaient avec autant de bonheur que
d’activité ces opérations de police, à l’abri de notre
puissance militaire, tous les procédés pacifiques étaient
mis en œuvre pour assurer définitivement notre influence. Le
chemin de fer du Sud-Ouest a été poussé dans ces dernières
années avec une grande activité. En réalité, il eût fallu,
ainsi que l’a dit M. Etienne[357], opérer comme les Anglais
dans leur marche sur Khartoum et poursuivre notre voie ferrée en
même temps que nos colonnes avançaient : c’eût été une grande
économie. En 1900, la ligne de pénétration de l’Oranie atteignait
Djenien-bou-Rezg. La mise en chantier du tronçon suivant, de Djenien
à Duveyrier-Zoubia (33 kil.), au confluent de l’Oued Dermel et
de l’Oued Douis, suivait immédiatement et, le 31 août 1901, ce
tronçon était ouvert à son tour. Le 2 août 1903, la voie ferrée
s’avançait jusqu’à Beni-Ounif (27 kil.), à 4 kil. de Figuig. On
laissait de côté l’oasis mais on s’en rapprochait assez pour
que les ksouriens pussent profiter des facilités commerciales que
leur offrait le chemin de fer. C’est ce qu’ils ne manquaient pas
de faire, et Beni-Ounif devenait aussitôt un centre de transactions
important. Le 4 février 1905, on ouvrait la section de Beni-Ounif
à Ben-Zireg (61 kil.), et le 3 juillet 1905 la locomotive arrivait
à Colomb[358] (51 kil.), à 744 kil. du littoral. En même temps
le télégraphe était posé jusqu’à Forthassa d’un côté,
Beni-Abbès de l’autre.

Une fois à Colomb-Bechar, la question se pose de savoir si la
ligne doit être prolongée par la vallée de l’Oued-Guir dans la
direction du Gourara et du Touat, comme on en avait d’abord eu le
projet, ou si elle ne doit pas plutôt, dans un avenir plus ou moins
lointain, s’orienter vers l’Oued Draa et l’Atlantique. Quel
que doive être le sort futur des projets de Transsaharien, on
s’est décidé à agir au lieu de discuter, et à commencer par
le commencement : poser le rail et assurer la sécurité des confins
militaires de l’Algérie. Dès à présent, la voie ferrée remplit
vis-à-vis de la Zousfana le rôle de protection en vue duquel elle
a été essentiellement construite.

Le commerce a d’ailleurs pris un développement assez notable
dans cette région entre Zousfana et Oued-Guir, beaucoup moins
misérable que l’archipel touatien. Un décret du 1er février 1902,
complétant celui du 17 décembre 1900 qui avait autorisé l’entrée
en franchise de certains produits destinés à traverser le territoire
algérien pour se répandre dans le Sahara, exemptait des droits de
douane et d’octroi de mer les marchandises suivantes transitant
par Aïn-Sefra et Djenan-ed-Dar : les toiles de coton pur, unies,
écrues ou blanchies pesant plus de 5 kilos aux 100 mètres carrés,
les guinées originaires des établissements français de l’Inde
et les thés de toute provenance.

Le marché franc ouvert à Beni-Ounif en 1903 est devenu rapidement
un centre de transactions important, qui attire le commerce non
seulement des habitants de Figuig, mais de toutes les populations
environnantes. En 1904, le chiffre des transactions s’y est élevé
à 696.000 francs[359]. Les commerçants européens qui ont ouvert
la voie ont été bientôt suivis par les indigènes. A côté du
mouvement croissant des caravanes, le commerce de détail a suivi une
marche ascendante très rapide. Les nomades ont appris le chemin de
Beni-Ounif et y ont amené plus de 20.000 moutons. Cette œuvre de
pénétration commerciale du Sud-Marocain fait le plus grand honneur
à notre armée et au Gouverneur général de l’Algérie[360].

Quant aux oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt, elles
sont et demeureront de bien pauvres contrées. La population,
que M. Sabatier estimait jadis à 400.000 habitants, ne dépasse
pas 60.000 individus, qui meurent littéralement de faim. Notre
occupation a modifié l’essence même des transactions[361] ; le
commerce en boutique s’est substitué au commerce de caravanes,
le commerce de vente et d’achat contre argent au commerce
d’échanges. La ligne Gabès-Ouargla-In-Salah tend à submerger
la ligne Ghadamès-In-Salah ; d’autre part, les relations avec
l’Oranie ont diminué. Notre installation a achevé de faire
disparaître le commerce des esclaves, et les dattes ne trouvent
plus que difficilement preneur. Aussi conseille-t-on aux ksouriens
de développer leurs cultures de céréales et de légumes. Des
puits artésiens ont été creusés au Tidikelt : les feggaguir ont
été refaites partout. Mais on n’augmentera pas indéfiniment les
ressources en eau et on n’améliorera que très lentement les terres
de culture dans un pays où les matières de fumure et d’amendement
artificiel font défaut. Quant aux gisements de nitrate sur lesquels
on fondait des espérances, bien qu’on ne soit pas entièrement
fixé sur le point de savoir s’ils s’enrichissent en profondeur,
ils ne semblent pas jusqu’ici avoir une réelle importance[362].

Grâce à notre situation nouvelle dans le Sahara et dans
le Sud-Ouest, d’intéressantes reconnaissances ont pu être
accomplies, qui nous ont procuré de précieux renseignements
géographiques. En 1901 et 1902, le commandant Pierron, le capitaine
Regnault, les lieutenants Cabon, Huot, Niéger, Rousseau ont levé
des itinéraires, déterminé des positions, reconnu des points
d’eau et des pistes dans la région située à l’ouest de la
Zousfana-Saoura dans la direction de Tabelbalet et du Tafilelt, sur la
rive droite du Guir, dans les massifs montagneux situés à l’ouest
de Figuig[363]. Nous avons parlé plus haut de la reconnaissance du
capitaine Flye-Sainte-Marie dans la direction de Tindouf.

De ces explorations et reconnaissances, ainsi que de celles qui
ont été effectuées dans les régions nouvellement occupées,
sont sorties des publications cartographiques intéressantes : la
carte des Oasis sahariennes du commandant Laquière[364], celle du
lieutenant Niéger[365] et la carte provisoire de l’Extrême-Sud de
l’Algérie (partie occidentale) à 1/800.000e, dressée par ordre
de M. Jonnart, Gouverneur général, et exécutée par le capitaine
Prudhomme, du Service géographique de l’armée[366]. Cette carte
est limitée au Nord par le parallèle de Si-el-Hadj-Eddine, à
l’Ouest par l’Oued-Guir et l’Erg-er-Raoui jusqu’à Tabelbala,
au Sud par le Mouydir septentrional, à l’Est par le méridien
3° 30′, légèrement à l’Est d’Ouargla.

M. Emile F. Gautier professeur à l’école supérieure des Lettres
d’Alger, connu par ses explorations antérieures à Madagascar, a
fait connaître[367] les grands traits de la géographie physique de
la région qui s’étend au sud de Figuig, le long des oueds Zousfana
et Saoura, et de la sebkha du Gourara. Au point de vue géologique,
le Sahara commence exactement au Djebel-Moumen, à Ksar-el-Azoudj :
c’est là qu’on quitte les sierras secondaires de l’Atlas pour
les hammadas primaires du Sahara, constituées ici par le calcaire
carboniférien horizontal. Au-delà d’Igli se montrent les terrains
dévoniens en couches très plissées, qui paraissent représenter,
selon l’expression employée pour la première fois par M. Flamand,
une ancienne chaîne hercynienne. M. Emile F. Gautier déclare[368]
que la cuvette du Touat n’existe pas, au moins en tant que bassin
fermé où viennent mourir l’Oued-Saoura et l’Oued-Botha. A
l’ouest du Touat, au lieu d’un fond de lac desséché, on
trouve un grand réseau quaternaire dont l’artère principale
était l’Oued-Messaoud (Oued-Saoura prolongé). Tous les oueds
descendant de l’Ahaggar et de l’Atlas (y compris ceux du Tafilelt)
convergeraient vers les salines de Taoudeni.

M. Edmond Doutté, qui accompagnait la commission franco-marocaine
de 1902, a publié de très intéressantes notes sur Figuig et
ses habitants[369]. Le capitaine Flye-Sainte-Marie a consacré
à la situation économique du Touat une étude approfondie et
impartiale[370].


                                  II


Ainsi, depuis 1900, en l’espace de cinq ans, nous nous sommes
établis dans les oasis sahariennes, puis dans la Zousfana et
la Saoura, et en dernier lieu à l’ouest du Bechar. Enfin
la question touareg s’est trouvée résolue à la suite de
l’occupation d’In-Salah. On l’avait toujours prédit : « les
Touareg n’étaient forts que de notre apparente faiblesse. » Des
témoignages autorisés évaluaient à 1.000 ou 1.200 hommes le nombre
de guerriers Hoggar, à 300 celui des Azdjer. Armés de lances et de
fusils à pierre, impuissants à se concentrer sur un point donné
à cause des distances, des difficultés d’eau et de pâturage,
ils ne devaient pas tenir devant quelques centaines d’Européens,
et un très faible effort suffisait pour les réduire. La grosse
difficulté à vaincre au Sahara ne vient pas des hommes, mais
de l’espace ; les officiers des oasis sahariennes ont forgé
très rapidement l’instrument propre à en triompher : ce sont
les méharistes des compagnies sahariennes, qu’on a très bien
définis « une tribu nomade militairement encadrée »[371] ; ils
nomadisent comme les Touareg eux-mêmes, mais sont assez forts pour
pouvoir le faire partout et en tout temps.

Dès que notre installation à In-Salah fut consolidée[372],
les investigations des officiers se portèrent sur le massif de
l’Ahaggar. Au printemps de 1902, le lieutenant Cottenest[373]
envoyé à la poursuite d’un rezzou de Touareg qui avait dévalisé
quelques indigènes du Tidikelt, fit le tour de ce massif en passant
par Idelès, Tazerouk, Tarhahaout, Tamanrasset, Tit et In-Amdjel. Le
7 mai, il fut attaqué, à Tit, par 300 Touareg qu’il mit en fuite
après leur avoir infligé de grosses pertes. Le combat de Tit eut
pour effet de faire constater aux Touareg notre puissance. C’est
incontestablement à l’impression salutaire qu’il a produite
qu’est due en grande partie la tranquillité dont nous avons
joui par la suite. Du 16 mai au 15 juin 1902, le chef d’escadron
Laperrine[374], commandant militaire des Oasis sahariennes, s’étant
porté au devant du lieutenant Cottenest revenant de sa tournée,
en profita pour reconnaître le plateau du Mouydir, qu’il traversa
par Arak, Tadjemout et l’Oued el Abiod.

Le 1er octobre 1902, le lieutenant Guillo-Lohan[375] partit
d’In-Salah à la poursuite d’un groupe de Touareg qui étaient
venus voler des chameaux dans l’Oued-Botha ; il fit le tour de
l’Ahaggar par un itinéraire légèrement différent de celui du
lieutenant Cottenest[376]. Il passa par Irhafok, Idelès, Tazerouk,
Tin-Tarabin, Aïtoklan, Tarhahaout, Tamanrasset, In-Amdjel.

Au mois de janvier 1903, le commandant Laperrine alla d’In-Salah
à In-Zize par le Mouydir et revint à Akabli par l’Adrar-Ahnet.

Ces diverses reconnaissances se sont faites de la façon la plus
pacifique, sans que les Touareg, qui avaient sans doute reçu une
leçon suffisante à Tit, aient cherché à s’y opposer. Notre
attitude à la fois bienveillante et ferme, dans ces circonstances,
a certainement contribué pour beaucoup à amener la soumission des
Hoggar, qui étaient jusqu’alors le groupe réputé le plus hostile
à notre domination. Certains désormais que nous pourrons devenir
leurs maîtres par la force, il sont venus à nous non pas en vaincus
implorant le pardon, mais en adversaires qui reconnaissent la valeur
de la leçon reçue et qui acceptent simplement la réconciliation
offerte. Le 20 janvier 1904, l’amenokal Moussa-ag-Amastan est
venu se présenter au capitaine Métois, chef de l’annexe du
Tidikelt. La soumission des Hoggar avait été précédée de
celle des Kel-Ouï et des Ifoghas de l’Adrar. Seuls quelques
groupes infimes de Hoggar sont demeurés irréductibles ; ce sont
en général ceux qui, se groupant autour du chef Tissi-ag-Chikat,
ont été le plus compromis dans le massacre de la mission Flatters
et dans quelques autres événements dont nous avons conservé le
souvenir. Ils craignent que nous ne puissions pas oublier le rôle
odieux qu’ils ont joué dans ces circonstances.

C’est ce groupe hostile qui est allé rejoindre les Azdjer et qui
a organisé, avec la complicité de ces derniers, quelques coups
de mains à la suite desquels une opération de police fut jugée
nécessaire. Au mois de juin 1903, deux reconnaissances furent
dirigées simultanément d’Ouargla et d’In-Salah contre les
campements de ces Touareg rassemblés dans la région de Tarat. La
première, commandé par le capitaine Pein, passa par Temassinin et
Aïn-el-Hadjadj ; la seconde, sous les ordres du lieutenant Besset,
prit la route d’Amguid. Dans cette tournée, le lieutenant Besset
raccorda son itinéraire à celui de la mission Foureau-Lamy à
Hassi-Tikhammar[377]. Les Touareg n’attendirent pas nos contingents
et se dispersèrent avant leur arrivée.

Une autre reconnaissance importante a été accomplie à la fin de
l’année 1904 dans le pays des Azdjer par le capitaine Touchard,
chef du bureau des Affaires indigènes de Touggourt. Déjà, en 1903,
cet officier avait été chargé d’achever et de compléter la
ligne de puits commencée en 1899 dans le Gassi de l’Igharghar,
entre Fort-Lallemand et Temassinin, par le commandant Pujat,
et d’édifier un petit bordj en ce dernier point. Mais cette
entreprise n’avait pu être complètement réalisée, en raison
principalement d’une tentative des Azdjer qui avait inquiété
nos travailleurs et leur avait fait perdre un temps précieux. Le
projet fut repris en 1904 ; les travaux commencés furent, cette
fois, menés à bien et on les compléta par le forage d’un
puits artésien à proximité du nouveau bordj de Temassinin,
qui reçut le nom de Fort-Flatters. Pendant l’exécution de ces
travaux, le capitaine Touchard, avec un goum du cercle de Touggourt,
parcourait sans encombre la région comprise entre l’Oued Erineren
et l’Oued Mihero, la plaine d’Admar jusqu’à Djanet, puis
la vallée de l’Oued Mihero. Durant son séjour au Tassili, il
obtenait la soumission de trois fractions des Azdjer. Sa présence à
Djanet, petite oasis comprenant six ksour peuplés d’environ 1.200
habitants, était l’affirmation de nos droits sur cette localité.

Telles ont été jusqu’ici les étapes de la pacification. En somme,
sauf le combat de Tit du 7 mai 1902, aucune manifestation hostile
ne s’est produite depuis la prise d’In-Salah. Sans doute, il ne
faudrait pas en conclure qu’il n’y aura plus au Sahara aucune
affaire, aucun rezzou, mais les procédés du lieutenant-colonel
Laperrine et de ses collaborateurs ont montré leur efficacité pour
y remédier et la question touareg est aujourd’hui résolue.


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                                  * *


Notre domaine d’Afrique occidentale était constitué dans ses
grandes lignes en 1900 ; cependant une rectification à l’accord
de 1898, survenue par la convention du 8 avril 1904, recule vers
le Sud la frontière tracée autour du Sokoto, et permet ainsi la
communication entre nos postes du Niger et du Tchad, jusque-là
très difficile. De fréquents changements ont été opérés
dans l’organisation administrative de nos colonies soudanaises,
changements qui se comprennent, parce que l’étendue, la valeur, le
centre de gravité de ces colonies se sont peu à peu déplacés. Les
différents tronçons se sont soudés ; comme l’a dit M. le
Gouverneur général Roume, « l’Afrique occidentale française
est devenue une réalité, et une réalité vivante. »

La pénétration saharienne du côté du Soudan a également été
poursuivie avec une remarquable activité dans ces dernières années,
et les résultats obtenus ont été considérables. En 1900, Paul
Blanchet, accompagné de M. Dereims et du lieutenant Jouinot-Gambetta,
explorait l’Adrar de l’Ouest. Chez les tribus Maures qui
vivent entre le Sénégal et l’Oued-Noun, Coppolani, poursuivant
l’œuvre commencée par lui en 1898, avait réussi en 1902 et 1903
à amener l’annexion pacifique des régions Trarza et Brakna ;
en 1904, investi du titre de commissaire du gouvernement général
en Mauritanie, il avait pour objectif le Tagant et l’Adrar, et
l’annexion du Tagant était considérée comme faite lorsque,
le 12 mai 1905, il fut assassiné à Tidjikja. M. Roume envoyait
immédiatement le colonel Montané-Capdebosc à Tidjikja et donnait
l’assurance que l’œuvre entreprise par Coppolani avec tant de
dévouement ne serait pas interrompue par sa mort tragique[378]. Sans
doute cette œuvre serait singulièrement facilitée si elle se
combinait avec des efforts de pénétration par la côte Atlantique,
par exemple par la baie du Lévrier.

Dans la région de Tombouctou, les Kounta sont entièrement soumis
et l’amenokal des Touareg Aoulimmiden, Fihraouen, est venu le 3
février 1903 faire sa soumission à Tombouctou ; les Touareg du
Sud reçoivent désormais les instructions du poste de Gao.

La politique suivie à Zinder par le colonel Peroz, le commandant
Gouraud et le colonel Noël nous a concilié les Kel-Ouï et ramené
les Kel-Gherès, qui sont en relations avec le poste de Thaoua. Un
détachement parti de Zinder est parvenu à Agadès, d’où l’on
peut surveiller les routes commerciales jusqu’à Bilma, tandis que
les reconnaissances algériennes ont atteint, comme on l’a vu,
Djanet. Bientôt sans doute les Azdjer suivront l’exemple que
leur ont déjà donné les autres groupes de Touareg et viendront
à composition.

Au Tchad enfin, la puissance des successeurs de Rabah a été
définitivement anéantie et la région du Chari pacifiée. Le
Kanem a été dégagé des hordes du cheikh El-Mahdi-Senoussi, à
la suite de la prise de la zaouïa de Bir-Alali par le commandant
Tétart en 1902. Seule la question du Ouadaï donne encore de ce
côté des inquiétudes[379].


                                   *
                                  * *


Ainsi, de toutes parts, le Sahara et ses habitants sont enserrés dans
les mailles de notre réseau d’exploration. Restait à effectuer
la jonction de l’Algérie et du Soudan[380]. Rien ne pouvait plus
s’opposer à cette liaison du Tidikelt au Niger, que les coloniaux
réclamaient depuis longtemps. La question était virtuellement
résolue depuis que les compagnies sahariennes avaient eu raison
du fantôme touareg et que le commandant Laperrine s’était rendu
à In-Zize en 1903. En 1904, deux reconnaissances, parties l’une
du Nord, l’autre du Sud, se rencontraient au cœur du Sahara. Le
détachement du Sud, sous la conduite du capitaine Théveniaut,
parti de Bourroum, avait remonté l’Oued-Tilemsi, dont la vallée
forme la voie la plus directe et la mieux fournie en pâturages
pour se rendre à Teleyet, le principal centre visité[381]. Le
groupe du Nord, dirigé par le commandant Laperrine, avait passé
par In-Zize et Timissao. Le 18 avril, ils firent leur jonction au
puits de Timiaouine, à 150 kilomètres environ de Timissao. Le
commandant Laperrine alla ensuite jusqu’au puits de Tin-Zaouaten,
situé par 19° 45′ de latitude Nord et 1° de longitude Est. Les
deux détachements se séparèrent enfin et revinrent à leur point
de départ.

En 1905, M. Etiennot[382], inspecteur des postes, chargé d’étudier
l’établissement d’une ligne télégraphique entre le Tidikelt
et Tombouctou, se mettait en route vers l’Ahaggar avec une
escorte saharienne fournie par le lieutenant-colonel Laperrine
et commandée par le capitaine Dinaux, chef de l’annexe du
Tidikelt. Sidi-ag-Gueradji, chef des Taïtoq, accompagnait
la mission. Bientôt rejointe par M. Emile F. Gautier et par
M. Chudeau, professeur au lycée de Constantine, elle gagnait par
une route nouvelle l’Adrar-Ahnet et de là In-Zize, où elle
arrivait le 16 juin. M. Etiennot, poursuivant l’étude de la
ligne télégraphique jusqu’à Tin-Zaouaten, revenait aux oasis
par l’Ahaggar et rentrait à In-Salah le 27 août. M. Gautier, se
séparant de ses compagnons le 13 juillet, à l’Oued-Tougsemin,
près de Timiaouine, continuait à travers l’Adrar des Ifoghas
et l’Oued-Tilemsi, et arrivait le 18 août à Gao sur le Niger,
d’où il rentrait en Europe par Tombouctou. Enfin M. Chudeau
explorait la Koudia de l’Ahaggar, suivant, de Timissao à Silet,
un itinéraire entièrement nouveau, et gagnait Zinder en passant par
l’Aïr. Le fait que deux professeurs de l’Académie d’Alger
ont ainsi effectué un voyage d’études transsaharien marque la
transformation profonde qui s’est opérée en peu d’années au
Sahara français.

En 1906, une petite troupe soudanaise, commandée par le capitaine
Cauvin, de l’infanterie coloniale, s’est rendue, accompagnant une
caravane de Berabich, de Tombouctou à Taoudeni, dont les salines,
possédées à peu près par moitié par les gens de Tombouctou et par
ceux de Tamgrout, dans l’Oued Draa, approvisionnent tout l’Ouest
du Sahara. Il n’est donc pas sans importance que nous ayons fait
acte de présence et d’autorité sur ce point. Les méharistes des
Territoires du Sud de l’Algérie ont concouru à cette occupation.


                                   *
                                  * *


Indépendamment des résultats politiques, les résultats
scientifiques ont été considérables. Nous possédons actuellement
un excellent canevas de tout le pays compris dans notre zone
d’influence jusqu’à la limite méridionale de l’Ahaggar. Le
lieutenant Cottenest ayant perdu à l’affaire de Tit ses notes et
ses instruments, une partie des résultats de son voyage ne nous a
pas été connue. Mais le lieutenant Guillo-Lohan a rapporté de sa
reconnaissance des documents géographiques abondants. Il a reconnu
le point culminant du massif de l’Ahaggar, le pic d’Ilamane,
aiguille de trachyte de 3.000 mètres d’altitude. Le capitaine Pein
a trouvé, comme jadis M. Foureau, le lac Menghough désséché,
ce qui prouve que la mission Flatters[383] s’était trompée en
y voyant un redir permanent. Le lieutenant Besset a rapporté de
nombreux documents géologiques, qui ont été étudiés, ainsi que
ceux de MM. Cottenest et Guillo-Lohan, par M. G.-B.-M. Flamand ;
grâce à des échantillons recueillis par le capitaine Cottenest et
provenant d’Hassi-el-Kheneg, à 110 kil. au sud-est d’In-Salah,
dans la vallée de l’Oued-Botha, M. G.-B.-M. Flamand a reconnu[384]
l’existence du terrain silurien dans le Sahara central, sous
la forme de schistes à graptolites ; cette découverte vient
à l’appui de celle qu’avait faite M. Foureau beaucoup plus
à l’Est, et confirme en même temps les vues de M. Flamand sur
l’alimentation par le Sud des _feggaguir_ du Tidikelt. Des mêmes
observations ressortent la superposition directe en discordance
des assises gréseuses dévoniennes au substratum schisteux et
la disposition subméridienne des chaînes hercyniennes de cette
région du Sahara. Mêmes constatations par M. Emile F. Gautier,
qui a accompagné le commandant Laperrine dans sa tournée de
1903, explorant le Mouydir et l’Ahnet, recueillant des fossiles,
constatant la présence de nombreuses gravures rupestres[385].

Dans sa tournée de 1904, le commandant Laperrine[386] emmena
M. Villatte, calculateur à l’Observatoire d’Alger, ancien membre
de la mission Foureau-Lamy. M. Villatte a publié une très belle
carte s’étendant du Tidikelt à l’Adrar des Ifoghas, œuvre
excellente de géographie astronomique reposant sur la détermination
de 60 positions importantes de latitude et de longitude[387]. Le
Père de Foucauld, tout en continuant ses études de langue tamachek,
recueillait le plus possible d’itinéraires par renseignements. Le
lieutenant Besset, déjà initié à ce genre de recherches par son
étude très sérieuse du Mouydir et de l’Ifetessen, s’occupait
de la géologie des régions traversées. Le lieutenant Bricogne
notait les renseignements sur la route ; le lieutenant Nieger était
chargé de la topographie et levait l’itinéraire à 1/100.000e
(2.500 kil., dont 2.000 nouveaux). La composition géologique de ces
régions est très uniforme : grès dévoniens en discordance sur le
massif schisto-cristallin, plis anticlinaux et synclinaux orientés
Nord-Sud ; c’est l’extension aux plateaux du Sahara central de
la disposition déjà reconnue pour le Tidikelt, le Mouydir et la
partie nord-est de l’Ahaggar.

M. Emile F. Gautier, dans la région qu’il a parcourue en 1905,
a constaté[388] l’extension énorme du silurien, extrêmement
plissé et presque partout métamorphisé, accusant l’existence
d’une grande chaîne calédonienne. D’après lui, d’importants
effondrements postpliocènes se seraient produits au Sahara comme
dans l’Afrique des grands lacs. M. Chudeau a cheminé à travers
une pénéplaine silurienne et archéenne accidentée de saillies
volcaniques.

Si les oasis de l’archipel touatien n’ont pas tenu plus qu’elles
ne promettaient, c’est-à-dire peu de chose, en revanche les massifs
touaregs dans leur ensemble sont peut-être un peu moins misérables
qu’on ne le supposait ; ils renferment çà et là quelques
pâturages et quelques traces d’anciennes cultures. M. Gautier a
reconnu d’autre part que la limite méridionale du Sahara reste
très au nord de Tombouctou ; tout l’Adrar des Ifoghas rentre
dans le domaine de la steppe, à saison de pluies insuffisante, mais
annuelle. Ces observations concordent avec celles de M. Villatte et
de M. Chudeau ; ce dernier attribue à l’Aïr une valeur économique
un peu plus grande que ne le pensait M. Foureau.


                                  III


Ainsi, les questions qui se posaient au Sahara depuis tant
d’années sont résolues ou sur le point de l’être. Aussitôt
après l’occupation du Touat, la question s’est posée de savoir
s’il ne conviendrait pas de donner à ces régions désertiques une
organisation distincte, et quelle organisation. Nous ne pouvions
raisonnablement prolonger indéfiniment vers le Sud nos trois
provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine ; il fallait
bien en finir avec la division artificielle dans le sens de la
longitude et lui substituer la division naturelle dans le sens de la
latitude. D’autre part, l’Algérie venait d’être dotée d’un
budget spécial et l’on ne pouvait faire supporter à ce budget les
dépenses du Sud, qui, par leur nature même, constituent presque
exclusivement des charges de souveraineté. Enfin on espérait par
ce moyen exercer une surveillance plus étroite sur les crédits et
mettre un terme aux dépenses exagérées comme celles qu’avait
entraînées l’occupation du Touat. Le 23 décembre 1901, la
Chambre adoptait une résolution de M. André Berthelot invitant le
Gouvernement à étudier un projet d’organisation administrative
et financière du Sud algérien[389]. La loi du 24 décembre 1902
constituait un groupement spécial, dénommé _Territoires du Sud_,
dont l’administration et le budget devaient être distincts de
ceux de l’Algérie. Elle fixait la limite septentrionale de ces
territoires, leur accordait la personnalité civile, faisait du
gouverneur général de l’Algérie leur gouverneur. En vertu de
l’article 5 de la loi, chaque année le budget de la métropole
accorde au budget du Sud une subvention, qui figure au budget de
la Guerre ; ainsi le Parlement et l’opinion publique sauront
exactement, par ce chiffre global, la somme des sacrifices qui leur
sont demandés. Pour le surplus, la loi s’en remettait à des
décrets rendus dans la forme de règlements d’administration
publique. Ces décrets sont intervenus en date des 30 décembre
1903, 12 avril, 14 août et 12 décembre 1905[390] ; ils réalisent
la séparation budgétaire, fixent la nature et la quotité des
recettes et des dépenses civiles de ces territoires, déterminent
leur organisation administrative et militaire et les pouvoirs du
gouverneur général de l’Algérie en ce qui les concerne. Ces
pouvoirs sont très étendus : le gouverneur y cumule les fonctions
qu’exercent en Algérie le gouverneur général d’une part,
et d’autre part le préfet ou le général de division dans les
territoires de commandement. En matière militaire, le gouverneur
général a le droit d’ordonner des mouvements de troupes, mais
il doit faire passer ses ordres par l’intermédiaire du général
commandant le XIXe corps. Les commandants militaires des territoires
sont nommés par décret rendu sur la proposition des deux ministres
de l’Intérieur et de la Guerre, sur une liste de présentation
du Gouverneur.

Les territoires qui entrent dans la constitution de ce groupement
distinct sont ceux qui se trouvent au sud des circonscriptions
suivantes : cercle de Marnia, annexe d’El-Aricha, annexe de Saïda,
cercle de Tiaret, annexe d’Aflou, cercle de Boghar, annexe de
Chellala, annexe de Sidi-Aïssa, cercle de Bou-Saâda, annexe de
Barika, poste de Tkout, cercle de Khenchela, cercle de Tébessa. Ces
circonscriptions doivent être graduellement rattachées au territoire
civil de l’Algérie.

Les Territoires du Sud sont divisés en quatre circonscriptions : les
territoires d’Aïn-Sefra, des Oasis, de Ghardaïa et de Touggourt,
subdivisés en cercles et annexes[391].

La limite nord des territoires sahariens étant tracée, il restait
à définir leur limite méridionale. Les diverses autorités
chargées d’assurer notre influence dans le Sahara ayant fini par
opérer leur jonction, il fallait déterminer leurs zones d’action
respectives. Quelques peuplades nomades de la région intermédiaire
avaient déjà posé la question. On a vu des Hoggar, razziés
par des gens du Niger, hésiter à aller demander protection aux
Français de Tombouctou ; on a vu les Ifoghas craindre de froisser
les susceptibilités des autorités de l’Afrique occidentale en
venant faire leur soumission à In-Salah.

Le problème ainsi posé comportait deux solutions : la création
d’un gouvernement du Sahara, ou le partage des territoires sahariens
entre l’Algérie et le Soudan. La première solution semble au
premier abord la plus simple. L’unification serait faite. Plus de
conflits possibles entre colonies voisines, plus de doutes pouvant
germer dans l’esprit de nos sujets. Mais où serait le centre de ce
Gouvernement ? Où seraient ses voies d’accès et ses débouchés ?
Forcément dans l’une des colonies déjà existantes. Il deviendrait
donc tributaire de cette colonie, c’est-à-dire que le Sahara
deviendrait une annexe de l’Algérie ou de l’Afrique occidentale
française et alors on verrait cette anomalie, que les habitants de la
banlieue d’In-Salah auraient leurs attaches administratives au Niger
ou que les habitants de l’Adrar, proche de Tombouctou, seraient
appelés à In-Salah pour le règlement de leurs affaires. En réalité, le
Sahara n’a pas de vie propre ; il est trop pauvre pour exister par
lui-même et reçoit l’impulsion et l’organisation des pays qui lui
confinent au Nord et au Sud, Afrique du Nord et Soudan.

Dans ces conditions, on a préféré, pour le moment du moins, à
répartir les populations sahariennes entre nos colonies, laissant
à l’Algérie les Touareg du Nord et à l’Afrique occidentale
ceux du Sud[392]. Cependant de bons esprits et des hommes aussi
compétents que M. Foureau et M. Emile F. Gautier estiment que
c’est là une solution provisoire ; que tôt ou tard l’entité
géographique et ethnique que constitue le Sahara touareg deviendra
une entité administrative distincte[393].

La limite de l’Algérie et du Soudan a été définie en juin
1905 par le ministre de l’Intérieur d’accord avec le ministre
des Colonies. C’est du pays Hoggar que part la ligne qui sépare
nos deux colonies, une section se dirigeant vers l’Est, l’autre,
beaucoup plus longue, allant vers l’Ouest. Cette dernière part de
la source de l’Oued-Tin-Zaouaten ; de là, elle suit la ceinture
du bassin du Tilemsi jusqu’à son point le plus septentrional au
sud d’In-Zize. La ligne séparative traverse ensuite le Tanezrouft
occidental et va couper la route Marabouti-Taoudeni à mi-chemin
environ entre ces deux points, pour se diriger ensuite directement
vers le cap Noun. Dans la section Est, la ligne de démarcation
part du faîte de l’Ahaggar pour suivre l’Oued Tin-Zaouaten
jusqu’à sa perte dans le Tanezrouft occidental ; la ligne idéale
traverse ce Tanezrouft en laissant la rive nord à l’Algérie et
la rive sud à l’Afrique occidentale française ; elle coupe la
frontière tripolitaine à peu près à mi-distance entre Ghat et le
point où la route directe d’Agadès à Mourzouk franchit cette
frontière. La limite ainsi indiquée pourra bien entendu recevoir
des modifications lorsque le pays sera mieux connu.

Bien entendu aussi, cette limite n’est pas une frontière, encore
moins une barrière. Ce partage doit aboutir en réalité à une
unification, en faisant disparaître la seule cause susceptible de
provoquer des conflits d’attributions ou d’influences. Lorsque
chacun connaîtra ses droits, il les exercera normalement, sans
arrière-pensée possible, sans à-coups et sans jalousie. Pour
éviter des difficultés au sujet des passages de frontières par les
tribus, il suffira d’adopter des règles très simples dans le genre
de celles qui fixent les rapports des autorités civiles et militaires
lors des migrations annuelles de certaines tribus algériennes[394].


                                   *
                                  * *


Pour que les deux colonies se prêtent un mutuel appui, il convient
d’étudier comment on pourrait faciliter leurs communications. Le
commandant Laperrine déclare que l’organisation d’une ligne
continue de postes ou d’une route au Sahara coûterait fort cher
et serait inefficace ou même nuisible[395]. Reste à envisager la
simple transmission de nouvelles, qui nécessite l’établissement
d’un télégraphe et le transport de matériel et de personnel
qui demanderait la construction d’un chemin de fer.

La question des communications télégraphiques transsahariennes
est dès à présent à l’étude. Les incidents de chaque jour
fournissent des arguments en faveur de cette création. Il importe
à la sécurité de nos postes et des routes commerciales qu’on
puisse signaler sans retard, d’une rive à l’autre du Sahara,
les départs et les arrivées de convois ou de caravanes, les
migrations de tribus, leur attitude politique, les rassemblements
hostiles. Le télégraphe coûterait trois millions et doublerait
utilement les câbles sous-marins. Une grosse difficulté consistait
dans le transport des poteaux, car on ne peut pas trouver sur place
le bois nécessaire. Un essai intéressant a été fait en 1900,
par le capitaine du génie Bassenne, pour la construction de la ligne
électrique d’El-Goléa à Timmimoun. Il consiste à employer des
poteaux très courts, en bois du pays, fichés dans des piliers
de maçonnerie. On trouve sur place de la pierre, du plâtre et
des essences ligneuses suffisantes, de sorte qu’on évite les
transports de matériaux encombrants. L’expérience a démontré
que la ligne ainsi construite se détériore très vite. Il fallait
donc trouver autre chose. Un autre capitaine du génie parait avoir
résolu le problème, en utilisant des poteaux formés de tubes
métalliques légers, facilement transportables. C’est le système
Nou (du nom de l’inventeur), qu’on utilise actuellement dans le
Sud Oranais et qui paraît devoir être appliqué également à la
ligne transsaharienne[396]. Celle-ci, partant d’In-Salah, devra
aboutir à un point du Niger qui sera vraisemblablement Bourroum ou
Gao. Nous avons mentionné plus haut la mission Etiennot, chargée
de reconnaître la ligne télégraphique transsaharienne par In-Zize
et Timiaouine. Pour la protection de la ligne, il faut réduire
au minimum les véritables postes occupés par les Européens, en
utilisant les centres de cultures dits _arrems_ pour y installer des
surveillants indigènes. Les garnisons de ces postes, excessivement
réduites, devront pouvoir se ravitailler sur place au moins en
grains et en viande, les méharistes toujours en mouvement dans la
région tenant le pays sous la crainte de représailles[397].

Quant au chemin de fer, c’est une autre affaire, et il ne semble
pas que les explorations et reconnaissances de ces dernières années
aient fortifié les arguments de ses partisans, ni affaibli ceux de
ses adversaires. Innombrables sont les livres, brochures, articles
écrits sur le Transsaharien. Réunis, ils formeraient toute une
bibliothèque. A de rares exceptions près, c’est une littérature
vide et encombrante. Cette question a eu le fâcheux privilège
d’être traitée le plus souvent par des personnes qui en ignoraient
les premiers éléments ; leurs affirmations tranchantes cachaient en
général leur ignorance des véritables données du problème[398].

L’étude du Transsaharien, comme le nom l’indique, comporte
l’étude non seulement du Sahara, mais du Soudan. Ce serait sortir
de notre cadre que de l’entreprendre ici. Chose singulière, on
s’est presque toujours occupé surtout du point de départ, chacun
des ports algériens en faisant l’objet d’ardentes rivalités
locales ; on s’est soucié beaucoup moins du point d’arrivée. Le
Soudan est décrit en termes vagues comme uniformément riche et
fertile, ce qui dispense d’entrer dans les détails[399]. D’autre
part, ou n’a pas toujours assez tenu compte des évolutions
successives de la question, qui s’est posée en 1890 autrement
qu’en 1881, et autrement encore en 1900 et en 1906.

Le problème peut être envisagé soit au point de vue économique,
soit au point de vue politique, et, sous chacun de ces aspects,
il faudrait le considérer successivement sous le rapport purement
Saharien et sous le rapport Transsaharien.

Sur les ressources que peut offrir au commerce le Sahara lui-même, on
s’est fait quelquefois de dangereuses et coûteuses illusions. Mais
tout le monde reconnaît à peu près aujourd’hui que le bilan
des échanges se réduit à presque rien. Ce serait se leurrer
profondément que d’attribuer une grande importance au commerce
des groupes d’oasis du Sahara en général et du Touat en
particulier[400].

Quant au Soudan, la convention de 1890 nous avait attribué des pays
subsahariens qui ont à peu près la valeur de la Tripolitaine,
pas une région vraiment soudanienne, à part les 200 kilomètres
de pays en amont de Say[401]. Nous avons perdu les pays haoussa,
et les pays qu’on nous a donnés au nord de la ligne Barroua-Say
ne valent pas la peine que nous construisions un chemin de fer pour
les coloniser. Reste la boucle du Niger d’une part, les pays du
Tchad de l’autre.

La région de Tombouctou et du coude du Niger a joui jusqu’ici
en France d’une faveur singulière. Nombre de publicistes en
ont, sans examen, vanté la richesse. M. Schirmer a fait justice
de cette légende[402]. La richesse n’est pas à la lisière du
désert, elle est plus au Sud, sous les latitudes favorisées par
des pluies plus abondantes ; or, ces régions échappent déjà
à l’attraction de Tombouctou. L’intérêt de la France est
de détourner le trafic de ces pays vers ses colonies du Sénégal
et de la Côte-d’Ivoire. Ce serait folie de construire pour les
atteindre un chemin de fer de 2.600 kilomètres[403]. La pacification
de la vallée du Niger, provoquée par notre établissement à
Tombouctou, a eu un retentissement sur le commerce transsaharien,
dans le sens d’une diminution, bien entendu, puisqu’il tend à
faire abandonner aux marchandises cette voie longue, dangereuse et
dispendieuse du désert[404]. Il suffit de jeter un coup d’œil sur
une carte d’Afrique pour se convaincre que le vrai débouché de
ces produits du Soudan occidental est la côte Ouest, vers laquelle
nous travaillons et non sans succès à les attirer.

Le prolongement du chemin de fer au-delà de Bafoulabé jusqu’au
Niger a été étudié dès 1892[405] ; le pont de Mahina, qui
franchit le Bafing, était inauguré en 1896 ; enfin, le 19 mai
1904, la voie ferrée arrivait à Bammakou, terminus aval d’un
bief navigable du Niger de 350 kilomètres qui s’étend jusqu’à
Kouroussa. Le 10 décembre 1904, un embranchement de 60 kilomètres
parvenait à Koulikoro, au-delà des rapides de Sotuba, tête du bief
navigable de 1.500 kilomètres du Niger moyen vers Tombouctou, Say
et Boussa. Du côté de la Guinée française, la ligne de Konakry
à Kouroussa, étudiée en 1898 par le capitaine Salesses[406], est
en construction, ainsi que les chemins de fer de pénétration de
la Côte-d’Ivoire et du Dahomey. Enfin des études et des travaux
sont faits pour améliorer la navigabilité du Sénégal et du Niger.

Comme l’a dit M. Salesses[407], nos colonies côtières sont les
points d’arrivée et de départ du commerce, des sortes de bouches
nourricières de ce grand corps qu’est le Soudan : chacune a sa
zone d’attraction qu’elle dessert actuellement comme elle peut,
mais qui existe. De chacune on peut atteindre le Niger ou l’un de
ses affluents.

Restent les royaumes du Tchad. Le domaine qui nous a été réservé
par la convention de 1899, quoique en partie ruiné par Rabah,
est vraiment riche et fertile dans plusieurs de ses parties. Mais
M. Chevalier pense qu’une longue période d’incubation est
nécessaire au Soudan central avant que l’on puisse en tirer le
moindre parti. Il ne suffit pas[408] d’ailleurs qu’un pays
renferme nombre de produits utiles pour qu’il y ait lieu de
l’exploiter. Il faut qu’on ait intérêt à transporter ses
produits sur les marchés où ils se consomment. Or, il n’est pas
un des produits du Soudan central qui ne se trouve également dans
l’une ou l’autre de nos colonies africaines, d’où nous pourrons
le tirer à meilleur compte. D’ailleurs, à ces produits du Soudan
central s’ouvrent la voie de la Bénoué, la voie du Chari et de
l’Oubangui, et aussi la voie du Nil, qui en draineront chacune leur
part[409]. Enfin, ces régions du Tchad, annexées sur le papier,
restent à explorer, puis à conquérir et à occuper effectivement.

L’utilité des chemins de fer de pénétration dans le Sud de
l’Algérie est indépendante de la question de savoir si ces
chemins de fer seront jamais poussés jusqu’au Soudan[410]. « Avoir
la prétention, écrivait M. Duponchel[411] dans des termes
qu’on a souvent cités depuis, de soumettre et de pacifier le
Sahara avec des colonnes militaires péniblement ravitaillées
par des bêtes de somme sera toujours une chimère irréalisable ;
obtenir ce résultat par la construction progressive d’une voie
de fer ouvrant et explorant le pays à l’avant, en même temps
qu’elle en garantit la soumission à l’arrière, est au contraire
une opération des plus simples et qui ne livre rien au hasard. »

Quant au Transsaharien, c’est également par des arguments
politiques et par ceux-là seulement que cette conception peut se
défendre. Les chances de trafic du chemin de fer sont des plus
médiocres, de l’aveu même de ses partisans. Ce serait, comme
on l’a dit, une artère sur un cadavre. Mais au point de vue
politique on peut le considérer comme « une dépense nécessaire
dans la balance générale de l’entreprise[412] ». On ne peut
que se rallier sur ce point aux conclusions de M. F. Foureau[413] :
« Considéré en tant qu’affaire commerciale, dit-il, je n’ai
qu’une très médiocre confiance dans le rendement probable du
Transsaharien, devant le néant du trafic que j’entrevois. Mais
si on ne veut le considérer que comme un instrument de domination
(d’autres disent un chemin de fer impérial, et c’est évidemment
la même la chose), le Transsaharien, sous ce point de vue spécial,
serait alors une œuvre splendide, aplanirait bien des difficultés,
supprimerait bien des obstacles. »

Contentons-nous pour le moment de poursuivre l’inventaire du Sahara,
si bien commencé dans ces dernières années, et qui malheureusement
se réduit jusqu’ici à un procès-verbal de carence. Nous nous
demanderons ensuite si l’entreprise du chemin de fer transsaharien
est vraiment aussi urgente que le prétendent ses partisans, et si,
dans l’ensemble des travaux s’imposant à l’activité de la
France, elle n’est pas primée par quantité de projets d’une
utilité incontestablement supérieure.

                               * * * * *


[Note 343 : Nous empruntons la plus grande partie de cet exposé
de la période 1900-1906 à l’excellente _Revue des questions
sahariennes_ du capitaine SIMON, (_Revue Africaine_, 1905, p. 244).]

[Note 344 : _Bull. Afr. fr._, 1900, p. 142 et 177. —
_Quest. dipl. et col._, 1900, t. IX, p. 495. — Colonel d’EU,
_In-Salah et le Tidikelt_, in-8o, Paris, 1903. — Capitaine TILLION,
_La conquête des oasis sahariennes_, Paris, in-8o, s. d.]

[Note 345 : _Bull. Afr. fr._, 1900, p. 324.]

[Note 346 : Commandant E. LAQUIÈRE, _Les reconnaissances du
général Servière dans les oasis sahariennes_ (_Bull. Af. fr.,
Suppl._, 1902).]

[Note 347 : EUG. ETIENNE, _Questions dipl. et col._, 16 juin 1903.]

[Note 348 : Capitaine SIMON, art. cité, p. 246.]

[Note 349 : AUGUSTIN BERNARD, _Touat et Maroc_ (_Quest. dipl. et
col._, 1er juin 1900).]

[Note 350 : *** _L’attaque de Taghit_ (_Revue de Paris_, 15
oct. 1903).]

[Note 351 : ROUARD DE CARD, _La frontière franco-marocaine et le
protocole du 20 juillet 1901_, in-8o, Paris, 1902. — RENÉ PINON,
_L’Empire de la Méditerranée_, in-18, Paris, p. 251 et suiv. —
AUGUSTIN BERNARD, _L’évolution de la question marocaine_ (_Revue
polit. et parlement._, 10 décembre 1903). — _Livre Jaune sur les
affaires du Maroc_, 1901-1905, in-4o, Paris, 1905. On trouvera le
texte des accords au _Livre Jaune_, p. 16, 34, et 39.]

[Note 352 : C’était, depuis Djenan-ed-Dar, Fendi (poste récemment
installé), Ksar-el-Azoudj (caravansérail avec quelques goumiers),
Hassi-el-Mir (caravansérail), Hassi-el-Morra (caravansérail),
Taghit, Igli, Beni-Abbès et Ksabi.]

[Note 353 : _Bull. Afr. fr._, 1903, p. 313.]

[Note 354 : _Livre Jaune_, p. 309.]

[Note 355 : _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 75-76 et _ibid._, _Suppl._,
p. 381-406.]

[Note 356 : _Ann. de Géogr._, 1906, p. 185.]

[Note 357 : _Bull. Afr. fr._, 1900, p. 274 et suiv.]

[Note 358 : _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 309.]

[Note 359 : _Gouvernement Général de l’Algérie, Direction des
Douanes, Documents statistiques sur le commerce de l’Algérie_,
année 1904.]

[Note 360 : _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 117.]

[Note 361 : Capitaine FLYE-SAINTE-MARIE, _Le commerce et
l’agriculture au Touat_ (_Bull. d’Oran_, 1904. p. 345).]

[Note 362 : _Les gisements de nitrate au Sahara algérien_
(_Bull. Afr. fr._, 1905, p. 245).]

[Note 363 : Capitaine SIMON, art. cité, p. 252-253.]

[Note 364 : A 1/400.000e, non mise dans le commerce. Une réduction
à 3.000.000e de cette carte a été jointe au tirage à part des
_Reconnaissances du général Servière_, publiées par le même
auteur au _Bull. Afr. fr._, 1902.]

[Note 365 : Lieutenant NIEGER, _Carte des oasis sahariennes_,
9 feuilles à 1/250.000e, Paris, 1904.]

[Note 366 : 4 feuilles, Paris, 1904.]

[Note 367 : EMILE F. GAUTIER, _Sahara oranais_ (_Ann. de Géogr._
1903). — _Id._, _Sur les terrains paléozoïques de l’Oued Saoura
et du Gourara_ (_C. R. Ac. Sc._, 1902).]

[Note 368 : _Ann. de Géogr._ 1905, p. 460.]

[Note 369 : EDMOND DOUTTÉ, _Figuig : notes et impressions_ (_La
Géographie_, 1903, t. VII, p. 177).]

[Note 370 : Capitaine FLYE-SAINTE-MARIE, _Le commerce et
l’agriculture au Touat_ (_Bull. Soc. Géogr. Oran_, 1904, p. 345).]

[Note 371 : _Bull. Afr. fr._, 1904, p. 245-250. — Cf. _La vie aux
oasis, ibid._, 1904, p. 33.]

[Note 372 : Capitaine SIMON, art. cité, p. 250.]

[Note 373 : R. DE CAIX, _La reconnaissance du lieutenant Cottenest
chez les Hoggar_ (_Bull. Afr. fr._, 1902. p. 307 et 317).]

[Note 374 : Lieutenant RÉQUIN, _Trente jours au Mouydir_
(_Bull. Afr. fr., Suppl._, 1902, p. 170). Le lieutenant Réquin
accompagnait le commandant Laperrine dans sa première tournée
au Mouydir.]

[Note 375 : Lieutenant GUILLO-LOHAN, _Un contre-rezzou au Hoggar_
(_Bull. Afr. fr._, 1903, _Suppl._, p. 205, 239, 257).]

[Note 376 : _Bull. Afr. fr._, 1904, p. 83.]

[Note 377 : Lieutenant BESSET, _D’In-Salah à Amguid et à
Tikhammar_, _Bull. Afr. fr._, 1904, _Suppl._ p. 68-78. — Capitaine
PEIN, _Chez les Touareg Azdjer : d’Ouargla à Tarat_, _ibid._
p. 73. Ces deux documents ont été réunis en une brochure par le
Comité de l’Afrique française. 1904).]

[Note 378 : _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 248-249.]

[Note 379 : _Bull. Afr. fr._, 1905, p. 239.]

[Note 380 : _Ann. de Géogr._, 1904, p. 203. — Commandant LAPERRINE,
_Une tournée dans le Sud de l’annexe du Tidikelt du 4 mars au
30 juillet 1904_ (_Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._ p. 37-63). —
Capitaine BESSET, _Esquisse géologique des régions de l’Ahnet,
du Tanezrouft, de l’Adrar (nord), du Tassili des Ahaggar, du
Ahaggar et du Tifedest_ (_Ibid._, 1905, _Suppl._, p. 123-138).]

[Note 381 : _Ann. de Géogr._, 1905, p. 94, et _La Géographie_,
15 octobre 1904, p. 238.]

[Note 382 : _Ann. de Géogr._, 1905, p. 383 et 459 ; 1906 p. 184. —
_Bull. Afr. fr._, 1905, p. 30 ; 1906 p. 58.]

[Note 383 : V. ci-dessus p. 82.]

[Note 384 : _C. R. Ac. Sc._, 3 avril 1903 et _Bull. Afr. fr._,
mai 1905.]

[Note 385 : E. F. GAUTIER, _Le Mouydir-Ahnet_. (_La Géographie_,
1904, t. X., p. 1 et 85).]

[Note 386 : _Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._, p. 37 et 45.]

[Note 387 : N. VILLATTE, _Du Tidikelt vers Tombouctou_
(_La Géographie_, 1905, t. XII, p. 209, avec remarques par
M. C. TRÉPIED).]

[Note 388 : _Ann. de Géogr._ 1905, p. 159.]

[Note 389 : _Bull. Afr. fr._, 1902, p. 12.]

[Note 390 : V. le texte de ce dernier décret dans _Bull. Afr. fr._,
1905, p. 327.]

[Note 391 : _Bull. Afr. fr._, 1906, p. 9 et 11. Pour les
critiques qu’on a adressées à la nouvelle organisation,
v. _Bull. Réun. Et. algér._ 1905, p. 296 et suiv. M. A. GIRAULT
(_Principes de législation coloniale_, II., p. 410), regrette
que la loi ait déterminé elle-même les limites et, par contre,
laissé à des règlements d’administration publique le soin de
statuer sur plusieurs points essentiels.]

[Note 392 : _Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._ p. 43.]

[Note 393 : F. FOUREAU, _Documents scientifiques de la mission
Saharienne_, p. 1159. — EMILE F. GAUTIER, _Bull. Afr. fr._, 1905,
p. 400.]

[Note 394 : _Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._, p. 43.]

[Note 395 : _Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._, p. 43.]

[Note 396 : _Bull. Afr. fr._, 1904, p. 185 et suiv.]

[Note 397 : D’après LAPERRINE, _Bull. Afr. fr._, 1905, _Suppl._,
p. 43, 44.]

[Note 398 : Pour l’énumération de ces brochures, nous renvoyons à
Playfair, _Bibliography of Algeria_, s. v. _Transsaharian railway_,
et à l’ouvrage de M. BROUSSAIS. V. aussi MAURICE HONORÉ, _Le
Transsaharien et la pénétration française en Afrique_, in-8o,
Paris. 1901 (bibliographie p. 131-143).]

[Note 399 : H. SCHIRMER, _Ann. de Géogr._, 1891, p. 12.]

[Note 400 : _Documents_, III, p. 16.]

[Note 401 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 408.]

[Note 402 : SCHIRMER, _Le Sahara_, p. 410 et suiv.]

[Note 403 : ID., p. 413.]

[Note 404 : _Documents_, III, p. 17 et 37.]

[Note 405 : _Bull. Afr. fr._, 1899, p. 334.]

[Note 406 : CAMILLE GUY, _Résultats géographiques et économiques
des explorations du Niger_, (_Bull. Afr. fr._, 1899).]

[Note 407 : _Bull. Afr. fr._, 1896, p. 374.]

[Note 408 : H. SCHIRMER, _La pénétration commerciale au Soudan
central_ (_Revue génér. des Sciences_, 15 décembre 1897).]

[Note 409 : AUGUSTIN BERNARD, _La question du Transsaharien_, p. 4.]

[Note 410 : G. ROLLAND, _La colonisation française au Sahara_
(_Afas_, Oran, 1888, 1er partie, p. 47 (carte p. 48).]

[Note 411 : DUPONCHEL, _Les oasis et la culture du dattier dans le
Sahara_, _R. D. M._, 15 mai 1881, p. 388.]

[Note 412 : SCHIRMER, art. cité.]

[Note 413 : F. FOUREAU, _D’Alger au Congo par le Tchad_, p. 797.]




                              CONCLUSION


Quelles conclusions tirer de cet historique de la pénétration
saharienne ?

En résumant tous ces voyages et en les étudiant, on peut se
convaincre de la fragilité extrême autant que de la pauvreté des
résultats qu’ils ont produits jusqu’en 1900, pendant près
de 70 ans, si on en excepte la belle et studieuse exploration de
Duveyrier et quelques-uns des itinéraires de Foureau. Pas un seul
itinéraire parti du Soudan n’avait abouti en Algérie, aucune
exploration partie d’Algérie n’avait dépassé l’Ahaggar ou
le Tassili des Azdjer ; seule la mission Foureau-Lamy a rompu le
charme, parce qu’elle a employé des procédés différents. Au
point de vue économique, le bilan des entreprises sahariennes
est plus misérable encore : « Une énorme dépense d’argent,
d’héroïsme, de vies humaines, et comme résultat : néant ».

A quoi faut-il attribuer ces résultats décourageants ? Le problème
saharien est-il donc insoluble, et le coq gaulois est-il destiné
à gratter indéfiniment ces immensités sablonneuses ?

Il faut convenir tout d’abord que la pénétration saharienne
présente d’indéniables difficultés. Mais le peu d’efficacité
de nos efforts tenait surtout à une erreur de méthode. Les affaires
sahariennes ont absolument changé d’aspect à partir de 1900,
et l’expérience de ces six dernières années a mis en lumière
ce fait trop méconnu, qu’au _Sahara la pénétration politique
devait précéder la pénétration scientifique et économique_.

Il faut, suivant les régions, employer pour la pénétration les
moyens les mieux appropriés. Nous sommes pleins d’admiration pour
un Brazza ou un Binger, soumettant par la douceur et sans tirer un
coup de fusil de grands royaumes nègres. Mais les résistances que
nous rencontrions au Sahara ne pouvaient être brisées que par la
force. Cette force ne doit d’ailleurs pas être hors de proportion
avec les obstacles à détruire et les résultats à espérer,
les uns et les autres nécessairement médiocres et limités.

A coup sûr, le Sahara ne vaut pas qu’on y dépense beaucoup
d’hommes ni beaucoup d’argent. Le traité de Ghadamès, les
projets de Transsaharien avaient faussé les véritables données
du problème. Le Sahara paraît être d’une valeur économique
faible et presque nulle tant en lui-même que comme voie d’accès
au Soudan. « Quand la terre sera si pleine d’habitants, dit
Scott Keltie, que tous les autres pays auront été utilisés par
l’homme, il restera le Sahara comme dernière ressource. » Il
faudra donc prendre garde de ne pas développer outre mesure les
quelques organes rudimentaires dont on l’a pourvu.

L’expérience a montré qu’un très faible effort suffit pour
faire la police au Sahara, ce qui est l’essentiel. Grâce à notre
établissement dans les oasis de l’archipel touatien et dans la
région entre Zousfana et Oued-Guir, des questions qui se posaient
depuis plus d’un demi-siècle sont résolues ou sur le point de
l’être : résolue la question du Sud-Oranais, résolue la question
du Touat, résolue la question touareg, résolue la question des
relations entre l’Algérie et le Soudan. On peut affirmer que,
de 1900 à 1906, on a fait plus de progrès au Sahara que dans les
soixante-dix années précédentes.

Ce n’est pas à dire que les attaques doivent cesser au
Sahara comme par enchantement et encore moins du côté de la
frontière marocaine. Nous avons mis trente ans à venir à bout de
l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh : l’insécurité, reportée
plus à l’Ouest par nos progrès, ne disparaîtra pas immédiatement
du « pays des fusils », comme l’appelait en 1845 Mustapha ben
Ismaïl. Au Sahara même, il reste, au sud de la Tripolitaine et
au sud du Maroc, deux lacunes dans notre organisation, deux trous
dans notre filet, qu’il n’est pas en notre pouvoir de combler
immédiatement. Mais si la pacification n’est pas complète, elle
est bien avancée. La question de la pénétration saharienne ne doit
donc plus encombrer notre politique, et c’est vers les territoires
autrement intéressants qui s’étendent à l’ouest de l’Algérie
qu’il nous faut surtout désormais porter nos regards.


                                  FIN




[Illustration : PROGRÈS DE LA PÉNÉTRATION SAHARIENNE — 1830-1906

_Gravé et Imp. par Erhard Fres. Paris._]




Note du transcripteur :


  Page 4, " dans ces ces villes " a été remplacé par
  " dans ces villes "

  Page 4, note 15, " _Explo-ation scientifique_ " a été remplacé par
  " _Exploration_ "

  Page 22, " Ifoghas el de l’ordre " a été remplacé par
  " et de l’ordre "

  Page 26, " ainssi que Cusson " a été remplacé par " ainsi "

  Page 26, " Adb el Kader " a été remplacé par " Abd "

  Page 43, " les Toureg Azdjer " a été remplacé par " Touareg "

  Page 71, " ou voit que la période " a été remplacé par " on voit "

  Page 84, note 194, " Shirmer " a été remplacé par " Schirmer "

  Page 130, " année surve-venait un " a été remplacé par " survenait "

  Page 133, " plus grand honnneur " a été remplacé par " honneur "

  Page 139, " plus économique posssible " a été remplacé par
  " possible "

  Page 150, " qu’ancun autre livre " a été remplacé par " qu’aucun "

  Page 151, note 339, " historique et géogaphique " a été remplacé par
  " géographique "

  Page 152, " publié en collabo-tion " a été remplacé par
  " collaboration "

  Page 160, " été asssassinés sur " a été remplacé par " assassinés "

  Page 164, " belle reconnnaissance dans " a été remplacé par
  " reconnaissance "

  Page 177, " 19° 45°′ de latitude " a été remplacé par " 19° 45′ "

  Page 187, " l’ouvrage de de M. " a été remplacé par
  " l’ouvrage de M. "

  De plus, quelques changements mineurs de ponctuation
  ont été apportés.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA PÉNÉTRATION SAHARIENNE (1830-1906) ***


    

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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

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the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
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