Isabelle

By André Gide

The Project Gutenberg EBook of Isabelle, by Andre Gide

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org


Title: Isabelle

Author: Andre Gide

Release Date: February 11, 2004 [EBook #11042]

Language: French

Character set encoding: ISO Latin-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ISABELLE ***









This Etext was prepared by Walter Debeuf, http://users.belgacom.net/gc782486




ISABELLE.

par

ANDRE GIDE.




_A ANDRE RUYTERS_.


Gerard Lacase, chez qui nous nous retrouvames au mois d'Aouet 189., nous
mena, Francis Jammes et moi, visiter le chateau de la Quartfourche dont
il ne restera bientot plus que des ruines, et son grand parc delaisse ou
l'ete fastueux s'eployait a l'aventure. Rien plus n'en defendait
l'entree: le fosse a demi comble, la haie crevee, ni la grille descellee
qui ceda de travers a notre premier coup d'epaule. Plus d'allees; sur
les pelouses debordees quelques vaches paturaient librement l'herbe
surabondante et folle: d'autres cherchaient le frais au creux des
massifs eventres; a peine distinguait-on de ci de la, parmi la profusion
sauvage, quelque fleur ou quelque feuillage insolite, patient reste des
anciennes cultures, presque etouffe deja par les especes plus communes.
Nous suivions Gerard sans parler, oppresses par la beaute du lieu, de la
saison, de l'heure, et parce que nous sentions aussi tout ce que cette
excessive opulence pouvait cacher d'abandon et de deuil. Nous parvinmes
devant le perron du chateau, dont les premieres marches etaient noyees
dans l'herbe, celles d'en haut disjointes et brisees; mais, devant les
portes-fenetres du salon, les volets resistants nous arreterent. C'est
par un soupirail de la cave que, nous glissant comme des voleurs, nos
entrames; un escalier montait aux cuisines; aucune porte interieure
n'etait close ... Nous avancions de piece en piece, precautionneusement
car le plancher par endroits flechissait et faisait mine de se rompre;
etouffant nos pas, non que quelqu'un put etre la pour les entendre,
mais, dans le grand silence de cette maison vide, le bruit de notre
presence retentissait indecemment, nous effrayait presque. Aux fenetres
du rez-de-chaussee plusieurs carreaux manquaient; entre les lames des
contrevents un bignonia poussait dans la penombre de la salle a manger,
d'enormes tiges blanches et molles.

Gerard nous avait quittes; nous pensames qu'il preferait revoir seul ces
lieux dont il avait connu les hotes, et nous continuames sans lui notre
visite. Sans doute nous avait-il precedes au premier etage, a travers la
desolation des chambres nues: dans l'une d'elles une branche de bois
pendait encore au mur, retenue a une sorte d'agrafe par une faveur
decoloree; il me parut qu'elle balancait faiblement au bout de son lien,
et je me persuadai que Gerard en passant venait d'en detacher une
ramille.

Nous le retrouvames au second etage, pres de la fenetre devitree d'un
corridor par laquelle on avait ramene vers l'interieur une corde tombant
du dehors; c'etait la corde d'une cloche, et je l'allais tirer
doucement, quand je me sentis saisir le bras par Gerard; son geste, au
contraire d'arreter le mien, l'amplifia: soudain retenti un glas
rauque,si proche de nous, si brutal, qu'il nous fit peniblement
tressaillir; puis lorsqu'il semblait deja que se fut referme le silence,
deux notes pures tomberent encore, espacees, deja lointaines. Je m'etais
retourne vers Gerard et je vis que ses levres tremblaient.

--Allons-nous en, fit-il. J'ai besoin de respirer un autre air.

Sitot dehors il s'excusa de ne pouvoir nous accompagner: il connaissait
quelqu'un dans les environs, dont il voulait aller prendre des
nouvelles. Comprenant au ton de sa voix qu'il serait indiscret de le
suivre, nous rentrames seuls, Jammes et moi, a La R. ou Gerard nous
rejoignit dans la soiree.

--Cher ami, lui dit bientot Jammes, apprenez que je suis resolu a ne
plus raconter la moindre histoire, que vous ne nous ayez sorti celle
qu'on voit qui vous tient au coeur.

Or les recits de Jammes faisaient les delices de nos veillees.

--Je vous raconterais volontiers le roman dont la maison que vous vites
tantot fut le theatre, commenca Gerard, mais outre que je ne sus le
decouvrir, ou le reconstituer, qu'en depouillant chaque evenement de
l'attrait enigmatique dont ma curiosite le revetait naguere ...

--Apportez a votre recit tout le desordre, qu'il vous plaira, reprit
Jammes.

--Pourquoi chercher a recomposer les faits selon leur ordre
chronologique, dis-je; que ne nous les presentez-vous comme vous les avez
decouverts?

--Vous permettrez alors que je parle beaucoup de moi, dit Gerard.

--Chacun de nous fait-il jamais rien d'autre! repartit Jammes.


C'est le recit de Gerard que voici.




I


J'ai presque peine a comprendre aujourd'hui l'impatience qui m'elancait
alors vers la vie. A vingt-cinq ans je n'en connaissais rien a peu pres,
que par les livres; et c'est pourquoi sans doute je me croyais
romancier; car j'ignorais encore avec quelle malignite les evenements
derobent a nos yeux le cote par ou ils nous interessaient davantage, et
combien peu de prise ils offrent a qui ne sait pas les forcer.

Je preparais alors, en vue de mon doctorat, une these sur la chronologie
des sermons de Bossuet; non que je fusse particulierement attire par
l'eloquence de la chaire: j'avais choisi ce sujet par reverence pour mon
vieux maitre Albert Desnos, dont l'importante "Vie de Bossuet" achevait
precisement de paraitre. Aussitot qu'il connut mon projet d'etudes,
M. Desnos s'offrit a m'en faciliter les abords. Un de ses plus anciens
amis, Benjamin Floche, membre correspondant de l'Academie des
Inscriptions et Belles-Lettres, possedait divers documents qui sans
doute pourraient me servir; en particulier une Bible couverte
d'annotations de la main meme de Bossuet. M. Floche s'etait retire
depuis une quinzaine d'annees a la Quartfourche, qu'on appelait plus
communement: le Carrefour, propriete de famille aux environs de
Pont-l'Eveque, dont il ne bougeait plus, ou il se ferait un plaisir de
me recevoir et de mettre a ma disposition ses papiers, sa bibliotheque
et son erudition que M. Desnos me disait etre inepuisable.

Entre M. Desnos et M. Floche des lettres furent echangees. Les documents
s'annoncerent plus nombreux que ne me l'avait d'abord fait esperer mon
maitre; il ne fut bientot plus question d'une simple visite: c'est un
sejour au chateau de la Quartfourche que, sur la recommandation de M.
Desnos, l'amabilite de M. Floche me proposait. Bien que ses enfants M.
et Madame Floche n'y vivaient pas seuls: quelques mots inconsideres de
M. Desnos, dont mon imagination s'empara, me firent esperer de trouver
la-bas une societe avenante, qui tous aussitot m'attira plus que les
documents poudreux du Grand Siecle; deja ma these n'etait plus qu'un
pretexte; j'entrais dans ce chateau non plus en scolar, mais en
Nejdanof, en Valmont; deja je le peuplais d'aventures. La Quartfourche!
je repetais ce nom mysterieux: c'est ici, pensais-je, qu'Hercule
hesite ... Je sais de reste ce qui l'attend sur le sentier de la vertu;
mais l'autre route?... l'autre route ...

Vers le milieu de Septembre, je rassemblai le meilleur de ma modeste
garde-robe, renouvelai mon jeu de cravates, et partis.

Quand j'arrivai a la station du Breuil-Blangy, entre Pont-l'Eveque et
Lisieux, la nuit etait a peu pres close. J'etais seul a descendre du
train. Une sorte de paysan en livree vint a ma rencontre, prit ma valise
et m'escorta vers la voiture qui stationnait de l'autre cote de la gare.
L'aspect du cheval et de la voiture coupa l'essor de mon imagination; on
ne pouvait rever rien de plus minable. Le paysan-cocher repartit pour
degager la malle que j'avais enregistree; sous ce poids les ressorts de
la caleche flechirent. A l'interieur, une odeur de poulailler
suffocante ... Je voulus baisser la vitre de la portiere, mais la poignee
de cuir me resta dans la main. Il avait plu dans la journee; la route
etait tirante; au bas de la premiere cote, une piece du harnais ceda. Le
cocher sortit de dessous son siege un bout de corde et se mit en posture
de rafistoler le trait. J'avais mis pied a terre et m'offris a tenir la
lanterne qu'il venait d'allumer; je pus voir que la livree du pauvre
homme, non plus que le harnachement, n'en etait pas a son premier
rapiecage.

--Le cuir est un peu vieux, hasardai-je.

Il me regarda comme si je lui avais dit une injure, et presque
brutalement:

--Dites donc: c'est tout de meme heureux qu'on ait pu venir vous
chercher.

--Il y a loin, d'ici le chateau? questionnai-je de ma voix la plus
douce. Il ne repondit pas directement, mais:

--Pour sur qu'on ne fait pas le trajet tous les jours!--Puis au bout
d'un instant:--Voila peut-etre bien six mois qu'elle n'est pas sortie,
la caleche ...

--Ah!... Vos maitres ne se promenent pas souvent? repris-je par un
effort desespere d'amorcer le conversation.

--Vous pensez! Si l'on n'a pas autre chose a faire!

Le desordre etait repare: d'un geste il m'invita a remonter dans la
voiture, qui repartit.

Le cheval peinait aux montees, trebuchait aux descentes et tricotait
affreusement en terrain plat;parfois, tout inopinement, il stoppait.
--Du train dont nous allons, pensais-je, nous arriverons au Carrefour
longtemps apres que mes hotes se seront leves de table; et meme (nouvel
arret du cheval) apres qu'ils se seront couches. J'avais grand faim; ma
bonne humeur tournait a l'aigre. J'essayai de regarder le pays: sans que
je m'en fusse apercu, la voiture avait quitte la grande route et s'etait
engagee dans une route plus etroite et beaucoup moins bien entretenue;
les lanternes n'eclairaient de droite et de gauche qu'une haie continue,
touffue et haute; elle semblait nous en tourner, barrer la route,
s'ouvrir devant nous a l'instant de notre passage, puis, aussitot apres,
se refermer.

Au bas d'une montee plus raide, la voiture s'arreta de nouveau. Le
cocher vint a la portiere et l'ouvrit, puis, sans facons:

--Si Monsieur voulait bien descendre. La cote est un peu dure pour le
cheval.--Et lui-meme fit la montee en tenant par la bride la haridelle.
A mi-cote il se retourna vers moi, qui marchais en arriere:

--On est bientot rendu, dit-il sur un ton radouci. Tenez: voila le parc.
Et je distinguai devant nous, encombrant le ciel decouvert, une sombre
masse d'arbres. C'etait une avenue de grands hetres, sous laquelle enfin
nous entrames, et ou nous rejoignimes la premiere route que nous avions
quittee. Le cocher m'invita a remonter dans la voiture, qui parvint
bientot a la grille; nous penetrames dans le jardin.

Il faisait trop sombre pour que je pusse rien distinguer de la facade du
chateau; la voiture me deposa devant un perron de trois marches, que je
gravis, un peu ebloui par le flambeau qu'une femme sans age, sans grace,
epaisse et mediocrement vetue tenait a la main et dont elle rabattait
vers moi la lumiere. Elle me fit un salut un peux sec. Je m'inclinai
devant elle, incertain ...

--Madame Floche, sans doute?...

--Mademoiselle Verdure simplement. Monsieur et Madame Floche sont
couches. Ils vous prient d'excuser s'ils ne sont pas la pour vous
recevoir; mais on dine de bonne heure ici.

--Vous-meme, Mademoiselle, je vous aurai fait veiller bien tard.

--Oh! moi, j'y suis faite, dit-elle sans se retourner. Elle m'avait
precede dans le vestibule.--Vous serez peut-etre content de prendre
quelque chose?

--Ma foi, je vous avoue que je n'ai pas dine.

Elle me fit entrer dans une vaste salle a manger ou se trouvait prepare
un medianoche confortable.

--A cette heure, le fourneau est eteint; et a la campagne il faut se
contenter de ce que l'on trouve.

--Mais tout cela m'a l'air excellent, dis-je en m'attablant devant un
plat de viande froide. Elle s'assit de biais sur une autre chaise pres
de la porte, et, pendant tout le temps que je mangeais, resta les yeux
baisses, les mains croisees sur les genoux, deliberement subalterne. A
plusieurs reprises, comme la morne conversation retombait, je m'excusai
de la retenir; mais elle me donna a entendre qu'elle attendait que
j'eusse fini pour desservir:

--Et votre chambre, comment feriez-vous pour la trouver tout seul?...

Je depechais et mettais bouchees doubles lorsque la porte du vestibule
s'ouvrit: un abbe entra, a cheveux gris, de figure rude mais agreable.
Il vint a moi la main tendue:

--Je ne voulais pas remettre a demain le plaisir de saluer notre hote.
Je ne suis pas descendu plus tot parce que je savais que vous causiez
avec Mademoiselle Olympe Verdure, dit-il, en tournant vers elle un
sourire qui pouvait etre malicieux, cependant qu'elle pincait les levres
et faisait visage de bois:--Mais a present que vous avez acheve de
manger, continua-t-il tandis que je me levais de table, nous allons
laisser Mademoiselle Olympe remettre ici un peu d'ordre; elle trouvera
plus decent, je le presume, de laisser un homme accompagner Monsieur
Lacasse jusqu'a sa chambre a coucher, et de resigner ici ses fonctions.

Il s'inclina ceremonieusement devant Mademoiselle Verdure, qui lui fit
une reverence ecourtee.

--Oh! je resigne; je resigne ... Monsieur l'abbe, devant vous, vous le
savez, je resigne toujours ... Puis revenant a nous brusquement:--Vous
alliez me faire oublier de demander a Monsieur Lacase ce qu'il prend a
son premier dejeuner.

--Mais, ce que vous voudrez, Mademoiselle ... Que prend-on d'ordinaire
ici?

--De tout. On prepare du the pour ces dames, du cafe pour Monsieur
Floche, un potage pour Monsieur l'abbe, et du racahout pour Monsieur
Casimir.

--Et vous, Mademoiselle, vous ne prenez rien?

--Oh! moi, du cafe au lait, simplement.

--Si vous le permettez, je prendrai du cafe au lait avec vous.

--Eh! eh! tenez-vous bien, Mademoiselle Verdure, dit l'abbe en me
prenant par le bras--Monsieur Lacase m'a tout l'air de vous faire la
cour!

Elle haussa les epaules, puis me fit un rapide salut, tandis que l'abbe
m'entrainait.


Ma chambre etait au premier etage, presque a l'extremite d'un couloir.

--C'est ici, dit l'abbe en ouvrant la porte d'une piece spacieuse
qu'illuminait un grand brasier,--Dieu me pardonne! on vous a fait du
feu!... Vous vous en seriez peut-etre bien passe ... Il est vrai que les
nuits de ce pays sont humides, et la saison, cette annee, est
anormalement pluvieuse ...

Il s'etait approche du foyer vers lequel il tendit ses larges paumes
tout en ecartant le visage, comme un devot qui repousse la tentation. Il
semblait dispose a causer plutot qu'a me laisser dormir.

--Oui, commenca-t-il, en avisant ma malle et mon sac de nuit,--Gratien
vous a monte vos colis.

--Gratien, c'est le cocher qui m'a conduit? demandai-je.

--Et c'est aussi le jardinier; car ses fonctions de cocher ne l'occupent
guere.

--Il m'a dit en effet que la caleche ne sortait pas souvent.

--Chaque fois qu'elle sort c'est un evenement historique. D'ailleurs
Monsieur de Saint-Aureol n'a depuis longtemps plus d'ecurie; dans les
grandes occasions, comme ce soir, on emprunte le cheval du fermier.

--Monsieur de Saint-Aureol? repetai-je, surpris.

--Oui, dit-il, je sais que c'est Monsieur Floche que vous venez voir;
mais la Quartfourche appartient a son beau-frere. Demain vous aurez
l'honneur d'etre presente a Monsieur et a Madame de Saint-Aureol.

--Et qui est Monsieur Casimir? dont je ne sais qu'une chose, c'est qu'il
prend du racahout le matin.

--Leur petit-fils et mon eleve. Dieu me permet de l'instruire depuis
trois ans. Il avait dit ces mots en fermant les yeux et avec une
componction modeste, comme s'il s'etait agi d'un prince du sang.

--Ses parents ne sont pas ici? demandai-je.

--En voyage. Il serra les levres fortement puis reprit aussitot:

--Je sais, Monsieur, quelles nobles et saintes etudes vous amenent ...

--Oh! ne vous exagerez pas leur saintete, interrompis-je aussitot en
riant, c'est en historien seulement qu'elles m'occupent.

--N'importe, fit-il, ecartant de la main toute pensee desobligeante;
l'histoire a bien aussi ses droits. Vous trouverez en Monsieur Floche le
plus aimable et le plus sur des guides.

--C'est ce que m'affirmait mon maitre, Monsieur Desnos.

--Ah! Vous etes eleve d'Albert Desnos? Il serra les levres de nouveau.
J'eus l'imprudence de demander:

--Vous avez suivi de ses cours?

--Non! fit-il rudement. Ce que je sais de lui m'a mis en garde ... C'est
un aventurier de la pensee. A votre age on est assez facilement seduit
par ce qui sort de l'ordinaire ... Et, comme je ne repondais rien:--Ses
theories ont d'abord pris quelque ascendant sur la jeunesse; mais on en
revient deja, m'a-t-on dit.

J'etais beaucoup moins desireux de discuter que de dormir. Voyant qu'il
n'obtiendrait pas de replique:

--Monsieur Floche vous sera de conseil plus tranquille, reprit-il; puis,
devant un baillement que je ne dissimulai point:

--Il se fait assez tard: demain, si vous le permettez, nous trouverons
loisir pour reprendre cet entretien. Apres ce voyage vous devez etre
fatigue.

--Je vous avoue, Monsieur l'abbe, que je croule de sommeil.

Des qu'il m'eut quitte, je relevai les buches du foyer, j'ouvris la
fenetre toute grande, repoussant les volets de bois. Un grand souffle
obscur et mouille vint incliner la flamme de ma bougie, que j'eteignis
pour contempler la nuit. Ma chambre ouvrait sur le parc, mais non sur le
devant de la maison comme celles du grand couloir qui devaient sans
doute jouir d'une vue plus etendue; mon regard etait aussitot arrete par
des arbres; au-dessus d'eux, a peine restait-il la place d'un peu de
ciel ou le croissant venait d'apparaitre, recouvert par les nuages
presque aussitot. Il avait plu de nouveau; les branches larmoyaient
encore ...

--Voici qui m'invite guere a la fete, pensai-je, en refermant fenetre et
volets. Cette minute de contemplation m'avait transi, et l'ame encore
plus que la chair; je rabattis les buches, ranimai le feu, et fus
heureux de trouver dans mon lit une cruche d'eau chaude, que sans doute
l'attentionnee Mademoiselle Verdure y avait glissee.

Au bout d'un instant je m'avisai que j'avais oublie de mettre a la porte
mes chaussures. Je me relevai et sortis un instant dans le couloir; a
l'autre extremite de la maison, je vis passer Mademoiselle Verdure. Sa
chambre etait au-dessus de la mienne, comme me l'indiqua son pas lourd
qui, peu de temps apres, commenca d'ebranler le plafond. Puis il se fit
un grand silence et, tandis que je plongeais dans le sommeil, la maison
leva l'ancre pour la traversee de la nuit.




II


Je fus reveille d'assez bon matin par les bruits de la cuisine dont une
porte ouvrait precisement sous ma fenetre. En poussant mes volets j'eus
la joie de voir un ciel a peu pres pur; le jardin, mal ressuye d'une
recente averse, brillait; l'air etait bleuissant. J'allais refermer ma
fenetre, lorsque je vis sortir du potager et accourir vers la cuisine un
grand enfant, d'age incertain car son visage marquait trois ou quatre
ans de plus que son corps; tout contrefait, il portait de guingois: ses
jambes torses lui donnaient une allure extraordinaire: il avancait
obliquement, ou plutot procedait par bonds, comme si, a marcher pas a
pas, ses pieds eussent du s'entraver ... C'etait evidemment l'eleve de
l'abbe, Casimir. Un enorme chien de Terre-Neuve gambadait a ses cotes,
sautait de conserve avec lui, lui faisait fete; l'enfant se defendait
tant bien que mal contre sa bousculante exuberance; mais au moment qu'il
allait atteindre la cuisine, culbute par le chien, soudain je le vis
rouler dans la boue. Une maritorne epaisse s'elanca, et tandis qu'elle
relevait l'enfant:

--Ah ben! vous v'la beau! Si c'est Dieu permis de s'met' dans des etats
pareils! On vous l'a pourtant repete bien des fois d'quitter l'Terno
dans la remise!... Allons! v'nez-vous en par ici qu'on vous essuie ...

Elle l'entraina dans la cuisine. A ce moment j'entendis frapper a ma
porte; une femme de chambre m'apportait de l'eau chaude pour ma
toilette. Un quart d'heure apres, la cloche sonna pour le dejeuner.


Comme j'entrais dans la salle a manger:

--Madame Floche, je crois que voici notre aimable hote, dit l'abbe en
s'avancant a ma rencontre.

Madame Floche s'etait levee de sa chaise, mais ne paraissait pas plus
grande debout qu'assise; je m'inclinai profondement devant elle; elle
m'honora d'un petit plongeon brusque; elle avait du recevoir a un
certain age quelque formidable evenement sur la tete; celle-ci en etait
restee irremediablement enfoncee entre les epaules; et meme un peu de
travers. Monsieur Floche s'etait mis tout a cote d'elle pour me tendre
la main. Les deux petits vieux etaient exactement de meme taille, de
meme habit, paraissaient de meme age, de meme chair ... Durant quelques
instants nous echangeames des compliments vagues, parlant tous les trois
a la fois. Puis, il y eut un noble silence, et Mademoiselle Verdure
arriva portant la theiere.

--Mademoiselle Olympe, dit enfin Madame Floche, qui, ne pouvant tourner
la tete, s'adressait a vous de tout le buste.--Mademoiselle Olympe,
notre amie, s'inquietait beaucoup de savoir si vous aviez bien dormi et
si le lit etait a votre convenance.

Je protestai que j'y avais repose on ne pouvait mieux et que la cruche
chaude que j'y avais trouvee en me couchant m'avait fait tout le bien du
monde.

Mademoiselle Verdure, apres m'avoir souhaite le bonjour, ressortit.

--Et, le matin, les bruits de la cuisine ne vous ont pas trop incommode?

Je renouvelai mes protestations.

--Il faut vous plaindre, je vous en prie, parce que rien ne serait plus
aise que de vous preparer une autre chambre ...

Monsieur Floche, sans rien dire lui-meme, hochait la tete obliquement
et, d'un sourire, faisait sien chaque propos de sa femme.

--Je vois bien, dis-je, que la maison est tres vaste; mais je vous
certifie que je ne saurais etre installe plus agreablement.

--Monsieur et Madame Floche, dit l'abbe, se plaisent a gater leurs
hotes.

Mademoiselle Olympe apportait sur une assiette des tranches de pain
grille; elle poussa devant elle le petit estropie que j'avais vu
culbuter tout a l'heure. L'abbe le saisit par le bras:

--Allons, Casimir! Vous n'etes plus un bebe; venez saluer Monsieur
Lacase comme un homme. Tendez la main ... Regardez en face!... puis se
tournant vers moi comme pour l'excuser:--Nous n'avons pas encore grand
usage du monde ...

La timidite de l'enfant me genait:

--C'est votre petit-fils? demandai-je a Madame Floche, oublieux des
renseignements que l'abbe m'avait fournis la veille.

--Notre petit-neveu, repondit-elle; vous verrez un peu plus tard mon
beau-frere et ma soeur, ses grands-parents.

--Il n'osait pas rentrer parce qu'il avait empli de boue ses vetements
en jouant avec Terno, expliqua Mademoiselle Verdure.

--Drole de facon de jouer, dis-je, en me tournant affablement vers
Casimir; j'etais a la fenetre quand il vous a culbute ... Il ne vous a
pas fait mal?

--Il faut dire a Monsieur Lacase, expliqua l'abbe a son tour, que
l'equilibre n'est pas notre fort ...

Parbleu! je m'en apercevais de reste, sans qu'il fut necessaire de me le
signaler. Ce grand gaillard d'abbe, aux yeux vairons, me devint
brusquement antipathique.

L'enfant ne m'avait pas repondu, mais son visage s'etait empourpre. Je
regrettai ma phrase et qu'il y eut pu sentir quelque allusion a son
infirmite. L'abbe, son potage pris, s'etait leve de table et arpentait
la piece; des qu'il ne parlait plus, il gardait les levres si serrees
que celle de dessus formait un bourrelet, comme celle des vieillards
edentes. Il s'arreta derriere Casimir, et comme celui-ci vidait son bol:
--Allons! Allons, jeune homme, Avenzoar nous attend!

L'enfant se leva; tous deux sortirent.


Sitot que le dejeuner fut acheve, Monsieur Floche me fit signe.

--Venez avec moi dans le jardin, mon jeune hote, et me donnez des
nouvelles du Paris penseur.

Le langage de Monsieur Floche fleurissait des l'aube. Sans trop ecouter
mes reponses, il me questionna sur Gaston Boissier son ami, et sur
plusieurs autres savants que je pouvais avoir eus pour maitres et avec
qui il correspondait encore de loin en loin; il s'informa de mes gouts,
de mes etudes ... Je ne lui parlai naturellement pas de mes projets
litteraires et ne laissai voir de moi que le sorbonnien; puis il
entreprit l'histoire de la Quartfourche, dont il n'avait a peu pres pas
bouge depuis pres de quinze ans, l'histoire du parc, du chateau; il
reserva pour plus tard l'histoire de la famille qui l'habitait
precedemment, mais commenca de me raconter comment il se trouvait en
possession des manuscrits du XVIIme siecle qui pouvaient interesser ma
these ... Il marchait a petits pas presses, ou, plus exactement, il
trottinait aupres de moi; je remarquai qu'il portait son pantalon si bas
que la fourche en restait a mi-cuisse; sur le devant du pied, l'etoffe
retombait en nombreux plis, mais par derriere restait au-dessus de la
chaussure, suspendue a l'aide de je ne sais quel artifice; je ne
l'ecoutais plus que d'une oreille distraite, l'esprit engourdi par la
moitiedeur de l'air et par une sorte de torpeur vegetale. En suivant une
allee de tres hauts marronniers qui formaient voute au-dessus de nos
tetes, nous etions parvenus presque a l'extremite du parc. La, protege
contre le soleil par un buisson d'arbres-a-plumes, se trouvait un banc
ou Monsieur Floche m'invita a m'asseoir. Puis tout-a-coup:

--L'abbe Santal vous a-t-il dit que mon beau-frere est un peu ...? Il
n'acheva pas, mais se toucha le front de l'index.

Je fus trop interloque pour pouvoir trouver rien a repondre. Il
continua:

--Oui, le baron de Saint-Aureol, mon beau-frere; l'abbe ne vous l'a
peut-etre pas dit plus qu'a moi ... mais je sais neanmoins qu'il le
pense; et je le pense aussi ... Et de moi, l'abbe ne vous a pas dit que
j'etais un peu ...?

--Oh! Monsieur Floche, comment pouvez-vous croire?...

--Mais, mon jeune ami, dit-il en me tapant familierement sur la main, je
trouverais cela tout naturel. Que voulez-vous? nous avons pris ici des
habitudes, a nous enfermer loin du monde, un peu ... en dehors de la
circulation. Rien n'apporte ici de ... diversion; comment dirais-je? oui.
Vous etes bien aimable d'etre venu nous voir--et comme j'essayais un
geste:--je le repete: bien aimable, et je le recrirai ce soir a mon
excellent ami Desnos; mais vous vous aviseriez de me raconter ce qui
vous tient au coeur, les questions qui vous troublent, les problemes qui
vous interessent ... je suis sur que je ne vous comprendrais pas.

Que pouvais-je repondre? Du bout de ma canne je grattais le sable ...

--Voyez-vous, reprit-il, ici nous avons un peu perdu le contact. Mais
non, mais non! ne protestez donc pas; c'est inutile. Le baron est sourd
comme une calebasse; mais il est si coquet qu'il tient surtout a ne pas
le paraitre; il feint d'entendre plutot que de faire hausser la voix.
Pour moi, quant aux idees du jour, je me fais l'effet d'etre tout aussi
sourd que lui; et du reste je ne m'en plains pas. Je ne fais meme pas
grand effort pour entendre. A frequenter Massillon et Bossuet, j'ai fini
par croire que les problemes qui tourmentaient ces grands esprits sont
tout aussi beaux et importants que ceux qui passionnaient ma jeunesse ...
problemes que ces grands esprits n'auraient pas pu comprendre sans
doute ... non plus que moi je ne puis comprendre ceux qui vous
passionnent aujourd'hui ... Alors, si vous le voulez bien, mon futur
collegue, vous me parlerez de preference de vos etudes, puisque ce sont
les miennes egalement, et vous m'excuserez si je ne vous interroge pas
sur les musiciens, les poetes, les orateurs que vous aimez, ni sur la
forme de gouvernement que vous croyez la preferable.

Il regarda l'heure a un oignon attache a un ruban noir:

--Rentrons a present, dit-il en se levant. Je crois avoir perdu ma
journee quand je ne suis pas au travail a dix heures.

Je lui offris mon bras qu'il accepta, et comme, a cause de lui, parfois,
je ralentissais mon allure:

--Pressons! Pressons! me disait-il. Les pensees sont comme les fleurs,
celles qu'on cueille le matin se conservent le plus longtemps fraiches.


La bibliotheque de la Quartfourche est composee de deux pieces que
separe un simple rideau: une, tres exigue et surhaussee de trois
marches, ou travaille Monsieur Floche, a une table devant une fenetre.
Aucune vue; des rameaux d'orme ou d'aulne viennent battre les carreaux;
sur la table, une antique lampe a reservoir, que coiffe un abat-jour de
porcelaine vert; sous la table, une enorme chanceliere; un petit poele
dans un coin, dans l'autre coin, une seconde table; chargee de lexiques;
entre deux, une armoire amenagee en cartonnier. La seconde piece est
vaste; des livres tapissent le mur jusqu'au plafond; deux fenetres; une
grande table au milieu de la piece.

--C'est ici que vous vous installerez, me dit Monsieur Floche;--et,
comme je me recriais:

--Non, non; moi, je suis accoutume au reduit; a dire vrai, je m'y sens
mieux; il me semble que ma pensee s'y concentre. Occupez la grande table
sans vergogne; et, si vous y tenez, pour que nous ne nous derangions
pas, nous pourrons baisser le rideau.

--Oh! pas pour moi, protestai-je; jusqu'a present, si pour travailler
j'avais eu besoin de solitude, je ne ...

--Eh bien! reprit-il en m'interrompant, nous le laisserons donc releve.
J'aurai, pour ma part, grand plaisir a vous apercevoir du coin de
l'oeil. (Et, de fait, les jours suivants, je ne levais point la tete de
dessus mon travail sans rencontrer le regard du bonhomme, qui me
souriait en hochant la tete, ou qui, vite, par crainte de m'importuner,
detournait les yeux et feignait d'etre plonge dans sa lecture.)

Il s'occupa tout aussitot de mettre a ma facile disposition les livres
et les manuscrits qui pouvaient m'interesser; la plupart se trouvaient
serres dans le cartonnier de la petite piece; leur nombre et leur
importance depassait tout ce que m'avait annonce M. Desnos; il m'allait
falloir au moins une semaine pour relever les precieuses indications que
j'y trouverais. Enfin M. Floche ouvrit, a cote du cartonnier, une tres
petite armoire et en sortit la fameuse Bible de Bossuet, sur laquelle
l'Aigle de Meaux avait inscrit, en regard des versets pris pour textes,
les dates des sermons qu'ils avaient inspires. Je m'etonnai qu'Albert
Desnos n'eut pas tire parti de ces indications dans ses travaux; mais ce
livre n'etait tombe que depuis peu entre les mains de M. Floche.

--J'ai bien entrepris, continua-t-il, un memoire a son sujet; et je me
felicite aujourd'hui de n'en avoir encore donne connaissance a personne,
puisqu'il pourra servir a votre these en toute nouveaute!

Je me defendis de nouveau:

--Tout le merite de ma these, c'est votre obligeance que je le devrai.
Au moins en accepterez-vous la dedicace, Monsieur Floche, comme une
faible marque de ma reconnaissance?

Il sourit un peu tristement:

--Quand on est si pres de quitter la terre, on sourit volontiers a tout
ce qui promet quelque survie.

Je crus malseant de surencherir a mon tour.

--A present, reprit-il, vous allez prendre possession de la
bibliotheque, et vous ne vous souviendrez de ma presence que si vous
avez quelque renseignement a me demander. Emportez les papiers qu'il
vous faut ... Au revoir!... et comme en descendant les trois marches, je
retournais vers lui mon sourire, il agita sa main devant ses yeux:
--A tantot!--


J'emportai dans la grande piece les quelques papiers qui devaient faire
l'objet de mon premier travail. Sans m'ecarter de la table devant
laquelle j'etais assis, je pouvais distinguer Monsieur Floche dans sa
portioncule: il s'agita quelques instants; ouvrant et refermant des
tiroirs, sortant des papiers, les rentrant, faisant mine d'homme
affaire ... Je soupconnais en verite qu'il etait fort trouble, sinon gene
par ma presence et que, dans cette vie si rangee le moindre ebranlement
risquait de compromettre l'equilibre de la pensee. Enfin il s'installa,
plongea jusqu'a mi-jambes dans la chanceliere, ne bougea plus ...

De mon cote je feignais de m'absorber dans mon travail; mais j'avais
grand'peine a tenir en laisse ma pensee; et je n'y tachais meme pas;
elle tournait autour de la Quartfourche, ma pensee, comme autour d'un
donjon dont il faut decouvrir l'entree. Que je fusse subtil, c'est ce
dont il m'importait de me convaincre. Romancier, mon ami, me disais-je,
nous allons donc te voir a l'oeuvre. Decrire! Ah, fi! ce n'est pas de
cela qu'il s'agit, mais bien de decouvrir la realite sous l'aspect ... En
ce court laps de temps qu'il t'est permis de sejourner a la
Quartfourche, si tu laisses passer un geste, un tic sans t'en pouvoir
donner bientot l'explication psychologique, historique et complete,
c'est que tu ne sais pas ton metier.

Alors je reportais mes yeux sur Monsieur Floche; il s'offrait a moi de
profil; je voyais un grand nez mou, inexpressif, des sourcils
buissonnants, un menton ras sans cesse en mouvement comme pour macher
une chique ... et je pensais que rien ne rend plus impenetrable un visage
que le masque de la bonte.

La cloche du second dejeuner me surprit au milieu de ces reflexions.




III


C'est a ce dejeuner que, sans precaution oratoire, brusquement, Monsieur
Floche m'amena en presence du menage Saint-Aureol. L'abbe du moins, la
veille au soir, aurait bien pu m'avertir. Je me souviens d'avoir eprouve
la meme stupeur, jadis, quand, pour la premiere fois, au Jardin des
Plantes, je fis connaissance avec le _phoenicopterus antiquorum_ ou
flamant a spatule (1). Du baron ou de la baronne je n'aurais su dire
lequel etait le plus baroque; ils formaient un couple parfait; tout
comme les deux Floche, du reste: au Museum on les eut mis sous vitrine
l'un contre l'autre sans hesiter; pres des "especes disparues".
J'eprouvai devant eux d'abord cette sorte d'admiration confuse qui,
devant les oeuvres d'art accompli ou devant les merveilles de la Nature,
nous laisse, aux premiers instants, stupides et incapables d'analyse. Ce
n'est que lentement que je parvins a decomposer mon impression ...

(1) Gerard fait erreur: le _phoenicopterus antiquorum_ n'a pas le bec en
spatule.

Le baron Narcisse de Saint-Aureol portait culottes courtes, souliers a
boucle tres apparente, cravate de mousseline et jabot. Une pomme d'Adam,
aussi proeminente que le menton, sortait de l'echancrure du col et se
dissimulait de son mieux sous un bouillon de mousseline; le menton, au
moindre mouvement de la machoire faisait un extraordinaire effort pour
rejoindre le nez qui, de son cote, y mettait de la complaisance. Un oeil
restait hermetiquement clos; l'autre, vers qui remontait le coin de la
levre et tendaient tous les plis du visage, brillait clair, embusque
derriere la pommette et semblait dire: Attention! je suis seul, mais
rien ne m'echappe.

Madame de Saint-Aureol disparaissait toute dans un flot de fausses
dentelles. Tapies au fond des manches frissonnantes, tremblaient ses
longues mains, chargees d'enormes bagues. Une sorte de capote en
taffetas noir double de lambeaux de dentelles blanches enveloppait tout
le visage; sous le menton se nouaient deux brides de taffetas, blanchies
par la poudre que le visage effroyablement farde laissait choir. Quand
je fus entre, elle se campa devant moi de profil, rejeta la tete en
arriere, et, d'une voix de tete assez forte et non inflechie:

--Il y eut un temps, ma soeur, ou l'on temoignait au nom de Saint-Aureol
plus d'egards ...

A qui en avait-elle? Sans doute tenait-elle a me faire sentir, et a
faire sentir a sa soeur, que je n'etais pas ici chez les Floche; car
elle continua, inclinant la tete de cote, minaudiere: et levant vers moi
sa main droite:

--Le baron et moi, nous sommes heureux, Monsieur, de vous recevoir a
notre table.

Je donnai de la levre contre une bague, et me relevai du baise-main en
rougissant, car ma position entre les Saint-Aureol et les Floche
s'annoncait genante. Mais Madame Floche ne semblait avoir prete aucune
attention a la sortie de sa soeur. Quant au baron, sa realite me
paraissait problematique, bien qu'il fit avec moi l'aimable et le sucre.
Durant tout mon sejour a la Quartfourche, on ne put le persuader de
m'appeler autrement que Monsieur de Las Cases; ce qui lui permettait
d'affirmer qu'il avait beaucoup vu mes parents aux Tuileries ... un mien
oncle principalement qui faisait avec lui son piquet:

--Ah! C'etait un original! Chaque fois qu'il abattait tout, il criait
tres fort: Domino!...

Les propos du baron etaient a peu pres tous de cette envergure. A table
il n'y avait presque que lui qui parlat; puis, sitot apres le repas, il
s'enfermait dans un silence de momie.

Au moment que nous quittions la salle a manger, Madame Floche s'approcha
de moi, et, a voix basse:

--Peut-etre, Monsieur Lacase sera-t-il assez aimable pour m'accorder un
petit entretien?--Entretien qu'elle ne voulait pas, apparemment, qu'on
entendit, car elle commenca par m'entrainer du cote du jardin potager,
en disant tres haut qu'elle voulait me montrer les espaliers.

--C'est au sujet de mon petit-neveu, commenca-t-elle des qu'elle fut
assuree que l'on ne pouvait nous entendre ... Je ne voudrais pas vous
paraitre critiquer l'enseignement de l'abbe Santal ... mais, vous qui
plongez aux sources meme de l'instruction (ce fut sa phrase) vous
pourrez peut-etre nous etre de bon conseil.

--Parlez, Madame; mon devouement vous est acquis.

--Voici: je crains que le sujet de sa these, pour un enfant si jeune
encore, ne soit un peu special.

--Quelle these? fis-je, legerement inquiet.

--La these pour son baccalaureat.

--Ah! parfaitement,--resolu desormais a ne m'etonner plus de rien.
--Sur quel sujet? repris-je.

--Voici: Monsieur l'abbe craint que les sujets litteraires ou proprement
philosophiques ne flattent le vague d'un jeune esprit deja trop enclin a
la reverie ... (c'est du moins ce que trouve Monsieur l'abbe). Il a donc
pousse Casimir a choisir un sujet d'histoire.

--Mais Madame, voici qui peut tres bien se defendre. Et le sujet choisi
c'est?

--Excusez-moi; j'ai peur d'estropier le nom ...: Averrhoes.

--Monsieur l'abbe a sans doute eu ses raisons pour choisir ce sujet,
qui, a premiere vue, peut en effet paraitre un peu particulier.

--Ils l'ont choisi tous deux ensemble. Quant aux raisons que l'abbe fait
valoir, je suis prete a m'y ranger: Ce sujet presente, m'a-t-il dit, un
interet anecdotique particulierement propre a fixer l'attention de
Casimir, qui est souvent un peu flottante: puis (et il parait que ces
Messieurs les examinateurs attachent a cela la plus grande importance)
le sujet n'a jamais ete traite.

--Il ne me souvient pas en effet ...

--Et naturellement, pour trouver un sujet qui n'ait encore jamais ete
traite, on est force de chercher un peu en dehors des chemins battus.

--Evidemment!

--Seulement, je vais vous avouer ma crainte ... mais j'abuse peut-etre?

--Madame, je vous en supplie de croire que ma bonne volonte et mon desir
de vous servir sont inepuisables.

--Eh bien! voici: je ne mets pas en doute que Casimir ne soit a meme
bientot de passer sa these assez brillamment, mais je crains que, par
desir de specialiser ... par desir un peu premature ... l'abbe ne neglige
un peu l'instruction generale, le calcul par exemple, ou l'astronomie ...

--Que pense Monsieur Floche de tout cela? demandai-je eperdu.

--Oh! Monsieur Floche approuve tout ce que fait et ce que dit l'abbe.

--Les parents?

--Ils nous ont confie l'enfant, dit-elle apres une hesitation legere;
puis, s'arretant de marcher:

--Par effet de votre complaisance, cher Monsieur Lacase, j'aurais aime
que vous causiez avec Casimir, pour vous rendre compte; sans avoir l'air
de l'interroger directement ... et surtout pas devant Monsieur l'abbe,
qui pourrait en prendre quelque ombrage. Je suis sure qu'ainsi vous
pourriez ...

--Le plus volontiers du monde, Madame. Il ne me sera sans doute pas
difficile de trouver un pretexte pour sortir avec votre petit neveu. Il
me fera visiter quelque endroit du parc ...

--Il se montre d'abord un peu timide avec ceux qu'il ne connait pas
encore, mais sa nature est confiante.

--Je ne mets pas en doute que nous ne devenions promptement bons amis.

Un peu plus tard, le gouter nous ayant de nouveau rassembles:

--Casimir, tu devrais montrer la carriere a Monsieur Lacase; je suis
sure que cela l'interessera.--Puis s'approchant de moi:

--Partez vite avant que l'abbe ne descende; il voudrait vous
accompagner.

Je ressortis aussitot dans le parc; l'enfant clopin-clopant me guidait.

--C'est l'heure de la recreation, commencai-je.

Il ne repondit rien. Je repris:

--Vous ne travaillez jamais apres gouter?

--Oh! si; mais aujourd'hui je n'avais plus rien a copier.

--Qu'est-ce que vous copiez ainsi?

--La these.

--Ah!... Apres quelques tatonnements je parvins a comprendre que cette
these etait un travail de l'abbe, que l'abbe faisait remettre au net et
copier par l'enfant dont l'ecriture etait correcte. Il en tirait quatre
grosses, dans quatre cahiers cartonnes dont chaque jour il noircissait
quelques pages. Casimir m'affirma du reste qu'il se plaisait beaucoup a
"copier".

--Mais pourquoi quatre fois?

--Parce que je retiens difficilement.

--Vous comprenez ce que vous ecrivez?

--Quelquefois. D'autres fois l'abbe m'explique; ou bien il dit que je
comprendrai quand je serai plus grand.

L'abbe avait tout bonnement fait de son eleve une maniere de
secretaire-copiste. Est-ce ainsi qu'il entendait ses devoirs? Je sentais
mon coeur se gonfler et me proposai d'avoir incessamment avec lui une
conversation tragique. L'indignation m'avait fait presser le pas
inconsciemment; Casimir prenait peine a me suivre; je m'apercus qu'il
etait en nage. Je lui tendis une main qu'il garda dans la sienne,
clopinant a cote de moi tandis que je ralentissais mon allure.

--C'est votre travail, cette these?

--Oh! non, fit-il aussitot; mais, en poussant plus loin mes questions,
je compris que le reste se reduisait a peu de chose; et sans doute
fut-il sensible a mon etonnement:

--Je lis beaucoup, ajouta-t-il, comme un pauvre dirait: j'ai d'autres
habits!

--Et qu'est-ce que vous aimez lire?

--Les grands voyages; puis tournant vers moi un regard ou deja
l'interrogation faisait place a la confiance:

--L'abbe, lui, a ete en Chine; vous saviez?... et le ton de sa voix
exprimait pour son maitre une admiration, une veneration sans limites.

Nous etions parvenus a cet endroit du parc que Madame Floche appelait
"la carriere"; abandonnee depuis longtemps, elle formait a flanc de
coteau une sorte de grotte dissimulee derriere les broussailles. Nous
nous assimes sur un quartier de roche que tiedissait le soleil deja bas.
La parc s'achevait la sans cloture; nous avions laisse a notre gauche un
chemin qui descendait obliquement et que coupait une petite barriere; le
devalement, partout ailleurs assez abrupt, servait de protection
naturelle.

--Vous, Casimir, avez-vous deja voyage? demandai-je.

Il ne repondit pas; baissa le front ... A nos pieds le vallon
s'emplissait d'ombre; deja le soleil touchait la colline qui fermait le
paysage devant nous. Un bosquet de chataigniers et de chenes y
couronnait un tertre crayeux crible des trous d'une garenne; le site un
peu romantique tranchait la mollesse uniforme de la contree.

--Regardez les lapins, s'ecria tout a coup Casimir; puis, au bout d'un
instant, il ajouta, indiquant du doigt le bosquet:

--Un jour, avec Monsieur l'abbe, j'ai monte la.

En rentrant nous passames aupres d'une mare couverte de conferves. Je
promis a Casimir de lui appreter une ligne et de lui montrer comment on
pechait les grenouilles.

Cette premiere soiree, qui ne se prolongea guere au dela de neuf heures,
ne differa point de celles qui suivirent, ni, je pense, de celles qui
l'avaient precedee, car, pour moi, mes hotes eurent le bon gout de ne se
point mettre en depense. Sitot apres diner, nous rentrions dans le salon
ou, pendant le repas, Gratien avait allume le feu. Une grande lampe,
posee a l'extremite d'une table de marqueterie, eclairait a la fois la
partie de jacquet que le baron engageait avec l'abbe a l'autre extremite
de la table, et le gueridon ou ces dames menaient une sorte de besigue
oriental et mouvemente.

--Monsieur Lacase qui est habitue aux distractions de Paris, va sans
doute trouver notre amusement un peu terne ... avait d'abord dit Madame
de Saint-Aureol.--Cependant, Monsieur Floche, au coin du feu, somnolait
dans une bergere; Casimir, les coudes sur la table, la tete entre les
mains, levre tombante et salivant, progressait dans un "Tour du Monde.--
Par contenance et politesse j'avais fait mine de prendre vif interet au
besigue de ces dames; on le pouvait mener, comme le whist, avec un mort,
mais on le jouait de preference a quatre, de sorte que Madame de
Saint-Aureol, avec empressement, m'avait accepte pour partenaire des que
je m'etais propose. Les premiers soirs, mes impairs firent la ruine de
notre camp et mirent en joie Madame Floche qui, apres chaque victoire,
se permettait sur mon bras une discrete taloche de sa maigre main
mitainee. Il y avait des temerites, des ruses, des delicatesses.
Mademoiselle Olympe jouait un jeu serre, concerte. Au debut de chaque
partie, on pointait, on hasardait la surenchere selon le jeu que l'on
avait; cela laissait un peu de marge au bluff; Madame de Saint-Aureol
s'aventurait effrontement, les yeux luisants, les pommettes vermeilles
et le menton fremissant; quand elle avait vraiment beau jeu, elle me
lancait un grand coup de pied sous la table; Mademoiselle Olympe
essayait de lui tenir tete, mais elle etait desarconnee par la voix
aigue de la vieille qui tout a coup, au lieu d'un nouveau chiffre,
criait:

--Verdure, vous mentez!

A la fin de la premiere partie, Madame Floche tirait sa montre, et,
comme si precisement, c'etait l'heure:

--Casimir! Allons, Casimir; il est temps.

L'enfant semblait sortir peniblement de lethargie, se levait, tendait
aux Messieurs sa main molle, a ces dames son front, puis sortait en
trainant un pied.

Tandis que Madame de Saint-Aureol nous invitait a la revanche, le
premier jacquet finissait; parfois alors Monsieur Floche prenait la
place de son beau-frere; ni Monsieur Floche, ni l'abbe n'annoncaient les
coups; on n'entendait de leur cote que le roulement des des dans le
cornet et sur la table; Monsieur de Saint-Aureol dans la bergere
monologuait ou chantonnait a demi-voix, et parfois, tout-a-coup,
flanquait un enorme coup de pincette au travers du feu, si
impertinemment qu'il en eclaboussait au loin la braise; Mademoiselle
Olympe accourait precipitamment et executait sur le tapis ce que Madame
de Saint-Aureol appelait elegamment la danse des etincelles ... Le plus
souvent Monsieur Floche laissait le baron aux prises avec l'abbe et ne
quittait pas son fauteuil; de ma place je pouvais le voir, non point
dormant comme il disait, mais hochant la tete dans l'ombre; et le
premier soir, un sursaut de flamme ayant eclaire brusquement son visage,
je pus distinguer qu'il pleurait.

A neuf heures et quart, le besigue termine, Madame Floche eteignait la
lampe, tandis que Mademoiselle Verdure allumait deux flambeaux qu'elle
posait des deux cotes du jacquet.

--L'abbe, ne le faites pas veiller trop tard, recommandait Madame de
Saint-Aureol, en donnant un coup d'eventail sur l'epaule de son mari.

J'avais cru decent, des le premier soir, d'obeir au signal de ces dames,
laissant aux prises les jacqueteurs et a sa meditation Monsieur Floche
qui ne montait que le dernier. Dans le vestibule, chacun se saisissait
d'un bougeoir; ces dames me souhaitaient le bonsoir qu'elles
accompagnaient des memes reverences que le matin. Je rentrais dans ma
chambre; j'entendais bientot monter ces Messieurs. Bientot tout se
taisait. Mais de la lumiere filtrait encore longtemps sous certaines
portes. Mais plus d'une heure apres si, presse par quelque besoin l'on
sortait dans le corridor, l'on risquait d'y rencontrer Madame Floche ou
Mademoiselle Verdure, en toilette de nuit, vaquant a de derniers
rangements. Plus tard encore, et quand on eut cru tout eteint, au
carreau d'un petit cagibis qui prenait jour mais non acces sur le
couloir, on pouvait voir, a son ombre chinoise, Madame de Saint-Aureol
ravauder.




IV


Ma seconde journee a la Quartfourche fut tres sensiblement pareille a la
premiere; d'heure en heure; mais la curiosite que d'abord j'avais pu
avoir quant aux occupations de mes hotes etait completement retombee.
Une petite pluie fine emplissait le ciel depuis le matin. La promenade
devenant impossible, la conversation de ces dames se faisant de plus en
plus insignifiante, j'occupai donc au travail a peu pres toutes les
heures du jour. A peine pus-je echanger quelques propos avec l'abbe;
c'etait apres le dejeuner; il m'invita a venir fumer une cigarette a
quelques pas du salon, dans une sorte de hangar vitre que l'on appelait
un peu pompeusement: l'orangerie, ou l'on avait rentre pour la mauvaise
saison les quelques bancs et chaises du jardin.

--Mais, cher Monsieur, dit-il, lorsqu'un peu nerveusement j'abordai la
question de l'education de l'enfant,--je n'aurais as demande mieux que
d'eclairer Casimir de toutes mes faibles lumieres; ce n'est pas sans
regrets que j'ai du y renoncer. Est-ce que, claudicant comme il est,
vous m'approuveriez si j'allais me mettre en tete de le faire danser sur
la corde roide? J'ai vite du retrecir mes visees. S'il s'occupe avec moi
d'Averrhoes, c'est parce que je me suis charge d'un travail sur la
philosophie d'Aristote et que, plutot que d'anonner avec l'enfant sur je
ne sais quels rudiments, j'ai pris quelque plaisir de coeur a
l'entrainer dans mon travail. Autant ce sujet-la qu'un autre;
l'important c'est d'occuper Casimir trois ou quatre heures par jour;
aurais-je pu me defendre d'un peu d'aigreur s'il avait du me faire
perdre le meme temps? et sans profit pour lui, je vous le certifie ...
Suffit sur ce sujet, n'est-ce pas.--La-dessus jetant la cigarette qu'il
avait laisse eteindre, il se leva pour rentrer dans le salon.

Le mauvais temps m'empechait de sortir avec Casimir; nous dumes remettre
au lendemain la partie de peche projetee; mais, devant le deception de
l'enfant, je m'igeniai a lui procurer quelque autre plaisir; ayant mis
la main sur un echiquier, je lui appris le jeu des poules et du renard,
qui le passionna jusqu'au souper.

La soiree commenca tout pareille a la precedente; mais deja je
n'ecoutais ni ne regardais plus personne; un ennui sans nom commencait
de peser sur moi.

Sitot apres diner, il s'eleva une espece de rafale; a deux reprises
Mademoiselle Verdure interrompit le besigue pour aller voir dans les
chambres d'en haut "si la pluie ne chassait pas." Nous dumes prendre la
revanche sans elle; le jeu manquait d'entrain. Au coin du feu, dans un
fauteuil bas qu'on appelait communement "la berline" Monsieur Floche,
berce par le bruit de l'averse, s'etait positivement endormi: dans la
bergere, le baron qui lui faisait face se plaignait de ses rhumatisme en
grognonnait.

--La partie de jacquet vous distrairait, repetait vainement l'abbe qui,
faute d'adversaire, finit par se retirer, emmenant coucher Casimir.

Quand, ce soir-la, je me retrouvai seul dans ma chambre, une angoisse
intolerable m'etreignit l'ame et le corps; mon ennui devenait presque de
la peur. Un mur de pluie me separait du reste du monde, loin de toute
passion, loin de la vie, m'enfermait dans un cauchemar gris, parmi
d'etranges etres a peine humains, a sang froid, decolores et dont le
coeur depuis longtemps ne battait plus. J'ouvris ma valise et saisis mon
indicateur: Un train! A quelque heure que ce soit, un jour ou de la
nuit ... qu'il m'emporte! J'etouffe ici ...

L'impatience empecha longtemps mon sommeil.

Lorsque je m'eveillai le lendemain, ma decision n'etait peut-etre pas
moins ferme, mais il ne me paraissait plus possible de fausser politesse
a mes hotes et de partir sans inventer quelque excuse a l'etranglement
de mon sejour. N'avais-je pas imprudemment parle de m'attarder une
semaine au moins a la Quartfourche! Bah! de mauvaises nouvelles me
rappelleront brusquement a Paris ... Heureusement j'avais donne mon
adresse; on devait me renvoyer a la Quartfourche tout mon courrier;
c'est bien miracle, pensai-je, s'ils ne me parvient pas des aujourd'hui
n'importe quelle enveloppe dont je puisse habilement me servir ... et je
reportai mon espoir dans l'arrivee du facteur. Celui-ci s'amenait peu
apres-midi, a l'heure ou finissait le dejeuner; nous ne nous serions pas
leves de table avant que Delphine n'eut apporte a Madame Floche le
maigre paquet de lettres et d'imprimes qu'elle distribuait aux convives.
Par malheur il arriva que ce jour-la l'abbe Santal etait convie a
dejeuner par le doyen de Pont-l'Eveque, vers onze heures il vint prendre
conge de M. Floche et de moi qui ne m'avisai pas aussitot qu'il me
soufflait ainsi cheval et carriole.

Au dejeuner je jouai donc la petite comedie que j'avais premeditee:

--Allons bon! Quel ennui!... murmurai-je en ouvrant une des enveloppes
que m'avait tendues Madame Floche; et comme, par discretion, aucun de
mes hotes ne relevait mon exclamation, je repris de plus belle: Quel
contre-temps! en jouant la surprise de la deconvenue, tandis que mes
yeux parcouraient un anodin billet. Enfin Madame Floche se hasarda a me
demander d'une voix timide:

--Quelque facheuse nouvelle, cher Monsieur?

--Oh! rien de tres grave, repondis-je aussitot. Mais helas! je vois
qu'il va me falloir rentrer a Paris sans retard, et de la vient ma
contrariete.

D'un bout a l'autre de la table la stupeur fut generale, depassant mon
attente au point que je me sentis rougir de confusion. Cette stupeur se
traduisit d'abord par un morne silence, puis enfin Monsieur Floche,
d'une voix un peu tremblante:

--Est-il vraiment possible, cher jeune ami? Mais votre travail! Mais
notre ...

Il ne put achever. Je ne trouvais rien a repondre, rien a dire et, ma
foi, me sentais passablement emu moi-meme. Mes yeux se fixaient sur le
sommet de la tete de Casimir qui, le nez dans son assiette, coupait une
pomme en petits morceau. Mademoiselle Verdure etait devenue pourpre
d'indignation.

--Je croirais indiscret d'insister pour vous retenir, hasarda faiblement
Madame Floche.

--Pour les distractions que peut offrir la Quartfourche! dit aigrement
Madame de Saint-Aureol ...

--Oh! Madame, croyez bien que rien ne ... essayai-je de protester; mais,
sans m'ecouter, la baronne criait a tue-tete dans l'oreille de son mari
assis a cote d'elle:

--C'est Monsieur Lacase qui veut deja nous quitter.

--Charmant! Charmant! tres sensible, fit le sourd en souriant vers moi.

Cependant Madame Floche, vers Mademoiselle Verdure;

--Mais comment allons-nous pouvoir faire ...? la jument qui vient de
partir avec l'abbe.

Ici je rompis d'une semelle:

--Pourvu que je sois a Paris demain matin a la premiere heure ... Au
besoin de train de cette nuit suffirait.

--Que Gratien aille tout de suite voir si le cheval de Bouligny peut
servir. Dites qu'il faudrait mener quelqu'un pour le train de ... et se
tournant vers moi:--Vraiment le train de sept heures suffirait?

--Oh! Madame, je suis desole de vous causer tant d'embarras ...

Le dejeuner s'acheva dans le silence. Sitot apres, le petit pere Floche
m'entraina, et, des que nous fumes seuls dans le couloir qui menait a la
bibliotheque ...

--Mais cher Monsieur ... cher ami ... je ne puis croire encore ... mais il
vous reste a prendre connaissance d'un tas de ... Se peut-il vraiment?
quel contretemps! quel facheux contretemps! Justement j'attendais la fin
de votre premier travail pour mettre entre vos mains d'autres papiers
que j'ai ressortis hier soir: je comptais sur eux, je l'avoue, pour vous
interesser a neuf et pour vous retenir davantage. Il va donc me falloir
vous montrer cela tout de suite. Venez avec moi; vous avez encore un peu
de temps jusqu'au soir; car je n'ose, n'est-ce pas, vous demander de
revenir ...?

Devant la deconvenue du vieillard je prenais honte de ma conduite.
J'avais travaille d'arrache-pied toute la journee de la veille et cette
derniere matinee, de sorte qu'en realite il ne me restait plus beaucoup
a glaner sur les premiers papiers que m'avait confies Monsieur Floche;
mais sitot que nous fumes montes dans sa retraite, le voici qui, du fond
d'un tiroir, sortit avec un geste mysterieux un paquet enveloppe de
toiles et ficele; une fiche passee sous la ficelle portait, en maniere
de table, la nomenclature des papiers, leur provenance.

--Emportez tout le paquet, dit-il; tout n'y est sans doute pas bien
fameux; mais vous aurez plus vite fait que moi de demeler la-dedans ce
qui vous interesse.

Tandis qu'il ouvrait puis refermait d'autres tiroirs et s'affairait, je
descendis dans la bibliotheque avec la liasse que je developpai sur la
grande table.

Certains papiers effectivement se rapportaient a mon travail, mais ils
etaient en petit nombre et d'importance mediocre; la plupart, de la main
meme de Monsieur Floche, avaient trait a la vie de Massillon, et,
partant, ne me touchaient guere.

En verite le pauvre Floche comptait-il la-dessus pour me retenir? Je le
regardai; il s'etait a present renfonce dans sa chanceliere et
s'occupait a deboucher minutieusement avec une epingle chacun des trous
d'un petit instrument qui versait de la sandaraque. L'operation finie,
il leva la tete et rencontra mon regard. Un sourire si amical l'eclaira
que je me derangeai pour causer avec lui, et, appuye sur le linteau, a
l'entree de sa portioncule:

--Monsieur Floche, lui dis-je, pourquoi ne venez-vous jamais a Paris? on
serait si heureux de vous y voir.

--A mon age, les deplacements sont difficiles et couteux.

--Et vous ne regrettez pas trop la ville?

--Bah! fit-il en soulevant les mains, je m'appretais a la regretter
davantage. Les premiers temps, la solitude de la campagne parait un peu
severe a quiconque aime beaucoup causer; puis on s'y fait.

--Ce n'est donc pas par gout que vous etes venu vous installer a la
Quartfourche?

Il se degagea de sa chanceliere, se leva, puis posant sa main
familierement sur ma manche:

--J'avais a l'Institut quelques collegues que j'affectionne, dont votre
cher maitre Albert Desnos; et je crois bien que j'etais en passe de
prendre bientot place aupres d'eux ...

Il semblait vouloir parler davantage; pourtant je n'osais poser question
trop directe:

--Est-ce Madame Floche qu'attirait a ce point la campagne?

--N ... non. C'est pourtant pour Madame Floche que j'y suis venu; mais
elle-meme y etait appelee par un petit evenement de famille.

Il etait descendu dans la grande salle et apercut la liasse que j'avais
deja reficelee.

--Ah! vous avez deja tout regarde, dit-il tristement. Sans doute
aurez-vous trouve la peu de provende. Que voulez-vous? les moindres
miettes je les ramasse; parfois je me dis que je perds mon temps a
collectionner des broutilles; mais peut-etre faut-il des hommes comme
moi pour epargner ces menus travaux a d'autres qui comme vous, en
sauront tirer un brillant parti. Quand je lirai votre these je serai
heureux de me dire que ma peine vous aura un tout petit peu profite.

La cloche du gouter nous appela.

Comment arriver a connaitre quel "petit evenement de famille",
pensais-je, a suffi pour decider ainsi ces deux vieux? L'abbe le
connait-il? Au lieu de me butter contre lui, j'aurais du l'apprivoiser.
N'importe! Trop tard a present. Il n'en reste pas moins que Monsieur
Floche est un digne homme et dont je garderai bon souvenir ...

Nous arrivames dans la salle a manger.

--Casimir n'ose pas vous demander si vous ne feriez pas encore un petit
tour de jardin avec lui; je sais qu'il en a grande envie, dit Madame
Floche; mais le temps vous manquera peut-etre?

L'enfant qui plongeait le visage dans un bol de lait s'engoua.

--J'allais lui proposer de m'accompagner; j'ai pu mettre au pair mon
travail et vais etre libre jusqu'au depart. Precisement il ne pleut
plus ... Et j'entrainai l'enfant dans le parc.

Au premier detour de l'allee, l'enfant qui tenait une de mes mains dans
les deux siennes, longuement la pressa contre son visage brulant:

--Vous aviez dit que vous resteriez huit jours ...

--Mon pauvre petit! je ne peux pas rester plus longtemps.

--Vous vous ennuyez.

--Non! mais il faut que je parte.

--Ou allez-vous?

--A Paris. Je reviendrai.

A peine eus-je lache ce mot qu'il me regarda anxieusement.

--C'est bien vrai? Vous le promettez?

L'interrogation de cet enfant etait si confiante que je n'eus pas le
coeur de me dedire:

--Veux-tu que je t'ecrive sur un petit papier que tu garderas?

--Oh! oui, fit-il en embrassant ma main bien fort et manifestant sa joie
par de bondissements frenetiques.

--Sais-tu ce qui serait gentil, maintenant? Au lieu d'aller pecher, nous
devrions cueillir des fleurs pour ta tante; on irait tous les deux lui
porter un gros bouquet dans sa chambre pour lui faire une belle
surprise.

Je m'etais promis de ne point quitter la Quartfourche sans avoir visite
la chambre d'une des vieilles dames; comme elles circulaient
continuellement d'un bout a l'autre de la maison, je risquais fort
d'etre derange dans mon investigation indiscrete; je comptais sur
l'enfant pour autoriser ma presence; si peu naturel qu'il put paraitre
que je penetrasse a sa suite dans la chambre de sa grand'mere ou de sa
tante, grace au pretexte du bouquet trouverais-je, en cas de surprise,
une facile contenance.

Mais cueiller des fleurs a la Quartfourche n'etais pas aussi aise que je
le supposais. Gratien exercait sur tout le jardin une surveillance
farouche; non seulement il indiquait les fleurs qui supportaient d'etre
cueillies, mais encore etait-il jalousement regardant sur la maniere de
les cueillir. Il y fallait secateur ou serpette et, de plus, quelles
precautions! C'est ce que Casimir m'expliquait. Gratien nous accompagna
jusqu'au bord d'une corbeille de dahlias superbes ou l'on pouvait
prelever maints bouquets sans que seulement il y parut.

--Au-dessus de l'oeil. Monsieur Casimir; combien de fois faut-il qu'on
vous le repete? coupez toujours au-dessus de l'oeil.

--En cette fin de saison, cela n'a plus aucune importance, m'ecriai-je
impatiemment.

Il repondit en grommelant que "ca a toujours de l'importance" et que "il
n'y a pas de saison pour mal faire". J'ai horreur des bougons
sentencieux ...

L'enfant me preceda, portant la gerbe. En passant dans le vestibule je
m'etais empare d'un vase ...

Dans la chambre regnait un paix religieuse; les volets etaient clos;
pres du lit enfonce dans une alcove, un prie-Dieu d'acajou et de velours
grenat au pied d'un petit crucifix d'ivoire et d'ebene; contre le
crucifix, le cachant a demi, un mince rameau de buis suspendu a une
faveur rose et maintenu sous un bras de la croix. Le recueillement de
l'heure appelait la priere; j'oubliais ce que j'etais venu faire et la
vaine curiosite qui m'avait attire en ce lieu; je laissais Casimir
appreter a son gre les fleurs sur une commode, et je ne regardais plus
rien dans la chambre: C'est ici, dans ce grand lit, pensais-je, que la
bonne vieille Floche achevera bientot de s'eteindre, a l'abri des
souffles de la vie ... O barques qui souhaitez la tempete! que tranquille
est ce port!

Casimir cependant s'impatientait contre les fleurs; les capitules
pesants des dahlias l'emportaient; tout le bouquet cabriolait a terre.

--Si vous m'aidiez, dit-il enfin.

Mais tendis que je m'evertuais a sa place, il courait a l'autre bout de
la piece vers un secretaire qu'il ouvrait.

--Je vais vous faire le billet ou vous promettez de revenir.

--C'est cela, repartis-je, me pretant a la simagree. Depeche-toi. Ta
tante serait tres fachee si elle te voyait fouiller dans son secretaire.

--Oh! ma tante est occupee a la cuisine; et puis elle ne me gronde
jamais.

De son ecriture la plus appliquee il couvrit une feuille de papier a
lettre.

--A present venez signer.

Je m'approchai:

--Mais Casimir, tu n'avais pas a signer toi-meme! dis-je en riant.
L'enfant, pour donner plus de poids, sans doute, a cet engagement, et
pour qu'il lui parut y engager lui-meme sa parole, avait cru bon
d'ecrire aussi son nom au bas de la feuille ou je lus:

_Monsieur Lacase promet de revenir l'annee prochaine a la Quartfourche.
Casimir de Saint-Aureol_.

Un instant il resta tout deconcerte par ma remarque et par mon rire: il
y allait de tout son coeur, lui! Ne le prenais-je donc pas au serieux?
Il etait bien pres de pleurer.

--Laisse-moi me mettre a ta place pour que je signe.

Il se leva puis, quand j'eus signe le billet, sauta de joie et couvrit
ma main de baisers. J'allais partir: il me retint par la manche et,
penche sur le secretaire:

--Je vais vous montrer quelque chose, dit-il en faisant jouer un ressort
et glisser un tiroir dont il connaissait le secret; puis ayant fouille
parmi des rubans et des quittances, il me tendit une fragile miniature
encadree:

--Regardez.

Je m'approchai de la fenetre.

Quel est ce conte ou le heros tombe amoureux du seul portrait de la
princesse? Ce devait etre ce portrait-la. Je n'entends rien a la
peinture et me soucie peu du metier; sans doute un connaisseur eut-il
juge cette miniature affetee: sous trop de complaisante grace s'effacait
presque le caractere: mais cette pure grace etait telle qu'on ne la put
oublier.

Peu m'importaient vous dis-je les qualites ou les defauts de la
peinture: la jeune femme que j'avais devant moi et dont je ne voyais que
le profil, une tempe a demi cachee par une lourde boucle noire, un oeil
languide et tristement reveur, la bouche entr'ouverte et comme
soupirante, le col fragile autant qu'une tige de fleur, cette femme
etait de la plus troublante, de la plus angelique beaute. A la
contempler j'avais perdu conscience du lieu, de l'heure; Casimir qui
d'abord s'etait eloigne, achevant d'appreter les fleurs, revint a moi,
se pencha:

--C'est maman ... Elle est bien jolie n'est-ce pas!

J'etais gene devant l'enfant de trouver sa mere si belle.

--Ou est-elle a present, ta maman?

--Je ne sais pas.

--Pourquoi n'est-elle pas ici?

--Elle s'ennuie ici.

--Et ton papa?

Un peu confusement, baissant la tete et comme honteux il repondit:

--Mon papa est mort.

Mes questions l'importunaient; mais j'etais resolu a pousser plus avant.

--Elle vient bien te voir quelquefois, ta maman?

--Oh! oui, souvent! dit-il avec conviction, en relevant soudain la tete.
Il ajouta un peu plus bas:

--Elle vient causer avec ma tante.

--Mais avec toi, elle cause bien aussi?

--Oh! moi, je ne sais pas lui parler ... Et puis quand elle vient, je
suis couche.

--Couche!

--Oui, elle vient la nuit ... Puis, cedant a sa confiance (il avait pris
ma main, car j'avais repose le portrait) tendrement et comme en secret:

--La derniere fois elle est venue m'embrasser dans mon lit.

--Elle ne t'embrasse donc pas d'ordinaire?

--Oh! si beaucoup.

--Alors pourquoi dis-tu "la derniere fois"?

--Parce qu'elle pleurait.

--Elle etait avec ta tante?

--Non; elle etait entree toute seule dans le noir; elle croyait que je
dormais.

--Elle t'a reveille.

--Oh! je ne dormais pas. Je l'attendais.

--Tu savais donc qu'elle etait la.

Il baissa la tete de nouveau, sans repondre. J'insistai:

--Comment savais-tu qu'elle etait la?

Pas de reponse. Je repris:

--Dans le noir, comment as-tu pu voir qu'elle pleurait?

--Oh! j'ai senti.

--Tu ne lui as pas demande de rester?

--Oh! si. Elle etait penchee sur mon lit; je la tenais par les
cheveux ...

--Et qu'est-ce qu'elle disait?

--Elle riait; elle disait que je la decoiffais; mais qu'il fallait
qu'elle s'en aile.

--Elle ne t'aime donc pas?

--Oh! si; elle m'aime beaucoup, cria-t-il, brusquement ecarte de moi et
le visage empourpre plus encore, d'une voix si passionnee que je pris
honte de ma question.

La voix de Madame Floche retentit au bas de l'escalier:

--Casimir! Casimir! va dire a Monsieur Lacase qu'il serait temps de
s'appreter. La voiture sera la dans une demi-heure.

Je m'elancai, degringolai l'escalier, rejoignis la vieille dans le
vestibule.

--Madame Floche! quelqu'un pourrait-il porter une depeche? J'ai trouve
un expedient qui me permettra je crois de passer quelques jours de plus
pres de vous.

Elle pris mes deux mains dans les deux siennes:

--Ah! Que c'est improbable! cher Monsieur ... Et comme son emotion ne
trouvait rien d'autre a dire, elle repetait: Que c'est improbable!...
puis, courant sous la fenetre de Floche:

--Bon ami! Bon ami! (c'est ainsi qu'elle l'appelait) Monsieur Lacase
veut bien rester.

La faible voix sonnait comme un grelot fele, mais parvint cependant; je
vis la fenetre s'ouvrir, Monsieur Floche se pencher un instant; puis,
aussitot qu'il eut compris:

--Je descends! Je descends!

Casimir je joignait a lui; durant quelques instants je dus faire face
aux congratulations de chacun; on eut dit que j'etais de la famille.

Je redigeai je ne sais plus quel fantaisiste texte de depeche que je fis
expedier a une adresse imaginaire.

--J'ai peur, a dejeuner, d'avoir ete un peu indiscrete en vous priant
trop fort, dit Madame Floche; puis-je esperer que, si vous restez, vos
affaires de Paris n'en souffriront pas trop?

--J'espere que non, chere Madame. Je prie un ami de prendre soin de mes
interets.

Madame de Saint-Aureol etait survenue; elle s'eventait et tournait dans
la piece en criant de sa voix la plus aigue.--Qu'il est aimable! Ah!
mille graces ... Qu'il est aimable!--puis disparut, et le calme se
retablit.

Peu avant le diner l'abbe rentra de Pont-l'Eveque; comme il n'avait pas
eu connaissance de ma velleite de depart, il ne put etre surpris
d'apprendre que je restais.

--Monsieur Lacase, dit-il assez affablement, j'ai rapporte de
Pont-l'Eveque quelques journaux; pour moi je ne suis pas grand amateur
des racontars de gazettes, mais j'ai pense qu'ici vous etiez un peu
prive de nouvelles et que ces feuilles pourraient vous interesser.

Il fouillait sa soutane:--Allons! Gratien les aura montes dans ma
chambre avec mon sac. Attendez un instant; je m'en vais les querir.

--N'en faites rien, Monsieur l'abbe, c'est moi qui monterai les
chercher.

Je l'accompagnai jusqu'a sa chambre; il me pria d'entrer. Et tandis
qu'il brossait sa soutane et s'appretait pour le diner:

--Vous connaissiez la famille de Saint-Aureol avant de venir a la
Quartfourche? demandai-je apres quelques propos vagues.

--Non, me dit-il.

--Ni Monsieur Floche?

--J'ai passe brusquement des missions a l'enseignement. Mon superieur
avait ete en relations avec Monsieur Floche, et m'a designe pour les
fonctions que je remplis presentement; non, avant de venir ici je ne
connaissais ni mon eleve ni ses parents.

--De sorte que vous ignorez quels evenements ont brusquement pousse
Monsieur Floche a quitter Paris il y a quelque quinze ans, au moment
qu'il allait entrer a l'Institut.

--Revers de fortune, grommela-t-il.

--Et quoi! Monsieur et Madame Floche vivraient ici aux crochets des
Saint-Aureol!

--Mais non, mais non, fit-il impatiente; ce sont les Saint-Aureols qui
sont ruines ou presque; toutefois la Quartfourche leur appartient; les
Floche, qui sont dans une situation aisee, habitent avec eux pour les
aider; ils subviennent au train de maison et permettent ainsi aux
Saint-Aureol de conserver la Quartfourche, qui doit revenir plus tard a
Casimir; c'est je crois tout ce que l'enfant peut esperer ...

--La belle-fille est sans fortune?

--Quelle belle-fille? La mere de Casimir n'est pas la bru, c'est la
propre fille des Saint-Aureol.

--Mais alors, le nom de l'enfant?--Il feignit de ne point comprendre.--
Ne s'appelle-t-il pas Casimir de Saint-Aureol?

--Vous croyez! dit-il ironiquement. Eh bien! il faut supposer que
Mademoiselle de Saint-Aureol aura epouse quelque cousin du meme nom.

--Fort bien! fis-je, comprenant a demi, hesitant pourtant a conclure. Il
avait acheve de brosser sa soutane; un pied sur le rebord de la fenetre
il flanquait de grands coups de mouchoir pour epousseter ses souliers.
--Et vous la connaissez ... Mademoiselle de Saint-Aureol?

--Je l'ai vue deux ou trois fois; mais elle ne vient ici qu'en courant.

--Ou vit-elle?

Il se releva, jeta dans un coin de la chambre le mouchoir empoussiere:

--Alors c'est un interrogatoire?... puis se dirigeant vers sa toilette:
--On va sonner pour le diner et je ne serai pas pret!

C'etait une invite a le laisser; ses levres serrees certainement en
gardaient gros a dire, mais pour l'instant ne laisseraient plus rien
echapper.




V


Quatre jours apres j'etais encore a la Quartfourche; moins angoisse
qu'au troisieme jour, mais plus las. Je n'avais rien surpris de nouveau,
ni dans les evenements de chaque jour, ni dans les propos de mes hotes;
d'inanition deja je sentais ma curiosite se mourir. Il faut donc
renoncer a en decouvrir davantage, pensais-je appretant de nouveau mon
depart: autour de moi tout se refuse a m'instruire; l'abbe fait le muet
depuis que j'ai laisse paraitre combien ce qu'il sait m'interesse; a
mesure que Casimir me marque plus de confiance, je me sens devant lui
plus contraint; je n'ose plus l'interroger et du reste je connais a
present tout ce qu'il aurait a me dire: rien de plus que le jour ou il
me montrait le portrait.

Si pourtant; l'enfant innocemment m'avait appris le prenom de sa mere.
Sans doute j'etais fous de m'exalter ainsi sur une flatteuse image
vraisemblablement vieille de plus de quinze ans; et si meme Isabelle de
Saint-Aureol, durant mon sejour a la Quartfourche, risquait une de ces
fugitives apparition dont je savais a present qu'elle etait coutumiere,
sans doute je ne pourrais, n'oserais me trouver sur son passage.
N'importe! ma pensee soudain tout occupee d'elle echappait a l'ennui;
ces derniers jours avaient fui d'une fuite ailee et je m'etonnais que
s'achevat deja cette semaine. Il n'avait pas ete question que je
restasse plus longtemps chez les Floche et mon travail ne m'offrait plus
aucune raison de m'attarder, mais, ce dernier matin encore, je
parcourais le parc que l'automne rendait plus vaste et sonore, appelant
a demi-voix, puis a voix plus haute: Isabelle!... et ce nom qui m'avait
deplu tout d'abord, se revetait a present pour moi d'elegance, se
penetrait d'un charme clandestin ... Isabelle de Saint-Aureol! Isabelle!
J'imaginais sa robe blanche fuir au detour de chaque allee; a travers
l'inconstant feuillage, chaque rayon rappelait son regard, son sourire
melancolique, et comme encore j'ignorais l'amour, je me figurais que
j'aimais et, tout heureux d'etre amoureux, m'ecoutais avec complaisance.

Que le parc etait beau! et qu'il s'appretait noblement a la melancolie
de cette saison declinante. J'y respirais avec enivrement l'odeur des
mousses et des feuilles pourrissantes. Les grands marronniers roux, a
demi depouilles deja, ployaient leurs branches jusqu'a terre; certains
buissons pourpres rutilaient a travers l'averse; l'herbe, aupres d'eux,
prenait une verdeur aigue; il y avait quelques colchiques dans les
pelouses du jardin; un peu plus bas, dans le vallon, une prairie en
etait rose, que l'on apercevait de la carriere ou, quand la pluie
cessait, j'allais m'asseoir--sur cette meme pierre ou je m'etais assis
le premier jour avec Casimir; ou, reveuse, Mademoiselle de Saint-Aureol
s'etait assise naguere, peut-etre ... et je m'imaginais assis pres
d'elle.

Casimir m'accompagnait souvent, mais je preferais marcher seul. Et
presque chaque jour la pluie me surprenait dans le jardin; trempe, je
rentrais me secher devant le feu de la cuisine. Ni la cuisiniere, ni
Gratien ne m'aimaient; mes avances reiterees n'avaient pu leur arracher
trois paroles. Du chien non plus, caresses ou friandises n'avaient pu me
faire un ami; Terno passait presque toutes les heures du jour couche
dans l'atre vaste, et quand j'en approchais il grognait. Casimir que je
retrouvais souvent, assis sur la margelle du foyer, epluchant des
legumes ou lisant, y allait alors d'une tape, s'affectant que son chien
ne m'accueillit pas en ami. Prenant le livre des mains de l'enfant je
poursuivais a haute voix sa lecture; lui, restait appuye contre moi; je
le sentais m'ecouter de tout son corps.

Mais ce matin-la l'averse me surprit si brusque et si violente que je ne
pus songer a rentrer au chateau; je courus m'abriter au plus proche;
c'etait ce pavillon abandonne que vous avez pu voir a l'autre extremite
du parc, pres de la grille; il etait a present delabre: pourtant une
premiere salle assez vaste restait elegamment lambrissee comme le salon
d'un pavillon de plaisance; mais les boiseries vermoulues crevaient au
moindre choc ...

Quand j'entrai, poussant la porte mal close, quelques chauves-souris
tournoyerent, puis s'elancerent au dehors par la fenetre devitree.
J'avais cru l'averse passagere, mais, tandis que je patientais, le ciel
acheva de s'assombrir. Me voici bloque pour longtemps! Il etait dix
heures et demie; on ne dejeunait qu'a midi. J'attendrai jusqu'au premier
coup de cloche, que l'on entend d'ici certainement, pensai-je. J'avais
sur moi de quoi ecrire et, comme ma correspondance etait en retard, je
pretendis me prouver a moi-meme qu'il n'est pas moins aise d'occuper
bien une heure qu'une journee. Mais ma pensee incessamment me ramenait a
mon inquietude amoureuse: ah! si je savais que quelque jour elle dut
reparaitre en ce lieu, j'incendierais ces murs de declarations
passionnees ... Et lentement m'imbibait un ennui douloureux, lourd de
larmes. Je restais effondre dans un coin de la piece, n'ayant trouve
siege ou m'asseoir, et comme un enfant perdu je pleurais.

Certes le mot Ennui est bien faible pour exprimer ces detresses
intolerables a quoi je fus sujet de tout temps; elles s'emparent de nous
tout-a-coup; la quantite de l'heure les declare; l'instant auparavant
tout vous riait et l'on riait a toute chose; tout-a-coup une vapeur
fuligineuse s'essore du fond de l'ame et s'interpose entre le desir et
la vie; elle forme un ecran livide, nous separe du reste du monde dont
la chaleur, l'amour, la couleur, l'harmonie ne nous parviennent plus que
refractes en une transposition abstraite: on constate, on n'est plus
emu; et l'effort desespere pour crever l'ecran isolateur de l'ame nous
menerait a tous les crimes, au meurtre ou au suicide, a la folie ...

Ainsi revais-je en ecoutant ruisseler la pluie. Je gardais a la main le
canif que j'avais ouvert pour tailler mon crayon, mais la feuille de mon
carnet restait vide; a present, de la pointe de ce canif, sur le panneau
voisin je tachais de sculpter son nom; sans conviction, mais parce que
je savais que les amants transis ont accoutume d'ainsi faire; a tout
instant le bois pourri cedait; un trou venait en place de la lettre;
bientot, sans plus d'application, par desoeuvrement, imbecile besoin de
detruire, je commencai de taillader au hasard. Le lambris que j'abimais
se trouvait immediatement sous la fenetre; le cadre en etait disjoint a
la partie superieure, de sorte que le panneau tout entier pouvait
glisser de bas en haut dans les rainures laterales; c'est ce que je
remarquai lorsque l'effort de mon couteau inopinement le souleva.

Quelques instants apres j'achevais d'emietter le lambris. Avec le debris
de bois, une enveloppe tomba sur le plancher; tachee, moisie, elle avait
pris le ton de la muraille, au point que tout d'abord elle n'etonna
point mon regard; non, je ne m'etonnai pas de la voir; il ne me
paraissait pas surprenant qu'elle fut la et telle etait mon apathie que
je ne cherchai pas aussitot a l'ouvrir. Laide, grise, souillee, on eut
dit un platras, vous dis-je. C'est par desoeuvrement que je la pris;
c'est machinalement que je la pris; c'est machinalement que je la
dechirai. J'en sortis deux feuillets couverts d'une grande ecriture
desordonnee, palie, presque effacee par endroits. Que venait faire la
cette lettre? Je regardai la signature et j'eus un eblouissement: le nom
d'Isabelle etait au bas de ces feuillets!

Elle occupait a ce point mon esprit ... j'eus un instant l'illusion
qu'elle m'ecrivait a moi-meme:

_Mon amour, voici ma derniere lettre ..._ disait-elle. _Vite ces quelques
mots encore, car je sais que ce soir je ne pourrai plus rien te dire;
mes levres, pres de toi, ne sauront plus trouver que des baisers. Vite,
pendant que je puis parler encore; ecoute: Onze heures c'est trop tot;
mieux vaut minuit. Tu sais que je meurs d'impatience et que l'attente
m'extenue, mais pour que je m'eveille a toi il faut que toute la maison
dorme. Oui, minuit; pas avant. Viens a ma rencontre jusqu'a la porte de
la cuisine, (en suivant le mur du potager qui est dans l'ombre et
ensuite il y a des buissons) attends-moi la et non pas devant la grille,
non que j'aie peur de traverser seule le jardin, mais parce que le sac
ou j'emporte un peu de vetements sera tres lourd et que je n'aurai pas
la force de le porter longtemps.

En effet il vaut mieux que la voiture reste en bas de la ruelle ou nous
la retrouverons facilement. A cause des chiens de la ferme qui
pourraient aboyer et donner l'eveil, c'est plus prudent.

Mais non mon ami, il n'y avait pas moyen, tu le sais, de nous voir
davantage et de convenir de tout ceci de vive voix. Tu sais qu'ici je
vis captive et que les vieux ne me laissent pas plus sortir qu'ils ne te
permettent a toi de rentrer. Ah! de quel cachot je m'echappe ... Oui
j'aurai soin de prendre des souliers de rechange que je mettrai sitot
que nous serons dans la voiture, car l'herbe du bas du jardin est
trempee.

Comment peux-tu me demander encore si je suis resolue et prete? Mais mon
amour, voici des mois que je me prepare et que je me tien prete! des
annees que je vis dans l'attente de cet instant!--Et si je ne vais rien
regretter?--Tu m'as donc pas compris que j'ai pris tous ceux qui
s'attachent a moi en horreur, tous ceux qui m'attachent ici. Est-ce
vraiment la douce et la craintive Isa qui parle? Mon ami, mon amant,
qu'avez-vous fait de moi, mon amour?...

J'etouffe ici; je songe a tout l'ailleurs qui s'entr'ouve ... J'ai
soif ...

J'allais oublier de te dire qu'il n'y a pas eu moyen d'enlever les
saphirs de l'ecrin, parce que ma tante n'a plus laisse ses clefs dans sa
chambre; aucune de celles que j'ai essayees n'a pus aller au tiroir ...
Ne me gronde pas; j'ai le bracelet de maman, la chaine emaillee et deux
bagues--qui n'ont sans doute pas grande valeur puisqu'elle ne les met
pas; mais je crois que la chaine est tres belle. Pour de l'argent ... je
ferai mon possible; mais tu feras tout de meme bien de t'en procurer.

A toi de toutes mes prieres. A bientot, ton Isa.

Ce 22 Octobre, anniversaire de ma vingt-deuxieme annee et veille de mon
evasion._

Je songe avec terreur, si j'avais a cuisiner en roman cette histoire,
aux quatre ou cinq pages de developpements qu'il sierait ici de gonfler:
reflexions apres lecture de cette lettre, interrogations, perplexites ...
En verite, comme apres un tres violent choc, j'etais tombe dans un etat
semi-lethargique. Quand enfin parvint a mon oreille, a travers la
confuse rumeur de mon sang, un son de cloche, qui redoubla: c'est le
second appel du dejeuner, pensai-je; comment n'ai-je pas entendu le
premier? Je tirai ma montre: midi! Aussitot, bondissant au dehors,
l'ardente lettre pressee contre mon coeur, je m'elancai tete nue sous
l'averse.

Les Floche deja s'inquietaient de moi et, quand j'arrivai tout
soufflant:

--Mais vous etes trempe! completement trempe, cher Monsieur!--Puis ils
protesterent que personne ne se mettrait a table que je n'eusse change
de vetements: et des que je fus redescendu ils questionnerent avec
sollicitude; je dus raconter que, retenu dans le pavillon, j'attendais
en vain un repit de l'averse; alors ils s'excuserent du mauvais temps,
de l'affreux etat des allees, de ce que l'on avait sans doute sonne le
second coup plus tot, le premier coup moins fort qu'a l'ordinaire ...
Mademoiselle Verdure avait ete chercher un chale dont on me supplia de
couvrir mes epaules, parce que j'etais encore en sueur et que je
risquais de prendre mal. L'abbe cependant m'observait sans mot dire, les
levres serrees jusqu'a la grimace; et j'etais si nerveux que, sous
l'investigation de son regard, je me sentais rougir et me troubler comme
un enfant fautif. Il importe pourtant de l'amadouer, pensais-je, car
desormais je n'apprendrai rien que par lui seul; lui seul peut
m'eclairer le detour de cette tenebreuse histoire ou m'achemine deja
moins de curiosite que d'amour.

Apres le cafe, la cigarette que j'offrais a l'abbe servait de pretexte
au dialogue; pour ne point incommoder la baronne, nous allions fumer
dans l'orangerie.

--Je croyais que vous ne deviez rester ici que huit jours, commenca-t-il
sur un ton d'ironie.

--Je comptais sans l'amabilite de nos hotes.

--Alors, les documents de Monsieur Floche ...?

--Assimiles ... Mais j'ai trouve de quoi m'occuper davantage.

J'attendais une interrogation; rien ne vint.

--Vous devez connaitre dans les coins le double fond de ce chateau
repartis-je impatiemment.

Il ouvrit de grands yeux, plissa son front, prit un air de candeur
stupide.

--Pourquoi Madame ou Mademoiselle de Saint-Aureol, la mere de votre
eleve, n'est-elle pas ici, pres de nous, a partager ses soins entre son
fils infirme et ses vieux parents?

Pour mieux jouer l'etonnement il jeta sa cigarette et ouvrit les mains
en parentheses des deux cotes de son visage.

--Sans doute que ses occupations la retiennent ailleurs ...
marmonna-t-il. Quelle insidieuse question est-ce la?

--En souhaitez-vous une plus precise: Qu'a fait Madame ou Mademoiselle
de Saint-Aureol, la mere de votre eleve, certaine nuit du 22 Octobre que
devait venir l'enlever son amant?

Il campa ses poings sur ses hanches:

--Eh la! Eh la! Monsieur le romancier--(par vanite, par faiblesse, je
m'etais laisse aller precedemment a ce genre de confidences que devrait
inspirer jamais qu'une profonde sympathie; et depuis qu'il savait mes
pretentions il s'amusait de moi d'une maniere qui deja me devenait
insupportable)--N'allez-vous pas un peu trop vite?... Et puis-je vous
demander a mon tour comment vous etes si bien renseigne?

--Parce que la lettre qu'Isabelle de Saint-Aureol ecrivait a son amant
ce jour-la, ce n'est pas lui qui l'a recue; c'est moi.

Decidement il fallait compter sur moi, l'abbe a ce moment apercut une
petite tache sur la manche de sa soutane et commenca de la gratter du
bout de l'ongle; il entrait en composition.

--J'admire ceci ... que des qu'on se croit ne romancier on s'accorde
aussitot tous les droits. Un autre y regarderait a deux fois avant de
prendre connaissance d'une lettre qui ne lui est pas adressee.

--J'espere plutot, Monsieur l'abbe, qu'il n'en prendrait pas
connaissance du tout.

Je le considerais fixement; mais il grattait toujours, les yeux baisses.

--Je ne suppose pourtant pas qu'on vous l'ait donnee a lire.

--Cette lettre est tombee dans mes mains par hasard; l'enveloppe,
vieille, sale, a demi dechiree, ne portait aucune trace d'ecriture; en
l'ouvrant j'ai vu une lettre de Mademoiselle de Saint-Aureol; mais
adressee a qui?... Allons! Monsieur l'abbe, secondez-moi: qui etait, il
y a quatorze ans, l'amant de Mademoiselle de Saint-Aureol?

L'abbe s'etait leve; il commenca de marcher a petits pas de long en
large, la tete basse, les mains croisees dans le dos; repassant derriere
ma chaise, il s'arreta, et brusquement je sentis ses mains s'abattre sur
mes epaules:

--Montrez-moi cette lettre.

--Parlerez-vous?

Je sentis fremir d'impatience son etreinte.

--Ah! pas de condition, je vous en prie! Montrez-moi cette lettre ...
simplement.

--Laissez que j'aille la chercher, dis-je en essayant de me degager.

--Vous l'avez la dans votre poche.

Ses yeux visaient au bon endroit, comme si ma veste eut ete
transparente; il n'allait pourtant pas me fouiller!...

J'etais tres mal pose pour me defendre, et contre un grand gaillard plus
fort que moi; puis, quel moyen, ensuite, de le decider a parler. Je me
retournai pour voir presque contre le mien son visage; un visage gonfle,
congestionne, ou se marquaient subitement deux grosses veines sur le
front et de vilaines poches sous les yeux. Alors me forcant de rire par
crainte de voir tout se gater:

--Parbleu l'abbe, avouez que vous aussi vous savez ce que c'est que la
curiosite!

Il lacha prise; je me levai tout aussitot et fis mine de sortir.

--Si vous n'aviez pas eu ces manieres de brigand, je vous l'aurais deja
montree; puis, le prenant par le bras:--mais rapprochons-nous du salon,
que je puisse appeler au secours.

Par grand effort de volonte je gardais un ton enjoue, mais mon coeur
battait fort.

--Tenez: lisez-la devant moi, dis-je en tirant la lettre de ma poche; je
veux apprendre de quel oeil un abbe lit une lettre d'amour.

Mais, de nouveau maitre de lui, il ne laissait paraitre son emotion qu'a
l'irrepressible titillement d'un petit muscle de sa joue. Il lut; puis
huma le papier, renifla, en froncant aprement les sourcils de maniere
qu'il semblait que ses yeux s'indignassent de la gourmandise de son nez;
puis repliant le papier et me le rendant, dit d'un ton un peu solennel:

--Ce meme 22 Octobre mourait le Vicomte Blaise de Gonfreville, victime
d'un accident de chasse.

--Vous me faites fremir! (mon imagination aussitot construisait un drame
epouvantable). Sachez que j'ai trouve cette lettre derriere une boiserie
du pavillon ou certainement il eut du venir la chercher.

L'abbe m'apprit alors que le fils aine des Gonfreville, dont la
propriete touchait a celle des Saint-Aureol, avait ete retrouve sans vie
au pied d'une barriere qu'apparemment il s'appretait a franchir,
lorsqu'un mouvement maladroit avait fait partir son fusil. Pourtant,
dans le canon du fusil ne se trouvait pas de cartouche. Aucun
renseignement ne put etre donne par personne; le jeune homme etait sorti
seul et personne ne l'avait vu; mais, le lendemain, un chien de la
Quartfourche fut surpris pres du pavillon lechant une flaque de sang.

--Je n'etais pas encore a la Quartfourche, continua-t-il, mais, d'apres
les renseignements que j'ai pu recueillir, il me semble avere que le
crime a ete commis par Gratien, qui sans doute avait surpris les
relations de sa maitresse avec le vicomte, et peut-etre avait evente son
projet de fuite (projet que j'ignorais moi-meme avant d'avoir lu cette
lettre); c'est un vieux serviteur bute, butor meme au besoin, qui pour
defendre le bien de ses maitres ne croit devoir reculer devant rien.

--Comment ne l'a-t-on pas arrete?

--Personne n'avait interet a le poursuivre, et les deux familles de
Gonfreville et de Saint-Aureol craignaient egalement le bruit autour de
cette facheuse histoire; car, quelques mois apres, Mademoiselle de
Saint-Aureol mettait au monde un malheureux enfant. On attribue
l'infirmite de Casimir aux soins que sa mere avait pris pour dissimuler
sa grossesse; mais Dieu nous enseigne que c'est souvent sur les enfants
que retombe le chatiment des peres. Venez avec moi jusqu'au pavillon; je
suis curieux de voir l'endroit ou vous avez trouve la lettre.

Le ciel s'etait eclairci; nous nous acheminames ensemble.


Tout alla fort bien a l'aller; l'abbe m'avait pris le bras; nous
marchions d'un meme pas et causions sans heurts. Mais au retour tout se
gata. Sans doute restions-nous passablement exaltes l'un et l'autre par
l'etrangete de l'aventure; mais chacun tres differemment; moi, vite
desarme par la complaisance souriante que l'abbe finalement avait mise a
me renseigner, deja j'oubliais sa soutane, ma retenue, je me laissais
aller a lui parler comme a un homme. Voici je crois comment la brouille
commenca:

--Qui nous racontera, disais-je, ce que fit Mademoiselle de Saint-Aureol
cette nuit-la! Sans doute elle n'apprit que le lendemain la mort du
comte? L'attendit-elle, et jusqu'a quand, dans le jardin? Que
pensait-elle en ne le voyant pas venir?

L'abbe se taisait, completement insensible a mon lyrisme psychologique;
je reprenais:

--Imaginez cette delicate jeune fille, le coeur lourd d'amour et
d'ennui, la tete folle: Isabelle la passionnee ...

--Isabelle la devergondee, soufflait l'abbe a demi-voix.

Je continuais comme si je n'avais pas entendu, mais deja prenant elan
pour riposter a l'interjection prochaine:

--Songez a tout ce qu'il a fallu d'esperance et de desespoir, de ...

--Pourquoi songer a tout cela? interrompit-il sechement. Nous n'avons
pas a connaitre des evenements plus que ce qui peut nous instruire.

--Mais suivant que nous en connaissons plus ou moins, ils nous
instruisent differemment ...

--Que pretendez-vous dire?

--Que la connaissance superficielle des evenements ne concorde pas
toujours, pas souvent meme, avec la connaissance profonde que nous en
pouvons prendre ensuite, et que l'enseignement que l'on en peut tirer
n'est pas le meme; qu'il est bon d'examiner avant de conclure ...

--Mon jeune ami, faites attention que l'esprit d'examen et de curiosite
critique est la larve de l'esprit de revolte. Le grand homme que vous
avez pris pour modele aurait pu bien vous avertir que ...

--Celui sur qui j'ecris ma these, voulez-vous dire ...

--Quel ergoteur vous faites! C'est avec un pareil esprit que ...

--Mais enfin, cher Monsieur l'abbe, j'aimerais bien savoir si ce n'est
pas cette meme curiosite qui vous fait m'accompagner, a cette heure, qui
vous penchait il a quelques instants sur ce lambris creve, et qui vous a
lentement pousse a connaitre de cette histoire tout ce que vous m'en
avez apporte!...

Son pas se faisait plus saccade, sa voix plus breve; avec sa canne il
frappait le sol impatiemment.

--Sans chercher comme vous des explications d'explications, quand j'ai
connu le fait, je m'y tiens. Les evenements lamentables que je vous ai
dits m'enseigneraient, s'il en etait encore besoin, l'horreur du peche
de la chair; ils sont la condamnation du divorce et de tout de que
l'homme a invente pour essayer de pallier aux consequences de ses
fautes. Voici qui suffit, n'est-ce pas!

--Voici qui ne me suffit pas. Le fait ne m'est de rien tant que je ne
penetre pas sa cause. Connaitre la vie secrete d'Isabelle de
Saint-Aureol; savoir par quels chemins parfumes, pathetiques et
tenebreux ...

--Jeune homme, mefiez-vous! vous commencez a en devenir amoureux!...

--Ah! j'attendais cela! Parce que l'apparence ne me suffit pas, que je
ne me paie pas de mots, ni de gestes ... Etes-vous sur de ne pas mejuger
cette femme?

--Une gourgandine!

L'indignation chauffait mon front; je ne la contenais plus qu'a
grand'peine.

--Monsieur l'abbe de tels mots surprennent dans votre bouche. Il me
semble que le Christ nous enseigne plus a pardonner qu'a servir.

--De l'indulgence a la complaisance il n'y a qu'un pas.

--Lui du moins ne l'eut pas condamnee comme vous faites.

--D'abord, ca vous n'en savez rien. Puis Celui qui est sans peche peut
se permettre pour le peche d'autrui plus d'indulgence que celui dont ...
je veux dire que nous autres pecheurs nous n'avons pas a chercher plus
ou moins d'excuse au peche, mais tout simplement a nous en detourner
avec horreur.

--Apres l'avoir bien renifle comme vous avez fait cette lettre.

--Vous etes un impertinent.--Et quittant l'allee brusquement, il partit
a pas precipites par un petit chemin de traverse, jetant encore a la
maniere des Parthes des phrases acerees ou je ne distinguais que les
mots: enseignement moderne ... sorbonnard ... socinien ...!


Quand nous nous retrouvames au diner, il gardait un air renfrogne, mais
en sortant de table il vint a moi en souriant et me tendit une main
qu'en souriant aussi je serrai.

La soiree me parut plus morne encore qu'a l'ordinaire. Le baron geignait
doucement au coin du feu; Monsieur Floche et l'abbe poussaient leurs
pions sans mot dire. Du coin de l'oeil je voyais Casimir, la tete
enfouie dans ses mains, saliver lentement sur son livre que par instants
il epongeait d'un coup de mouchoir. Je ne pretais a la partie de besigue
que ce qu'il fallait d'attention pour ne pas faire perdre trop
ignominieusement ma partenaire; Madame Floche s'apercevait et
s'inquietait de mon ennui; elle faisait de grands efforts pour animer un
peu la partie:

--Allons Olympe! c'est a vous de jouer. Vous dormez?

Non ce n'etait pas le sommeil, mais la mort dont je sentais deja le
tenebreux engourdissement glacer mes hotes; et moi-meme, une angoisse,
une sorte d'horreur, m'etreignait. O printemps! o vents du large,
parfums voluptueux, musiques aerees, jusqu'ici vous ne parviendrez plus
jamais! me disais-je; et je songeais a vous, Isabelle. De quelle tombe
aviez-vous su vous evader! vers quelle vie? La, dans la calme clarte de
la lampe, je vous imaginais, sur vos doigts delicats, laissant peser
votre front pale; une boucle de cheveux noirs touche, caresse votre
poignet. Comme vos yeux regardent loin! de quel ennui sans nom de votre
chair et de votre ame, raconte-t-il la plainte, ce soupir qu'ils
n'entendent pas? Et de moi-meme, a mon insu, s'echappait un soupir
enorme qui tenait du baillement, du sanglot, de sorte que Madame de
Saint-Aureol, jetant son dernier atout sur la table, s'ecriait:

--Je crois que Monsieur Lacase a grande envie de s'en aller coucher.--
Pauvre femme!

Cette nuit je fis un reve absurde; un reve qui n'etait d'abord que la
continuation de la realite:

La soiree n'etait pas achevee; j'etais encore dans le salon, pres de mes
hotes, mais a eux s'adjoignait une societe dont le nombre incessamment
croissait, bien que je ne visse point precisement arriver de personnes
nouvelles; je reconnaissais Casimir assis a la table devant un jeu de
patience vers lequel trois ou quatre figures se penchaient. On parlait a
voix basse, de sorte que je ne distinguais aucune phrase, mais je
comprenais que chacun signalait a son voisin quelque chose
d'extraordinaire et dont le voisin a son tour s'etonnait; l'attention se
portait vers un point, la pres de Casimir, ou tout a coup, je reconnus,
assise a table (comment ne l'avais-je pas dinstinguee plus tot) Isabelle
de Saint-Aureol. Seule parmi les costumes sombres, elle etait vetue tout
en blanc. D'abord elle m'apparut charmante, assez semblable a ce que la
montrait le medaillon; mais au bout d'un instant j'etais frappe par
l'immobilite de ses traits, la fixite de son regard, et soudain je
comprenais ce que l'on chuchotait a l'oreille: ce n'etait pas la la
veritable Isabelle, mais une poupee a sa ressemblance, qu'on mettait a
sa place durant l'absence de la vraie. Cette poupee a present me
paraissait affreuse; j'etais gene jusqu'a l'angoisse par son air de
pretentieuse stupidite; on l'eut dite immobile, mais, tandis que je la
regardais fixement, je la voyais lentement pencher de cote, pencher ...
elle allait chavirer, quand Mademoiselle Olympe, s'elancant de l'autre
extremite du salon, se courba jusqu'a terre, souleva la housse du
fauteuil et remonta je ne sais quel rouage qui faisait un grincement
bizarre et remettait le mannequin d'aplomb en communiquant a ses bras
une grotesque gesticulation d'automate. Puis chacun se leva, l'heure
etant sonnee du couvre-feu; on allait laisser la fausse Isabelle la
seule; en partant chacun la saluait a la turque, excepte le baron qui
s'approchait irreverencieusement, lui saisit a pleine main la perruque
et lui appliqua sur le sinciput deux gros baisers sonores en rigolant.
Des que la societe avait acheve de deserter le salon--et j'avais vu
sortir une foule--des que l'obscurite s'etait faite, je voyais, oui,
dans l'obscurite, je voyais la poupee palir, fremir et prendre vie. Elle
se soulevait lentement, et c'etait Mademoiselle de Saint-Aureol
elle-meme; elle glissait a moi sans bruit; tout a coup je sentais autour
de mon cou ses bras tiedes, et je me reveillais dans la moiteur de son
haleine au moment qu'elle me disait:

--Pour eux je fais l'absente, mais pour toi je suis la.


Je ne suis ni superstitieux ni craintif; si je rallumai ma bougie, ce
fit pour chasser de mes yeux et de mon cerveau cette obsedante image;
j'y eus du mal. Malgre moi j'epiais tous les bruits. S'elle etait la
pourtant! En vain je m'efforcai de lire; je ne pouvais preter attention
a rien d'autre; c'est en pensant a elle que je me rendormis au matin.




VI


Ainsi retombaient les sursauts de ma curiosite amoureuse. Je ne pouvais
pourtant differer plus longtemps un depart que de nouveau j'avais
annonce a mes hotes, et ce jour etait le dernier que je devais passer a
la Quartfourche. Ce jour-la ...

Nous sommes a dejeuner. L'on attend le courrier que Delphine, la femme
de Gratien, recoit du facteur et nous apporte d'ordinaire peu d'instants
avant le dessert. C'est a Madame Floche, je vous l'ai dit, qu'elle le
remet; puis celle-ci repartit les lettres et tend le _Journal des
Debats_ a Monsieur Floche, qui disparait derriere jusqu'a ce que nous
nous levions de table. Ce jour-la, une enveloppe mauve, prise a demi
dans la bande du journal, s'echappe du paquet et va voler sur la table
pres de l'assiette de Madame Floche; j'ai juste le temps de reconnaitre
la grande ecriture degingandee qui, la veille, m'avait fait deja battre
le coeur; Madame Floche aussi, apparemment, l'a reconnue; elle fait un
geste precipite pour couvrir l'enveloppe avec son assiette; l'assiette
s'en va cogner un verre, qui se brise et repand du vin sur la nappe;
tout cela fait un grand vacarme et la bonne Madame Floche profite de la
confusion generale pour subtiliser l'enveloppe dans sa mitaine.

--J'ai voulu ecraser une araignee, dit-elle gauchement comme un enfant
qui s'excuse. (Elle appelle indifferemment: araignees, les cloportes et
les perce-oreilles qui s'echappent parfois de la corbeille de fruits.)

--Et je parie que vous l'avez manquee, dit Madame de Saint-Aureol d'un
ton aigre, en se levant et jetant sa serviette non pliee sur la table.
Vous viendrez dans le salon me rejoindre, ma soeur. Ces Messieurs
m'excuseront: j'ai ma crampe de nombril.

Le repas s'acheve en silence. Monsieur Floche n'a rien vu, Monsieur de
Saint-Aureol rien compris; Mademoiselle Verdure et l'abbe gardent les
yeux fixes sur leur assiette; si Casimir ne se mouchait pas, je crois
qu'on le verrait pleurer ...

Il fait presque tiede. On a porte le cafe sur la petite terrasse que
forme le perron du salon. Je suis seul a en prendre avec Mademoiselle
Verdure et l'abbe; du salon ou sont enfermees ces deux dames, des eclats
de voix nous parviennent; puis plus rien; ces dames sont montees.

C'est alors, s'il me souvient bien, qu'eclata la castille du
hetre-a-feuille-de-persil.

Mademoiselle Verdure et l'abbe vivaient en etat de guerre. Les combats
n'etaient pas bien serieux et l'abbe ne faisait qu'en rire; mais rien
n'irritait tant Mademoiselle Verdure que le ton persifleur qu'il prenait
alors; elle se decouvrait a tous coups et l'abbe tirait dans le vif.
Presqu'aucun jour ne passait sans qu'eclatat entre eux quelqu'une de ces
escarmouches que l'abbe nommait des "castilles". Il pretendait que la
vieille fille en avait besoin pour sa sante; il la faisait monter a
l'arbre comme on emmene un chien faire un tour. Il n'y apportait
peut-etre pas de mechancete, mais certainement de la malice et s'y
montrait assez provoquant. Cela les occupait tous deux et assaisionnait
leur journee.

Le petit incident du dessert nous avait laisses nerveux. Je cherchais
une diversion et, tandis que l'abbe versait les tasses, ma main
rencontra dans la poche de mon veston un paquet de feuilles, ramille
d'un arbre bizarre qui croissat pres de la grille d'entree et que
j'avais cueillie le matin pour en demander le nom a Mademoiselle
Verdure; non que je fusse bien curieux de le connaitre, mais elle se
trouvait flattee qu'on fit appel a son savoir.

Car elle s'occupait de botanique. Certains jours elle partait
herboriser, portant en bandouliere sur ses robustes epaules une boite
verte qui lui donnait l'aspect bizarre d'une cantiniere; elle passait
entre son herbier et sa "loupe montee" le temps que lui laissaient les
soins domestiques ... Donc Mademoiselle Olympe prit la ramille et sans
hesiter:

--Ceci, declara-t-elle, c'est du hetre-a-feuille-de-persil.

--Curieuse appellation! hasardai-je; ces feuilles lanceolees n'ont
pourtant aucun rapport avec celles du ...

L'abbe depuis un instant souriait avec pertinence:

--C'est ainsi qu'on appelle a la Quartfourche le _fagus persicifolia_,
fit-il comme negligemment. Mademoiselle Verdure soubresauta:

--Je ne vous savais pas si fort en botanique.

--Non; mais j'entends un peu le latin.

Puis, incline vers moi: Ces dames sont victimes d'un involontaire
calembour. _Persicus_, chere Mademoiselle, _persicus_ veut dire pecher,
non persil. Le _fagus persicifolia_ dont Monsieur Lacase remarquait les
feuilles qu'il appelle si justement lanceolees, le _fagus persicifolia_
est un "hetre a feuilles de pecher."

Mademoiselle Olympe etait devenue cramoisie: le calme qu'affectait
l'abbe achevait de la decomposer.

--La vrai botanique ne s'occupe pas des anomalies et des monstruosites,
sut-elle trouver a dire sans tourner un regard vers l'abbe; puis vidant
sa tasse d'un trait elle partit en coup de vent.

L'abbe avait fronce sa bouche en cul de poule, d'ou s'echappaient des
manieres de petits pets. J'avais grand'peine a retenir mon rire.

--Seriez-vous mechant, Monsieur l'abbe?

--Mais non! mais non ... Cette bonne demoiselle, qui ne prend pas assez
d'exercice, a besoin qu'on lui fouette le sang. Elle est tres combative,
croyez-moi; quand je reste trois jours sans pousser ma pointe c'est elle
qui vient ferrailler. A la Quartfourche les distractions ne sont pas si
nombreuses!...

Et tous deux alors, sans parler, nous commencames de penser a la lettre
du dejeuner.

--Vous avez reconnu cette ecriture? me hasardai-je a demander enfin.

Il haussa les epaules:

--Un peu plus tot, un peu plus tard, c'est la lettre qu'on recoit a la
Quartfourche deux fois par an, apres le paiement des fermages, et par
laquelle elle annonce a Madame Floche sa venue.

--Elle va venir? m'ecriai-je.

--Calmez-vous! Calmez-vous: vous ne la verrez pas.

--Et pourquoi ne la pourrai-je point voir?

--Parce qu'elle vient au milieu de la nuit qu'elle repart presque
aussitot, qu'elle fuit les regards et ... mefiez-vous de Gratien. Son
regard me scrutait: je ne bronchai point; il reprit sur un ton irrite:

--Vous ne tiendrez aucun compte de ce que je vous en dis; je le vois a
votre air; mais vous etes averti. Allez! faites a votre guise; demain
matin vous m'en donnerez des nouvelles.

Il se leva, me laissa, sans que j'aie pu demeler s'il cherchait a
refrener ma curiosite ou s'il ne s'amusait pas a l'eperonner au
contraire.

Jusqu'au soir mon esprit, dont je renonce a peine le desordre, fut
uniquement occupe par l'attente. Pouvais-je aimer vraiment Isabelle? Non
sans doute, mais, amuse jusqu'au coeur par une excitation si violente,
comment ne me fusse-je pas mepris? reconnaissant a ma curiosite toute la
fremissante ardeur, la fougue, l'impatience de l'amour. Les dernieres
paroles de l'abbe n'avaient servi qu'a me stimuler davantage; que
pouvait contre moi Gratien? J'aurais traverse fourre d'epines et
brasiers!

Certainement quelque chose d'anormal se preparait. Ce soir-la personne
ne proposa de partie. Sitot apres souper, Madame de Saint-Aureol
commenca de se plaindre de ce qu'elle appelait "sa gastrite" et se
retira sans facons, tandis que Mademoiselle Verdure lui preparait une
infusion. Peu d'instants apres, Madame Floche envoya se coucher Casimir;
puis, sitot que l'enfant fut parti:

--Je crois que Monsieur Lacase a grande envie d'en faire autant; il a
l'air de tomber de sommeil.

Et comme je ne repondais pas assez promptement a son invite:

--Ah! je crois qu'aucun de nous ne va prolonger bien tard la veillee.

Mademoiselle Verdure se leva pour allumer les bougeoirs; l'abbe et moi
nous la suivimes; je vis Madame Floche se pencher sur l'epaule de son
mari qui sommeillait au coin du feu dans la berline; il se leva tout
aussitot, puis entraina par le bras le baron qui se laissa faire, comme
s'il comprenait ce que lui signifiait. Sur le palier du premier etage,
ou chacun, muni d'un bougeoir, se retirait de son cote:

--Bonne nuit! Dormez bien--me dit l'abbe avec un sourire ambigu.

Je refermai la porte de ma chambre; puis j'attendis. Il n'etait encore
que neuf heures. J'entendis monter Madame Floche, puis Mademoiselle
Verdure. Il y eut sur le palier, entre Madame Floche et Madame de
Saint-Aureol qui etait ressortie de sa chambre, reprise d'une querelle
assez vive, trop loin de moi pour que j'en pusse distinguer les paroles;
puis un bruit de portes claquees; puis rien.

Je m'etendis sur mon lit pour mieux reflechir. Je songeais a l'ironique
souhait de bon sommeil dont l'abbe avait accompagne sa derniere poignee
de main; j'aurais voulu savoir si lui, de son cote, s'appretait au
somme, ou si cette curiosite qu'il se defendait d'avoir devant moi, il
allait lui lacher la bride?... mais il couchait dans une autre partie du
chateau, faisant pendant a celle que j'occupais, et ou aucun motif
plausible ne m'appelait. Pourtant, qui de nous deux serait le plus
penaud, si nous nous surprenions l'un l'autre dans le couloir?... Ainsi
meditant il m'advint quelque chose d'inavouable, d'absurde, de
confondant: je m'endormis.

Oui, moins surexcite sans doute qu'epuise par l'attente et fatigue en
outre par la mauvaise nuit de la veille, je m'endormis profondement.


Le crepitement de la bougie qui achevait de se consumer m'eveilla; ou,
peut-etre, vaguement percu a travers mon sommeil, un ebranlement sourd
du plancher: certainement quelqu'un avait marche dans le couloir. Je me
dressai sur mon seant. Ma bougie a ce moment s'eteignit; je demeurai,
dans le noir, tout pantois. Je n'avais plus pour m'eclairer que quelques
allumettes; j'en grattai une afin de regarder a ma montre: il etait pres
d'onze heures et demie; j'ecarquillai l'oreille ... plus un bruit. A
tatons je gagnai la porte et l'ouvris.

Non, le coeur ne me battait point; je me sentais de corps agile,
imponderable; d'esprit calme, subtil, resolu.

A l'autre extremite du couloir, une grande fenetre versait jusqu'a moi
une clarte non point egale comme celle des nuits tranquilles, mais
palpitante et defaillante par instants, car le ciel etait pluvieux et,
devant la lune, le vent charriait d'epais nuages. Je m'etais dechausse;
j'avancais sans bruit ... Je n'avais pas besoin d'y voir davantage pour
gagner le poste d'observation que je m'etais menage: c'etait, a cote de
celle de Madame Floche, ou vraisemblablement se tenait le conciliabule,
une petite chambre inhabitee, qu'avait occupee d'abord Monsieur Floche
(il preferait a present le voisinage de ses livres a celui de sa femme);
la porte de communication, dont j'avais soigneusement tire le verrou
pour me mettre a l'abri d'une surprise, avait un peu flechi, et je
m'etais assure qu'immediatement, sous le chambranle je pouvais glisser
mon regard; il me fallait, pour y atteindre, me jucher sur une commode
que j'avais poussee tout aupres.

A present passait par cette fente un peu de lumiere qui, renvoyee par le
plafond blanc, me permettait de me guider. Je retrouvai tout comme je
l'avais laisse dans le jour. Je me hissai sur la commode, plongeai mes
regards dans la chambre voisine ...

Isabelle de Saint-Aureol etait la.


Elle etait devant moi, a quelques pas de moi ... Elle etait assise sur un
de ces disgracieux sieges bas sans dossier, qu'on appelait je crois des
"poufs", dont la presence etonnait un peu dans cette chambre ancienne et
que je ne me souvenais point d'y avoir vu lorsque j'etais entre porter
des fleurs. Madame Floche se tenait enfoncee dans un grand fauteuil en
tapisserie; une lampe posee sur un gueridon pres du fauteuil les
eclairait discretement toutes deux. Isabelle me tournait le dos; elle
s'inclinait en avant, presque couchee sur les genoux de sa vieille
tante, de sorte que d'abord je ne vis pas son visage; bientot elle
releva la tete. Je m'attendais a la trouver davantage vieillie; pourtant
je reconnaissais a peine en elle la jeune fille du medaillon; non moins
belle sans doute, elle etait d'une beaute tres differente, plus
terrestre et comme humanisee; l'angelique candeur de la miniature le
cedait a une langueur passionnee, et je ne sais quel degout froissait le
coin de ses levres que le peintre avait dessinees entrouvertes. Un grand
manteau de voyage, une sorte de waterproof, d'une etoffe assez commune
semblait-il, la recouvrait, mais releve de cote, laissait voir une jupe
noire de taffetas luisant sur lequel sa main degantee, qu'elle laissait
pendre et qui tenait un mouchoir chiffonne, paraissait
extraordinairement pale et fragile. Une petite capote de feutre et de
plumes moirees, a brides de taffetas, la coiffait; une boucle de cheveux
tres noirs, repassait par dessus la bride et, des qu'elle baissait la
tete, revenait en avant cacher la tempe. On l'aurait dite en deuil sans
un ruban vert-scarabee qu'elle portait autour du cou. Madame Floche ni
elle ne disait rien; mais, de sa main droite, Isabelle caressait le
bras, la main de Madame Floche et l'attirait a elle, et puis la couvrait
de baisers.

A present elle secouait la tete et ses boucles flottaient de gauche a
droite; alors, comme si elle reprenait une phrase:

--Tous les moyens, dit-elle; j'ai vraiment essaye tous les moyens; je te
jure que ...

--Ne jurez point, ma pauvre enfant; je vous crois sans cela, interrompit
la pauvre vieille en lui posant la main sur le front. Toutes deux
parlaient a voix tres basse comme si elles eussent craint d'etre
entendues.

Madame Floche se redressa, repoussa doucement sa niece, et, s'appuyant
sur les deux bras de son fauteuil, se leva. Mademoiselle de Saint-Aureol
se leva pareillement, et tandis que sa tante se dirigeait vers le
secretaire d'ou Casimir, avant-hier, avait sorti le medaillon, elle fit
quelques pas dans le meme sens, s'arreta devant une console qui
supportait une grande miroir et, pendant que la vieille fouillait dans
un tiroir, s'avisant a son reflet du ruban emeraude qu'elle portait
autour du cou, elle le detacha prestement, le roula autour de son
doigt ... Avant que Madame Floche ne se fut retournee, le ruban vif avait
disparu, Isabelle avait pris une attitude meditative, les mains
retombees et croisees devant elle, le regard perdu ...

La pauvre vieille Floche tenait encore d'une main son trousseau de
clefs, de l'autre la maigre liasse qu'elle avait ete querir dans le
tiroir; elle allait se rasseoir dans son fauteuil, quand la porte, en
face de celle ou j'etais poste, s'ouvrit brusquement toute grande--et
je faillis crier de stupeur. La baronne apparaissait dans l'embrasure,
guindee, decolletee, fardee, en grand costume d'apparat et le chef
surmonte d'une sorte de plumeau-marabout gigantesque. Elle brandissait
de son mieux un grand candelabre a six branches, toutes bougies
allumees, qui la baignait d'une tremblotante lumiere, et repandait des
pleurs de cire sur le plancher. A bout de forces sans doute, elle
commenca par courir poser le candelabre sur la console devant la glace;
puis reprenant en quatre petits bonds sa position dans l'embrasure, elle
s'avanca de nouveau, a pas rythmes, solennelle, portant loin devant elle
etendue sa main chargee d'enormes bagues. Au milieu de la chambre elle
s'arreta, se tourna tout d'une piece du cote de sa fille, le geste
toujours tendu, et, avec une voix aigue a percer les murailles:

--Arriere de moi, fille ingrate! Je ne me laisserai plus emouvoir par
vos larmes, et vos protestations ont perdu pour jamais le chemin de mon
coeur.

Tout cela etait debite, crie sur le meme fausset sans nuances. Isabelle
cependant s'etait jetee aux pieds de sa mere, dont elle avait saisi la
jupe, et la tirait, decouvrant deux ridicules petits escarpins de satin
blanc, cependant que de son front elle heurtait le plancher qu'un tapis
recouvrait a cet endroit. Madame de Saint-Aureol ne baissa pas les yeux
un instant, continua de lancer droit devant elle des regards aigus et
glaces comme sa voix, elle continua:

--Ne vous aura-t-il pas suffi d'apporter au foyer de vos parents la
misere; pretendez-vous poursuivre plus loin les ...

Ici brusquement la voix lui manqua; alors se tournant vers Madame Floche
qui se faisait toute petite et qui tremblait dans son fauteuil:

--Et quant a vous ma soeur, si vous avez encore la faiblesse ...--puis se
reprenant:--Si vous avez la coupable faiblesse de ceder encore a ces
supplications, fut-ce pour un baiser, fut-ce pour une obole, aussi vrai
que je suis votre soeur ainee, je vous quitte, je recommande a Dieu mes
penates, et je ne vous revois de ma vie.

J'etais comme au spectacle. Mais puisqu'elles ne se savaient pas
observees, pour qui ces deux marionnettes jouaient-elles la tragedie?
Les attitudes et les gestes de la fille me paraissaient aussi exageres,
aussi faux que ceux de la mere ... Celle-ci me faisait face, de sorte que
je voyais de dos Isabelle qui, prosternee, gardait sa pose d'Esther
suppliante; tout a coup je remarquai ses pieds: ils etaient chausses en
pou-de-soie couleur prune, autant qu'il me sembla et que l'on en pouvait
juger encore sous la couche de boue qui recouvrait les bottines;
au-dessus, un bas blanc, ou le volant de la jupe, en se relevant,
mouille, fangeux, avait fait une trainee sale ... Et soudain, plus haut
que la declamation de la vieille, retentit en moi tout ce que ces
pauvres objets racontaient d'aventureux, de miserable. Un sanglot
m'etreignit la gorge; et je me promis, quand Isa quitterait la maison,
de la suivre a travers le jardin.

Madame de Saint-Aureol cependant avait fait trois pas vers le fauteuil
de Madame Floche:

--Allons! donnez-moi ces billets! Pensez-vous que sous votre mitaine je
ne voie pas se froisser le papier? Me croyez-vous aveugle, ou folle?
Donnez-moi cet argent vous dis-je!--Et, melodramatiquement, approchant
les billets dont elle s'etait emparee, de la flamme d'une de ses bougies
du candelabre:--Je prefererais bruler le tout (faut-il dire qu'elle
n'en faisait rien) plutot que de lui donner un liard.

Elle glissa les billets dans sa poche et reprit son geste declamatoire:

--Fille ingrate! Fille denaturee! Le chemin qu'ont pris mes bracelets et
mes colliers, vous saurez l'apprendre a mes bagues!--Ce disant, d'un
geste habile de sa main etendue, elle en fit tomber deux ou trois sur le
tapis. Comme un chien affame se jette sur un os, Isabelle s'en saisit.

--Partez, a present: nous n'avons plus rien a nous dire, et je ne vous
reconnais plus.

Puis ayant ete prendre un eteignoir sur la table de nuit, elle en coiffa
successivement chaque bougie du candelabre, et partit.

La piece a present paraissait sombre. Isabelle cependant s'etait
relevee; elle passait ses doigts sur ses tempes, rejetait en arriere ses
boucles eparses et rajustait son chapeau. D'une secousse elle remonta
son manteau qui avait un peu glisse des ses epaules, et se pencha vers
Madame Floche pour lui dire adieu. Il me parut que la pauvre femme
cherchait a lui parler, mais c'etait d'une voix si faible que je ne pus
rien distinguer. Isabelle sans rien dire pressa une des tremblantes
mains de la vieille contre ses levres. Un instant apres je m'elancais a
sa poursuite dans le couloir.

Au moment de descendre l'escalier, un bruit de voix m'arreta. Je
reconnus celle de Mademoiselle Verdure qu'Isabelle avait deja rejointe
dans la vestibule, et je les apercus toutes deux en me penchant par
dessus la rampe. Olympe Verdure tenant une petite lanterne a la main.

--Tu vas partir sans l'embrasser? disait-elle,--et je compris qu'il
s'agissait de Casimir.--Tu ne veux donc pas le voir?

--Non, Loly; je suis trop pressee. Il ne doit pas savoir que je suis
venue.

Il y eut un silence, une pantomime que d'abord je ne compris pas bien.
La lanterne s'agita projetant des ombres bondissantes. Mademoiselle
Verdure s'avancant, Isabelle se reculant, toutes deux se deplacerent de
quelques pas; puis j'entendis:

--Si; si; en souvenir de moi. Je le gardais depuis longtemps. A present
que je suis vieille, qu'est-ce que je feras de cela?

--Loly! Loly! Vous etes ce que je laisse ici de meilleur.

Mademoiselle Verdure la pressait entre ses bras:

--Ah! pauvrette! comme elle est trempee!

--Mon manteau seulement ... ce n'est rien. Laisse-moi partir vite.

--Prends un parapluie au moins.

--Il ne pleut plus.

--La lanterne.

--Qu'est-ce que j'en ferais? La voiture est tout pres. Adieu.

--Allons! Adieu, ma pauvre enfant! Que Dieu te ... le reste se perdit
dans un sanglot. Mademoiselle Verdure resta quelques instants penchee
dans la nuit, et une bouffee d'air humide monta du dehors dans la cage
de l'escalier; puis, sur la porte refermee, je l'entendis pousser les
verrous ...

Je ne pouvais passer devant Mademoiselle Verdure. Gratien emportait
chaque soir la clef de la porte de la cuisine. Une autre porte ouvrait
de l'autre cote de la maison, par ou facilement j'eusse pu sortir, mais
c'etait un detour enorme. Avant que je ne l'aie retrouvee, Isabelle
aurait deja rejoint sa voiture. Ah! si de ma fenetre je l'appelais ... Je
courus a ma chambre. La lune etait de nouveau recouverte; guettant un
bruit de pas j'attendis un instant; un souffle puissant s'eleva et,
tandis que Gratien rentrait par la cuisine, a travers la chuchotante
agitation des arbres, j'entendis la voiture d'Isabelle de Saint-Aureol
s'eloigner.




VII


Je m'etais mis fort en retard, et, sitot de retour a Paris, s'emparerent
de moi mille soucis qui derouterent enfin mes pensees. La resolution que
j'avais prise de retourner l'ete suivant a la Quartfourche temperait mes
regrets de n'avoir su pousser plus loin une aventure que je commencais
d'oublier lorsque, vers la fin de Janvier, je recus un double
faire-part. Les epoux Floche avaient tous deux exhale vers Dieu leur ame
tremblante et douce, a quelques jours d'intervalle. Je reconnus sur
l'enveloppe du faire-part l'ecriture de Mademoiselle Verdure; mais c'est
a Casimir que j'envoyai l'expression banale de mes regrets et de ma
sympathie. Deux semaines apres je recus cette lettre:

_Mon cher Monsieur Gerard._

(L'enfant n'avait jamais pu se decider a m'appeler par mon nom de
famille.

--Comment vous appelez-vous, vous? m'avait-il demande dans une
promenade, precisement le jour ou j'avais commence a le tutoyer.

--Mais tu le sais bien, Casimir, je m'appelle Monsieur Lacase.

--Non; pas ce nom-la, l'autre? reclamait-il)

_Vous etes bien bon de m'avoir ecrit, et votre lettre a ete bien bonne
parce qu'a present la Quartfourche est bien triste. Ma grand'maman avait
eu jeudi une attaque et ne pouvait plus quitter sa chambre; alors maman
est revenue a la Quartfourche et l'abbe est parti parce qu'il avait ete
cure du Breuil. C'est apres ca que mon oncle et ma tante sont morts.
D'abord mon oncle est mort, qui vous aimait bien, et puis dimanche apres
ma tante qui a ete malade trois jours. Maman n'etait plus la. J'etais
tout seul avec Loly et Delphine la femme de Gratien, qui m'aime bien; et
ca ete tres triste parce que ma tante ne voulait pas me quitter. Mais il
a bien fallu. Alors maintenant je couche dans la chambre a cote de
Delphine, parce que Loly a ete rappelee dans l'Orne par son frere.
Gratien aussi est tres bon pour moi. Il m'a montre a faire des boutures
et des greffes ce qui est tres amusant, et puis j'aide a abattre les
arbres.

Vous savez, votre petit papier ousque vous avez ecrit votre promesse, il
faut l'oublier parce qu'il n'y aurait plus personne ici pour vous
recevoir. Mais ca me fait beaucoup de chagrin de ne pas vous revoir
parce que je vous aimais bien. Mais je ne vous oublie pas. Votre petit
ami, CASIMIR._

La mort de Monsieur et Madame Floche m'avait laisse assez indifferent,
mais cette lettre maladroite et depourvue me remua. Je n'etais pas libre
en ce moment, mais je me promis, des les vacances de Paques, de pousser
une reconnaissance jusqu'a la Quartfourche. Que m'importait qu'on ne put
m'y recevoir? Je descendrais a Pont-l'Eveque et louerais une voiture.
Ai-je besoin d'ajouter que la pensee d'y retrouver peut-etre la
mysterieuse Isabelle m'y attirait autant que ma grande pitie pour
l'enfant. Certains passages de cette lettre me restaient
incomprehensibles; j'enchainais mal les faits. L'attaque de la vieille,
l'arrivee d'Isabelle a la Quartfourche, le depart de l'abbe, la mort des
vieux a laquelle leur niece n'assistait point, le depart de Mademoiselle
Verdure ... ne fallait-il voir la qu'une suite fortuite d'evenements, ou
chercher entre eux quelque rapport? Ni Casimir n'aurait su, ni l'abbe
voulu m'en instruire. Force etait d'attendre Avril. Des mon second jour
de liberte, je partis.

A la station de Breuil, j'apercus l'abbe Santal qui s'appretait a
prendre mon train; je le helai:

--Vous revoila dans le pays, fit-il.

--Je ne pensais pas en effet y revenir si tot.

Il monta dans mon compartiment. Nous etions seuls.

--Eh bien! Il y a eu du nouveau depuis votre visite.

--Oui; j'appris que vous desserviez a present la cure du Breuil.

--Ne parlons pas de cela; et il etendait la main d'un geste que je
reconnus. Vous avez recu un faire-part?

--Et j'ai envoye aussitot mes condoleances a votre eleve; c'est par lui
que j'ai eu ensuite des nouvelles; mais il ma peu renseigne. J'ai failli
vous ecrire pour vous demander quelques details.

--Il fallait le faire.

--J'ai pense que vous ne me renseigneriez pas volontiers, ajoutai-je en
riant.

Mais, sans doute tenu a moins de discretion que du temps ou il etait a
la Quartfourche, l'abbe semblait dispose a parler.

--Croyez-vous que c'est malheureux, ce qui se passe la-bas? dit-il.
Toutes les avenues vont y passer!

Je ne comprenais point d'abord; puis la phrase de Casimir me revint a la
memoire: "J'aide a abattre des arbres ..."

--Pourquoi fait-on cela? demandai-je naivement.

--Pourquoi? mon bon Monsieur. Allez donc le demander aux creanciers. Au
reste ca n'est pas eux que ca regarde, et tout se fait derriere leur
dos. La propriete est couverte d'hypotheques. Mademoiselle de
Saint-Aureol enleve tout ce qu'elle peut.

--Elle est la-bas?

--Comme si vous ne les saviez pas!

--Je le supposais simplement d'apres quelques mots de ...

--C'est depuis qu'elle est la-bas que tout va mal.--Il se ressaisit un
instant; mais cette fois le besoin de parler l'emporta; il n'attendait
meme plus mes questions et je jugeai plus sage de n'en point faire; il
reprit:

--Comment a-t-elle appris la paralysie de sa mere? c'est ce que je n'ai
pas pu m'expliquer. Quand elle a su que la vieille baronne ne pouvait
plus quitter son fauteuil, elle s'est amenee avec son bagage, et Mme
Floche n'a pas eu le courage de la mettre dehors. C'est alors que moi je
suis parti.

--Il est tres triste que vous ayez ainsi laisse Casimir.

--C'est possible, mais ma place n'est pas aupres d'une creature ...
J'oublie que vous la defendiez!...

--Je le ferais peut-etre encore, Monsieur le cure.

--Allez toujours. Oui, oui; Mademoiselle Verdure aussi la defendait.
Elle l'a defendue jusqu'au temps qu'elle ait vu mourir ses maitres.

J'admirais que l'abbe eut a peu pres completement depouillee cette
elegance de langage qu'il revetait a la Quartfourche; il avait adopte
deja le geste et le parler propre aux cures des villages normands. Il
reprit, poursuivant son propos:

--A elle aussi ca a paru drole de les voir mourir tous les deux a la
fois.

--Est-ce que ...?

--Je ne dis rien;--et il gonflait sa levre superieure par vieille
habitude, mais repartait tout aussitot:

--N'empeche que dans le pays on jasait. Ca deplaisait de voir heriter la
niece. Et vous voyez qu'elle aussi, la Verdure, a juge preferable de
s'en aller.

--Qui reste aupres de Casimir?

--Ah! vous avez tout de meme compris que sa mere n'est pas une societe
pour l'enfant. Eh bien! il passe presque tout son temps chez les
Chointreuil, vous savez bien: le jardinier et sa femme.

--Gratien?

--Oui Gratien; qui voulait s'opposer a ce qu'on abatit des arbres dans
le parc; mais il n'a pu empecher rien du tout. C'est la misere.

--Les Floches n'etaient pourtant pas sans argent.

--Mais tout etait mange, du premier jour, mon bon Monsieur. Sur trois
fermes de la Quartfourche, Madame Floche en possedait deux qu'on a
vendues, il y a beau temps, aux fermiers. La troisieme, la petite ferme
des Fonds, appartient encore a la baronne; elle n'etait plus affermee,
Gratien en surveillait le faire-valoir; mais elle sera bientot mise en
vente avec le reste.

--La Quartfourche va etre mise en vente!

--Par adjudication. Mais ca ne pourra pas se faire avant la fin de
l'ete. En attendant je vous prie de croire que la demoiselle profite. Il
lui faudra bien finir par mettre les pouces; quand on aura deja enleve
la moitie des arbres ...

--Comment se trouve-t-il quelqu'un pour les lui acheter, si elle n'a pas
le droit, de les vendre?

--Ah! vous etes jeune encore. Quand on vend a vil prix on trouve
toujours acquereur.

--Le moindre huissier peut empecher cela.

--L'huissier s'entend avec l'homme d'affaires des creanciers, qui s'est
installe la-bas et--il se pencha vers mon oreille--qui couche avec
elle, puisqu'il vous plait de tous savoir.

--Les livres et les papiers de Monsieur Floche? demandai-je, sans
paraitre emu par sa derniere phrase.

--Le mobilier du chateau et la bibliotheque feront l'effet d'une vente
prochaine; ou pour parler mieux: d'une saisie. La-bas, personne
heureusement ne se doute de la valeur de certains ouvrages; sans quoi
ceux-ci auraient disparu depuis longtemps.

--Un coquin peut surgir ...

--A present les scelles sont poses; n'ayez crainte; on ne les levera
qu'a l'occasion de l'inventaire.

--Que dit de tout cela la baronne?

--Elle ne se doute de rien; on lui porte a manger dans sa chambre; elle
ne sait seulement pas que sa fille est la.

--Vous ne dites rien du baron?

--Il est mort il y a trois semaines, a Caen, dans une maison de retraite
ou nous venions de le faire accepter.

Nous arrivions a Pont-l'Eveque. Un pretre etait venu a la rencontre de
l'abbe Santal, qui prit conge de moi apres m'avoir indique un hotel et
un loueur de voitures.


La voiture que je louai le lendemain me deposa a l'entree du parc de la
Quartfourche; il fut convenu qu'elle viendrait me reprendre dans une
couple d'heures, apres que les chevaux se seraient reposes dans l'ecurie
d'une des fermes.

Je trouvai la grille du parc grande ouverte; le sol de l'allee etait
abime par les charrois. Je m'attendais au plus affreux saccage et fus
joyeusement surpris, a l'entree, de reconnaitre bourgeonnant le "hetre a
feuilles de pecher", connaissance illustre; je ne reflechis pas que sans
doute il ne devait la vie qu'a la mediocre qualite de son bois; en
avancant, je constatai que la hache avait deja frappe les plus beaux
arbres. Avant de m'enfoncer dans le parc, je voulus revoir le petit
pavillon ou j'avais decouvert la lettre d'Isabelle; mais, suppleant la
serrure brisee, un cadenas maintenait la porte; (j'appris ensuite que
les bucherons serraient dans ce pavillon des outils et des vetements).
Je m'acheminai vers le chateau. L'allee que je suivais etait droite,
bordee de buissons bas; elle ne donnait pas sur la facade, mais sur le
cote des communs; elle menait a la cuisine et, presque vis-a-vis de
celle-ci, s'ouvrait la petite barriere du jardin potager; j'en etais
encore assez eloigne lorsque je vis sortir du potager Gratien avec un
panier de legumes; il m'apercut, mais ne me reconnut pas d'abord; je le
helai; il vint a ma rencontre, et brusquement:

--Ah ben, Monsieur Lacase! pour sur qu'on ne vous attendait pas a cette
heure! Il restait a me regarder, hochant la tete et ne dissimulant pas
la contrariete que lui causait ma presence; pourtant il ajouta, plus
doucement:

--Tout de meme le petit sera content de vous revoir.

Nous avions fait quelques pas sans parler, du cote de la cuisine; il me
fit signe de l'attendre et entra poser son panier.

--Alors vous etes venu voir ce qui se passe a la Quartfourche, dit-il,
en revenant a moi, plus civilement.

--Et il parait que ca n'y va pas bien fort?

Je le regardai; son menton tremblait; il restait sans me repondre;
brusquement il me saisit par le bras et m'entraina vers la pelouse qui
s'etendait devant le perron du salon. La gisait le cadavre d'un chene
enorme, sous lequel je me souvins de m'etre abrite de la pluie a
l'automne: autour de lui s'entassaient en buches et en fagots ses
branches dont, avant de l'abattre, on l'avait depouille.

--Savez-vous combien ca vaut, un arbre comme ca? me dit-il: Douze
pistoles. Et savez-vous combien ils l'on paye?--Celui-la tout comme les
autres ... Cent sous.

Je ne savais pas que dans ce pays ils appelaient pistoles les ecus de
dix francs; mais ce n'etait pas le moment de demander un
eclaircissement. Gratien parlait d'une voix contractee. Je me tournai
vers lui; il essuya du revers de sa main, sur son visage, larmes ou
sueur puis, serrant les poings:

--Oh! les bandits! les bandits! Quand je les entends taper du couperet
ou la hache, Monsieur, je deviens fou; leurs coups me portent sur la
tete; j'ai envie de crier au secours? au voleur! j'ai envie de cogner a
mon tour; j'ai envie de tuer. Avant-hier j'ai passe la moitie du jour
dans la cave; j'entendais moins ... Au commencement, le petit, ca
l'amusait de voir travailler les bucherons; quand l'arbre etait pres de
tomber, on l'appelait pour tirer sur la corde; et puis, quand ces
brigands se sont approches du chateau, abattant toujours, le petit a
commence a trouver ca moins drole; il disait: ah! pas celui-ci! pas
celui-la!--Mon pauvre gars que je lui ai dit, celui-la ou un autre,
c'est toujours pas pour toi qu'on les laisse. Je lui ai bien dit qu'il
ne pourrait pas demeurer a la Quartfourche; mais c'est trop jeune; il ne
comprend pas que rien n'est deja plus a lui. Si seulement on pouvait
nous garder sur la petite ferme; je l'y prendrais bien volontiers avec
nous, pour sur; mais qui sait seulement qui va l'acheter, et le gredin
qu'on va vouloir y mettre a notre place!... Voyez-vous, Monsieur, je ne
suis pas encore bien vieux, mais j'aurais mieux aime mourir avant
d'avoir vu tout cela.

--Qui est-ce qui habite au chateau, maintenant?

--Je ne veux pas le savoir. Le petit mange avec nous a la cuisine; ca
vaut mieux. Madame la baronne ne quitte plus sa chambre; heureusement
pour elle, la pauvre dame ... C'est Delphine qui lui porte ses repas, en
passant par l'escalier de service rapport a ceux qu'elle ne veut pas
croiser. Les autres ont quelqu'un qui les sert et a qui nous ne parlons
pas.

--Est-ce qu'on ne doit pas bientot faire une saisie du mobilier?

--Alors on tachera d'emmener Madame la baronne sur la ferme, en
attendant qu'on mette la ferme en vente avec le chateau.

--Et Made ... et sa fille? demandai-je en hesitant, car je ne savais
comment la nommer.

--Elle peut bien aller ou il lui plaira; mais pas chez nous. C'est
pourtant a cause d'elle, tout ce qui arrive.

Sa voix tremblait d'une si grave colere que je compris a ce moment
comment cet homme avait pu aller jusqu'au crime pour proteger l'honneur
de ses maitres.

--Elle est dans le chateau, maintenant?

--A l'heure qu'il est, elle doit se promener dans le parc. Parait que ca
ne lui fait pas de mal, a elle; elle regarde les ebrancheurs; il y meme
des jours qu'elle cause avec eux, sans honte. Mais quand il pleut, elle
ne quitte pas sa chambre; tenez, celle qui fait le coin; elle se tient
tout contre la vitre et regarde dans le jardin. Si son homme n'etait pas
a Lisieux pour le quart d'heure, je ne sortirais pas comme je fais. Ah!
on peut dire que c'est du beau monde, Monsieur Lacase; pour sur! Si
seulement nos pauvres vieux maitres revenaient pour voir ca chez eux,
ils retourneraient bien vite ou ils reposent.

--Casimir est par la?

--Je pense qu'il promene dans le parc lui aussi. Voulez-vous que je
l'appelle?

--Non; je saurai bien le trouver. A tantot. Je vous reverrai sans doute,
Delphine et vous, avant de partir.

Le saccage des bucherons paraissait plus atroce encore a ce moment de
l'annee ou tout s'appretait a revivre. Dans l'air attiedi les rameaux
deja se gonflaient; des bourgeons eclataient et, coupee, chaque branche
pleurait sa seve. J'avancais lentement, non point tant triste moi-meme
qu'exalte par la douleur du paysage, grise peut-etre un peu par
puissante odeur vegetale que l'arbre mourant et la terre en travail
exhalaient. A peine etais-je sensible au contraste de ces morts avec le
renouveau du printemps; le parc, ainsi, s'ouvrait plus largement a la
lumiere qui baignait et dorait egalement mort et vie; mais cependant, au
loin, le chant tragique des cognees, occupant l'air d'une solennite
funebre, rythmait secretement les battements heureux de mon coeur, et la
vieille lettre d'amour, que j'avais emportee, dont je m'etais promis de
ne me point servir, mais que par instants je pressais sur mon coeur, le
brulait. Rien plus ne saurait m'empecher aujourd'hui, me redisais-je, et
je souriais de sentir mes pas se presser a la seule pensee d'Isabelle;
ma volonte n'y pouvait, mais une force interieure m'activait. J'admirais
par quel exces de vie cet accent de sauvagerie que la depredation
apportait a la beaute du paysage en aiguisait pour moi la jouissance;
j'admirais que les medisances de l'abbe eussent si peu fait pour me
detacher d'Isabelle et que tout ce que je decouvrais d'elle avivat
inavouablement mon desir ... Qu'est-ce qui l'attachait encore a ces
lieux, peuples de hideux souvenirs? De la Quartfourche vendue, je le
savais, rien ne devait lui rester ni lui revenir. Que ne
s'enfuyait-elle? Et je revais de l'enlever ce soir dans ma voiture; je
precipitais mon allure; je courais presque, quand soudain, loin devant
moi, je l'apercus. C'etait elle, a n'en pas douter, en deuil et nu-tete,
assise sur le tronc d'un arbre abattu en travers de l'allee. Mon coeur
battit si fort que je dus m'arreter quelques instants; puis, vers elle,
lentement j'avancai, tranquille et indifferent promeneur.

--Excusez-moi Madame ... je suis bien ici a la Quartfourche?

Un petit papier a ouvrage etait pose sur le tronc d'arbre a cote d'elle
plein de bobines, d'instruments de couture, de morceaux de crepe
enroules sur eux-memes ou defaits, et elle s'occupait a en disposer
quelques lambeaux sur une modeste capote de feutre qu'elle tenait a la
main; un ruban vert, que sans doute elle venait d'en arracher, trainait
a terre. Un tres court mantelet de drap noir couvrait ses epaules, et,
quand elle leva la tete, je remarquai l'agrafe vulgaire qui en retenait
le col clos. Sans doute m'avait-elle apercu de loin, car ma voix ne
parut pas la surprendre.

--Vous veniez pour acheter la propriete? dit-elle, et sa voix que je
reconnus me fit battre le coeur. Que son front decouvert etait beau!

--Oh! je venais en simple visiteur. Les grilles etaient ouvertes et j'ai
vu des gens circuler. Mais peut-etre etait-il indiscret d'entrer?

--A present, peut bien entrer qui veut! Elle soupira profondement, mais
se reprit a son ouvrage comme si nous ne pouvions avoir rien de plus a
nous dire.

Ne sachant comment continuer un entretien qui peut-etre serait unique,
qui devait etre decisif, mais que le temps ne me paraissait pas venu de
brusquer; soucieux d'y apporter quelque precaution et la tete et le
coeur uniquement pleins d'attente et de questions que je n'osais encore
poser, je demeurais devant elle, chassant du bout de ma canne de menus
eclats de bois, si gene, si impertinent a la fois et si gauche, qu'a la
fin elle releva les yeux, me devisagea et je crus qu'elle allait eclater
de rire; mais elle me dit simplement, sans doute parce qu'alors je
portais un chapeau mou sur des cheveux longs, et parce que ne me
pressait apparemment aucune occupation pratique:

--Vous etes artiste?

--Helas! non, repliquai-je en souriant, mais qu'a cela ne tienne; je
sais gouter la poesie. Et sans oser la regarder encore, je sentais son
regard m'envelopper. L'hypocrite banalite de nos propos m'est odieuse et
je souffre a les rapporter ...

--Comme ce parc est beau, reprenais-je.

Il me parut qu'elle ne demandait qu'a causer et n'etait embarrassee,
ainsi que moi, que de savoir comment engager l'entretien; car elle se
recria que je ne pouvais malheureusement juger en cette saison de ce que
pouvait devenir a l'automne ce parc, encore grelottant et mal reveille
de l'hiver--du moins ce qu'il avait pu devenir, reprit-elle; qu'en
restera-t-il desormais apres l'affreux travail des bucherons?...

--Ne pouvait-on les empecher? m'ecriai-je.

--Les empecher! repeta-t-elle ironiquement en levant tres haut les
epaules; et je crus qu'elle me montrait son miserable chapeau de feutre
pour temoigner de sa detresse, mais elle le levait pour le reposer sur
sa tete, rejete en arriere et laissant decouvert son front; puis elle
commenca de ranger ses morceaux de crepe comme si elle s'appretait a
partir. Je me baissai, ramassai a ses pieds le ruban vert, le lui
tendis.

--Qu'en ferais-je, a present, dit-elle sans le prendre. Vous voyez que
je suis en deuil.

Aussitot je l'assurai de la tristesse avec laquelle j'avais appris la
mort de Monsieur et Madame Floche, puis enfin celle du baron; et comme
elle s'etonnait que j'eusse connu ses parents, je lui laissai savoir que
j'avais vecu aupres d'eux douze jours du dernier octobre.

--Alors pourquoi tout-a-l'heure avez-vous feint de ne savoir ou vous
etiez? repartit-elle brusquement.

--Je ne savais comment vous aborder. Puis, sans trop me decouvrir
encore, je commencai de lui raconter quelle passionnee curiosite m'avait
retenu de jour en jour a la Quartfourche dans l'espoir de la rencontrer
et, (car je ne lui parlai pas de la nuit ou mon indiscretion l'avait
surprise), mes regrets enfin de regagner Paris sans l'avoir vue.

--Qu'est-ce donc qui vous avait donne si grand desir de me connaitre?

Elle ne faisait plus mine de partir. J'avais traine jusqu'en face
d'elle, pres d'elle, un epais fagot ou je m'etais assis; plus bas
qu'elle, je levais les yeux pour la voir; elle s'occupait infantinement
a pelotonner des rubans de crepe et je ne saisissais plus son regard. Je
lui parlais de sa miniature et m'inquietait de ce qu'avait pu devenir ce
portrait dont j'etais amoureux; mais elle ne le savait point;--Sans
doute le retrouvera-t-on en levant les scelles ... Et il sera mis en
vente avec le reste, ajouta-t-elle avec un rire dont le secheresse me
fit mal.--Pour quelques sous vous pourrez l'acquerir, si le coeur vous
en dit toujours.

Je protestai de mon chagrin de la voir ne prendre pas au serieux un
sentiment dont l'expression seule etait brusque, mais qui depuis
longtemps m'occupait; mais a present elle demeurait impassible et
semblait resolue a ne plus ecouter rien de moi. Le temps pressait.
N'avais-je pas sur moi de quoi violenter son silence? L'ardente lettre
fremissait sous mes doigts. J'avais prepare je ne sais quelle histoire
d'anciennes relations de ma famille avec celle de Gonfreville, pensant
l'amener incidemment a parler; mais a ce moment je ne sentis plus que
l'absurdite de ce mensonge et commencai de raconter tout simplement par
quel mysterieux hasard cette lettre--et je la lui tendis--etait tombee
entre mes mains.

--Ah! je vous en conjure, Madame! ne dechirez pas ce papier! Rendez-le
moi ...

Elle etait devenue mortellement pale et garda quelques instants sans la
lire la lettre ouverte sur ses genoux; le regard vague, les paupieres
battantes, elle murmurait:

--Oublie de la reprendre! Comment avais-je pu l'oublier?

--Sans doute aurez-vous cru qu'elle lui etait parvenue, qu'il etait venu
la chercher ...

Elle ne m'ecoutait toujours pas. Je fis un mouvement pour me ressaisir
de la lettre; mais elle se meprit a mon geste:

--Laissez-moi, cria-t-elle en repoussant brutalement ma main. Elle se
souleva, voulut fuir. A genoux devant elle je la retins.

--N'ayez pas peur de moi, Madame; vous voyez bien que je ne vous veux
aucun mal; et comme elle se rasseyait, ou plutot retombait sans force;
je la suppliai de ne pas m'en vouloir si le hasard avait choisi pour
elle un confident involontaire, mais de me continuer une confiance que
je jurai de ne point trahir; ah! que ne me parlait-elle a present comme
a un ami veritable et comme si je ne savais rien d'elle qu'elle-meme ne
m'eut appris?

Les larmes que je repandais en parlant firent peut-etre plus pour la
convaincre que mes paroles.

--Helas! repris-je, je sais quelle mort miserable enlevait, ce meme soir
votre amant ... Mais comment avez-vous appris votre deuil? Cette nuit que
vous l'attendiez, prete a fuir avec lui, que pensiez-vous? que
fites-vous en ne le voyant pas apparaitre?

--Puisque vous savez tout, dit-elle d'une voix desolee vous savez bien
que je n'avais plus a l'attendre, apres que j'avais averti Gratien.

J'eus de l'affreuse verite une intuition si subite que ces mots
m'echapperent comme un cri:

--Quoi! c'est vous qui l'avez fait tuer?

Alors laissant tomber a terre la lettre et le panier dont les menus
objets se repandirent, elle courba son front dans ses mains et commenca
de sangloter eperdument. Je me penchai vers elle et tentai de prendre
une de ses mains dans les miennes.

--Non! vous etes ingrat et brutal.

Mon imprudent exclamation coupait court a sa confidence; elle se
raidissait a present contre moi; cependant je restais assis devant elle,
bien resolu a ne la quitter point qu'elle ne se fut expliquee davantage.
Ses sanglots enfin s'apaiserent; je lui persuadai doucement qu'elle
avait deja trop parle pour pouvoir impunement se taire, mais qu'une
confession sincere ne saurait la diminuer a mes yeux et qu'aucun aveu ne
me serait plus penible que son silence. Les coudes sur les genoux, ses
mains croisees cachant son front, voici ce qu'elle me raconta.

La nuit qui preceda celle qu'elle avait fixee pour sa fuite, dans
l'amoureuse exaltation de la veillee, elle avait ecrit cette lettre; le
lendemain, elle l'avait portee au pavillon, glissee en cet endroit
secret que Blaise de Gonfreville connaissait et ou elle savait que
bientot il viendrait la prendre. Mais sitot de retour au chateau,
lorsqu'elle s'etait retrouvee dans cette chambre qu'elle voulait quitter
pour jamais, une angoisse indicible l'avait saisie, la peur de cette
liberte inconnue qu'elle avait si sauvagement desiree, la peur de cet
amant qu'elle appelait encore, de soi-meme et de ce qu'elle craignait
d'oser. Oui la resolution etait prise, oui le scrupule refoule, la honte
bue, mais a present que rien ne la retenait plus, devant la porte
ouverte pour sa fuite, le coeur brusquement lui manquait. L'idee de
cette fuite lui devenait odieuse, intolerable; elle courait dire a
Gratien que le baron de Gonfreville avait projete de l'enlever aux siens
cette nuit meme, qu'on le trouverait rodant avant le soir aupres du
pavillon de la grille, dont il fallait deja l'empecher d'approcher.

Je m'etonnai qu'elle ne fut point allee simplement rechercher elle-meme
cette lettre et la remplacer par une autre ou d'une si folle entreprise
elle eut decourage son amant. Mais aux questions que je lui posais elle
se derobait sans cesse, repetant en pleurant qu'elle savait bien que je
ne la pouvais comprendre et qu'elle-meme ne se pouvait mieux expliquer,
mais qu'elle ne se sentait alors non plus capable de rebuter son amant
que le suivre; que la peur l'avait a ce point paralysee, qu'il devenait
au-dessus de ses forces de retourner au pavillon; que d'ailleurs, a
cette heure du jour, ses parents redoutes la surveillaient, et que c'est
pour cela qu'elle avait du recourir a Gratien.

--Pouvais-je supposer qu'il prendrait au serieux des paroles echappees a
mon delire? Je pensais qu'il l'ecarterait seulement ... J'eus un sursaut
en entendant, une heure apres, un coup de fusil du cote de la grille;
mais ma pensee se detourna d'une supposition horrible et que je me
refusais d'envisager; au contraire, depuis que j'avais averti Gratien,
l'esprit et le coeur degages, je me sentais presque joyeuse ... Mais
quand la nuit vint, mais quand approcha l'heure qui eut du etre celle de
ma fuite, ah! malgre moi je commencai d'attendre, je recommencai
d'esperer; du moins une sorte de confiance, et que je savais mensongere,
se melait a mon desespoir; je ne pouvais realiser que la lachete, la
defaillance d'un moment eussent ruine d'un coup mon long reve; je n'en
etais pas reveillee; oui, comme en reve, je suis descendue dans le
jardin, epiant chaque bruit, chaque ombre; j'attendais; j'attendais
encore ...

Elle commenca de sangloter:

--Non, je n'attendais plus, reprit-elle; je cherchais a me tromper
moi-meme, et par pitie pour moi j'imitais celle qui attend. Je m'etais
assise devant la pelouse, sur la plus basse marche du perron; le coeur
sec a ne pouvoir verser une larme; et je ne pensais plus a rien, ne
savais plus qui j'etais, ni ou j'etais, ni ce que j'etais venu faire. La
lune qui tout a l'heure eclairait le gazon disparut; alors un frisson me
saisit; j'aurais voulu qu'il m'engourdit jusqu'a la mort. Le lendemain
je tombai gravement malade et le medecin qu'on appela revela ma
grossesse a ma mere.

Elle s'arreta quelques instants.

--Vous savez a present ce que vous desiriez savoir. Si je continuais mon
histoire, ce serait celle d'une autre femme ou vous ne reconnaitriez
plus l'Isabelle du medaillon.

Deja je reconnaissais assez mal celle dont mon imagination s'etait
prise. Elle coupait ce recit d'interjections, il est vrai, recriminant
contre le destin, et elle deplorait que dans ce monde la poesie et le
sentiment eussent toujours tort; mais je m'attristais de ne distinguer
point dans la melodie de sa voix les chaudes harmoniques du coeur. Pas
un mot de regret que pour elle! Quoi! pensais-je, est-ce la comme elle
savait aimer?...

A present je ramassais les menus objets de la corbeille renversee, qui
s'etaient eparpilles sur le sol. Je ne me sentais plus aucun desir de la
questionner davantage; subitement incurieux de sa personne et de sa vie,
je restais devant elle comme un enfant devant un jouet qu'il a brise
pour en decouvrir le mystere; et meme l'attrait physique dont encore
elle se revetait n'eveillait plus en ma chair aucun trouble, ni le
battement voluptueux de ses paupieres, qui tantot me faisait
tressaillir. Nous causions de son denuement; et comme je lui demandais
ce qu'elle se proposait de faire:

--Je chercherai a donner des lecons, repondit-elle; des lecons de piano;
ou de chant. J'ai une tres bonne methode.

--Ah! vous chantez?

--Oui; et je joue du piano. Dans le temps j'ai beaucoup travaille.
J'etais eleve de Thalberg ... J'aime aussi beaucoup la poesie.

Et comme je ne trouvais rien a lui dire:

--Je suis sure que vous en savez par coeur! Vous ne voudriez pas m'en
reciter?

Le degout, l'ecoeurement de cette trivialite poetique achevait de
chasser l'amour de mon ame. Je me levai pour prendre conge d'elle.

--Quoi! vous partez deja?

--Helas! vous sentez bien vous aussi qu'il vaut mieux maintenant que je
vous quitte. Figurez-vous qu'aupres de vos parents, a l'automne dernier,
dans la torpeur de la Quartfourche, je m'etais endormi, que je m'etais
epris d'un reve, et que je viens de m'eveiller. Adieu.

Une petite forme claudicante apparut a l'extremite tournante de l'allee.

--Je crois que j'apercois Casimir, qui sera content de me revoir.

--Il vient. Attendez-le.

L'enfant se rapprochait a petits bonds; il portait un rateau sur
l'epaule.

--Permettez-moi d'aller a sa rencontre. Il serait peut-etre gene de me
retrouver pres de vous. Excusez-moi ... Et brusquant mon adieu de la
maniere la plus gauche, je saluai respectueusement et partis.


Je ne revis plus Isabelle de Saint-Aureol et n'appris rien de plus sur
elle. Si pourtant: lorsque je retournai a la Quartfourche l'automne
suivant, Gratien me dit que, la veille de la saisie du mobilier,
abandonnee par l'homme d'affaires, elle s'etait enfuie avec un cocher.

--Voyez-vous, Monsieur Lacase, ajoutait-il sentencieusement,--elle n'a
jamais pu rester seule; il lui en a toujours fallu un.

La bibliotheque de la Quartfourche fut vendue au milieu de l'ete. Malgre
les instructions que j'avais laissees, je ne fus point averti; et je
crois que le libraire de Caen qui fut appele a presider la vente se
souciait fort peu de m'y inviter non plus qu'aucun autre serieux
amateur. J'appris ensuite avec une stupeur indignee que la bible fameuse
s'etait vendu 70 fr. a un bouquiniste du pays; puis revenue 300 fr.
aussitot apres, je ne pus savoir a qui. Quant aux manuscrits du XVIIe
siecle, ils n'etaient meme pas mentionnes dans la vente et furent
adjuges comme vieux papiers.

J'eusse voulu du moins assister a la vente du mobilier, car je me
proposais d'acheter quelques menus objets en souvenir des Floche; mais
prevenu trop tard je ne pus arriver a Pont-l'Eveque que pour la vente
des fermes et de la propriete. La Quartfourche fut acquise a vil prix
par le marchand de biens Moser-Schmidt, qui se disposait a convertir le
parc en prairies, lorsqu'un amateur americain la lui racheta; je ne sais
trop pourquoi, car il n'est pas revenu dans le pays, et laisse parc et
chateau dans l'etat que vous avez pu voir.

Peu fortune comme j'etais alors, je pensais n'assister a la vente qu'en
curieux, mais, dans la matinee, j'avais revu Casimir, et, tandis que
j'ecoutais les encheres, une telle angoisse me prit a songer a la
detresse de ce petit que, soudain, je resolus de lui assurer l'existence
sur la ferme que souhaitait occuper Gratien. Vous ne saviez pas que j'en
etais devenu proprietaire? Presque sans m'en rendre compte j'avais
pousse l'enchere; c'etait folie; mais combien me recompensa la triste
joie du pauvre enfant ...

J'allai passer les vacances de Paques et celles de l'ete suivant dans
cette petite ferme, chez Gratien, pres de Casimir. La vieille
Saint-Aureol vivait encore; nous nous etions arranges tant bien que mal
pour lui laisser la meilleure chambre; elle etait tombee en enfance,
mais pourtant elle me reconnut et se souvint a peu pres de mon nom;

--Que c'est aimable, Monsieur de Las Cases! Que c'est aimable a vous,
repetait-elle quand elle me revit d'abord. Car elle s'etait
flatteusement persuadee que j'etais revenu dans le pays uniquement pour
lui rendre visite.

--Ils font des reparations au chateau. Cela sera tres beau! me
disait-elle confidentiellement, comme pour m'expliquer son denument, ou
se l'expliquer a elle-meme.

Le jour de la vente du mobilier, on l'avait d'abord sortie sur le perron
du salon, dans son grand fauteuil a oreillettes; l'huissier lui fut
presente comme un celebre architecte venu de Paris tout expres pour
surveiller les travaux a entreprendre (elle croyait sans peine a tout
ce qui la flattait); puis Gratien, Casimir et Delphine l'avaient
transportee jusque dans cette chambre qu'elle ne devait plus quitter,
mais ou elle vecut encore pres de trois ans.

C'est pendant ce premier ete de villegiature sur ma ferme, que je fis
connaissance avec les B. dont j'epousai plus tard la fille ainee. La
R----, qui depuis la mort de mes beaux-parents nous appartient, n'est
pas, vous l'avez-vu, tres distante de la Quartfourche; deux ou trois
fois par an, je retourne causer avec Gratien et Casimir, qui cultivent
fort bien leurs terres et me versent regulierement le montant de leur
modeste fermage. C'est la que je m'en fus tantot apres que je vous eus
quittes.


La nuit etait bien avancee lorsque Gerard acheva son recit. C'est
pourtant cette meme nuit que Jammes, avant de s'endormir, ecrivit sa
quatrieme elegie:

_Quand tu m'as demande de faire une elegie sur ce domaine abandonne ou
le grand vent ..._






End of the Project Gutenberg EBook of Isabelle, by Andre Gide

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ISABELLE ***

***** This file should be named 11042.txt or 11042.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        https://www.gutenberg.org/1/1/0/4/11042/



Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties.  Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark.  Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission.  If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy.  You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research.  They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks.  Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
https://gutenberg.org/license).


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS," WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
compressed (zipped), HTML and others.

Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
the old filename and etext number.  The replaced older file is renamed.
VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
new filenames and etext numbers.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
are filed in directories based on their release date.  If you want to
download any of these eBooks directly, rather than using the regular
search system you may utilize the following addresses and just
download by the etext year.

     https://www.gutenberg.org/etext06

    (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
     98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)

EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
filed in a different way.  The year of a release date is no longer part
of the directory path.  The path is based on the etext number (which is
identical to the filename).  The path to the file is made up of single
digits corresponding to all but the last digit in the filename.  For
example an eBook of filename 10234 would be found at:

     https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234

or filename 24689 would be found at:
     https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689

An alternative method of locating eBooks:
     https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL