La chanson de la Bretagne

By Anatole Le Braz

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Title: La chanson de la Bretagne

Author: Anatole Le Braz

Release date: November 19, 2025 [eBook #77273]

Language: French

Original publication: Paris: Calmann-Lévy, 1898

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA CHANSON DE LA BRETAGNE ***





  ANATOLE LE BRAZ

  La Chanson
  de la Bretagne


  PARIS
  CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS
  3, RUE AUBER, 3




CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS


DU MÊME AUTEUR

Format in-18.

  AU PAYS DES PARDONS          1 vol.
  LA CHANSON DE LA BRETAGNE    1 --
  LE GARDIEN DU FEU            1 --
  PAQUES D’ISLANDE             1 --
  LE SANG DE LA SIRÈNE         1 --
  LA TERRE DU PASSÉ            1 --
  LE THÉATRE CELTIQUE          1 --


1802-06.--Coulommiers. Imp. Paul BRODARD.--P12-06.




    A MON PÈRE,
    Cette Chanson du pays est dédiée
    par son fils reconnaissant et respectueux.




Au seuil d’un livre

        ’N hano ann Tad, ar Mab hac ar Spered-Zantel,
        Homan’zo’r ganaouenn zavet en Breiz-Izel!
        Zavet gant eur paour-kèz, en Ar-goat, en Ar-vor;
        Kanet anez-hi, pewienn, hac ho pezo digor[1]!

  [1] Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Celle-ci est une
    chanson _levée_ en Basse-Bretagne, _Levée_ par un humble, au pays
    des Bois, au pays de la Mer; Chantez-la, mendiants, et les portes
    s’ouvriront devant vous.


I

    J’ai laissé l’âme bretonne
    Chanter en moi son doux chant;
    Il est vieux et monotone,
    Il n’en est que plus touchant.

    C’est la chanson de nourrice
    Dont enfant je fus bercé;
    Humblement consolatrice,
    Elle enchanta mon passé.

    Si je pouvais la redire
    Aussi bien que je la sais,
    On l’entendrait, sans sourire,
    Même au grand pays français.

    Les pasteurs dans la montagne,
    Les fileuses dans l’_armor_,
    Sont presque seuls en Bretagne
    A la fredonner encor.

    Elle est douce sur les lèvres
    Des fileuses de lin clair,
    Ou quand les gardeurs de chèvres
    Sur les monts en sifflent l’air.

    Mais que vaudra-t-il, ce psaume
    Du vieux peuple primitif,
    Sans la hutte au toit de chaume,
    Sans la mer au cœur plaintif?

    Hélas! j’ai peur qu’on en rie,
    Et j’en serais désolé!
    C’est le chant de la patrie
    Chanté par un exilé.


II

    Quand, des brumes de l’Irlande
    Au ciel gris de Breiz-Izel,
    S’en vinrent, par la mer grande,
    Sainte Jeune et Saint Envel,

    L’un à gauche, l’autre à droite.
    Remontèrent, séparés,
    Le cours d’une eau qui miroite
    Aux flancs roux des Monts d’Arez.

    Sur deux pentes opposées
    Chacun d’eux fit sa maison...
    L’eau vive entre leurs pensées
    Roulait sa claire chanson.

    Là, vécurent dans le jeûne,
    Afin de gagner le ciel,
    Le frère de Sainte Jeune
    Et la sœur de Saint Envel.

    Quand tous les bruits de la terre
    S’étaient fondus dans le soir,
    Avec des voix de mystère
    Ils se parlaient, sans se voir;

    Et le ruisseau des prairies
    Mêlait son chant fraternel,
    En ces nobles causeries,
    Aux voix de Jeune et d’Envel.

    Mais lorsque Jeune, mourante,
    Ne put parler que tout bas,
    Envel dit à l’eau courante:
    «Ruisselet, ne chante pas!»

    L’eau soudain se fit muette.
    Depuis ce temps elle court,
    D’un vol furtif de chouette,
    Dans la nuit du vallon sourd.


III

    Comme Jeune, la Bretagne
    Va dans la mort s’assoupir;
    Sur la côte ou la montagne,
    Son chant n’est plus qu’un soupir.

    Pour l’entendre, j’ai fait taire
    Toute voix qui vient d’ailleurs;
    Et, dans mon cœur solitaire,
    Se sont tus jusqu’à mes pleurs.

    On dit qu’en visions brèves,
    Devant les yeux clos déjà,
    Surgissent plus grands les rêves
    Qu’aux jours vivants on songea.

    Or, je viens chanter aux portes
    Les derniers rêves cueillis
    Sur les lèvres presque mortes
    Du plus aimé des pays.




Faneuses de goëmons


    J’ai vécu, tout enfant, parmi les filles frustes,
    Les vierges de la mer, sauvages et robustes,
        Les faneuses de goëmons,
    Qui, du matin au soir, le long de la Presqu’île,
    Promènent leur chair blonde, indolente et tranquille,
    Avec le vent du large en leurs larges poumons.

    Je les aimais. J’aimais leurs sereines allures
    Et leurs broussailles d’or, leurs fauves chevelures
        Que saupoudre le sol amer,
    J’aimais leurs yeux pareils aux flaques d’eau des grèves,
    Où l’on voit onduler des ombres de grands rêves...
    Le regard s’ennoblit à contempler la mer.

    Sous la jupe en lambeaux, leur corps de patriciennes
    A la chaste impudeur des races très anciennes
        Que vêt leur grave nudité;
    Elles n’ont jamais eu de toit qui les abrite;
    Les gabelous leur ont cédé quelque guérite,
    Logis de goëlands, des tempêtes hanté!

    Sur des tas de varechs, elles y dorment, belles;
    Et les guérites ont comme un air de chapelles.
        Au haut des caps sombres et nus.
    Des marins ennuyés y montent, solitaires.
    On pense à je ne sais quels étranges mystères
    Célébrés en l’honneur de grands Dieux inconnus.

    Quand se lèvent des jours les aurores sanglantes,
    Leurs yeux cernés, au loin, suivent les barques lentes,
        Sans regret comme sans espoir;
    Silencieusement, en longue théorie,
    Elles fanent la grève ainsi qu’une prairie.
    Retournant le foin roux avec le trident noir.

    Mais, aux heures de sieste, ardentes amazones,
    Elles plongent leurs poings dans les crinières jaunes
        Des rocs bruns, monstres de granit.
    Et, sur le dos géant de ces fauves montures,
    Vont assouvir leur soif de vastes aventures
    Par delà le grand cercle où l’Océan finit.

    Et c’est pourquoi, le soir, aux premières étoiles,
    Quand rentrent les pêcheurs et que sèchent les voiles,
        Lourdes, au long du fin galet,
    On les voit rire avec mépris, ces orgueilleuses,
    Qui savent le chemin des eaux miraculeuses
    Et draguent l’infini d’un seul coup de filet.

    Ma solitaire enfance erra parmi ces filles;
    Sur leurs genoux, drapés de superbes guenilles,
        Elles me bercèrent souvent;
    J’entends toujours les chants qu’elles chantaient aux plages,
    Et mon âme est pareille à ces grands coquillages
    Où la plainte des mers s’éveille au moindre vent.




La source enchantée

A Madame Collier.


    J’errais dans la montagne un jour de chaleur grande.
    Une source s’offrit, claire, parmi des houx.
    Comme les chevaliers dont parle la légende
    Pour boire dans ma main je me mis à genoux.

    Quelqu’une qui paissait un troupeau dans la lande
    Me cria, mais hélas! trop tard: «Malheur à vous!»
    J’avais bu, sans savoir, l’eau de Brocéliande.
    Ma lèvre en a gardé l’impérissable goût.

    Et je vais, depuis lors, indifférent aux choses
    Qui font les hommes gais ou qui les font moroses.
    La source fée en moi luit sous les arbres verts;

    Je suis le prisonnier de son eau diaphane,
    Et je ne sais plus rien de l’immense univers
    Que le reflet changeant des yeux de Viviane.




Terre d’Armor


    C’est une terre en pierre, et qui tombe en ruine;
    C’est le cadavre épars d’un pays effondré.
    Un fantôme de ciel erre, dans la bruine,
    En quête d’un soleil qui s’est évaporé.

    Les rochers même, au bord des mers tristes, se meurent
    D’un mal mystérieux, nostalgique et fatal.
    Et la lumière grise a dans ses yeux qui pleurent
    Le regard immolé d’une sœur d’hôpital.

    Des brumes, des linceuls moisis, de longs suaires
    Traînent leur deuil sinistre au flanc des vallons bas;
    Et là-haut, les Ménez semblent des ossuaires,
    De grands cairns entassés sur d’immenses trépas.

    Plus haut encor, les bras ouverts dans les ténèbres,
    Comme de grands oiseaux cloués en plein essor,
    Les christs miment dans l’air, de leurs gestes funèbres,
    La désolation de la terre d’Armor.

                   *       *       *       *       *

    Mais voici. Le printemps a rajeuni le monde,
    Et le pays croulant, soudain ressuscité,
    S’éveille entre les bras de la lumière blonde,
    Et l’hymne de la vie en son cœur a chanté!

    La mer est toute neuve et comme adolescente,
    Et, rassemblant ses flots d’un geste harmonieux
    Elle se lève et marche en sa grâce puissante,
    Et le ciel est plus beau, reflété dans ses yeux.

    Des appels sont venus de la patrie antique.
    Les rochers qui jadis furent bardes et roi,
    Au souffle évocateur du renouveau celtique,
    Sentent vibrer en eux les harpes d’autrefois.

    Les brumes qui stagnaient, mornes, au ras des plaines,
    Se gonflent dans l’espace en chatoyants tissus,
    Voiles aériens d’un chœur de Madeleines
    Qui viennent, dans l’azur, de voir monter Jésus.

    Et, sur la proue en fleurs d’un vaisseau de nuages,
    S’avance l’astre-dieu, le soleil aux doigts d’or;
    Et la jeune saison suspend ses clairs feuillages
    Au front rasséréné de la Terre d’Armor.




Les épaves

A Émile Combe.


    Dans l’âpre souffle des hivers,
    Pareilles à des noyés hâves,
    Voici venir du fond des mers
    Les tristes, les vieilles épaves...

    Et c’étaient jadis des vaisseaux,
    Des vaisseaux bruns aux blanches voiles,
    Que berçait l’infini des eaux
    Avec la chanson des étoiles;

    C’étaient des bricks aux mâts hautains,
    Aux flancs rebondis, comme l’Arche,
    Et qui semblaient, dans les lointains,
    Un peuple de clochers en marche!

    L’Océan vaste, avec lenteur,
    Les promenait sur son épaule
    Des soleils lourds de l’équateur
    Aux frissonnantes nuits du pôle;

    Et le soir, les marins assis,
    Balancés dans les vergues noires,
    Se racontaient de longs récits,
    Vieux refrains et vieilles histoires;

    Et les mousses, rudes enfants,
    Dans leur sommeil plein de chimères,
    Rêvaient des retours triomphants
    Vers le Pays, où sont les Mères...

    Il est là-bas, le pays vert,
    Au bord des galets, dans la brume...
    Ils reviendront... Le seuil ouvert
    A l’air d’attendre, et l’âtre fume.

    Ils reviendront... Ils ont écrit,
    Ceux du moins qui savent écrire;
    Ils reviendront... La mer sourit
    De son mystérieux sourire.

    Il passe des nuits et des jours,
    Jours inquiets! Nuits oppressées!
    «Ils reviendront...» chante toujours
    L’espérance des fiancées...

    Mais les mères aux cœurs tremblants,
    Déjà prises de peurs amères,
    Allument de longs cierges blancs
    Aux pieds de la Mère des Mères...

    Et c’est pitié, pitié de voir
    Comme leurs yeux fixent la flamme!
    Quand elle hésite, c’est l’espoir
    Qui vacille aussi dans leur âme.

    Hélas! ils se sont tous éteints,
    Les cierges blancs, dans la chapelle;
    Et tous morts, les absents lointains
    N’entendent plus qu’on les rappelle.

    La mer qui les a tant bercés,
    La mer, leur nourrice farouche,
    Les a gardés pour fiancés
    Et les a couchés dans sa couche.

    Et maintenant, silencieux,
    Ils dorment dans la couche verte;
    Les flots leur ont fermé les yeux,
    Le sable emplit leur bouche ouverte...

    Ne questionnez pas le flux,
    N’interrogez pas les marées,
    Mères; ils ne frapperont plus
    A vos lucarnes éclairées...

    Seules passent dans les hivers,
    Pareilles à des noyés hâves,
    En troupeaux noirs, d’algues couverts,
    Les tristes, les vieilles épaves.




La cité dolente


    Occismor ou Ker-Is, Lexobie ou Tolente,
    Les Bretons ont dans l’âme une Cité dolente,
    Un cadavre de ville où, vivantes encor,
    A des clochers détruits tintent des cloches d’or.

    Là, c’est toujours soleil, et toujours c’est dimanche.
    Dans l’église, officie un prêtre à barbe blanche,
    Et l’on entend bruire en ses cheveux flottants
    Des souffles émanés de plus loin que les temps.

    Tout un peuple muet, immobile et funèbre,
    Suit d’un cœur obstiné la messe qu’on célèbre,
    Attend, pour se lever, que l’office ait pris fin,
    Et toujours attendra, dût-il attendre en vain.




Les mouettes

A Madame Edmée Bénac.


    L’eau brumeuse de la rivière
    S’éveille dans le matin clair.
    Du fond calme de l’estuaire
    Voici monter, monter la mer.

    Elle entre au cœur de la vallée
    Comme un brusque jet de sang fort,
    Et sa rude haleine salée
    Ressuscite le pays mort;

    Et la vieille ville assoupie,
    Tréguier, Pontrieux ou Quimper
    Tressaille, comme si la vie
    Montait en elle avec la mer;

    Et les barques, dont les mâts penchent
    Si tristes, au pied des remparts.
    Sentent soudain vibrer leurs planches
    Comme à l’appel des grands départs...

                   *       *       *       *       *

    Voici monter la mer sereine,
    Source de vie et de santé!...
    La voix douce d’une Sirène
    Très loin, vers le large, a chanté.

    Et, l’aile ouverte toute grande,
    Pareils à des Esprits des eaux,
    Voici, là-bas, venir en bande
    Des oiseaux blancs, de clairs oiseaux.

    Porteurs d’on ne sait quels messages,
    Ils arrivent au premier flux...
    Mouettes, colombes des plages,
    Lumières volantes, salut!

    Les vieux marins, dont l’œil s’allume
    Sitôt que passe votre cri,
    Content qu’en un flocon d’écume
    Votre corps souple fut pétri.

    Et, s’il faut en croire leurs femmes,
    Les Morganes, vierges des mers,
    Ont mis en vous, avec leur âme,
    L’enchantement de leurs yeux pers.

    C’est pourquoi, le long des rivières,
    Vous allez, au rythme du flot,
    Et tournez autour des chaumières,
    A l’heure où s’ouvrent les lits clos;

    C’est pourquoi, dans les vieilles villes,
    Entre les quais abandonnés,
    On vous voit, sur l’onde immobile,
    Tourbillonner, tourbillonner.

    Vous venez chanter les espaces
    A l’homme incliné vers le sol;
    Vous venez, à nos âmes lasses,
    Montrer le chemin des grands vols.

    Et, jetant là nos vaines charges,
    Espoirs tristes et vœux dolents,
    Nous n’aspirons plus, vers le large,
    Qu’à suivre les pèlerins blancs.

                   *       *       *       *       *

    Mouettes, mouettes des grèves,
    Que de fois, aux jours enfantins.
    Je vous ai dit: «Prenez mes rêves,
    Malades du mal des lointains!»

    C’était dans un vieux port des terres,
    Silencieux comme un étang.
    Un rare lougre solitaire
    S’y hasardait tous les cent ans.

    Un clocher, les toits d’un village
    Dans un décor de lande en fleurs...
    Pour tout bruit, le long du halage,
    Le han! cadencé des haleurs.

    Corde au cou,--tels, aux temps barbares,
    Des cortèges de prisonniers,--
    Ils geignaient, tirant leurs gabarres,
    Leurs lourds bateaux goëmonniers.

    Les femmes, du seuil des demeures,
    Guettaient, muettes, leur retour...
    Oh! la morne plainte des heures
    Dans la paix grise du vieux bourg!

    Et c’est pourtant le paysage
    Qui m’est, entre tous, resté cher.
    J’ai, depuis, vu d’autres rivages...
    Mais, de là, j’ai conquis la mer!

                   *       *       *       *       *

    De là, mes jeunes rêveries
    Sur vos ailes ont pris l’essor,
    O colombes des mers fleuries,
    O porteuses du rameau d’or!

    Les beaux voyages chimériques
    Que j’ai faits, couché sur le dos,
    Vers d’éclatantes Amériques,
    De merveilleux Eldorados!

    Vous étiez mes blanches montures,
    Mouettes, vous souvenez-vous?
    Par les chemins de l’aventure
    Nous allions!... Le ciel était doux;

    Le mirage enchanté des choses
    Déroulait ses tableaux changeants.
    Nous allions!... Et vos pattes roses
    Ramaient sous vos ailes d’argent!

    Comme de fines caravelles,
    Vous voguiez, et je respirais
    Un parfum de terres nouvelles
    Venu d’invisibles forêts.

    Les cités où nous abordâmes
    Sont, hélas! au pays d’oubli.
    L’homme en vieillissant change d’âme
    O mouettes, et j’ai vieilli.

    Pourtant, au fond de mes pensées.
    Souvent je vois encor, je vois
    Onduler l’image effacée
    Des Atlantides d’autrefois.

    Vais-je revivre à votre approche
    Les grands songes rêvés jadis?
    Écoutez! On entend des cloches...
    Hélas! Ce sont les cloches d’Is!




Nuit insulaire

A François Gélard.


    Dans la ruelle étroite au point qu’un seul passant
    Suffit à l’obstruer presque toute, je croise
    Un de ces homardiers qui viennent de l’Iroise
    Vendre aux marchés de Sein la pêche d’Ouessant.

    Et voici qu’un volet de lucarne, en grinçant,
    S’ouvre dans un vieux mur coiffé de vieille ardoise.
    Une fille est là-haut qui se penche, sournoise;
    Et l’homme fait un signe, et la fille descend.

    Silencieuse, elle a noué sa cape brune
    Sur son cou pâle et fin comme un croissant de lune.
    Le gars, d’une voix sourde, a dit: «Vogue le sort!»

    Je les ai vus glisser furtifs dans l’ombre épaisse
    La fille avait l’air fixe et dur d’une prêtresse,
    L’homme allait à l’amour comme on marche à la mort.




Chanson de marche


    C’est l’Orient, la fauve Asie!
    Les premiers Celtes, ennuyés,
    Ont cousu, ce soir, à leurs pieds
    Les ailes de la fantaisie.

    Déjà le peuple débordant,
    Toujours à l’étroit dans le monde,
    Déjà la race vagabonde
    S’achemine vers l’Occident.

    Déjà la tribu se déroule
    Et par la terre elle s’épand;
    Elle ondule comme un serpent,
    Elle s’enfle comme une houle.

    En tête, les flûtes en buis
    Murmurent des chansons apprises
    De la lèvre douce des brises,
    Dans le silence noir des nuits...

    Chanson des marches primitives,
    Est-ce toi que nous entendons
    Siffler, dans les âtres bretons,
    Par les lutins aux voix plaintives?




Entre Plomeur et Plovan

A Auguste Dupouy.


    Les âpres Bigoudenn aux formes d’Androgynes
    Ont dans leurs yeux, figés comme l’eau des étangs,
    L’inquiétante nuit des longues origines,
    Le mystère qui dort au fond lointain des temps.

    Frustes, l’air incomplet des idoles barbares,
    Dans leurs vêtements lourds qui tombent à plis morts,
    Le long du pays maigre et des côtes avares,
    Rôdent les Bigoudenn, les filles aux grands corps.

    A leurs corsages plats ont fleuri des fleurs jaunes,
    Des mousses de menhirs, des lichens aux tons roux;
    Et leurs yeux sans regard, leurs yeux fixes d’icônes,
    Naïvement cruels sont servilement doux.

    Brûleuses de varechs et pilleuses d’épaves,
    Leur rêve paît au loin la grise immensité.
    Et leur troupeau, vautré dans les horizons graves,
    Sur le grand pays morne a l’air d’être sculpté.




La chanson des chênes


    Chantez aux enfants la chanson des chênes!

    Nous avons poussé, les beaux arbres verts,
    Libres au soleil, dans les forêts franches.
    Une âpre santé fleurit dans nos branches;
    Nous buvons à même aux cieux grands ouverts
          Le sang de nos veines.

    Chantez aux enfants la chanson des chênes!

    Nous avons saigné par bien des endroits,
    Quand les vents jaloux nous livraient bataille;
    Mais ils n’ont pas pu courber notre taille;
    Nos cœurs sont intacts, nos fronts restent droits,
          Nos cimes, hautaines.

    Chantez aux enfants la chanson des chênes!

    Nous sommes debout; les vents ont passé.
    Le courroux des vents ne dure qu’une heure,
    La force du chêne à jamais demeure...
    Nous avons grandi, nous avons poussé,
          Sans peurs et sans haines.

    Chantez aux enfants la chanson des chênes!

    Nous avons souffert, nous avons aimé...
    O nature immense au multiple ventre,
    Mère dont tout sort, mère en qui tout rentre,
    Dans ton vaste sein nous avons semé
          Les robustes graines.

    Chantez aux enfants la chanson des chênes!

    Nous avons vieilli, les beaux arbres noirs,
    Que les blancs hivers ont vêtus de givre;
    Contents de mourir, mais non las de vivre,
    De l’auguste paix qui remplit les soirs
          Nos âmes sont pleines.

    Chantez aux enfants la chanson des chênes!




En mai


    Des cloches ont tinté dans le calme du soir...
    O mon pays, pays d’Armor, si doux à voir,
    Terre en qui l’on sent vivre une âme presque humaine.
    Quel est ce souvenir qui vers toi me ramène?
    On dirait qu’un ami me conduit par la main,
    Et je vais... Des ajoncs verdissent le chemin;
    L’air s’emplit de l’odeur des aubépines blanches;
    Les larmes de la nuit tremblent au bout des branches;
    C’est signe que l’on pense à moi, des pleurs aux yeux.
    Et, d’être ainsi pleuré, mon exil est joyeux.

    Chez nous, le mois de Mai, c’est le mois de Marie,
    La cloche tinte... On aime ailleurs; chez nous on prie...
    Les autels sont parés; à genoux, paysans!
    Et, dans l’église en fleurs, monte un parfum d’encens;
    Des papillons d’été volent autour des cierges.
    Comme les chants sont beaux sur la lèvre des vierges!
    Elles disent: Salut, Étoile de la mer!
    Et les pêcheurs, brûlés par l’âpre vent d’hiver,
    Tout frissonnants encor des longues nuits d’Islande,
    S’inclinent, à côté des pâtres de la lande
    Qui, le rosaire aux doigts et le front sur l’épieu,
    Dans leur silence grave ont l’air d’écouter Dieu.

    O laboureurs de flots, ô laboureurs de terre,
    Ce Dieu qui parle en vous, c’est l’âme héréditaire
    Dont le souffle vivace et le frisson vainqueur
    Du cœur des Celtes morts vous passent dans le cœur.
    Et, tandis qu’en son vol le virginal cantique
    Emporte vos _Ave_ vers la Stella mystique,
    Une autre étoile en vous scintille, et sa clarté
    Fait de votre âme douce un firmament d’été.
    Lampe de l’Idéal, pâle et triste lumière
    Que notre vieille race alluma la première,
    Qu’elle abrita--tremblante encore--de sa main
    Et suspendit dans l’ombre au fond du cœur humain!

    L’humble étoile, en ces jours de détresse où nous sommes,
    Va, dit-on, se mourant de l’abandon des hommes.
    Une bouche mauvaise a sur elle soufflé!
    La lampe d’or n’est plus qu’un vieux vase fêlé
    D’où l’huile sainte filtre, et fuit, et s’épand toute...
    Ah! vous, du moins, gardez qu’il n’en tombe une goutte;
    Entretenez la flamme avec un soin jaloux:
    L’heure est proche où la terre aura besoin de vous.
    Veillez que toujours brille et jamais ne se voile
    L’astre aimé des aïeux, la pâle et douce étoile!

    Les temps sont annoncés. On reconstruit le ciel.
    Quand passeront les voix des chanteurs de Noël,
    Soyez prêts! Vous verrez, par la lande et la grève
    Les pèlerins nouveaux monter vers l’ancien rêve,
    Et, comme au temps d’Arzur, rallumer à tâtons
    Le divin flambeau d’âme au foyer des Bretons.




La chanson du vent de mer


    O vent de mer, ô roi des vents,
    Toi qui fais, quand tu te déchaînes,
    Crier l’angoisse des vivants
    Dans le vaste sanglot des chênes,

    Souffle, souffle, grand souffle amer,
    O roi des vents, ô vent de mer!


    O vent de mer, ô roi des vents,
    De nos âmes et de nos portes
    Chasse les rêves décevants,
    Avec le tas des feuilles mortes.

    Souffle, souffle, grand souffle amer,
    O roi des vents, ô vent de mer!


    O vent de mer, ô roi des vents,
    Fais-nous planer dans ton domaine,
    Sur l’infini des flots mouvants,
    Plus haut que l’espérance humaine!

    Souffle, souffle, grand souffle amer,
    O roi des vents, ô vent de mer!


    O vent de mer, ô roi des vents,
    On dit que c’est Dieu, quand tu passes,
    Qui parle aux âmes des fervents,
    Dans l’immensité des espaces!

    Souffle, souffle, grand souffle amer,
    O roi des vents, ô vent de mer!


    O vent de mer, ô roi des vents,
    Prends notre rêve, et, sur ton aile,
    Qu’il monte aux éternels Levants
    Ou tombe à la nuit éternelle!

    Souffle à jamais, grand souffle amer,
    O roi des vents, ô vent de mer!




A Paimpol

        Ma vijé bolonté Doué,
        Vije aman’nn Douar-Newè[2]!
          Eham tira tra la la laire
          Eham tira tra la la la.

        (Chanson paimpolaise.)

  [2] Si c’était la volonté de Dieu, Que fût ici la Terre-Neuve...

A François Perrot, capitaine islandais.


    Fleurs de soleil et de jeunesse,
    Blanche leur coiffe et blanc leur col,
    Voici venir de la grand’messe
    Les belles filles de Paimpol.

    Elles viennent, lentes, par couples,
    Et dans leurs mains sont des psautiers...
    Mais ce sont chattes aux reins souples
    Que ces filles de flibustiers.

    Ce soir, sous les libres Allées,
    Les enlaçant d’un bras nerveux,
    De grands gars aux lèvres salées
    Les baiseront dans les cheveux;

    Cependant que les eaux muettes,
    Dans le bassin, au long des quais,
    Balanceront vos silhouettes,
    O navires des «Islandais»...

                   *       *       *       *       *

    Quand la chanson doit être brève,
    C’est le moins qu’on la chante fort!
    Ils épuisent d’un coup leur rêve,
    Ceux qui vivent avec la mort.

    Pour boire leur paie aux auberges,
    Pour songer leur songe d’amour,
    Les gars d’Islande aux barbes vierges,
    Les hommes enfants n’ont qu’un jour.

    Eham tira! tra la la laire!
    Laisse venter, ma belle est là!
    Laisse venter le vent polaire...
    Eham tira, tra la la la!...

    La chanson grave se déroule
    De Porz-Evenn à Plourivo.
    Vente le vent! Le cidre coule;
    C’est la sève du temps nouveau.

    La mer de cidre, la mer blonde,
    Ohé! Qu’on la vide à pleins bols!
    Après nous, c’est la fin du monde!...
    Et la nuit descend sur Paimpol;

    Sur les mâtures élancées
    La nuit ondule comme un dais;
    Et les filles dorment, bercées,
    Sur le poitrail des Islandais.

                   *       *       *       *       *

    _Ave maris Stella_... Mer grande,
    Mer brumeuse de février!
    Pour le départ des gars d’Islande,
    Les prêtres sont venus prier.

    La croix d’argent dans l’air se dresse...
    Et le Christ, les bras étendus
    Dans un long geste de détresse,
    Bénit d’avance les «perdus».

    Comme une forêt de squelettes,
    Les mâts entrechoquent leurs os...
    C’est le départ des goëlettes
    Pour le cimetière des eaux.

    La voile s’ouvre comme une aile;
    Elle plane, elle court, là-bas,
    Peut-être à l’Islande éternelle
    D’où l’Islandais ne revient pas.

    Les mouchoirs blancs sur les falaises
    Voudraient aussi, prenant leur vol,
    Voudraient porter les Paimpolaises
    Où s’en vont les gars de Paimpol.

    Mouchoirs blancs, ô vous qu’on agite
    Dans le mystère des adieux,
    Petits mouchoirs, les morts vont vite...
    Restez, pour essuyer les yeux!




Extrait d’un poème de vacances

(ÉCRIT PAR UN CLERC LETTRÉ)


    Pour me conduire aux champs, Yvonne m’accompagne.
    Lourde, sous les grands blés, s’alanguit la campagne,
    Nous suivons un chemin d’eau courante, un ruisseau.
    La fillette sautille avec des bonds d’oiseau,
    Et crie en sautillant: «Gare! la pierre bouge!»
    Moi, je regarde aller la fille en jupon rouge,
    Sous les saules qui font sur nous un dôme obscur;
    Je regarde courir ses pieds de marbre pur,
    Des gouttes de soleil ruissellent sur sa joue,
    Et je songe à tes vers, ô Celte de Mantoue!




Tréguêr


    Un cloître de silence, un hôpital des âmes,
    Et de grises maisons de nobles,--c’est Tréguêr...
    Nul bruit, que les sabots claquants des vieilles femmes,
    Et l’oraison du vent qui monte avec la mer.

    Telles que des surplis de prêtres, les nuées
    Blanchissent, dans un ciel dormant comme un lavoir.
    Le long des quais déserts, des barques échouées,
    Dévotieuses, font leur prière du soir.

    Un douanier, de garde au bord de l’eau, sifflote
    Un air mélancolique, une chanson d’ennui;
    Et, comme émue à cet appel, l’âme vieillote,
    L’âme des temps fanés s’éveille autour de lui.

    Et l’humble gabelou, sentinelle des grèves,
    D’un mal délicieux se sent le cœur troublé;
    Il a vu se lever le vol des anciens rêves,
    Et leur aile subtile en passant l’a frôlé.

    C’est ici le pays des choses de mystère,
    Des jardins emmurés et comme ensevelis,
    Où fleurit sans soleil la pâleur solitaire
    Des nonnes au front doux, blanches comme des lis.

    Ici se songe encor le songe des vieux âges;
    Une piété grave embaume l’air du soir.
    La paix galiléenne est sur les paysages,
    Et tout l’horizon fume ainsi qu’un encensoir.

    Dans l’ombre, sur la place, autour de la piscine,
    Des femmes sont debout qui causent à mi-voix.
    Et l’on s’attend à voir paraître une voisine
    Pour annoncer qu’un Dieu vient de mourir en croix.




Saint Yves


    Quand les vents, les vents haïs
    Hurlent dans les nuits plaintives,
    Les femmes de mon pays
    Vont par bandes à Saint-Yves!

    Elles s’en vont, le front ceint
    De la cape grise ou noire,
    Déposer aux pieds du saint
    Leur obole et leur histoire.

    Et l’obole est un vieux sou,
    Durement gagné la veille
    A la pêche, Dieu sait où!
    L’histoire est encor plus vieille.

    Toujours le récit amer
    De gens, partis dès l’aurore
    A la mer, et que la mer
    N’a pas ramenés encore.

    --«Bon saint Yves, rends-nous-les!
    Nous te promettons, messire,
    De dire vingt chapelets
    Devant vingt cierges de cire.»

    Et le saint, pliant son cou,
    Penchant son grand corps de pierre,
    En ramassant le vieux sou
    Ramasse aussi la prière.

    --«Femmes, chez vous retournez,
    Car vos hommes sont dans l’aire
    Qui bercent vos dernier-nés
    Au chant de la mer polaire.»




Évocations

En souvenir du Port-Blanc.


    Penché sur tes yeux gris à la clarté changeante,
    Je vois un pays grave, un pensif horizon,
    Des quais, au bord de l’eau qu’un clair de lune argente,
    Et, dans un bourg antique, une jeune maison.

    La jeune maison blanche, aux fenêtres ouvertes,
    Tournait le dos au monde et regardait la mer.
    Des barques s’endormaient sous leurs voiles inertes,
    Et les vents fatigués s’assoupissaient dans l’air.

    Tes yeux évocateurs ont des clartés subtiles.
    Les roses du matin ont refleuri les cieux.
    Comme aux jours du Port-Blanc, le groupe des Sept-Iles
    S’est mis à défiler dans le fond de tes yeux.

    Elles nageaient ainsi, les îles enchantées,
    Dans une lueur blonde au-dessus des flots pers,
    Et, le soir, descendaient, par l’abîme tentées,
    L’escalier d’or qui mène à l’au-delà des mers.

    Dans tes yeux assombris, je vois une nuit douce,
    L’ajonc mouillé l’embaume, et le goëmon roux...
    Une fontaine en pleurs sanglote dans la mousse;
    Entendre sangloter les fontaines est doux.

    C’était un chemin creux ombragé de grands frênes,
    C’était le pays noir, les landes, les hauteurs;
    Dans le silence ému des larges nuits sereines,
    Se répondaient au loin les appels des pasteurs.

    J’assiste dans tes yeux au lever des étoiles;
    D’un mystérieux pas on les entend marcher;
    C’est un bruit souple et lent de robes et de voiles...
    Peut-être, au bord du ciel, un dieu va se pencher!

    Nos lèvres savouraient la paix de la nature,
    Cet arome infini des grèves et des champs
    Que verse la Bretagne à toute créature,
    Dans la patène d’or des grands soleils couchants.




A Quimperlé

A Édouard Schuré.


I

    Elle est vieille et vaste, la chambre.
    Le lit de passage où je dors
    A, ce soir de premier Novembre,
    Je ne sais quoi qui sent les morts.

    Les rideaux, d’attitude roide,
    Descendent à plis empesés,
    Et des souffles de tombe froide
    Rampent le long des draps glacés.

    La pendule, verte de mousse,
    Tinte des heures d’autrefois;
    On dirait une voix qui tousse
    Pour faire taire d’autres voix.

    Et c’est bientôt un grand silence,
    Un silence lourd et profond
    Où, dans le vide, se balance
    Une ombre accrochée au plafond.

    La chambre est vieille, vaste, haute...
    Ce soir, si j’ai bien entendu,
    Les gens contaient à table d’hôte
    Une aventure de pendu...


II

    Comme en un sursaut d’épouvante,
    L’âme des meubles a gémi...
    On vient d’entrer... c’est la servante:
    --Doux maître, avez-vous bien dormi?

    Elle fait claquer les persiennes,
    Et l’aube du jour automnal
    Met sur les choses anciennes
    Son blanc sourire virginal.

    Et, dans la chambre vieille et vaste,
    Mon cœur se ranime, frôlé
    Par cette odeur de pays chaste
    Qui se respire à Quimperlé.

    L’eau gazouille dans les rivières;
    Des cloches tintent aux moustoirs;
    Et le caquet des lavandières
    Semble mousser sous les battoirs.

    Sur la pointe du pied dressée,
    La fille, au dehors se penchant,
    Jette à quelqu’un, par la croisée,
    Son breton rythmé comme un chant.

    Breton joli des Quimperloises,
    Qui, de leurs lèvres, grain à grain,
    En perles fines, en turquoises,
    S’égrène ainsi que d’un écrin.

    Et tandis que la belle épanche
    Son parler clair, si doux, si lent,
    Le vent trousse sa coiffe blanche
    Comme une aile de goëland.

    Et voici qu’en ma songerie
    Toute vague encor de sommeil,
    Je crois soudain que c’est «Marie»
    Qui me salue à mon réveil.

    Suave, avec son air de nonne,
    Dans la ville de la Lêta,
    M’apparaît Maï la Bretonne
    Que Brizeux en France chanta...


III

    Maï, la servante d’auberge,
    Te ressemblait comme une sœur.
    Elle avait tes yeux fins de vierge,
    Ta beauté sobre, ta douceur.

    Une senteur fraîche et subtile
    De son cou jeune s’exhalait.
    Et c’était ce parfum d’idylle
    Qu’ont en Kerné les «fleurs de lait».

    Comme au soleil naissant se lève
    Le brouillard qu’a tissé la nuit,
    Ainsi la brume de mon rêve
    A son regard s’évanouit.

    Plus de chambre morne, oppressée
    Par on ne sait quelle stupeur!
    Plus d’ombre grise balancée
    Au vent suggestif de la peur!

    Non! Des perspectives lointaines,
    Un ciel voilé, mais transparent;
    Et dans la clarté des fontaines
    Un pays grave se mirant;

    Une atmosphère impondérable
    De paradis élyséen,
    Et l’oraison d’un misérable
    Mêlée à l’aboiement d’un chien...

    Des vieilles aux rides sévères
    Vont pieds nus accomplir un vœu...
    Pays hérissé de calvaires,
    Par une race ivre de Dieu!...

    Dans les sonores étendues
    Vibrent des cloches et des chants;
    Et des fermes inattendues
    Se lèvent du milieu des champs;

    Des murs bas coiffés de vieux chaume,
    Telle une ruche en un courtil.
    Tout à l’entour, la terre embaume
    L’odeur de miel, l’odeur d’avril.

    C’est ici le printemps Celtique
    Où l’âme des eaux et des bois
    S’épanouit en fleur mystique
    A l’arbre même de la Croix.

    Ici, dans sa grâce première.
    Entre les talus éblouis,
    On voit cheminer la lumière
    Comme l’ange blond du pays.

    Ici, dans les demeures closes,
    Habitent les songes heureux,
    Et, sur la molle paix des choses,
    Flotte encor l’âme de Brizeux.




Noël de Bretagne

        Canomp Nouël da Nedelek!

        (Chant populaire.)

A tante Marie.


    Plus brillantes, ce soir, les étoiles du ciel
    Luisent, et les petits Bretons chantent Noël.
    Dans le grand ciel d’hiver les étoiles s’avivent,
    Et les petits Bretons, par groupes qui se suivent,
    De seuil en seuil, de ferme en ferme, vont chantant
    L’Enfant Dieu qui va naître et que l’enfance attend.

    Ils vont, pasteurs d’agneaux et gardeuses de chèvres.
    Le miel de l’évangile a coulé sur leurs lèvres.
    Ils sont les messagers du mystique printemps,
    Et les seuils devant eux s’ouvrent à deux battants.

    Ils entrent. Saluez les blonds évangélistes!
    Leurs yeux versent du ciel dans les chaumières tristes.
    La bassine de cuivre, au-dessus du foyer,
    Comme une lune d’or s’est mise à flamboyer;
    Les lourds bahuts en chêne aux puissantes ferrures
    Ont le poli des clairs étangs sous les nuits pures;
    Les faïences à fleurs embaument le dressoir...
    Et les petits Bretons sont priés de s’asseoir.

                   *       *       *       *       *

    --Chanteurs de Nedelek[3], dites-nous, quelle est Celle
    Qui monte par la rue et dont le pas chancelle?
    Quelle est celle qui vient là-bas si lentement?
    --C’est la mère du Dieu qui fit le firmament,
    C’est la mère du Dieu qui fit la terre douce,
    Par qui fleurit la fleur et par qui le blé pousse.
    Avec sa robe blanche, avec son manteau bleu,
    Elle vient lentement, car elle porte un Dieu.
    Et l’homme qui soutient cette femme en sa marche,
    C’est Joseph l’ouvrier, le dernier patriarche.

    Ce soir le Dieu naîtra, dans l’étable à côté;
    C’est par les bœufs d’abord qu’il veut être fêté,
    Il veut être fêté par les bœufs et les ânes;
    Puis les bergers viendront avec les «artisanes»,
    Puis tous les maîtres, puis les rois, en dernier lieu...
    Et les pauvres Bretons auront enfin leur Dieu!

  [3] Nom breton de Noël.




La Chanson du vent qui vente

        Ann avel a zeu deus a bell;
        Dén na oar piou ê ann avel[4]...

  [4] Le vent vient de loin; Personne ne sait qui est le vent.


    Le vent qui vente est à ma porte
    Qui pleure, comme une âme morte.
    Il geint: «Ouvrez au nom de Dieu!
    Je vois chez vous lueur de feu,
    Je voudrais me chauffer un peu!»

    Alors j’ai dit à la servante:
    «Annik, ouvrez au vent qui vente.»
    Et le vent qui vente est entré,
    Et, devant l’âtre vénéré,
    Doucement il a soupiré.

    Avec des bonds de chien folâtre,
    La flamme a sursauté dans l’âtre.
    «Salut!» a dit le foyer clair,
    (Car le foyer parle en hiver)
    «Salut au pauvre vent de mer!»

    Le vent, assis sur l’escabelle,
    A répondu de sa voix belle:
    «Langue du feu, chère aux humains,
    Lèche les pieds, lèche les mains
    Du vagabond des grands chemins.»

    A la claire flamme vivante
    S’est réchauffé le vent qui vente;
    S’est réchauffé le vent errant
    Qui toujours va courant, courant,
    Si maigre qu’il est transparent.

    Il m’a raconté son histoire,
    Sa misère, son purgatoire.
    Père ni mère il n’a connu;
    Il ne sait où va son pied nu,
    Ni d’où, nu-pieds, il est venu.

    Une âme est en lui, qu’il ignore,
    Une âme innombrable et sonore;
    Il la traîne par l’univers;
    Elle est la chanson des blés verts
    Et le rugissement des mers.

    Il sème les graines fécondes,
    Il creuse les fosses des ondes,
    Il chante et hurle tour à tour;
    C’est un aveugle, c’est un sourd
    Ouvrier de mort et d’amour.




La Chanson du rocher qui marche


    Or, c’était par un soir où montaient les étoiles;
    Et, sur le ciel mourant, l’aile brune des voiles
    S’éployait, et la mer chantait, et sur les eaux
    Les barques ondulaient ainsi que des berceaux.

    La mer chantait son chant, et les choses muettes
    Écoutaient; on voyait leurs ombres se pencher...
    Dans l’espace attentif planait un vol de mouettes;
    Et, sur les flots, marchait en extase un rocher.

    Dans ses yeux sans regard, ses larges yeux de pierre.
    Luisait, en flaque d’ombre, un pleur mystérieux.
    Et les cils des varechs pendus à sa paupière
    Égouttaient dans la mer les larmes de ses yeux.

    Les vagues, tour à tour, sirènes aux longs charmes,
    Frôlaient son dos de monstre avec des baisers lourds;
    Et souriait la mer, la buveuse de larmes,
    La trompeuse éternelle en qui l’on croit toujours!

    Et les voiles, au ras des eaux, diminuées,
    Fuyaient. L’air agrandi s’ouvrait infiniment,
    Et la procession des pudiques nuées
    S’agenouillait, sereine, au fond du firmament.

    Une d’elles, pareille à la blanche statue
    D’une Vierge, priait mains jointes, à l’écart;
    Et c’était sa candeur, de lumière vêtue.
    Que l’aveugle rocher saluait du regard.




L’âme des matelots

A Lucien Herr.


    L’âme des matelots est sœur des Mers sauvages...
    Des cloches de tristesse y tintent sous les flots;
    Sur l’aile de la brume ondulent les rivages...
    Elle est sœur de la Mer, l’âme des matelots.

                   *       *       *       *       *

    L’Ame des matelots est pure... On voit en elle,
    Par les soirs transparents, les vierges soirs d’été,
    Surgir et se mouvoir l’image solennelle
    D’une mystérieuse et sereine Cité.

    Des pays de silence où cheminent des rêves
    Nagent au fond des eaux,--lumineusement verts;
    Comme des tresses d’or, sur le dos blond des grèves,
    Roulent les goëmons, cheveux errants des mers.

    Et de graves chansons qui semblent des prières,
    En une cathédrale aux mouvantes parois,
    S’agenouillent, et les phares, cierges en pierres,
    Se ravivent dans l’ombre au souffle de leurs voix.

                   *       *       *       *       *

    L’Ame des matelots est sœur des Mers fleuries...
    Des violes d’amour ont frissonné dans l’air
    Et, les seins ruisselants d’humides pierreries,
    Ahès, la grande impure, entonne son chant clair...

    Comme la mer, comme la mort, Ahès est forte.
    Que sa volonté règne, et, comme au temps jadis,
    Qu’un inconnu masqué vienne rouvrir la porte,
    La porte des noyés, la sombre porte d’Is!

    Hou!... Sur son cheval blanc, le blanc Guennolé passe.
    Le moine de la mer, de lumière vêtu,
    D’un long signe de croix exorcise l’espace:
    Le chant d’impureté, le mauvais chant s’est tu.

    Mais il s’efforce en vain, le puissant exorciste,
    D’emprisonner Ahès au gouffre des flots sourds;
    L’âme de la sirène embaume la mer triste;
    Ses cheveux enlaçants y surnagent toujours!

                   *       *       *       *       *

    La Mer, comme les bois, pâlit quand vient l’automne.
    C’est le temps où, plaintive, avec des yeux voilés,
    La veuve du soleil, la lumière bretonne
    Pleure la race éteinte et les Dieux en allés.

    L’Ame des matelots est sœur de la Mer pâle.
    Des rochers douloureux en hérissent les bords;
    Le fond,--champ de granit, vaste pierre tombale,--
    Vide d’inscriptions, couvre un peuple de morts.

    N’importe! On leur a dit qu’une terre splendide
    Fleurit là-bas, plus loin que les eaux, que les cieux,
    Et l’invincible espoir des chercheurs d’Atlantide
    Reprend vers l’inconnu la marche des aïeux.




Le chant d’Ahès


    Je suis Ahès! La mer en moi s’est faite femme.
    Ma chevelure éparse aux quatre vents des cieux
    Embaume l’univers de son puissant dictame.
    Le firmament n’est beau que miré dans mes yeux.

    Mes flancs sont d’or liquide, et le soleil s’y pâme.
    J’endors en mes bras purs les soirs mystérieux.
    L’homme à me contempler se sentit naître une âme
    Et vit de mon sein clair surgir ses premiers dieux.

    Homme, les dieux sont sourds; stérile est la prière.
    Baigne-toi dans Ahès comme en ta fin dernière.
    Viens! Je te verserai l’amour. Je sais aimer.

    Laisse au vent de la nuit voguer ta voile errante.
    Il n’est que de sentir ses yeux las se fermer
    Sous le baiser muet de la mer transparente.




Les hantises

                  Il vente!
        C’est le vent de la mer qui nous tourmente

        (Chanson des matelots de Groix.)


    Il vente, il vente affreusement!...
        La mer entière
    N’est plus qu’un long gémissement
    Qui monterait d’un cimetière.

    Il vente, il vente! Aux foyers clos.
        On croit entendre
    Passer les éternels sanglots
    De ceux qu’on s’est lassé d’attendre.

    Il vente, il vente! Et, dans leurs draps,
        Les épousées
    Se sentent par d’humides bras
    D’une étreinte moite enlacées.

    Il vente, il vente! Sur leurs corps
        De chair vivante,
    Les caresses des baisers morts
    Courent en frissons d’épouvante.

    Il vente, il vente! Le vieux lit
        Craque et murmure;
    Une odeur âcre le remplit,
    Odeur de mort ou de saumure!

    Il vente, il vente! Des yeux verts
        Luisent dans l’ombre,
    Des yeux à tout jamais ouverts,
    En qui se figea la mer sombre.

    Il vente, il vente! Le regard
        De ces yeux vagues
    Qui ne regardent nulle part
    A le glauque infini des vagues.

    Il vente, il vente! La chanson
        Des âmes mortes
    Fait geindre toute la maison
    Et miauler le gond des portes.

    Oh! le vent, le lourd vent d’hiver
        Tout chargé d’âmes!...
    Ceux qui se sont noyés en mer
    Ne laissent plus dormir leurs femmes.




En novembre

A M. Luzel.


    La pluie erre, pleurante, et c’est la mort des choses.
    Les tristes mois bretons gémissent un long deuil:
    Quelque pauvre de Dieu frappe à mes vitres closes;
    Des sabots de misère ont sonné sur mon seuil...

    --Entre, bon mendiant, chemineur de grand’route!...
    Il s’est assis dans l’âtre, a béni les tisons,
    Puis, se signant au cœur, grave, il m’a dit: «Écoute
    Le vieux chercheur de pain, ô chercheur de chansons.»

    Alors il a chanté... De sa longue mémoire,
    A l’appel de sa voix, ont surgi tour à tour
    Et les noires Guerziou, rudes comme l’histoire,
    Et les blanches Soniou, douces comme l’amour.

    Salut, fragments sacrés de nos frustes annales,
    Ame d’un peuple éparse aux lèvres des chanteurs!
    Salut, fleurs de bruyère, idylles virginales!
    Salut, vers de granit, sculptés par des pasteurs!

    Salut, adieu plutôt, mystiques aventures!
    Refrains chastes, adieu! vos jours sont révolus,
    Et c’est fini de vous, et les mères futures
    Aux berceaux des enfants ne vous chanteront plus.

    En ce morne ossuaire, hélas! qu’on nomme un livre,
    Par nos pieuses mains tristement entassés,
    Il vous faudra pourrir, vous qui nous faisiez vivre,
    Oubliés des ingrats que vous avez bercés.

    Ah! quand vous serez morts, morte aussi, la Bretagne
    S’étendra toute nue en son linceul d’hiver.
    Et les rochers pensifs qui gardent la montagne
    Descendront des sommets pour rentrer dans la mer.

    Les saints mêmes, les saints s’enfuiront des églises.
    On les verra partir, le rêve celte au front,
    Et, s’essuyant les yeux avec leurs barbes grises,
    Dans leurs auges de pierre ils se rembarqueront.

    Les derniers mendiants qui vous chantaient aux portes,
    Si beaux qu’on les eût pris pour des portraits d’aïeux,
    Chercheront à l’écart un lit de feuilles mortes
    Où mourir, comme on meurt chez nous,--silencieux!




Sône


    Dans un coffret de vieux chêne
    Mon cœur jeune est enfermé.
    Quand ma mort sera prochaine,
    Vous direz à mon aimé;

    Vous direz à mon aimé,
    Quand ma mort sera prochaine,
    Que mon cœur est enfermé
    Dans le coffret de vieux chêne.

    Sur le coffret de vieux chêne
    Par un artisan famé
    Vous ferez sculpter la chaîne
    Qui me lie à mon aimé.

    Une chaîne en fleurs de mai
    Qui s’enroule autour du chêne,
    Pour que mon cœur embaumé
    Sente moins la mort prochaine.

    L’amour est comme une chaîne
    Qui vous lie au seul aimé.
    Dans un coffret de vieux chêne
    Mon cœur gît inanimé.




La Chanson des pêcheuses de nuit

        Ar merc’hedigou zav ho broz
        Vit mont da besketa d’ann noz[5].

  [5] Les fillettes troussent leur jupe, Pour s’en aller pêcher la nuit.


    Sur la grève nue, aux soirs de mer basse,
    La procession des fillettes passe.

    La grève blanchit comme un pré tondu;
    Le foin de la mer y sèche étendu.

    Les filles du port vont, une par une,
    Pêcher les lançons au clair de la lune.

    Un mouchoir autour de leurs cheveux bruns
    Pour les préserver du sel des embruns,

    Et toutes en mains ayant leurs faucilles,
    Au clair de la lune ainsi vont les filles;

    Mais dans les rochers guettent les garçons,
    Et l’on fait à deux la pêche aux lançons.




Le chant des vieilles maisons

A M. Sully-Prudhomme.


    Je vous aime, ô vieilles maisons
    Que ma jeunesse a traversées!
    Sur de magiques horizons,
    Vous vous dressez en mes pensées.

    Vos fenêtres ont des regards,
    Et vos vitres sont des prunelles,
    Des yeux étranges de vieillards,
    Mirant des choses éternelles.

    Les souvenirs des morts chéris
    Prennent des formes de colombes
    Pour s’abriter dans vos murs gris,
    Vos murs fleuris de fleurs des tombes.

    Sur les marches de votre seuil,
    L’ombre des ancêtres s’allonge:
    Pieuses, vous portez leur deuil
    Après avoir bercé leur songe.

                   *       *       *       *       *

    J’en sais une, au fond d’un courtil...
    Des pleurs coulent à ses croisées,
    Depuis qu’aux chemins de l’exil
    Nos âmes traînent, dispersées.

    Car nous nous sommes tous enfuis...
    Quelqu’un a fermé la barrière;
    Et la vieille maison, depuis,
    Est comme restée en prière.

    Maison veuve, cœur déserté,
    Gémis, pauvre maison bretonne,
    Sur le jardin vide en été,
    Sur l’âtre muet en automne!

    --«Où sont-ils ce soir, les absents?»
    Ainsi tu songes, désolée.
    La vie est pleine de passants,
    La mort seule, hélas! est peuplée.

    Il te souvient du «tout petit»?
    Avec les oiseaux de passage,
    Un soir qu’il ventait, il partit.
    Les vents fous en ont fait un sage.

    Et si tu lui criais: reviens!
    Hélas! il reviendrait peut-être.
    Mais si vieux que tes murs anciens
    Pleureraient de le reconnaître.

    Ne souhaite pas ces retours
    Plus affligeants que les partances!
    Laisse errer au fleuve des jours
    L’épave de nos existences.

                   *       *       *       *       *

    O notre logis d’autrefois,
    Ma maison, l’unique, la seule.
    Dans ma mémoire, je te vois
    Comme une chère et blanche aïeule.

    Un ange grave me sourit
    Dans l’embrasure de la porte,
    Et c’est le caressant Esprit
    De mon enfance à jamais morte.

                   *       *       *       *       *

    Je suis un chanteur de chansons;
    A tous les logis je fais halte.
    Mais, au seuil des vieilles maisons.
    Mon cœur vibre, ma voix s’exalte.

    Mon cœur s’élance dans ma voix,
    Comme un rossignol dans un hêtre...
    C’est qu’alors, c’est qu’alors je vois
    Ma vieille maison m’apparaître.

    Quand s’éteindra mon soir dernier,
    Que du moins près d’elle on me trouve!
    Puisse un matinal cantonnier
    Ramasser mon corps dans la douve!

    Qu’on l’enterre, ce pauvre corps,
    Sous l’âtre de la maison vieille;
    Et qu’au pays où sont les morts
    Mon âme, en chantant, se réveille!




Sur le chemin d’exil


    Dieu fasse de longs jours prospères,
    O mon pays, à tes maisons!
    Puissent, auprès de leurs vieux pères,
    Y vieillir les jeunes garçons!

    J’ai laissé le pays que j’aime
    En un rêve calme endormi.
    Les marches de l’escalier même
    Sous mon départ n’ont point gémi.

    Or, voici qu’un soleil de joie
    Se lève dans le ciel d’avril.
    La route blanche au loin poudroie,
    Et c’est la route de l’exil.

    Nul ne m’a tiré par la manche
    Pour me crier: Reste avec nous!
    Sur la grand’route, morte et blanche,
    Sonnent seuls mes souliers à clous.

    Dors, mon pays, je te pardonne!
    J’ai cependant le cœur navré,
    Mais c’est pour la coiffe bretonne,
    Qui là-bas sèche au bord d’un pré.

    En passant, je l’ai reconnue...
    Celle qui la mettra demain
    Disait qu’elle serait venue
    Me «bonjourer» sur le chemin.

    Mais, hélas! elle aussi repose
    Dans son lit de chêne sculpté.
    C’est en vain qu’à sa porte close.
    Comme un chien perdu, j’ai gratté.




Francéa Rannou


    Voulez-vous savoir comment on l’appelle?
    Les gens du pays diront: C’est la Belle!
    Ses parents diront que c’est Francéa,
    Francéa Rannou, de Sainte-Tryphine!
    Dieu la fit très douce et la fit très fine
        Quand il la créa.

    Je sais quant à moi qu’elle est ma maîtresse!
    Que sa nuque est blanche, et blonde sa tresse,
    Blonde comme un pain que l’on sort du four;
    Je sais qu’aux pardons nous dansons ensemble;
    Qu’auprès de son cœur mon cœur à moi tremble
        La fièvre d’amour.

    Voulez-vous savoir quelle est sa demeure?
    D’aucuns vous diront--mais ce n’est qu’un leurre
    Qu’à Sainte-Tryphine elle a son manoir!
    A Sainte-Tryphine elle a sa famille;
    Mais elle est en moi qui chante et babille
        Du matin au soir.




La lépreuse


    Monna Keryvel met pour aller paître,
    Pour aller, aux champs, paître ses brebis,
    Avec sa croix d’or qu’a bénite un prêtre,
    Monna Keryvel met ses beaux habits.

    Un doux cavalier s’en vient d’aventure:
    Il a «bonjouré» Monna Keryvel,
    C’est un fils de noble, à voir sa monture,
    Et son parler fin sent l’odeur de miel.

    Monna Keryvel n’a su que répondre
    Au doux cavalier qui la bonjoura;
    Mais son joli cœur s’est mis à se fondre,
    Monna Keryvel demain pleurera.

    Le cœur qui se fond en larmes ruisselle...
    Le vent de la nuit traverse les cieux.
    Quand le cavalier repartit en selle,
    Le cœur de Monna pleurait dans ses yeux.

                   *       *       *       *       *

    A l’aube, le coq a chanté l’aubade:
    Monna Keryvel à sa mère a dit:
    --L’enfant de ma mère a le cœur malade
    Et le mal qu’elle a, c’est le «mal maudit».

    --Monna, n’en ayez angoisse trop grande.
    On vous bâtira, pour y demeurer,
    Une maison neuve, au haut de la lande,
    Où vous pourrez, seule, en secret pleurer.

    Vous pourrez pleurer dans la maison neuve,
    La nuit et le jour, été comme hiver;
    Et les gens croiront que c’est une veuve
    Pleurant son marin qui mourut en mer.

    --Dans la Lande-Haute, il fera bien triste.
    Donnez-moi du moins, en l’honneur de Dieu,
    Servante ou valet, quelqu’un qui m’assiste
    Pour laver mon linge et souffler mon feu.

    --Monna, vous n’aurez valet ni servante.
    Dans la maison neuve, hélas! vous vivrez,
    Seule avec le vent, le vent dur qui vente
    Sur la Lande-Haute au pays d’Arez.

                   *       *       *       *       *

    Monna Keryvel, de la Lande-Haute,
    Fais-toi belle et mets ta croix à ton cou;
    Un cavalier doux a grimpé la côte...
    Mais c’est l’épouseur des mortes, l’Ankou!




Jeanne Larvor


    C’est une histoire lamentable
    Qu’on m’a contée un soir d’hiver.
    Les vaches meuglaient dans l’étable,
    Et le vent soufflait de la mer.


I

    Jeanne Larvor fait la lessive
    Au presbytère du Moustoir...
    Qu’a donc, pour la rendre pensive,
    L’eau qui jaillit de son battoir?

    Dès qu’une goutte l’éclabousse,
    Elle rougit, rougit encor...
    Sur quelle herbe et dans quelle mousse
    A donc marché Jeanne Larvor?

    «Holà! Jeanne! vraiment, il semble
    Que vos yeux ont déjà pleuré.
    Ne peut-on sans que la main tremble
    Tordre le linge d’un curé?

    «Passe encore, si c’était le Pape!»
    Laissant jaser, à tour de bras
    Jeanne tape toujours, et tape
    Sur les serviettes, sur les draps...

    Jeanne Larvor est fiancée
    A Jean Garel le Guénédour...
    Fille éprise, gorge oppressée;
    Soupir de femme, appel d’amour!

    «Hé! patience, la petite!
    Si c’est d’un mari qu’il vous chaut,
    Sachez qu’il vient souvent trop vite,
    Et ne part jamais assez tôt!»

    Ainsi propos et railleries
    Autour de Jeanne vont pleuvant...
    La lessive, dans les prairies,
    Comme des voiles claque au vent.

    Mais Jeanne garde son mystère,
    Jeanne Larvor ne semble voir
    Que le linge du presbytère
    Dans l’eau mousseuse du lavoir.

    Ses oreilles, elle les bouche;
    Les bourdons de l’essaim moqueur
    Ne pourront cueillir sur sa bouche
    Le miel déposé dans son cœur.


II

    «Fine aube de séminariste,
    Dis à celui qui te mettra
    Qu’en te lavant Jeanne était triste,
    Qu’en te lavant Jeanne pleura.

    «Dis-lui que l’ajonc, dans la lande,
    En séchant persiste à fleurir;
    Dis-lui qu’une amour forte et grande
    Peut saigner longtemps sans mourir.

    «Quand par-dessus toi, pour la messe,
    Il mettra la chasuble d’or,
    Dis-lui qu’en sa jeune promesse
    Mon amour trompé croit encor.

    «Jean Garel, du pays de Vannes,
    Voudrait mon cœur avec ma main;
    Mais l’eau s’écoule où sont les vannes;
    Le cœur aussi n’a qu’un chemin.

    «Mon cœur, mon triste cœur chemine
    Obstinément, par le sentier
    Où mon doux clerc à fière mine
    M’aima pendant un soir entier;

    «Et de ce soir mon âme est pleine;
    Mon âme est comme un champ vermeil
    Où s’exhale en plaintive haleine
    Le dernier souffle du soleil!»


III

    A coups lassés l’Angélus tinte.
    La suprême clarté du jour
    Dans l’eau du lavoir s’est éteinte;
    L’étoile y scintille à son tour.

    Et c’est la messagère agile,
    L’étoile aux doux reflets chanteurs,
    Qui vers le Dieu de l’Évangile
    Guidait l’hosannah des pasteurs.

    Pâle étoile de Galilée,
    A ton appel, dans le ciel bleu,
    Jeanne Larvor s’en est allée;
    L’as-tu conduite jusqu’à Dieu?

    Hélas! à Nizilzi, dans l’onde,
    Un corps jeune est soudain tombé:
    Un jeune corps de fille blonde...
    _De profundis_, monsieur l’abbé!

    Sous leur faix mouillé qui s’égoutte,
    Les laveuses grimpent au loin,
    Grimpent la rude et verte route
    Qui sent si bon l’odeur de foin.

    Et, somnolant sur son bréviaire,
    Le nouveau prêtre du Moustoir
    Se berce à des bruits de rivière
    Qui chantent dans la paix du soir.

    Et seule, sur la jeune fille
    Qui fut jadis Jeanne Larvor,
    Scintille au ciel, dans l’eau scintille
    Une étoile, un large pleur d’or...




A la grand’messe


    A la grand’messe quand je vais,
    Je prierais bien, si je pouvais;
        Mais, par derrière,
    Contre ma chaise, à deux genoux,
    Est une fille aux grands yeux doux
    Qui me trouble dans ma prière.

    Quand j’égrène le chapelet,
    C’est comme si ma main tremblait,
       Tremblait la fièvre;
    Et quand je vais pour dire _Ave_,
    C’est le nom de Léna Calvé
    Qui passe en chantant sur ma lèvre!

    Dans la Vierge, la Vierge d’or,
    C’est Léna que je vois encor;
        C’est encore elle
    Qui, dans les saintes des vitraux,
    Rayonne à travers les carreaux
    Comme une fleur surnaturelle.

    Léna Calvé, de Kerguidu,
    On dit que vos yeux ont perdu
        Des milliers d’âmes...
    Léna Calvé, vos yeux sont doux,
    Et je ne sais prier que vous:
    Soyez bénie entre les femmes!




Chanson de bord


    Mon cœur est sur ton amour,
    Comme est la barque sur l’onde.
    Mon cœur vogue, nuit et jour,
    Sur ta grande amour profonde.

    S’il a bon vent et ciel clair,
    J’en bénirai Notre-Dame.
    La mer est fausse: la mer
    Est moins fausse que la femme!

    Où le mèneront les flots
    Mon cœur vogue à l’aventure...
    Entends-tu les matelots
    Fredonner dans la mâture?

    Aux longs cils baissés du soir
    Tremble la première étoile;
    Pour pilote, j’ai l’espoir...
    Ho!... larguez toute la toile!

    Mon cœur s’en va, mon cœur fuit;
    Après le flot, le flot passe.
    L’aile triste de la nuit
    Plane, immense, dans l’espace.

    Je ne sais pourquoi j’ai peur!
    Un courlis traverse l’ombre:
    Amour de femme est trompeur,
    Et je sens mon cœur qui sombre!

    Demain, quand poindra le jour,
    Comme une épave livide,
    Flottera sur ton amour
    Mon cœur brisé, mon cœur vide!

    Et l’on inscrira mon nom
    Dans un vieux porche d’église:
    «Perdu corps et biens!» Mais non!
    Qui sait quand un cœur se brise?




Un manuscrit


    Je viens de lire un vieux livre,
    Un vieux livre manuscrit,
    Où, vaguement, on sent vivre
    Un étrange et doux esprit.

    Et je songe à quelque ancêtre
    Qui, sachant que je naîtrais,
    Sur le bord de sa fenêtre
    Fit pour moi ces vers secrets.

                   *       *       *       *       *

    «Quand je choisis ma maîtresse,
    J’étais encore au berceau.
    C’est avec une caresse
    Qu’on apprivoise un oiseau...

    «Connaissez-vous la fontaine
    Qui dort à l’ombre des houx?
    Le plus vaillant capitaine
    N’y vient boire qu’à genoux.

    «Une fée à tresse blonde,
    Une fée au teint de lait
    Souriait, dit-on, dans l’onde,
    Quand un passant la troublait.

    «Or, plus grand, j’ai voulu boire
    A la source, et je n’ai vu
    Qu’une bourbe dont l’eau noire
    M’a fait mal, quand j’en ai bu...

    «--Va savoir, me dit ma mère;
    Prends cent écus!--Je les pris.
    Mais la saveur tant amère
    Me suivit jusqu’à Paris.

    «Au fond de mon écritoire,
    Au milieu des livres lourds,
    J’entendais la source noire
    Bruire toujours, toujours;

    «Et plus ardent à ma lèvre
    Remontait le mal vainqueur,
    L’éternelle, l’âpre fièvre,
    L’inoubliable rancœur...»

                   *       *       *       *       *

    Le Celte, ici, faisait trêve
    A ce triste souvenir
    Et, hanté d’un mauvais rêve,
    Dédaignait de le finir.

    Tournons la page... Il bruine:
    Sur un fuyant horizon
    Tremble la vision fine
    Du pays, de la maison!

                   *       *       *       *       *

    «Coiffé d’ardoises moussues.
    Mon toit natal a grand air
    Et, par toutes ses issues,
    Rit au rire de la mer.

    «Sur le seuil est une vieille
    Qui file, file, en chantant,
    Et soudain prête l’oreille
    Au moindre pas qui s’entend.

    «Ses yeux ont vu tant de choses
    Qu’ils se sont décolorés.
    Ses paupières restent closes
    Sur les deuils qu’elle a pleurés.

    «Ses yeux sont comme une brume
    Qui descend avec le soir.
    Je parais... En eux s’allume
    Une flamme douce à voir;

    «Une flamme pâle et grise
    Soudain brille dans ses yeux,
    Comme en un recoin d’église
    Un cierge mystérieux.

    «Et je dis: Bonjour, ma mère!
    Et c’est fini pour le coup
    De la vieille chose amère,
    De la source de dégoût!

    Mais non! Le lit où je couche
    A vu mourir mes aïeux,
    Et j’entends crier leur bouche,
    Et je sens pleurer leurs yeux.

    Larmes lourdes et funèbres!
    Mon cœur se remplit d’émoi;
    Et la source de ténèbres
    Se remet à sourdre en moi!...»

                   *       *       *       *       *

    C’est la chanson de mystère
    Qu’à voix basse il faut chanter,
    Quand au clocher solitaire
    Le glas finit de tinter.




Tout le long de la nuit

        _A hyd an Noz._

        (Refrain écossais.)


    Jadis, au fond pur de mon âme,
    Des étoiles voguaient sans bruit;
    Et c’étaient des yeux clairs de femme
    Qui brûlaient d’une douce flamme,
    Tout le long, le long de la nuit!

    Les étoiles se sont éteintes.
    Mon âme est comme un ciel détruit
    Où l’on entend gémir les plaintes
    De mes remords et de mes craintes,
    Tout le long, le long de la nuit.

    Mes larmes mirent comme un fleuve
    Le firmament que reconstruit,
    Sur mes ruines d’âme veuve,
    Une espérance toujours neuve
    Plus éternelle que la nuit.




Sône

A M. Renan.


    Si j’écris ce poème, il sera doux, très doux.
          Comme ceux que fredonne
    L’âme des vieux rouets, des rouets de chez nous,
    Aux doigts ensommeillés des fileuses d’automne.

    Et vous le chanterez dans tout le «pays noir»,
          Pâtres de la montagne,
    Avec qui, chez mon père, aux écoles du soir,
    J’apprenais le français pour chanter la Bretagne.

                   *       *       *       *       *

    Je suis un cloarec, je reviens de Paris,
          J’ai vu la capitale;
    Je sais qu’il n’est de ciel peuplé que le ciel gris,
    De terre sûre au pied que la terre natale.

    Je n’ai point dit ma peine aux hommes de là-bas,
          J’ai fait comme le mousse
    Qui, par les mauvais temps, grimpe au plus haut des mâts,
    Pour relire en secret les lettres de sa douce.

    Hélas! elle n’est plus la douce que j’aimai
          D’un grave amour de Celte,
    Une douce aux yeux purs comme les nuits en Mai,
    Blonde comme les blonds épis, et, comme eux, svelte.

    Vous avez vu sécher, à l’entour du lavoir,
          La lessive neigeuse?
    Aussi blanche, aussi fraîche était sa gorge à voir;
    Elle n’avait pour nom que Nannic la songeuse.

    Car elle était pareille aux Saintes Vierges d’or
          Qui sont dans nos chapelles;
    De peur de réveiller l’Enfant Dieu qui s’endort
    Elles n’osent sourire et n’en sont que plus belles.

    Ce fut un soir d’Avril, le soir où j’eus vingt ans,
          Que je passai près d’elle.
    Les Avrils de Paris sont comme nos printemps,
    Et l’amour fait son nid quand revient l’hirondelle.

    Ce fut un soir d’Avril que je la rencontrai,
          Au sortir des «Prières».
    Je savais qu’elle était du grand pays pleuré,
    Où fleurit l’ajonc vert constellé de bruyères.

    Je savais que sa mère et ma mère (que Dieu
          Fasse paix à leurs âmes!)
    En même enclos dormaient sous le firmament bleu,
    Et c’est pieusement d’Elles que nous causâmes.

    La rue où nous marchions avait des airs cloîtrés
          De calme monastère;
    Tels nos bourgs assoupis, quand sur les monts d’Arez
    Les couchants de Bretagne ont versé leur mystère.

    Loin, très loin, se perdait la troublante rumeur
          Des choses de la ville:
    On eût dit, maintenant, le murmure endormeur
    Qui sur nos grèves monte avec la mer tranquille.

    Et nous l’avions en nous la paix de tes couchants.
          Terre des âmes grises!
    Nous allions dans Paris comme à travers tes champs,
    Et ton odeur salée ondulait dans les brises.

    Où fut Paris, voici la lande, et l’ajonc d’or,
          Fleur de la solitude,
    Et le ciel résigné, le ciel grave d’Armor,
    Aux yeux pleins de tristesse et de mansuétude;

    Les chemins qu’un ruisseau creuse au flanc des talus,
          Et la plainte sonore
    Des glas du soir, guidant vers ceux qui ne sont plus
    Le fidèle regret de ceux qui sont encore;

    Les christs qu’on a cloués avec des clous de fer
          Aux «pierres des ancêtres[6]»,
    Et les fils du Trégor, épouseurs de la mer,
    Et les gars du Léon, tous marchands ou tous prêtres.

    Toute la noble race affronteuse des ans,
          La race patriarche,
    Nourrice de marins, mère de paysans,
    Nous la sentons qui vit, nous la voyons qui marche.

    Les cloches du printemps tintent les carillons
          Pour les saints qu’on renomme.
    Le blé qui va mûrir verdit dans les sillons,
    L’amour qui va germer tressaille au cœur de l’homme.

    C’était jour de pardon aujourd’hui quelque part,
          Et voilà, ce nous semble,
    Que le pardon fini, la nuit pleine, très tard,
    Par les sentiers perdus nous revenons ensemble.

    Dans le firmament pâle un clair de lune luit...
          Vêtu de gazes blanches,
    Le grand peuple muet des formes de la nuit
    Se lève, et des baisers frissonnent sous les branches.

    Ame des soirs bretons, des soirs religieux,
          Que Dieu te le pardonne!
    C’est toi qui nous as dit, par les champs, par les cieux,
    D’aimer pieusement à la façon bretonne!

    Nous nous sommes aimés!... Si je savais des vers
          Pour exprimer ces choses,
    Je les ferais puissants comme les rouvres verts,
    Et je les ferais doux comme l’odeur des roses.

    Mais le secret est mort des vers forts et naïfs
          Que des foules entières,
    Avides, écoutaient chanter sous les vieux ifs
    Par de vieux mendiants, dans nos vieux cimetières.

                   *       *       *       *       *

    Non! je n’écrirai pas ce poème! Pasteurs,
          Retournez à vos chèvres!
    L’hiver a moissonné les vagabonds chanteurs
    Et le sône d’amour s’est flétri sur nos lèvres!

  [6] _Meïn ar re goz_. On désigne souvent ainsi les menhir.




Cloches de Pâques

A Louis Tiercelin.


    Voici les cloches revenues!
    Les Pâques ont sonné dans l’air,
    Et le printemps rit sur la mer
    Dans le sourire blond des nues.

    Voici venir par les chemins
    Les croyants, les porteurs de palmes;
    Ils ont la foi dans leurs yeux calmes,
    Et des rosaires dans les mains.

    Des couronnes de primevères
    Au front des Dieux morts vont fleurir;
    On entend des sèves courir
    Dans le granit des vieux calvaires...

    Des pêcheurs ont vu, sur les eaux,
    Blanchir la robe du Doux Maître...
    Les enfants qui viennent de naître
    Ont bégayé dans leurs berceaux.

    Et, sous le porche de l’église,
    Les Saints tressaillent, rajeunis
    De sentir éclore des nids
    Dans leurs manteaux en pierre grise.

                   *       *       *       *       *

    C’est fini des tristes hivers...
    Ces moissonneurs de choses mortes
    N’iront plus de portes en portes
    Geignant le cri des «pillawers».

    Carillonnez, Pâques fleuries!
    Voici les Temps, les Temps Nouveaux!
    Déjà hennissent les chevaux
    Dans la liberté des prairies.

    Des souffles, de grands souffles fous
    Traversent la mer Atlantique,
    Et la noble ivresse celtique
    A gonflé les sacs-binnious!




Nuit d’étoiles


    Voici venir la calme nuit!
    La terre en est comme bercée;
    Hors de nous elle éteint le bruit,
    En nous elle endort la pensée!
    Voici venir la calme nuit.

    Les bois s’emplissent de mystère,
    Comme si Dieu subitement
    Leur faisait signe de se taire
    Pour écouter le firmament.
    Les bois s’emplissent de mystère.

    Les étoiles viennent et vont,
    Comme des flambeaux qu’on promène;
    Leur regard magique et profond
    Semble veiller l’angoisse humaine.
    Les étoiles viennent et vont.

    Une pitié douce est en elles
    Pour les peines dont nous souffrons;
    Elles se penchent, maternelles,
    Sur la tristesse de nos fronts.
    Une pitié douce est en elles.

    Étoiles, étoiles des cieux,
    Regards des morts que nous aimâmes,
    Si Dieu laissait mourir vos yeux,
    Le ciel s’éteindrait dans nos âmes,
    Étoiles, étoiles des cieux.




Jeanne Lezveur


I

    Plus fière qu’une châtelaine,
    Jeanne Lezveur, de Kerprigent,
    Ne daignerait filer la laine,
    Si le fuseau n’était d’argent.

    «Jeanne la blonde, on vous appelle
    La fleur des filles en Trégor;
    Mais fussiez-vous encor plus belle,
    Et fussiez-vous plus blonde encor,

    «Si vous m’en croyez, faites trêve
    A vos clins d’œil, si fins, si doux;
    Celui dont vous rêvez en rêve
    Ne sera jamais votre époux.»

    Jeanne Lezveur a l’âme triste,
    Jeanne Lezveur, de Kerprigent,
    Brode des mouchoirs de batiste
    Qu’elle ourle avec du fil d’argent.

    Elle relève sans courage
    Son dé qu’elle avait laissé choir.
    Comme une pluie, un soir d’orage,
    Ses pleurs tombent sur le mouchoir.

    «Ce sont nouvelles mal sonnantes,
    Mais, ne vous en déplaise, on dit
    Que, pour étudier à Nantes,
    Un cloarec, hier, partit...»


II

    Jeanne Lezveur s’en est allée,
    Devers la brune, à Kerantour...
    Les cloches à lente volée
    Sonnent le glas, le glas d’amour.

    Le Karduner l’a reconnue
    Sous sa coiffe de femme en deuil.
    Pour lui souhaiter bienvenue,
    Il s’est avancé jusqu’au seuil.

    --«Est-ce la sueur ou la pluie
    Qu’à vos cils blonds on voit perler?»
    --«Ce sont mes larmes que j’essuie;
    Jean Karduner les fait couler.»

    --«Seyez-vous, ô douce gentille!»
    --«Que je sache, avant de m’asseoir,
    Si je dois être belle-fille,
    Vieux Karduner, en ce manoir;

    «Ou s’il est vrai, comme on raconte,
    Que votre fils clerc m’a menti,
    Et, me laissant avec ma honte,
    Avec son parjure est parti.»

    --«Jeanne Lezveur, prenez à droite!
    A dit l’ancêtre, le _penn-ti_[7]
    Vous verrez une sente étroite:
    Par cette sente il est parti!»

    Jeanne Lezveur s’en est allée;
    Elle a chaussé ses souliers fins,
    Et, légère, mais désolée,
    Elle a pris le sentier des pins!

    Et les pins, dans leur langue douce,
    Compatissent à son malheur,
    Et ses pieds, en foulant la mousse,
    Font de la mousse sourdre un pleur.

    La lune, pâle fiancée,
    Ouvre la porte de la nuit,
    Et, comme Jeanne délaissée,
    Chemine comme elle sans bruit.

  [7] Chef de ménage.


III

    Cependant, au bord de la route,
    Adossé contre le talus,
    Un cloarec pensif écoute
    Tinter les derniers angélus.

    Ses livres, dans l’herbe froissée,
    Gisent, et les feuillets déteints,
    Aux caresses de la rosée,
    Sentent frémir leurs chants latins.

    Tel, le cœur du séminariste
    Tressaille, et son ancien amour
    Se reprend à fredonner triste
    L’air qu’il croyait mort sans retour.

    Et c’est le chant, le chant profane,
    (Le clerc rougit en y songeant),
    C’est le doux air que chantait Jeanne,
    Jeanne Lezveur, de Kerprigent.


IV

    «Que Dieu me pardonne!... C’est Elle,
    C’est Jeanne qui s’en vient là-bas,
    Avec sa jupe de dentelle
    Qui se retrousse sur ses bas;

    «Et sa lèvre aussi le fredonne,
    Le chant triste, le chant d’émoi
    Qui, pareil aux souffles d’automne,
    Tout à l’heure pleurait en moi...»

    Tout s’est tu... Les feuilles jaunies,
    Telles que des oiseaux blessés,
    Tombent des branches dégarnies,
    En silence, dans les fossés.


V

    Le lendemain, à l’aube grise,
    Karduner le vieux, dans sa cour,
    Regardait, en bras de chemise,
    Partir ses gens pour le labour.

    Lors, parut, pliant sous sa charge,
    Une chercheuse de bois mort:
    «A ton chariot le plus large,
    Attelle ton bœuf le plus fort!

    «Là-haut, parmi les feuilles jaunes,
    Sont deux cadavres enlacés,
    Pour qui les grands pins monotones
    Chantent le chant des trépassés!...»

    Elle dit. Le soir, la barrière
    Restait ouverte à Kerantour,
    Et, pour la funèbre prière,
    Entraient des pâtres d’alentour.

    Sur la table de la cuisine
    Les morts côte à côte allongés,
    A la lueur d’une résine,
    Dormaient, veillés par les bergers!...

    Ainsi mourut, sans qu’on sût comme,
    Pour avoir offensé l’amour,
    A la fleur de son âge d’homme,
    Le fils aîné de Kerantour.

    Ainsi mourut, en mi-novembre,
    Jeanne Lezveur, de Kerprigent,
    Les prés étant couleur de l’ambre,
    Et les ruisseaux couleur d’argent!




Vœu


    C’est par un soir de Mai que je voudrais mourir.
    Les soirs de Mai sont beaux; la terre va fleurir;
    L’air est comme peuplé de voix inentendues,
    Et l’on sent Dieu qui passe au fond des étendues.
    Dans les lointains, ainsi qu’une paupière d’or,
    S’abaisse le couchant sur la mer qui s’endort.
    Les nuages, vêtus de gaze aux longues franges,
    Glissent, furtifs et doux, et c’est comme un chœur d’anges
    Qui des hauteurs du ciel descendraient vous chercher.

    Le paisible angélus de quelque vieux clocher
    Tinterait seul mon glas aux paroisses prochaines.
    Dans les sentiers bretons pleureraient les grands chênes.
    Le laboureur tardif qui s’en vient en chantant
    Vers sa maison de chaume où le sommeil l’attend,
    Se signerait la bouche, en fermant la barrière,
    Et, sans savoir mon nom, m’enverrait sa prière.

    La paix du soir invite à de vastes oublis.
    En Mai, l’espace ondule, et, derrière ses plis,
    On entend, on voit presque errer la grande chose;
    La pierre du tombeau n’est plus la porte close;
    Tout rassure. Et la nuit, l’auguste nuit d’été
    Verse à la lèvre humaine un goût d’éternité.
    L’œil qu’on ferme ici-bas là haut s’éveille étoile;
    Le silence a chanté, l’inconnu se dévoile,
    Comme un seuil lumineux, le ciel semble s’ouvrir...
    C’est par un soir de Mai que je voudrais mourir.




Le long de ma route

A madame Gaston Deschamps.


    Le long de ma route incertaine,
    Quand je me retourne, je vois,
    Comme un horizon de grands bois,
    S’enfuir ma jeunesse lointaine,
    Verte encor d’un vert d’autrefois!

    Elle fuit dans une ombre douce...
    Oh! l’exquise odeur de printemps!
    Lorsque je fais halte, j’entends
    S’égoutter, claire, dans la mousse,
    La source d’or de mes vingt ans!

    Quand j’aurai terminé ma course,
    Quand je verrai monter d’ailleurs
    L’aube des jours qu’on dit meilleurs,
    Agenouillé sur cette source,
    J’y puiserai mes anciens pleurs.

    Et je reboirai goutte à goutte,
    Longuement je savourerai
    Ce pleur que mes yeux ont pleuré
    Au temps où tu fleurissais toute,
    Ma jeunesse, printemps sacré.




Le chant de ma mère


    Le chant que me chantait naguère
    Ma mère douce, au long des nuits,
    A dû mourir avec ma mère...
    Nul ne me l’a chanté depuis.

    Et c’est en vain qu’au seuil des portes
    Obstinément je l’ai quêté.
    O ma mère, tes lèvres mortes
    Dans la tombe l’ont emporté.

    En vain, sous les lampes huileuses,
    J’ai fait, dans l’âtre des maisons,
    Sourdre au cœur des vieilles fileuses
    L’eau vive des vieilles chansons.

    La berceuse qui me fut chère,
    Le doux chant naguère entendu,
    Le chant que me chantait ma mère
    Avec ma mère s’est perdu.

    Mais aux heures, aux heures chastes
    Où les nocturnes ciels d’été
    Nous haussent sur leurs ailes vastes
    A des songes d’éternité.

    Je vois soudain, dans ma mémoire,
    Champ du repos peuplé d’aïeux,
    Circuler la grande ombre noire
    D’un laboureur mystérieux.

    Sa charrue étrange et sacrée
    Ouvre au loin des sillons mouvants
    Et fait, de la terre éventrée,
    Jaillir des morts restés vivants.

    Muet, sur les fosses rouvertes,
    Je l’entends aller et venir
    Ce grand faiseur de découvertes
    Qui se nomme le Souvenir.

    Et, hors des glèbes retournées,
    Se lèvent d’antiques moissons
    Où court, dédaigneux des années,
    Le pied nu des jeunes chansons.

    Et le chant, le chant dont ma mère
    Berça mon somme au temps jadis
    Exhale en moi l’odeur légère
    D’un fin bleuet du paradis.




Les troupeaux de l’air


    Comme des vaches au poil roux
    Qui, le pas lent et les yeux doux,
    Vont à de lointains pâturages,
    Dans le ciel pur, lavé d’hier,
    Humide encor des grands orages,
    Les nuages passent dans l’air.

    Quelqu’un est là-haut qui les garde,
    Et la Bretagne les regarde
    Défiler paresseusement.
    C’est la vieille qui, près de l’âtre,
    Sur son rouet va s’endormant
    Au bruit de la chanson d’un pâtre.

    Passez, passez, troupeaux de l’air,
    Nuages qui paissez la mer!
    Et que la Bretagne sommeille!
    Que toujours vienne voltiger,
    Autour de sa pieuse oreille,
    La chanson du divin berger.

    Qu’elle dorme, la bonne vieille!
    Que jamais elle ne s’éveille!
    Qu’elle rêve (le rêve est doux),
    Tandis que dans le souple espace,
    Comme des vaches au poil roux,
    Le troupeau des nuages passe.

    Qu’elle rêve!... Tout en dormant
    Ses yeux mi-clos, au firmament,
    Suivent les lentes vaches rousses,
    Et de longs pleurs délicieux,
    Les pleurs naïfs des races douces
    Tombent en perles de ses yeux.




Berceuse d’Armorique

        Plac’had ann ôd a gan eur gân
        Hac a zo trist, hac a zo splân.


    Dors, petit enfant, dans ton lit bien clos;
    Dieu prenne en pitié les bons matelots!

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Quand tu seras mousse, hélas! c’est le vent
    Qui te bercera dans ton lit mouvant.

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Déjà dans ton âme a chanté la mer
    Son chant doux aux fils, aux mères amer.

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Au Pays du Froid[8] ton père a sombré.
    Tu naissais alors, je n’ai pas pleuré.

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Au Pays du Froid, la houle des fiords
    Chante sa berceuse en berçant les morts.

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Dors, petit enfant, dans ton lit bien doux,
    Car tu t’en iras comme ils s’en vont tous.

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Tes yeux ont déjà la couleur des flots.
    Dieu prenne en pitié les bons matelots!

    --Chante ta chanson, chante, bonne vieille!
    La lune se lève et la mer s’éveille.

    Car c’est pour les flots que nous enfantons;
    Tous meurent marins, qui sont nés Bretons.

  [8] _Brô ar riou_; on désigne souvent ainsi l’Islande ou Terre-Neuve.




La Chanson de ma nourrice


        Il me souvient d’une ballade
        Que ma nourrice à faible voix
        Me chantait, quand j’étais malade.
            Autrefois.

        «C’étaient deux marins du même âge
        Qui s’étaient connus tout petits,
    Et qui s’aimaient. Un soir, tous deux étaient partis
        Pour on ne sait plus quel voyage.
        Ils étaient partis, tous les deux,
    Tous deux braves marins, tous deux bons capitaines,
    Pour on ne sait plus trop quelles plages lointaines,
    Et, depuis, on n’a pas entendu parler d’eux.»

        Nourrice, j’en ai bien vu d’autres
        Qui s’aimaient et qui sont partis,
        S’étant connus, comme les vôtres,
            Tout petits.

        «On chuchotait, mais sans y croire,
        Sur le quai, la nuit du départ,
    Qu’ils avaient entrepris d’aborder quelque part
        Dans un pays nommé la Gloire.
        Par exemple, on disait encor
    Qu’un long pavillon vert flottait à leur grand’hune.
    Et qu’on pouvait du port y lire au clair de lune
    Le nom de l’Espérance écrit en lettres d’or.»

        Ce pavillon vert qu’on arbore
        Au départ, et qui claque au vent,
        N’est, hélas! qu’un haillon sonore,
            Trop souvent.

        «Combien ont fait le tour du monde,
        Qui sains et saufs sont revenus!
    Mais ces deux-là sont morts, sous des cieux inconnus,
        Dans l’oubli de la mer profonde.
        Ils sont morts, ils sont morts tous deux.
    Tous deux braves amis, tous deux bons capitaines,
    Sans avoir abordé dans les plages lointaines,
    Et les poissons d’argent n’ont rien épargné d’eux.»

        Oh! la triste, triste ballade,
        Que ma nourrice à faible voix
        Me chantait, quand j’étais malade,
            Autrefois!




La Chanson de la mal mariée


    En jupon de rouge futaine,
    Autrefois, quand j’allais aux prés,
    Je mirais des galons dorés
    Dans l’eau verte de la fontaine.

    Maintenant, l’eau verte se rit
    De mes haillons de laine rousse,
    Et j’entends, j’entends sous la mousse
    Se gausser un méchant esprit.

    Lorsque les conscrits de la reine,
    Autrefois, rentraient au pays,
    Disaient-ils pas, tout ébahis:
    «Tudieu! c’est notre souveraine!»

    Et c’est moi, Fanchon, qui passais,
    Royale, sur ma jument grise;
    Je me fâchais de n’être prise
    Que pour la Reine des Français!

    Et maintenant, la tête basse,
    Les mendiants, tortus, boiteux,
    Plaignent Fanchon, quand devant eux
    L’ombre de ma misère passe.

    Je rêvais d’un beau clerc vainqueur,
    A la longue et fine parole
    Qui, telle qu’une banderole,
    Eût enlacé vingt fois mon cœur.

    L’homme à qui je songeais en songe
    Est venu, m’a prise, et voici
    Que, dans la lande du souci,
    Mon cœur paît au bout d’une longe.

    Filles, mes sœurs, pleurez mon deuil.
    Au foyer clair de la famille,
    Il n’est que d’être jeune fille!
    Femme, on grelotte sur le seuil.

    Le vent d’hymen souffle à vos portes,
    Et vous dites, le rire aux yeux:
    «C’est de l’or qui tombe des cieux.»
    Hélas! ce sont des feuilles mortes.

    Filles, mes sœurs, tout ment, tout ment
    A la fille qui se marie.
    C’est le jardin de duperie
    Où ne fleurit que le tourment.

    Priez Dieu qu’il vous garde sages!
    Mais, hélas! vous ne m’en croirez
    Que lorsque vos galons dorés
    Pendront, flétris, à vos corsages.

    Comme moi, vous irez alors
    Pleurant votre jeunesse en route.
    Vous serez la chèvre qui broute
    L’herbe mauvaise du remords.




Vaines attentes


I

    La pluie au vent de mer s’égoutte
    Dans la barbe verte des pins;
    Et des femmes suivent la route,
    Qui vont au bourg pétrir leurs pains.

    Sous la mouvante capeline,
    Leur face rosée, au ton clair,
    Sent bon la bonne odeur saline,
    L’odeur de flot qui dort dans l’air.

    Et ce sont des filles de grève
    Qui vont entre elles devisant
    De l’homme qui les hante en rêve,
    Toujours aimé,--toujours absent!


II

    Ils sont là-bas, dans les eaux mornes,
    Les fiancés et les époux;
    Autour d’eux est la mer sans bornes,
    Et sur eux le firmament roux.

    De longs voiles tissés de brume
    Pendent du haut du ciel muet...
    En Bretagne un foyer s’allume,
    Et voici le chant du rouet...

    Eux aussi, de leurs voix bourrues,
    Chantent!... Nul écho ne répond...
    Un mousse éventre des morues
    Qui gisent à plat sur le pont.

    Et l’on voit couler sur les planches,
    On voit jaillir par les sabords,
    Tout constellé d’écailles blanches,
    Le sang rouge des poissons morts.


III

    Doucement, doucement bercées
    Par le chant si câlin des flots,
    Les épouses, les fiancées
    Dorment au fond des grands lits clos.

    Chacune d’elles, mère, femme,
    Fille vierge en désir d’amour,
    A bien prié sa Notre-Dame
    D’Espérance et de Bon-Retour.

    Et toutes elles font ce rêve
    D’un pas lointain, d’un pas connu,
    Qui par l’étroit sentier de grève
    Jusqu’à leurs portes est venu.

    Les clefs tournent dans les serrures.
    --«Voici venir qui j’attendais!...»
    Des hommes aux larges carrures
    Entrent... Ce sont les Islandais!

    A des visages noirs de hâle
    Pendent des barbes de glaçons.
    On entend la flamme qui râle
    Sur le cadavre des tisons.

    Les Bretonnes ensommeillées
    Étreignent les gars à plein corps!
    Dieu! qu’ils ont les lèvres mouillées!
    Sont-ils vivants?... S’ils étaient morts!...




La Chanson de l’amour


    Depuis des ans, nuit et jour,
    J’attends un inconnu.
    Cet inconnu, c’est l’amour;
    Il est enfin venu!

    Au seuil quand il a frappé,
    J’avais un tel émoi
    Qu’il a cru s’être trompé:
    --«Belle, pardonnez-moi.»

    Il avait des yeux plus doux
    Que la lune au printemps.
    J’ai dit: «Sire, entrez chez nous,
    Si c’est vous que j’attends!»

    --«Noire est la nuit comme un four!
    Il neige sur les monts.
    Ouvrez-moi, je suis l’amour,
    Ohé! la belle, aimons!»

    «Pour vous trouver, nuit et jour,
    La belle, j’ai marché,
    --«Jour et nuit, Sire l’amour,
    Moi, je vous ai cherché.»

    «Entre, amour, passant divin!»
    Et l’amour est entré.
    Depuis, on le cherche en vain,
    Nul ne l’a rencontré.

    L’amour m’a juré sa foi
    De ne me plus quitter;
    L’amour est entré chez moi,
    Et c’est pour y rester.




Extrait d’un vieux livre


    En marge d’un vieux paroissien,
    J’ai lu ce sône très ancien:

    --Ma fille, avez-vous peine amère,
    Peine de cœur, peine d’esprit?
    Votre lèvre plus ne sourit.
    --Plus je ne pleurerai, ma mère!

    Mère, coupez mes cheveux blonds;
    Ils sont trop lourds, ils sont trop longs.

    En vérité, j’ai peine amère,
    Peine d’esprit, peine de cœur.
    C’est d’avoir cru dans un moqueur...
    Coupez mes cheveux blonds, ma mère.

    Coupez mes longs cheveux dorés,
    Puis, d’un ruban vous les nouerez.

    Nouez-les d’un ruban de moire
    A ma quenouille de roseau;
    Et filez-en tout un fuseau
    Pour les âmes du purgatoire.

    Mais les plus soyeux, les plus doux,
    Ne les donnez qu’à Jean le Roux.

    Il en est d’aussi clairs que l’ambre;
    Vous les irez porter, le soir,
    Le soir des morts dans le mois noir,
    A Jean le Roux, de Plouzélambre.

    Et, s’il s’étonne, dites-lui
    Que c’est du lin exprès roui.

    Du lin exprès filé, pour être
    Le signet du livre latin
    Qu’il relira soir et matin,
    Quand il sera devenu prêtre:

    Ainsi, plus tard, mes cheveux d’or
    En ses doigts frémiront encor.

    Ce sera comme une caresse
    Qui jusqu’à ma tombe viendra.
    Mon âme se rappellera
    Le temps où je fus sa maîtresse.

    La fille est morte, ce disant.
    Aimez qui vous aime, passant!

    Si quelqu’un feuillette ce livre,
    Que celui-là plaigne en son cœur,
    Non la morte, mais le moqueur
    Qui tant pleura de lui survivre.

    Il n’est pire mal à souffrir
    Qu’aimer l’amour qu’on fit mourir.




Les yeux de ma mie


    J’aime ma mie. Elle a des yeux
    Qui sont comme les soirs de brume.
    Une étoile douce s’allume
    Tout au fond, tout au fond des cieux.

        Ma mie est blonde
        Comme les blés.
        Trois marins s’en sont allés
        Sur la mer profonde!

    J’aime ma mie. En ses yeux clairs
    On voit scintiller des étoiles,
    Et de blanches, de tristes voiles
    Errer, lentes, au gré des mers.

        Ma mie est blonde
        Comme les blés.
        Trois marins s’en sont allés
        Quérir un nouveau monde.

    J’aime ma mie! En ses yeux doux
    Mon cœur sombre, mon cœur se noie...
    Mourir ainsi c’est une joie
    Que mon cœur vous souhaite à tous!

        Ma mie est blonde
        Comme les blés.
        Trois marins s’en sont allés
        Pour jamais sous l’onde.




In memoriam libri

A Charles Le Goffic.


    Grise, comme notre horizon,
    Comme lui, douce et monotone,
    Tu nous as chanté la chanson
    De l’Amour, de l’Amour Bretonne.

    On croit ouïr un air perdu
    Que, par un soir plein de mystère,
    Fredonne sur le Ménez-Du
    Quelque pâtre du Finistère.

    Calmes et tristes sont tes vers.
    Il y passe de fins visages,
    Entrevus à peine à travers
    La brume de nos paysages.

    Je songe aux filles de chez nous
    Qui balancent leur taille svelte.
    On voit bleuir dans leurs yeux doux
    Le ciel profond de l’âme celte.

                   *       *       *       *       *

    Dieu fasse que longtemps encor
    Le sône d’amour se prolonge,
    Parmi les hommes du Trégor
    Restés fidèles à leur songe!

    Et qu’en nous, les faiseurs de vers,
    Un peu de cette âme persiste
    Qui donne à la chanson des «clercs»
    Son charme sobre, large et triste!




Chant de mer

A la mémoire d’un frère.


    La mer qui chante a la voix douce.
    Hou... hou!... Chant de mer, chant d’amour!
    Ohé! les gars, à qui le tour?
    «Viens, petit Breton, fais-toi mousse!»

    «Je suis Celle qui vit encor
    Au palais bleu de la légende.
    C’est moi la reine qui commande
    Sur Ker-Is et sur Occismor.

    «Petit Breton, descends aux grèves!
    Les beaux pays que tu verras,
    Quand je t’aurai pris en mes bras!...
    Je mène au jardin des grands rêves.

    «C’est la vérité que je dis.
    Petit Breton, écoute, écoute!
    Du paradis je sais la route,
    C’est moi qui mène en paradis!»

    Et petit Breton se fait mousse,
    Petit Breton court bord sur bord.
    Hou! Hou! Chant de mer, chant de mort!...
    La mer qui chante a la voix douce.




Les conteuses


    Les conteuses, par les sentiers, sous les nuits noires,
    Descendent vers les bourgs, leurs fuseaux dans les doigts.
    Là sont les âtres clairs, et le cidre, et les noix,
    Et le peuple attentif des écouteurs d’histoires.

    Elles disent: Salut!... Et, lointaines, leurs voix
    Semblent sortir du seuil plaintif des purgatoires.
    Le souffle du passé gémit dans leurs mémoires
    Comme les vents d’automne au cœur dolent des bois.

    Vieilles aux yeux fanés, pèlerines du rêve,
    Vous m’avez par la main conduit vers l’«autre grève»;
    Le navire enchanté nous a pris à son bord.

    J’ai refait avec vous vos sombres traversées,
    Et vu se coucher, pâle, au fond de mes pensées,
    L’astre apaisant et pur des pays de la mort.




Le miroir épave


    Un nom de femme, un nom chantant, un nom d’_ailleurs_
    Se lit sur la bordure, incrusté dans l’ébène.
    Celui qui le sculpta, novice ou capitaine,
    Roule, plein de silence, en proie aux flots hurleurs.

    La glace énigmatique a d’étranges pâleurs.
    Si le vent amolli souffle à plus tiède haleine,
    Elle brille, dit-on, d’une clarté soudaine
    Et, sur le verre triste, il ruisselle des pleurs.

    Elle fut recueillie en mer par un pilote.
    Une image sinistre est en elle, qui flotte,
    Comme le spectre noir d’un grand vaisseau sombré;

    Et l’on vous contera qu’un soir une îlienne
    Vit, en penchant son front sur le miroir sacré,
    Une face y surgir qui n’était point la sienne.




Jean l’Arc’hantec


I

        Jean l’Arc’hantec, le matelot
    A mis sa barque neuve à flot,
        A mis à flot sa barque neuve,
    Et c’est pourquoi sa femme est veuve.
        Jeanne Hélari ne peut dormir
    Avec le vent qui vient gémir,
        Qui vient gémir contre sa porte;
    Et pleurer sur la barque morte.
        Avec la barque, au gré du flot,
    S’en est allé le matelot;
        S’en est allé dans l’eau profonde
    Le matelot à barbe blonde
        Qu’entre vingt autres, pour mari,
    Avait élu Jeanne Hélari.


II

        Maudite soit la mer barbare!...
    Le cœur brisé d’un coup de barre,
        Jean l’Arc’hantec est sur le pont,
    Qui saigne un sang large et profond;
        Sang de marin, qui longtemps coule,
    Comme la vague par grand’houle!
        Jean l’Arc’hantec, le cœur ouvert,
    Mêle son sang rouge au flot vert.
        La brise ronfle, et, l’aile basse,
    Dans la tourmente un courlis passe.
        --«Courlis blanc, messager de mort,
    Va voir si Jeanne Hélari dort,
        Et si Jeanne Hélari repose,
    Et si la porte reste close.
        Frappe à la vitre de ton bec
    Et dis: Je suis Jean l’Arc’hantec.
        Et lorsqu’on t’ouvrira la porte,
    Dis que la mer est la plus forte,
        Que le plus brave, le plus fier,
    Est toujours vaincu par la mer.»
        Or, relevant son aile basse,
    Contre la brise, dans l’espace,
        Le courlis blanc s’est envolé,
    Le courlis blanc s’en est allé,
        Contre la mer, la mer sauvage,
    S’en est allé jusqu’au rivage.


III

        Comme un nid chaud, parmi les houx,
    Voici le toit de chaume roux!
        Aux lucarnes de la chaumière,
    Scintille encor de la lumière.
        Droit aux lucarnes va l’oiseau,
    Songeant: «Jeanne est à son fuseau,
        Qui file de la toile neuve,
    Et qui ne sait pas qu’elle est veuve;
        Qui ne sait pas que sous le flot
    Dort son mari, le matelot;
        Qu’il dort sous l’eau silencieuse,
    Le pêcheur à barbe soyeuse;
        Jeanne Hélari ne le sait pas
    Que Jean l’Arc’hantec dort là-bas,
        Et que les fileuses des ondes
    Filent un linceul d’algues blondes
        Qui, mieux que chanvre ou lin lissé,
    Bercera Jean le trépassé.
        Moi j’ai son âme et te l’apporte,
    Jeanne Hélari, rouvre ta porte.
        Jeanne Hélari, si tu m’entends,
    Rouvre ta porte à deux battants!
        Celui qui frappe à ta fenêtre
    Aux morts de la mer sert de prêtre,
        Et ramène vers leurs foyers
    L’âme plaintive des noyés!...»


IV

        La longue, la triste veillée!...
    Au bord de l’âtre agenouillée,
        Jeanne Hélari, les bras ballants,
    Sent bondir son fruit dans ses flancs.
        Le blanc courlis, par la fenêtre,
    A vu Jean l’Arc’hantec renaître...
        Plus que la mer, plus que la mort
    Le ventre de la femme est fort.
        Courlis blanc, retourne au rivage;
    Dis au noyé du flot sauvage
        Qu’au doux sein de Jeanne Hélari
    Son âme morte a refleuri!...
        Cloches qu’on hait, cloches qu’on aime,
    Sonnez le glas et le baptême!
        Et toi, remets, gai charpentier,
    Remets barque neuve en chantier!




Cimetière intime

A M. Pierre Loti.


    J’entends des portes se fermer,
    Lugubres, sur des gens qui sortent...
    Ils se sont lassés de m’aimer;
    Les vents passent et les emportent.

    Voici que je vais rester seul!
    Je serai comme un cimetière
    Où, de-ci de-là, sur la pierre,
    Claquera le pan d’un linceul.

    Sur les têtes inanimées
    De mes mortes et de mes morts
    Pleureront en vain mes remords
    De les avoir trop mal aimées.

    Plus tard, hélas! désert, vieilli,
    Abandonné de mes morts mêmes,
    Je n’aurai pour amis suprêmes
    Que les maigres lichens d’oubli.

    Je vis pourtant, et ma tristesse,
    Quand je me suis couché le soir,
    Prie au chevet de mon lit noir,
    Comme une pâle et grave hôtesse.




La Chanson des vieux lits


    Lits bretons, frères des armoires,
    Lits de Trégor, lits de Kerné,
    Où, dans les encognures noires,
    Pend un bouquet de buis fané,

    C’est ici votre chanson vieille,
    La berceuse qu’au long des nuits
    M’a si souvent dite à l’oreille
    L’âme des vieux bouquets de buis.

    Elle disait: Je t’ai vu naître,
    J’ai vu tes yeux d’enfant s’ouvrir;
    Je sais aussi quel fut l’ancêtre
    Que tu sens en toi refleurir.

    C’était un pêcheur, un barbare,
    Un cœur de cire, un corps de fer.
    Le vent s’asseyait à la barre;
    L’homme causait avec la mer.

    Et de la mer, de la mer douce,
    Son pauvre cœur s’éprit si fort
    Qu’un soir de pêche on vit le mousse
    Sans le patron rentrer au port...

    C’est ici votre chanson vieille,
    Lits de Trégor, lits de Kerné,
    La berceuse, qu’à mon oreille,
    Chante l’âme du buis fané.




La Chanson de la légende

        Ann hini goz ê ma dous
        Ann hini goz ê zui[9].

  [9] C’est la Vieille qui est ma «douce», C’est la Vieille, à coup sûr!

A Charles Seignobos.


    Au temps que j’étais petit pâtre,
    Pâtre de moutons, au Kerdu,
    Je m’oubliais parfois dans l’âtre
    A veiller plus tard qu’il n’est dû.

    Un soir, la nuit déjà bien sombre,
    Brusquement la porte s’ouvrit;
    Sur le seuil apparut une ombre,
    Et je songeai: «C’est un esprit!»

    Mais, comme on avait dit les «grâces»,
    Je m’enhardis à murmurer:
    «Qui que tu sois, Ame qui passes,
    De profundis! tu peux entrer.»

    L’Ame entra... C’était une vieille,
    Comme on en voit par les chemins,
    Lasses de corps, dures d’oreille,
    Avec un bâton dans les mains.

    De leurs crocs aigus, les vents aigres
    Avaient dû la mordre longtemps,
    Car ses vieux os étaient plus maigres
    Que des carcasses de cent ans.

    Elle vint s’accroupir, toussante,
    Sur le foyer de pierre, et là,
    D’une voix, grise et comme absente,
    Étrangement elle parla:

                   *       *       *       *       *

    «Je suis le cœur, le cœur qui saigne,
    A toutes les ronces épars...
    Je fus reine, hélas! mais mon règne
    N’est plus de ce monde,--et je pars!

    «Petit, j’ai pour nom la Légende.
    Tu m’as vue errer bien des fois,
    Parmi les ajoncs de la lande,
    Un fuseau d’or clair dans les doigts.

    «J’ai filé les plus doux mensonges
    Où l’univers se soit bercé.
    Mais le fil d’or, le fil des songes
    A ma quenouille s’est cassé.

    «Écoute, petit, je suis vieille
    Comme les temps, comme les dieux.
    C’est ce soir ma dernière veille.
    Demain, tu me clorras les yeux.

    «Demain, je saurai qu’il existe,
    Le paradis que j’ai chanté,
    Pour égayer l’enfance triste
    De la naissante humanité...

    «Des bergers, des chanteurs de sônes
    Mèneront avec toi mon deuil;
    Et trois ou quatre coiffes jaunes[10]
    Suivront peut-être le cercueil.

    «Mais la foule, la foule grande,
    Qu’un autre souffle emporte ailleurs,
    Sur le tombeau de la Légende
    Ne versera ni pleurs ni fleurs.»

                   *       *       *       *       *

    Elle dit alors son histoire...
    On voyait au fond de ses yeux,
    On voyait luire sa mémoire
    Comme un trésor mystérieux.

    Elle dit les pasteurs des chèvres,
    Premiers pères des nations,
    Et comme ils buvaient à ses lèvres
    Le miel fort des illusions.

    En Orient, sous des cieux calmes,
    Au pied des monts, des monts altiers,
    Sa jeunesse, à l’ombre des palmes,
    Grandit, fleur libre des sentiers.

    Les héros que seule elle nomme
    Semaient, dans le matin vermeil,
    Le premier pain qu’ait mangé l’homme
    Devant la face du soleil.

    Tant que le jour dorait les branches,
    Ces grands laboureurs inconnus
    Avaient les grosses gaîtés franches
    De ceux qui peinent, les bras nus.

    Mais, le soir, sous les huttes closes,
    Ils se taisaient avec stupeur,
    Écoutant glisser sur les choses
    L’aile furtive de la peur.

    L’immense nature endormie,
    Où bruissent d’étranges bruits,
    Semblait une louche ennemie
    Qui rôdait autour de leurs nuits.

    La Légende alors, rassurante,
    Entrait sur la pointe des pieds,
    Et soudain la flamme mourante
    Se ranimait dans les foyers.

    Et c’étaient de belles histoires,
    Des poèmes, plus beaux encor,
    Qui, dans la hutte aux ombres noires,
    Ouvraient leurs larges ailes d’or...

    Une nuit, près du feu de brande,
    Son siège en vain resta dressé;
    Dans le sentier de la Légende
    Des hommes blonds avaient passé.

    «Nous suivons le vol des nuages»,
    Chantaient ces passants aux yeux doux;
    «Goûte à l’ivresse des voyages,
    Belle fille, et viens avec nous!

    «Notre rêve va!... Sur ses traces,
    Épris de lui seul, nous allons!»
    Comme elle aimait les nobles races,
    Elle suivit les hommes blonds...

                   *       *       *       *       *

    Voilà comme à la mer sauvage,
    Aux durs Ménez de Breiz-Izel,
    S’en vint, de rivage en rivage,
    La Légende aux lèvres de miel.

    Et c’est là qu’elle est enterrée,
    Sous un chêne aux rameaux épais...
    Pauvre grand’mère tant pleurée,
    Que le bon Dieu te fasse paix!

  [10] Le jaune est encore en Cornouailles la couleur adoptée pour le
    deuil.




A la sortie de l’École

En souvenir des soirs du Pichéry.


    C’est l’heure où les enfants s’épandent par la rue,
    Troublant de jeunes cris la paix grave du soir;
    Et le peuple des morts, la race disparue
    Du haut du ciel breton se penche pour les voir.

    Car les Celtes défunts revivent dans l’espace;
    Dieu pour eux, chaque soir, rouvre l’azur clément,
    Et, par les bleus sentiers, leur procession passe,
    Leur procession passe interminablement:

    Ceux qui furent marins tendent comme des voiles
    Les nuages errants qui se gonflent dans l’air,
    Et vont, comme autrefois, allumer des étoiles
    Devant la Vierge douce, Étoile de la mer.

    D’autres, jadis pasteurs, paissent les nébuleuses,
    Tandis qu’à leur rouet, plaintif et somnolent,
    Des saintes d’aujourd’hui qui furent des fileuses
    Filent du clair de lune en fuseaux de lin blanc.

    Des clercs adolescents, voués à la soutane,
    Feignent de méditer sur des livres ouverts;
    Mais le cœur saigne encor de quelque amour profane,
    Et la lèvre s’oublie à fredonner des vers.

    Ainsi vont cheminant au pays de mystère,
    Dans les brumes du soir, les Celtes d’autrefois;
    Et les petits Bretons qui cheminent sur terre
    S’étonnent de s’entendre appeler par des voix.

    Quelqu’un leur a-t-il dit qu’il fallait être sages?...
    Leurs sabots dans les mains, une tristesse aux yeux,
    Ils traversent, muets, la paix des paysages,
    Et ce sont des enfants qui semblent des aïeux.




Ballade


I

    Pour mettre sa coiffe, un dimanche
    Sa coiffe de dentelle blanche,
    La fille à son miroir se penche.

    --Comme vous voilà belle ainsi!
    --D’être belle je n’ai souci;

    D’être plaisante et d’être accorte,
    A quoi me sert et que m’importe?
    Nul galant ne frappe à ma porte!

    --Taisez-vous et ne pleurez point;
    Les amoureux viendront à point.

    --S’ils laissent cette année entière
    Passer, comme sa devancière,
    Lors, menez-les au cimetière.

    --Vous n’avez pas encor vingt ans;
    La rose fleurit au printemps!

    --Quand vous verrez fleurir la rose,
    Mettez-la sur ma tombe close.
    Dites: c’est là qu’Elle repose.

    Sur ma tombe mettez des fleurs.
    Et, dans le bénitier, des pleurs.

    Mettez-y fleur rouge et fleur noire,
    La fleur de deuil et de mémoire
    Douce aux âmes du Purgatoire;

    Puis, vous planterez sur les bords
    La fleur d’oubli, la fleur des morts.


II

    Pour les _cloër_ qui vont en bande,
    La route n’est pas assez grande,
    Qui mène à Vannes de Guérande.

    Ils ont franchi les murs sacrés;
    Au cimetière ils sont entrés.

    --«Or, çà, voici la tombe neuve
    La fraîche tombe d’une veuve
    Qui mourut fille, avant l’épreuve;

    Qui mourut fille, pour avoir
    Aimé d’un amour sans espoir.

    C’est pourquoi l’on mit sur sa tombe
    Fleur blanche couleur de colombe,
    Fleur noire ainsi que nuit qui tombe.

    Celui qu’elle aime est à Guingamp,
    Qui d’elle à tous va se moquant...»

    La morte est là qui les écoute
    Et dit: «Suivez, suivez la route;
    Devant vous elle s’ouvre toute;

    Mais au cimetière, laissez
    Dormir en paix les trépassés!...»




Dans la grand’hune


    La mer m’a versé son breuvage
    Son lait, salé d’un sel amer;
    Et j’ai grandi comme un sauvage
    Sur le sein libre de la mer.

    La mer, de ses rudes caresses,
    A pétri mon cœur et ma chair;
    Ce sont de farouches tendresses
    Que les tendresses de la mer.

    La mer m’a chanté l’aventure,
    L’espace, la vie au grand air.
    Je suis un oiseau de mâture,
    Un goëland, fils de la mer!

    Et si, dans ma chanson bretonne,
    Un souffle passe, large et fier,
    C’est qu’en moi gémit, hurle et tonne
    L’âme innombrable de la mer.




Sône


    Vous n’étiez qu’une enfant lorsque je vous connus,
        O ma jeune amour ignorée.
    Vous n’étiez qu’une enfant, et vous marchiez pieds nus,
        Dans votre robe déchirée.

    Vous aviez des yeux bleus et de longs cheveux bruns
        Qui, rebelles, rompaient leurs tresses,
    Tant les grands souffles fous, tant les libres embruns
        Les avaient grisés de caresses.

    Vos cheveux étaient bruns, et vos pieds étaient blancs,
        Tout le jour lustrés par les ondes;
    Votre jupe, nouée autour de vos deux flancs,
        Laissait voir vos deux jambes rondes.

    Le parfum qui sortait de vous était amer
        Comme l’odeur qui vient des plages;
    Et vous aviez en vous la santé de la mer,
        O pêcheuse de coquillages!

    Je n’étais qu’un enfant... Maintenant, je suis vieux;
        On vieillit vite loin des grèves!
    D’où vient que j’ai, ce soir, vu se rouvrir vos yeux
        Dans le ciel de mes anciens rêves?

    Est-ce un pressentiment qu’il faudrait revenir?
        Que le son des cloches m’appelle?
    Que vous avez gardé mon profond souvenir,
        Et que vous êtes toujours belle?

    Mais non! les angélus, au fond des soirs brumeux,
        Se taisent pour l’exilé triste.
    Les champs m’ont oublié, vous avez fait comme eux.
        Vous ne savez plus si j’existe.

    Puis, vous êtes allée aux pardons d’alentour,
        Où vous avez dansé sans doute;
    Et, quelque beau danseur vous guettant au retour,
        Vous avez fait à deux la route.

    Le sentier, trop étroit, passe au milieu des blés:
        On marche tout près l’un de l’autre,
    Et, lui, s’est enhardi devant vos yeux troublés
        Jusqu’à prendre en sa main la vôtre.

    C’est pourquoi vous bercez à cette heure un enfant...
        Fasse le bon Dieu qu’il prospère!
    Qu’il pousse, comme vous, dans l’âpreté du vent
        Et soit marin comme son père!




Chanson blanche


    On a mis entre ses doigts
    La fleur pâle, la fleur blanche,
    Qu’à sa robe du dimanche
    Elle épinglait autrefois.

    Et le cierge blanc qui brille
    Avive encor la pâleur
    De la blanche et pâle fleur,
    De la pâle et blanche fille.

    Et les longs rideaux tremblants,
    Dès qu’on entr’ouvre la porte,
    Sur la fleur et sur la morte
    Font neiger leurs flocons blancs.

    Très loin, au ras de la dune,
    A l’horizon d’argent clair,
    Comme un goëland dans l’air,
    Blanchit l’aile de la lune;

    Et, par les chemins pâlis,
    Avec l’aube qui se lève,
    Par les blancs chemins de grève,
    S’avancent les blancs surplis...

    Mais c’est quand le cercueil penche
    Sur le bord du grand trou noir,
    Que l’on aimerait à voir
    Resplendir la porte blanche.




Rumengol

A Léon Marillier.


    C’est un bruit murmurant d’oraisons qu’on fredonne.
    Des gens passent, pieds nus, qui viennent de très loin,
    Qui viennent des confins de la terre bretonne
    Fêter à Rumengol Notre-Dame de Juin.

    L’âme de la lumière au firmament surnage,
    Comme si, dans la nuit, la douce nuit d’été,
    Le pays de prière et de pèlerinage
    Devait rester vêtu de candide clarté.

    L’ombre, comme une mer, s’élargit et s’épanche;
    Elle a déjà noyé les hauteurs d’alentour,
    Mais la colline sainte est comme une île blanche
    Que baigne un jour d’ailleurs, un indicible jour.

    Un angélus discret, par la campagne éteinte,
    Guide les laboureurs, les pâtres, les marins,
    Et le ciel s’attendrit à cette voix qui tinte,
    Et les nuages même ont l’air de pèlerins.

                   *       *       *       *       *

    Sous l’if du cimetière, un mendiant épique,
    Un barde primitif, un sauvage inspiré
    Se lève, et dépouillant sa veste en peau de bique,
    Hurle au vent de la nuit le cantique sacré.

    «Qu’il vienne à Rumengol, quiconque a besoin d’aide!
    Une source divine a jailli hors du sol.
    Le lys immaculé, la fleur de Tout-Remède,
    Notre-Dame de Juin fleurit à Rumengol!»

    Il dit. Sur les tombeaux des foules sont assises,
    Coiffes de chanvre bis, feutres aux larges bords;
    Et l’on ne sait, à voir ces formes indécises,
    Si ce sont des vivants ou si ce sont des morts.

    Au loin, les prés sont clairs, étoilés par les tentes
    Où des feux de bergers veillent sur les dormeurs.
    La nuit monte, éployant ses ailes palpitantes;
    Le sonore silence est peuplé de rumeurs.

    Bêtes et gens, ce soir, ruminent côte à côte;
    Leur rêve fraternise au même lit herbeux.
    Quand les hommes ont dit la prière, à voix haute,
    Par de longs meuglements ont répondu les bœufs.

                   *       *       *       *       *

    A l’entour de l’église, aux lueurs d’une torche,
    Des ombres à genoux accomplissent un vœu.
    Le chanteur de chansons, allongé sous le porche,
    A l’air noble d’un mort sculpté dans un enfeu.

    Des corps, des corps en tas, sont vautrés sur les dalles;
    Leur sommeil susurrant semble prier encor,
    Et leur haleine fume, à d’égaux intervalles,
    Comme un encens humain devant la Vierge d’or.

    Du haut de son pilier, la Vierge guérisseuse,
    La fleur de Rumengol sourit, les yeux noyés,
    Et chantonne on ne sait quelle exquise berceuse
    A ce grand peuple enfant qui sommeille à ses pieds.




Chaume d’Islandais

        Me am eus clewet er Porz-Gwenn
        Canan clemmuz eur ganaouenn[11].

  [11] J’ai entendu, à Port-Blanc, Chanter plaintive une chanson.


    Fille d’Islandais, ô ma femme,
    L’entends-tu qui geint au dehors,
    L’entends-tu qui geint et qui brame,
    La mer sans cœur, la mer sans âme,
    Pour qui tant des nôtres sont morts?

    En ce logis du bord des grèves,
    Sous ce chaume, dans ce lit clos,
    Nous refaisons les anciens rêves
    Qu’en leurs haltes, leurs haltes brèves
    Y songèrent des matelots.

    Autour de la grise chaumine
    Leur pas sonne comme autrefois,
    Par les sentiers leur pas chemine,
    Et la mer lasse, qui rumine,
    Laisse vers nous monter leurs voix.

    Femme, pendant que tu reposes
    Au lit de leurs vieilles amours,
    N’entends-tu pas leurs lèvres closes
    Nous crier les suprêmes choses
    Qu’ils n’ont pu dire qu’aux flots sourds.

    J’ai souvenance de leurs lettres.
    Mon père autrefois me les lut.
    On eût dit des sermons de prêtres,
    Rédigés par des quartiers-maîtres...
    Pour signature, au bas, «Salut!»

    Ce salut envoyé du Pôle,
    Une bouteille l’apportait.
    Mon père, doux maître d’école,
    Traduisait la triste épistole
    Aux veuves... Et la mer chantait!




Symbole


    Dans un paysage de mer
    Où, seule, quelque vache rousse
    Va paissant un pâtis amer
    D’ajonc ras que le vent rebrousse;

    Sur un dos de morne pelé,
    Sous un ciel tissé de bruine,
    Gît le cadavre désolé
    D’une vieille église en ruine.

    Un temps fut, c’était un rocher...
    Vint en son auge un saint d’Irlande,
    Et, du roc brut, un fin clocher
    Poussa, comme une fleur de lande.

    Et quand il eut fleuri dans l’air,
    On vit--abeille familière--
    Une cloche, en robe d’or clair,
    Se poser sur la fleur de pierre.

    Longtemps, son magique fredon
    Berça la mer et la montagne;
    Et jamais cloche de pardon
    N’eut douceur pareille en Bretagne.

    Du vieux saint le nom s’est perdu.
    L’herbe a poussé sur sa mémoire,
    L’herbe d’oubli qu’au Ménez-Du
    Paît quelque vache rousse ou noire.

    L’église morte, en s’affaissant,
    A repris sa forme de roche;
    Mais, au cœur du clocher absent,
    Vibre encor l’âme de la cloche.

    Dans le paysage de mer,
    Quand, à coups légers elle tinte,
    On voit, sous sa robe d’or clair,
    S’illuminer l’église éteinte.




Après Vêpres


    Quand les belles hymnes latines,
    Avec l’encens des encensoirs,
    Sur l’aile des voix enfantines
    Montent, dans la splendeur des soirs,

    Les vitraux rouges, où flamboie
    La braise du soleil couchant,
    Éclatent d’une immense joie
    Qui vibre et chante avec le chant;

    Et les vierges, têtes baissées
    Sur les mystérieux missels,
    Sentent s’ouvrir dans leurs pensées
    L’infini lointain des grands ciels.

    Triste et souriant, sur leurs âmes,
    Se penche le mystique époux,
    Le seul Dieu qu’aient aimé les femmes,
    Le Dieu pâle, pensif et doux.

    Triste et consolant, il se penche!...
    Dans l’ombre qui va grandissant,
    On voit sourdre sur sa chair blanche
    Un pleur secret, un pleur de sang.

    Et, quand l’église s’est éteinte,
    Ses bras cloués restent ouverts
    Pour l’ardente et sublime étreinte
    Dont il embrasse l’univers.




Nos morts

A Gabriel Monod.


    A quoi bon dire les vivants,
    Puisque nous sommes ceux qui meurent?
    Oh! la triste chanson des vents!...
    Où vont les morts que nos yeux pleurent?

    Nul, en ce voyage qu’ils font,
    Ne marche près d’eux côte à côte:
    Le sol de la terre est profond,
    Et la voûte des cieux est haute!

    Le fossoyeur creuse le trou;
    Sur le cercueil la terre tombe.
    Le prêtre, dit-on, sait par où
    Le mort s’affranchit de la tombe.

    O mes morts, ô mes morts aimés,
    Si pourtant vos yeux sous la terre
    Devaient toujours rester fermés
    Et vos lèvres toujours se taire!...

    Mais non, vous êtes parmi nous,
    C’est vous qu’on voit,--âmes fanées,--
    Qu’on voit s’accroupir à genoux
    Dans les maisons abandonnées.

    Nous vous nommons de noms divers,
    Vous peuplez le temps et l’espace,
    Vous êtes l’odeur des foins verts
    Et le sanglot du vent qui passe.

    Quand les vivants, hommes de bruit,
    Ont clos leurs yeux sur leur journée,
    Vous vous levez avec la nuit
    Pour quelque tâche interminée.

    La lune, veilleuse des morts,
    Au plafond du ciel se balance.
    Sous vos chapeaux à larges bords,
    Vous peinez, hommes du silence.

    Des passants vous ont reconnus,
    Des passants tardifs, à la brune,
    Ont vu pleurer sur vos pieds nus
    Les larmes blanches de la lune!

    Vous êtes ceux qu’on n’entend pas,
    La muette chanson des choses,
    Et l’on se prend à parler bas,
    Quand vous frôlez les portes closes.




Rêve


    Je rêvais qu’après une course,
    A genoux, dans un bois profond,
    Je me penchais sur une source:
    Des étoiles tremblaient au fond.

    J’avais soif, et je voulus boire;
    Une aile d’oiseau me frôla;
    La source devint toute noire
    Et l’oiseau me dit: «Pas cela!

    «Respecte ces ondes sacrées.
    Car cette eau qui coule à pleins bords
    Est faite des larmes pleurées
    Par le regret vivant des morts.

    «N’apprends pas, avant qu’il soit l’heure,
    Et que tes jours soient révolus,
    Ce que cherche encore et que pleure
    L’œil clos de ceux qui ne sont plus.

    «Aime la vie! aime les voiles
    Qu’elle tend de la terre aux cieux
    Songe qu’en cette eau ces étoiles
    Souffrent de n’être plus des yeux.»

                   *       *       *       *       *

    Je m’éveillai. Les grandes herbes
    Bruissaient sous les noisetiers...
    Des filles aux hanches superbes
    Passaient, graves, dans les sentiers.

    Sous le faix des amours mortelles,
    Elles passaient, les reins pliés;
    Je me découvris devant elles
    Et leur criai: Multipliez!...




Le chant des nuages


    Breton, je chante les nuages,
    Aventuriers du ciel profond.
    Leur mer est la mer sans rivages;
    Sans atterrir jamais, ils vont!

    Jadis, mes nomades pensées
    Rêvaient de monter à leur bord,
    Pour ces divines traversées
    Qu’on fait peut-être après la mort.

    A les voir voguer dans l’espace,
    On dirait qu’indéfiniment
    C’est l’escadre de Dieu qui passe
    Tout au large du firmament.

    Ils ont pour fanaux les étoiles.
    Le soir descendu, le jour clos,
    On entend chanter dans leurs voiles
    De mystérieux matelots...

                   *       *       *       *       *

    Parfois aussi, formes étranges
    D’un monde ailé qui toujours fuit,
    Ils semblent un chœur de beaux anges
    Agenouillés devant la nuit.

    Ils doivent connaître des psaumes
    Qui font s’entr’ouvrir à leurs pas
    Les Cités d’en haut, les Royaumes
    Où nos cœurs aspirent d’en bas.

    Et, comme un temple de silence,
    Le ciel s’agrandit dans le soir;
    Et la lune au vent se balance
    Avec des lenteurs d’encensoir.

                   *       *       *       *       *

    Cœurs changeants, épris de voyages,
    Les Bretons, ce peuple banni,
    Se sont faits, comme leurs nuages,
    Les pèlerins de l’Infini.




Le chapelet d’angoisse


    Quand vient la Passion, de paroisse en paroisse
    Des vieilles vont, disant le «chapelet d’angoisse»;
    Et l’on entend leurs voix qui clament sur le seuil:
    «Jésus est mort, pleurez! C’est la nuit du grand deuil!»
    Et les galants, assis dans l’ombre, près des filles,
    S’arrêtent d’aiguiser le tranchant des faucilles,
    Ne s’inquiètent plus si les trèfles sont mûrs,
    Et restent sans parler, les yeux fixés aux murs.
    Les Ménez noirs, au loin, dans leurs formes sévères,
    Semblent des golgothas hérissés de calvaires.

    Le chapelet s’égrène et, dizain par dizain,
    A travers le pays sonne comme un tocsin.
    Il fait fondre les cœurs en fontaines de larmes,
    Et voici ce qu’il va tintant, ce «glas d’alarmes».

                   *       *       *       *       *

    «C’est la saison nouvelle, et c’est le printemps bleu,
    C’est le printemps humain né de la mort d’un Dieu!

        Nous venons dire qu’il est l’heure,
        L’heure où tout chrétien prie et pleure!

    «Au mont des Oliviers un calice descend,
    Et le calice est plein d’une liqueur de sang

        Et jusqu’à la dernière goutte,
        Jésus a dû la boire toute!

    «Voici, par les sentiers, que montent les soldats
    Et que vient, derrière eux, le baiser de Judas.

        Et, dans ce baiser de l’infâme,
        Jésus épand toute son âme.

    «Sur le triste Ménez, comme un pauvre animal,
    Jésus grimpe, roué de coups qui lui font mal.

        Jésus, humble bête de somme,
        Porte à Dieu les péchés de l’homme.

    «Et son faix est si lourd qu’il tombe par trois fois,
    Et c’est depuis ce temps qu’il saigne sur les croix.

        La Vierge dit: «C’est joie amère,
        O Bretonnes, que d’être mère!»...




Le temps des Saintes


    Au temps où les Saintes vivaient,
    O ma sœurette, elles avaient
    Ton pauvre petit corps plein d’âme;
    Et, dans leurs yeux comme en tes yeux,
    Rayonnaient d’une double flamme
    Toutes les étoiles des cieux.

    En ce temps, leurs larmes divines,
    Comme les sources des ravines,
    Abreuvaient les cœurs desséchés...
    Ces pleurs, qui fécondaient les pierres,
    Ces pleurs, qui lavaient les péchés,
    Toujours tremblent à tes paupières!

    Et, tant que tes yeux pleureront,
    Tant que tes lèvres souriront,
    Je croirai que, dans les cieux calmes,
    S’ouvre un magique paradis
    Où circulent avec des palmes
    Les belles Saintes de jadis.




La Chanson de notre «Reine Anne»

        Pedit ar Santès Anna Vad,
        Hac ho pezo zur ho mennad[12].

  [12] Priez Sainte Anne-la-Bonne, Et sûrement votre vœu sera exaucé.


    Nous vous avons appelée Anne.
    Plus grande, je vous conterai
    Combien douce, au pays de Vanne,
    Fleurit Anne, la fleur d’Auray.

    Quand vous serez encor plus grande,
    En Juillet, au temps du ciel bleu,
    Nous vous mènerons par la lande
    A la grand’mère du bon Dieu.

    Et vous verrez vers sa filleule
    La vieille Sainte Anne venir,
    Et sur vous ses doigts fins d’aïeule
    Se poseront pour vous bénir.

    Par la vertu d’Anne-la-Bonne,
    Vous serez dans votre maison
    La fleur d’ajonc, la fleur bretonne,
    Qui fleurit en toute saison.

    Si nous dormons alors sous terre,
    Où s’appuyèrent nos genoux,
    A Sainte-Anne, au pays austère,
    Priez en souvenir de nous...

                   *       *       *       *       *

    Nous vous avons appelée Anne.
    Vous avez les yeux fins et beaux,
    Comme la reine-paysanne,
    Comme la «Duchesse en sabots».

    Comme elle, d’une amour profonde,
    Aimez la terre des aïeux!
    Il n’en est pas une autre au monde
    Plus digne d’enchanter vos yeux.

    La Bretagne, hélas! roule et tangue
    Comme un navire avarié!
    Priez pour elle, dans la langue
    Où pour vous nous avons prié.

    Et, quand vous irez, déjà femme,
    Mûre pour les doux abandons,
    Avec l’épousé de votre âme,
    Le long des chemins de pardons,

    Laissez la fougère embaumée
    Vous dire dans les chemins verts:
    «Votre mère ici fut aimée;
    Votre père ici fit ces vers!

    «Il les fit en parler de France
    Mais son cœur fut breton toujours;
    Bretonne aussi son espérance;
    Bretonnes surtout ses amours!»

    Enfant, Dieu vous donne de vivre
    Pure de cœur, grave d’esprit!...
    Ce mot, le dernier de ce livre,
    C’est votre mère qui l’écrit.


FIN




TABLE


  AU SEUIL D’UN LIVRE                   1
  FANEUSES DE GOËMONS                   6
  LA SOURCE ENCHANTÉE                   9
  TERRE D’ARMOR                        10
  LES ÉPAVES                           13
  LA CITÉ DOLENTE                      17
  LES MOUETTES                         18
  NUIT INSULAIRE                       25
  CHANSON DE MARCHE                    26
  ENTRE PLOMEUR ET PLOVAN              28
  LA CHANSON DES CHÊNES                30
  EN MAI                               33
  LA CHANSON DU VENT DE MER            36
  A PAIMPOL                            38
  EXTRAIT D’UN POÈME DE VACANCES       43
  TRÉGUÊR                              44
  SAINT-YVES                           46
  ÉVOCATIONS                           48
  A QUIMPERLÉ                          51
  NOËL DE BRETAGNE                     58
  LA CHANSON DU VENT QUI VENTE         61
  LA CHANSON DU ROCHER QUI MARCHE      64
  L’AME DES MATELOTS                   66
  LE CHANT D’AHÈS                      70
  LES HANTISES                         71
  EN NOVEMBRE                          74
  SÔNE                                 77
  LA CHANSON DES PÊCHEUSES DE NUIT     79
  LE CHANT DES VIEILLES MAISONS        81
  SUR LE CHEMIN D’EXIL                 86
  FRANCÉA RANNOU                       88
  LA LÉPREUSE                          90
  JEANNE LARVOR                        93
  A LA GRAND’MESSE                     99
  CHANSON DE BORD                     101
  UN MANUSCRIT                        103
  TOUT LE LONG DE LA NUIT             109
  SÔNE                                111
  CLOCHES DE PAQUES                   117
  NUIT D’ÉTOILES                      120
  JEANNE LEZVEUR                      122
  VŒU                                 129
  LE LONG DE MA ROUTE                 131
  LE CHANT DE MA MÈRE                 133
  LES TROUPEAUX DE L’AIR              136
  BERCEUSE D’ARMORIQUE                138
  LA CHANSON DE MA NOURRICE           141
  LA CHANSON DE LA MAL MARIÉE         144
  VAINES ATTENTES                     147
  LA CHANSON DE L’AMOUR               151
  EXTRAIT D’UN VIEUX LIVRE            153
  LES YEUX DE MA MIE                  156
  IN MEMORIAM LIBRI                   158
  CHANT DE MER                        160
  LES CONTEUSES                       162
  LE MIROIR ÉPAVE                     163
  JEAN L’ARC’HANTEC                   164
  CIMETIÈRE INTIME                    169
  LA CHANSON DES VIEUX LITS           171
  LA CHANSON DE LA LÉGENDE            173
  A LA SORTIE DE L’ÉCOLE              180
  BALLADE                             182
  DANS LA GRAND’HUNE                  186
  SÔNE                                188
  CHANSON BLANCHE                     191
  RUMENGOL                            193
  CHAUME D’ISLANDAIS                  197
  SYMBOLE                             199
  APRÈS VÊPRES                        201
  NOS MORTS                           203
  RÊVE                                206
  LE CHANT DES NUAGES                 208
  LE CHAPELET D’ANGOISSE              211
  LE TEMPS DES SAINTES                214
  LA CHANSON DE NOTRE «REINE ANNE»    216


1802-06.--Coulommiers. Imp. Paul BRODARD.--P12-06.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA CHANSON DE LA BRETAGNE ***


    

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