Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

By A. Rançon

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Title: Le Bondou: étude de géographie et d'histoire soudaniennes

Author: A. Rançon

Release date: September 26, 2024 [eBook #74481]

Language: French

Original publication: Bordeaux: G. Gounouilhou

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Bayerische Staatsbibliothek)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BONDOU: ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE SOUDANIENNES ***

[Note du transcripteur : Cette monographie a été extraite et préparée
à partir de sa version publiée dans le Bulletin de la Société de
géographie commerciale de Bordeaux, no 17, 1894.]




[Illustration : CARTE DU =BONDOU= D’APRÈS LES TRAVAUX _du Capitaine
ROUX de l’Infanterie de Marine et du Docteur RANÇON Médecin de
Première Classe des Colonies_

Supplément au BULLETIN de SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE COMMERCIALE DE
BORDEAUX du 6 Août 1894]




                              =LE BONDOU=
           =Étude de géographie et d’histoire soudaniennes.=
                               * * * * *


Il y a quelques années, un superbe noir, à la figure intelligente et
fine, excita à un haut degré la curiosité de la capitale. Sa haute
taille, le burnous dont il se drapait fièrement, le petit bonnet de
cotonnade dont il était coiffé éveillaient dans l’esprit des
passants une admiration sympathique. Ce qui cependant étonnait le
plus, c’était de voir briller sur sa poitrine la croix de chevalier
de la Légion d’honneur dont le rouge ruban de soie moirée
tranchait d’une façon éclatante sur la blancheur immaculée de
son manteau. Une suite nombreuse de noirs africains l’accompagnait
dans ses promenades et ses visites, et un officier, au teint bruni
par le soleil des tropiques, lui servait de cicerone. Les revues
illustrées lui consacrèrent plusieurs de leurs dessins les mieux
réussis, et nos plus grands journaux publièrent sa biographie et
contèrent ses hauts faits.

Mais, en France, tout s’use rapidement, et les hommes les plus
illustres n’y acquièrent guère que la célébrité d’un jour. Un
simple fait divers, une première à sensation, un procès scandaleux
suffisent pour passionner l’opinion publique et lui faire oublier
son idole de la veille. Aussi notre personnage fut-il rapidement
délaissé, et, aujourd’hui, son souvenir s’est complètement
effacé de la mémoire de ceux qui lui firent jadis une si brillante
réclame.

C’était pourtant une curieuse figure et un étrange caractère
que le prince Sissibé, Ousman Gassy, almamy du Bondou.

Quelques rares officiers que leur service ou les devoirs de
leurs fonctions appellent dans les régions qu’il commanda,
se souviennent encore des services qu’il a rendus à la France
en Afrique et savent qu’il a succombé, dans toute la force de
l’âge, victime de ce terrible climat du Soudan, au cours de la
glorieuse campagne que dirigea contre le sombre Ahmadou, sultan de
Ségou, le colonel Archinard.

Il en est bien moins encore qui connaissent l’empire sur lequel il
régna. Jusqu’à ce jour, on n’a pu recueillir sur sa géographie
et son histoire que des données absolument incomplètes et le nom de
Bondou sous lequel on le désigne n’éveille guère dans l’esprit
de la grande majorité du public qu’une image bien vague et bien
incertaine de paysages tropicaux, de brillants horizons et de sombres
villages brûlés par un soleil ardent, au milieu desquels errent
de leur pas mélancolique et grave de noirs adeptes de la religion
du prophète.

Nous ne connaissons que deux auteurs qui se soient occupés
de cet intéressant pays, et encore les mémoires qu’ils lui
ont consacrés, tout captivants qu’ils soient, sont-ils fort
incomplets. En 1884, M. J.-J. Lamartiny, négociant au Sénégal,
conseiller général, qu’une mort prématurée a trop tôt enlevé,
il y a quelques années, à l’estime de ses concitoyens, publia,
sous les auspices de la Société de géographie commerciale de
Paris, une monographie qui, à l’époque où elle parut, a pu
être considérée à juste titre comme une véritable nouveauté
géographique et historique. Neuf ans plus tard, en 1893, notre
excellent ami, le capitaine Roux, de l’infanterie de marine,
alors commandant du cercle de Bakel, dans une brochure éditée
à Saint-Louis du Sénégal, reprit cette étude au point de
vue purement historique et les documents nouveaux qu’il y fit
connaître jetèrent un jour tout particulier sur le passé de ce
petit empire africain.

Mais ces deux importantes relations, dont les récits de notre ami,
le prince Sissibé, Abdoul-Séga, chef de Koussan-Almamy, l’un des
plus anciens et des principaux villages du Bondou, forment, pour ainsi
dire, toute la substance, ne sont que des essais de grande valeur que
nous avons pu, au cours de nos voyages au Soudan, compléter d’une
façon méthodique aux différents points de vue de la géographie,
de l’histoire, de l’ethnographie et de la sociologie.

C’est ce nouveau travail que nous avons l’honneur de présenter
à ceux qu’intéressent les questions coloniales, en les priant de
vouloir bien lui accorder toute la sympathie et toute l’indulgence
avec lesquelles ils ont accueilli nos précédentes études.

_Limites, frontières._ — En y comprenant le Tiali, le Nieri,
le Diaka et le Ferlo, ses provinces tributaires, le Bondou est à
peu près situé entre les 14° 20′ et 15° 50′ de longitude à
l’ouest du méridien de Paris et les 13° 12′ et 14° 45′ de
latitude nord. Dans ses plus grandes dimensions, il mesure environ
de l’est à l’ouest 190 kilomètres et du nord au sud 170
kilomètres. Sa superficie dépasse 33,000 kilomètres carrés. Ces
chiffres ne sont, bien entendu, qu’absolument approximatifs, car,
dans l’état actuel des choses, il n’est guère possible de
donner de ce pays des mensurations rigoureusement exactes.

Il n’a pas, pour ainsi dire, de frontières naturelles. Elles ne
sont formées presque partout que par une ligne fictive déterminée
par les travaux des différentes missions qui se sont succédé
dans ces régions. Elle passe au nord à environ 3 kilomètres
au sud du village d’Allahina. De là elle se dirige vers le
sud-sud-est jusqu’au marigot de Samba-Kouta qu’elle coupe pour
s’orienter vers l’est jusqu’à la rivière Falémé. Ce cours
d’eau sert de frontière au Bondou jusqu’au petit village
de Guita situé sur sa rive droite à environ 7 kilomètres au
nord-nord-est de Sénoudébou. De Guita, la ligne de démarcation
suit une direction générale sud, coupe de nouveau la Falémé
à 10 kilomètres au sud-sud-est du village de Bountou. Là, elle
oblique vers le sud-ouest et est ainsi orientée jusqu’au confluent
du Fala-Koulou et du marigot de Boumba. Puis, elle remonte vers le
nord-ouest jusqu’au Mahel-Sanou qui sert de limite au Bondou dans
ces régions jusqu’à son confluent avec le Niéri-Kô. De ce point,
la ligne de démarcation se dirige directement au nord-ouest, suit
pendant quelques kilomètres le petit marigot de Koromadji jusqu’au
point où il se jette dans le Sandougou ou Badiara. Brusquement,
elle oblique alors vers le nord, suit cette orientation jusqu’à
ce qu’elle rencontre le marigot de Tiangol-Ouoloff. A partir de
là, elle se dirige d’une façon générale vers le nord-nord-est
jusqu’en un point situé à huit kilomètres environ du petit
village de Allah-Lewi, d’où elle rejoint le point initial en
formant un coude dont la convexité est dirigée vers le sud. Cette
ligne frontière n’a pas moins de 625 kilomètres de développement.

Le Bondou confine au nord au Guoy, au nord-est au Kamera, à
l’est au Gadiaga, au pays de Farabana et au Niagala ; au sud-est
au Bélédougou et au désert de Tandaba qui le sépare du Badon,
au sud au pays de Gamon, au Tenda-Touré et au Ouli ; au sud-ouest
au Ouli, à l’ouest au Kalonkadougou dont le sépare une vaste
étendue de steppes absolument stériles et inhabitées, et enfin
au nord-ouest au désert du Ferlo et au Damga.

_Aspect général._ — L’aspect général du Bondou est
plutôt celui d’un pays de plaine que celui d’une région
montagneuse. Les reliefs du sol y sont, en effet, peu nombreux et de
peu d’importance. On peut à ce point de vue le diviser en cinq
régions bien distinctes. La région nord est de beaucoup la plus
accidentée. Elle est sillonnée de nombreuses collines peu élevées
qui enserrent des vallées d’une étonnante fertilité, mais où
ne peuvent guère être cultivées que des espèces indigènes.

La région est comprend toute la partie de la vallée de la Falémé
qui s’étend à peu près depuis le village de Bountou au sud au
village de Balou au nord. Elle est bien arrosée par de nombreux
marigots. Le sol y est fertile et couvert surtout sur les rives de
la rivière et celles des marigots d’une riche végétation.

La région sud qui est formée par le Tiali, le Diaka, le Nieri
et une partie du Ferlo-Maodo est couverte de belles forêts qui
alternent avec des plateaux absolument dénudés et stériles. Dans
les parties relativement fertiles de cette région, la flore diffère
sensiblement de celle des provinces plus septentrionales. Là, on
commence à rencontrer les belles essences qui caractérisent la
végétation des Rivières du sud. Le sol y est, dans les vallées
des marigots, éminemment fertile et le Tiali et le Nieri notamment
ont toujours été regardés par les almamys du Bondou comme leur
véritable grenier d’abondance.

A l’ouest, nous retrouvons les plaines nues et arides qui sont
particulières au Sénégal et au Soudan. C’est la steppe monotone
et triste dans toute l’acception du mot, avec son sol argileux
où croissent de maigres végétaux rabougris et rachitiques et une
brousse épaisse dont les cypéracées et les graminées inférieures
forment les principaux éléments.

Enfin, la région centrale tient à la fois de celles qui
l’environnent ; à côté de vallées relativement riches,
on trouve des plaines absolument stériles. Elle est faiblement
arrosée. Pendant la saison sèche, ses marigots sont absolument
taris, et pendant l’hivernage, ils sont transformés en véritables
marécages absolument impropres à la culture. Le sol y est à peine
vallonné et ses productions sont à peine suffisantes pour nourrir
les populations qui l’habitent.

_Hydrologie_[1]. — Sous ce rapport le Bondou appartient à la fois
au bassin de la Falémé et à celui de la Gambie. Une chaîne de
collines peu élevées et dirigées du nord au sud depuis le village
de Bordé jusqu’aux environs de Kippi dans le Tiali séparent les
régions Bondounkées qu’arrosent les marigots tributaires de ces
deux grands cours d’eau.

La Falémé coule dans le Bondou pendant environ 150
kilomètres. Pendant l’hivernage, elle y est navigable pour des
vapeurs calant 1m 50 à 2 mètres. Mais, pendant la saison sèche,
elle n’est praticable que pour des chalands à fond plat et des
pirogues indigènes.

Cette rivière, dont certains explorateurs ont cru devoir faire
des descriptions si séduisantes, ne mérite que médiocrement la
réputation qu’on lui a faite. Elle suit le régime de tous les
grands cours d’eau de l’Afrique occidentale. Pendant la saison des
pluies, c’est une belle rivière dont la largeur atteint en maints
endroits 200 et 300 mètres. Son courant est alors rapide et a une
force qui parfois dépasse quatre nœuds. Sa navigation présente
alors de sérieux dangers, car son lit est parsemé de bancs de
sable et de rochers qui forment autant d’écueils difficiles à
éviter pour ceux qui ne connaissent qu’imparfaitement son chenal.

Elle présente, au cours de la même année, des différences
de niveau considérables. Là où, à l’époque de la crue,
on trouvait des fonds de 8 à 10 mètres, on ne rencontre plus,
à peine quelques semaines plus tard, qu’un mince filet d’eau.

Ses rives sont couvertes d’une riche végétation, mais elle
s’étend à peine à 700 ou 800 mètres à l’intérieur des
terres. Toutefois la rive occidentale nous a paru plus boisée que
la rive opposée. Enfin, pendant la saison sèche, ses bords sont
absolument à pic et cela s’explique aisément si l’on songe
que son courant est pendant l’hivernage absolument torrentueux en
certains endroits.

Si maintenant nous descendons le cours de la Falémé depuis le point
où elle entre dans le Bondou jusqu’au moment où elle en sort,
nous verrons que dans ce trajet, elle suit une direction générale
sud-sud-est nord-nord-ouest.

Née des montagnes du Fouta-Djallon, sur le versant opposé à celui
où le Sénégal prend sa source, elle arrose avant de pénétrer dans
le Bondou le Sangala, le Gounianta, le Dentilia, le Sirimana et le
désert de Tandaba sur sa rive gauche, le Fantofa, le Dialloungala,
le Konkodougou-Sintedougou, le Diébédougou, le Kamanah, le Kilé,
et le pays de Makhana, sur sa rive droite.

En face du village de Makhana sur la rive droite de la Falémé et
à l’ouest se trouve le petit village de Bountou, le premier qui
appartienne au Bondou dans cette région. Ce fut à Bountou qu’en
1859 M. Baur, ingénieur des mines, se livra à des essais de lavage
des sables aurifères de la rivière.

Un peu au nord de Bountou, se trouve le petit village de Farabanna
qui fut visité en septembre 1859 par l’aviso _le Griffon_. Là, la
rivière se partage en un grand nombre de canaux au milieu desquels
se trouvent de petits îlots. Ces canaux sont de plus coupés par
des bancs de rochers qui laissent entre eux d’étroits passages.

Les ruines du petit village de Fatendi sont situées sur la rive
gauche un peu au nord de Farabanna. Presque en face se trouve le
petit village de Touteko. A 15 kilomètres de Fatendi se trouve
Sansandig sur la rive gauche. Sur la rive droite se trouvait jadis
un second village qui portait le même nom.

Tomboura que l’on trouve ensuite à 5 kilomètres de Sansandig est
le village le plus considérable de cette région. En face sur la
rive droite existe un petit village qui porte le même nom et qui
est habité par des Peulhs du Fouta-Djallon.

Médina est maintenant en ruines et la plupart de ses habitants ont
formé le petit village de Malionaki situé à 4 kilomètres environ
en aval.

N’Dagan qui est distant de ce dernier de 8 kilomètres est
situé sur la rive droite de la rivière. Il fut brûlé en 1857 par
Brossard de Corbigny, commandant l’aviso _le Grand-Bassam_. Pendant
l’occupation de Kéniéba il servit de magasin de dépôt et on y
avait élevé un petit blockhaus. De N’Dagan partait une route de
vingt mètres de large allant à Kéniéba. On n’en trouve plus
traces aujourd’hui.

Jusqu’à Débou, nous ne trouvons plus que des ruines et des
villages de culture de peu d’importance. C’est dans cette
région que se trouvait autrefois le village de Kakoulou, capitale de
l’ancien état malinké de Countou. Il fut détruit par Maka-Djiba,
l’un des premiers almamys du Bondou. A Kakoulou, la Falémé est
obstruée par un banc de roches qui la transforme en un véritable
rapide. Pendant la saison sèche, on n’y trouve pas plus de un à
deux pieds d’eau.

Non loin de là se trouvait Amdallaye, qui fut construit par
l’almamy Boubakar-Saada qui en fit sa résidence pendant
l’occupation française.

Débou n’est plus qu’un petit village de culture d’environ
150 habitants. Il dépend de Sénoudébou et n’est plus, pour
ainsi dire, peuplé que par les captifs des princes Sissibés qui
résident dans ce dernier village.

Devant Débou, la Falémé a une largeur de 180 à 200 mètres. Elle
y atteint jusqu’à 5 ou 6 mètres de profondeur.

Un peu en aval de Débou se trouve le rapide de Guétié. Il divise le
fleuve en petits canaux. Aux basses eaux, on n’y trouve pas plus
de un pied et demi à deux pieds d’eau. Le passage de Guétié est
difficile à pratiquer. Les courants qui y atteignent une force de
5 ou 6 nœuds pendant les hautes eaux permettent fort difficilement
d’y naviguer. Ces rapides n’ont pas moins de 500 mètres de
longueur.

Quinze cents mètres plus loin se trouve le gros village de
Sénoudébou qui fut longtemps la capitale du Bondou et résidence
de l’almamy Boubakar-Saada. Ce village, d’origine peu ancienne,
doit son importance au fort français qui y fut construit en 1845. Ce
fort fut détruit pendant la guerre contre Mahmadou-Lamine par les
bandes de ce faux prophète. Il n’en reste plus maintenant que
l’enceinte dans laquelle sont construites les cases de plusieurs
princes Sissibés et de leurs femmes. Nous en reparlerons plus
longuement dans le cours de ce travail. Sénoudébou, depuis qu’il
a été abandonné par l’almamy, n’est plus qu’un village de
second ordre.

A l’époque des basses eaux, la Falémé peut être traversée
à gué devant Sénoudébou, quelques centaines de mètres en aval
du fort.

Entre Sénoudébou et Guita se trouvait autrefois le
village de Kaynoura, près duquel devait se trouver le fort
Saint-Pierre-de-Kaynoura construit en 1715 par ordre d’André Bruë,
directeur de la compagnie de Galam.

Guita, situé à environ 5 kilomètres en aval de Sénoudébou sur
la rive gauche, n’a plus que 60 habitants. On y voit les ruines
d’un vaste tata, où résidait en 1843 le roi du Khasso Sambala
et qui fut construit par l’almamy du Bondou pour son royal hôte.

A quelques kilomètres de Guita se trouvent les ruines de Naïé,
dont le gué du même nom est fameux dans les fastes du Bondou.

Un peu en aval de Naïé se trouvent les ruines de Kidira-tata,
puis celles de Kidira-Tioubalo (Kidira des pêcheurs). Ce fut à
Kidira-tata que Raffenel trouva lors de son passage la princesse
Sadioba, fille du roi de Médine et veuve de Duranthon, voyageur
français qui mourut dans ce dernier village. On y voit encore
son tombeau.

Le petit village de Selen ou Seleng se trouve à environ 5 kilomètres
de Kidira-Tioubalo. Il n’a pas plus d’une centaine d’habitants
et est dépourvu de tata. Il est formé de deux villages construits
à environ 500 mètres l’un de l’autre.

Entre Selen et Dialiguel on ne trouve que des ruines fort rapprochées
les unes des autres. Ce sont celles de Ouro-Amady, de Beligaoudou
et de Belioude.

Dialiguel n’a plus aujourd’hui qu’une centaine
d’habitants. Les Peulhs y sont en majorité et il est complètement
construit en paille.

Un peu en aval de Dialiguel se trouvent les roches de Djurkel. Ce
sont d’énormes blocs de quartz qui s’élèvent au milieu du
fleuve et autour desquelles le courant est assez violent.

Dialiguel est le dernier village du Bondou que l’on rencontre
en descendant la Falémé. A douze kilomètres de là, la rivière
coule alors entre le Guoy et le Kamera pendant dix kilomètres et
se jette dans le Sénégal entre Aroundou et Goutioubé, en face du
gros village de Dioukountourou qui se trouve dans le Guidimakha.

A peu de distance de la frontière se trouve le petit village de
Balou dont la population formée de Sarracolés est d’environ 350
habitants. Au pied de ce village s’étend un grand banc de roches
qui barre une partie de la rivière sur la rive gauche, tandis que
sur la droite s’avance un banc de sable, ne laissant entre eux
qu’un passage de 3 mètres de large. Pendant les hautes eaux,
tous ces bancs et rochers sont submergés et forment des écueils
dangereux pour la navigation.

Ces rochers sont l’objet d’une légende fort connue dans tout
le Guoy, le Kaméra et le Bondou. On les désigne sous le nom de
Penda-Balou, du nom de l’héroïne dont nous allons conter ici les
aventures ; car, suivant les récits des griots, elles se passèrent
à l’époque où Balou appartenait aux almamys du Bondou. Comme
Lamartiny, nous empruntons cette relation à Raffenel ; elle nous
a été, du reste, contée dans tous ses détails par les griots
de Sénoudébou.

Penda-Balou était autrefois une princesse d’une rare beauté qui
suivait la loi du prophète avec une irréprochable fidélité. Elle
était bonne, généreuse et sensible.

D’une modestie rare, elle choisissait, pour faire le bien et
aller consoler les malheureux, le moment où le tam-tam et la flûte
appelaient les jeunes filles à la danse sous le grand tamarinier
du village. Elle se montrait rarement dans les réunions dont elle
était la reine et par sa beauté et par ses vertus.

Souvent elle allait s’asseoir sur une pointe de ces noirs rochers
et aimait à s’y laisser rêver au doux souffle de la brise.

Refusant toutes les demandes en mariage qu’elle et sa mère
recevaient tous les jours, malgré les avantages qu’elles pouvaient
offrir : ses nombreux prétendants disaient que Penda-Balou était
fiancée à quelque génie malfaisant.

Hélas ! c’était vrai : la pauvre Penda était devenue amoureuse
d’un génie qu’elle voyait seule, et qui, sous la forme d’un
beau jeune homme, lui avait raconté les choses les plus séduisantes
et les plus propres à inspirer l’amour.

Ses visites se renouvelaient souvent au rocher ; mais son amant
devenant plus pressant et plus passionné, elle se décida à
en parler à sa mère pour lui demander de la laisser épouser
celui qu’elle aimait. Mais sa mère, s’attachant à elle, jura
qu’elle ne consentirait jamais à une union qui devait la séparer
éternellement de sa fille (car telle était la condition du génie).

La malheureuse Penda se laissa entraîner par le charme et la beauté
de son amant, et abandonna celle qui lui avait donné le jour.

Dès que sa proie fut enfin en son pouvoir, le génie, dépouillant
ses formes séduisantes, reprit sa nature primitive, celle d’un
gros caïman au ventre vert. Aux palais enchantés qu’avait rêvés
la douce Penda, succédèrent des cavernes noires et fétides, et
à la douce voix de ses compagnes et de ses captives succéda le
croassement des hideux habitants des ondes profondes.

En vain la pauvre Africaine demande pardon et appelle sa mère,
tout reste sourd à ses prières.

Une oreille compatissante entendit cependant ses gémissements et
lui dit d’une voix mystérieuse : « La puissance de ton époux
n’est point aussi absolue que tu le crois ; elle échoue devant
la fermeté et l’énergie de celles qui tombent victimes de ses
pièges. Mais, hélas ! infortunée, le secret que je t’apprends là
ne te sauvera qu’à demi, car je ne puis rien contre les vengeances
de Golaksala (c’était le nom du génie) et elles sont terribles. En
lui résistant, tu parviendras bien à te soustraire à ses odieuses
assiduités, mais tu perdras ta forme gracieuse et tu seras changée
en rocher. Telle est la volonté du destin. Choisis et hâte-toi. »

La jeune fille accueillit avec empressement le changement, qui devait
apporter un remède à ses malheurs, et, malgré les prières et
les supplications de son époux, elle resta ferme dans sa volonté.

Dès lors s’accomplit sa malheureuse destinée. Le lendemain, les
habitants de Balou apercevaient un énorme bloc de quartz qui domine
le groupe de rochers noirs qui baigne ses pieds dans la rivière.

Mais restée visible pour son époux, celui-ci éprouva toujours
pour elle un violent amour. Elle se débat, elle repousse le
monstre. Pendant ce temps une tempête éclate, le ciel est gris, le
vent souffle avec furie, et le tonnerre gronde. Les flots, soulevés
avec force, vont se briser en écumant sur les pieds du rocher. Les
habitants consternés prient et attendent avec anxiété la fin de
cette tourmente.

Lors de la visite de Golaksala à Penda-Balou, il était toujours
arrivé, racontent les anciens du village, qu’une jeune fille et
un jeune homme disparaissaient du village. C’est là une tradition
qui s’est longtemps transmise de père en fils.

Balou semblait voué à tout jamais à ce triste sort par la cruauté
du génie Golaksala, lorsqu’un jeune pèlerin, venant de faire
ses dévotions à La Mecque, passa dans le village, et touché des
malheurs qui affligeaient ses habitants, recommanda le jeûne et la
prière, écrivit des amulettes et ordonna de faire des offrandes. Les
prescriptions de ce saint marabout furent religieusement observées,
et depuis lors cessèrent les mystérieuses disparitions des jeunes
gens, sauf dans quelques rares exceptions où la population avait
commis quelque écart de conduite, et perdu par là la protection
qu’elle avait obtenue, sur les prières du pieux pèlerin.

Dans le Bondou, la Falémé reçoit sur sa rive droite de nombreux
marigots, en général de peu d’importance. Mais, avant d’en
donner l’énumération, disons en quelques mots ce que l’on
entend par cette expression de _marigot_. On désigne ainsi la plus
grande partie des affluents des grands fleuves de la côte occidentale
d’Afrique. Ce ne sont pas, en réalité, des affluents véritables ;
et ils diffèrent profondément des rivières et ruisseaux. Le régime
de leurs eaux est, en effet, tout différent. Ils n’ont pas, en
général, de sources qui leur soient propres. Ce sont plutôt des
déversoirs du fleuve ou rivière dont ils sont tributaires. Au début
de la saison des pluies, ils amènent les eaux de l’intérieur
dans le cours d’eau principal. Pendant les hautes eaux, ils en
reçoivent le trop-plein. Leur courant est alors dirigé du fleuve
ou de la rivière vers l’intérieur des terres. Pendant la saison
sèche, au contraire, ils se déversent dans le cours d’eau au
bassin duquel ils appartiennent. Leur courant est alors dirigé
en sens inverse que précédemment. Certains conservent dans les
parties basses de leur lit de fortes quantités d’eau et forment
ainsi de vastes réservoirs qui sont autant de foyers d’infection
palustre. Sur la rive droite de la Falémé, il en est quelques-uns
qui proviennent de sources trop faibles pour alimenter leur cours
et forment aussi de vastes réservoirs qui ne tarissent jamais sur
une longueur de 2 à 3 kilomètres. Ceux-ci proviennent surtout
des montagnes. Mais d’une façon générale, on peut dire que les
marigots sont absolument taris dans la plus grande partie de leur
cours, pendant la saison sèche. Comme le disent fort exactement
les indigènes, en cette dernière saison ils sont « vides »,
tandis que, pendant l’hivernage, ils sont « pleins ».

Si donc nous procédons du sud au nord, c’est-à-dire d’amont en
aval, nous trouvons sur la rive droite de la Falémé les marigots
suivants :

Le Makhana-kô qui passe à Makhana et se jette dans la Falémé
non loin de Bountou ;

Le Koba-kô qui reçoit le Sirokoto, le Samoro et le Diara et
passe à Koba, petit village situé à 5 kilomètres environ de
son embouchure ;

Le Louda-kô qui se jette non loin de l’ancien village de
Sambayaya ;

Le marigot de Boloni qui reçoit celui de Dara ;

Le Diemoma-kô qui passe à Kéniéba ;

Enfin un grand nombre d’autres marigots de peu d’importance qui
n’ont pas reçu de noms particuliers et qui prennent, en général,
celui du village principal près duquel ils coulent.

Les affluents de la rive gauche sont plus nombreux et plus
importants. Leur cours est généralement peu développé, car la
ligne qui sépare le bassin de la Gambie de celui de la Falémé
est très rapprochée relativement de cette dernière. Ce sont,
en procédant d’amont en aval :

Le Gandoma-kô qui reçoit le Saboué-kô, le Mourounou-kô,
le Dagué-kô et le Codiari-kô dans le désert de Tandaba et se
jette dans la Falémé à 15 kilomètres environ au nord de Bountou,
après avoir reçu dans la dernière partie de son cours de nombreux
petits marigots qui passent non loin des ruines de Safico, de Segala
et de Moricou.

Le Goulongo-kô qui passe à Goulongo dans le Tiali et dont
l’embouchure se trouve à quelques kilomètres au sud de celle du
marigot de Koba.

Le marigot de Fatendi de peu d’importance et qui passe non loin
des ruines de ce village.

Le marigot de Toumboura de peu d’importance ;

Le Deuguillé-kô dont une des branches passe à Diddé dans le
Tiali et qui se jette non loin du village de Malouiaki à quelques
kilomètres au sud de N’Dagan ;

Le Séno-Séléiabé-kô qui passe dans les environs des ruines
du village du même nom et qui, après avoir reçu le Séno-Bané,
le Sabou Allah qui passe au sud de Koussan-Almamy, le Ourodoliré
qui passe au pied même de ce village, le Tiangot-Maïssa qui passe
à Sambacolo et au confluent duquel se trouve Goundiourou et le
Tiangot-Ourobaldi, débouche dans la Falémé non loin du petit
village de Débou ;

Le Tunka-Souté qui se jette non loin de Sénoudébou ;

Le Dialla-kô qui débouche dans la Falémé dans les environs
de Guita après avoir reçu le Tioban-kô, le Dassé-kô sur les
bords duquel s’élève le village de Diamwély, et le Dogui-kô
qui coule non loin de Boulébané. Le marigot de Dialla passe à peu
de distance du village de Fyssa-Daro dont il sera souvent question
dans la suite de ce récit ;

Le Boumba-kô qui passe à Dimbé se jette non loin de ce dernier ;

Le Senoudiagué-kô peu important arrose le village de ce nom et
son embouchure est peu éloignée de Kidira-Tata.

Le marigot de Mamandas et celui de Selen sont peu importants.

Enfin le Bakili dont la branche nord passe non loin des ruines
d’Amady et la branche sud près de celles de Guedié se jette à
peu de distance du village de Dialiguel.

Il serait fastidieux de faire ici une énumération complète des
autres marigots, tributaires de la Falémé dans cette partie de
son cours. Ils sont, du reste, de peu d’importance.

Les marigots dépendant du bassin de la Gambie et qui arrosent le
Bondou ou ses provinces tributaires, se jettent dans cinq cours
d’eau que ce fleuve reçoit sur sa rive droite. Ces cinq cours
d’eau sont : le Niocolo-koba, le Niéri-kô, le Bira-kô, le
Niaoulé et le Sandougou.

Au bassin du Niocolo-koba appartiennent les marigots suivants : le
Fala-Koulou, le marigot de Maramasita, le Neréba et le Bantignol
qui passe à Codioloï. Tous ces cours d’eau se jettent dans le
Boumba-kô qui passe à Kippi et à Coufadou et qui est tributaire
du Niocolo-koba. Ils coulent tous dans le Tiali.

Le Niéri-kô reçoit tous les marigots qui arrosent le Diaka,
le Niéri et le Ferlo-Balignama. C’est le cours d’eau le
plus important du Bondou. Beaucoup de géographes ont cru, au
commencement du siècle, qu’il faisait communiquer le Sénégal
avec la Gambie. Il est aujourd’hui absolument démontré qu’il
en est autrement. Toujours est-il que son origine est proche du
premier de ces deux grands fleuves, mais leurs eaux ne se mélangent
nulle part. Il naît dans la partie la plus septentrionale du
Ferlo-Balignama sur la frontière du Lèze-Bondou. La direction
générale de son cours est nord-nord-est sud-sud-ouest. Il n’est
navigable que dans sa partie ultime et encore pour des pirogues
indigènes seulement. Il traverse le Ferlo-Balignama et le Niéri
du nord au sud et passe par les villages suivants : N’Dia,
Saho, Guina-Sebé, Guina-Tarobé, Ouro-Kaba, Feto-Paté dans le
Ferlo-Balignama ; Kouddi, Bodé, Talimangot, Goubaïel, les ruines
de Bougoulou et celles de Bagadadié dans le Niéri.

Dans la première moitié de son cours, il est complètement à
sec pendant la saison sèche. Dans la seconde moitié, c’est,
au contraire, une jolie rivière dont les eaux coulent en toutes
saisons, très poissonneuse et dont les bords sont couverts d’une
riche végétation.

Sur sa rive droite, il ne reçoit qu’un seul affluent l’Ilam-Ciré
qui passe à 1 kilomètre du village de Boulel.

Sur sa rive gauche on trouve, en procédant d’amont en aval :

Le Diaré-kô qui passe à Diaré, Sovekoum et Garalla.

Le Lengué-Doud qui passe à Lewa.

Le marigot de Goundor qui passe à Kaparta et dont une des branches
passe à Dendoudi.

L’Anguidiouol-kô dont l’origine est auprès des ruines de
Belekindé. Il passe non loin de Soutouta et de Goundiourou, et à
Médina-Diaka et se jette dans le Niéri-kô à Talimangot et reçoit
un marigot important qui passe à Dalafine, Niossonko et Diankémaka
dans le Tiali, et un petit cours d’eau relativement profond qui
coule à quelques kilomètres à l’ouest de Bani-Israïla.

Le marigot de Bentenani qui sert de déversoir à la grande mare
que l’on trouve au sud de ce village.

Le Balaouol-kô qui passe à Bala et à Goudé-Seïni et reçoit le
marigot de Comoti et le Balamat-kô.

Enfin le Mahel-Sanou, le plus important de tous, dont l’origine est
près des ruines de Makadinga et qui passe à Sarougni. Le Mahel-Sanou
sert dans cette région de frontière au Bondou et le sépare du
Tenda. Il reçoit dans le Bondou un grand nombre de petits marigots
dont les plus importants passent à Samé, Diannah et à Sarougni.

Le Bira-kô est peu important. Non loin de son origine il passe
à Simbanou.

Le Niaoulé qui arrose le Ferlo-Maodo passe à Soumouïel et reçoit
le Godjieil-kô qui coule non loin des ruines du village du même nom.

Le Sandougou prend dans la première partie de son cours le nom
de Badiara-kô.

C’est un cours d’eau aussi considérable que le Niéri-kô,
et il a un développement de près de 300 kilomètres. Il suit le
même régime que les autres marigots de cette région et passe
à Boldi-Kadjolé, Boké-Guilé, Dendoudi, Maïel, Biramdigué et
Badiara dans le Ferlo-M’Bal.

Sur sa rive droite, il reçoit le marigot de Boggal qui passe à
Magulé, Boggal et Ouindou-Aly.

Sur sa rive gauche, il reçoit les marigots de Naoudé qui passe
à Naoudé, de Kokiara sur la rive droite duquel se trouvent les
ruines du village du même nom, celui d’Idakoto et enfin celui de
Koromadji qui forme la frontière du Bondou et du Ouli.

Nous citerons en terminant le Tiangol-Ouolof qui dans une partie de
son cours sépare le Bondou du désert du Ferlo et qui naît de la
grande mare de Djoulambo.

La partie la plus septentrionale du Bondou dépend du bassin du
Sénégal et est arrosée par plusieurs petits marigots tributaires
de ce fleuve. Ce sont : le Baloukholé qui passe à Kaguel et à
Somsom-Tata ; le Samba-Kouté qui passe à Gabou résidence actuelle
de l’almamy régnant, et enfin un dernier marigot important qui
passe à Bordé, Bordé-Diowara, Diabal et Céra.

Outre les cours d’eau dont nous venons de parler, on trouve
encore dans le Bondou bon nombre de mares, dont quelques-unes
ne tarissent jamais. Nous citerons particulièrement celles de :
Pounegui dans le Nagué-Horé Bondou, de Windou-Balky et de Batga
dans le Ferlo-Balignama, de Bentenani dans le Niéri, et de Kessegui
dans le Ferlo-Maodo.

Dans les villages, on se sert pour les usages domestiques, et quand on
le peut, des eaux des marigots. Dans le cas contraire, on est obligé
de recourir à celles des puits. Leur profondeur varie suivant les
régions, depuis 1m 50 jusqu’à 18 et 20 mètres. L’eau qu’ils
donnent est généralement de bonne qualité, car elle a filtré à
travers des couches épaisses de terrain qui ne contiennent aucun
principe nuisible. Elle est, par exemple, presque toujours chargée
de matières terreuses, surtout pendant l’hivernage. Aussi faut-il,
avant de la boire, avoir soin de la laisser reposer et de décanter
ensuite. Ces puits sont particulièrement creusés par les Ouolofs,
qui sont aussi chargés de leur entretien. Ils ne sont nullement
maçonnés. Aussi se produit-il parfois des éboulements qui les
comblent en partie. Pour y puiser on se sert d’une calebasse
attachée à l’extrémité d’une corde faite avec des fibres de
baobab ou de bambous. Leur ouverture est recouverte de pièces de
bois jointives qui reposent sur le sol et qui forment une sorte de
plancher au milieu duquel est ménagé un espace libre, assez grand
pour donner passage aux calebasses qui servent de seaux, mais pas
assez ouvert pour qu’un homme y puisse tomber.

_Orographie._ — Le système orographique du Bondou est des plus
simples. On n’y trouve guère à signaler comme relief important
du sol que la chaîne de collines qui forme la ligne de partage
des eaux des bassins de la Falémé et de la Gambie. Cette chaîne
part de Bakel et vient se terminer dans le désert de Tandaba. Sa
hauteur varie de 25 à 100 mètres suivant les régions, et elle est
à peu près orientée nord-sud. A droite et à gauche elle émet de
petits contreforts qui laissent entre eux de petites vallées au fond
desquelles coulent les marigots. Une autre chaîne, moins importante,
se détache de celle-ci dans le Ferlo-M’Bal, et se rapprochant de
la Falémé vient se terminer dans le Nagué-Horé-Bondou. Elle passe
non loin de Sénoudébou, à 2 kilomètres environ à l’ouest de
cet important village.

Le Tiali présente également des reliefs assez importants. Ils
sont généralement orientés est-ouest et suivent le cours des
marigots. Il en est de même dans le Diaka et le Niéri. Quant au
Ferlo, c’est un pays absolument plat dont le sol est à peine
vallonné. Aussi, à l’époque des hautes eaux, les marigots y
débordent-ils aisément et y couvrent de vastes étendues de terrain.

Dans le Bondou, comme dans les autres parties du Soudan, on rencontre
par-ci par-là de ces collines isolées qui ne font partie d’aucun
système orographique défini et qui de loin ressemblent à s’y
méprendre à de véritables buttes de tir. Leur hauteur varie depuis
10 à 15 mètres jusqu’à 60 et 80 et ont la forme d’une pyramide
quadrangulaire tronquée.

_Constitution géologique du sol._ — Le Bondou, à ce point de vue,
appartient tout entier à la période secondaire. On n’y trouve, en
effet, que les terrains qui caractérisent cet âge géologique. Sans
doute, on peut y signaler des alluvions anciennes et récentes,
mais l’ossature, le squelette entier du pays, si je puis parler
ainsi, ne saurait être rattaché à aucune autre époque. Nul doute
qu’il n’ait été longtemps enseveli sous les eaux et qu’il
n’ait été une des dernières régions soudaniennes qui aient
émergé. L’aspect déchiqueté des roches que l’on y rencontre
ne peut laisser aucun doute à ce sujet. La ligne de partage des
eaux s’est certainement montrée la première et l’on voit encore
maintes régions qui sont complètement recouvertes par les eaux et
qui présentent les caractères de véritables marais ou de terrains
en formation.

Le sous-sol est formé de deux terrains, le terrain ardoisier et
un terrain de formation secondaire auquel on est convenu de donner
le nom de terrain ferrugineux. Le terrain ardoisier se trouve
dans les plaines particulièrement et y est caractérisé par ses
roches essentielles, schistes micacés, ardoisiers et lamelleux. Le
terrain ferrugineux est propre surtout aux collines et aux plateaux
élevés. Les roches que l’on y rencontre ne sont pas moins
concluantes. Ce ne sont, en effet, et à l’exclusion de toutes
autres, que des grès, des quartz et des conglomérats. Les grès
et les quartz sont simples ou fortement colorés en rouge par des
oxydes de fer. Quant aux conglomérats, ils sont formés de grès
et de quartz agglutinés dans une gangue silico-argileuse.

On a pu remarquer en certains endroits du Bondou de beaux blocs
de granit gris. Ce qui a fait dire à certains voyageurs qu’il y
avait là un terrain primitif. C’est là une profonde erreur contre
laquelle nous ne saurions trop nous élever. En effet, le granit
que l’on peut rencontrer au Soudan, et particulièrement dans le
Bondou, n’y existe jamais à l’état de bancs, à l’état de
systèmes. Ce ne sont jamais que des blocs isolés, épars dans le
terrain de formation secondaire. En un mot, ce sont uniquement des
roches erratiques qui ont été entraînées là et déposées par
les eaux.

La croûte terrestre diffère également suivant les régions. Au
sous-sol ardoisier correspondent les argiles compactes dues à la
désagrégation des roches qui composent ce terrain. Ces argiles
couvrent les 4/5 de la superficie totale du pays. Elles sont
stériles et généralement peu cultivées. C’est le terrain de
tout le Ferlo. La latérite recouvre le sous-sol ferrugineux. Elle
est produite par l’effritement des roches qui le composent.

On la trouve surtout dans le Tiali, le Niéri, le Diaka et le
Bondou proprement dit. Elle constitue un terrain d’une remarquable
fertilité et c’est là que les indigènes font leurs plus beaux
lougans.

Les bords de la Falémé sont presque partout formés d’argiles et
absolument taillés à pic, à cause de la rapidité du courant. Il
en est de même de ceux des marigots qui en sont tributaires. Au
contraire, les rives des marigots qui dépendent du bassin de la
Gambie sont couvertes de dépôts argileux glissants qui en rendent
le passage très difficile surtout pour les animaux. Le fond en est
presque partout vaseux.

La couche d’humus est dans tout le Bondou peu épaisse. On n’en
trouve guère que dans le fond des vallées, dans les forêts et
sur les bords des grands marigots.

La nappe d’eau souterraine se trouve à des profondeurs variables
suivant les régions. Très peu profonde dans le Ferlo, elle est,
au contraire, à un niveau fort éloigné de la croûte terrestre
dans le Diaka et le Niéri. Elle repose, suivant les terrains, sur
des argiles compactes ou bien sur des sables ou un lit de quartz et
de grès ferrugineux.

Dans le terrain ardoisier, on traverse avant d’y arriver les
couches suivantes : 1o argiles compactes ; 2o sables siliceux ;
3o grès et quartz ferrugineux ; 4o terrain ardoisier ; 5o nappe
d’eau souterraine reposant sur une couche d’argiles.

Dans le terrain ferrugineux, au contraire, on rencontre : 1o la
latérite ; 2o grès et quartz ; 3o sables siliceux ; 4o nappe
d’eau reposant sur un lit de sable ou de cailloux ferrugineux
résultant de la désagrégation des conglomérats. Il est facile
de voir d’après ce qui précède que les eaux des puits, quel
que soit le terrain où ils sont creusés, doivent être propres à
tous les usages domestiques. Elles ne peuvent contenir, en effet,
que fort peu de principes nuisibles.

Les sables sont assez communs dans tout le Bondou. On les trouve
surtout dans les terrains à latérite, et ils couvrent les lits de
la plupart des marigots tributaires de la Falémé et le fond de la
plus grande partie de cette rivière.

_Produits minéraux._ — Le fer se trouve partout, soit à l’état
natif, soit à l’état d’oxydes. Il est presque toujours uni
soit aux grès, soit aux quartz. Quoiqu’on le trouve en notable
quantité, son exploitation ne sera jamais rémunératrice. Cela
tient surtout à ce que les gisements sont fort éloignés les uns
des autres et que le rendement est relativement peu considérable.

Le métal qui donne un produit plus certain, sans cependant être
rémunérateur, est assurément l’or. Il ne faut pas toutefois
s’en faire une idée trop enthousiaste, car les gisements sont
loin d’être aussi riches qu’on a bien voulu le dire. Pour se
faire une idée exacte de ce que valent les fameuses mines d’or du
Bondou, il n’y a qu’à se reporter à ce qu’a écrit à ce sujet
M. Lamartiny, qui a pu étudier sur place cette importante question.

Les sables aurifères de la Falémé proviennent des montagnes du
Fouta-Djallon et du Bambouck, d’où ils sont détachés par les
pluies. Ils sont alors roulés et entraînés par la rivière, les
paillettes les plus lourdes se déposant les premières et les plus
légères étant portées beaucoup plus loin.

Les bancs de roches, les îlots qui barrent le fleuve, sont autant
d’obstacles qui donnent lieu à des dépôts d’alluvions et
en même temps aurifères. Tels sont les bancs que l’on voit à
Farabanna, à Sansankoto et tout le long de la rivière. La tète
du banc est généralement plus riche que la partie arrière.

La richesse d’un banc et surtout la grosseur des paillettes
qu’il renferme se mesurent à la grosseur des galets qui y sont
déposés. Et ceci est naturel : le caillou roulé subit les mêmes
lois de la pesanteur que la paillette aurifère.

Plus on remonte la Falémé et plus ces dépôts sont riches.

Outre les dépôts actuels de la Falémé, il existe encore dans
la plus grande partie du bassin de cette rivière un vaste dépôt
aurifère dont on doit la découverte à M. Roux de Béthune,
ingénieur des mines, qui étudia cette question dans tous ses
détails. Ce dépôt, divisé en nombreux lambeaux d’une superficie
assez vaste, se trouve à une profondeur moyenne de 5 à 6 mètres.

Lamartiny a reconnu ce gisement depuis Farabanna jusqu’aux environs
de Séleng ou Sélen, sur une largeur de 5 à 6 kilomètres.

On le voit bien tranché sur les rives de la Falémé, où l’on peut
suivre ses contours sinueux. Il a dû être formé par un cataclysme
qui a entraîné et arraché du flanc des montagnes les quartz qui
l’accompagnent. Il repose sur un amas de grès schisteux, et a
comme toit une épaisse couche d’argiles de 5 à 6 mètres.

Malgré les études et les missions faites sur ces points, soit par
des ingénieurs, soit par des officiers du génie ou autres, aucun
rapport n’avait encore fait mention de ce riche dépôt appelé
à tripler la valeur des sables aurifères de la Falémé.

Raffenel, dans son voyage, nous parle bien des sables aurifères
déposés le long des rives, mais il n’a pas remarqué ceux qui
y forment un dépôt déjà ancien.

Ces richesses ne sont pas inconnues des populations indigènes
du bord de la rivière et surtout des femmes Malinkées qui ont
là-dessus une expérience pratique acquise depuis longtemps. Comme
Lamartiny, nous avons remarqué à Tomboura, Sansandig, à Fatendi,
le soin avec lequel elles grattent la partie inférieure de la
couche reposant directement sur les grès du mur. Cette partie
est en effet d’une richesse extraordinaire : les cailloux de la
partie supérieure, ayant fait filtre, ont laissé déposer les
parties lourdes et argileuses. Ayant un dépôt fixe, dont nous
pouvons déterminer l’étendue, la superficie et la capacité
en mètres cubes, nous avons des données certaines sur lesquelles
peut se baser une exploitation, connaissant la teneur moyenne de ce
dépôt. Les alluvions de la Falémé ne nous présentent plus cette
même certitude, et là encore on est obligé de marcher au hasard.

Outre les alluvions de la Falémé, le Bondou possède encore
d’autres mines, particulièrement celles de Kéniéba que
le gouvernement français a essayé d’exploiter en 1859 et
1860. Nous empruntons à Lamartiny l’étude qu’il en a faite
d’après le rapport de M. Maritz, capitaine du génie, directeur
de l’exploitation.

Le village de Kéniéba est situé à 25 kilomètres de la Falémé,
à l’est du village de N’Dagan. Il fut saccagé en 1840
par l’almamy du Bondou qui voulut tirer vengeance de pillages
exercés par les Malinkés sur les cultivateurs des bords de la
rivière. Depuis cette époque, il fait partie du Bondou et fut
repeuplé en partie par des Peulhs émigrés du Fouta-Djallon.

En 1856, Boubakar-Saada, aidé de Bougoul, chef de Farabanna,
alla attaquer Kéniéba qui était au pouvoir des partisans
d’El-Hadj-Oumar. Ils prirent le village, qu’ils mirent à notre
disposition pour l’exploitation de ses mines. Le 28 juillet 1858,
une colonne française, sous le commandement du gouverneur Faidherbe,
s’y installa sans coup férir. Un poste et des magasins y furent
de suite construits et l’exploitation des mines entreprise sous la
direction de M. Maritz. Le pays jouit alors d’une tranquillité et
d’un bien-être jusqu’alors inconnus. Mais l’ardeur du climat
qui décimait nos malheureux soldats et les moyens imparfaits
avec lesquels se faisait l’exploitation ne donnèrent point
les résultats attendus, et l’abandon en fut décidé deux ans
après. C’est à 4 kilomètres au nord-est de Kéniéba que sont
situées les alluvions aurifères, au pied d’une montagne de forme
conique d’une hauteur de 80 mètres environ. C’est le mont Pellel.

Les abords des mines sont couverts de quartz blanc légèrement
veiné de rouge, extrait des puits pendant l’exploitation. Ces
quartz renferment de l’or natif, et, souvent, en les cassant,
on en voit d’assez beaux morceaux visibles à l’œil nu. Le
terrain des mines se compose :

1o D’une couche d’argile rouge avec débris de quartz d’une
épaisseur variable. Cette couche renferme des paillettes d’or ;

2o D’une couche d’argiles schisteuses rouges renfermant des
paillettes d’or ;

3o Une couche d’argile blanche, semblable à de la chaux
hydraulique. Cette couche ne contient pas d’or. Elle happe à la
langue. Attaquable par les acides, son résidu est insoluble dans
l’acide sulfurique ;

4o Une couche de schiste micacé, noirâtre, sous laquelle est
un sable primitif noirâtre, renfermant des paillettes d’or en
abondance. C’est la principale couche aurifère. Elle est à une
profondeur de 12 à 18 mètres.

Au-dessous de cette couche se trouve une couche de schiste ardoisier
d’une dureté excessive, et qu’on ne peut enlever qu’à la mine.

Le mont Pellel, sur lequel se voient encore deux puits creusés dans
la roche, est un immense conglomérat ferrugineux, ainsi que toutes
les montagnes environnantes.

L’exploitation de ces mines par les indigènes n’a lieu
actuellement que pendant l’hivernage. Elle ne se fait plus par
puits. Ils se contentent de prendre les terres de la surface, sur
les bords des ravins et des marigots, et en retirent de magnifiques
résultats, relativement, bien entendu, à ceux que l’on obtient
en lavant les sables de la Falémé.

Les orpailleuses opèrent à l’aide de calebasses, absolument
de la même manière que les orpailleurs de la Californie et de
l’Australie avec des sébilles. Pour cela, après avoir recueilli
les terres dans leurs calebasses, elles les portent sur les bords
du marigot, les débourbent avec les mains et, par une suite
d’oscillations et de mouvements, font venir les parties les plus
légères à la surface. Ces parties sont rejetées au fur et à
mesure, et bientôt il ne reste au fond de la calebasse qu’un
sable noir, assez fin, composé de fer oxydulé et d’émeri,
au milieu duquel on distingue facilement les paillettes d’or.

Les essais faits par M. Maritz sur les terres de Kéniéba ont donné
les résultats suivants :

« Cent kilogrammes de terre provenant de l’une de nos galeries,
traitée comme il vient d’être dit, produisirent 0g177. On prit
le résidu, c’est-à-dire les terres rejetées des calebasses par
les orpailleuses ; ces terres furent pilées dans un mortier en bois
avec un pilon en bois, c’est-à-dire bien imparfaitement, puis
lavées, puis repilées et relavées, en tout quatre fois. Après
chaque opération, on trouva plus d’or qu’à la première,
et après les quartz on obtint 1g300 à ajouter à 0g177.

» Les 100 kilogrammes de minerai, au lieu de 0g177, produisirent
donc 1g477.

» Les derniers résidus auraient encore pu être pilés et lavés,
et auraient sans doute produit un peu d’or.

» Les sables de la surface du sol, traités de la même manière,
ont donné 0g00091 par 100 kilog.

» Traités par des procédés plus complets, il est certain que
leur rendement serait considérablement augmenté. »

En 1843, M. Huart Bessignères, chargé par le gouvernement
d’explorer ces mines, disait que les indigènes ne retiraient pas
le centième du précieux métal qu’elles contenaient.

En 1853, M. Rey annonçait que les terres de Kéniéba rendraient
1 kilog. d’or pour 5,000 kilog. de terre.

Tout cela avait engagé le gouvernement français à entreprendre
l’exploitation de ces terres, réputées si riches ;
malheureusement, les appréciations de ces voyageurs se trouvèrent
erronées, et l’exploitation fut si peu avantageuse qu’elle fut
abandonnée en 1860.

Ces essais n’ont été exécutés que sur des terres privées des
débris de quartz, qui, eux aussi, contiennent de l’or.

Du poste que nous avions construit, il reste à
peine quelques vestiges de murailles pour en indiquer
l’emplacement. Boubakar-Saada, craignant que les Malinkés ne
parvinssent à s’en emparer et à s’y retrancher, en ordonna
la destruction.

Le Père Labat, dans son récit du voyage de Compagnon, cite encore
bien des mines d’or, dont on n’a pu jusqu’ici retrouver la
trace, ni même le souvenir. D’après lui, il y en aurait deux
à Naié. Aujourd’hui, les habitants ne se souviennent nullement
en avoir jamais entendu parler. Il en est de même pour celle de
Fourquarane, où, d’après le même auteur, il y aurait aussi une
mine d’argent dont on n’a jamais pu, malgré les plus actives
recherches, retrouver l’emplacement.

Outre les mines d’or, le Bondou posséderait encore, d’après
certains auteurs, des gisements de mercure natif, ou du moins des
indices que jusqu’ici l’on n’a pas pu bien définir. Je me hâte
de dire que, malgré mes recherches, je n’ai pu m’en assurer par
moi-même. Je ne fais donc que rapporter ici l’opinion de voyageurs
plus heureux que moi, en leur en laissant toute la responsabilité.

Le mercure apparaît à l’état de petits globules très purs
dans les argiles des couches supérieures, dans le village même
de Sénoudébou.

On en a trouvé aussi à Farabanna, sur la rive droite de la
rivière, et le long de cette rive sur environ cinquante mètres. Rien
jusqu’ici n’est venu indiquer sa provenance ; mais, malgré les
histoires plus ou moins fantaisistes que l’on a racontées à ce
sujet, il n’est pas probable que des mains humaines se soient plu
à verser là une quantité de mercure aussi considérable que celle
qu’on a retirée jusqu’à ce jour.

A Farabanna, M. Baur, ingénieur civil des mines, eut connaissance
de cette apparition du mercure, et en fit recueillir plusieurs
bouteilles.

A l’époque des pluies, on voit le mercure apparaître dans les
couches supérieures en très grande abondance. Il est facile alors,
en soumettant ces terres à un lavage à la calebasse, d’en obtenir
en peu d’instants une assez grande quantité. Des enfants mêmes
s’amusent à le recueillir. En 1873, dès sa première apparition,
les habitants, prenant cela pour de l’argent, s’empressèrent
d’en remplir des bouteilles qu’ils ont conservées assez
longtemps.

Le calcaire fait absolument défaut dans le Bondou. Cela n’a
rien d’étonnant, étant donné l’âge géologique auquel il
appartient. On trouve bien en maints endroits, notamment dans le
Tiali et le Niéri, des roches d’un aspect blanc grisâtre que
l’on a pris pour du calcaire véritable. Il n’en est rien. Ces
roches ne sont, en effet, que des conglomérats formés de coralliens,
et qui ont été déposées par les eaux en se retirant. On ne les
trouve qu’à la surface du sol, où elles sont éparses, ou à une
faible profondeur. Elles donnent à la cuisson non pas de la chaux,
mais un ciment de mauvaise qualité.

Le charbon y est de même parfaitement inconnu. Quelle que soit
la profondeur à laquelle on soit descendu jusqu’à ce jour,
on n’en a jamais trouvé trace.

_Flore, productions du sol, cultures._ — La végétation est
relativement pauvre dans le Bondou, du moins dans sa partie
septentrionale. Dans les régions méridionales, sans être
cependant remarquable, elle est plus riche. Le Ferlo et le Bondou
proprement dits appartiennent tout entiers à la région des steppes
soudaniennes. La flore est là d’une pauvreté remarquable. On
y rencontre de vastes étendues couvertes d’acacias et de
baobabs. C’est la patrie des mimosées et des graminées
inférieures. Il y existe en assez grande abondance une certaine
variété de gommier dont le produit ne jouit dans le commerce que
d’une valeur absolument relative. C’est là encore que l’on
trouve ces végétaux peu connus qui donnent la gomme de kellé,
que les indigènes regardent comme un véritable porte-bonheur, et le
hammout, cette résine qui présente les caractères de l’encens et
qui est regardée dans tout le Soudan occidental comme une panacée
universelle. Le gonakié (_Acacia Adansonii_) est surtout commun
sur les bords de la Falémé. Si nous ajoutons à cela quelques
rares ficus et quelques échantillons peu nombreux de benténier
(_Eriodendron anfractuosum_), nous aurons cité les principales
essences qui composent la flore de cette région du Bondou. Elle est
bien plus riche au fur et à mesure que l’on s’avance vers le
sud et dans le Tiali, le Diaka, la partie la plus extrême du Niéri
et du Ferlo-Maodo, nous voyons apparaître les grandes essences
qui caractérisent les pays tropicaux. Les grandes légumineuses
commencent à y prendre de respectables dimensions. Les nétés
(_Parkia biglobosa_) y sont particulièrement communs. Le vène
(_Pterocarpus erinaceus_), le caïlcédrat (_Kaya Senegalensis_), le
tamarinier (_Tamarindus Indica_), le bambou (_Bambusa arundinacea_),
le fromager (_Bombax Ceiba_), le n’taba (_Sterculia cordifolia_),
le palmier rônier (_Borassus flabelliformis_), les ficus de
toutes variétés, etc., etc., y sont assez communs. Mais ils n’y
forment nulle part des forêts assez importantes pour donner lieu
à une exploitation rémunératrice. Les papayers et les dattiers
croissent en abondance dans les villages du Diaka et du Niéri et
donnent des fruits savoureux. Dans les forêts existent de nombreux
échantillons des différentes variétés de cette fameuse _vigne
du Soudan_, à laquelle certains auteurs ont cru devoir donner
une importance qu’elle est loin d’avoir. Le karité (_Bassia
Parkii_) n’existe que dans le Tiali, et encore en très petite
quantité. Enfin, dans le Niéri, le Ferlo-Maodo, le Diaka et le
Tiali lui-même, commencent à apparaître les lianes à caoutchouc
et à gutta-percha : fafetone, laré ou saba, delbi et bonghi. Les
plantes médicinales y sont communes, et la pharmacopée indigène
trouve aisément à s’y alimenter selon les besoins. Citons au
hasard : les sénés, le kinkélibah, le ricin, la casse, le bakis,
etc., etc. Le Tiali et le Niéri jouissent sous ce rapport d’une
réputation bien méritée. Enfin, les plaines et les plateaux
sont couverts d’une brousse épaisse dont les graminées forment
les éléments principaux, et qui constituent pour les bestiaux un
excellent fourrage.

Le Bondou a été jusqu’au milieu du XIXe siècle un des pays
les plus riches sous le rapport de la production. Grâce à
la nombreuse population qu’il renfermait alors, il possédait
de vastes plaines, entièrement cultivées et situées près des
villages qui s’échelonnaient sur les rives de la Falémé et dans
l’intérieur des terres. Depuis le passage d’El-Hadj-Oumar, ce
nouvel Attila qui a porté la dévastation dans ce beau pays, emmenant
à sa suite des villages entiers, trompés par de vaines promesses,
il est tombé dans un profond état d’abandon et de pauvreté.

Les terrains argileux sont propices à la culture du mil (_Sorghum
vulgare_). On y trouve, suivant les régions, toutes les variétés
de sorgho cultivables au Soudan. Dans les terrains dont la latérite
forme la base, le maïs, les arachides, les haricots, que l’on
y appelle « niébés », croissent à merveille et donnent un
rendement considérable. Il serait bien plus grand encore si
les habitants amélioraient leurs procédés de culture. Ils se
contentent, en effet, de gratter légèrement la terre après
l’avoir débroussaillée, et d’y enfouir peu profondément
les graines. Les fumures et les irrigations leur sont absolument
inconnues. Sur les bords des marigots et dans les marais, surtout
dans le sud, le riz prospère d’une façon remarquable et y est
d’une excellente qualité. Autour des villages se trouvent de
beaux lougans (champs cultivés) de coton et d’indigo. Enfin,
dans les cours mêmes des habitations, les femmes et les enfants
cultivent avec succès : courges, calebasses, oseille, oignons et
ce tabac vulgaire (_Nicotiana rustica_) dont les indigènes sont
si friands. Le manioc, la patate douce et le diabéré, cette sorte
d’aroïdée qui donne des turions qui rappellent le chou caraïbe,
prospèrent surtout dans les régions les plus méridionales.

Quant aux cultures européennes, il n’y faut pas songer, à mon
avis. La nature du sol et surtout le climat ne leur permettront jamais
d’y prospérer et d’y produire. On ne peut guère songer qu’à y
cultiver, et encore avec de grands soins et une vigilance de tous les
instants, les quelques légumes nécessaires à notre alimentation.

_Faune, animaux domestiques._ — On trouve dans le Bondou presque
tous les animaux de l’Afrique occidentale. Le lion y devient assez
rare. La panthère, le chat-tigre, le lynx y sont plus communs. La
girafe se rencontre encore assez fréquemment dans les régions
qui avoisinent le désert du Ferlo. Les antilopes y sont moins
communes que dans certaines autres régions. Toutes les variétés
connues y sont cependant représentées, et parmi elles nous citerons
particulièrement les kobas, dumsas et diguidiankas. Par contre, les
biches, gazelles et sangliers y foisonnent littéralement. Il n’est
guère possible d’y chevaucher sans en faire fuir devant soi un
grand nombre. Ce dernier animal s’y multiplie surtout beaucoup,
car la population étant presque complètement musulmane, n’en
mange pas la chair et, par conséquent, ne le chasse pas. Le bœuf
sauvage, que l’on désigne sous le nom de _lour_, ou de _vache
brune_, tend chaque jour à y disparaître. On n’en trouve plus
que quelques rares individus. Sa chair est littéralement succulente.

L’hippopotame y habite principalement les grands bassins de la
Falémé et les grands marigots, le Niéri-kô et le Sandougou. Le
caïman y atteint des proportions extraordinaires, et pendant la
saison sèche on peut faire dans la rivière et les grands marigots
des pêches absolument merveilleuses. Le poisson y est très abondant,
et il en existe une espèce, que l’on désigne sous le nom de
_capitaine_, qui est supérieure à nos meilleures carpes.

L’éléphant se trouve surtout dans l’ouest et dans le sud. Il
y devient de plus en plus rare.

Le gibier à plume y est très commun. La pintade se voit par vols
nombreux. La perdrix, la tourterelle, l’outarde, la poule de
rochers, la caille de Barbarie y sont en très grand nombre.

On trouve dans les bois de beaux oiseaux de parure ; le merle
métallique, le colibri, le guépier, le geai bleu, le martin-pêcheur
y ont un plumage aux couleurs les plus vives et les plus variées. Les
échassiers vivent sur les bords de la Falémé par nombreuses
bandes. L’oiseau-trompette, dont la peau est très estimée ;
le marabout, qui fournit une très belle fourrure ; l’ibis,
l’aigrette blanche, etc., fréquentent les îlots de la rivière
et les bancs de sable quand elle est à sec. La sarcelle et le gros
canard sauvage l’habitent aussi. Par contre, les oiseaux de proie
y sont aussi relativement nombreux, et autour des villages on voit
rôder en grand nombre des milans et des aiglons qui viennent jusque
dans les cours enlever les jeunes poulets.

Les serpents y sont assez rares. Nous citerons particulièrement : le
boa, le python, les couleuvres, le serpent-corail, le serpent-bananier
et une variété de reptile venimeux, que l’on désigne à tort
sous le nom de trigonocéphale.

Les insectes pullulent littéralement partout. Nous citerons plus
particulièrement les moustiques et les maringouins, cette plaie
des pays chauds, destinée sans doute à éprouver la patience des
voyageurs. Les abeilles sont surtout communes dans le Tiali, le
Diaka et le Niéri. Elles donnent un miel savoureux et abondant. Les
indigènes de ces deux provinces sont des apiculteurs consommés,
et tout autour des villages les arbres sont couverts de ruches. Les
fourmis sont très nombreuses et il en existe un grand nombre
d’espèces, parmi lesquelles nous citerons surtout la fourmi-rouge,
la fourmi-cadavre, dont une seule suffit pour empester une case,
et la fourmi-manian, dont la piqûre est horriblement douleureuse et
suffit pour paralyser pendant quelques heures le membre qu’elle a
blessé. Enfin, les termites se rencontrent partout et construisent en
grand nombre leurs édifices aux formes aussi bizarres que variées.

Les animaux domestiques sont relativement nombreux, et ils le seraient
bien plus encore si les indigènes veillaient avec plus de soin à
la reproduction et à l’élevage.

Le cheval y est petit, mais très vigoureux. La race maure, qui vit et
se développe bien dans le nord, périclite dans le sud. Là, c’est
le cheval du Ouli et du Cayor qui offre le plus de résistance.

Les bœufs y sont élevés en quantité notable, surtout par les
Peulhs et les Diakankés. Ils donnent une viande de boucherie un peu
dure et peu abondante, mais le lait des vaches est parfait et très
riche en matières grasses. Elles n’en donnent malheureusement
que fort peu.

Les chèvres et les moutons sont également assez communs, mais
leur chair est généralement peu savoureuse. Il en est de même
de celle des poulets, qui est absolument coriace. Ces derniers sont
très nombreux dans tous les villages.

Nous citerons enfin en terminant l’âne, qui y est petit, mais
élégant de formes et très vigoureux. C’est, dans toute cette
région, la bête de somme par excellence. Malheureusement, les
indigènes ne se préoccupent pas assez de le multiplier. Il rend
de grands services aux caravanes et pourrait faire l’objet d’un
commerce important.

_Climatologie._ — Le climat du Bondou appartient à la classe
des climats chauds par excellence. Comme dans toute cette partie de
l’Afrique occidentale, il y existe deux saisons bien tranchées :
la saison sèche et la saison des pluies ou hivernage.

La saison sèche commence, en général, vers la fin d’octobre ou au
commencement de novembre. Elle dure jusqu’à la fin de juin. Mais
cela n’est vrai que pour la partie nord du pays. Dans les régions
méridionales, elle est beaucoup plus courte. Elle est caractérisée
par une élévation considérable de la température, et il n’est
pas rare de voir le thermomètre, pendant les mois d’avril et de mai
surtout, marquer jusqu’à 46 et 47 degrés centigrades à l’ombre
et jusque dans l’intérieur des cases. Le baromètre est toujours
très haut et ne varie pas plus de un millimètre à un millimètre
et demi. Les vents régnants sont alors ceux d’est-nord-est,
qui arrivent surchauffés par les sables brûlants du Sahara, sur
lesquels ils passent. L’atmosphère est alors absolument dépourvue
d’humidité. En quelques jours, tout se dessèche rapidement,
et la campagne prend ce caractère de solitude et d’aridité
saharienne qui frappe et attriste quand, pour la première fois,
on met le pied sur ce sol ingrat et désolé.

Pendant sept mois de l’année, il ne tombe pas une goutte d’eau,
sauf toutefois dans les premiers jours de février, durant cette
courte période que l’on est convenu de désigner sous le nom de
petit hivernage. Les vents passent alors au sud et au sud-ouest,
le ciel se couvre, le baromètre baisse, et généralement le matin,
pendant six à sept jours au plus, tombe une pluie fine que la terre
desséchée a bien vile absorbée. Mais le soleil ne tarde pas à se
montrer à nouveau, et alors, jusqu’au mois de juin, rien ne vient
plus altérer la sérénité de l’atmosphère. — Ces chaleurs
torrides, mais sèches, sont relativement bien supportées par
l’Européen et sa santé ne s’altère pas trop. Il subit bien
quand même l’influence du climat, se débilite, s’anémie ;
mais il est, à cette époque de l’année, bien moins exposé à
ces terribles maladies qui sont l’apanage de ce pays meurtrier. Il
n’a guère alors à craindre que les dysenteries, très fréquentes
dans les mois de novembre, décembre et janvier, où le rayonnement
nocturne est si prononcé et si rapide qu’en moins de deux heures
la température s’abaisse parfois jusqu’à 8 degrés centigrades
au-dessus de zéro. Il convient alors de ne pas coucher dehors et
de se bien couvrir le ventre soit avec une couverture de laine,
soit avec la classique ceinture rouge en flanelle.

Dans la partie nord, les premières pluies commencent à tomber
vers la fin de juin. Dans les régions méridionales, l’hivernage
est beaucoup plus précoce et dure aussi plus longtemps. Dans le
Diaka et la partie sud du Niéri, par exemple, il pleut depuis la
fin de mai jusqu’à la fin de novembre. Les premiers orages sont
généralement courts, et il ne tombe alors qu’une petite quantité
d’eau qui occasionne une légère crue passagère des rivières et
des marigots. Un mois après, la saison pluvieuse est définitivement
établie. Chaque jour, ce sont des orages épouvantables, des
tornades terribles, pendant lesquels le vent souffle en fureur, et
qui se terminent par des pluies diluviennes. Il faut lire dans le
_Roman d’un Spahi_, de Pierre Loti, la description de cet étrange
météore que l’on désigne sous le nom de _tornade_. Nul mieux
que lui n’en a parlé. Qu’on me permette de rapporter ici les
quelques lignes qu’il lui a consacrées : « Cependant, il faut
avoir habité le _pays de la soif_ pour comprendre les délices
de cette première pluie, le bonheur qu’on éprouve à se faire
mouiller par les larges gouttes de cette première ondée d’orage.

» Oh ! la première tornade !... Dans un ciel immobile, plombé,
une sorte de dôme sombre, un étrange _signe du ciel_ monte de
l’horizon. Cela monte, monte toujours, affectant des formes
inusitées, effrayantes. On dirait d’abord l’éruption d’un
volcan gigantesque, l’explosion de tout un monde. De grands arcs
se dessinent dans le ciel, montent toujours, se superposent avec
des contours nets, des masses opaques et lourdes ; on dirait des
voûtes de pierre près de s’effondrer sur le monde, et tout cela
s’éclaire de lueurs métalliques, bleues, verdâtres ou cuivrées,
et monte toujours.

» Les artistes qui ont peint le _déluge_, les cataclysmes du monde
primitif, n’ont pas imaginé d’aspects aussi fantastiques, de
ciels aussi terrifiants. Et toujours, pas un souffle dans l’air,
pas un frémissement dans la nature accablée.

» Puis, tout à coup, une grande rafale terrible, un coup de
fouet formidable couche les arbres, les herbes, les oiseaux,
fait tourbillonner les vautours affolés, renverse tout sur son
passage. C’est la tornade qui se déchaîne, tout tremble et
s’ébranle ; la nature se tord sous la puissance effroyable du
météore qui passe.

» Pendant vingt minutes environ, toutes les cataractes du ciel
sont ouvertes sur la terre ; une pluie diluvienne rafraîchit le
sol altéré d’Afrique, et le vent souffle avec furie, jonchant
la terre de feuilles, de branches et de débris.

» Et puis, brusquement, tout s’apaise. C’est fini. Les dernières
rafales chassent les derniers nuages aux teintes de cuivre, balayent
les derniers lambeaux déchiquetés du cataclysme, le météore est
passé, et le ciel redevient pur, immobile et bleu. »

A cette époque de l’année, la température n’est pas
relativement très élevée. Elle ne dépasse guère 34 degrés ; mais
c’est à peine si, pendant la nuit, il se produit une rémission
d’un ou deux degrés. L’atmosphère est lourde, surchargée
d’humidité et d’électricité. C’est la saison excellemment
pernicieuse à l’Européen. Sa santé s’altère rapidement, il
s’étiole, et, plus qu’en tout autre moment, il est sujet à
ces mortelles endémies qui pardonnent si rarement. Le paludisme
est alors au paroxysme et la fièvre, cette terrible fièvre aux
symptômes si multiples et si différents les uns des autres, ne
tarde pas à paralyser et à anéantir le courage le mieux trempé
et l’organisme le plus énergique.

Les animaux eux-mêmes n’échappent pas à l’influence de ce
climat, et chiens, mulets et chevaux, importés d’Europe, lui
paient, comme l’homme, un effrayant tribut de mortalité.

Et pourtant, antithèse terrible, la nature prend alors son aspect
le plus riant et le plus enchanteur. Le sol se couvre de verdure
et les arbres revêtent leur plus beau manteau de feuilles. C’est
l’époque où le baobab lui-même, ce squelette géant des forêts
africaines, sent couler dans ses vastes flancs une sève plus
généreuse : en quelques jours, son tendre feuillage se développe
et ses fleurs gigantesques s’épanouissent. Mais il ne faut pas se
le dissimuler, quand on le voit ainsi rajeunir, c’est l’annonce
de cette triste et funeste saison. Les indigènes ont, du reste,
pour caractériser ces deux époques de l’année si différentes
l’une de l’autre, un proverbe que je tiens à relater ici :
« Quand le baobab, disent-ils, se couvre de feuilles, c’est
le signal de la mort des Blancs ; mais quand il les perd, c’est
l’annonce de celle du Noir. »

Pendant toute la durée de l’hivernage, le baromètre subit des
variations brusques et d’énormes écarts. J’ai pu remarquer
qu’en général, les tornades s’annonçaient presque toujours
par une forte dépression qui atteignait son maximum six heures
environ avant l’apparition de la tourmente.

_Ethnographie._ — Le Bondou, si l’on en croit la tradition
que se sont transmise les griots et les marabouts, était, avant
l’arrivée dans le pays du marabout toucouleur Malick-Sy,
qui marquera pour nous la fin de la période légendaire, une
agglomération de petits états indépendants les uns des autres,
commandés par de véritables roitelets absolus dans leurs minuscules
royaumes. — La population de certains de ces états était nomade,
celle des autres sédentaire. Ces premiers habitants du Bondou ne
se ressemblaient guère : ils n’avaient ni les mêmes mœurs,
ni les mêmes usages, ni les mêmes instincts ; ils ne parlaient
pas non plus la même langue.

La partie qui forme aujourd’hui le Nagué-Horé-Bondou n’était
habitée que par un petit nombre d’individus. Les uns habitaient
dans des huttes en paille et d’autres se logeaient dans le creux
des rochers, où ils se creusaient encore de véritables cavernes.

On comprendra facilement que des peuplades qui différaient autant
à tous les points de vue, n’aient pas vécu en bonne intelligence
et en paix. La légende nous apprend, en effet, que tour à tour
elles avaient eu le pouvoir. Chaque race avait, à tour de rôle,
commandé aux autres. Tout cela dépendait du sort des armes. Le
plus fort, le vainqueur, était le maître. Véritable dictateur,
il imposait ses volontés aux vaincus, jusqu’à ce qu’une
révolution vînt lui enlever le pouvoir. C’était, en un mot,
l’anarchie la plus complète.

Parmi ces peuplades, les unes étaient musulmanes et les autres
fétichistes. En voici l’énumération, telle que nous l’a
transmise la légende. C’étaient : les Tambadounabés, les
Guirobés, les Fadoubés, les Badiars, les Oualiabés et les
Bakiris. A ces différents éléments vinrent s’ajouter, vers la
fin du XVIIe siècle, les Sissibés, Toucouleurs du Fouta-Toro,
venus avec le marabout Malick-Sy. C’est là, d’ailleurs,
la version donnée par le tamsir Bodéoul, le marabout favori de
Boubakar-Saada. En raison des populations si diverses qui avaient
autrefois peuplé le Bondou, ce savant homme ne l’appelait jamais
que le Tamguifabaouabasy, nom formé de la première syllabe des
noms de ces différents peuples.

Quoi qu’il en soit, on ne commence guère à voir clair dans
l’histoire du Bondou qu’à l’époque où le marabout Malick-Sy
vint s’y établir avec sa famille.

Voici quel était l’état du Bondou à l’époque où nous voyons
entrer en scène le marabout toucouleur.

Les Guirobés étaient des Toucouleurs-Torodos venus du Fouta. Ils
appartenaient à la famille des Guénars et s’étaient établis
dans le village de Guirobé, à huit kilomètres environ au nord de
Sénoudébou. On ne les désigne que sous le nom de Guirobés, du
nom même de leur village. Il existe encore dans le Bondou quelques
descendants de cette famille qui ont conservé leur nom primitif. Ils
étaient musulmans.

Les Fadoubés, fétichistes, habitaient surtout le village de
Boubaïa ou Boubania. Ils paraissent avoir été les plus anciens
habitants du Bondou. Ce qui est certain, c’est que Malick-Sy,
quand il prit possession du pays, les y trouva. Il signa avec eux
un traité d’alliance sous un tamarinier, dont on montre encore
l’emplacement. Tous les griots et les marabouts s’accordent
pour dire qu’ils venaient de Kolkol, village du Djolof, situé
sur la route du Fouta-Toro. Opprimés par la lourde domination du
bourba (roi) du Djolof, les Fadoubés, gens paisibles, cultivateurs
et chasseurs, avaient émigré et étaient venus demander asile au
roi des Bakiris (le tunka de Tuabo, tel était son titre), qui leur
donna le pays où Malick-Sy les a trouvés. Les Fadoubés s’y
établirent donc et entretinrent des relations très intimes avec
les Guirobés ; mais ils en restèrent toujours séparés par leurs
goûts, leurs mœurs et leur religion. Ils étaient fétichistes et
superstitieux et avaient des usages et des coutumes bizarres. Les
forêts les plus sombres leur servaient de retraites. Ils immolaient
souvent des victimes au pied des vieux arbres, en teignaient le tronc
avec le sang et mangeaient la chair des animaux morts de maladie,
sans les avoir saignés, et celle du sanglier. Ils logeaient dans le
creux des arbres ou dans de misérables huttes en paille. Par leurs
mœurs, ils se rapprochaient beaucoup des Badiars, des Coniaguiés et
des Bassarés, que l’on trouve encore dans la partie nord-ouest
du Fouta-Djallon, au sud de Damantan. Tout porte à croire que
cette étrange peuplade n’est, comme les précédentes, qu’un
rameau à l’état primitif de la race mandingue. Aujourd’hui,
les Fadoubés qui existent encore dans le Bondou se sont soumis à
la coutume commune et construisent des cases ; mais ils ont gardé
de leur passé barbare l’habitude de manger la chair du sanglier,
malgré l’interdiction formelle du Coran. Ils ont toujours été
l’objet du plus profond mépris et ont été traqués comme de
véritables bêtes malfaisantes par les conquérants toucouleurs. Il
y a quelques années, ainsi, se trouvait près de Tambacounda, dans
le Ouli, un petit village de Fadoubés qui se nommait Kottiar. Il
fut détruit par Ousman-Gassy, qui leur reprochait d’attirer des
malheurs sur le pays. Les Malinkés prétendent qu’ils _devinent
la pensée_.

Les Tambadounabés étaient également des Torodos venus du Fouta. Ils
avaient leur chef-lieu à Ouro-Daouda, au nord-ouest de Sénoudébou,
derrière la ligne de hauteurs qui sépare le bassin de la Falémé
de celui du Sénégal. Ils furent toujours des alliés fidèles
pour Malick-Sy.

L’origine des Torodos, d’après mon ami le capitaine Roux, un
des ethnographes soudaniens les plus autorisés, n’est autre que
le résultat de l’application d’une prescription du Coran, qui
dit que « quiconque donne la liberté à un esclave croyant sera
récompensé ». Les Torodos sont donc, en général, des captifs
qui, ayant fait preuve d’intelligence, ont été instruits dans
la religion et libérés. Leurs descendants sont également Torodos
et forment une sorte de caste qui, chez les Toucouleurs, conserve
néanmoins la tare de son origine. Les Torodos peuvent appartenir à
toutes les races ; mais c’est principalement dans le Fouta-Toro que
la coutume de libérer les captifs qui se sont signalés par leurs
aptitudes à l’école musulmane a pris de l’extension. D’où
vient le nom de Torodos qu’on leur a donné.

Les Badiars avaient leur dernier village à Demba-Coly, sur une des
branches du Niéri-kô, non loin de Farigué-Toumbala, habité alors
par les gens du Tenda. D’origine mandingue, ils ont complètement
disparu du Bondou.

Les Oualiabés étaient des Malinkés originaires du Bambouck. Ils
avaient quelques villages à l’ouest de la Falémé ; les
principaux étaient Goundiourou, près de Sambacolo, et Miromguikou,
près de Koussan-Almamy. Leur village principal était Goubaïel,
sur le Niéri-kô. Les almamys leur firent une guerre acharnée
et les chassèrent du pays. Ils se sont réfugiés à l’ouest
du Niéri-kô et sur les bords de la Gambie et y ont fondé
l’état de Ouli. Kakoulou, sur la Falémé, était encore
un village de Malinkés. Il était habité par les familles des
Contoukobés. Chassés par les Sissibés, ils sont allés fonder le
gros village de Tambacounda (Ouli), où leurs descendants habitent
encore.

Les Bakiris, dont le chef portait le titre de Tunka et résidait à
Tuabo, sur le Sénégal, dans le Guoy, étaient avant l’arrivée
de Malick-Sy les maîtres du pays. Le royaume du Tunka s’étendait
depuis le Sénégal jusqu’au marigot de Tunka-Souté (île du
Tunka), entre Sénoudébou et Débou. Le Kaméra actuel lui était
soumis. Les Bakiris peuvent être considérés comme un rameau de
la race mandingue voisin des Sarracolés. Ils parlent, du reste,
la même langue.

Le reste du Bondou, et particulièrement la rive gauche de la
Falémé, depuis Sénoudébou environ, était habité par des
Malinkés du Bambouck.

Telle était la situation du Bondou au moment où y arriva le marabout
toucouleur-torodo Malick-Sy. C’est de lui que date la véritable
histoire de ce pays, histoire dont bien des côtés touchent à
la légende et au merveilleux, mais qui n’en est pas moins fort
intéressante.


                         =Histoire du Bondou.=


D’après les renseignements que nous avons pu nous procurer, ce
serait vers 1681 que Malick-Sy vint définitivement s’établir
dans le Bondou. Il est le fondateur incontesté de ce royaume.

Malick-Sy, torodo-toucouleur, naquit, on ne sait trop en quelle
année, à Souïma, village du Fouta-Toro qui se trouve à quelques
kilomètres de Podor. Son père était un des grands marabouts du pays
et son grand-père avait été chef d’une tribu toucouleure du Toro.

Si l’on en croit certains griots et certains marabouts très
versés dans l’histoire des peuplades du Soudan, la famille de
Malick-Sy serait très ancienne. Elle descendrait d’un chérif ou
d’un marabout nommé Ibnou-Morvan, qui serait venu dans le Toro
on ne sait trop à quelle époque. Les griots et les marabouts
ne possédant pas de documents écrits, il est fort difficile de
préciser les dates. Quoi qu’il en soit, ils s’accordent tous
pour dire qu’Ibnou-Morvan aurait eu des démêlés, on ne sait trop
pourquoi, avec quatre chefs de tribus voisines. Il en serait résulté
une guerre longue et acharnée, qui aurait obligé Ibnou-Morvan à
quitter le Sahel pour venir s’établir à Souïma. Y séjourna-t-il
quelque temps seulement, ou bien s’y fixa-t-il définitivement, on
n’en sait trop rien. Toujours est-il qu’il s’y maria avec une
femme du Toro. On sait que les chérifs, quand ils sont en voyage,
ont l’habitude de se marier dans les villages où ils désirent
séjourner quelque temps. De ce mariage, il eut un fils auquel il
donna le nom de Hamet. Dès lors, on perd absolument les traces
d’Ibnou-Morvan. Hamet donna le jour à deux fils : N’Diob-Hamet
et Daouda-Hamet, et à deux filles : Maty-Hamet et Tiéougué-Hamet.

L’aîné, N’Diob-Hamet, donna le jour à une nombreuse famille
qui devait, dans la suite, prêter un grand secours aux descendants
de Malick-Sy, comme nous le verrons plus loin.

Maty-Hamet fut mariée à un grand marabout qui émigra vers le
Fouta-Djallon et dont le fils devait régner plus tard sur ce pays
sous le nom d’Almamy-Boubakar. Ses fils devaient eux aussi, plus
tard, prêter main-forte à Malick-Sy lui-même.

Daouda-Hamet, de son côté, donna le jour à un garçon qu’il
nomma Malick-Sy.

Malick-Sy fit ses premières études de marabout dans la maison
paternelle. A l’âge de quinze ans, il se rendit à Pyroum-N’Davy
ou simplement Pyr, dans le Saniakhor, canton du Cayor, situé
sur la route de Keur-Mandoumbé-Kary à Thiès, pour y suivre les
leçons d’un marabout très instruit et très renommé qui s’y
trouvait alors. Il y resta cinq ans et revint ensuite dans la maison
paternelle. Trois ans après, son père étant venu à mourir, il
se chargea de toute sa famille. A l’âge de vingt-sept ans, il se
maria. Trois ans après, sa femme accoucha d’un garçon qu’il
nomma Boubou-Malick. D’une autre femme qu’il avait épousée
peu après la première, il eut deux fils : Toumané-Malick et
Mody-Malick.

En revenant de Pyr, il fit à Temeye, village du Oualo, près de
Mérinaghem, la connaissance d’un pauvre griot, à peu près aussi
âgé que lui, et qui se nommait Layal. Ce griot, s’étant pris
d’amitié pour Malick-Sy, s’attacha à sa fortune et, ayant
obtenu de ses parents l’autorisation d’accompagner le marabout,
il revint avec lui à Souïma. Ce fut son premier compagnon.

Malick-Sy avait pris dans ses voyages le goût des aventures. Aussi ne
put-il pas rester longtemps à Souïma. Il voulait connaître un peu
le monde et faire fortune. Laissant donc à Souïma toute sa famille,
il se mit en route avec le griot Layal, son fidèle compagnon. Il
visita ainsi le Fouta-Toro, écrivant et distribuant des gris-gris
aux guerriers partout sur son passage, et arriva chez le tunka de
Tuabo, qui le retint pendant près de trois ans dans sa capitale et
lui fit faire des amulettes pour lui et les hommes de sa suite.

Pendant les trois années qu’il resta dans le Guoy, Malick-Sy était
allé souvent rendre visite aux Torodos-Guirobés et Tambadounabés
dans leur canton. Ils l’avaient toujours bien accueilli. Il
s’était familiarisé avec eux et s’était ainsi attiré leur
amitié et leurs sympathies. Ce fut sans doute alors qu’il remarqua
la fertilité du sol et qu’il conçut le projet de venir se fixer
dans cette région avec toute sa famille.

Le tunka le congédia enfin, après lui avoir fait de beaux et riches
cadeaux qui consistaient en bœufs, or et captifs.

Malick-Sy retourna alors à Souïma ; mais il n’y put rester plus de
deux ans. Repris par ses goûts aventureux, il se remit en route. Ce
voyage devait être très long. Il traversa, en effet, le Fouta, le
Guoy, le Kaméra, le Khasso et passa le Sénégal dans le Logo. Son
but était d’aller à Diara, capitale des Sarracolés-Diawaras,
dans le Touroungoumé, pays situé à l’est de Nioro.

Ce voyage se fit sans incidents, et Malick-Sy arriva sans encombres
à Diara, dont le roi, nommé Farègne, le reçut très bien, et
d’autant mieux qu’il attendait de lui un grand service.

Ce roi avait plusieurs femmes, mais celle qu’il préférait
était restée stérile depuis son mariage. Il demanda donc au
marabout toucouleur de prier Dieu afin que sa femme favorite devint
enceinte. Il lui promit que si jamais elle lui donnait un enfant,
il lui ferait cadeau de quinze captifs ou leur valeur en bœufs et
en or à son choix.

Le marabout lui fit des gris-gris ainsi qu’à sa femme, et quatre
mois après elle devint enceinte. Le roi fut au comble de la joie,
et la considération que Malick-Sy retira de cet heureux événement
ne fit qu’augmenter non seulement à la cour du roi, mais encore
dans tout le royaume. Il fut comblé de cadeaux par Farègne qui le
retint pendant quatre ans à Diara, durant lesquels Malick-Sy sut
gagner les cœurs de tous les notables et ramassa une grande fortune.

Mais une autre idée le retenait encore à la cour du roi Diawara,
et c’était elle qui était la cause principale et le seul but de
son voyage.

Un jour, on ne sait comment ni par qui, Malick-Sy avait appris qu’un
grand chef des pays du nord-est et du Fouta-Toro possédait un sabre
merveilleux doué de ce privilège étrange : « Que quiconque verrait
sa lame et l’aurait longuement contemplée était sûr de monter
tôt ou tard sur le trône, quand même serait-il le dernier des
hommes, de n’importe quel pays et de n’importe quelle condition
que ce soit. » Malick avait appris dans ses voyages que ce chef
n’était autre que Farègne, roi des Diawaras, dont la résidence
était Diara, capitale du Touroungoumé. Ce fut alors qu’il
entreprit ce long voyage. Il n’avait que deux compagnons, le griot
Layal et un forgeron de ses amis, nommé Tamba-Kanté, qui portait
sur la tête sa peau de bouc remplie de livres saints et de gris-gris.

En arrivant près de Diara, ils avaient rencontré un chasseur qui
revenait de la chasse. Celui-ci leur souhaita le bonjour et leur
demanda où ils allaient. Malick-Sy lui ayant répondu poliment à
toutes ses questions, le chasseur lui dit : « Marabout, qui que tu
sois, je veux être de ta compagnie. Je marcherai avec toi partout
où tu iras ; je ferai tout ce que je pourrai pour t’être utile. »
Ce fut ainsi qu’il recruta un troisième compagnon auquel il donna
le nom de Terry-Kafo, dont les descendants devaient, dans la suite,
rendre de grands services aux petits-fils de Malick-Sy. Terry-Kafo
signifie mot à mot : _un compagnon de plus_.

Ce sont ces trois hommes qui ont été les premiers compagnons
de Malick-Sy. Ce sont eux qui ont partagé toutes ses fatigues,
ses veilles, ses infortunes et ses travaux. Ce sont eux aussi qui
ont été les plus récompensés, et, de nos jours encore, leurs
descendants sont toujours, de préférence à tout autre, l’objet
des faveurs des almamys.

Mais revenons au sabre miraculeux, à la recherche duquel Malick-Sy
était allé jusqu’à Diara, uniquement dans le but de le
contempler, afin que la prédiction se réalisât au profit de
son ambition.

Partout, on désignait cette arme merveilleuse sous le nom de
_oualé_. Le grand service que Malick-Sy venait de rendre au roi
lui donnait, on le comprend, les plus grandes facilités pour mettre
son projet à exécution.

Il profita de la grande joie qui régnait à la cour du roi Farègne
et dans le cœur de sa femme, jusque-là stérile et qui se voyait
enceinte, pour pénétrer chez elle et lui demander un service. Il
lui promit que, si elle le lui rendait, il lui donnerait un gris-gris
qui aurait pour vertu de lui permettre de devenir mère de sept
garçons et d’autant de filles.

La reine lui demanda alors ce dont il s’agissait, en lui promettant
de faire tout ce qu’elle pourrait pour lui être utile.

« Voici ce que je désirerais, lui dit alors Malick-Sy. J’ai appris
que le Oualé était ici, chez toi, dans ta case. Eh bien ! j’ai
oublié quelques paroles d’un verset du Coran qui me serait
de grande utilité pour mes gris-gris. Je te prierais donc de me
faire voir ce sabre où sont inscrits tous ces versets dont j’ai
besoin. Ceux mêmes qui s’appliquent à ton cas y sont inscrits. »

La reine, qui était très naïve et qui estimait beaucoup Malick-Sy,
à qui elle devait une grande reconnaissance, pénétra aussitôt
dans sa seconde chambre, ouvrit un coffre et sortit le sabre
qu’elle apporta à Malick-Sy. Celui-ci le retira de son fourreau
et le contempla longtemps en le tournant et le retournant. Il le
remit enfin à la reine et prit congé d’elle après l’avoir
remerciée. Mais un des captifs du roi l’avait vu au moment où il
le donnait à la reine. Il alla aussitôt prévenir Farègne qui,
abandonnant l’assemblée des notables qu’il présidait alors,
se dirigea en toute hâte vers la case de sa favorite. Il rencontra
Malick-Sy au moment où il en sortait, et lui dit vivement :
« Marabout, d’où viens-tu et qu’est-ce que tu es allé faire
dans la case de ma femme ? » Ce à quoi le rusé Toucouleur lui
répondit tranquillement : « Je suis allé voir la reine et savoir
si elle n’est pas malade, car, avec le petit qu’elle a dans le
ventre, il faut se méfier des sorciers. C’est pour cela que j’y
vais de temps en temps pour que mes travaux ne soient pas vains. —
Marabout, lui répondit Farègne, je crois bien que tu me trompes ;
mais enfin il est trop tard, ce qui est fait est fait. »

Malick-Sy, ayant atteint le but qu’il se proposait, n’avait plus
rien à faire à Diara, d’autant plus que Farègne, craignant que
la prophétie ne se réalisât à ses dépens, l’engageait vivement
à s’éloigner. Malgré cela, le marabout y resta encore quatre
années, afin d’amasser la fortune qui lui était nécessaire
pour pouvoir acheter les armes et les chevaux indispensables à ses
futurs guerriers.

Il se remit alors en route pour Souïma en suivant l’itinéraire
suivant : il passa vis-à-vis du Natiaga, traversa ce pays et remonta
par Kourba dans le Tambaoura, où il resta six mois à faire une
étude approfondie du pays. Mais n’ayant pas été satisfait sans
doute de ce qu’il avait trouvé, le septième mois, il se remit en
marche, descendit la chaîne du Tambaoura, passa par San-Faradala et
arriva dans le Kamana qu’il traversa, visita ensuite le Niagala et
passa la Falémé à l’emplacement actuel de Sénoudébou. Il vint
alors à Guirobé. Après un repos de quelques jours, dont il avait
bien besoin après un aussi long voyage, Malick-Sy quitta Guirobé
et alla rendre visite à son ami le tunka de Tuabo, qu’il avait
quitté quelques années auparavant.

A Tuabo, il fit part au tunka du désir qu’il avait de quitter
le Toro avec sa famille pour venir s’établir auprès de lui. Il
lui fit comprendre combien cela serait avantageux pour lui. Enfin,
il fit si bien que celui-ci lui promit que, si lui et les siens
venaient s’établir dans son royaume, il leur accorderait tous
les terrains dont ils pourraient avoir besoin.

Tout allait donc à merveille pour le marabout toucouleur. Il partit
immédiatement de Tuabo, promettant au tunka d’être bientôt revenu
avec les siens. Il n’eut pas, en effet, beaucoup de peine à faire
émigrer sa famille et vint s’établir à Guirobé. Lorsqu’il
l’eut installée, il vint à Tuabo pour annoncer au tunka
son arrivée et pour lui rappeler la promesse qu’il lui avait
faite. Le Tunka lui répondit alors : « Rentre dans ton camp à
Guirobé. Repars en demain dès le point du jour. De même je partirai
de mon côté de Tuabo, et l’endroit où nous nous rencontrerons
sera la limite entre mes états et les terrains que je te donnerai. »

Le marabout toucouleur, moins honnête que le tunka, partit de chez
lui dès la nuit tombante. Le tunka, observant strictement la parole
donnée, ne partit qu’au lever du jour de Tuabo, de sorte que, dans
la matinée, ils se rencontrèrent dans la plaine même de Boula,
près de Bakel, sur les bords du marigot de Fouraouol.

Surpris, le tunka apostropha vivement le marabout
torodo. « Quoi ! lui dit-il, j’avais confiance en toi, tu m’as
trompé et me voilà frustré ! Mais un roi n’a que sa parole. Aussi
je tiendrai fidèlement la promesse que je t’ai faite. »

Le marigot de Fouraouol fut donc fixé comme la limite entre le
Guoy et la concession faite à Malick-Sy. Au sud, cette concession
s’arrêtait non loin de Sénoudébou, au marigot de Tunka Souté. Le
reste du pays était alors en partie désert et en partie habité
par les Malinkés du Bambouck, les Oualiabés, les Contoukobés et
les Badiars.

Malick-Sy rentra alors à Guirobé et construisit dans les environs
le village de Ouro-Alpha, qui fut le premier village fondé par
lui. Malick-Sy, à peine en possession de son petit territoire, se
mit en mesure de s’assurer des alliés. Il conclut avec les chefs
guirobés un traité dans lequel il fut convenu que les notables
seraient nommés à l’élection, et que le doyen des deux tribus
deviendrait le chef du pays. Il se fit reconnaître par les Fadoubés
comme leur chef et marabout à la condition qu’ils se construiraient
des cases. En revanche, il leur accordait de continuer à manger
la chair du sanglier. Peu après Malick-Sy fut élu chef des trois
tribus sous le titre d’_Elimane_ (chef de religion). La dîme
aumônière et la dîme des récoltes lui furent accordées.

Mais dès l’année suivante, Malick-Sy ne tarda pas à avoir des
démêlés avec le tunka du Tuabo, qui venait de s’apercevoir,
mais trop tard, que le marabout torodo était un profond ambitieux et
qu’il avait des projets qu’il ne pouvait pas lui laisser mettre
à exécution sans grand dommage pour son royaume et son autorité.

La délimitation des frontières des deux états fut la cause
première de leur querelle. Malick, qui depuis longtemps rêvait
de commander aux pays qui se trouvent sur les deux rives de la
Falémé, avait fait percevoir par ses agents les dîmes des récoltes
faites dans les deux régions. Mais le tunka de Tuabo s’y opposa
vivement. De plus, Malick-Sy prétendait que les possessions du
tunka sur les bords du Sénégal, au delà du marigot de Foura-Ouol,
devaient s’arrêter du côté du sud aux terrains qui seraient
seulement inondés pendant l’hivernage. Le tunka s’y refusa
net. De là une guerre acharnée.

Malick-Sy leva une armée composée de Torodos et de Malinkés et des
autres peuplades qui habitaient les cantons limitrophes du sien. Il
traversa la Falémé à Sénoudébou et marcha immédiatement sur
Goutioubé, village situé sur le Sénégal à 1 kil. 500 environ à
l’est de l’embouchure de la Falémé, en face d’Arondou. Il
prétendait avoir beaucoup à s’en plaindre. — Le tunka, ayant
eu vent des projets du marabout torodo, leva aussitôt une armée
et marcha en grande diligence pour aller délivrer les siens. Ce
fut le commencement des hostilités.

Les deux adversaires se rencontrèrent dans la plaine de Goutioubé
et l’action s’engagea aussitôt. Malgré des prodiges de valeur,
et après deux heures de combat acharné, Malick-Sy, vaincu, fut
forcé de se retirer en laissant sur le champ de bataille bon nombre
des siens.

Le tunka le poursuivit jusqu’au gué de Bodogal, près de Dialiguel,
sur la Falémé. Il lui barra la route avec une partie de ses hommes,
tandis que l’autre partie cherchait à le tourner. Malick-Sy
se vit perdu et à la merci de son ennemi. Voyant le gué au
pouvoir des Sarracolés, il s’avança en désespéré à la
tête de ses guerriers, sur les hommes qui le gardaient. Par cette
attaque imprévue, il rompit les rangs ennemis et put franchir
la rivière. Mais, dans ce dernier combat, il fut mortellement
atteint. Toujours poursuivi et ne pouvant plus se tenir à cheval,
il se fit transporter en civière. Il ne devait pas revoir son
village et expira à Goumba-Koka, près de Sélen, sur la Falémé, en
regrettant de ne pouvoir transmettre ses dernières volontés à son
fils Boubou-Malick-Sy qu’il avait envoyé quelques mois auparavant
dans le Fouta-Djallon, auprès de ses cousins les fils de Maty-Hamet,
sœur de son père, afin d’y recruter des guerriers. Malick-Sy
mourut en 1699. Il avait commencé à fonder le royaume de Bondou et
à asseoir l’autorité de sa race. Il revenait au fils de continuer
l’œuvre commencée par le père.


                     BOUBOU-MALICK-SY (1699-1718).


Malick-Sy laissa trois fils, Boubou-Malick-Sy, Mody-Malick et
Toumané-Malick. Ce fut l’aîné, Boubou-Malick-Sy qui lui
succéda et hérita du titre d’élimane qui avait été donné
à son père. Il avait réussi dans la mission qui lui avait été
confiée, et revenait du Fouta-Djallon avec une nombreuse armée,
lorsqu’à Miranguikou, le manque d’eau l’obligea à faire un
grand détour. Ce retard fut un malheur pour Malick-Sy qui succombait
à Goumba-Koka au moment où l’armée que lui amenait son fils
arrivait à Diamwély, non loin de Boulébané.

En prenant le pouvoir, il ne rêva qu’une chose, ce fut de venger
son père. Après lui avoir rendu, à Ouro-Alpha, les derniers
honneurs, il entra immédiatement en campagne.

Pendant que le tunka fêtait sa victoire à Tuabo, Boubou-Malick
envahit le Guoy et le Kaméra, s’empara de Kounguel, Goulmy et
Arondou, traversa la Falémé à son confluent avec le Sénégal,
s’empara de vive force de Goutioubé, et son armée victorieuse
parcourut les états du tunka jusqu’au petit village de Kéniou
en pillant et brûlant tout sur son passage. Plus de trente kovas
(c’est le nom que l’on donnait alors aux chefs de villages du
Guoy et du Kaméra) tombèrent sous ses coups.

Après cette belle et rapide campagne, Boubou-Malick était rentré à
Ouro-Alpha avec un riche butin. Son père était vengé. Il congédia
alors ses alliés du Fouta-Djallon. Quelques-uns se fixèrent auprès
de lui et les autres regagnèrent leur pays, enrichis des dépouilles
du Guoy et du Kaméra.

Tranquille maintenant du côté des Bakiris et certain que les
prétentions de son père seraient respectées par le tunka,
Boubou-Malick songea dès lors à élargir son royaume du côté du
sud. Le plus petit prétexte (et les noirs en savent toujours trouver)
lui servit pour entrer en campagne contre les Malinkés et les
Badiars. Afin de les surveiller et de les empêcher de venir piller
sur son territoire, il vint s’établir à Boubou-Ya, au nord-ouest
de Sénoudébou (Boubou-Ya en langue malinké signifie : « la maison
de Boubou »). De Boubou-Ya, on ne tarda pas à faire Boubaïa.

C’est vers cette époque que le Bondou prit son nom d’un puits
qui avait été creusé à l’endroit où se trouve actuellement
Boubaïa. Deux versions sont données sur l’origine du nom de
Bondou. Suivant la première, lorsque Malick-Sy suivi de ses élèves
arriva en cet endroit, il existait un puits qui appartenait à une
femme nommée « Coumba ». Ce puits s’effondrant chaque jour,
les élèves durent le réparer et il fut désigné sous le nom
de « Bondou-Coumba » (puits de Coumba). Réparé ensuite par
Boubou-Malick, on donna à l’endroit où ce puits avait été
creusé le nom de « Bondou-Bonadou-Malick-Sy » (puits réparé
par Boubou-Malick-Sy). De là serait venu, par extension, le nom
de Bondou donné au pays soumis à l’autorité des descendants de
Malick-Sy. La deuxième version laisserait encore croire que Malick-Sy
aurait creusé un puits en avant de Ouro-Daouda, puits auquel on
aurait donné le nom de Bondou-Bâ (puits du pré ou grand puits),
d’où par élision on aurait fait Bondou.

Pendant qu’il s’installait à Boubaïa près de Bondou-Coumba,
Boubou faisait en même temps construire à Féna, à un kilomètre
environ du village actuel de Koussan-Almamy, un solide tata
(forteresse) dans lequel il installait, sous les ordres de son fils
Maka-Guiba ou Maka-Djiba, un grand nombre de captifs appelés à
défendre les alentours contre les attaques des Malinkés.

Il ne tarda pas à se mettre en campagne et s’empara de plusieurs
villages malinkés riverains de la Falémé et situés dans la partie
sud de Sénoudébou.

Réussissant partout, Boubou-Malick-Sy ne savait se contenir, et
après avoir reçu des tributs considérables des Malinkés, il marcha
quand même de nouveau contre eux et entraîna ses guerriers contre
le village de Samba N’gala, dont on voit encore les ruines entre
Goundiourou et Diddé, à l’est de Koussan-Almamy. Ce village fut
pris d’assaut et les habitants furent tous massacrés ou emmenés
en captivité. Mais le succès coûta cher à Boubou-Malick-Sy : il
fut mortellement blessé à la poitrine. Ses hommes le portèrent
sur la tête pour le ramener à Ouro-Alpha. Il mourut en route à
Ouassa, entre Sambacolo et Soumourdaka.


                        INTERRÈGNE (1718-1728).


Boubou-Malick-Sy laissa quatre enfants : Toumané-Boubou-Malick-Sy,
qui mourut peu après son père ; Mody-Boubou-Malick-Sy, qui
donna naissance aux Sissibés de N’Dagor et d’Amaguié ;
Maka-Boubou-Malick-Sy, plus connu sous le nom de Maka-Guiba ou
Maka-Djiba, et enfin Alioum-Boubou-Malick.

Boubou-Malick-Sy mort, ses enfants se trouvèrent sans défense. Leurs
oncles Mody-Malick et Toumané-Malick, à cette nouvelle, s’étaient
enfuis dans le Fouta-Toro, d’où ils n’osèrent jamais revenir.

Les Malinkés, sentant bien combien était en ce moment précaire la
puissance des Sissibés, envahirent le Bondou. A leur approche tous
les membres de la famille de Malick-Sy s’enfuirent dans le Toro,
à l’exception toutefois de Maka-Guiba. De plus, les Guirobés,
forts du droit que leur donnait le traité conclu avec Malick-Sy,
revendiquèrent le pouvoir suprême. Les Torodos-Tambadounabés,
de leur côté, faisaient valoir des droits égaux. En un mot
l’anarchie la plus complète régnait dans le Bondou.

Craignant pour ses jours, Maka-Guiba alla se cacher chez les Tiambés
ou Torodos de Fissa-Tiambé. Pendant dix ans, il resta sous la
tutelle d’un chef des Guénars. Les Guirobés, qui appréhendaient
sa majorité, le firent rechercher. Ils firent demander au chef des
guerriers, chez lequel le jeune prince était caché, s’il existait
encore quelque part un rejeton de la famille des Sissibés. Celui-ci,
sentant que les Guirobés, qui abhorraient cette famille, n’auraient
pas manqué de le faire disparaître, répondit négativement.

Ayant atteint l’âge de trente deux ans, Maka-Guiba résolut de
réclamer ses droits au commandement. Le Bondou était alors gouverné
par les Guirobés, qui, n’ayant aucune autorité, en étaient
arrivés à laisser à chaque village son indépendance. Maka-Guiba
se rendit alors dans le Toro rejoindre ses frères, ses oncles et
ses cousins, les descendants de N’Diob-Hamet, oncle de son aïeul
Malick-Sy, et qui n’avaient jamais quitté Souïma. Il leur exposa
le projet qu’il avait formé de reconquérir le Bondou, et leur
demanda de se joindre à lui pour continuer l’œuvre de Malick-Sy,
leur ancêtre. Ses oncles et ses frères n’osèrent pas se hasarder
dans une entreprise aussi périlleuse et qui avait déjà fait tant
de victimes dans leur famille. Mais les fils de N’Diob-Hamet lui
promirent le concours le plus absolu.

Maka-Guiba ne se rebuta pas et, à la tête des quelques guerriers que
lui avaient procurés ses cousins, il pénétra dans le Bondou. Il se
rendit directement à Boubaïa, fit réunir les notables guirobés
et guénars, et leur fit connaître ses prétentions. Les Guénars
firent une vive opposition ; et après une guerre civile de courte
durée, et dont il sortit vainqueur, son autorité fut reconnue,
et il fut proclamé élimane, au détriment des ayants droit, qui
avaient fuit et déserté la cause de Malick-Sy.


                        MAKA-GUIBA (1728-1764).


Pendant les trente-six années que dura son règne, le Bondou acquit
une grande prospérité. Maka-Guiba dicta ses conditions aux peuples
voisins. Son premier souci, après avoir assis son autorité,
fut de marcher contre les Malinkés, meurtriers de son père. Le
village de Miranguikou, sur la route de Koussan-Almamy à Diddé,
tomba sous ses coups. Le chef, Sambou-Ahmady-Toumané, s’enfuit
devant le vainqueur et se réfugia sur la rive droite de la Falémé,
dans le Niagala, où il fonda le village de Farabanna.

Poursuivant ses succès, Maka-Guiba fit élever à Dara et à Diomfou
des tatas qui devaient tenir incessamment Sambou en éveil et lui
disputer le pays. Lui-même s’établit à Dara, après avoir
confié la garde de Féna à son plus jeune fils, Paté-Gaye,
déjà renommé par sa bravoure et son intrépidité. Il songea
alors aux Contoukobés, et leur fit des propositions de paix. A
cet effet, il envoya auprès de leur chef Niamé une députation
chargée de lui demander l’aide de ses esclaves pour faire la
récolte d’arachides. Niamé, plein de confiance, rassembla
immédiatement tous ses hommes et les mit à la disposition de
l’élimane du Bondou. En même temps, Paté-Gaye, suivant les
instructions de son père, se dirigeait avec 10,000 hommes sur
Kakoulou, résidence du chef des Contoukobés. Il trouva cette ville
privée de ses défenseurs, la prit d’assaut et la détruisit de
fond en comble. Niamé fut tué et beaucoup de ses sujets furent
faits prisonniers. Ceux qui échappèrent allèrent dans le Ouli
habiter le village de Tamba-Counda, où l’on trouve encore leurs
descendants. Dans cette affaire, Maka-Guiba ramassa un immense butin,
qu’il employa à acheter des chevaux et des munitions de guerre.

Quelque temps après, son fils Abdoul-Moussou fut tué à l’assaut
de Sambanoura, sur la Falémé, village qui était habité par
des Malinkés de la famille des Gassamas, dont on rencontre encore
quelques descendants dans le Kantora.

De toutes les guerres que Maka-Guiba eut à soutenir, la plus
sérieuse fut celle qu’il eut à faire au roi des Déniankés,
Sattigui. Les Déniankés sont des métis Peulhs et Toucouleurs
qui habitent sur les bords du Sénégal, entre le Guoy et le
Fouta. Venus des environs de Bangassi dans le Fouladougou oriental,
ils avaient d’abord émigré dans le Bondou et de là dans le
Fouta-Sénégalais. Ce monarque orgueilleux, qui s’intitulait « roi
du Fouta », jaloux des victoires des Sissibés et de leur prestige,
résolut de leur imposer un tribut. Il écrivit alors à Maka-Guiba
une lettre dont voici à peu près le sens, sinon le texte rigoureux :

« De la part du glorieux, du puissant et du redoutable Sattigui,
roi du Fouta entier, lui qui a été créé pour être heureux ici-bas
et pour être destiné au séjour éternel dans l’autre monde ; la
preuve c’est qu’il boit à coupe pleine les douceurs de la vie ;
lui qui est si aimable et si charitable pour ses amis, aussi bien
qu’il est terrible, redoutable et implacable pour ses ennemis,
à son humble et fidèle serviteur Maka-Guiba, qui a la hardiesse
de se dire almamy et qui signe comme tel, dont la famille est issue
des Torodos, qui n’ont été créés que pour être toujours
misérables et pour demander la charité aux autres. Salut !

» Maka-Guiba, j’ai besoin de faire faire par les forgerons des
ornements en or pour mes femmes et mes enfants. Il me faut de l’or,
et en bonne quantité même ; tu auras donc à m’en envoyer cinq
mesures pleines dans le plus bref délai.

» J’ai appris que tu as un cheval arabe tout blanc qui danse
beaucoup ; tu auras à me l’envoyer par la même occasion pour un
de mes hommes qui n’en a pas.

» J’ai appris que, parmi tes femmes, tu en as une qui sait bien
faire le couscous ; il faudra me l’envoyer aussi pour me faire la
cuisine, et tout cela de suite, autrement tu me forcerais à venir
dans le Bondou.

» Je pense que tu voudras éviter mon arrivée, car si je vais dans
le Bondou, ce ne sera que meurtres et ruines, et je jure de casser
sur ta tête cette seule calebasse que tes parents t’ont laissée
pour tout héritage, et dont tu te sers pour recevoir la charité des
mains des autres, comme ils la recevaient eux-mêmes de leur vivant.

» Tu n’es que Torodo ; tu n’as été créé que pour la misère
et la servitude.

» Salut !

                                        » SATTIGUI, Soulé N’DIAYE. »

Au reçu de cette lettre, Maka-Guiba convoqua ses notables, et
après une longue délibération, il fut décidé qu’on donnerait
satisfaction au roi du Fouta. Paté-Gaye, absent au moment du palabre,
revint à Dara, et en apprenant ce qui s’était passé, demanda la
réunion immédiate des personnes qui avaient pris cette décision. Il
se fit alors lire la lettre de Sattigui, et après l’avoir fait
copier, l’arracha vivement des mains du marabout, la déchira et en
fit avaler les morceaux au courrier qui l’avait apportée ; après
quoi, il le fit accompagner par deux cavaliers, pour l’empêcher
de prendre aucun repos dans tout le Bondou. C’était la guerre
inévitable.

Le chef du Fouta, dès qu’il connut ces détails, devint furieux,
et n’eut pas beaucoup de peine à décider ses guerriers à
venger l’offense qui venait de lui être faite. Certain d’avoir
facilement raison de ce petit royaume du Bondou, il se mit à la tête
de ses troupes et, après avoir traversé la Falémé à Arondou,
vint camper devant Tafacirga, tandis qu’un autre corps d’armée,
commandé par son fils Guiladio, se dirigeait sur Féna, semant la
ruine et le pillage sur son passage.

De son côté, Ahmady-Gaye, l’aîné des fils de Maka-Guiba, partit
à la tête des guerriers du Bondou, de Dara à l’ouest de Gatiari,
sur la rive droite de la Falémé, et se dirigea contre Sattigui
lui-même. Arrivé à la hauteur du gué de Naïé, il partagea ses
guerriers en deux troupes et confia le commandement de la seconde à
son frère Paté-Gaye, auquel il ordonna de franchir la Falémé et
de marcher contre l’ennemi par la rive gauche pour lui donner une
fausse alerte. Mais lorsque Paté-Gaye arriva à Naïé, et après
avoir passé le gué, il rencontra, entre le village et la rivière,
le corps d’armée de Guiladio. Celui-ci avait appris la marche
d’Ahmady-Gaye contre son père, et il s’était porté en toute
hâte sur le gué, afin de franchir la Falémé et aller barrer
le passage au prince Sissibé. Mais il comptait sans la colonne de
Paté-Gaye. L’action s’engagea aussitôt. Guiladio, à un moment
donné, se trouva à environ cinquante mètres de Paté-Gaye, qui le
reconnut aussitôt, et qu’il reconnut également. Ils échangèrent
à cette distance des coups de feu, mais sans se toucher. Ils se
ruèrent alors l’un sur l’autre dans un furieux corps-à-corps. La
victoire demeurait indécise, et tous les deux étaient blessés,
lorsque Paté-Gaye, prenant son second pistolet, qu’il n’avait
pas déchargé, le dirigea sur la poitrine de Guiladio et l’abattit
sur le coup. En voyant tomber leur chef, les Foutankés (hommes du
Fouta) se débandèrent et s’enfuirent de tous côtés.

Ahmady-Gaye, de son côté, avait continué sa route par la
rive droite de la Falémé, et était tombé sur la colonne de
Sattigui. Les Foutankés se défendirent vaillamment ; mais rien
ne put arrêter l’élan des Bondounkés (hommes du Bondou),
enhardis par le succès obtenu par Paté-Gaye et par la mort de
Guiladio. Sattigui, battu, s’enfuit et rentra dans le Fouta avec
les débris de son armée, dont un grand nombre de guerriers étaient
restés sur le champ de bataille. Il fit alors amende honorable,
et la paix fut signée.

Délivré de Sattigui, Maka-Guiba songea alors à conquérir
le Bambouck. Il leva de nouveau une nombreuse armée, et marcha
contre son vieil adversaire Malinké Sambou-Ahmady-Toumané, chef
de Farabanna. Il vint mettre le siège devant ce gros village. Mais
devant sa résistance, et après avoir passé un long temps devant
ses tatas infranchissables, l’armée du Bondou dut battre en
retraite. Poursuivie par Sambou, elle fut mise en déroute, et ce
fut dans un de ces engagements que fut tué Maka-Guiba.

C’est de Maka-Guiba que datent les deux branches régnantes des
Sissibés. De sa première femme, Diélia-Gaye, il eut quatre fils :
Ahmady-Gaye, Moussa-Gaye, Séga-Gaye, Paté-Gaye. Les trois premiers
montèrent sur le trône, et le dernier mourut encore jeune. Ce sont
leurs descendants qui formèrent la souche royale de Koussan-Almamy.

Avec sa seconde femme, Aïssata-Béla, il eut trois fils :
Ahmady-Aïssata, Malick-Aïssata et Ousman-Tounkara. Le premier régna
longtemps et les deux autres périrent au désastre de Dara-Lamine,
victimes de la vengeance de Paté-Gaye. Leurs descendants formèrent
la branche de Boulébané.

Il existe encore deux autres familles de Sissibés, mais tellement
secondaires, qu’elles ne peuvent aspirer au trône.


                         SAMBA-TOUMANÉ (1764).


Le frère aîné de Maka-Guiba, Toumané-Boubou-Malick-Sy, avait,
en mourant, laissé un fils, nommé Samba-Toumané. Il fit valoir
ses droits à la couronne et fut élu par les notables Guirobés et
Guénars comme étant le doyen d’âge, et cela, selon les lois
d’hérédité en vigueur. Son règne fut de courte durée. Une
intrigue se forma contre lui, et, sous prétexte que son père
n’avait pas osé s’unir avec Maka-Guiba pour reconquérir le
Bondou, il fut banni du pouvoir par les Sissibés, qui se trouvaient
alors dans le Bondou. Expulsé par Ahmady-Gaye, le fils aîné de
Maka-Guiba, il se réfugia dans le Fouta-Toro après deux mois de
règne seulement.

Les Sissibés du Bondou, héritiers de Maka-Guiba et continuateurs
de la politique de Malick-Sy, décidèrent, en même temps, que tous
les princes qui ne s’étaient pas ralliés à la cause de leur
ancêtre seraient par ce fait exclus à tout jamais, eux et leurs
descendants, du trône du Bondou. Ainsi se trouvèrent bannis du
pouvoir les familles de :

1o Samba-Toumané-Malick, fils de Toumané-Boubou-Malick ;

2o Mody-Boubou-Malick ;

3o Alioun-Boubou-Malick.

Il ne restait donc plus que la génération de Maka-Guiba qui serait
appelée à régner, et cela en récompense de ce que leur père
avait reconstitué le royaume du Bondou.


                       AHMADY-GAYE (1764-1785).


En montant sur le trône, après la mort de son père,
Ahmady-Gaye prit le premier le titre d’Almamy (le puissant). Ses
prédécesseurs, comme nous l’avons dit, n’étaient que des
Elimanes (chefs de religion). Il avait hérité de grandes richesses,
et ses sujets purent jouir d’une vie paisible et se livrer à
l’agriculture et à l’élevage des troupeaux.

Ahmady-Gaye avait pris le royaume craint et respecté des voisins ;
et, pour asseoir davantage sa prépondérance, il obligea le Ouli
à signer avec lui un traité d’alliance, et fit avec les Bakiris
plusieurs arrangements heureux.

Mais le Bambouck et le Tenda, se sentant menacés, lui déclarèrent
la guerre, et l’amenèrent à marcher sur Farabanna, dont il dut
abandonner le siège après avoir vainement tenté l’assaut. Il
fut plus heureux dans le Tenda. En peu de jours, il s’y empara de
plusieurs villages et soumit complètement le pays.

Ce fut à son retour de sa campagne dans le Tenda qu’Ahmady-Gaye fit
construire à Koussan-Almamy, à 7 ou 8 kilomètres de Miranguikou,
place forte des Malinkés, un tata formidable pour se défendre
des pillards et des ennemis de sa famille, qui, excités par des
marabouts, tentaient de fomenter des révoltes. Pour les réprimer,
il envoya de suite son frère Paté-Gaye, qui, arrivé devant un
village du Ferlo, dont les portes étaient fermées, les fit enfoncer,
et ayant mandé le chef, le fit mettre à mort. Chaque village eut
à payer un impôt de quatre vaches toutes les fois qu’un Sissibé
y recevrait l’hospitalité. Malgré leur soumission, il maintint
cette amende à tous les villages du Ferlo, et parvint ainsi à
apaiser les troubles que des ambitieux avaient voulu faire naître.

Plus tard, il se présenta deux fois, avec une forte armée, devant
Farabanna, et mourut sans avoir pu se rendre maître de cette
forteresse, mais après avoir eu la satisfaction de voir les murs
de Koussan-Almamy complètement terminés. Ce fut à Dara, prés de
Gatiari, qu’il s’éteignit, en laissant dans tout le Bondou un
souvenir fort respecté.

Ahmady-Gaye est le premier des souverains du Bondou qui ait fait
quelque chose, au point de vue de l’administration du pays. Il
édicta des lois sur la perception des impôts et réglementa les
droits de douane. Il organisa une sorte de police et établit un code
de justice conforme au Coran, dans lequel étaient stipulées les
peines à infliger à ceux qui enfreindraient la sainte loi ou qui
se rendraient coupables envers la société. En d’autres termes,
il essaya d’appliquer le Coran dans toutes les circonstances où
cela était possible.

Ahmady-Gaye laissa sept enfants mâles : Ahmady-Makomba, qui fut
tué à Dellafra (Tenda) ; Toumané-Mody, Malick-Coumba, Ahmadou-Sy,
qui régnèrent ; Abderrahaman-Ahmady-Gaye, Séga-Ahmady-Gaye,
qui périrent à Dara-Lamine, et Salif-Ahmady-Gaye, qui mourut
à Boulébané.

L’aîné, Ahmady-Makomba, était seul fils d’une femme libre ;
les autres avaient pour mère une captive. Aussi Ahmady-Makomba
refusa-t-il de partager ses biens avec ses frères et fut-il reconnu
comme chef de la famille.


                       MOUSSA-GAYE (1785-1790).


Moussa-Gaye, frère d’Ahmady-Gaye, le plus âgé de la famille
royale, succéda à son frère, en vertu des lois de succession. Son
règne fut surtout marqué par la guerre qu’il fit au Guoy. Ce
fut vers cette époque que le chef des Diaybès, N’Diaye-Gauki,
vint s’établir à Bakel, sous la protection de l’almamy
du Bondou. Ahmady-Gaye continua à couvrir de son autorité son
successeur, Silman-Moladiou. C’était vers l’époque de la
première occupation de ce poste par les Anglais. Le tunka de Tuabo
revendiqua comme lui appartenant les terrains de Bakel et voulut
percevoir les droits que les Anglais s’étaient engagés à payer
comme location au chef de ce village. De son côté, Silman-Moladiou
prétendait que, ces terrains ayant appartenu à ses ancêtres,
c’était lui qui devait percevoir l’impôt. Mais, se sentant
trop faible pour pouvoir soutenir la lutte contre le tunka, il vint
demander l’assistance de l’almamy du Bondou. Sur ces entrefaites,
une épidémie s’étant déclarée parmi les hommes qui composaient
la garnison du poste, et presque tous les soldats étant morts, le
commandant dut abandonner Bakel et regagner la côte avec six ou sept
hommes seulement. La cause de discorde disparut donc. Quelque temps
après, un gérant de la Compagnie du Sénégal revint occuper Bakel.

A cette époque, le point où se faisait le principal commerce de
la région était le village de Kounguel. Il y avait alors là une
escale de grande importance, où se trouvaient de nombreux chalands
et même quelques bricks de commerce. Silman-Moladiou, pensant être
secouru par les traitants de Kounguel, refusa un beau jour de payer
à l’almamy du Bondou l’impôt qu’il lui devait verser en
échange de la protection dont celui-ci le couvrait. Moussa-Gaye
se vit donc forcé de prendre les armes contre son ancien allié
et marcha contre Bakel. Silman-Moladiou s’enfuit au premier
choc. La légende rapporte que la grosse pierre que l’on voit
encore suspendue au rocher qui se trouve au bas de la tour de la
Montagne-aux-Singes, à Bakel, a été déplacée par les secousses
que lui ont imprimées les pieds des chevaux de l’almamy Moussa,
lors de l’attaque de Bakel. Son neveu, nommé Sambouddou-Malick,
fils de son frère Malick-Aïssata, fut mortellement atteint dans
le milieu même du village, entre la position actuelle du poste et
l’endroit nommé « L’Hôpital ». Il mourut dans cette même
journée.

Moussa-Gaye, maître de la situation, imposa un impôt aux
commerçants qui viendraient trafiquer à Bakel et à Kounguel. Avant
son avènement au trône, il était, du reste, allé à Saint-Louis
et avait pu, au préalable, traiter cette question avec les
administrateurs des compagnies qui avaient alors la direction du pays.

Dans la dernière année de son règne, il marcha encore contre
les Bakiris, mais fut repoussé à l’attaque qu’il dirigea
contre Goulmy. Il rentra alors à Dara, où il mourut peu après. Il
laissait deux fils : Oumar-Moussa, qui donna naissance aux Sissibés
de Belpounégui, près Sénoudébou, et Malick-Moussa, qui mourut
tout enfant.


                        SÉGA-GAYE (1790-1794).


Séga-Gaye, frère de Moussa-Gaye et héritier direct, selon les lois
en vigueur, succéda à l’almamy défunt. A peine fut-il installé
sur le trône du Bondou, qu’il eut à réprimer les désordres
soulevés par les mécontents, qui avaient fait cause commune avec
ses ennemis. Il continua contre les Bakiris la guerre commencée par
son frère, et le village de Sangalou ayant méconnu son autorité,
il s’en empara, après un brillant assaut, mit à mort un grand
nombre de guerriers et emmena en captivité les femmes et les enfants.

Le tunka de Tuabo ne se sentant plus assez fort pour lutter contre
l’almamy du Bondou, alla solliciter l’appui de celui du Fouta,
Abdoul-Kader. Celui-ci venait d’être élu almamy par les notables
Foutankès. Originaire du Bondou, il était né à Diamwély, près
de Boulébané, et avait été chassé du Bondou par l’almamy
Moussa à la suite des craintes qu’inspirait son fanatisme
religieux. Son autorité reconnue de Dembakané à Dagana, il
résolut de venger l’injure dont il avait été victime de la
part des Sissibés. L’occasion se présentait belle. Il ne la
laissa pas échapper. Sur ces entrefaites, les Bambaras du Ségou
envahissaient le Kaarta, et ses habitants, obligés de chercher un
asile dans le haut Galam, faisaient prévenir de leur arrivée le roi
du Fouta. Abdoul-Kader refusa de les recevoir, et leva une armée pour
les chasser, lorsque ceux-ci, informés de ses mauvaises dispositions,
rebroussèrent chemin et rentrèrent chez eux en brûlant plusieurs
villages pour se venger du refus de protection de l’almamy du Fouta.

Iman, chef d’un des villages incendiés, marabout estimé, vint
se plaindre à Abdoul-Kader que Séga-Gaye avait enlevé sa femme
et sa fille pour en faire ses concubines et lui avait brûlé tous
ses livres sacrés, si nombreux, disait-il, qu’il y en aurait eu
la charge d’un âne. Au nom de Dieu et du prophète, il adjurait
Abdoul-Kader de lui faire rendre justice.

Celui-ci se rendit alors à Marsa, à l’est de Gabou, avec une
armée de 20,000 hommes. Grand-prêtre de la religion de Mahomet,
et tenant à montrer le respect qu’il avait pour le culte, il
somma Séga-Gaye de venir lui rendre compte de sa conduite. Soit
par crainte, soit par confiance, l’almamy du Bondou répondit à
l’appel d’Abdoul et le rejoignit à Marsa. Dès son arrivée,
le roi du Fouta fit saisir son ennemi sans vouloir l’entendre et
le condamna à l’exil dans le Toro. Séga-Gaye sortit ; mais à
peine avait-il fait cent pas hors du camp qu’il était assassiné
par les hommes d’Abdoul et son corps jeté dans un marais, en
présence des guerriers du Bondou, qui, en nombre insuffisant,
ne purent protéger leur chef.

A l’annonce de sa mort, les Bondounkès se trouvèrent embarrassés
pour lui désigner un successeur, et, subissant l’influence
d’Abdoul-Kader, nommèrent roi le fils de Paté-Gaye, Ahmady-Gaye,
homme absolument nul.

En même temps, un parti considérable proclamait Ahmady-Aïssata,
frère de Séga-Gaye, et héritier légitime du trône.

Séga-Gaye laissa un fils, Boubakar-Séga, qui mourut sans s’être
jamais fait remarquer en rien.

Ces événements allaient encore plonger le Bondou dans une guerre
terrible et il allait avoir à lutter contre un ennemi acharné et
maître d’une armée redoutable. C’était à la fois une guerre
extérieure et une guerre civile.


                      AHMADY-AÏSSATA (1794-1819).


Avec Ahmady-Aïssata, la branche des Sissibés de Boulébané monte
sur le trône du Bondou. Son premier soin, en prenant le pouvoir,
fut de ramener à lui les mécontents qui avaient soutenu Ahmady-Paté
et de diminuer ainsi la force de ce dernier.

Il manda près de lui Toumané-Mody et lui fit part de ses projets
à l’égard d’Ahmady-Paté. Toumané l’engagea à ne rien
entreprendre sans avoir essayé une réconciliation et se chargea
de voir Ahmady-Paté, qui ne voulut rien écouter.

Devant cet échec, Ahmady-Aïssata leva une armée, qu’il mit
sous les ordres de Toumané, et l’envoya à Féna, résidence de
son adversaire. Quelques jours après, il rejoignait la troupe et
prenait la ville d’assaut. Ahmady-Paté prit la fuite, et se retira
d’abord à Débou, où il fut inquiété et obligé de demander
asile à Abdoul-Kader, qui le reçut en grande pompe et le présenta
à tous les grands du Fouta. L’année suivante, il accompagna
Abdoul-Kader, qui venait de recruter une armée considérable,
et alla avec lui attaquer le Bondou. Ils investirent peu de jours
après la ville de Dara-Lamine et en tirent le siège. Après quatre
ou cinq jours d’un combat meurtrier, où le Bondou perdit sept
Sissibés, dont deux de la branche régnante, Dara fut pris et
incendié. Malick-Aïssata, frère de l’almamy, y fut tué.

L’étoile d’Ahmady-Paté semblait pâlir. Mais Abdoul-Kader ne
s’exagéra pas les avantages de sa victoire, sachant qu’avec
des hommes comme les Sissibés tout était à craindre.

En effet, Ahmady-Aïssata ne s’était pas laissé abattre par la
défaite. Il se mit en campagne sans perdre un jour, et en peu de
temps il eut recruté une nombreuse armée dans le Konkodougou,
le Diébédougou, le Bélédougou, le Niambia. Mais le plus fort
contingent de guerriers lui fut amené par son allié le roi bambara
du Kaarta, Moussou-Koura-bô, qu’accompagnait son fils Moriba.

Aussitôt après avoir réorganisé ainsi son armée, Ahmady-Aïssata
se mit à la poursuite de ses ennemis. Sur ces entrefaites,
Abdoul-Kader, à la suite d’une de ces révolutions comme il y
en a tant dans les royaumes du Soudan, fut détrôné et obligé de
s’enfuir avec quelques serviteurs fidèles seulement. Il se retira
à Moudiéri, sur le Sénégal. Le chef de ce village, effrayé,
et craignant pour sa propre tête, l’engagea à passer sur la rive
maure, où les armées coalisées ne pourraient le rejoindre. Mais
celui-ci, n’écoutant pas ces conseils, se rendit à Goorick
(Toro), attendant tranquillement et décidé à vendre chèrement sa
vie. L’armée ennemie l’eut vite rattrapé. Quand il vit tous
ses hommes tués sous ses yeux et qu’il n’eut plus d’espoir,
il descendit de cheval et fit son salam au pied d’un arbre.

C’est dans cette position qu’Ahmady-Aïssata le trouva. Il
s’approcha du vaincu, fit les trois saluts d’usage,
et lui demanda compte de l’assassinat commis sur son frère
Séga-Gaye. N’obtenant point de réponse, il tira son pistolet et
l’étendit raide mort à ses pieds, en lui disant : « Allez ! je
vous envoie vers mon frère Séga ! »

La mort d’Abdoul-Kader, survenue sans qu’Ahmady eût pris conseil
de son allié Moussou-Koura-Bô, le roi du Kaarta, mécontenta
vivement ce dernier, qui, comme doyen d’âge, se considérait
comme le commandant en chef de l’armée coalisée. Il reprocha
à l’almamy du Bondou de lui avoir tué son marabout favori, et
il demanda pour payer cette tache royale que le Bondou lui payât
autant d’or qu’en contiendrait le crâne d’Abdoul-Kader. Devant
cette injonction, les chefs du Bondou se réunirent, et, considérant
désormais l’appui du roi bambara comme inutile, l’engagèrent à
rentrer dans ses états. Moussou-Koura-Bô s’éloigna en promettant
à Ahmady-Aïssata de venir bientôt avec une nombreuse armée
châtier son insolence et sa vanité. Mais il mourut peu après son
retour dans le Kaarta sans avoir pu assouvir sa vengeance. Son fils
Moriba lui succéda et hérita de sa haine pour les Sissibés. Aussi,
vers 1815, il écrivit à Ahmady-Aïssata une lettre conçue dans des
termes aussi insolents que ceux de celle que Sattigui avait écrite
à Maka-Guiba et dans laquelle il réclamait au Bondou l’impôt
qu’il disait lui être dû. Ahmady n’hésita pas. Il fit saisir
les envoyés du Kaarta, et, séance tenante, leur fit couper le cou,
n’en épargnant qu’un seul, qu’il chargea d’aller dire à
son maître qu’en fait de tribut et d’impôt, il lui enverrait
les balles de ses fusils. En même temps, il leva son armée et se
mit en marche sur le Kaarta. Mais Moriba, prévenu de ses desseins
et après avoir traversé le Sénégal à Dramané et la Falémé
au gué de Béréba, venait mettre le siège devant Boulébané,
après avoir ravagé une grande partie du Ferlo.

Plusieurs fois, le roi bambara tenta vainement l’assaut de ce fort
village qui était héroïquement défendu par un petit nombre de
jeunes gens renfermés dans le palais de l’almamy. Il résolut
alors de le prendre par la famine, et, voyant qu’il lui faudrait
plusieurs mois pour en venir à bout, il se fit construire, pour lui
et sa suite, en face de l’ennemi, un tata véritable dont on voit
encore les ruines.

De leur côté, les Sissibés ne restaient pas inactifs et faisaient
tous leurs efforts pour délivrer leur capitale. Salif-Ahmady-Gaye,
neveu d’Ahmady-Aïssata, parti avec une forte troupe de
Koussan-Almamy, parvint à pénétrer dans Boulébané et à
ravitailler ses défenseurs, mais il fut tué quelques jours après
dans une sortie contre les Bambaras. Maka-Diara, chef de Sambacolo,
attaqua également le camp de Moriba, sans cependant pouvoir
l’entamer ; il fut forcé de se retirer.

Le siège traînait depuis longtemps en longueur. Il n’y avait plus,
pour ainsi dire, de vivres dans la place, et Boulébané, affamé,
allait être forcé de se rendre. La fortune semblait se tourner
du côté des Bambaras. Moriba, se croyant hors d’atteinte et
sûr de vaincre, laissa ses hommes se répandre dans les environs
pour y piller et faire des captifs. Aussi fut-il littéralement
surpris lorsque Ahmady-Aïssata, ayant renforcé son armée par des
contingents recrutés dans le Bambouck, se rua sur les Bambaras.

L’armée du Kaarta fut mise en déroute, abandonnant tout le butin
et les nombreux captifs qu’elle avait faits depuis son entrée dans
le Bondou. Les guerriers se dispersèrent par toute la campagne,
de telle sorte que, durant plusieurs semaines, on en rencontra qui
erraient affamés dans la brousse. On raconte même qu’il y en
eut beaucoup qui furent faits prisonniers par des femmes mêmes
du Bondou. Moriba essaya bien de rallier les fuyards, mais il fut
encore poursuivi par les Bondounkés qui tuèrent sans pitié tous
les soldats ennemis tombés entre leurs mains. Il eut beaucoup de
peine à rentrer dans son royaume avec quelques hommes seulement
qui lui restèrent fidèles.

Ce combat eut lieu en mai 1817. Un an plus tard, Ahmady-Aïssata
alla mettre le siège devant Tambo-N’Kané. Le blocus était déjà
avancé et on avait dû creuser des puits de 40 pieds de profondeur
pour avoir de l’eau, lorsque apparut, sur la rive opposée,
une troupe d’environ 400 cavaliers. A cette vue, Ahmady croit
avoir affaire à une armée considérable et lève le siège pour
se retirer à Lanel qui lui avait ouvert ses portes. C’étaient
des Kaartans qui venaient encore l’attaquer. Ils traversèrent
le fleuve et se mirent à la poursuite de l’almamy du Bondou. En
arrivant devant Lanel, ils trouvèrent la ville fermée et une forte
armée dans ses murs pour protéger l’almamy. Ils retournèrent
alors à Tambo-N’Kané attendre un renfort de troupes.

De son côté, Ahmady avait demandé du secours à Ava-Demba, chef
du Fouta-Toro ; mais aucun des deux camps n’eut avant un mois les
hommes sur lesquels il comptait.

Quand l’armée coalisée fut au complet, elle fut commandée par
le chef du Guidimakha, doyen d’âge, et qui avait fourni le plus
fort contingent. Ce chef se nommait Samba-Gangioli. Elle se composait
des guerriers de ce pays, de ceux du Kaarta et d’un détachement
du Khasso, commandé par le prince Saféry, soit environ 2,500 hommes.

Les forces d’Ahmady comprenaient le Bondou et une bonne partie du
Fouta-Toro et du Gadiaga, sous les ordres d’un neveu de Saféry.

En août 1818, les deux armées se trouvèrent en présence et se
livrèrent des combats terribles ; après une lutte acharnée,
l’almamy, vaincu, dut s’enfuir dans le Toro, laissant les
cavaliers du Kaarta rentrer dans le Bondou qu’ils ravagèrent de
toutes façons.

Ahmady essaya bien de persuader à tous les chefs de se liguer de
nouveau pour forcer Samba-Gangioli à s’éloigner du Bondou,
mais ceux-ci refusèrent de le seconder dans une entreprise qui
leur paraissait douteuse, et insistèrent, au contraire, pour faire
la paix. Dans ce but, une grande assemblée se réunit à Marsa et
envoya des négociateurs auprès de Samba-Gangioli, qui, vers 1818,
consentit à signer le traité qu’on lui proposait.

Après ces faits marquants, Ahmady-Aïssata fit avec succès la
guerre aux Bakiris. Il se mit de nouveau en campagne contre les
Malinkés qui, pendant le siège de Boulébané, s’étaient permis
de venir piller et rançonner plusieurs villages du Bondou. Lally
et Sourraly, sur la rive gauche de la Falémé, furent emportés
d’assaut. L’almamy marcha ensuite jusque sur Gamon, dont il
prit la moitié, mais fut forcé de se retirer devant l’attitude
des défenseurs. L’année suivante, il attaqua le Kantora et,
après plusieurs batailles peu importantes et sans aucun résultat,
il revint dans le Bondou.

Vers cette époque, le major Grey traversait le Bondou à la
tête d’une expédition anglaise. Retenu depuis quelque temps
à Samba-Cantaye, où il campait, il se disposait à aller rendre
visite aux bâtiments français venus pour construire un poste à
Bakel, en compagnie de l’almamy qui avait manifesté le désir
de saluer nos officiers, lorsque celui-ci tomba malade à Kéniou,
à 4 kilomètres de Kounguel.

Le major Grey poursuivit seul sa route, et quand il revint, plus tard,
au camp d’Ahmady, il le trouva alité et miné par une maladie dont
il ne devait pas se relever. Approchant ses lèvres de l’oreille du
major, il lui dit d’une voix affaiblie : « Que les hommes sont
fripons ; au moment de mourir, je comprends combien ceux qui me
craignaient auront de regrets et apprécieront trop tard ma valeur. »

Dès ce moment, Ahmady ne fit que décliner, et il mourut à
Boulébané le 8 janvier 1819. Il laissait trois fils : Saada
Ahmady-Aïssata et Oumar-Sané, qui régnèrent, et Bokkar-Sané,
qui mourut dans la plus profonde obscurité.


                MOUSSA-YÉRO-MALICK-AÏSSATA (1819-1827).


A la mort d’Ahmady, trois prétendants se présentaient pour
recueillir sa succession : Toumané-Mady, Moussa-Yéro-Malick-Aïssata
et Malick-Samba-Toumané, son cousin et héritier le plus direct. Les
Sissibés portèrent leur choix sur Moussa-Yéro-Malick-Aïssata,
qui fut élu almamy le 20 janvier 1819. Ahmady-Kama, descendant de
Toumané-Boubou-Malick, avait bien essayé aussi d’élever des
prétentions au trône du Bondou, malgré l’exclusion qui avait
été prononcée contre sa famille par les héritiers politiques
de Maka-Guiba, mais il fut écarté et sa candidature ne fut même
pas discutée.

Moussa-Yéro-Malick était un homme relativement paisible, aussi
son règne ne fut-il marqué que par des expéditions de peu
d’importance. Il envoya ses colonnes contre Farabanna, dans le
Niagala, et contre Goulmy, Kotéra et Moussala, dans le Kaméra. Les
N’Diaybès, de Bakel, eurent également à essuyer ses feux ; mais
en dernier lieu, protégés par les canons du fort que nous venions
d’y construire, il furent laissés en repos par Moussa qui incendia
leurs récoltes et parvint ainsi à les empêcher d’inquiéter le
Bas-Bondou. Il établit des impôts sur les gens du Bambouck, du Ouli
et du Tenda, et réussit à garantir ses frontières du brigandage des
peuplades voisines. Mais il se comporta mal avec l’expédition du
major Grey, qu’il retint longtemps, espérant toujours en obtenir
de nouveaux cadeaux. En janvier 1819, le major put enfin partir,
après avoir failli être plusieurs fois victime des indigènes.

Moussa mourut en 1827. Il avait régné huit ans.

Il laissa trois enfants, dont aucun ne devait monter sur le trône,
et qui, tous, moururent à la suite d’El-Hadj-Oumar. Ce furent :
Demba-Moussa, Saada-Doudé et Bala-Setté.


                       TOUMANÉ-MODY (1827-1835).


A la mort de Moussa-Yéro-Malick-Aïssata, Ahmady-Saada, fils
d’Ahmady-Aïssata, voulut se faire couronner. Il avait des droits
légitimes, mais son avarice le fit échouer. Ahmady-Kama, de son
côté, chercha encore à monter sur le trône du Bondou ; mais il
trouva contre lui Toumané-Mody, le fils aîné d’Ahmady-Gaye, qui,
cette fois, pour couper court à toutes réclamations de ce prince,
se fit couronner almamy à Koussan.

Ahmady-Kama essaya de contrecarrer l’autorité de
Toumané-Mody. Celui-ci, pour en finir, expédia contre lui son
frère Malick-Coumba qui, à la tête de quelques guerriers, le
força à se réfugier dans le Toro.

Toumané-Mody eut à lutter contre les Malinkés du Bambouck et
contre le Tenda. La dernière année de son règne, il traversa la
Gambie et marcha contre Coppar, dans le Ghabou. Il s’empara de ce
village, mais au moment de rentrer dans le Bondou, tous les habitants
du Ghabou se levèrent en masse et lui barrèrent le passage dans
un étroit sentier bordé de bambous très épais. L’armée du
Bondou fut dispersée et l’almamy lui-même fut blessé au cou. Il
rentra en grand désordre à Boulébané et ne guérit jamais de sa
blessure. Il en mourut dans ce village un an après.

Toumané-Mody laissa douze enfants, dont voici les noms :
Samba-Toumané, mort dans la journée de Fissa-Daro, pendant les
guerres civiles ; Alkossoun, assassiné à Somsom-Tata ; Abbas
et Ibrahim-Ténendia, morts sans régner ; Oumar-Bily-Carry,
Abdoul-Saloum, Ely-Guitta, Hamet, morts chez El-Hadj-Oumar sans
postérité, ainsi que Boubakar-Sidik ; Séga-Toumané, mort chez
El-Hadj, en laissant un fils à Nioro et l’autre à Koussan-Almamy ;
Sourakoto, mort chez El-Hadj, et dont le fils vit dans le Bondou,
et enfin Salif, qui vit encore à Koussan-Almamy.


                      MALICK-COUMBA (1835-1839).


Malick-Coumba, frère de Toumané-Mody et son héritier direct,
lui succéda. Ahmady-Kama essaya encore une fois de s’asseoir
sur le trône du Bondou. Mais Malick-Coumba, pour le mettre à la
raison, lui envoya encore quelques troupes qui l’enfermèrent
dans le village de Dialiguel, sur la rive droite de la Falémé,
et le forcèrent ainsi à se tenir en repos. Il renonça, dès lors,
à faire valoir des prétentions que rien ne justifiait, et l’on
n’entendit plus parler de lui.

Malick continua l’œuvre de paix commencée par Toumané et, par
son intégrité, se concilia facilement tous les esprits. Il eut
néanmoins à réprimer quelques abus des Sissibés, qui cherchaient
à soulever le peuple contre lui, et, en plusieurs circonstances, il
dut envoyer des troupes contre les Maures qui passaient le Sénégal
et venaient piller jusque dans le Bondou. Il continua mollement les
guerres entreprises par ses prédécesseurs contre le Bambouck et
le Tenda. Son règne, en résumé, fut assez calme et il mourut à
Koussan-Almamy sans jamais avoir rien fait d’extraordinaire. Après
quatre ans de règne, il s’éteignit en 1839 en laissant cinq
enfants qui suivirent tous la fortune d’El-Hadj-Oumar et moururent
à ses côtés. Ce furent : Samba-Gaissiry, Moussa-Yéro-Malick,
Boubakar-Malick, Boïla-Malick et enfin Alioun-Malick.


                   SAADA-AHMADY-AÏSSATA (1839-1851).


Après la mort de Malick, tous les Sissibés influents se mirent
en avant pour lui succéder. Ahmadou-Sy son frère, héritier
direct, avait peu de partisans. En présence de compétitions aussi
nombreuses, les courtisans et les captifs de la couronne se réunirent
et nommèrent Saada-Ahmady-Aïssata, fils d’Ahmady-Aïssata. Le
sort favorisait encore la branche de Boulébané. Les Sissibés
de Koussan-Almamy durent baisser la tête, non sans exprimer leur
mécontentement.

A peine fut-il monté sur le trône qu’il eut à soutenir contre
le Guoy et le Kaméra une guerre qui se termina promptement sans
grandes pertes des deux côtés. Peu après il eut à lutter contre
les Maures qui, sans aucun motif, avaient, sous la conduite de leur
chef Déya, envahi une partie des états de l’almamy. Celui-ci se
porta à leur rencontre et les attaqua au gué de Béréba, près de
N’Dangan, sur la Falémé. Les Maures furent complètement défaits,
et depuis cette époque ils ne se sont plus hasardés à traverser
la Falémé pour envahir le Tiali.

Mais toutes ces expéditions étaient peu fructueuses, et le butin
qu’elles rapportaient était bien insuffisant pour satisfaire
l’avidité de la horde affamée des princes sissibés. Aussi,
afin de se faire bien venir d’eux, Saada leva-t-il une nombreuse
armée dont il prit le commandement et alla-t-il attaquer le Saloum,
dont les habitants pillaient toutes les caravanes qui revenaient du
Bondou après y avoir fait le commerce des chevaux et des captifs. Il
traversa le Ouli et le Niani en quelques jours, et s’empara de
plusieurs villages du Djoloff.

Le roi du Saloum, Bala-Dougou, dut faire sa soumission et demander
la paix, que Saada lui accorda, moyennant une forte somme d’argent
et plusieurs centaines de pièces de guinée. Il lui fit promettre,
en outre, de ne jamais plus inquiéter les caravanes du Bondou et de
les laisser commercer librement sur tout son territoire. Il rentra
chez lui, ramenant un immense butin et une partie de la population
des pays soumis.

Durant cette campagne, il causa une telle frayeur et une telle
admiration aussi aux tiédos (soldats) du bour (roi) du Saloum que
ceux qui eurent, cette année-là, des enfants mâles dans le pays,
les surnommèrent Saada.

L’expédition du Saloum eut un grand retentissement. Tous les
souverains voisins s’empressèrent d’envoyer vers l’almamy
des députations chargées de lui faire part de leur sincère
désir de vivre en paix avec le Bondou, et, pour donner plus de
poids à leurs protestations respectueuses, lui firent offrir des
présents assez importants. Le Tenda seul refusa de lui témoigner
ses déférences. Aussi Saada résolut-il de se venger et leva
une armée qui vint s’installer sous les murs de Diamjoïko,
capitale du Tenda. Après une énergique résistance des assiégés,
les Bondounkés s’emparèrent de cette ville et firent main basse
sur toutes les richesses qu’elle renfermait. Après un repos de
quelques jours, l’armée de Saada reprit le chemin du Bondou,
en infligeant de dures leçons à tous les villages du Tenda qui,
trop faibles pour l’attaquer, arrivaient à l’inquiéter et à
retarder sa marche.

Saada avait une cavalerie absolument dépourvue de montures, et
pour remplir ce vide il ne trouva rien de mieux que de tomber sur
le Ouli pour y ramasser un butin en vue de subvenir aux achats de
chevaux. Comme il arrivait à Naoudé (village de la frontière sud
du Bondou), il se trouva insulté par Lalli-Penda, chef de Gouniam,
près de Bakel, qui l’accompagnait et avait répondu par un refus
formel à une demande de l’almamy.

Invité de suite à quitter le camp, Lalli-Penda rentra chez lui
et apprenant peu de jours après que Saada voulait l’attaquer,
il lui fit des propositions de paix. Sur le point de les accueillir
favorablement, car il lui semblait peu politique d’entrer en lutte
avec les Bakiris, ennemis acharnés de Mayacine, de Makhana, qui
était en guerre continuelle avec le Bondou, Saada préféra à la
politique l’honneur de son pays et refusa toute réconciliation. De
ce moment il ordonna à tous ses soldats de tout ravager et de
tout brûler sur leur passage et, après des fatigues inouïes,
arriva devant Gouniam, qu’il attaqua le lendemain. Malgré tous
ses efforts, l’armée du Bondou dut battre en retraite après
avoir perdu beaucoup de monde.

Deux mois après, Lalli-Penda, comprenant que son succès amènerait
infailliblement une revanche, dont il prévoyait les suites terribles,
fit de nouvelles propositions de paix à Saada qui, cette fois,
les accueillit favorablement.

L’année suivante, Saada se dirigeait vers le Bambouck, mais les
Sissibés mécontents de lui, ne voulurent pas le seconder. Il dut se
contenter de parcourir le pays en prélevant des impôts et pénétra
même jusque dans le Tambaoura, dont il rapporta de riches butins.

C’est sous son règne que fut envoyée vers l’almamy du Bondou une
mission française chargée de traiter avec lui de l’établissement
d’un comptoir à Sénoudébou. Ce comptoir devait être en même
temps un poste frontière.

Cette mission était composée de MM. Parent, officier du génie,
chef ; Menu-Dessables, Paul Holle, commandant du fort de Bakel,
et Potin-Patterson, agent de la Compagnie.

Saada convoqua à Sénoudébou tous les Sissibés de Boulébané et de
Koussan-Almamy pour leur transmettre la proposition du gouvernement
français. Elle fut combattue par ces derniers : « Si vous laissez
les blancs, disaient-ils à l’almamy, s’installer chez nous,
nous ne serons bientôt plus maîtres de nos femmes et de nos
captifs ; nous voulons commercer avec eux, mais nous n’entendons
pas qu’ils soient nos maîtres. Du reste, vous êtes souverain,
décidez et nous nous inclinerons. »

L’almamy répondit à ces observations : « Le Bondou
m’appartient, à moi donc de décider. Je veux que les blancs
s’établissent dans notre pays. »

Le fort fut vite construit, et à peine les bastions furent-ils
élevés que chacun se trouva garni d’une pièce de canon. A
cette vue Saada devint furieux : « J’avais permis, disait-il,
l’établissement d’un comptoir et non d’un fort armé. »

Ce fut seulement au mois d’août 1847 que M. de Grammont, gouverneur
du Sénégal, vint à Sénoudébou et eut une entrevue avec Saada,
qui persistait toujours pour l’enlèvement des canons.

Paul Holle, qui accompagnait le gouverneur, très lié avec le roi
du Bondou qui avait grande confiance en lui, crut devoir essayer de
son influence et lui dit : « Almamy Saada, vous avez à Boulébané
deux canons que vous a donnés Duranthon et ils vous servent à
protéger vos biens de tout pillage. Pourquoi ne voulez-vous pas que
nous protégions par les mêmes moyens les grandes valeurs que nous
allons déposer dans notre comptoir ? Si nous n’avions rien pour
intimider les voleurs, ils viendraient prendre nos marchandises et
feraient ainsi une mauvaise réputation à votre pays. »

Ces paroles et un cadeau persuadèrent Saada, et les canons
restèrent.

Les richesses du Bondou et les produits qu’on en tirait avaient
captivé la Compagnie de Galam, qui espérait qu’à proximité
des mines de Kéniéba, les seules connues, on pourrait tenter la
création d’ateliers de lavage des terres aurifères ; mais les
difficultés que l’on rencontra firent abandonner ce projet,
dont les résultats étaient fort douteux. Déjà, en 1843, une
mission avait été envoyée pour faire l’hydrographie de la
Falémé et visiter les mines d’or de Kéniéba. M. Raffenel,
officier du commissariat de la marine, en faisait partie et eut
à rédiger le journal de route. La mission rendit visite à
l’almamy Saada à Boulébané. L’accueil qu’elle en reçut
fut cordial. Elle eut surtout à se louer de son fils Boubakar,
qui lui offrit l’hospitalité à Sénoudébou.

L’almamy Saada mourut dans les derniers jours de l’année
1851. Cette année-là les sauterelles avaient envahi le Bondou
et y avaient fait de grands ravages. Il laissa six enfants :
Ahmady-Saada, mort à Gabou sans avoir régné ; Boubakar-Saada, qui
régna ; Ciré-Soma, mort sans régner et dont le fils vit encore
à Sénoudébou ; Koli-Mody, mort tout récemment dans le Macina ;
Ousman-Saada, mort sans avoir régné, et enfin Oumar-Penda, qui
régna et fut tué par le marabout Mahmadou-Lamine.


                        AHMADOU-SY (1852-1853).


Ahmadou-Sy, fils d’Ahmady-Gaye et frère de Toumané-Mody, monta
régulièrement sur le trône du Bondou à la mort de l’almamy
Saada. C’était le plus âgé des Sissibés. La branche de
Boulébané, s’appuyant sur son grand âge qui le rendait incapable
de bien gouverner, ne voulait pas de lui, mais les Sissibés de
Koussan réussirent à le faire nommer almamy. Profitant de sa
faiblesse, ses ennemis pillèrent et confisquèrent les biens
de quelques malheureux, cherchant aussi à les soulever contre
lui. Leurs plans furent déjoués, car après un an de règne,
Ahmadou-Sy mourait, âgé de quatre-vingt-dix ans.

Il avait continué la guerre contre les Sarracolés et les
Malinkés. Il poussa même une pointe jusqu’au cœur du Kaméra. Le
chef du village de Makhana, sur le Sénégal, avait depuis longtemps
des démêlés avec son collègue de Magal-Lagaré. Se sentant trop
faible pour lutter contre lui, il implora l’appui de l’almamy
du Bondou et vint à Koussan se mettre sous la protection
d’Ahmadou-Sy. Celui-ci donna quelques troupes à son neveu
Séga-Toumané, fils de Toumané-Mody, qui marcha immédiatement
contre Magal-Lagaré et s’en empara sans coup férir. Le village
fut mis au pillage et Séga rentra à Koussan sans être inquiété.

L’almamy Ahmadou-Sy laissa en mourant quatre fils, dont un seul
vit encore à Sénoudébou, Séga-Ahmadou. Les trois autres,
Ahmady-Ahmadou, Toumané-Ahmadou et Moussa-Yéro, suivirent
El-Hadj-Oumar et moururent dans le Ségou.


              OUMAR-SANÉ ET AHMADY-GAYE (guerre civile).

               EL-HADJ-OUMAR DANS LE BUNDOU (1853-1857).


A la mort d’Ahmadou-Sy, le trône du Bondou donna lieu à
d’ardentes compétitions et à des dissensions si profondes entre
les deux branches royales de Boulébané et de Koussan-Almamy,
qu’elles dégénérèrent en une guerre civile longue et acharnée
qui mit le Bondou à deux doigts de sa perte et fut une des causes
les plus importantes du démembrement et de la dépopulation de ce
grand pays.

L’héritier légitime du trône était Oumar-Sané, fils
d’Ahmady-Aïssata et frère de l’almamy Saada. Il ne fut pas
reconnu par les Sissibés de Boulébané. Escorté par les fils
de l’almamy Saada, ses propres neveux, il alla se mettre sous la
protection des Sissibés de Koussan-Almamy, qui le proclamèrent et
le firent rentrer à Boulébané.

Le fils aîné de l’almamy Saada, Ahmady-Saada, se retira alors
à Gabou, à 25 kilomètres environ de Bakel. Boubakar-Saada et
ses autres frères restèrent à Sénoudébou. Tout en contestant
à leur oncle ses droits au pouvoir, ils protégeaient un prince
nommé Ahmady-Gaye, fils d’Ousman-Coumba-Tounkara, un des sept
princes sissibés qui, à la mémorable défense de Dara-Lamine,
avaient préféré la mort à la captivité. Séga-Toumané, fils
aîné de l’almamy Toumané-Mody et chef de la branche de Koussan,
fit tous ses efforts pour faire comprendre à Ahmady-Saada que la loi
du pays s’opposait formellement à ce qu’un autre qu’Oumar-Sané
fût proclamé almamy. Ce fut en vain ; Ahmady-Saada s’y refusa
net et persista dans la première résolution qu’il avait prise
de proclamer Ahmady-Gaye, sous prétexte que l’almamy Saada, son
père, l’avait, en mourant, désigné comme son successeur. Il le
fit reconnaître par son parti et vint s’établir avec lui et ses
partisans dans le Lèze-Bondou, à Gabou.

La guerre ne tarda pas à éclater entre les deux partis. Les
Sissibés de Koussan levèrent une armée qui, sous la conduite de
Toumané-Samba, vint attaquer à Fissa-Daro Ahmady-Saada qui s’y
était enfermé avec de nombreux guerriers, grossis d’un contingent
de Bambaras du Kaarta. L’armée de Koussan tenta l’assaut de
Fissa-Daro, mais fut repoussée à plusieurs reprises. Toumané-Samba
fut mortellement atteint. Ses hommes, terrifiés, battirent en
retraite, l’abandonnant sur le champ de bataille. Ses meilleurs
guerriers perdirent la vie dans cette affaire. Un autre Sissibé de
Koussan, nommé Baïla-Malick, fils de Malick-Coumba et cousin de
Samba-Toumané, fut compté au nombre des morts.

Cependant, à force d’insistances et de pourparlers, les notables du
Bondou parvinrent à opérer un rapprochement entre les Sissibés. La
ruine et la désolation s’étaient abattues sur le pays, et tout
le peuple se croyait forcé de le quitter, si une solution ramenant
la paix n’intervenait pas rapidement. Des démarches furent alors
tentées ; les deux partis décidèrent qu’un grand palabre aurait
lieu à Diamwély, au centre du Bondou, dans lequel on choisirait un
seul des deux almamys pour le pouvoir. Il aurait comme successeur
immédiat son compétiteur présent. L’accord était presque sur
le point de se conclure, lorsque apparut dans le Bondou le prophète
El-Hadj-Oumar.

Ce marabout fameux, cet homme qui, hier encore obscur et inconnu,
réussit à fanatiser la plus grande partie du Soudan occidental et
à créer de toutes pièces le plus grand empire noir qui ait jamais
existé en Afrique, naquit vers la fin du XVIIIe siècle à Aloar,
près Podor, d’une famille de Toucouleurs Séléiobés. Dès son
jeune âge, il se distingua par une grande réputation de sainteté
et attira ainsi autour de lui bon nombre de disciples. Pour se rendre
encore plus célèbre, il songea à aller se purifier à la Mecque ;
mais il était sans ressources et dut solliciter des marabouts de
Saint-Louis les moyens d’accomplir son voyage ; en 1825, il vint au
chef-lieu de notre colonie, où les musulmans lui firent un chaleureux
accueil et le comblèrent de présents. L’année suivante, il se
mettait en route à travers l’Afrique pour se rendre à la ville
sainte. Pendant toute la durée de ce long et pénible voyage et
jusqu’en 1842 on n’entendit plus parler de lui. A cette époque,
il revint dans le Ségou, prêchant, prophétisant et vendant très
bien ses gris-gris réputés miraculeux.

On pensait qu’il allait venir briguer la dignité d’almamy du
Fouta-Toro, mais il se dirigea vers le Fouta-Djallon et se construisit
à Dinguiray un tata pour y enfermer ses richesses. De tous côtés
affluèrent des cadeaux qui étaient immédiatement convertis en
armes et munitions.

En 1847, il visita son pays natal et poussa jusqu’à l’escale
du Coq, où les traitants de Saint-Louis lui firent un accueil
enthousiaste et obtinrent même un bateau à vapeur pour le ramener
chez lui.

El-Hadj reprochait souvent leur apathie aux gens du Fouta et irritait
en même temps les princes, qui tentèrent de le faire assassiner.

Au mois d’août 1847, il se rencontrait à Bakel avec MM. de
Grammont, gouverneur du Sénégal, et Caille, directeur des
affaires politiques, et, en présence de Paul Holle, il leur tint
ce langage : « Je suis l’ami des blancs, je veux la paix, je
déteste l’injure. Quand un chrétien a payé la coutume, il doit
pouvoir commercer librement. Le jour où je serai almamy du Fouta,
construisez-moi un fort. Je disciplinerai le pays et nous aurons
des relations amicales. »

De retour dans le Fouta-Djallon, la tête remplie de projets,
il redoubla d’activité pour attirer à lui le plus possible de
partisans. Quand il crut le moment venu, il envoya une députation
au chef de Tamba, village situé sur les frontières du Bondou, du
Bambouck et du Fouta-Djallon, pour obliger les habitants à embrasser
la religion du prophète. Ses messagers furent éconduits. El-Hadj,
furieux, résolut de s’emparer de force de ce point stratégique,
et au mois d’août 1852 il se rendit maître de Tamba, dont il
massacra presque tous les habitants.

Pour donner un prétexte à ses entreprises ambitieuses, il disait
bien haut que la gloire de Dieu et la conversion des infidèles
étaient les seuls motifs qui le poussaient à faire la guerre.

En 1853, il pénétra dans le Bambouck, qu’il suivit de village
en village, appelant et prêchant les habitants, pendant que ses
émissaires parcouraient le Khasso, le Bondou et le Guidimakha.

En 1854, il était devant Farabanna ; il appela les chefs et les
retint sous une cause quelconque pour faire gouverner la ville par un
de ses marabouts, avec ordre de détruire les tatas devant lesquels
étaient venues s’échouer les forces du Bondou, du Bambouck et
du Khasso.

Désormais libre de ses mouvements, il fit de Farabanna le centre
de ses opérations, et, se posant en arbitre souverain, il convoqua
dans sa nouvelle capitale tous les chefs des pays environnants. Ceux
du Guoy, du Khasso, du Guidimakha, du Fouta, les Sissibés de
Boulébané et de Koussan répondirent à son appel. Ces derniers
soumirent à son arbitrage le différend qui les séparait et les
avait armés les uns contre les autres. El-Hadj, pour la forme,
proclama almamy Oumar-Sané, et trouva le moyen de faire cesser
les luttes intestines qui désolaient le Bondou, en le supprimant
pour ainsi dire et en emmenant ses princes et leurs sujets à sa
suite. « Laissez-là, leur dit-il, vos querelles, que je réglerai
à mon retour. Pour le moment, vous devez me suivre à la conquête
des pays infidèles. » Les Bondounkés sont comme les autres
peuples de race noire et musulmans, ils s’acclimatent vite avec le
fanatisme, et ils n’attendaient qu’une occasion favorable pour
se ranger sous la bannière du faux prophète. Le plus grand nombre
des Sissibés se réunit donc aux contingents d’El-Hadj-Oumar,
qui leur déclara qu’il ne restait plus aucun pouvoir que celui
de Dieu, qu’il représentait. Les habitants, fatigués d’être
sous les ordres de chefs qui leur imposaient de lourdes charges,
suivirent le grand marabout dans le Nioro, abandonnant ainsi leur
pays, qui devint la proie de ses talibés (disciples).

Ahmady-Saada, désespéré, rentra malade à Gabou et y mourut peu
après. Quant aux deux almamys, ils suivirent El-Hadj et moururent à
ses côtés. Oumar-Sané fut tué au siège de Médine en laissant
un fils, Abbas-Oumar, qui mourut à Nioro. Ahmady-Gaye succomba
à Yellimané. Il laissa deux fils : Oumar-Ahmady-Gaye, qui mourut
sans régner, et Abdoul-Ahmady-Gaye, qui vit encore à Diamwély,
près de Boulébané.

Les princes sissibés qui avaient suivi El-Hadj combattirent à ses
côtés pendant toutes ses campagnes. Nous ne rééditerons point
ici tout ce qui a été dit au sujet du grand marabout. Sa vie
et ses hauts faits sont aujourd’hui trop connus. Nous prierons
seulement le lecteur que cela pourrait intéresser de vouloir
bien se reporter au récit qu’en a fait, dans la relation de son
_Voyage au pays de Ségou_, le grand explorateur, M. le lieutenant
de vaisseau Mage. Jusqu’à ce jour, il n’a rien été fait de
plus complet sur cette partie de l’histoire du Soudan, et nous
nous contenterons simplement de rapporter ce qui touche de près
au royaume du Bondou. On n’ignore pas qu’après la prise de
Yellimané, la capitale des Massassis-Coulibalys, rois du Kaarta,
El-Hadj fit exécuter 200 des plus nobles Bambaras qu’il avait
faits prisonniers. Boubakar-Saada, l’un des fils de l’almamy
Saada, qui, comme ses parents, avait suivi le faux prophète, ne
put faire autrement qu’intercéder pour ses oncles. Il était, en
effet, fils d’une princesse Massassi que son père avait épousée
comme gage d’alliance avec les Bambaras du Kaarta. Cette démarche
le rendit suspect aux yeux d’El-Hadj. De plus, les talibés le
dénoncèrent comme partisan des infidèles. Il fut alors pris et
gardé à vue par les gens du marabout. Sur le point d’être mis
à mort, il réussit à s’échapper et vint à Médine, où il
rencontra le lieutenant-colonel du génie Faidherbe, qui le prit sous
sa protection et qui, voyant le Bondou sans chef et dans l’anarchie
la plus complète, le nomma almamy, le 5 octobre 1855.

Au commencement de mars 1856, une bande de Toucouleurs de l’armée
d’El-Hadj revenant du Kaarta et commandée par deux grands marabouts
du Fouta nommés Belli et Tierno-Allioun, forçait le Bondou
à se soulever de nouveau contre nous et contre son almamy. Ils
s’emparèrent de Bordé, village situé près de Bakel et qui
avait hésité à prendre parti pour eux. Enhardis par ce succès,
ils vinrent enlever le troupeau du poste. On courut après eux et
on leur tua 50 hommes. On leur prit 400 captifs qu’ils ramenaient
de leur guerre sainte, 14 chevaux, des bœufs, des ânes et du
butin qu’on mit 4 jours à transporter à Bakel. Les deux chefs
toucouleurs restèrent sur le champ de bataille.

A la suite de ces événements, Boubakar reprit la campagne avec
3 ou 400 partisans, et M. Girardot, commandant de Sénoudébou, se
réunit à lui. Ils détruisirent le village de Débou qui s’était
révolté et y firent plus de 400 prisonniers. Peu de jours après,
le commandant de Sénoudébou brûlait le village Touldéouoro, aidé
par Boubakar-Saada. Ils ne perdirent que 2 hommes et en tuèrent 30
à l’ennemi, entre autres un prince sissibé nommé Boubakar-Malick.

Le 5 avril 1856, 500 Bondounkés cherchèrent à enlever le troupeau
de Sénoudébou ; 50 hommes du poste, 80 du village et 100 Malinkés
les repoussèrent vigoureusement. Par suite de cette agression, on
alla quelques jours après brûler Naïé, où plus de 200 prisonniers
périrent dans les flammes. On fit aussi quelques prisonniers,
entre autres un grand marabout d’El-Hadj, chef de la bande qui
avait attaqué le troupeau du poste et qui fut fusillé sur-le-champ.

Le 7 avril, le village sous le poste est attaqué de nouveau et
l’ennemi repoussé.

Le 7 mai, à sept heures du matin, le fort et le village de
Sénoudébou furent encore assaillis par plus de 2,000 hommes. Le
combat se prolongea jusqu’à six heures du soir. L’ennemi fut
de nouveau repoussé.

Le 21 du même mois, un marabout du Fouta-Djallon, avec une armée
de 4,000 hommes du Bondou, du Kaméra, du Fouta, tenta une nouvelle
attaque ; après une fusillade de cinq heures, il se retira à 3
kilomètres, laissant trois morts.

Dans la nuit du 23, il fit une nouvelle attaque sans résultat. Enfin,
le 24 à onze heures, divisé en trois corps, l’ennemi vint tenter
un nouvel assaut. Trois fois repoussé, il abandonna le champ de
bataille à deux heures de l’après-midi, laissant 35 morts et
emmenant beaucoup de blessés. 200 hommes du poste et du village le
poursuivirent et ramenèrent une dizaine de prisonniers.

Juin 1856. Boubakar-Saada est envoyé par le commandant de Bakel
pour brûler le village d’Alana, entre le Guoy et le Fouta, qui
avait tué un de nos courriers.

Août 1856. Tout le Bondou se soumet à Boubakar-Saada et lui donne
des otages.

Septembre 1856. Profitant d’un voyage de M. Flize, officier
d’infanterie de marine, dans le Bambouck, Boubakar, aidé de
Bougoul, chef de Farabanna, attaqua Kéniéba qui était au pouvoir de
nos ennemis. Ils prirent le village et le mirent à notre disposition
pour l’exploitation des mines d’or.

Janvier 1857. Boubakar fait une grande razzia sur son cousin Ousman
qui le trahissait et qui lui fit sa soumission à la suite de cette
sévère leçon.

Février 1857. Boubakar se rend dans le Ferlo soumettre les villages
révoltés, dont une partie passa à l’ennemi en traversant le
fleuve, se rendant dans le Guidimakha.

Mars. Croyant les circonstances favorables, un compétiteur
s’éleva contre lui dans le Bondou. C’était un Sissibé de
la branche d’Amaguié, qui se nommait Ely-Ahmady-Kaba, et qui
était partisan d’El-Hadj. Il avait réussi à grouper autour de
lui les villages de Ouro-Ahmadou, Bélidioudé, Séling, Kipinguel,
c’est-à-dire environ 6,000 hommes avec lesquels il s’enferma
dans le village fortifié d’Amaguié ou Amadhié. Boubakar, lui
ayant fait demander le tribut dû à l’almamy, celui-ci répondit
par un refus formel, menaçant de mettre à mort celui qui viendrait
lui renouveler cette demande.

Les hostilités commencèrent aussitôt. Boubakar marcha contre
le rebelle. Son armée renforcée par les troupes du poste de
Sénoudébou, que commandait le piqueur du génie Girardot, vint
mettre le siège devant Amaguié. Le village ne put être enlevé
de vive force. La résistance des habitants fut opiniâtre, et,
l’affût de la pièce du poste s’étant brisé, on fut obligé de
demander du renfort à Bakel et la colonne, en attendant vint camper
sous les murs de Séling ou Sélen sur la Falémé. A l’attaque
d’Amaguié, les Maures Douaïch qui s’étaient joints à Boubakar
se contentèrent de faire caracoler leurs chevaux dans la plaine
sans s’approcher des tatas.

Le commandant de Bakel, le capitaine Cornu, se vit obligé de marcher
avec ses hommes au secours de Boubakar-Saada et du commandant de
Sénoudébou. Il les rejoignit quelques jours après à Séling et
marcha avec eux contre Amaguié. Mais il eut beaucoup de peine à
décider les Maures à marcher avec eux à l’ennemi.

Lorsqu’il arriva devant Amaguié, il fit demander le chef. Celui-ci
lui envoya aussitôt son fils. Il le chargea d’aller dire à
son père de venir faire sa soumission immédiatement. Vers le
soir, Ely-Ahmady-Kaba arriva avec tous ses notables. Il fit sa
soumission à Boubakar-Saada en lui demandant de ne pas abuser
de la protection de la France pour commettre des injustices et se
livrer à des représailles contre ses ennemis. On désarma tous les
habitants du village. On prit tous les chevaux, les bœufs et les
captifs. Les hommes libres furent laissés en liberté. L’autorité
de Boubakar-Saada fut donc affirmée pour quelque temps dans le
Lèze-Maïo. Le tata d’Amaguié avait 500 mètres de développement,
3 mètres de haut et 1 mètre d’épaisseur à la base.

Juillet 1857. Après avoir chassé El-Hadj des environs de Médine,
le gouverneur Faidherbe se décida à s’emparer de Somsom-Tata,
la ville la plus forte du Haut-Bondou et celle qui avait, de tout
temps, fait le plus d’opposition à Boubakar-Saada. Celui-ci,
de son côté s’était assuré de l’alliance du chef des
Maures Douaïch, du roi du Khasso, Sambala, et de Bougoul, chef
de Farabanna. Ainsi secondé et fort de l’appui de la France,
il marcha sur Somsom-Tata. Le chef de ce village, Malick-Samba,
prince sissibé, retenait alors prisonnier dans son tata Alkossoum,
Sissibé de la branche de Koussan-Almamy, fils de l’almamy Toumané,
et, par conséquent, oncle du chef du village auquel il avait été
confié. On l’accusait de s’entendre avec Boubakar-Saada dont il
défendait vivement le parti. Aussi avait-il été arrêté par ordre
d’El-Hadj-Oumar et interné à Somsom-Tata, qui passait alors,
dans tout le pays, pour une forteresse absolument imprenable. Elle
avait été construite quarante ans auparavant par l’almamy
Toumané et était dirigée contre les Bambaras, qui venaient
à chaque instant faire des razzias dans le Bondou. L’almamy
Toumané y avait installé une forte garnison en même temps pour
surveiller le Bas-Bondou et pour pouvoir protéger le Lèze-Maïo,
afin de donner le temps aux troupes du Koussan et de Boulébané
de se rassembler. Cette garnison se composait presque uniquement de
captifs de l’almamy et d’hommes libres de sa suite, et lorsque
Malick-Samba en fut nommé le chef, c’étaient les descendants de
ceux-ci qui défendaient la forteresse.

Boubakar-Saada, résolu à en finir avec eux, avait fait écrire
à Malick pour le sommer d’avoir à rendre la liberté
à Alkossoum. Malick refusa net, et Boubakar marcha contre
Somsom-Tata. Il fut soutenu, dans cette circonstance, par le capitaine
Cornu, commandant de Bakel, qui lui prêta son concours. Arrivés
devant la place, ils livrèrent un assaut terrible ; mais ils furent
repoussés. Ils résolurent alors de faire brèche. Le capitaine
Cornu fit mettre en batterie les quatre pièces de montagne dont il
disposait. Mais ce fut inutile, les boulets n’entamèrent même pas
la muraille. Le siège fut alors organisé en règle et on résolut
de prendre le village par la famine. Ce fut alors que le gouverneur
Faidherbe, prévenu par le capitaine Cornu, se mit en marche contre
Somsom-Tata, dont la longue résistance pouvait avoir, dans le pays,
un déplorable effet, surtout à cette époque où El-Hadj se trouvait
au plus haut degré de sa puissance. Il fit débarquer ses troupes
à Yaféré, sur le Sénégal, et marcha contre le village rebelle,
devant lequel il arriva le lendemain.

Il fit alors venir le chef et lui intima l’ordre de délivrer le
prisonnier. Malick-Samba promit de faire sur-le-champ ce qu’il
désirait. Mais à peine entré dans le village, il en fit fermer les
portes et, non seulement refusa de tenir sa parole, mais encore fit
immédiatement assassiner le prince Alkossoum. Faidherbe recommanda
alors au commandant de Sénoudébou et à Boubakar de bien surveiller
les portes ; car, le lendemain, on devait mitrailler le village,
et le surlendemain en faire l’assaut.

Mais Malick, effrayé et ne doutant pas qu’il serait vaincu, prit
la fuite pendant la nuit. Les gardes des portes le poursuivirent,
tuèrent une vingtaine de ses guerriers et firent 400 prisonniers. Le
lendemain on entra dans le village, qui fut pillé et brûlé.

Le 28 août 1857, M. le lieutenant de vaisseau Brossard de Corbigny,
de concert avec les troupes du Bondou et celles de Bougoul, chef
de Farabanna, remonte la Falémé sur le _Grand-Bassam_, capitaine
Marteville, et vient châtier le village de N’Dangan qui avait
laissé passer les gens du Fouta allant au secours des assiégeants
de Médine.

Le village de N’Dangan fut pillé et brûlé. On y fit 25
prisonniers. Le reste de la population s’enfuit à Djenné.

Deux heures après, le _Grand-Bassam_ parut devant Sansandig en même
temps que nos alliés. Des obus mirent le feu au village, et les
défenseurs, découragés, prirent la fuite. On fit 64 prisonniers,
on s’empara de 250 bœufs, et de beaucoup de chèvres. Le chef de
Samba-Yaya, quatre fils du chef de Sansandig et le fils du chef de
Djenné y furent tués.

Novembre 1857. Le Bondou tout entier se soumet à Boubakar-Saada,
et il est proclamé almamy par tous les Sissibés qui y résidaient
alors.


                      BOUBAKAR-SAADA (1857-1885).


Pendant ce temps El-Hadj, établi à Koundian, dont il venait de
faire construire le fort tata, ravageait Konkodougou et les provinces
voisines. Il soumit le Diébédougou et vint à Sékokoto (Bambouck),
puis à Kakadian, sur les bords de la Falémé. De là il se rendit
à Tomboura (Bondou).

En même temps, un de ses lieutenants, Mahmadou-Dialo, se présentait
dans le Haut-Bondou et prêchait partout la guerre sainte, excitant
le peuple à la révolte et annonçant que le règne des Sissibés
était fini, qu’ils étaient aujourd’hui des infidèles. Il
réussit ainsi à rallier autour de lui plus 10,000 fanatiques et
s’empara de N’Dioum (Ferlo), qui le reçut dans ses murs.

Boubakar leva une armée de 2,000 hommes et vint assiéger cette
ville. Il eut à traverser pendant 50 lieues un pays parsemé
d’ennemis ; mais il comprit que reculer serait une trop grande
faute, il se mit donc en marche. Mahmadou-Dialo, en apprenant la
marche des Bondounkés, ne parut nullement s’en inquiéter ;
il comptait beaucoup sur leurs ennemis pour tourner la fortune en
sa faveur et il ne douta pas un seul instant de l’extermination
des Sissibés.

Boubakar trouva l’ennemi campé au milieu des bois, tout autour
de la ville. Les Bondounkés avaient à opérer sur un terrain
accidenté, plein de monticules, derrière lesquels l’ennemi
se retranchait. Il donna l’ordre de tourner la position. En un
instant l’armée ennemie est entourée de cavaliers, battue et
dispersée. Boubakar, enhardi par ce succès, résolut alors de
donner l’assaut à la ville. Les Bondounkés s’élancèrent
pleins de courage, mais devant une résistance désespérée, ils
durent se replier et se contenter de faire le siège en règle.

Le capitaine Cornu, commandant du poste de Bakel, vint à son
aide avec deux obusiers et 20 hommes de troupe. L’assaut
recommença. Déjà une partie de la ville est tombée en leur
pouvoir, et incendiée ; mais, cette fois encore, ils sont obligés
de battre en retraite dans le plus grand désordre. Le capitaine
Cornu, abandonné avec ses quelques hommes, dut prendre la fuite
abandonnant ses deux canons sur le champ de bataille.

Boubakar, averti après cette défaite qu’El-Hadj était campé
à Tomboura et se disposait à traverser le Bondou, se dirigea en
toute hâte vers Sénoudébou.

De Tomboura, El-Hadj vint à Goundiourou, ayant auprès de lui
deux Sissibés, l’un de la branche de Boulébané, l’autre de la
branche de Koussan-Almamy, qui lui étaient sincèrement dévoués. Il
leur remit deux lettres écrites sous une fausse dictée et d’après
lesquelles les chefs sissibés émigrés dans le Kaarta ordonnaient
à leur famille de quitter le Bondou et de venir les rejoindre sous
la garde d’une escorte que leur donnerait El-Hadj.

L’annonce de cet ordre souleva dans les capitales un étonnement
profond. Mais, quelques Sissibés et quelques chefs du peuple
ayant affirmé que ces ordres venaient bien de Séga et des
autres Sissibés, une émigration générale commença et
des villages entiers quittèrent leurs foyers, emmenant femmes,
enfants, vieillards et animaux. Bientôt même, il ne resta plus à
Boubakar que Sénoudébou, où il s’était retiré et fortifié
avec ses fidèles. Il fallait arrêter l’émigration. Pour cela,
il marcha contre les troupes que le marabout envoyait contre lui,
les battit à Guirobé, non loin de la Falémé, et leur enleva
quelques prisonniers. Ce succès décida un grand nombre de ses
hommes, qui déjà étaient arrivés dans le Diombokho et le Kaarta,
à rebrousser chemin et à venir le rejoindre.

Dans ces moments difficiles, il fallait un homme aussi résolu que
Boubakar pour remédier à tant de malheurs. Grâce à la France et
à son énergie, il put faire face à tous les dangers, à toutes les
privations. C’est pour cela qu’il est appelé, à juste titre,
dans le pays, le second « Fondateur du Bondou ».

Cependant, le Bondou se repeuplait, et les habitants qui avaient suivi
El-Hadj revenaient peu à peu, mais absolument dénués de tout et ne
retrouvant plus rien dans leurs villages, car tout avait été livré
aux flammes par ordre du prophète. La famine fut à son comble dans
le Bondou, et les habitants ne se nourrissaient absolument plus que
de graines, de fruits et de feuilles d’arbres, qu’ils allaient
cueillir dans la brousse. Il arriva même un moment — et ceci est
connu partout dans la région — où Boubakar ne possédait plus
à Sénoudébou qu’une seule vache, qu’il était obligé de
traire lui-même pour pouvoir nourrir ses enfants et ceux de ses
cousins. Quant au reste de sa famille et aux quelques guerriers
qui l’entouraient encore, ce ne fut que grâce aux libéralités
des commandants de Bakel et de Sénoudébou qu’il put arriver à
les nourrir.

Sa principale ressource consistait en captifs, et, pour avoir
du mil, il était obligé d’aller les échanger jusque dans le
Ouli, le Kantora, le Fouta-Toro, et même le Fouladougou. Le mil
ainsi acheté était transporté à tête d’homme dans le Bondou,
car toutes les bêtes de somme, ânes, bœufs porteurs et chevaux,
avaient disparu pendant l’émigration.

A Sénoudébou, le mil qu’y apportaient les quelques traitants
qui osaient s’y aventurer se vendait à raison de 3 kilog. pour
une pièce de guinée. Pour une vache ou un bœuf, on ne pouvait
pas en avoir plus de 15 kilog., et pour un captif 60 kilog.

Sans doute, le gouverneur Faidherbe avait bien envoyé des secours en
mil et en étoffes aux émigrés du Bondou ; mais le nombre en était
si considérable que les secours avaient été insuffisants. Cet
état de choses dura trois années environ, et ce n’est que vers
le commencement de la quatrième que les villages se trouvèrent en
partie reconstitués et que la production du mil fut assez abondante
pour nourrir les habitants.

De Goundiourou, El-Hadj se rendit à Boulébané (15 avril 1858),
d’où il expédia sous bonne escorte, commandée par Samba
N’Diaye, dans le Kaarta, les deux obusiers abandonnés par
le capitaine Cornu au siège de N’Dioum. Il voulait attaquer
Sénoudébou, mais son armée s’y refusa. Ces deux obusiers lui
servirent plus tard au siège de Marcoïa, dans le Bélédougou. Il
tira quelques coups avec des boulets qu’il avait fait ramasser
au siège de Médine et envoya un obus qui éclata au milieu de la
ville, à la grande stupéfaction des habitants, qui crurent que
Dieu se mettait aussi contre eux.

Après avoir organisé l’émigration, El-Hadj vint à Sambacolo,
à Somsom-tata, à Bordé, et sur les bords du Sénégal, à Diawara,
où il célébra la fête du cauri. Il entra alors dans le Fouta,
pour y séjourner jusqu’en avril 1859.

Rappelé à cette époque par la révolte du Kaarta, El-Hadj repasse
le Sénégal à Diaguéli et se rend à Dioukountourou, et de là à
Guémou, où il fait bâtir un solide tata. Il y laisse une armée,
sous le commandement d’un de ses neveux, Ciré-Adama. De là,
il se dirige vers les régions septentrionales du Soudan, dont il
fera la conquête.

Du jour où fut construite la forteresse de Guémou, des bandes
de pillards en partirent fréquemment et vinrent dans le Bondou
dévaster et piller, emmenant en captivité les malheureux qui
tombaient en leur pouvoir. Tout cela entravait considérablement
le repeuplement du Bondou. Boubakar s’en plaignit au gouverneur
Faidherbe, et, vers le mois de septembre, une colonne commandée
par le lieutenant-colonel Faron, des tirailleurs sénégalais,
alla mettre le siège devant Guémou.

Boubakar, avec l’armée du Bondou, se joignit à la colonne
française. Le 25 octobre 1859, Guémou fut emporté d’assaut
par les alliés. Sur 1,500 hommes, nous eûmes 39 tués, dont un
officier, et 97 blessés, dont 6 officiers. On tua 250 hommes à
l’ennemi et on fit 1,500 prisonniers.

Le neveu d’El-Hadj, Ciré-Adama, fut reconnu au milieu des
morts. Pendant ce temps, le prophète soumettait le Bélédougou
et le Ségou. Le 10 mars 1861, à neuf heures et demie du matin,
il faisait son entrée dans Ségou, tandis que son chef Ali, vaincu
et sans armes, en sortait à cheval par la porte de l’ouest.

Débarrassé d’El-Hadj-Oumar, le gouverneur Faidherbe songea
alors à venir occuper les mines de Kéniéba et à les exploiter au
profit du gouvernement. Une colonne, partie de Bakel et passant par
Sénoudébou, entrait à Kéniéba le 28 juillet 1858, sans tirer
un coup de fusil. En même temps, le 18 août 1858, était signé
à Sénoudébou le traité qui consacrait l’alliance du Bondou
et de la France et plaçait sous notre protectorat les états de
Boubakar-Saada. Trois jours avant, avait été conclue à Kéniéba
avec Bougoul, chef de Farabanna et du Niagala, et Boubakar-Saada,
une convention spéciale pour l’exploitation des mines d’or
de Kéniéba.

Janvier 1859. Pendant l’absence d’El-Hadj, le Tomora, province
du Khasso, se souleva contre lui. Elle appela à son aide Sambala,
chef de Médine, et Boubakar-Saada, almamy du Bondou, qui venait de
se marier avec Lallya, fille de Sambala. Tierno-Guiby, lieutenant
d’El-Hadj, vint avec ses Toucouleurs à la rencontre des alliés
et les mit complètement en déroute. Dès le début de l’action,
Tierno-Guiby avait eu la cuisse fracassée par une balle ennemie,
et malgré les soins dont l’avaient entouré ses Talibès, il
était mort dans la nuit.

Boubakar-Saada et Sambala, bien montés, avaient pu échapper à la
poursuite de l’ennemi, escortés seulement par quelques cavaliers,
pendant que leurs fantassins étaient obligés de chercher un refuge
dans les rochers. Ce ne fut que fort avant dans la nuit qu’ils
apprirent la mort de Tierno-Guiby. Ils tournèrent bride aussitôt
et rallièrent une partie de leur armée. La bataille recommença au
point du jour et l’ennemi, privé de son chef, fut complètement
battu à Toumtaré. Les Talibès évacuèrent alors en partie le
Tomora et les alliés retournèrent dans leurs états respectifs,
craignant d’avoir encore à se mesurer avec Alpha-Oumar, un des
plus vaillants lieutenants d’El-Hadj, qui accourait de Nioro pour
remettre les choses en état dans la province insurgée.

Au mois d’août 1860, la paix est conclue entre El Hadj et le
gouverneur Faidherbe.

D’après les traités passés en août 1858 avec le gouvernement,
Boubakar-Saada dut évacuer le village de Sénoudébou. Il transporta
alors sa capitale sur les bords de la Falémé, à 25 kilomètres
au sud de Sénoudébou, et donna à sa nouvelle résidence le nom
d’Ambdallaye. Il y séjourna jusqu’en 1862, époque à laquelle
les Français, ayant abandonné les postes de Kéniéba et de
Sénoudébou, lui en laissèrent la jouissance, avec la restriction
de les remettre à leur première demande.

Dès que Boubakar se vit délivré des Talibès d’El-Hadj-Oumar,
il songea à attaquer à son tour ceux qui l’avaient pillé et
harcelé les années précédentes. De plus, il avait à punir
les villages voisins qui s’opposaient au retour dans le Bondou
des émigrés qui, revenant de Nioro, y étaient venus chercher
refuge. Enfin, raison capitale, il lui fallait, pour les retenir
auprès de lui et calmer leurs appétits, donner chaque jour aux
Sissibés une proie nouvelle pour leur permettre de reconstituer
la fortune qu’ils avaient perdue dans les guerres contre El-Hadj
et ses Talibès. Aussi allons-nous voir Boubakar aller guerroyer
partout jusqu’à sa mort et se conduire, dans ses relations avec
ses voisins, comme un pillard couronné.

En 1860, le Ferlo se révolta contre lui, sous la conduite
d’un chef nommé Antioumané-Diadé. Boubakar marcha contre
lui, s’empara d’un grand nombre de villages et le défit
complètement. Antioumané et quatre cents Toucouleurs du Toro et
du Niani, qui s’étaient joints à lui, furent tués. Un grand
nombre de prisonniers tomba aux mains du vainqueur.

Deux mois après, il marche contre les villages de Biramdiguy et de
Leona-Famara, dans le Ferlo-Balignama. Il s’en empare sans beaucoup
de résistance et les détruit complètement.

A peine rentré à Sénoudébou, il réunit encore ses guerriers et
marche contre Sattico, dans le Tiali, dont les habitants ne voulaient
pas reconnaître son autorité. Le village fut pris d’assaut et
ses guerriers massacrés.

Vers le mois de mars, il attaque Talicori, dans le Tenda, et
s’en empare sans coup férir. Les Malinkés qui l’habitaient
ne résistèrent même pas. Les deux frères du chef perdirent la
vie dans cette journée. Boubakar revint à Sénoudébou avec un
riche butin, composé principalement de captifs et d’étoffes du
pays. Dans cette expédition, il fut aidé par son allié Sambala,
roi du Khasso, qui lui avait amené un fort contingent.

Dans le courant de septembre, Sambala ayant eu à se plaindre de la
conduite de Banga, frère de Bougoul, chef de Farabanna, envoya prier
Boubakar-Saada de lui prêter main-forte. Celui-ci, ne se souvenant
plus du traité qui le liait à Bougoul, et encore bien moins des
services que celui-ci lui avait rendus au cours de sa lutte contre
El-Hadj, ne laissa pas échapper une aussi belle occasion de faire une
riche razzia. Il rejoignit donc Sambala avec tous ses guerriers, et,
plus heureux que ses prédécesseurs, il s’empara de Farabanna, qui
fut pillé et livré aux flammes. Banga fut tué dans cette journée.

Dans le commencement de l’année 1861, Boubakar se mit de nouveau à
la tête de ses guerriers et, sans autre motif que celui de piller,
marcha contre le village de Kakadian, dans le Niagala. Il en prit
une partie, mais ne put s’y maintenir. Des secours étant arrivés
aux assiégés, il dut battre en retraite et rentrer en toute hâte
à Sénoudébou. — Peu après, pour effacer les traces de cette
défaite, il se mit de nouveau en campagne et tomba sur Diangounté,
dans le Niagala, qu’il pilla et détruisit complètement. — Vers
le mois de novembre de cette même année, il crut devoir marcher
contre le village de Marougou, dans le Sirimana, qu’il accusait
d’avoir pillé ses sujets. Cette expédition ne fut pas heureuse. Il
fut battu à plate couture par les Malinkés et laissa bon nombre
des siens sur le carreau. Il fut même obligé d’abandonner ses
blessés. Au nombre de ceux-ci, se trouvait un de ses cousins,
nommé Ahmady-Sôma, qui avait été laissé pour mort sur le champ
de bataille. Il n’était qu’évanoui. Vers neuf heures du soir,
les habitants de Marougou revinrent de la brousse où ils avaient
poursuivi Boubakar. Heureux d’être délivrés des bandes de
l’almamy, ils rentraient dans leur village en poussant des cris de
joie, tirant des coups de fusil et au son du tam-tam. Tout ce bruit
tira Ahmady-Sôma de son évanouissement. A la faveur des ténèbres,
il put échapper aux Malinkés et, le lendemain, rejoignit Boubakar
sur les frontières du Bondou.

En 1862, c’est de nouveau contre le Tenda que Boubakar dirige ses
coups. Le village de Guénou-Dialla, surpris, fut pris d’assaut,
pillé, incendié, et Boubakar en emmena les femmes et les enfants
en captivité dans le Bondou. — En décembre de la même année,
nouvelle campagne contre le Tenda. Cette fois, c’est Sittaouma
qui est l’objectif de l’almamy. Il s’en empare aisément et
y fait un riche butin, consistant surtout en captifs et en bœufs.

En février 1863, Bokko, village du Diaka, tributaire du Bondou,
crut devoir méconnaître l’autorité de l’almamy. Boubakar
envoya une colonne contre lui. Bokko fut détruit et sa population
emmenée en captivité.

Au mois de novembre, nouvelle campagne. C’est à Tamba-Counda,
gros village du Ouli, que Boubakar en veut cette fois. Mais ne se
sentant pas en force pour le réduire, il eut recours à ses alliés
du Khasso, du Logo, du Natiaga et même du Fouta. Malgré cela,
il ne put en avoir raison, et, honteusement battu, n’eut que le
temps de fuir pour échapper aux Malinkés.

En mars 1864, nouvelle expédition, nouvelle défaite. Boukary-Counda,
village du Ouli, qu’il était venu attaquer sans aucun motif, le
force à se retirer et le bat à plate couture. Les pertes furent
énormes.

Au commencement d’octobre de la même année, il part de nouveau
en guerre avec ses alliés du Khasso et du Natiaga. C’est sur
Tinguéto, village du Tenda, qu’ils marchent ensemble. Là encore,
nouvelle défaite. Boubakar échappe par miracle aux guerriers
malinkés.

En avril 1865, Boubakar lève de nouveau une armée, composée de
guerriers du Bondou, du Khasso, du Natiaga et du Logo. Il se met à
sa tête et part pour le Ouli, assiéger le gros village de Canapé,
qu’il emporta sans difficulté. Du haut des murs de sa capitale, le
massa (roi) du Ouli put voir l’incendie qui détruisit Canapé. Il
n’osa pas aller le secourir. La moitié de la population périt dans
les flammes et l’autre moitié fut emmenée en captivité. Canapé
était un village de Dioulas, qui y avaient constitué un fort
approvisionnement de poudre. L’incendie y mit le feu, et la plus
grande partie du village sauta. Un grand nombre de guerriers furent
ensevelis sous les décombres. — Au mois d’octobre de la même
année, nouvelle incursion dans le Ouli. Boubakar vint assiéger
Goundiourou, dont il s’empara facilement. Les femmes et les enfants
furent emmenés en captivité à Sénoudébou.

En janvier 1867, il se met encore en campagne contre le Ouli. Il avait
depuis longtemps formé le dessein de le conquérir entièrement. Il
en parcourt la plus grande partie sans rencontrer d’obstacles
et vient mettre le siège devant Médina, qui était alors la
capitale. Le massa n’osa même pas résister et vint implorer la
clémence de l’almamy du Bondou, qui consentit à évacuer le pays
moyennant une forte rançon.

Sur ces entrefaites, le damel (roi) Lat-Dior, du Cayor, qui venait
d’évacuer son pays, fuyant devant les colonnes françaises, et
était venu se placer sous la protection de Maba, dans le Ripp,
envahit le Sandougou avec son allié, uniquement dans le but de
faire des captifs pour pouvoir acheter du mil afin de nourrir ses
guerriers et ses chevaux. Il était ainsi arrivé jusqu’à Oualia,
après avoir pris le village de Sandougoumana, situé sur les bords
du Sandougou. Les fuyards de ce village étaient venus implorer
le secours de Boubakar-Saada, qui partit de Médina à la tête
de ses meilleurs cavaliers et courut en toute hâte au secours du
Sandougou. Il atteignit le damel Lat-Dior non loin du marigot et le
défit complètement. Il lui reprit la majeure partie des prisonniers
faits à Sandougoumana et leur rendit la liberté. Il s’empara
également d’un grand nombre de chevaux.

Dans la première quinzaine d’octobre 1867, le chef de Sandicounda,
nommé Barka, vint implorer le secours de Boubakar contre un village
voisin du sien et du même nom, et habité par des Malinkés
Tarawaré qui depuis longtemps le volaient et le pillaient. De
plus, Boubakar avait également à se plaindre de ce village, qui
pillait fréquemment les villages du Bondou du voisinage. Il alla
donc l’attaquer, s’en empara aisément et le détruisit. Le chef
Soukoulou-Mahmadou fut tué dans l’action, et plus tard les fugitifs
vinrent à Sénoudébou implorer leur pardon de Boubakar. Celui-ci
leur permit de reconstruire leur village, à condition qu’ils lui
paieraient annuellement une forte coutume en or.

Vers la fin de décembre de la même année, Boubakar se mit de
nouveau en campagne. Il marcha contre Kéniéba (Bélédougou),
qui avait envoyé des secours à Sandicounda. Une colonne fut
envoyée contre le village. Elle était commandée par Saada-Ahmady
et par le fils aîné de Boubakar, Ahmady-Boubakar. Ils échouèrent
complètement et furent mis en déroute.

En janvier 1868, le chef de Mamakono, Dially-Silman, roi du
Bélédougou, ayant été cerné par le chef de Marougou, sous
prétexte qu’il avait fourni des guerriers à Boubakar contre
lui, l’almamy du Bondou, prévenu, se mit de nouveau en campagne
pour prêter main-forte à son allié. Il arriva dans la plaine de
Mamakono, où se trouvaient campés tous les guerriers du Dentilia,
du Niagala, Tambaoura, Diabéli et Diébédougou, qui étaient
venus prêter main-forte aux gens de Marougou. Boubakar attaqua
immédiatement, et en peu de temps dispersa l’armée alliée. Il
fit même un prisonnier de sa main, et le chef de l’armée
coalisée faillit tomber en son pouvoir. Ce dernier perdit environ
trois cents hommes. Les pertes de Boubakar furent minimes ; mais
il eut à déplorer la mort d’un de ses meilleurs lieutenants,
Baïdi-Saumaram.

De Mamakono, Boubakar envoya dans tout le Bambouck des émissaires aux
pays qui avaient fourni des contingents à Marougou, pour les informer
d’avoir à payer un fort tribut en or et pour leur déclarer
qu’à l’avenir il en exigerait autant chaque année. Les chefs
y consentirent, et Boubakar rentra à Sénoudébou avec un riche
butin en or et en prisonniers.

En septembre, avec l’aide des guerriers du Khasso, il marcha
contre N’guiguilone, dont les habitants refusaient de payer le
tribut. N’guiguilone fut pris, détruit et sa population emmenée
en captivité dans le Khasso et le Bondou.

En novembre de cette même année, il alla de nouveau attaquer
Talicori dans le Tenda, qui s’était reconstruit. Il s’en empara
aisément, le pilla et le détruisit de nouveau.

Le chef de Labé, Alpha-Ibrahima, était depuis quelques années
à Kadé, dans le Ghabou, et avait eu à réprimer la révolte
de plusieurs cantons de ce pays ; mais il n’avait pu en venir à
bout. Il fut obligé de demander secours à Boubakar-Saada, qui partit
de Sénoudébou avec ses meilleurs guerriers, accompagnés de ceux
du Khasso et du Fouta-Toro. Il passa tout l’été dans le Ghabou,
pillant partout, véritable détrousseur de caravanes.

Vers le mois de juin, il revint à Sénoudébou avec une grande
quantité de bœufs et de nombreux captifs. Mais, six mois après,
une épizootie détruisit tous ses troupeaux.

En décembre 1869, c’est-à-dire après la récolte du mil,
Boubakar marcha contre le village de Marougoucoto, dans le Niocolo,
dont les habitants avaient pillé une caravane composée de gens
du Bondou et du Galam. Marougoucoto fut pris. La moitié de sa
population se sauva. Plus tard, ils vinrent demander leur pardon,
et Boubakar leur permit de reconstruire leur village.

En 1870, dans les premiers jours de février, il marcha encore en
personne contre Sandicounda, dont les habitants avaient méconnu
son autorité. Il s’en empara de nouveau, le pilla et le rasa
complètement.

Au mois de juin de la même année, nouvelle campagne contre Sittaouma
(Tenda), qui venait d’être reconstruit. Il s’en empara aisément,
et emmena en captivité les femmes et les enfants.

Un mois après, il envoya contre le village de Coulary (Ghabou)
une colonne que commandait son frère Oumar-Penda. Le village fut
pris et détruit, et la population réduite en esclavage.

Enfin, en décembre, il voulut de nouveau attaquer Boukary-Counda
(Ouli) ; mais il fut battu. Quelques jours après, il réussit
avec des forces plus considérables. Boukary-Counda fut emporté,
ses guerriers massacrés, les femmes et les enfants faits captifs.

Dans les premiers jours de janvier 1871, il partait encore de
Sénoudébou à la tête de ses troupes pour marcher contre Coussaïé
(Ouli), dont il s’empara sans que la moindre résistance lui fût
opposée. Il emmena en captivité, bien entendu, les femmes et les
enfants, et s’empara d’une grande quantité de guinée.

A la même époque, il détruisit Fodé-Counda, village situé dans
les environs de Coussaïé.

Au mois de septembre, nouvelle expédition contre le Tenda. Il
va attaquer Goundiourou, dont le chef avait pillé les caravanes
du Bondou. Goundiourou tomba en son pouvoir, et femmes et enfants
furent conduits à Sénoudébou.

Dans la première quinzaine de janvier 1872, le massa de Kataba
(Niani) vint lui demander de lui prêter main-forte contre
quelques-uns de ses villages qui refusaient de lui obéir. Boubakar
fit alors appel à ses alliés, et marcha avec eux contre les
rebelles. Le village de Carantaba, dont les habitants étaient les
plus hostiles, tomba sous les coups des alliés, qui y firent un
grand nombre de prisonniers.

Au mois d’octobre de la même année, il alla attaquer
Colibentan (Niani), dont les habitants avaient, eux aussi,
méconnu l’autorité du massa de Kataba, et, après Carantaba,
avaient attaqué Boubakar. Il marcha contre eux avec toutes les
forces qu’il put réunir ; mais il fut complètement battu, et
se retira en laissant bon nombre de ses guerriers sur le champ de
bataille, parmi lesquels Couty-Filly-Fé, un des chefs du Niagala,
et Boubakar-Oumar-Koly, un de ses hommes de confiance.

Dans les derniers jours de l’année, Abdoul-Boubakar, chef du
Bosséa, avait eu des démêlés avec Elféky, chef du Damga,
et notamment avec Boubou-Ciré, frère d’Elféky, qui n’avait
jamais pu s’entendre avec Abdoul. Celui-ci avait levé une armée
de quelques centaines d’hommes, et avait marché contre le Damga ;
mais il fut battu par Boubou-Ciré à Diovadou. Ce fut alors que
le chef du Bosséa vint demander aide et secours à Boubakar, son
parent, car il était marié depuis quelque temps déjà avec la fille
aînée d’Ahmady-Saada, frère de Boubakar. Elle se nommait Guiba.

Boubakar fit alors appel à tous ses guerriers, et, dans les premiers
jours de 1873, il quitta Sénoudébou pour aller au secours de son
neveu par alliance. Il vint camper à Bordé, dans le Lèze-Bondou,
et, pendant trois mois, il ne cessa d’envoyer des émissaires
à Boubou-Ciré et à Elféky pour les exhorter à revenir à de
meilleurs sentiments et à se reconcilier avec Abdoul-Boubakar. Les
deux chefs du Damga s’y refusèrent, et Boubakar-Saada se décida
à marcher contre eux, malgré l’avis des notables du Bondou et
d’Oumar-Penda, son frère, qui voulaient temporiser.

A la frontière du Guoy, les Bondoukés ne purent franchir le marigot
de Guérol. Ils furent vigoureusement assaillis par les guerriers
d’Elféky et de Boubou-Ciré. Le combat dura environ deux heures,
et fut des plus meurtriers. Abdoul-Boubakar et Boubakar-Saada furent
complètement battus. L’almamy du Bondou, cerné et séparé de
son allié, dut s’enfuir vers le fleuve. Poursuivi par l’ennemi,
il put cependant le passer à gué. Mais arrivé sur la rive droite,
son cheval s’embourba, et il fut forcé de l’abandonner. Un de
ses hommes lui donna le sien, et il parvint à s’échapper et à
regagner la rive gauche à la hauteur de N’Diawara.

Dans le courant de septembre, il fut encore obligé, pour la
troisième fois, d’envoyer une colonne contre Sandicounda
(Tenda). Commandée par Saada-Ahmady, elle vint cerner le village
dès le point du jour et s’en empara sans coup férir. Presque tous
les défenseurs furent tués, et parmi eux Barka, le chef du village.

Enfin, au mois de novembre, Boubakar battit encore le tam-tam de
guerre et réunit de nouveau ses guerriers. Il forma une colonne
dont il donna le commandement à son fils préféré, Ousman-Gassy,
et le chargea d’aller punir le village de Kotiar (Ouli), dont les
habitants, des Fadoubés, venaient de piller des caravanes de Dioulas,
du Bondou. Ousman-Gassy s’empara aisément du village, qui fut
complètement détruit. La population fut réduite en captivité et
en grande partie vendue.

En 1874, au mois de mars, il envoya de nouveau son fils Ousman-Gassy
contre Sittaouma, qui venait de se reconstruire. Ousman fut reçu
par une vive fusillade. Il parvint cependant à pénétrer dans
le village et à y faire quelques prisonniers ; mais il en fut
vivement chassé par les défenseurs, retirés dans le tata du
chef. Il perdit un grand nombre de guerriers dans cette affaire,
et parmi eux le chef de Dalafine (Tiali). Il parvint cependant à
ramener quelques captifs à Sénoudébou.

Dans les premiers jours de 1875, Boubakar, en personne, allait encore
attaquer Marougoucoto, sur la rive gauche de la Haute-Gambie. Il avait
pour cette circonstance appelé à son aide ses alliés du Gadiaga,
du Khasso et du Logo. L’armée coalisée traversa la Gambie au gué
de Tomborocoto et vint tomber sur Marougoucoto. Mais les habitants,
prévenus, se tenaient sur leurs gardes. Ils étaient sortis du
village et étaient allés camper en face, sur les hauteurs qui
dominent la route, afin de disputer le passage à Boubakar. Attaqué
avec vigueur, il fut forcé de battre en retraite. L’armée se
débanda et se rua vers le gué, poursuivie à outrance par les
gens de Marougoucoto et leurs alliés. C’est à peine si les
fuyards purent le franchir, et encore leur fallut-il essuyer
le feu des ennemis, embusqués dans les rochers des collines
environnantes. Boubakar et Ousman-Gassy ne purent, malgré leurs
efforts, arriver à rallier leurs hommes, et furent obligés de
s’enfuir pour échapper aux balles ennemies.

Dans cette journée, Boubakar perdit environ deux cents hommes,
parmi lesquels un de ses neveux, Sidi-Ahmady-Salif, de la branche de
Koussan-Almamy, et un des captifs de la couronne qu’il affectionnait
le plus, Saada-Samba-Yassa.

Dans le courant du mois d’août, Boubakar envoyait encore des
guerriers, commandés par un des captifs de la couronne, contre le
village de Diangounté (Niagala). Il fut emporté, et les villages
voisins vinrent faire leur soumission.

Dans la première quinzaine de décembre de la même année,
Makane-Koulonko, chef de Lanel (Kaméra), était venu demander secours
à Boubakar contre le chef de Kotéra, Allimana, avec lequel il était
en désaccord depuis quelque temps au sujet de terrains. Boubakar
fit faire à Allimana des propositions d’arrangement que ce
dernier accepta. Il envoya même à l’almamy du Bondou des
cadeaux que celui-ci n’eut garde de refuser. Mais Makane tenait
absolument à aller attaquer Kotéra, ne fût-ce que pour humilier son
ennemi. Boubakar alla donc camper avec ses hommes à Gatiari, sur la
rive droite de la Falémé, et n’en continua pas moins à entretenir
de bonnes relations avec Allimana et à recevoir ses cadeaux. Mais,
un beau jour, il envoya contre Kotéra une bande de deux ou trois
cents cavaliers sous la conduite d’Ousman-Gassy. Arrivé dans la
plaine au centre de laquelle s’élève, sur un petit monticule,
le village de Kotéra, Ousman lança ses troupes, qui arrivèrent
jusqu’aux portes du village, enlevèrent quelques bœufs, mais ne
purent entrer dans le tata. Les Bondounkés, battus, furent obligés
de s’enfuir, poursuivis à outrance par les défenseurs de Kotéra,
qui leur firent subir des pertes sérieuses.

Au mois de mars 1876, Boubakar, voulant venger la défaite de son
fils, partit encore à la tête de ses guerriers et marcha contre
Kotéra. Il vint d’abord camper à Lanel, et de là se dirigea
sur ce village, qu’il bloqua étroitement. Trois fois il marcha
à l’assaut, et trois fois il fut repoussé avec de grandes
pertes. Obligé de battre en retraite dans le plus grand désordre,
il n’eut que le temps de s’enfuir à toute bride pour échapper à
l’ennemi. Boubakar passa l’hivernage de cette année à Médine,
et, vers le mois d’août, vint attaquer Gakoura, dans le Kaméra. Il
s’en empara et le dévasta complètement.

En 1877, Boubakar, criblé de dettes, ne pouvait même plus acheter la
poudre et les armes nécessaires à ses guerriers. Cette année-là,
il alla attaquer le village de Sabouciré, dans le Bambouck, sous
prétexte qu’il avait donné asile à un pillard fameux nommé
Maby-Diaoua. Sabouciré fut pris et détruit, mais le butin que
Boubakar y fit ne suffit pas à ses besoins.

Mais les Sissibés étaient mécontents de leur almamy, dont le
despotisme avait atteint les dernières limites. En outre, il ne
pouvait satisfaire à leur soif insatiable de richesses, dont ils
ne savaient cependant pas profiter. Il résolut alors de les mener
de nouveau à quelque pillage.

Le Niani, province située à l’ouest du Ouli, sur les bords mêmes
de la Gambie, avait donné asile à des habitants du Ferlo fuyant
le joug de l’almamy du Bondou. Il exerçait aussi de fréquents
pillages sur les villages du Ouli et du Ferlo. Ce fut ce qui,
quelques mois plus tard, devait servir de prétexte à Boubakar
pour entreprendre la conquête de ce pays, dont il rêvait de faire
avec le Ouli un royaume qu’il destinait à son fils Ousman-Gassy,
trouvant que le Bondou n’était pas assez vaste pour eux deux. A
cet effet, il expédia ce dernier à Alpha-Molo, roi du Fouladougou,
afin de conclure un traité d’alliance avec lui.

Ousman-Gassy se mit en route au mois de mars 1878 avec quelques
guerriers. Il se dirigea droit sur la Gambie en traversant le
Sandougou. En passant devant Toubacouta, il intimida le chef de
ce village, marabout fameux qui se nommait Simotto-Moro, qui,
pour l’éloigner, lui donna quelques captifs. Ousman traversa
alors la Gambie, et arriva dans le Fouladougou, où il passa
l’hivernage. Il conclut alors avec Alpha-Molo un traité par
lequel celui-ci s’engageait à prêter main-forte à Boubakar à
la condition qu’il l’aidât à soumettre d’abord les pays qui
ne voulaient pas reconnaître sa domination.

Boubakar, dès qu’il connut les clauses de ce traité, partit
de Sénoudébou dans les premiers jours de décembre 1878. Il
passa la Gambie avec ses troupes à hauteur de Gaïada, à un gué
nommé Dioudé-Gaoudi, dans les premiers jours de 1879, pour aller
rejoindre son nouvel allié. Mais arrivé dans le Kantora, il y fit
la rencontre de cavaliers d’Alpha-Ibrahima, chef de Labé, qui se
trouvait à Kadé (Ghabou) depuis quelques années pour soumettre ce
pays. Alpha-Ibrahima faisait prier l’almamy du Bondou de revenir lui
prêter main-forte pour marcher contre Couttang, dont les habitants
lui étaient toujours hostiles. Boubakar conclut alors avec lui une
alliance offensive et défensive, et se dirigea sur Kadé, d’où
les deux armées marchèrent sur Couttang, qui fut pris après une
vive résistance. Mais les alliés perdirent environ deux à trois
cents hommes, tués ou faits prisonniers. Ce fut Ousman-Gassy,
que son père avait rappelé du Fouladougou, qui décida de la
victoire. Aussi Alpha-Ibrahima, en reconnaissance, lui donna-t-il
en mariage sa propre fille. Le mariage eut lieu le jour même de
la bataille. Ils soumirent tout le reste du pays et s’emparèrent
d’un grand nombre de villages où ils trouvèrent des quantités
de bœufs et quelques centaines de captifs. Alpha-Molo s’était
joint à eux et avait conclu une alliance dans les mêmes conditions
que celle qui les unissait. Tous les Badiars furent donc soumis à
Alpha-Ibrahima, et l’armée de la triple alliance songea dès lors
à réduire les ennemis d’Alpha-Molo, puis ceux de Boubakar-Saada.

Les trois rois noirs se mirent en marche vers le Fouladougou
en 1879. De là, ils marchèrent sur Diara-Carantaba, dans le
Diamarou. Ils s’en emparèrent sans coup férir. Ils prirent de
même Kanimenko et deux autres villages, et rentrèrent dans le
Fouladougou vers la fin de mai.

Ils ne tardèrent pas à se remettre en campagne, et tournèrent leurs
yeux vers le Kantora, dont Alpha-Molo avait résolu la conquête. Ils
vinrent attaquer Talto. Ousman-Gassy fut chargé de s’emparer de ce
village, pendant que Moussa-Molo, fils d’Alpha-Molo, garderait le
chemin de Son-Counda, et que Mody-Aguibou, fils d’Alpha-Ibrahima,
surveillerait celui de Badia-Counda. Talto fut pris après une
demi-heure de résistance. Les deux armées se mirent alors en
route, l’une pour Son-Counda et l’autre pour Badia-Counda. Ils
arrivèrent dans la soirée devant les deux villages, et les
cernèrent. Pendant toute la nuit, ils échangèrent des coups de
feu avec les assiégés. Et le lendemain matin, à la première
heure, ils donnèrent l’assaut chacun de leur côté. A trois
reprises différentes, ils furent repoussés ; mais ils finirent par
s’emparer des deux villages presque à la même heure. Farintombou,
Kantali-Counda et Kokoum tombèrent ensuite sous leurs coups, et en
peu de jours le Kantora entier était tributaire d’Alpha-Molo.

L’armée de la triple alliance prit alors ses dispositions pour
passer l’hivernage et attendre le moment favorable pour marcher
contre les ennemis de Boubakar-Saada et envahir le Niani. Son objectif
était Koussalan, le plus fort village de toute cette région, que
l’almamy du Bondou accusait de retenir des fugitifs du village
de Naoudé (Ferlo-Maodo). Les guerriers étaient fatigués, et il
fallait les faire reposer quelques mois pour pouvoir recommencer la
guerre avec certitude de succès. Enfin, il fallait surtout renouveler
les approvisionnements en poudre et en balles.

Dans le courant de mars 1880, l’armée coalisée traversa donc la
Gambie, et vint camper entre Sini et Makadian-Counda. Alpha-Molo,
malade, avait cédé le commandement de ses troupes à son fils,
Moussa-Molo.

Le gouverneur anglais de Mac-Carthy fit tous ses efforts pour
dissuader Boubakar d’aller attaquer Koussalan. Il se rendit même
auprès de lui, et lui offrit une rançon au nom du Niani. Mais ce
fut inutile.

Du Ouli, Alpha-Ibrahima et Boubakar envoyèrent donc des émissaires
à Koussalan pour exhorter les habitants de ce village à revenir à
de meilleurs sentiments et à laisser les gens de Naoudé rentrer
chez eux. Mais ceux-ci, se fiant à la solidité de leurs sagnés
et de leurs tatas, s’y refusèrent net et battirent le tam-tam de
guerre. Ils réunirent dans leurs murs un grand nombre de guerriers
de la région ouest de Koussalan, tandis que ceux de la région
est avaient fait évacuer leurs villages par leurs familles. Seuls
les guerriers valides restèrent pour pouvoir se défendre au cas
où ils seraient attaqués. Prêts à la lutte, ils attendirent
tranquillement les événements. L’armée coalisée ne tarda pas
à se mettre en route pour Koussalan. Arrivés dans le Sandougou, les
deux rois expédièrent de nouveau des émissaires à Koussalan pour
dicter aux habitants leurs volontés. Les Torodos les chassèrent et
en mirent même deux à mort. En apprenant cette nouvelle, Boubakar
et Alpha résolurent alors d’attaquer immédiatement. L’armée
se mit en marche aussitôt contre le village ; mais, en voyant les
formidables sagnés dont il était entouré et les nombreux guerriers
qui garnissaient les murs, les alliés reconnurent qu’il leur serait
difficile de l’emporter de vive force. L’armée du Bondou campa
à l’est, celle du Fouta-Djallon au nord, et le Fouladougou au
nord-est. Il fut alors résolu qu’on ferait un siège en règle
et qu’on prendrait Koussalan par la famine. A cet effet, les
assiégeants firent construire de solides sagnés à environ une
portée de fusil de ceux du village, afin de s’abriter. Du matin
au soir, ce ne fut alors qu’un échange continuel de coups de fusil.

Cependant, les assiégeants parvinrent à franchir le fossé
qui entoure le village et à faire évacuer les postes qui
se trouvaient entre le fossé extérieur et le sagné. Ils
réussirent même à ouvrir quelques portes du sagné en coupant
les lianes qui les retenaient. Mais ce n’étaient là que de
maigres succès, et l’armée alliée se décimait peu à peu
sans obtenir de grands résultats. Elle se disposait à donner un
assaut décisif, lorsque tout à coup en entendit de grands cris
du côté du campement du Fouladougou. C’était du secours qui
arrivait à l’ennemi. Attaquée à l’improviste par de nombreux
contingents venant de Carantaba, l’armée alliée, prise entre deux
feux, se débanda. Ce fut une panique générale et un effroyable
désordre. Alpha-Ibrahima et Boubakar, abandonnés par leurs hommes,
n’eurent que le temps de monter à cheval et de s’enfuir. Ils
faillirent même être cernés par des cavaliers ennemis, dont
quelques-uns arrivèrent jusqu’à eux, et ils eussent été
faits prisonniers si Ousman-Gassy et Modi-Yaya ne s’étaient
pas vivement portés à leur secours et n’avaient pas dispersé
les assaillants. Toute la soirée ils couvrirent la retraite des
deux rois et purent repasser le Sandougou au gué de Paquéba. Ils
rentrèrent alors à Sini, où ils se reposèrent deux jours pour
rallier leurs hommes, dispersés de tous côtés et qui s’étaient
enfuis jusque dans le Kalonkadougou et sur les bords de la Gambie,
car les guerriers du Niani et du Sandougou les avaient poursuivis dans
toutes les directions. Trois cents hommes environ furent tués ; neuf
cents avaient été faits prisonniers, et cinq ou six cents avaient
disparu. Trois jours après, Boubakar reprit le chemin du Bondou,
et Alpha-Ibrahima, après avoir passé la Gambie à Passamassy,
était rentré à Kadé. Moussa-Molo regagna le Fouladougou par
Oualiba-Counda.

Ce désastre mit le Bondou entier en émoi. La nouvelle en parvint
à Saint-Louis, où le bruit courut même que Boubakar y avait perdu
la vie.

Quelque temps après, les habitants du Niani recommencèrent de
nouveau à piller dans le Ferlo-Maodo et le Ferlo-M’Bal. Ils
s’emparaient de tout ce qui leur tombait sous la main : hommes,
femmes, enfants, bœufs, et allaient vendre dans les pays voisins
le fruit de leurs rapines. Cet état de choses ne pouvait durer plus
longtemps sans plonger le Ferlo dans la plus épouvantable misère,
d’autant plus que Sénoudébou était trop éloigné pour pouvoir
les défendre efficacement. De plus, il était excessivement pressuré
par les captifs de Boubakar et par les hommes de sa suite, qui ne
cessaient de venir à chaque instant dans les villages imposer aux
habitants des redevances que leurs caprices seuls leur faisaient
percevoir et auxquelles ils n’avaient aucun droit. C’était le
pillage des deux côtés à la fois. Il y eut alors dans le Ferlo
une épouvantable émigration. Boubakar, pour tenter de l’enrayer,
y envoya des guerriers pour les protéger en cas de besoin et en même
temps aussi pour arrêter leur fuite. Une partie de ses troupes alla
camper à Saré-Diaguili, sous les ordres de son fils Ousman-Gassy, et
l’autre partie, commandée par son neveu Malick-Touré, s’établit
à Sabouciré. Ils passèrent l’hivernage dans le Ferlo, et, au
mois de novembre, Boubakar alla en personne s’établir à Longué,
où il construisit un fort sagné. Il réussit alors à décider le
lam (roi) des Fadoubés de N’Dogan à se retirer à Sabouciré,
et à se rapprocher ainsi du Bondou, où il serait plus en sûreté.

Les affaires du Bondou arrangées, les guerriers du Bondou rentrèrent
avec leurs chefs à Sénoudébou.

Au mois de mars 1881, Boubakar-Saada réunit de nouveau ses guerriers
et fit appel à ses alliés du Guoy, du Kaméra, du Fouta et du Khasso
pour recommencer la campagne contre Koussalan. Il alla camper à
Diamwély, où il attendit ses alliés, et, le 20 avril suivant, il se
mit en marche pour Koussalan. Mais arrivé à Sambardé, sur les bords
du Niéri-kô, il y fit la rencontre de quelques Dioulas du Bondou,
qui vinrent se plaindre à lui qu’en revenant du Niocolo, où ils
étaient allés commercer, ils avaient été pillés par les gens du
village de Gamon, et que, malgré leurs réclamations, on n’avait
jamais voulu leur rendre leurs marchandises. Le traité passé
avec les chefs du Tenda était donc ouvertement violé. Boubakar
envoya des cavaliers à Gamon pour le faire remarquer aux chefs
de ce village. Mais ceux-ci leur répondirent avec arrogance,
les maltraitèrent même et les chassèrent du village. A cette
nouvelle, Boubakar, furieux, renonça à son expédition contre
Koussalan et marcha contre Gamon. Il comptait bien s’en emparer
dans la première quinzaine d’avril. Mais toutes ses attaques furent
repoussées, et il dut se retirer à Bentenani et se contenter de les
harceler par des escarmouches répétées. Quelques jours après, il
envoya contre Gamon trois ou quatre cents cavaliers commandés par
Ousman-Gassy et Saada-Ahmady. Le 30 avril, ils arrivèrent devant
Gamon, échangèrent quelques coups de fusil avec les défenseurs
et s’emparèrent de quelques bœufs. Mais ils ne purent entamer
le village, et furent obligés de rentrer à Bentenani quelques
jours après, sans avoir obtenu de résultats appréciables. Gamon
résistait à toutes les attaques.

Cela dura ainsi jusqu’au mois de juin suivant, époque à laquelle
les habitants de Gamon, voyant que la saison des semailles approchait,
comprirent qu’ils devaient traiter avec Boubakar s’ils voulaient
pouvoir cultiver leurs lougans et ne pas s’exposer à la famine
pendant l’hivernage. Ils vinrent donc trouver l’almamy à
Bentenani, et la paix y fut conclue. Boubakar revint hiverner à
Sénoudébou avec ses guerriers.

La paix et la tranquillité régnèrent alors dans le
Bondou jusqu’au mois de septembre 1882, époque à laquelle
Mahmoud-N’Darry, frère de Maba, roi du Saloum, réunit une colonne
de huit cents fantassins environ et quatre cents cavaliers, et
marcha sur Sabouciré, village habité par le lam Paddo de N’Dogan,
dont les Torodos, réfugiés dans le Niani, avaient beaucoup à se
plaindre ; car ils avaient prétendu que c’était le chef des
Fadoubés, le lam Paddo, qui les dénonçait toujours auprès de
Boubakar et qui leur pillait leurs biens. Mahmoud-N’Darry tomba donc
sur Sabouciré et s’en empara au bout d’un quart d’heure. Le lam
Paddo trouva la mort dans cette affaire, et la moitié de ses enfants
furent faits prisonniers. Il n’échappa de Sabouciré que ceux qui
étaient allés aux lougans. Mahmoud-N’Darry reprit aussitôt le
chemin du Niani sans attendre seulement une demi-heure sur le champ
de bataille, et quand Boubakar-Saada arriva, quelques jours après,
de Sénoudébou pour venger les siens, il ne trouva que des cadavres.

Cependant, les habitants de Gamon avaient encore violé certains
articles du traité. Boubakar leva de nouveau ses guerriers et revint
camper à Benténani, d’où il leur envoya, comme la première
fois, des émissaires qui furent fort mal reçus. Il recommença
alors à les harceler par des colonnes volantes jusqu’au mois
de juillet, époque à laquelle les plaines marécageuses du Tenda
étant inondées, la cavalerie ne pouvait plus opérer. Il fut donc
obligé d’ajourner ses projets et d’en remettre l’exécution
à la fin de l’hivernage.

Au mois de février, Boubakar vint camper à Safalou, et de là
à Tenda-Médina, sur le marigot qui forme la limite du Badon et
du Bondou. De là, il envoya contre le village rebelle une colonne
pour le harceler avant son arrivée. Cette colonne était commandée
par Ousman-Gassy. Il put arriver jusque sur le tata après avoir
franchi les sagnés. Le combat dura trois heures, après lesquelles
les Bondounkés durent battre en retraite. Au fort de la mêlée,
un des fils de Toumané, massa (roi) du Badon, nommé Couroundy, et
qui avait été élevé par Boubakar, fut tué à ses côtés. Il
commandait les auxiliaires du Badon. Le lendemain matin, Boubakar
se mit en marche et vint cerner le tata sans l’attaquer. Il campa
autour et s’empara des puits et du marigot qui fournissaient
l’eau à la population. Au bout de quatre jours, la population,
dévorée par une soif ardente, se précipita sur les portes pour
les enfoncer. Les auxiliaires du Badon, ayant entendu ce tumulte,
accoururent vers le village, qui les reçut par une fusillade bien
nourrie. Ils y répondirent, arrivèrent bravement jusqu’au tata
et, par une ouverture qu’ils avaient pratiquée, purent incendier
quelques cases. Mais les assiégés accoururent en grand nombre,
éteignirent le feu, qui commençait à se propager, et repoussèrent
les assaillants.

Étroitement bloqués dans leur village, les habitants de
Gamon ne pouvaient avoir assez d’eau pour leurs besoins
journaliers. Arrêtés dans leur première tentative de sortie, ils en
tentèrent une seconde du côté du campement du Bondou. Trois cents
guerriers environ sortirent par une porte qu’ils avaient défoncée,
malgré les ordres des chefs du village, et se dirigèrent sur le
marigot. Les Bondounkés se portèrent immédiatement en avant pour
leur barrer le passage. Pendant quatre heures ils échangèrent une
vive fusillade, et des deux côtés personne ne recula. Boubakar-Saada
fit des pertes très sensibles. Trois des meilleurs captifs de la
couronne tombèrent, et peu après eux un de ses confidents intimes,
El-Hadj-Kaba, qui avait été élevé avec lui, avait partagé
tous ses travaux et couru tous les dangers auxquels il avait été
exposé. Il fut blessé au front, et expira peu après. Toutes ces
pertes découragèrent l’almamy, et on battit en retraite.

A cette vue, les habitants de Gamon, qui déjà désespéraient de
pouvoir soutenir plus longtemps le siège, poussèrent des cris de
joie et se mirent à la poursuite de l’armée du Bondou. La retraite
se transforma bientôt en une déroute générale. Vigoureusement
harcelée par les troupes du brigand Mahmoudou-Fatouma, qui était
venu avec ses hommes prêter main-forte aux guerriers de Gamon,
l’armée du Bondou rentra à Sénoudébou après avoir perdu
environ trois cents hommes. Durant la poursuite, les gens de Gamon
firent environ deux cents prisonniers, qui furent aussitôt passés
par les armes ou vendus dans le Niani comme captifs.

Boubakar revint à Sénoudébou très affecté de ce
désastre. L’émigration du Ferlo acheva de le démoraliser. Il
tomba alors sérieusement malade. Peu de jours avant sa mort, il
envoya son fils Ousman-Gassy avec une colonne contre le village de
Farabanna, sur les bords de la Falémé, pour le punir d’avoir
pillé des caravanes du Bondou. Farabanna fut pris d’assaut,
et trente hommes environ périrent dans cette journée.

Quelque temps après, le marabout Mahmadou-Lamine lui écrivit à
Sénoudébou pour lui demander de joindre ses forces aux siennes afin
de pouvoir conquérir les pays infidèles et surtout le village de
Gamon, auquel Boubakar ne pouvait pardonner l’échec qu’il lui
avait infligé. L’almamy lui fit répondre qu’il ne convoitait
aucune alliance avec n’importe quel marabout que ce fût et
qu’il ne s’engagerait qu’avec les amis de la France. Quels
que pussent être ses desseins, il lui défendait formellement de
mettre les pieds dans le Bondou. S’il transgressait cet ordre, il
l’en chasserait par les armes. Quinze jours après, il mourait à
Sénoudébou d’une maladie de poitrine contractée depuis longtemps
au cours de ses campagnes et conséquence des fatigues qu’il avait
éprouvées (10 décembre 1885).

L’almamy Boubakar était chevalier de la Légion d’honneur.

Il laissa huit enfants, dont la plupart sont encore vivants. Ce
sont : Ahmady-Bokkar, mort jeune ; Ousman-Gassy, qui régna et
mourut en 1891, au cours de la campagne contre Nioro ; Saada-Bokkar,
Ouapa-Bokkar, Ciré-Touré, Moussa-Yéro, Suleyman-Bokkar, et enfin
Séga-Bokkar, qui habitent Sénoudébou.


                       OUMAR-PENDA (1885-1886).


Régulièrement, à la mort de Boubakar-Saada, son frère puîné
Koli-Mody aurait dû lui succéder. Mais ce prince se trouvait alors
dans le Macina, auprès de Tidiani, et s’était fait dans ce pays
une haute situation. Il ne voulut pas venir recueillir l’héritage
de son frère. En conséquence, Oumar-Penda, qui le suivait dans
l’ordre de succession, fut reconnu almamy du Bondou par la France
et par les Sissibés. Il fixa sa résidence à Boulébané, et à
peine fut-il installé qu’il se trouva aux prises avec les plus
grosses difficultés. Le marabout Mahmadou-Lamine, ce faux prophète
qui rêvait de se créer, comme El-Hadj-Oumar, un grand empire
au Soudan en exploitant le fanatisme des populations musulmanes,
attaquait le Bondou de toutes parts.

L’histoire du règne d’Oumar-Penda n’est absolument que celle
de la guerre qu’il eut à soutenir contre lui.

Mahmadou-Lamine-Dramé naquit à Safalou (Bondou). Son véritable
nom est Malamine-Demba-Dibassi. Comme, au Soudan, les indigènes
ne conservent pas la mémoire des dates, il est assez difficile
de fixer exactement l’époque de sa naissance. Toutefois,
grâce à la concordance de certains faits importants, on peut
dire que ce fut vers 1840 qu’il vit le jour. Son père était un
marabout assez renommé, pour lequel on a conservé dans le pays
un certain respect. Il se nommait Alpha-Ahmadou et était fils
d’Alpha-Mahmadou-Salif, qui était originaire de Goundiourou,
près Médine (Khasso). Mahmadou-Salif vint s’établir près de
Safalou, dans un petit village de culture qui en dépendait et qui
se nommait Cocoumalla. Là, Alpha-Ahmadou se maria avec une femme
dont les parents étaient originaires du Diafounou. Ce fut elle qui
donna le jour à Mahmadou-Lamine. On n’est pas encore bien fixé
sur la race à laquelle appartenait cette famille. Toutefois, on
admet généralement qu’elle est d’origine sarracolée ; mais,
en tout cas, elle serait fortement mitigée de sang toucouleur et
de sang bambara.

Mahmadou-Lamine fit ses premières études religieuses dans la maison
paternelle, car à Safalou il y eut toujours des écoles arabes
très fréquentées. Un jour, étant encore enfant, Mahmadou-Lamine
accompagna sa mère et son jeune frère dans les lougans pour y faire
la cueillette de l’indigo. Par un malheureux hasard, des pillards
venus de Gamon, avec lequel le Bondou était alors en guerre, les
surprirent dans leur travail et les firent prisonniers. Arrivés
dans leur village, les gens de Gamon mirent leurs captifs aux fers,
comptant bien qu’ils en tireraient un profit considérable en
les vendant dans le Niani ou dans le Fouladougou. Quelques jours
après, une caravane venant des bords de la Gambie pour aller dans le
Guidimakha passa par Gamon. Les habitants les chargèrent de prévenir
les gens de Cocoumalla que la femme d’Alpha-Ahmadou se trouvait chez
eux avec ses fils, et que s’il voulait qu’ils lui fussent rendus,
il eût à payer une forte rançon. Le marabout Alpha-Ahmadou, ou
Fodé-Ahmadou, comme disent également les Sarracolés, fit tout ce
qu’il put pour les racheter. Mais dans cet intervalle, la mère de
ses enfants vint à mourir à Gamon en peu de jours. Mahmadou-Lamine
et son frère revinrent donc seuls à Cocoumalla.

Si l’on considère combien les peuples du Soudan, à quelque
race qu’ils appartiennent, ont d’affection et de respect pour
leur mère, on comprendra aisément quelle haine Mahmadou-Lamine,
devenu homme, dut ressentir contre Gamon. Aussi, depuis le jour où
il était devenu orphelin, demandait-il régulièrement à Allah,
à l’heure de la prière, le châtiment des infidèles de Gamon
qui l’avaient fait prisonnier et qui avaient, par leurs mauvais
traitements, causé la mort de sa mère.

Revenu dans la maison de son père, il y continua avec ferveur
ses études de talibé. Cela dura ainsi jusque vers 1850. Cette
année-là, son père partit de Safalou et se rendit à Boulébané
pour faire à l’almamy la visite d’honneur qui, d’après la
coutume, est imposée à tout chef de village ou de canton et à
tout marabout qui jouit d’une autorité ou d’une influence
quelconque. Cette visite se fait généralement vers le mois de
décembre, après les récoltes.

Alpha-Ahmadou arriva donc à Boulébané le jour même où l’almamy
Saada, père de Boubakar, venait de perdre un de ses fils qu’il
chérissait le plus, Ciré-Sôma. L’almamy donna au marabout de
Safalou le cheval de Ciré-Sôma et ses vêtements. Ce qui est une
preuve qu’il le tenait en bonne estime et qu’il jouissait d’une
certaine considération.

Quelques années plus tard, vers 1854, à l’époque où
El-Hadj-Oumar quittait son village pour aller s’établir dans
le Dinguiray avec sa famille, Mahmadou-Lamine s’éloignait de la
maison paternelle pour aller à Bakel continuer ses études auprès
d’un marabout fameux qui se nommait Fodé-Mohammed-Saloum, et qui
tenait une école assez fréquentée.

Quand El-Hadj-Oumar passa par Bakel, Mahmadou-Lamine alla le voir
et obtint sa bénédiction. Quelques années plus tard, lorsque
El-Hadj commença à faire la guerre aux Bambaras et aux Malinkés,
Mahmadou-Lamine, ayant terminé ses études, se mettait en route pour
faire le pèlerinage de la Mecque. Il traversa toute l’Afrique, en
passant par le Macina, le Mossi et le Haoussa, et mit, dit-on, trois
années pour effectuer ce pénible et dangereux voyage, mendiant sa
subsistance de chaque jour auprès de ses coreligionnaires. Arrivé
dans la ville sainte, il s’y fit remarquer par son zèle, sa foi
ardente et son intelligence à interpréter le Coran. Il y resta
sept années, après quoi il reprit le chemin de son village.

Partout il fut accueilli avec respect et admiration. Onze rois,
rapporte le colonel Frey, cherchèrent en vain à le retenir auprès
d’eux. De jour en jour et de village en village sa réputation
grandissait, et il avait déjà une suite nombreuse de talibés
quand il arriva dans les états de Tombouctou. Ce fut alors que,
pour la première fois, l’idée du merveilleux lui vint à
l’esprit. M. le capitaine de Brisay, qui commanda pendant trois
années consécutives le cercle de Médine, a recueilli de la bouche
d’un des croyants fanatiques le récit des premiers actes de ce
genre qu’on lui attribue. Nous empruntons les lignes et bon nombre
des détails qui suivent au remarquable livre de M. le colonel Frey :
_Campagne dans le Haut-Sénégal et le Haut-Niger_ (1885-1886) :

« A quelques journées de marche de Tombouctou, Lamine fut prévenu
que le roi envoyait à sa rencontre une armée ayant pour mission
de l’arrêter et de le faire prisonnier. Aussitôt il réunit
les gens de sa suite et leur fait part de la nouvelle qu’il vient
d’apprendre. Chacun se prépare au combat, et les talibés jurent à
leur maître de le défendre jusqu’à la mort. Lamine, se tournant
alors vers le tombeau du prophète, lève les bras au ciel, puis se
prosterne la face contre terre ; les guerriers suivent son exemple,
et, dans une suprême prière, ils demandent à Dieu le courage et la
victoire. Après le salam, le marabout paraît radieux et inspiré ;
tous s’approchent de lui, et au nom d’Allah, il leur annonce
qu’ils n’ont plus rien à craindre. Un hourra d’enthousiasme
accueille cette promesse, et la petite troupe, pleine de confiance,
se remet en marche.

» Peu d’instants après, l’armée ennemie se montre. Elle est
si nombreuse qu’elle couvre l’horizon. Lamine, sans hésiter,
marche vers elle, et, dit la légende, la traverse tout entière
sans qu’un seul ennemi cherche à s’y opposer. Il s’était
rendu invisible ! » Dès lors, il traverse sans encombre le pays de
Tombouctou et arrive dans le Macina, où Tidiani, roi d’Hamdallahi,
neveu d’El-Hadj-Oumar et cousin d’Ahmadou, sultan de Ségou,
lui fit bon accueil, lui offrit des présents et lui donna comme
gage d’amitié une captive que le marabout épousa.

Après un séjour de peu de durée à Hamdallahi, Lamine partit pour
Ségou. A son arrivée dans cette ville, Ahmadou, après lui avoir
fait restituer la captive que Tidiani lui avait donnée, voulut
le faire saisir et mettre à mort. Mais, ses talibés, montrant
une sainte vénération pour l’envoyé de Dieu, refusèrent
d’exécuter cet ordre. Ahmadou fut forcé de transiger. Il
reçut Lamine, lui laissa la vie sauve et lui assigna pour demeure
l’emplacement d’un village détruit situé à peu de distance
de la ville. Ce lieu fut appelé _Salam_ (prière). Il devint
rapidement le centre d’un ardent prosélytisme, et la renommée
du faux prophète commença dès lors à se répandre dans tout le
Soudan occidental. Des caravanes de dioulas Sarracolés revenant du
Sangara et de Kankan rapportaient jusque sur les rives du Sénégal le
récit des miracles que faisait dans le Ségou leur compatriote. Vers
cette époque apparut une grande comète dont la queue était tournée
vers le nord. Pendant trois mois, elle fut visible. Les Sarracolés
ne manquèrent pas de répandre la version que cette comète était
un signe évident qu’Allah allait envoyer un prophète et que
ce prophète ne pouvait être autre que Mahmadou-Lamine qui était
destiné à relever l’ancien empire sarracolé dont la dynastie
était depuis longtemps éteinte. Dans leur joie, ils projetaient
déjà de grandes choses qu’ils rêvaient de réaliser prochainement
avec certitude de succès. Ils firent ainsi à Lamine une grande
popularité dans tous les pays sarracolés bien avant sa venue sur
les bords du Sénégal.

Cependant le soupçonneux sultan de Ségou commençait à se méfier
du trop remuant marabout et à prendre ombrage de ses menées et de
la réputation qu’il avait parmi ses sujets. Depuis longtemps il
avait conçu le plan de sa campagne du Kaarta ; mais il ne voulait
pas partir, laissant libre, derrière lui, au cœur de son empire,
l’homme dont il redoutait l’influence et dont il connaissait
les vues ambitieuses. Dans ces circonstances encore, la légende
attribue à une intervention miraculeuse le salut du marabout.

« Après avoir beaucoup hésité, Ahmadou parvint, au moyen
de cadeaux et de promesses, à décider quelques-uns de ses plus
fidèles talibés à s’emparer en secret de Mahmadou-Lamine et à
le lui ramener prisonnier.

» La petite troupe partit donc pour Salam.

» Ce jour-là les heures paraissaient longues au sultan, impatient
de tenir son ennemi sous sa dépendance, quand, vers le soir,
du haut de son palais où son attente inquiète l’avait conduit,
Ahmadou aperçut de loin ses cavaliers rentrant à la débandade. Que
s’était-il passé ? Les talibés avaient cerné le village. Le
silence et la solitude régnaient partout. Peu rassurés, ils
s’étaient avancés vers les palissades ; mais au moment où ils
allaient pénétrer dans l’intérieur, huit poissons monstrueux
s’étaient dressés devant eux, la gueule béante. Saisis
d’effroi, les talibés s’étaient enfuis, confiant leur salut
à la rapidité de leurs coursiers, qui, affolés eux-mêmes, les
ramenèrent bride abattue vers la capitale. Le sultan, après avoir
entendu ce récit fantastique, déclara n’y pas croire. Il fit honte
à ses talibés de leur poltronnerie, et leur ordonna de retourner
à Salam, en les prévenant qu’il les y conduirait lui-même.

» Le lendemain, Ahmadou partit, en effet, à la tête de
quelques cavaliers. En arrivant près du village, il arrêta son
escorte, mit pied à terre, et s’avança seul vers la demeure
du marabout. Comme il se préparait à en franchir l’enceinte,
les huit monstres de la veille se dressèrent encore devant lui
pour lui barrer le passage. Lamine apparut alors et dit au sultan :
« Fils d’El-Hadj-Oumar, tu as renié ta foi ! Au nom de ton père
je t’adjure de rentrer dans ton palais. » Ahmadou, ne pouvant
compter sur ses talibés effrayés, et ne voulant pas rester à la
merci de son ennemi, remonta à cheval et reprit le chemin de Ségou.

» Quelques jours se passèrent pendant lesquels il ne fut question
dans la ville que du nouveau prodige de Salam.

» N’ayant pu réussir à se rendre maître de Lamine par la force,
Ahmadou essaya de s’en débarrasser par la ruse. Il chargea son
plus habile griot d’aller porter au marabout des présents parmi
lesquels il glissa un _gourou_ (noix de kola) empoisonné. Le griot
s’acquitta, avec toute la ruse dont il était capable, de la mission
délicate qui lui avait été confiée. Il présenta les excuses de
son maître à l’envoyé d’Allah, lui fit de belles promesses,
puis il tira de sa poche le gourou empoisonné que le sultan avait
choisi parmi les plus beaux.

» Lamine le prit et remercia le griot qu’il renvoya avec des
présents. Mais en arrivant au palais pour rendre compte de la
réussite inespérée de sa démarche, le griot ne put retenir une
exclamation de surprise en dépit du respect dû au sultan (car
l’étiquette était sévère à la cour de Ségou), et il recula
de plusieurs pas, laissant voir sur sa physionomie l’expression
de la terreur la moins dissimulée. Il venait d’apercevoir sur la
natte royale, aux pieds mêmes du sultan, la noix perfide dont il
croyait déjà l’effet produit.

» Ahmadou, composant son visage pour ne pas trahir son étonnement,
saisit la noix et la remit au griot en lui disant d’un ton
sévère : « Puisque tu crois que c’est là le gourou que je
t’ai chargé de remettre au marabout, prends-le et porte-le-lui. »
L’ordre était formel et l’exécution n’en pouvait être
différée. Malgré la frayeur qui s’est emparée de lui, le griot
part sans répliquer et reprend le chemin de Salam.

» En route, il se livre à de tristes réflexions sur le sort qui
lui est réservé.

» Inquiet, l’idée lui vient de chercher le gourou qu’il avait
placé dans la poche de son vêtement, mais c’est en vain qu’il
en sonde les profondeurs : la noix magique a disparu. En proie à la
plus grande perplexité, il se jette la face contre terre, implorant
Allah de conjurer la colère de son maître. Puis, désespéré,
il retourne à Ségou, et, tremblant, vient se prosterner devant le
sultan. Mais à peine a-t-il mis un genou en terre que le gourou
magique reparaît à la même place que la première fois. C’en
était trop. Le malheureux griot, épouvanté, prit la fuite, et
Ahmadou fut obligé de renoncer à son projet homicide.

» Le récit de ces exploits merveilleux était colporté dans
tout le Soudan par des fidèles de Lamine, qui, tous, affirmaient
avec une assurance imperturbable, qu’ils en avaient été les
témoins. Leurs auditeurs les écoutaient avec recueillement et
y ajoutaient une foi entière. » Il n’en fallait pas plus pour
exciter le fanatisme des Sarracolés et pour les inviter à regarder
le marabout comme un envoyé de Dieu. Dans tous les pays riverains
du haut Sénégal, il passait déjà pour un être doué d’un
pouvoir surnaturel. Les anges, disaient-ils, constituaient auprès
de lui une garde vigilante. Il en était même qui prétendaient que,
tous les jours, de nombreux porteurs de paille sèche entraient chez
lui et que, pendant la nuit, toute cette paille était dévorée par
les chevaux des anges qui l’assistaient et qui, invisibles pour les
autres hommes, étaient visibles pour lui seulement. D’autres enfin
prétendaient que tout homme qui croyait en lui et à la sainteté
de sa mission devenait par cela même invulnérable, que les balles
ne pouvaient pas l’atteindre, etc., etc. Lui-même, du reste,
entretenait d’une façon habile ces croyances superstitieuses et
faisait, entre autres choses, courir le bruit que Dieu avait exaucé
ses vœux et lui avait promis de lui construire une mosquée à
Sansandig sur la Falémé.

Sur ces entrefaites, Ahmadou avait résolu de commencer sa campagne du
Kaarta. Il prit ses dispositions pour un prochain départ. Avant de
quitter Ségou, le sultan fit des présents à Lamine et lui promit
une large part du butin qu’il devait rapporter, tout cela sans
doute pour l’attacher à sa cause et endormir son ambition. Il ne
pouvait pas se défendre à son égard de graves appréhensions ; car
il répétait souvent ces mots à ses fidèles en parlant de lui :
« Voilà, disait-il, un homme qui, s’il est prophète, comme
on le prétend et comme beaucoup le croient, fera tôt ou tard le
malheur de plus d’un peuple. S’il n’est pas prophète, comme
je m’en doute, du reste, il est du moins un hypocrite dominé par
un mauvais esprit. Il essaiera d’entreprendre de grandes choses ;
mais son ambition sera déçue. Si donc les Foutankés (hommes du
Fouta) avaient accédé à mon désir, je l’aurais arrêté et mis
quelque part pour éviter les malheurs que sa présence dans le pays
ne tardera pas à engendrer. »

Après le départ d’Ahmadou, Madani, son fils, fut investi du
pouvoir souverain. Il avait reçu le sceptre du commandement des
mains de son père au moment où celui-ci partait à la tête de ses
armées. Le jeune prince, qui avait été élevé dans les principes
de la religion du Coran, avait un grand respect pour le marabout
de Salam. Il lui accorda bientôt sa liberté. Mahmadou-Lamine
n’attendait que cela pour pouvoir mettre à exécution ses
projets de substitution d’un empire sarracolé à celui des
Toucouleurs. Mais pour arriver à son but, il avait besoin de faire
connaître ses qualités guerrières, et ce n’était pas dans le
pays bambara qu’il comptait recruter ses partisans.

Il quitta donc, ajoute M. le colonel Frey, Ségou dans le courant
de l’année 1885, traversa le Niger et s’arrêta à Nyamina,
marché important, à 150 kilomètres au nord-est de Bammako.

En route, il rencontra une députation venue de Tabacoura pour lui
demander de faire une levée de boucliers dans le Bélédougou et de
prêcher la guerre contre Ahmadou. Lamine déclina l’honneur du
commandement qui lui était offert, disant que le temps n’était
pas venu. Il se rendit ensuite à Bammako, d’où il se dirigea
par la ligne de nos postes sur Médine.

Au mois de juillet 1885, Lamine arriva à Médine, puis s’établit
à Goundiourou où son grand-père avait habité. Il y jouit bientôt
d’une certaine influence et elle grandissait d’autant plus
que sa renommée l’avait précédé depuis longtemps et qu’il
entretenait depuis deux ou trois ans des relations suivies avec les
Sarracolés et les Diakankés de la région, au moyen d’actives
correspondances que ses émissaires, voyageant comme Dioulas pour
ne pas exciter les soupçons, répandaient dans tous les villages
du Kaméra, du Guidimakha, du Guoy et même du Bondou.

Notre vieil allié Sambala, roi de Médine, se portait garant de ses
intentions pacifiques, toutes les fois que le commandant supérieur
attirait son attention sur les projets qu’on lui prêtait. En
hypocrite consommé et en diplomate habile, Mahmadou-Lamine, dont
les partisans devenaient chaque jour plus nombreux, sut endormir les
soupçons des autorités françaises et même s’attirer leurs bonnes
grâces. Pendant ce temps-là, il organisait sans relâche la révolte
qui devait bientôt incendier tout le Haut-Sénégal. Ses émissaires
portaient ses lettres aux chefs des différents pays sur lesquels il
avait jeté son dévolu. Nous avons vu comment Boubakar-Saada, almamy
du Bondou, lui avait répondu. Mais Goundiourou était trop près des
postes français de Kayes et de Médine. Lamine, pour mieux mettre ses
projets à exécution, résolut de s’en éloigner. En conséquence,
il demanda l’autorisation de se rendre dans le Guoy où se trouvait
une partie de sa famille. Le colonel commandant supérieur « lui
répondit qu’il était libre de voyager au même titre que les
autres indigènes, c’est-à-dire qu’il ne devait emmener avec
lui ni suite nombreuse de serviteurs, ni escorte d’hommes en
armes. Lamine promit de se soumettre à la loi commune. Il ajouta
qu’au premier appel qui lui serait fait, au cas où des rapports
malveillants seraient adressés sur son compte, il viendrait aussitôt
se disculper lui-même de ces accusations mensongères. »

Dans les premiers jours de décembre 1885, le marabout partit pour
Dramané, village dont les habitants sont renommés par leur fanatisme
musulman, puis se rendit de là à Bakel, laissant à Goundiourou,
comme gage de ses intentions pacifiques, ses femmes, ses enfants et
ses captifs.

« Des dispositions furent prises pour surveiller de près les faits
et gestes du marabout.

» A son passage à Bakel, Lamine fit une visite au commandant de
ce poste et lui renouvela ses protestations de dévouement.

» Sur ces entrefaites, le 18 décembre, Boubakar-Saada, almamy du
Bondou, vint à mourir. C’était un vieil allié des Français,
comme nous l’avons vu dans le cours de ce récit, peu aimé, il est
vrai, de ses sujets qu’il avait accablés d’impôts, mais qui,
grâce à une ferme et habile politique, avait su maintenir intacte
son autorité et assurer pendant de longues années la tranquillité
dans ses états.

» Cette mort marque l’origine de l’agitation de Mahmadou-Lamine
dans le pays.

» A la mort de Boubakar-Saada, son frère et successeur légitime
Oumar-Penda prit en main le pouvoir. D’une santé délicate, presque
aveugle, à l’esprit étroit, Oumar était sans autorité. Celui qui
avait hérité des richesses de l’almamy du Bondou, de ses captifs
et de son influence, c’était son fils Ousman-Gassy, jeune homme
intelligent, intrépide cavalier, et qui avait donné en d’autres
circonstances des preuves de décision et de bravoure. Respectueux
des lois du pays, mais ne défendant pas à ses partisans de le
poser en rival, en compétiteur d’Oumar, Ousman-Gassy affecta,
au début, de se désintéresser des affaires du Bondou, laissant
Oumar sans forces, sans appui, aux prises avec les difficultés qui
allaient surgir. Mais dès qu’il devina les intentions du marabout,
il voulut organiser la résistance. Il était trop tard.

» Mahmadou-Lamine, sentant tout le parti qu’il pouvait tirer de
l’inaction d’Ousman-Gassy, du manque de cohésion des forces du
Bondou, projeta ce qu’il n’eût jamais osé tenter du vivant de
Boubakar-Saada. » Suivons-le maintenant pas à pas.

De Dramané, il suivit le cours du Sénégal, s’arrêtant dans tous
les villages sarracolés, acclamé partout par les populations qui,
chaque jour, se pressaient à sa rencontre pour le contempler et lui
faire des cadeaux. Nous avons vu comment, au cours de ce voyage, il
sut, par ses paroles doucereuses et ses protestations de dévouement,
tromper le commandant de Bakel qui lui laissa continuer son voyage.

Il arriva ainsi jusqu’au village de Goumel, dans le pays
d’Aéré, mais ne put aller plus loin. Mahmadou-Abdoul, fils
d’Abdoul-Boubakar, lui barra le passage et l’empêcha de
pénétrer plus avant dans le Fouta, alléguant comme prétexte que
son père ne se trouvant pas actuellement dans le pays, il ne pouvait
lui permettre de s’avancer plus avant dans le Fouta. Abdoul-Boubakar
se trouvait alors dans le Ripp, au secours de Saër-Maty, fils de
Maba, roi du Saloum, qui était en guerre contre Mour-Seïni, un
ancien lieutenant de son père. Mahmadou-Abdoul lui fit cependant
cadeau d’un cheval et de 40 pièces de guinées. Lamine rebroussa
alors chemin et revint jusqu’à Arondou, au confluent du Sénégal
et de la Falémé. De là il se rendit à Balou, à quelques
kilomètres d’Arondou, où il campa pendant quelques jours
durant lesquels tous les Sarracolés des pays environnants vinrent
le rejoindre. On s’aperçut alors que son séjour prolongé à
Goumel n’avait pour but que de permettre à ses partisans de le
rejoindre au premier ordre à Balou, point fixé depuis longtemps
pour leur concentration. A peine arrivé à Balou, il reprit son
projet qui lui était si cher d’aller infliger un châtiment aux
habitants de Gamon et de venger la mort de sa mère. Il entra alors
en pourparlers avec Oumar-Penda et lui demanda de l’autoriser à
traverser le Bondou avec sa colonne pour aller attaquer Gamon. Il
lui proposa de s’allier à lui pour marcher contre les idolâtres,
et lui demanda des guides pour le diriger, sur la rive droite de la
Falémé, jusqu’à Sansandig d’où il gagnerait Gamon.

En même temps, il envoyait des émissaires dans tous les pays
sarracolés aussi bien que dans les provinces voisines, le Bambouck,
le Khasso, le Logo, etc., etc., invitant les populations à venir
le rejoindre en masse pour les conduire au pillage de Gamon et aussi
des riches villages de la Gambie.

Lamine savait bien qu’en s’adressant à la passion favorite du
noir, l’amour du brigandage, l’appât du butin et des captifs,
il ne manquerait pas de partisans. En effet, de toutes parts
accourut en foule à Balou tout ce que ces provinces recélaient de
pillards. De même, la jeune partie de la population sarracolée,
intelligente et vaine, exaltée par les prédications des marabouts,
et pour laquelle la guerre aux infidèles était également synonyme
de pillage, vint s’enrôler sous ses ordres.

Il avait, d’ailleurs, depuis longtemps déjà son plan bien
arrêté. Depuis son départ de Goundiourou, il ne rêvait rien
moins que de chasser les Sissibés du trône du Bondou et de
s’emparer du pouvoir pour lui, et du pays, qu’il livrerait aux
Sarracolés. Depuis longtemps aussi, ses émissaires circulaient dans
le Bondou et visitaient particulièrement les villages sarracolés et
diakankés, qu’il savait devoir le seconder soit en vertu de leur
origine, soit par fanatisme. Tous, du reste, l’avaient assuré de
leur dévouement et ils n’attendaient que le moment propice pour se
lever comme un seul homme et aller se ranger sous sa bannière. La
meilleure preuve en est que, lorsque Boubakar-Saada mourut à
Sénoudébou, aucun homme de ces deux races qui habitaient le Ferlo
et le Diaka ne vint à Sénoudébou pour y faire à son successeur
leurs compliments. De plus, les envoyés de l’almamy étaient
depuis quelque temps toujours fort mal reçus dans leurs villages.

Ainsi Fodé-Bokkar, de Diamwéli-Taracorouabé ;
Fodé-Mahmadou-Sanoussy, de Kouddi ; les habitants de Badé, près
de Kouddi ; Fodé, chef de Bani ; Fodé-Ismaïla, chef de Dianna et
doyen d’âge de tous les Diakankés ; Fodé-Antioumané, chef de
Bagagadié ; Fodé-Dibaya, chef de Sansandig, originaire de Safalou
et en un mot tous les Fodés sans exception de race sarracolée ou
diakankée, s’étaient depuis longtemps entendus avec le marabout
et entretenaient avec lui des relations suivies depuis qu’il
était dans le Ségou. Elles étaient devenues plus étroites et
plus amicales pendant son séjour à Goundiourou.

Dans ces circonstances, les Sissibés du Bondou ne pouvaient guère
compter sur eux. D’autre part, le Tiali et le Niéri, voisins du
Diaka, penchaient également pour le marabout, et le Lèze-Bondou,
voisin du Guoy, ne comprenait que de petits villages dont les
guerriers étaient peu nombreux et incapables de se défendre dans
le cas où Oumar serait battu. Enfin les autres cantons du Bondou
étaient ou trop éloignés pour que leurs troupes pussent arriver à
temps, ou bien encore enchantés de voir les malheurs qui menaçaient
les Sissibés, dont les pillages et les exactions les avaient depuis
longtemps irrités. On ne pouvait donc absolument avoir confiance
que dans le Bondou proprement dit, où habitaient les Sissibés et
leurs familles.

Malgré cela, Oumar-Penda fit appel à tous ses sujets et se rendit
à Gabou pour y concentrer ses troupes. En même temps, il faisait
dire au marabout, à notre instigation, qu’il ne pouvait accepter
ses propositions et qu’il lui interdisait absolument de mettre
les pieds dans le Bondou.

A cette nouvelle, Mahmadou-Lamine se mit immédiatement en marche avec
ses bandes, déclarant qu’il remonterait la Falémé jusqu’à
Sénoudébou pour aller visiter le tombeau de Boubakar-Saada,
et que de là, il continuerait sa route vers le Tenda qu’il se
promettait de conquérir. « Rien ne pourra m’arrêter, disait-il,
car je marche sur le terrain de Dieu. »

C’était un plan bien combiné. Une fois dans la capitale du
Bondou, en effet, il était absolument maître de tout le pays
et pourrait faire tout ce qu’il voudrait à l’abri des murs
de Sénoudébou. Dès qu’ils eurent connaissance de ces faits,
les Sissibés tinrent un grand palabre au camp de Gabou. Les
uns proposèrent d’aller immédiatement attaquer Lamine en
rase campagne. D’autres proposèrent d’aller l’attendre à
Sénoudébou. Ce fut ce dernier avis qui prévalut.

Mahmadou-Lamine, après avoir quitté Balou, longea, comme il
l’avait annoncé, la Falémé. Il arriva ainsi à Allahina,
petit village alors habité par des Bambaras sujets de Daman. A son
approche, ils s’enfuirent et allèrent rejoindre leur chef à Goré,
dans le Kaméra.

D’Allahina, Lamine envoya deux hommes à Ousman-Gassy qui habitait
alors Diamwéli. Celui-ci refusa de les recevoir, mais garda,
dit-on, les chevaux qu’il trouva de bonne prise. Le lendemain,
le marabout partait d’Allahina au son de ses tams-tams de guerre
et marcha vers Sénoudébou devant les murs duquel il défila sans
l’attaquer et alla camper à quelques kilomètres au sud, près
des ruines de Débou.

Le lendemain, de bonne heure, il quitta Débou pour se rendre à
Diamwéli, disait-il, dans le but d’avoir avec Oumar-Penda une
entrevue et pour faire auprès de lui une dernière démarche afin
d’obtenir l’autorisation que l’almamy lui avait refusée.

Tout cela n’était que mensonges. Son plan véritable était
d’appeler les Sissibés dans un grand palabre et, pendant qu’on
discuterait, de les faire cerner par ses hommes et de les faire
massacrer au moment où ils s’y attendraient le moins.

Oumar-Penda, informé de la marche du marabout, se transporta
aussitôt avec ses hommes de Boulébané à Diamwéli-Taracorouabé.

Arrivé en vue de ce village, Lamine expédia trois cavaliers à Oumar
pour le prévenir de son arrivée et fit immédiatement déployer
ses guerriers en trois colonnes. La première était destinée à
sa garde, la seconde et la troisième devaient cerner le village.

Oumar-Penda, en voyant le mouvement, congédia les envoyés
du marabout et à la tête de ses hommes se dirigea vers le
marigot qui entoure en partie le village. Il en descendit la
berge et s’y embusqua. Un coup de fusil parti de la troupe de
l’almamy du Bondou engagea l’action. Pendant deux heures, on
se fusilla avec furie, mais sans se causer de part et d’autres
de pertes sérieuses. Accablé par le nombre, Oumar-Penda ne
put résister plus longtemps. Il fut obligé de s’enfuir et de
regagner Boulébané sa résidence habituelle, abandonnant son
fils Boubakar-Oumar qui se trouvait cerné dans le marigot avec
une trentaine d’hommes. Vingt environ furent tués, les autres
grièvement blessés et Boubakar-Oumar fait prisonnier avec les
survivants. Il fut immédiatement conduit au marabout, qui le fit
garder à vue. Diamwéli fut pris et brûlé.

Oumar-Penda avait pu gagner Boulébané et y rallier quelques débris
de ses troupes. Il leur confia la garde du village et se rendit en
toute hâte à Bakel pour y demander des secours. Malheureusement il
n’y avait dans ce poste qu’une garnison absolument réduite. La
plus grande partie des troupes disponibles se trouvant alors aux
prises avec Samory sur les bords du Niger, le commandant ne put donner
à l’almamy que de la poudre et des balles. Oumar se rendit alors
dans le Damga et tenta d’intéresser le fils d’Abdoul-Boubakar
à la cause du Bondou. Celui-ci lui refusa net les secours qu’il
lui demandait.

Pendant ces quelques jours, de graves événements se passaient dans
le Bondou. Peu après le départ d’Oumar-Penda de Boulébané,
le marabout apparaissait devant le village à la tête de
ses hommes déployés toujours en trois colonnes. Il arrivait
par la face est du village et, lorsqu’il fut à 150 ou 200
mètres du tata, il fit commencer le feu et se disposa à donner
l’assaut. Abdoul-Ahmady-Gaye, prince sissibé de la branche de
Boulébané qui commandait, n’avait guère avec lui que trente-cinq
fusils. Les autres hommes enfermés dans le tata n’avaient aucune
arme sérieuse et ne pouvaient que charger les fusils et les faire
passer aux défenseurs embusqués derrière les créneaux. Du haut
du tata, Abdoul-Ahmady-Gaye dirigeait la défense et excitait ses
hommes. Les femmes et les filles d’Oumar-Penda apportaient la poudre
aux guerriers et de l’eau pour se désaltérer. Sur le bastion qui
faisait face à la garde d’honneur du marabout se trouvait un des
griots d’Oumar-Penda nommé Bilali-Mody et excellent tireur. Il
fit à lui seul subir de grandes pertes à l’ennemi. De même
également qu’un chasseur émérite qui se nommait Tierno-Mahmadou
et qui s’était embusqué sur un bastion voisin.

Les Sarracolés, furieux de voir ainsi tomber leurs hommes
sous les coups d’une troupe si peu nombreuse se ruaient à
chaque instant sur le tata avec acharnement et voulurent même y
pratiquer une brèche. D’autres firent le tour des murailles et
tentèrent vainement d’enfoncer une des portes. Une décharge
générale les avait arrêtés et les avait forcés à se retirer
en laissant bon nombre des leurs sur le terrain. De leur côté,
les habitants de Boulébané avaient perdu 25 hommes et parmi eux
plusieurs Sissibés dont voici les noms : Sega-Demba, Ahmady-Oumar,
Bokkar-Oumar-Ahmady-Gaye, cousin de Boubakar-Saada et frère aîné
d’Abdoul-Ahmady-Gaye.

Un groupe de 100 à 160 guerriers environ s’étaient cependant
portés du côté de la poudrière d’Oumar-Penda, bien par hasard,
car ils ignoraient qu’elle se trouvait dans ce quartier de la
ville. Ils avaient commencé à y pratiquer une brèche et, entassés
pêle-mêle, s’acharnaient à ce travail, lorsque une épouvantable
détonation retentit de ce côté et un pan du tata, d’environ
trente mètres de longueur, s’écroula tout à coup ensevelissant
sous ses décombres la plus grande partie des assiégeants qui
se trouvaient là. C’étaient deux filles d’Oumar-Penda qui,
voyant tomber leurs frères et le feu pénétrer dans l’intérieur
du tata de l’almamy, avaient fait sauter la poudrière et causé
cet épouvantable désastre. Par miracle, elles échappèrent à la
mort et ne furent même pas blessées. Abdoul-Ahmady-Gaye et ceux
qui étaient avec lui sur le tata aux environs de la poudrière
furent projetés violemment en dehors des murailles et n’eurent
que de légères contusions. Ils furent faits prisonniers par les
gens du marabout. Boulébané, privé de ses chefs, tomba aux mains
de l’ennemi vers six heures et demie ou sept heures du soir. La
plupart de ses habitants profitèrent de l’obscurité pour se
frayer un passage à travers les rangs ennemis et se sauvèrent vers
le Fouta dans l’espoir d’y rejoindre Oumar-Penda.

Toute la famille de l’almamy, celles des ministres et des principaux
notables, un notable de Diamwéli nommé Nima-Niakhallé et bien
d’autres qui s’étaient réfugiés à Boulébané furent faits
prisonniers. Les meilleurs captifs de la couronne avaient succombé
durant l’attaque. Le désastre était complet.

Cependant quelques chefs de la colonne ennemie firent relâcher
Abdoul-Ahmady-Gaye et Nima-Niakhallé avant que le marabout eût
connaissance de leur captivité ; car ils savaient bien que,
s’il avait connu la qualité des prisonniers, il les aurait fait
immédiatement exécuter.

Après ces deux faits d’armes, tous les Sarracolés et tous
les Diakankés du Bondou se prononcèrent aussitôt en faveur
de Mahmadou-Lamine et vinrent grossir son armée. Les Sissibés,
abandonnés, se dispersèrent partout.

Le marabout resta quatre jours à Boulébané. Ses hommes les
consacrèrent en réjouissances de toutes sortes et à chasser dans
les environs les bœufs et les moutons du village. Le cinquième
jour, au matin, il se mit en route pour Sénoudébou, qu’il
trouva abandonné de ses habitants. Il y entra sans coup férir
et s’installa en roi dans cette ville que l’on est habitué à
considérer comme la capitale du Bondou.

Voici ce qui s’y était passé pendant ces quelques jours qui
avaient suffi à Mahmadou-Lamine pour anéantir l’autorité de
l’almamy et s’emparer du pouvoir.

Immédiatement après le départ de l’armée ennemie pour Diamwéli,
Ousman-Gassy avait fait battre le tam-tam de guerre à Sénoudébou
et rassembler ses guerriers pour aller au secours de son oncle
Oumar-Penda, car il était intimement persuadé que Lamine ne
manquerait pas de l’attaquer. Arrivé à deux ou trois kilomètres
de Diamwéli avec environ 250 hommes, il attendit le moment où
le combat allait s’engager pour tomber sur les derrières de
l’ennemi. Mais, sur ces entrefaites, le fils de Sambala, roi du
Khasso, Guissiry-Oussauby, qui se trouvait à Sénoudébou pour y
porter les compliments de condoléances de son père à l’occasion
de la mort de Boubakar-Saada et qui était tout dévoué à la cause
du marabout, vint rejoindre Ousman au moment où il se disposait à
attaquer les Sarracolés et lui annonça que Lamine avait divisé
son armée en deux corps dont l’un devait attaquer Sénoudébou
et l’autre Diamwéli. Ce qui était faux, on le sait. A cette
nouvelle, Ousman-Gassy vit combien il avait été imprudent de
quitter Sénoudébou. Il se hâta donc de rebrousser chemin, et
ce fut environ à mi-route qu’il apprit, par un jeune captif,
l’affaire de Diamwéli et la prise de Boulébané. En apprenant
le désastre, tous ses hommes se débandèrent et la population de
Sénoudébou, la femme favorite de Boubakar-Saada, Lallya, fille de
Sambala, roi du Khasso, en tête, s’enfuit par la Falémé vers le
Khasso, abandonnant à la merci du vainqueur tout ce que contenait le
village. Quand donc, vers quatre heures du soir, Ousman-Gassy arriva
dans la capitale, tout était désert. Il se remit immédiatement
en route, traversa la Falémé avec quelques fidèles et se lança
à la recherche des siens. Arrivé à Kotiéré, il ne trouva que
quelques vieillards qui n’avaient pas pu suivre les fuyards et qui
lui apprirent que Lallya avait fait prendre aux émigrés le chemin
de Gatiari, afin de pouvoir aller coucher à Farabanna de façon
à partir le lendemain matin pour le Khasso au premier chant du
coq. Ousman n’eut pas de peine à deviner quels étaient les motifs
qui avaient ainsi poussé Lallya à se réfugier dans le Khasso. Elle
n’avait, en effet, d’autre but que de profiter des circonstances
pénibles du moment pour frustrer les enfants de Boubakar-Saada de
la plus grande partie de leur héritage en emmenant les captifs
qui appartenaient à la succession de son mari, alors qu’elle
n’avait absolument droit qu’au remboursement de sa dot. Telle
était la cause de l’évacuation de Sénoudébou avant le retour
d’Ousman-Gassy. De Gatiari, il suivit les traces des fugitifs, les
atteignit environ à mi-chemin de Farabanna et leur fit rebrousser
chemin. Malheureusement Lallya et quelques autres avaient suivi une
route opposée. Revenu sur ses pas, il campa à Tourecounda, puis,
se frayant un chemin à travers la brousse, il se dirigea vers la
Falémé qu’il traversa au gué de Naïé et arriva le lendemain
soir à Gabou, et deux jours après à Bordé. Il s’y reposa deux
jours, et en passant par Allahina vint, avec sa famille, se mettre
sous la protection du commandant de Bakel. « Je viens, lui dit-il,
me mettre sous la protection de la France, avec toute ma famille,
comme mon père l’a fait du temps d’El-Hadj-Oumar. »

Le commandant lui répondit qu’il n’avait qu’à rester dans
les villages voisins de Bakel et lui conseilla de s’y retrancher
derrière de solides sagnés pour pouvoir se défendre, le cas
échéant.

Mahmadou-Lamine, arrivé à Sénoudébou, s’y installa et y
séjourna environ trois semaines durant lesquelles des groupes
nombreux de partisans lui arrivèrent sans cesse de tous les
pays voisins. Il vit bientôt rangés sous sa bannière tous les
mécontents, des pillards et des ambitieux désireux de faire fortune
à la faveur du désordre. Bien peu étaient ceux qui s’étaient
joints à lui pour la seule cause de l’Islam. Ainsi les Sarracolés
du Guoy et du Kaméra furent les premiers qui répondirent à son
appel. Dominés par l’envie d’élargir leur territoire du côté
du Bondou, ils ne songeaient à rien moins, comme Lamine lui-même,
qu’à relever leur ancien empire. Déjà, du reste, après la prise
de Boulébané, et à son arrivée à Sénoudébou, le marabout
avait commencé à distribuer les villages du Lèze-Bondou et du
Less-Maïo entre les Sarracolés du Kaméra, et Maka-Koulonko,
l’ancien allié de Boubakar-Saada, avait été nommé chef de
Boulébané et du canton qui en dépendait. Un second canton était
réservé au Guoy et aux Aïrankés. Le Dao-Maïo était promis à
Dibaya de Sansandig, originaire comme Mahmadou-Lamine de Safalou. Les
Diakankés avaient suivi les Sarracolés sous les ordres de leurs
chefs Fodé-Ismaïlia et Fodé-Antioumané, et beaucoup de villages
malinkés du Bambouck avaient également répondu à son appel.

Les Sarracolés du Niocolo l’avaient rejoint sous les ordres du chef
de Boutiguel, et les Peuls sous les ordres de Samba-Alpha qui avait
toujours été un pillard endurci. Il serait trop long d’énumérer
ici tous les pays qui lui fournirent des contingents. Qu’il
suffise de savoir que depuis le Diafounou au nord, la Gambie au
sud, le Niani et le Fouta à l’ouest, le Khasso et le Bambouck à
l’est, tous les villages lui fournirent chacun un nombre plus ou
moins grand de guerriers.

Le lendemain de la prise de Boulébané, les Sarracolés du Guoy
et du Kaméra, qui connaissaient parfaitement le Ferlo-Baliniama et
le Ferlo-M’Bal pour les avoir souvent parcourus en dioulas et qui
savaient combien les habitants en étaient riches en bétail et en or,
partirent au nombre d’environ 400 pour en faire la conquête. Ils
parcoururent le pays en tous sens, semant partout le meurtre et la
ruine jusqu’à Ouro-Kaba et N’Dia. Ils rentrèrent à Sénoudébou
avec bon nombre de prisonniers et environ 600 bœufs. Au cours de
cette campagne, leur chef Sansan fut tué à Ouro-Kaba.

Pendant que ces faits se passaient au nom du marabout, celui-ci
envoyait partout des émissaires pour dire aux habitants du Bondou
qu’ils pouvaient sans crainte revenir dans leurs villages, qu’il
ne leur serait fait aucun mal et qu’il n’en voulait qu’aux
Sissibés qui les avaient toujours pillés et pressurés.

Les habitants du Ferlo-Baliniama qui n’avaient pu aller dans le
Ferlo-Fouta rejoindre Oumar-Penda, et qui s’étaient contentés de
se tenir seulement cachés dans la brousse et sur les bords des lacs
intérieurs de leur canton furent les premiers qui répondirent à
son appel. Ils lui furent présentés par le chef de Goudéry. Leur
exemple fut suivi par un grand nombre d’habitants du Bondou qui
vinrent à Sénoudébou faire acte de soumission. Ils saluèrent
avec joie Mahmadou-Lamine, l’appelèrent le « prophète bienvenu,
le grand et magnanime libérateur du peuple. Car, disaient-ils,
avant ta venue le pays était mal administré par les Sissibés
qui ne nous ont jamais assuré la tranquille possession de nos
biens ». Ils ajoutèrent qu’il était temps que la Providence leur
envoyât un libérateur pour les délivrer de ces chefs qui étaient
excessivement durs pour eux. Qu’ils aient été sincères ou non,
il n’en est pas moins certain que, dans la suite, ce furent les
auxiliaires les plus fanatiques et les plus fidèles du marabout.

Les Malinkés se plaignaient également des mauvais traitements
de Boubakar-Saada qui, sans aucun motif, leur avait fait, pendant
tout son règne, une guerre impitoyable. Quant aux Sarracolés
du Diafounou et du Guidimakha, c’était pour fuir la féroce
domination du sultan de Ségou, Ahmadou, qu’ils avaient embrassé
la cause du marabout. Un autre motif avait guidé ceux du Guoy et
du Kaméra. Outre leur ardent désir de voir se reconstituer,
au détriment du Bondou, l’ancien empire sarracolé, ils
ne souhaitaient rien moins que de voir les Français chassés
du Soudan. Leurs marabouts allaient prêchant partout que la
bénédiction d’Allah était sur eux et qu’il n’avait envoyé
Mahmadou-Lamine que pour les délivrer des blancs.

Du reste, dans la proclamation qu’il adressa à ses troupes à
Sénoudébou, le marabout ne cacha plus ses projets : « Faisons,
dit-il, la guerre aux blancs et aux Sissibés. Les Sissibés sont
idolâtres puisqu’ils sont les amis des blancs. Nous ferons ensuite
la guerre aux autres idolâtres. » Éloquence bien pâle comparée
à celle d’El-Hadj-Oumar.

« Grisé par ses rapides succès, Mahmadou-Lamine se décide alors
à pousser plus loin ses projets ambitieux.

» Pour fanatiser davantage les bandes qui l’entourent, et qui
ont été, comme nous l’avons vu, principalement fournies par les
populations sarracolées, pour rattacher à sa cause le reste de ces
populations, les plus nombreuses et les plus riches de ces contrées,
Lamine se pose en libérateur de sa race. Il leur fait part de ce qui
a toujours été le but de sa vie : la reconstitution de l’empire
sarracolé. « Les Sarracolés ont été assez humiliés, ont assez
souffert de leur maître, dit-il. Il est temps qu’ils secouent
le joug sous lequel ils sont courbés et qu’ils reconquièrent
leur indépendance. »

» Mais pour permettre aux nombreux partisans, qui viennent de
tous côtés grossir son armée, d’arriver jusqu’à lui, il
cherche à gagner du temps par une politique artificieuse dont il
est intéressant de dire quelques mots, parce qu’elle dépeint
son caractère adroit et dissimulé. »

L’admirable relation du colonel Frey ajoute :

« Le marabout feint d’être affligé de ce qui est arrivé. Il
reproche à Oumar-Penda et à sa famille d’avoir abandonné
le Bondou, affirme que les circonstances seules ont amené les
événements qui viennent de se précipiter contre son gré, en
appelle aux chefs du pays et invite l’almamy lui-même à venir
s’expliquer avec lui dans un palabre solennel.

» Comme on le voit, tout en protestant de ses intentions pacifiques,
il agissait en maître.

» Oumar, comptant sur l’appui des Français, répondit qu’il
ne rentrerait à Sénoudébou que les armes à la main.

» Cependant tous les Sarracolés du pays, ceux du Guidimakha, les
Diawaras et quelques villages malinkés du Bambouck ont embrassé
la cause du marabout, qui se trouve bientôt à la tête de 6 à
7,000 hommes prêts à combattre pour lui.

» Son audace et son ambition croissant avec le nombre de ses
partisans, il veut alors grandir l’importance de son rôle, étendre
le théâtre de ses exploits. Il lui vint à l’idée de mettre à
profit cette surexcitation générale des esprits, pour provoquer
autour de lui une explosion de fanatisme religieux, qui gagnerait
successivement toutes les autres provinces de la Sénégambie et
produirait un soulèvement général contre la domination étrangère.

» Dans l’exécution de ses projets, Lamine se décerne le
premier rôle : il prend le titre de mahdi de l’Occident. Déjà,
se comparant à Mahomet, il avait raconté aux Noirs qu’il avait
couché aux côtés du prophète, et que Mahomet n’avait que deux
doigts de plus que lui, insinuant par là que son rôle serait aussi
grand que le sien. Mais pour provoquer ce soulèvement, il fallait,
à l’exemple du grand El-Hadj-Oumar, affirmer sa puissance par un
coup d’audace, celui d’attaquer un poste français.

» Lamine sonde les esprits ; mais lorsqu’on connaît ses intentions
téméraires, un mouvement de recul se produit et le nouveau prophète
est abandonné par un assez grand nombre de partisans.

» Cependant il ne perd pas courage et demande encore au merveilleux
de l’aider dans ses projets. Il exploite la naïveté de ses
crédules adeptes. Il se procure des images d’Épinal représentant
des soldats français ; il les fait voir dans une calebasse pleine
d’eau : « Voilà les troupes du colonel, disait Lamine, vous
allez voir ce que nous en ferons. » Il souffle sur l’eau qui
se ride, s’agite fortement ; les images se brouillent, puis tout
disparaît. « C’est ainsi que s’évanouira la colonne française
en ma présence, » s’écrie-t-il.

Il proclame que les canons ne partiront pas et que nos fusils ne
lanceront que de l’eau. Enfin, pour confirmer cette dernière
prophétie, raffermir les cœurs ébranlés et achever de fanatiser
ses guerriers, il imagine le miracle suivant : Il se rend un soir à
la mosquée, à l’heure habituelle du salam, y récite la prière
avec un profond recueillement ; après une dernière prosternation,
il se retourne vers la foule et montre un baril de poudre qu’il
avait fait apporter. Levant alors une torche enflammée qu’il
tenait à la main, Lamine demande : « Qui veut monter au ciel ? »
Un guerrier s’avance, saisit la torche et la plonge sans hésiter
dans le baril qui était ouvert devant lui ; mais quelle ne fut pas
la stupéfaction des assistants lorsqu’ils virent que la poudre ne
prit pas feu ! Il n’en fallut pas davantage. Le bruit du nouveau
prodige se répandit dans le pays. On proclama partout que, par sa
puissance divine, le marabout empêcherait la poudre des canons des
toubabs (blancs) de s’enflammer.

» Ces faits se passaient dans les premiers jours de mars 1886.

» Lamine se sentant à l’apogée de son prestige, n’ayant plus
besoin de dissimuler, leva le masque et emmena ses contingents au
pillage des environs de Bakel. » L’éloignement de la colonne
française, qui opérait alors sur le Niger contre Samory, favorisait
singulièrement ses projets ambitieux.

Mais le jour est proche où il va avoir à se mesurer avec les
troupes françaises.

Nous ne ferons pas ici l’historique de cette lutte célèbre
d’une poignée de braves au milieu des steppes soudaniennes. Nous
ne pourrions que rééditer ce que le colonel Frey, qui commanda
en personne cette glorieuse première campagne contre le marabout
Mahmadou-Lamine, a écrit dans son remarquable livre avec une netteté
et une précision de faits surprenantes. Nous ne parlerons absolument
que de ce qui touche de près à l’histoire du Bondou, en rappelant
autant que possible à leurs dates les événements militaires qui
ont marqué cette page de notre gloire militaire coloniale.

Dès qu’il fut absolument certain du fanatisme et du dévouement
à sa cause de ses partisans, Mahmadou-Lamine forma à Sénoudébou
une colonne d’environ 1,200 hommes qu’il envoya le soir même à
Bordé pour attaquer Ousman-Gassy qui, sur les conseils du commandant
de Bakel, s’était fortement retranché dans ce village. Il lui
fallait la tête du vaillant fils de Boubakar-Saada. Le lendemain
matin, il expédia un nouveau contingent d’un milliers de
guerriers, et le soir un second de 1,300 hommes. Ces différentes
troupes opérèrent leur concentration à Gabou. Ousman, prévenu
à temps, expédia toute sa famille à Bakel, ne gardant avec lui
que ses guerriers. Il prit toutes ses dispositions pour se défendre
avec le plus de chances possibles de succès. Les hommes du marabout
n’osèrent pas l’attaquer et se contentèrent d’aller brûler
le mil qui se trouvait dans les greniers du village de Gouinang et
qui appartenait aux habitants de Bakel, dans le but d’affamer ce
village. Délivré des gens du marabout, Ousman-Gassy se rendit à
Bakel avec ses guerriers et se mit à la disposition du capitaine
Lefranc, commandant le poste qui était déjà menacé.

Les bandes de Lamine revinrent alors et brûlèrent les deux villages
de Bordé, Allahina et Gouinang. Dès le soir même, ils annoncèrent
ces nouvelles au marabout. Celui-ci leur fit répondre d’aller
camper à Kounguel et d’attendre ses ordres. Ils occupèrent le
village pendant plusieurs jours, interceptant toutes les routes et
inquiétant tous ceux qui s’aventuraient dans cette région. Ce
fut à ce moment, le 14 mars, qu’eut lieu cette pénible affaire de
Kounguel, sur les bords du marigot de Gouniam-Kolé, que la trahison
de l’interprète de Bakel, Alpha-Sega, avait si bien préparée,
et au cours de laquelle la vaillante troupe du capitaine Joly, des
tirailleurs sénégalais, perdit son unique canon, qui tomba aux
mains de l’ennemi sans avoir pu tirer un coup de canon. Ainsi se
réalisait la prédiction du marabout.

On comprend qu’après cette première affaire, qui s’était
terminée à l’avantage des Sarracolés, Mahmadou-Lamine n’eut
pas de peine à entraîner ses bandes au siège de Bakel. Aussi le
1er avril, vers deux heures du soir, le fort et le village sont-ils
simultanément attaqués par une douzaine de mille hommes que
le marabout commande en personne. En vain pendant quatre jours
multiplia-t-il les attaques les plus furieuses, le fort et le
village résistèrent victorieusement, et le 5, les bandes des
assaillants se disloquèrent non sans nous avoir fait éprouver des
pertes sérieuses. « La défense de Bakel, écrit le colonel Frey,
est un beau fait d’armes qui fait honneur aux officiers, à la
troupe et aux contingents indigènes, traitants ou alliés qui y
ont pris part. »

Lamine, malgré son échec devant Bakel, ne se désespère pas
et entraîne environ 5 à 6,000 de ses partisans à l’attaque
de la colonne française qui, sous les ordres du colonel Frey et
des commandants Combes et Houry, venait d’infliger au Kaméra et
au Guidimakha de dures leçons pour les punir d’avoir suivi le
marabout. Le combat eut lieu le 19 avril 1886 à Tambo-N’Kané. Les
troupes de Lamine y furent complètement défaites, et son étendard,
qui porte comme devise : « Qui me voit, fuit, » tomba entre
nos mains.

Poursuivi par nos colonnes, il s’enfuit vers la haute Falémé
et brûle Sénoudébou, après avoir de nouveau été battu à
Kydira-Tata.

Dans cet incendie, le village entier et le fort sont complètement
détruits. Harcelé par la colonne du commandant Houry, il est obligé
de fuir de nouveau jusqu’à Dalafine, ayant en même temps à
ses trousses Ousman-Gassy avec environ 400 cavaliers qu’il était
parvenu à recruter dans le Bondou et le Fouta.

Pendant que les troupes françaises pourchassaient ainsi
Mahmadou-Lamine, Oumar-Penda, qui avait réussi à former une petite
colonne de 300 fusils environ, à son retour du Fouta, s’avançait
par l’intérieur pour lui couper la route. Il arriva à Bokolako,
dans le Tiali, quelques heures à peine après son départ de ce
village. Le lendemain, Oumar partait de bonne heure pour Gangali
croyant y trouver le marabout ; mais lorsqu’il arriva dans
ce village, il apprit que Mahmadou-Lamine avait passé la nuit
à Sanoundi, et qu’indubitablement il devait être en route
pour Dianna, dans le Diaka, dont les habitants lui avaient, avec
empressement, offert l’hospitalité. On lui annonça en plus que,
la veille au soir, Lamine avait reçu un fort contingent du Sandougou,
commandé par le brigand Mahmadou-Fatouma, toujours prêt à prendre
part à toutes les expéditions où il pouvait y avoir à voler et
à piller.

Cependant, Oumar-Penda avait pu réussir à rassembler autour de lui
des forces relativement considérables ; environ 2,000 hommes, tant
fantassins que cavaliers, lui étaient venus d’un peu partout. Mais
la majeure partie avait été recrutée dans le Fouta-Toro et était
commandée par Mahmadou-Abdoul, fils d’Abdoul-Boubakar. Ils
voulaient aller attaquer le marabout à Dianna ; mais, après
un long palabre, il fut décidé qu’il ne serait pas prudent de
s’aventurer ainsi avec une aussi faible troupe au cœur d’un pays
qui lui était absolument dévoué. Il était bien préférable de
harceler les Diakankés pour les empêcher de faire leur jonction
avec le marabout.

De Gangali, les contingents alliés du Bondou et du Fouta se
mirent donc en route pour Kaparta et, de là, allèrent camper à
Goundiourou. Bien guidés à travers la brousse par des chasseurs
qui connaissaient à fond le pays, ils tombèrent sur les Diakankés
à Kounamba et les firent presque tous prisonniers. Oumar-Penda fit
jurer aux hommes libres de suivre désormais sa politique, et il
retint les femmes et les captifs. Il ramena leur chef Fodé-Mahmadou
à Kaparta, son ancien village.

Pendant ce temps, Mahmadou-Fatouma, de son côté, était parti de
Dianna avec une forte colonne pour tâcher de surprendre l’almamy ;
mais il ne put l’atteindre. Il se contenta alors de piller Goulongo
et Dalafine (Tiali). Il détruisit le tata de ce dernier village, sous
prétexte qu’il s’entendait avec l’almamy du Bondou. De là,
il se rendit à Nionsonko, qu’il brûla, puis à Sansandig, sur la
Falémé, qu’il détruisit et dont il fit mettre à mort le chef
Fodé-Dibaya et cinq des principaux notables, qui étaient pourtant
de chauds partisans du marabout. Ces hauts faits d’armes accomplis,
il rentra à Dianna avec quelques captifs et quelques bœufs.

Oumar-Penda était rentré à Sénoudébou, dont le colonel, avant
son départ pour la France, avait fait occuper militairement les
ruines du poste par un détachement de 70 tirailleurs sénégalais
et une pièce de canon. Cette petite garnison était commandée par
le lieutenant indigène Yoro-Coumba, auquel était adjoint comme
second l’adjudant Fougasse, de l’artillerie de marine.

Oumar ne resta que peu de temps à Sénoudébou et en repartit à
la tête de quelques centaines d’hommes pour le Diaka. Le marabout
ayant appris sa marche envoya contre lui Mahmadou-Fatouma qui, au lieu
de se porter à la rencontre de l’almamy, alla brûler le village
de Talibadji, dans le Ferlo-Niéri, alléguant comme prétexte que
les habitants de ce village n’avaient pas prévenu le marabout
de la marche de l’almamy. Pendant ce temps, Oumar, de son côté,
s’emparait de Talicoyel, sur les bord du Niéri-Kô, et accordait la
vie sauve au chef de village dans le but de s’attirer des partisans.

Dans le courant de juillet, Ousman-Gassy partit de Sénoudébou
à la tête de 6 à 700 hommes venant du Bondou, du Fouta et du
Niani, et auxquels vinrent se joindre les guerriers des villages
bambaras du Kaméra, au nombre de 150 environ. Cette colonne passa
par Ououndou-Aly (Ferlo) et alla attaquer et brûler Sabicassé,
sur le Niéri-Kô, dont la population, composée de Sarracolés,
avait embrassé la cause du marabout. Sabicassé fut pris la veille
de Tabaski, vers onze heures du soir, et Ousman-Gassy rentra à
Sénoudébou avec un grand nombre de captifs.

Quelques jours après, Mahmadou-Lamine expédiait de Dianna contre
le Bondou une colonne d’environ 1,500 hommes dont il avait donné
le commandement à son neveu Fâ-Kaba, à Mahmadou-Fatouma et à
Mahmadou-Sanoussi. Cette colonne passa par Kaparta, Belpounegui,
à l’ouest de Koussan-Almamy, entre ce village et Boggal,
par Coutanabé, Boulébané, et vint surprendre Oumar-Penda
à Fissa-Daro. Le village fut emporté et l’almamy du Bondou
tué par des hommes même de sa suite, dit-on, que le marabout
avait grassement payés pour commettre ce forfait. Son cadavre
fut mutilé et sa tête portée au marabout par un cavalier de
Mahmadou-Fatouma. Mahmadou-Lamine exhiba à ses troupes ce sanglant
trophée pour raffermir la foi de ceux qui commençaient à perdre
confiance en lui et pour bien montrer à tous qu’il avait eu raison
de l’almamy du Bondou. De Fissa-Daro, la colonne de Fâ-Kaba fit
un long détour à travers la brousse pour retourner à Dianna, afin
d’éviter la poursuite des guerriers de Sénoudébou qui, prévenus
de ce qui venait de se passer, arrivèrent trop tard pour venger
leur souverain. Ils ne purent que lui rendre les derniers honneurs.

Oumar-Penda n’avait même pas régné une année. Il laissa
six enfants qui sont encore vivants et résident à Allahina et à
Kydira. Ce sont : Bokkar-Oumar, Ousman-Oumar, Toumané, Ciré-Bokkar,
Sega-Oumar et Moussa-Yéro.


                       SAADA-AHMADY (1886-1888).


Saada-Ahmady, fils d’Ahmady-Saada et petit-fils de l’almamy
Saada-Ahmady-Aïssata, succéda à Oumar-Penda et fut reconnu par
la France et les Sissibés, bien que, pendant les événements
qui avaient ensanglanté le règne de son prédécesseur, il se
fût montré peu dévoué à la cause du Bondou. Pendant son court
règne, il fit peu pour reconquérir son autorité et ne nous seconda
que mollement dans la guerre que nous fîmes à Mahmadou-Lamine
pour l’en débarrasser. Tout l’honneur de ce qui se fit à
ce moment-là de courageux et d’utile revient à son cousin
Ousman-Gassy, qui, au cours de ces années de troubles, ne cessa
jamais de se montrer le digne fils de Boubakar-Saada.

Après la défaite de Fissa-Daro et la mort d’Oumar-Penda,
Ousman rentra absolument désespéré à Sénoudébou. La colonne
du marabout, de son côté, avait suivi la route de Diauré et de
Guéoul. Arrivée dans la plaine qui entoure ce dernier village, elle
y rencontra la population de tous les villages du Ferlo-Baliniama qui
avaient été reconstruits depuis la retraite de Mahmadou-Lamine à
Dianna ; ses habitants, en apprenant les événements de Fissa-Daro,
s’étaient enfuis et se dirigeaient vers le Ferlo-Fouta. Les
hommes de Lamine ne manquèrent pas de se précipiter sur ces
malheureux incapables de se défendre. Ils en tuèrent un grand
nombre, emmenèrent les autres en captivité et s’emparèrent de
plus de 200 bœufs. Ils rentrèrent à Dianna avec leur butin en
passant par Kouddy, Badé et Bani.

Dans le courant d’août, Saada-Ahmady, le nouvel almamy qui
n’avait pas encore quitté sa résidence de Samba-Médina-Gouro,
expédiait son cousin Ahmady-Ciré avec 4 ou 500 hommes contre
Dalafine, dans le Tiali, où s’étaient réfugiés tous les
Peulhs Hamanabés, partisans du marabout. Dalafine fut pris après
une opiniâtre résistance et bon nombre de rebelles y perdirent la
vie. Les Bondounkés y firent environ 120 captifs, femmes et enfants,
et s’emparèrent de plus de 400 bœufs.

Peu après, Mahmadou-Lamine lui-même se mit en campagne avec
environ 2,000 hommes. Son objectif était Sénoudébou. Par Dalafine,
Dindoudy, Bounguel et Koussan-Almamy, il arrive à Sambacolo, où son
avant-garde rencontre quelques captifs d’Ousman-Gassy, partis le
matin de Sénoudébou pour y chercher du mil. Les hommes du marabout
les attaquèrent et leur tuèrent plusieurs des leurs, entre autres
un des chefs des captifs de la couronne nommé Demba-N’Diamban. Les
autres parvinrent à se dégager et à gagner Sénoudébou dans la
nuit même. Ousman-Gassy, aussitôt prévenu de l’arrivée des
bandes de Mahmadou-Lamine, se hâta d’en informer le lieutenant
Yoro-Coumba, qui commandait le poste, et qui prit immédiatement
ses dispositions pour la défense.

Depuis l’affaire de Boulébané, Ousman-Gassy avait fait entourer
tout le village de Sénoudébou d’un fort sagné, où il n’avait
ménagé que quatre ouvertures, l’une donnant sur la route de
Boulébané, une autre sur la route de Kaïnoura, la troisième sur
celle de Débou, et enfin la dernière sur celle de Bakel. Il disposa
ses guerriers en conséquence et de façon à ce que chaque porte fût
défendue. A l’une, il porta les captifs de Sénoudébou qu’il
commandait lui-même ; à la seconde, les guerriers de Boulébané ;
à la troisième, les guerriers de Sénoudébou, commandés par
Ahmadou-Ciré, et enfin la quatrième était défendue par les
auxiliaires sous l’autorité d’Oumar-Sané. Saada-Ahmady, qui
était venu l’avant-veille de Médina-Samba-Gouro, devait rester
avec la réserve et attendre les événements. Toutes ces dispositions
prises, le lieutenant Yoro-Coumba fit placer une petite avant-garde
à 500 mètres environ en avant de chaque porte et veilla à ce que
les défenseurs ne s’endormissent pas pendant la nuit.

Mahmadou-Lamine, de son côté, après avoir dépassé Sambacolo,
se dirigea directement sur Soumourdaka. A 5 kilomètres environ de
ce village, il abandonna la route de Débou et se dirigea droit au
nord en coupant la route de Boulébané. Il passa par l’ouest de la
montagne de Kadjambiré, au sud-ouest de Sénoudébou, franchit le
col du même nom tout près de Diala et, se dirigeant vers l’est,
atteignit Kaïnoura presque sur les bords de la Falémé ; mais,
par un hasard heureux pour les défenseurs de Sénoudébou, la nuit
qui précéda l’attaque il tomba une grande pluie. Les guerriers
du marabout, absolument transis par le froid, allumèrent de grands
feux pour se sécher et pour sécher leurs armes. De Sénoudébou,
on aperçut la fumée et on entendit quelques coups de fusil. La
présence de l’ennemi fut ainsi dévoilée et l’on se tint
sur ses gardes. Un homme fut mis en vigie sur un baobab situé
au centre du village, et, vers onze heures du matin, il signala
l’arrivée de la colonne du marabout qui s’avançait par la
route de Kaïnoura. L’alarme fut aussitôt donnée et tout le
monde courut à son poste.

A 600 mètres du village environ, le marabout partagea ses hommes
en trois colonnes. Il en lança deux contre le village et garda la
troisième en réserve. Les assiégés soutinrent brillamment le
choc. Mais écrasés par le nombre, ils durent battre en retraite
et la porte de Kaïnoura fut emportée. L’ennemi entra dans le
village. La seconde colonne fut tenue en respect par Ousman-Gassy,
et le marabout, voyant l’impuissance des siens, leur envoya sa
troisième colonne en renfort.

Le lieutenant Yoro-Coumba, qui, de l’intérieur du poste,
surveillait tous les mouvements de l’ennemi, jugea le moment
opportun pour entrer en scène. Il répartit sa petite troupe en
deux sections. Il confia le commandement de l’une à l’adjudant
Fougasse et prit le commandement de la seconde. La section Fougasse
devait défendre le poste au cas où il serait attaqué. Avec sa
section, Yoro-Coumba courut en toute hâte au-devant des ennemis
qui avaient forcé la porte de Kaïnoura et étaient entrés dans
le village. Ils les rencontra à 30 mètres environ du tata de
Boubakar-Saada, avec les défenseurs duquel ils échangeaient des
coups de fusil. Il les attaqua vigoureusement, rompit leurs rangs,
les dispersa et les chassa hors du village.

De là, Yoro-Coumba se porta immédiatement au secours
d’Ousman-Gassy qui défendait la porte de Bakel. Par une belle
manœuvre, le lieutenant arriva à prendre l’ennemi entre deux
feux. Il ne résista pas et ses colonnes se dispersèrent dans toutes
les directions et dans le plus grand désordre. Mahmadou-Lamine
et les guerriers qui lui servaient d’escorte avaient déjà
pris la fuite depuis environ une demi-heure. Ousman-Gassy se mit
alors à la poursuite de l’ennemi avec tous ses cavaliers. Mais,
à cette époque de l’année, la campagne étant complètement
inondée par suite des grandes pluies de l’hivernage, les fuyards
ne pouvaient s’aventurer en dehors des sentiers sans voir leurs
chevaux s’embourber. Il fut donc facile aux hommes d’Ousman de
faire environ 150 ou 200 prisonniers, parmi lesquels se trouvaient
bon nombre de personnages importants du Tiali, du Niéri, du Ferlo
et du Diaka. Nous citerons particulièrement Boubakar-Diawandou,
le confident de Mahmadou-Lamine, venu avec lui de Ségou, et qui
était un Diawandou du Kaarta ; Mahmadou-Kana, le chef de ses
griots ; Mahmadou-Sanoussy, chef de Kouddy, etc., etc. Ils furent
tous fusillés le soir même.

Mahmadou-Lamine rentra en toute hâte à Dianna, suivi de ses troupes
absolument démoralisées. Ses guerriers ne gagnèrent le village
que par petits groupes de huit ou dix au plus, et parmi lesquels il
y avait toujours quelques blessés.

L’échec du marabout devant Sénoudébou changea brusquement la
face des affaires dans le Diaka et le Niéri. Les Diakankés, qui
avaient en lui une grande confiance, virent avec regrets son étoile
commencer à pâlir, et quelques-uns de leurs chefs quittèrent son
armée en le chargeant de malédictions et en lui reprochant de les
avoir trompés et de les avoir fait courir à leur perte. Enfin les
Peulhs du Niéri, dont beaucoup, comme ceux de Bentenani, par exemple,
n’avaient embrassé la cause du faux prophète que par peur et
contraints par la force, n’attendaient, pour s’en séparer,
que le jour heureux où une colonne française marcherait contre lui.

De son côté, Mahmadou-Lamine, tout en faisant secrètement ses
préparatifs pour fuir, s’efforçait de les retenir en leur disant
dans les palabres : « Ne craignez rien en restant avec moi, les
Français ne viendront pas m’attaquer, car j’ai traité avec le
colonel et le gouverneur. » Et pendant qu’il les trompait ainsi,
il envoyait dans le Ouli un de ses confidents, Sourakata-Diawara, avec
la mission d’aller à Toubacouta demander au chef de ce village,
Dimbo, de lui donner asile dans le cas où il serait forcé de
s’enfuir de Dianna. En même temps, il expédiait dans le Saloum
un courrier à Saër-Maty pour lui demander de venir le seconder
dans sa lutte contre les infidèles.

Sur ces entrefaites, la colonne française commandée par le colonel
Gallieni, qui venait de succéder au colonel Frey, arrivait à
Sénoudébou et marchait sur Dianna avec les guerriers du Bondou que
commandait Ousman-Gassy. L’almamy Saada-Ahmady restait toujours
dans l’inaction et ne faisait preuve d’aucune énergie pour
reconquérir son royaume. Il suivit cependant la colonne à
Dianna. Elle passa par Soumourdaka, Sambacolo, Koussan-Almamy,
Kaparta et Soutouta. Mais là, pendant qu’on cherchait un endroit
favorable pour que les animaux pussent franchir le marigot qui
coule dans les environs, les troupes françaises furent reconnues
par des cultivateurs dont les éclaireurs n’avaient pas signalé
la présence. Effrayés, ces hommes s’enfuirent et donnèrent
l’éveil à quelques guerriers du marabout qui étaient campés
dans le village. Quelques feux de salves les en délogèrent et ils
ne tardèrent pas à prendre la fuite, les uns vers Bani-Israïla,
les autres vers Dembacoli, et la plus grande partie gagna Dianna pour
demander secours au marabout. Dès leur arrivée, ils le mirent au
courant de ce qu’ils avaient vu. Alarmé, Mahmadou-Lamine se disposa
à fuir dès que les colonnes françaises approcheraient de Dianna.

Le colonel Gallieni fit camper ses troupes à Soutouta. Après la
longue marche qu’elles venaient de faire, un peu de repos leur
était indispensable. Dès le lendemain, la colonne se remit en marche
dans la direction de Dianna. Elle était précédée toujours dans
ses mouvements des spahis sénégalais et des cavaliers bondounkés
de l’almamy Saada-Ahmady. Le 24 décembre 1886, on entendit le
canon vers l’est. C’était la seconde colonne qui, commandée
par le chef de bataillon d’infanterie de marine Vallière, était
partie de Diamou, avait traversé le Bambouck, franchi la Falémé
et arrivait à jour fixe au rendez-vous. Elle était aux prises avec
un fort contingent de l’armée du marabout qui occupait le village
de Saroudian. Immédiatement, le colonel envoie en avant les spahis
et les cavaliers du Bondou, sous la direction du capitaine Fortin,
pour prêter main-forte, si besoin était, à la deuxième colonne,
et en même temps, il donne l’ordre à sa colonne entière de
marcher droit au canon.

Cependant, la colonne Vallière a emporté d’assaut le village de
Saroudian et les deux colonnes ont fait leur jonction à Sanoundi. Les
cavaliers du capitaine Fortin sont arrivés à temps pour poursuivre
les fuyards et ramener quelques prisonniers qui, après avoir été
interrogés, furent laissés, à leur grand étonnement, en liberté.

La route de Dianna était libre. Sans perdre de temps, par une
marche forcée, on arrive le lendemain sous les murs de ce fort
village, où le marabout avait passé la plus grande partie de
l’hivernage. Mais tout est calme. Mahmadou-Lamine s’est enfui
précipitamment la veille, dans la soirée, à la nouvelle de la
prise de Saroudian. On le disait réfugié à Safalou, son village
natal, à 50 kilomètres environ vers le sud. Le 25 décembre 1886,
les troupes françaises entrèrent dans Dianna, où l’on trouva
dans le logement même du marabout sa peau de lion, ses sandales,
son coran et une grande couverture provenant de Djenné. Après avoir
mis en lieu sûr les approvisionnements considérables en mil, maïs,
etc., etc., que Lamine y avait entassés, Dianna fut incendié.

Le lendemain de la prise de Dianna, une petite colonne volante,
composée de 200 tirailleurs environ, des spahis et des cavaliers
du Bondou, était lancée, sous le commandement du capitaine Robert,
à la poursuite du marabout. Elle arrive rapidement à Safalou, où
elle trouve un petit détachement que le marabout y avait laissé
pour couvrir sa retraite et l’en déloge aisément. Par une
marche de nuit remarquable de hardiesse, elle arrive au marigot de
Kagnibé, après avoir traversé le Niéri-Kô à la nage. Là elle
est attaquée par le gros des troupes de Mahmadou-Lamine et par ses
meilleurs talibés. La petite colonne eut à soutenir à Kagnibé
l’effort le plus sérieux de cette campagne ; mais, grâce à
l’énergie du capitaine Robert, du lieutenant de spahis Guérin
et d’Ousman-Gassy, elle résista victorieusement à toutes les
attaques, et défit complètement et définitivement l’ennemi. Quant
au marabout, il avait encore échappé et fuyait à toutes brides
vers Toubacouta. Le 30 décembre, la colonne Robert, épuisée de
fatigue, rentrait victorieuse à Dianna, et peu après, les troupes
françaises reprenaient la route de Kayes et de Diamou. Le combat
de Kagnibé est un de nos plus glorieux faits d’armes coloniaux,
et la campagne de Dianna peut être considérée, à juste titre,
comme un des modèles les plus parfaits de la tactique militaire à
suivre dans les régions à peine explorées du Soudan français.

Durant le combat de Kagnibé, Mahmadou-Lamine se trouvait à environ
8 kilomètres au sud-ouest, à Simbanou. Alarmé par les fugitifs
et croyant avoir affaire à toute la colonne française, il prit
aussitôt la fuite et se dirigea vers le Ouli, escorté par les
contingents du Diaka, du Niéri et d’une partie du Tiali. Ces
rebelles, qui naguère avaient une si grande confiance en leur
prophète, le suivaient maintenant en désespérés et surtout parce
qu’ils craignaient de tomber entre les mains des Français. Ils
accusaient le marabout d’être l’auteur de leurs malheurs, et
un chef du Niéri l’invectiva même un jour en plein palabre en
ces termes : « Prophète de malheur, le jour où tu as apparu dans
notre pays a été pour tout le monde un jour néfaste. »

Dans cette fuite désespérée, la frayeur du marabout et de ses
hommes était telle que le moindre bruit qui se produisait dans la
forêt les glaçait d’épouvante. Ainsi un jour, à peu près
à mi-chemin entre Bamba-Diaka et Mountoungou, sur la route de
Soudouol à Nétéboulou, un arbre mort vint à tomber tout à coup
à quelques pas des fugitifs. Ils furent tellement effrayés que
tous se sauvèrent dans toutes les directions, abandonnant leurs
bagages et leurs femmes. Mahmadou-Lamine lui-même, affolé, piqua
des deux, se sépara des siens et s’enfuit à bride abattue. Une
demi-heure après seulement, on reconnut que c’était une fausse
alerte. Aussitôt Sourakata, son homme de confiance, et Kissima,
son cousin, se mirent à sa recherche pour le rassurer. Ils ne le
trouvèrent que 5 ou 6 kilomètres plus loin, le tranquillisèrent
et le décidèrent à attendre la tête de la colonne des émigrés
qui marchaient à sa suite.

Le surlendemain matin, Mahmadou-Lamine arrivait avec tout son monde
près de Nétéboulou, dans le Ouli. Dès la veille, il avait,
dans la soirée, envoyé des émissaires au chef de ce village,
Malamine-Diamé, pour lui demander l’hospitalité. Celui-ci ne
voulut même pas les recevoir dans le village. Il en fit fermer
les portes devant eux et leur enjoignit de retourner auprès de
leur maître et de lui dire que, si jamais il mettait les pieds
dans la plaine de Nétéboulou, il l’attaquerait coûte que
coûte. Quelques mois auparavant, le colonel Frey, alors commandant
supérieur du Soudan français, avait rencontré à Bakel un des
frères de Malamine-Diamé, Mody-Moussa, et l’avait chargé de
le prévenir que, pendant la campagne suivante, les Français
ne manqueraient pas de marcher contre Dianna. Le marabout ne
les y attendrait certainement pas et prendrait la fuite à son
approche. Il pourrait donc se faire qu’il se présentât alors
dans le Ouli. En conséquence, il invitait Malamine et le massa
(roi) du Ouli à l’attaquer, afin de prouver aux Français que
l’alliance qu’ils avaient conclue avec eux était sincère.

Repoussé de Nétéboulou, le marabout envoya auprès du massa du
Ouli un cavalier pour lui demander l’hospitalité. Immédiatement
un grand palabre fut tenu de nuit à Sini ou Sine, capitale du Ouli,
et on hésita longuement à prendre une détermination. Les uns
voulaient ouvrir les portes au marabout qui, malgré ses défaites,
était encore redoutable. Les autres, au contraire, voulaient marcher
à sa rencontre et le chasser du Ouli, _manu militari_.

Sur ces entrefaites, un des princes de la famille régnante,
nommé Dally-Nianama, qui n’avait encore pris aucune part à la
discussion, se leva tout à coup et, dans une courte harangue,
leur démontra qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que de
l’indépendance du Ouli : « Que ceux qui sont prêts à mourir
avec moi pour la défense du pays, dit-il, se lèvent donc. Je suis
décidé à aller attaquer immédiatement Mahmadou-Lamine. Je le
vaincrai ou périrai, mais qu’on sache bien que les membres de la
famille royale qui craindront de prendre part à ce combat seront
à jamais exclus du trône du Ouli, si nous sommes assez heureux
pour remporter la victoire. » Ces paroles hardies relevèrent le
courage des assistants, et tous, sans exception, jurèrent de courir
sus au faux prophète. Aussi quand, vers minuit, Dally-Nianama monta
à cheval et sortit de Sini, fut-il suivi par tous les guerriers
du village, commandés par Sarra-Baly, fils aîné du massa, et
auxquels s’étaient joints ceux de Makadian-Counda, que commandait
en personne le chef de ce grand village, Penda-Mahmady.

Dally-Nianama vint alors camper avec ses hommes dans la plaine de
Faro-Talel. Réveillés de bonne heure, le lendemain matin, par
le tabala (tam-tam de guerre) du marabout qui avait passé la nuit
dans la plaine de Nétéboulou, les guerriers du Ouli se levèrent
rapidement et, au son de leurs tams-tams de guerre, marchèrent
hardiment à sa rencontre, pendant que les hommes de Nétéboulou,
sous la conduite de Malamine-Diamé, attaquaient l’ennemi par
derrière. Le combat dura une heure et demie environ. Les bandes du
marabout furent complètement défaites. Ses guerriers s’enfuirent
dans la brousse en laissant 150 des leurs environ sur le champ de
bataille et à peu près autant de blessés. Le nombre des captifs
qui tombèrent entre les mains des guerriers du Ouli fut énorme,
et chaque homme n’en eut pas moins de 10 pour sa part.

Mahmadou-Lamine n’avait pas attendu l’issue du combat pour
prendre la fuite. Escorté par quelques cavaliers qui protégèrent
sa retraite, il chercha un refuge sur la montagne que l’on voit au
sud-ouest de Nétéboulou, et de là assista en simple spectateur
à la défaite de ses troupes. Il y resta la plus grande partie
de la nuit, et ce ne fut qu’au point du jour qu’il quitta sa
retraite. Il longea alors la rive droite de la Gambie, passa entre
Biroufou et Passamassi et alla chercher un refuge à Toubacouta
auprès de son ami, le chef de ce village, Dimbo, fils du marabout
Simotto-Moro, le fondateur de Toubacouta.

L’histoire de ce marabout est assez curieuse et mérite d’être
racontée ici.

Vers 1869 ou 1870, le marabout Simotto-Moro (Moro en mandingue
veut dire marabout) avait émigré de la rive gauche de la Gambie,
du marigot de Simotto-Ouol, qui se jette dans ce fleuve près du
village de Oualiba-Counda, dans le Fouladougou, situé à environ
3 kilomètres au sud-ouest de Gabou-Teguenda. Il avait acquis
une grande renommée dans le village qu’il venait de quitter,
et beaucoup d’adeptes lui étaient venus des autres villages du
Ghabou. Aussi ne tarda-t-il pas à éveiller la méfiance du roi
du pays, Alpha-Molo, père de Moussa-Molo, le souverain actuel du
Fouladougou. Alpha-Molo résolut d’en finir avec cet agitateur et de
s’emparer de sa personne ; mais le marabout, instruit de ce qui se
tramait contre lui et ne se sentant plus en sûreté dans son village,
traversa la Gambie à la tête de 5 ou 600 de ses compatriotes et vint
demander au massa du Ouli de lui donner l’hospitalité. Celui-ci
l’autorisa à s’établir là où il lui plairait sur le territoire
auquel il commandait. Depuis longtemps déjà le vieux marabout avait
remarqué de fertiles terrains sur les bords du marigot de Maka-Doua,
qui sépare le Ouli du Sandougou. Ce fut là qu’il résolut de
construire son village, et le Massa-Ouli lui envoya même son frère
Penda-Mahmady avec 400 hommes pour l’aider dans ce travail. Durant
quinze jours environ, les hommes du massa et ceux de Simotto-Moro
travaillèrent avec acharnement à édifier un solide sagné, pour
lequel ils furent obligés d’abattre une quantité considérable
d’arbres dans les environs. Ce sagné fut entouré d’un fossé
extérieur et d’un fossé intérieur, larges de 3 mètres et
d’une profondeur de 2 mètres à 2m50 environ.

En sûreté à l’abri de cette solide enceinte, le vieux marabout
continua à recevoir des populations des pays riverains de la Gambie
des cadeaux de toutes sortes, et partout il n’était connu que
sous le nom de Simotto-Moro, du nom du marigot de Simotto-Ouol,
dont il venait de quitter les bords. Sa renommée s’étendait
au loin et son influence était grande. Aussi ne tarda-t-il pas à
profiter de ces avantages pour chercher en maintes occasions à en
imposer à son trop confiant suzerain, le massa du Ouli. Celui-ci,
d’ailleurs, comme tous les idolâtres, avait pour le marabout un
grand respect mélangé d’une crainte profonde. Il n’osa jamais
l’évincer ni contrecarrer sa propagande. Ce fut une grande faute,
comme on le verra plus loin.

Les choses restèrent cependant ainsi jusque vers 1875, époque à
laquelle Ousman-Gassy organisa dans le Ferlo-Bondou une petite colonne
et marcha contre le village du vieux marabout. En arrivant dans la
plaine de Toubacouta, quand il se fut rendu compte de l’importance
des défenses du village, il reconnut, mais trop tard, que ses forces
étaient insuffisantes pour s’en emparer. Il se contenta donc,
par bravade, de faire caracoler ses chevaux jusque sous les murs de
la place, échangea avec les défenseurs quelques coups de fusil
et se retira en emmenant une vingtaine de prisonniers qui, à son
approche, n’avaient pas eu le temps de regagner le village. Il
traversa alors la Gambie et alla dans le Fouladougou offrir ses
services et ses guerriers à Moussa-Molo, qui avait à réprimer
une grave révolte de presque toute la partie ouest de son pays.

De son côté, Massa-Ouli envoya des émissaires à Sénoudébou pour
se plaindre à Boubakar-Saada, à l’instigation de Simotto-Moro,
du préjudice qui avait été causé par Ousman-Gassy à Toubacouta,
et pour lui demander une juste réparation. Boubakar n’accorda
rien, et de ce moment Simotto conçut pour l’autorité du massa un
profond mépris, et pour l’almamy du Bondou une haine profonde. Il
n’eut plus dès lors qu’une seule pensée, qu’un seul désir :
c’était de tirer une vengeance éclatante de l’affront qu’il
venait de recevoir. Ses vœux ne tardèrent pas à être exaucés.

Vers la fin de 1876 ou au commencement de 1877, les marabouts
Mour-Seïny et Biram-Cissé, lieutenants de Mahmadou-Dadi, roi
du Saloum, qui venait de soumettre à son autorité la plus grande
partie du Niani-Mandingue, levèrent une colonne de 2 à 3,000 hommes
et marchèrent contre le Ouli, et si le marabout Simotto-Moro ne leur
donna pas de guerriers pour les seconder, du moins il leur donna tous
les renseignements nécessaires pour faciliter leurs entreprises. Et,
en effet, grâce à ses indications, Médina, qui était alors la
capitale du Ouli, tomba dans les mains des envahisseurs. Le massa ne
put s’enfuir et échapper au massacre qu’avec une faible partie
de la population. Malgré cet échec, ses guerriers ne perdirent pas
courage. Pendant la nuit, alors que les vainqueurs se livraient à la
joie de la victoire, Penda-Mahmady et Dally-Nianama, frères du massa,
réussirent, non sans peine, à rallier 200 ou 300 de leurs hommes
avec lesquels ils allèrent s’embusquer au gué de Paqueba, sur le
Sandougou, afin de couper la retraite à l’ennemi. Le surlendemain
matin, Mour-Seïny et les siens se présentèrent au gué. Au moment
où ils allaient prendre leurs dispositions pour le traverser,
les guerriers du Ouli se levèrent vivement et les reçurent par
une fusillade bien nourrie. Les hommes de Mour-Seïny se remirent
promptement de leur surprise et purent reprendre l’offensive. Ils
engagèrent alors avec les troupes du Ouli un combat meurtrier
qui dura près de trois heures. Le Ouli, accablé par le nombre,
ne put résister plus longtemps. Ses guerriers lâchèrent pied et
s’enfuirent en laissant sur le terrain un grand nombre des leurs
tués ou blessés. Dans la journée, ces derniers furent exterminés
sans pitié par les Ouolofs de Mour-Seïny.

Le Ouli, dans cette journée, perdit plusieurs de ses meilleurs
guerriers, au nombre desquels se trouvaient 6 princes de la famille
régnante, environ 10 ou 12 captifs de la couronne et 50 à 60 hommes.

Mour-Seïng rentra triomphalement à Koussalan, après avoir ravagé
tout le Ouli et satisfait ainsi la vengeance du marabout du Simotto.

A la nouvelle de la défaite du massa, on fit de grandes fêtes
à Toubacouta, et l’on s’y réjouit ouvertement des malheurs
qui venaient de fondre sur les infidèles, comme le marabout avait
l’habitude d’appeler ses bienfaiteurs. Mais la reconnaissance
n’a jamais été, comme on le sait, le fait des dévots, et des
musulmans en particulier.

A la mort de Simotto-Moro, survenue en 1880 ou 1881, son fils aîné,
nommé Dimbo, lui succéda comme chef de Toubacouta. Il avait hérité
de son père de la haine que ce dernier avait vouée aux Oualiabés
du Ouli et aux Sissibés du Bondou. Jusqu’en 1887, il n’y eut
aucune hostilité ni d’un côté ni de l’autre. Après la prise
de Dianna, lorsque le marabout Mahmadou-Lamine s’enfuit devant
la colonne du colonel Gallieni et les troupes du Ouli, Toubacouta
était le seul village où ce rebelle pût se réfugier. Aussi,
malgré nos conseils et nos avis, y fut-il reçu à bras ouverts
par son chef Dimbo.

Du jour où le marabout se fut retiré à Toubacouta, ce village
devint le refuge de tous les brigands et de tous les rebelles du
Niani, du Sandougou et de tous les pays mandingues riverains de
la Gambie et du Saloum. Cet état de choses ne pouvait durer ainsi
sans exposer les pays qui s’étaient rangés sous le protectorat
de la France à devenir encore la proie des attaques des bandes
de Mahmadou-Lamine.

Le colonel Gallieni comprit bien la situation. Mais il lui était
impossible d’y remédier pour le moment, car il avait besoin de
toutes les troupes dont il disposait pour se rendre sur les bords
du Niger où sa présence était devenue indispensable. Il dut
donc remettre à la campagne suivante l’expédition qui était
devenue nécessaire pour débarrasser le pays d’un agitateur
aussi dangereux que Mahmadou-Lamine. Mais il fallait, avant tout,
mettre nos alliés à l’abri de ses attaques, et leur permettre
de cultiver, pendant l’hivernage qui approchait, leurs lougans en
toute sécurité. Il décida donc, en conséquence, qu’une colonne
volante serait concentrée en un point qui serait ultérieurement
choisi, pour surveiller de près les menées du marabout.

Il expédia, à cet effet, le lieutenant indigène de tirailleurs
sénégalais Yoro-Coumba dans les pays riverains de la Gambie, avec
la mission de nouer des relations avec les habitants et de tenter de
les détacher de la cause du marabout, que beaucoup d’entre eux,
surtout les Mandingues, musulmans fanatiques, avaient embrassée
avec enthousiasme.

Yoro-Coumba s’acquitta avec soin et succès de cette délicate
mission, et il put s’avancer jusqu’à Yabouteguenda, sur
les bords de la Gambie à une journée de marche de Toubacouta,
après avoir parcouru le pays de Gamon, le Tenda et la plus grande
partie du Ouli. Dans ce voyage dangereux de reconnaissance, le
brave lieutenant n’était accompagné que de 10 tirailleurs et de
quelques cavaliers du Bondou qu’Ousman-Gassy commandait. Le prince
sissibé Abdoul-Séga, le chef actuel de Koussan-Almamy, lui avait
été adjoint comme secrétaire. Quant à Saada-Ahmady, l’almamy
du Bondou, il n’avait cru devoir accompagner la petite colonne que
jusqu’à Nétéboulou, à une étape de Sini, capitale du Ouli. Il
commençait déjà à pratiquer cette politique à double face dont un
an plus tard sa déposition devait être la conséquence inévitable.

Yoro-Coumba revint à Sini dans la dernière quinzaine d’avril
1887, et là, il reçut du commandant supérieur du Soudan français
l’ordre de se replier sur le Bondou, où il devait choisir, non
loin du Niéri-Kô, l’endroit où serait concentrée la colonne
volante qui devait, pendant l’hivernage, opérer dans la région
et surveiller le marabout. Il devait, en plus, y accumuler le plus
de mil et de riz possible pour pourvoir à la nourriture des troupes
indigènes qui allaient y séjourner plusieurs mois. S’inspirant
des instructions qui lui avaient été données, il choisit dans
ce but le village important de Bani-Israïla, dans le Diaka, situé
à peu de distance du Niéri-Kô, dans une position exceptionnelle,
et dont les habitants, musulmans fanatiques, avaient pour la plupart
suivi le marabout dans sa fuite.

Au cours de sa mission, Yoro-Coumba était arrivé à y faire revenir
la plus grande partie de ceux qui s’étaient réfugiés dans le
Tenda, le pays de Gamon et à Damentan où ils n’attendaient qu’un
moment opportun pour rallier à Toubacouta le drapeau du marabout.

Dans la première quinzaine de mai 1887,1e capitaine Fortin,
de l’artillerie de marine, fut nommé par M. le Commandant
supérieur du Soudan au commandement de la colonne volante du Diaka,
avec mission de s’établir à Bani-Israïla et d’y construire
un poste provisoire, afin de pouvoir donner à ceux des habitants
qui y étaient revenus une sécurité complète et d’y attendre
paisiblement le moment où les chemins seraient redevenus praticables
pour exécuter l’expédition décidée contre Toubacouta et en
finir avec le marabout.

Fortin se rendit donc à Bani-Israïla et procéda immédiatement
à la construction d’un camp retranché dont on voit encore les
vestiges et qui se trouvait situé à 5 ou 600 mètres environ au
sud-est du village, sur une petite éminence d’où on pouvait
aisément surveiller la plaine entière. Ce camp était assez vaste
pour pouvoir abriter la garnison et, en cas d’attaque, donner
refuge à la population du village.

La garnison de ce petit fort se composait de la 3e compagnie de
tirailleurs sénégalais, commandée par le lieutenant Renard, ayant
sous ses ordres le lieutenant indigène Yoro-Coumba qui venait de
terminer sa mission. Une pièce de canon servie par des tirailleurs
la défendait. Dans l’intérieur, on avait élevé des cases en
pisé pour loger les officiers, les soldats européens, les chevaux
et les mulets et pour servir de magasins et de poudrière. Le parc
à bestiaux et le village des tirailleurs étaient placés sur le
plateau en arrière de la gorge de l’ouvrage.

A défaut de médecin, la direction de l’ambulance fut confiée
à M. le pharmacien de 2e classe Liotard. Deux interprètes, dont
l’un était notre ami Abdoul-Séga, devaient seconder le capitaine
dans ses rapports avec les populations voisines.

Le séjour de Bani-Israïla pour des Européens arrivés depuis peu de
France était loin d’être bienfaisant. Ils ne s’y acclimataient
que difficilement. Aussi la petite garnison blanche y paya-t-elle
un large tribut aux fièvres et aux maladies auxquelles nous sommes
si souvent sujets dans les pays chauds. Néanmoins, il n’y eut
pas à déplorer de décès pendant cette période si insalubre
de l’hivernage.

Pas un arbre ne protégeait de son ombre le campement. Un
marigot voisin l’empestait, pendant les pluies, de ses miasmes
pernicieux. Ce marigot, c’est celui de Goundiourou, qui coule
dans la direction est-ouest, à 1 kilomètre environ au nord du
poste, et vient se jeter dans le Niéri-Kô, à 7 ou 8 kilomètres
environ à l’ouest de Bani-Israïla. Enfin, si cet endroit malsain
était bien choisi au point de vue de la défense, il présentait
encore d’autres avantages sérieux en pareille circonstance. On se
trouvait aussi loin des cases des Diakankés, et les tirailleurs du
poste ne pouvaient fréquenter que rarement avec le village. Ainsi
furent évités tous les ennuis si fréquents au Soudan à la suite
des rapports des tirailleurs avec l’élément civil.

A ce moment-là, le Bondou offrait peu de ressources pour subvenir
aux besoins de la garnison de Bani. Le Diaka et le Niéri étaient
presque complètement dépeuplés, et le capitaine fut obligé
d’aller chercher au loin ce qui lui était nécessaire pour nourrir
ses animaux et pour approvisionner ses troupes.

Fortin profita de son inaction forcée à Bani pendant la saison
des pluies pour entamer et entretenir des relations suivies avec
les chefs des différents pays riverains de la Gambie. Nous verrons
plus loin comment il parvint ainsi à rendre toute fuite du marabout
impossible au moment où la colonne française viendrait à marcher
contre Toubacouta.

Le capitaine savait que dans la dernière quinzaine de juillet, le
Niéri-Kô n’est plus guéable. Grossi par l’apport de nombreux
cours d’eaux du Niéri, du Bondou et du Diaka, il déborde alors,
et comme il n’y avait ni pont ni embarcations pour le traverser,
le moment approchait où on ne pourrait plus le franchir. Il
serait alors absolument impossible à la garnison de Bani de se
porter vers l’ouest si, par hasard, le marabout venait à attaquer
quelques-uns de nos alliés de cette région. Fortin remédia à cet
état de choses qui pouvait devenir grave, selon les circonstances,
en envoyant dans le Ouli Ousman-Gassy avec une centaine de cavaliers
et 200 fantassins auxiliaires pour prêter main-forte au massa en
cas de besoin. Ousman alla camper à Sini, la capitale de ce petit
état malinké.

Cependant, Mahmadou-Lamine à Toubacouta recrutait sans cesse de
nouveaux partisans. D’abord accueilli avec méfiance, il n’avait
pas tardé à fanatiser absolument ses hôtes. Son titre de pèlerin,
les miracles qu’il ne cessait de faire pour les besoins de sa cause
lui attirèrent rapidement la vénération des naïves populations
dont il exploitait sans vergogne la crédulité. Donc, en peu de
temps, Toubacouta devint à la fois un véritable repaire de bandits
et un centre fanatique de prosélytisme musulman. Il se passa alors
sur la Gambie ce qui s’était passé dans le Haut-Sénégal. De
même que les populations sarracolées s’étaient levées à
la voix de Mahmadou-Lamine, de même les populations mandingues
accoururent en foule se ranger sous sa bannière. C’est ainsi que
l’on vit accourir la plupart des chefs du Niani-Padjine et du Niani
proprement dit, entre autres Fodé-Gadially, Sountoukoma, chefs de
County ; Birahima-Tendy, chef de Iona, et le plus puissant de tous,
Mahmadou-Fatouma, qui avait déjà combattu à ses côtés et qui
venait de s’installer en maître dans le Sandougou après en avoir
chassé les souverains légitimes. Il lui vint même des partisans
du Rip et du Saloum qui lui furent amenés par Biram-Cissé et
Mour-Seïny, dont la colonne du colonel Coronnat venait de disperser
les bandes. En peu de jours enfin, il se vit à la tête de 4 ou 5,000
hommes. Ce n’était plus le tremblant fugitif de Dianna qui était
venu implorer l’hospitalité de Dimbo, chef de Toubacouta, à la
tête des quelques talibés sarracolés qui lui étaient restés
fidèles. C’était un véritable chef de guerre avec lequel il
faudrait compter et qui pourrait nous causer de sérieux embarras.

Voyant ainsi ses forces augmenter sans cesse et son étoile briller
d’un nouvel éclat, Lamine ne tarda pas à vouloir essayer sa
puissance. Il n’était pas homme à avoir oublié la réception
qu’il avait reçue dans le Ouli, et son premier soin fut d’en
tirer une vengeance éclatante. Donc il se met de nouveau en
campagne. Dans les premiers jours d’octobre il quitte Toubacouta
avec une colonne de 7 à 800 hommes, longe le Sandougou qu’il
traverse à Paqueba, passe à Colibentan, campe pendant quelques
jours à Makacoto, retraverse le Sandougou, séjourne quelque temps
à Licounda et de là, par une marche de nuit, vient tomber, vers
sept heures du matin, sur Nétéboulou qu’il investit aussitôt. On
se rappelle que le chef de ce village, Malamine-Diamé, n’avait
pas voulu le recevoir lors de sa fuite de Dianna, et c’est de ce
refus dont le marabout avait à cœur de se venger.

De sept heures à onze heures du matin il tenta de prendre
Nétéboulou d’assaut. Les défenseurs, conduits par leur chef,
repoussèrent vaillamment toutes ses attaques. Mais le feu ayant
pris dans le village, les habitants sortirent en foule par la porte
de Sini. Beaucoup de défenseurs avaient été déjà mis hors de
combat. Antioumané, frère de Malamine, avait reçu quatre blessures
et gisait inanimé dans la cour de sa maison. Quarante-cinq captifs
du chef avaient été mortellement frappés. Enfin, au moment où
les habitants s’enfuirent pour échapper aux flammes, Malamine,
courant après eux pour les retenir et pour ranimer leur ardeur, tomba
frappé à mort après s’être courageusement défendu. Peu après,
le village tomba aux mains de l’ennemi. Une des femmes de Malamine,
Diénéba-Ahmady, sœur de Saada-Ahmady et nièce de Boubakar-Saada,
fut faite prisonnière par les hommes du marabout. Contrairement aux
coutumes du Soudan, il la fit égorger ainsi que ses trois enfants,
le soir même de la prise de Nétéboulou.

Mahmadou-Lamine, sa vengeance accomplie et satisfaite, rentra
alors à Toubacouta, qu’il quitta de nouveau une vingtaine de
jours après pour venir attaquer Sini, la capitale du Ouli, où se
trouvait Ousman-Gassy avec ses guerriers.

Informés par leurs espions de la marche du marabout, Ousman et le
massa prirent en toute hâte leurs dispositions pour se défendre
vigoureusement. Dès le lendemain du jour où ils avaient été
ainsi prévenus, vers onze heures du matin, un homme qui veillait
du haut des murs du village signala la présence de l’ennemi. Le
tam-tam de guerre fut aussitôt battu et les chevaux sellés en un
instant ; les fantassins descendirent en hâte dans le fossé qui
entourait le sagné et l’on attendit tranquillement. L’ennemi ne
tarda pas à se présenter devant la face ouest du village. Quelques
hommes d’Ousman-Gassy et ceux du Massa-Ouli sortirent alors à sa
rencontre et dirigèrent sur ses colonnes un feu bien nourri qui fut
couronné de succès. Les assaillants, après avoir échangé avec
eux une vive fusillade qui dura environ une demi-heure, lâchèrent
pied et se sauvèrent en toute hâte en laissant bon nombre des
leurs sur le champ de bataille. Les blessés furent achevés par
les assiégés, qui rentrèrent en grande pompe et au son du tam-tam
dans leur village.

Cependant Mahmadou-Lamine ne se découragea pas, et quelques jours
après il quittait de nouveau Toubacouta avec 8 à 900 guerriers,
cavaliers et fantassins et marchait de nouveau contre le Ouli. Il vint
camper à Canapé, qui était alors en ruine, et s’avançait jusque
sous les murs de Sini, qu’il n’osa pas attaquer. Revenant alors
sur ses pas, il vint attaquer Makadian-Counda où se trouvait alors
Penda-Mahmady, frère du Massa-Ouli. Pendant cinq heures le village se
défendit de son mieux. Mais les hommes du marabout, ayant défoncé
une des portes du sagné, pénétrèrent dans l’enceinte, et le
village fut sur le point d’être emporté. Croyant la situation
désespérée, Penda-Mahmady fit ouvrir les barils de poudre qui lui
restaient et en versa le contenu devant lui, bien décidé à se faire
sauter plutôt que de tomber vivant entre les mains du marabout. Les
hommes de ce dernier avaient déjà fait sortir 200 prisonniers
du village et tout enfin semblait absolument perdu, quand tout à
coup on entendit un sourd roulement dans le lointain. C’était
Ousman-Gassy qui arrivait au secours du village assiégé avec
ses guerriers et ceux de Sini et qui faisait battre le tam-tam
de guerre. Mahmadou-Lamine allait être cerné par les cavaliers
d’Ousman lorsqu’il s’enfuit à toutes brides vers Canapé. Ses
hommes le suivirent en désordre. Quant à ceux qui étaient parvenus
à pénétrer dans le village, ils y furent tous massacrés ou faits
prisonniers. Ceux qui furent pris vivants furent amenés devant
Ousman-Gassy, qui se trouvait devant la face est du village, et par
son ordre immédiatement fusillés. Ce fut une épouvantable tuerie,
et aujourd’hui encore on peut voir non loin de Makadian-Counda, à
quelques portées de fusil des remparts, à l’est, les ossements
des talibés du marabout que le temps a blanchis. Mahmadou-Lamine
perdit plus de 500 hommes dans cette affaire.

Quant au marabout et aux guerriers qui l’accompagnaient, ils
furent poursuivis jusqu’à Soutouko, village qui se trouve à
35 kilomètres environ au sud de Makadian-Counda. Ousman-Gassy
rentra le soir même à Sini, vers neuf heures, après avoir pris à
l’ennemi une vingtaine de chevaux et fait encore une cinquantaine
de prisonniers.

Lamine rentra à Toubacouta, heureux d’avoir échappé à un ennemi
dont il savait ne devoir jamais attendre aucune pitié. Quelques
jours après il expédia, dit-on, un émissaire au gouverneur du
Sénégal, à Saint-Louis, afin d’entamer des négociations ;
elles n’aboutirent pas.

Pendant que ces événements se passaient dans le Ouli, le capitaine
Fortin négociait avec le roi du Fouladougou, Moussa-Molo, et arrivait
à le décider à établir des postes militaires tout le long de la
rive gauche de la Gambie, depuis le Kantora jusqu’à Mac-Carthy,
afin de couper toute retraite au marabout dans le cas où Toubacouta
pris, il parviendrait à s’échapper. Il écrivit au chef de
Dougousine, Silly-Penda ; au chef de Diambour, Massa-Ali, et à
celui de Coutia de réunir leurs guerriers au premier signal afin
de barrer la route à Mahmadou-Lamine s’il venait à s’enfuir
vers le Kalonkadougou. Enfin il donna les mêmes instructions à
Ousman-Celli, à Oualia, à Maka-Cissé, chef de Dinguiray, à
l’alcati de Koussalan et à tous les chefs torodos et ouolofs du
Niani dans le cas où l’ennemi se dirigerait vers l’ouest.

Après avoir pris toutes ces dispositions, Fortin n’attendit plus
pour agir que d’avoir reçu les renforts qui lui étaient annoncés
de Kayes et les instructions du commandant supérieur.

Le 25 novembre, la colonne de la Gambie était complètement
concentrée et formée à Bani. Elle était composée de deux
compagnies de tirailleurs sénégalais, commandées par les
lieutenants Chaleil, Poitout, Pichon et Renard, et formant un
total d’environ 250 hommes armés de kropatscheks avec 200
cartouches par homme, et d’une section d’artillerie de 80
millimètres, commandée par le lieutenant Le Tanhouëzet. Enfin
le Dr Fougère, médecin de deuxième classe de la marine, était
nommé médecin-major de la colonne expéditionnaire, et le lieutenant
Levasseur était attaché à l’état-major du commandant. Quant à
la cavalerie, elle était constituée par les guerriers du Bondou,
sous les ordres d’Ousman-Gassy.

Le 28 novembre, à quatre heures du soir, la colonne partait de Bani
pour Toubacouta. Il s’agissait maintenant de marcher rapidement et
dans le plus grand secret afin de surprendre l’éternel fuyard et
d’arriver devant Toubacouta avant que l’éveil fût donné. On
savait que le marabout, sur des bruits vagues de mouvements de
troupes dans le Bondou, avait aussi concentré tout son monde à
Toubacouta où, comme à Dianna, l’année précédente, il avait
été élevé d’importantes fortifications.

Une garnison de quelques hommes seulement est laissée à Bani pour
établir les communications avec Sénoudébou et Bakel.

Le soir, on bivouaque à Bentenani. Le surlendemain on arrive à
Goubaïel, sur les bords du Niéri-Kô, que l’on traverse sur un
pont qu’il fallut faire de toutes pièces et qui existe encore. Le
1er décembre on est à N’Garioul, le 2 à Godjieil, le 3 à
Tambacounda, le 4 à Baricounda, le 5 à Sini, le 7 on tourne le gros
village de Barocounda qui est occupé par un contingent d’environ
300 hommes, presque tous talibés du marabout. Enfin le 8, par une
marche hardie et remarquable en tous points de tactique militaire,
on arrive devant Toubacouta qui est immédiatement investi à sept
heures du matin. Le bombardement commence aussitôt, et dès que le
feu de l’ennemi est éteint et que Fortin juge le moment opportun,
il donne le signal de l’attaque. « L’attaque, dit le colonel
Gallieni dans son remarquable livre : _Deux Campagnes au Soudan
français, 1886-1888_, est brillamment conduite par Ousman-Gassy
qui se montre le digne fils du roi Boubakar-Saada. La colonne
pénètre dans le village, accueillie par le feu nourri des derniers
défenseurs de Toubacouta. Ceux-ci luttent avec acharnement, et en
moins de quelques minutes les assaillants ont une vingtaine de tués
et autant de blessés. Mais cernés et acculés par l’incendie,
les talibés finissent par jeter leurs armes et se rendent à
discrétion. On s’informe de suite du marabout. Hélas ! cet
éternel fuyard avait encore échappé. »

Voici ce que, d’après le même auteur, on apprit au capitaine
Fortin : Mahmadou-Lamine avait reçu avis de la marche de la colonne
le 7 décembre vers six heures du soir. La nouvelle lui était
parvenue par un courrier du village de Gamon qui avait fait un
grand détour par le Tenda. Toutefois ce renseignement n’avait
pu lui indiquer la position exacte des troupes françaises. Il
savait seulement qu’une colonne était partie de Bani pour
l’attaquer. Vers huit heures du soir, le même jour, il sut que des
mouvements de troupes étaient signalés du côté de Oualia et de
Paqueba, le long du Sandougou, mais qu’aucun blanc n’avait encore
paru dans cette direction. Le 7 au soir le marabout ignorait donc que
le capitaine Fortin était campé à une dizaine de kilomètres à
peine, entre son poste avancé de Barocounda et Toubacouta. Mais il
préparait sa fuite, croyant d’ailleurs avoir beaucoup de temps
devant lui. Toutefois, comme il s’était engagé par serment
à défendre sa place d’armes, dans le cas où les Français
viendraient l’attaquer, il avait peur, s’il dévoilait la
vérité, d’être retenu de force. Aussi avait-il réuni tous les
notables du village pour leur annoncer qu’il allait combattre les
Torodos du Niani, qui venaient de s’installer dans les villages du
Sandougou. Il ne prit avec lui que 100 de ses talibés, alla camper
sur la rive droite du marigot de Douga, à 500 mètres à peine de
Toubacouta. Là, il avait passé la nuit et avait dû s’enfuir
par la route de Oualia au premier coup de canon. Les blessés et
prisonniers interrogés n’en savaient pas plus long.

Les pertes subies par le marabout à Toubacouta étaient énormes ;
le village et ses abords, le marigot et les pentes de la rive droite
étaient jonchés de cadavres. Beaucoup de blessés étaient,
en outre, allés mourir dans la brousse à 2 ou 3 kilomètres de
là. Presque tous les lieutenants de Mahmadou-Lamine avaient été
tués : son cadi, Ahmady-Boré, qui avait organisé et présidé
le premier palabre secret de Balou, où les Sarracolés avaient
décidé de se soulever contre les Français ; son ministre,
Sourakata-Diawara, qui avait surpris, avant toute déclaration
d’hostilité, la garnison de Bakel sortie pour aller surveiller
le village insoumis de Yaféré, sur le Sénégal ; les principaux
chefs talibés qui avaient pris la part la plus active au siège de
Bakel et au pillage de nos comptoirs, etc.

De notre côté, nous comptions une cinquantaine de victimes, presque
toutes parmi les auxiliaires du Bondou et du Ouli. Nos tirailleurs
avaient trois ou quatre hommes hors de combat. Pas un soldat européen
(il est vrai qu’ils se réduisaient à quelques canonniers et aux
gradés des compagnies de tirailleurs) n’avait été atteint.

Le frère du chef de Toubacouta, Fodé-Bâ, fut tué par un homme
de la suite de Malick-Touré, l’almamy du Bondou.

Le désastre était complet, il est vrai, pour le marabout ; mais
il fallait à tout prix s’emparer de lui, car il aurait fallu
recommencer la lutte la campagne suivante. Toubacouta pris, Fortin,
bien que Lamine eût déjà plus de cinq heures d’avance, lança
à sa poursuite tous les cavaliers auxiliaires dont il disposait.

Le 9 décembre, à six heures du soir, Moussa-Molo, roi du
Fouladougou, débouche sur le champ de bataille de Toubacouta avec
une armée de 2,000 guerriers. Fortin le lance à la poursuite du
marabout, sachant bien que celui-ci n’échapperait pas et que,
mort ou vivant, Moussa-Molo s’en emparerait.

Mahmadou-Lamine, en quittant Toubacouta, s’était sauvé à bride
abattue vers le Sandougou. Il espérait bien, grâce à ses 100
talibés, en forcer les passages. Il se présente devant Oualia ;
notre allié, Ousman-Celli, l’en chasse à coups de fusil. Il
continue alors sa route vers le nord et veut forcer le gué de
Paquéba ; mais là Maka-Cissé, avec les Torodos du Niani, l’oblige
à rebrousser chemin. Toutefois, les hommes chargés de garder la
route de Colibentan ont fait défection. La route est libre. Lamine
franchit le Sandougou et se renferme dans le village de Maka, où il
va attendre les événements et essayer de se défendre. Ce retard
le perd. Le 9 au soir, les contingents du Ouli et du Bondou sont
dirigés sur Maka, pendant que Moussa-Molo est lancé sur la rive
droite de la Gambie pour lui couper la retraite.

Cependant, dans la soirée du 9, les auxiliaires du Bondou et du
Ouli, arrivés devant Maka, en sont chassés par les talibés. Mais
le chef du village ne veut pas garder un hôte aussi encombrant plus
longtemps, et le chasse aussitôt de ses murs. Il prend alors la
route du sud. Repoussé successivement de Cissé-Counda, de Countiao,
Carantaba, Counting, Iona, il arrive, exténué de fatigue, dans
le petit village de N’goga-Soukota. A peine y est-il installé
qu’arrivent Moussa-Molo et ses cavaliers. Le village est cerné
et les talibés, attaqués à la fois par les habitants et les
contingents du Bondou, du Ouli et du Fouladougou, vendent chèrement
leur vie. Enfin, Mahmadou-Lamine, blessé à la cuisse d’un coup
de sabre par un Bondounké, est fait prisonnier. Porté en civière,
il succombe à Counting de ses blessures. Les habitants de ce village
qui, en secret, tenaient pour lui, réclament son corps, qu’ils
veulent soustraire aux profanations de ses ennemis. Moussa-Molo
refuse. Il fait laisser le cadavre sur la civière, et ordonne
à son griot de confiance de le transporter jusqu’au camp
français. Lui-même prend les devants pour annoncer l’heureuse
nouvelle.

Mais ce cadavre entre bientôt en putréfaction ; le griot ne
pouvant plus le faire transporter, et pour accomplir la mission
qui lui a été donnée, tranche la tête du marabout, dont il
abandonne le corps aux oiseaux de proie. Il accroche le trophée
sanglant à l’arçon de sa selle, et rentre au camp le lendemain
matin. Devant lui marchait le cheval blanc du marabout, portant ses
armes et sa robe couverte de gris-gris. « Ainsi finit l’homme, dit
le colonel Gallieni, qui rêva un moment la fortune des El-Hadj-Oumar
et des Samory. Il eut tort de s’adresser trop tôt à la puissance
française. »

La prise de Toubacouta et la capture du marabout Mahmadou-Lamine sont
peut-être les deux faits d’armes les plus glorieux que nous ayons
à enregistrer au Soudan français. Ils font le plus grand honneur
au colonel Gallieni et au capitaine Fortin, qui ont su organiser
cette victoire sans rien laisser à l’imprévu.

Dans cette courte campagne, le capitaine Fortin fit preuve d’une
connaissance approfondie du pays, des mœurs et des habitudes
militaires des indigènes. D’une énergie sans égale, il montra les
qualités les plus précieuses d’un véritable homme de guerre, et
le succès qui couronna ses efforts démontra d’une façon évidente
combien était parfaite la tactique qui présida à ses opérations.

Aujourd’hui Toubacouta appartient aux Anglais. Nous le leur avons
cédé par le traité du 10 août 1889, qui règle la situation
réciproque de la France et de l’Angleterre dans le bassin de
la Gambie.

Quelques semaines après, la colonne victorieuse rentrait à Kayes,
où il lui fut fait une réception digne de ses travaux.

Peu après, Saada-Ahmady, l’almamy du Bondou, qui n’avait pas
cru devoir marcher avec nous contre le marabout, et qui, s’étant
déclaré ouvertement contre notre politique, s’était enfui avec
son frère Yssaga-Ahmady dans le Bosséa, auprès d’Abdoul-Boubakar,
fut déposé par le colonel Gallieni. Sur la proposition du capitaine
Fortin, Ousman-Gassy fut placé sur le trône du Bondou.

Juste récompense du zèle et du dévouement dont il n’avait cessé
de faire preuve pour la cause française.


                       OUSMAN-GASSY (1888-1891).


Ousman-Gassy fut nommé almamy du Bondou par la France, en dépit
de toutes les lois d’hérédité en vigueur. Il fut néanmoins
reconnu par les Sissibés. Les qualités dont il avait fait preuve
faisaient espérer qu’il pourrait faire beaucoup pour le relèvement
du Bondou. Il en fut malheureusement tout autrement. Dès qu’il
fut investi du pouvoir suprême, il s’endormit littéralement
à Sénoudébou dans un paresseux _far niente_. Entouré de ses
femmes et de ses griots, il devint apathique et absolument incapable
d’énergie. Il ne fit jamais rien pour donner à ses sujets une
bonne administration, et son autorité ne se fit plus sentir que
pour exiger des villages des redevances exorbitantes, destinées
à subvenir aux dépenses de sa maison et à calmer la rapacité de
ses parents. Aussi le Bondou continua-t-il, comme par le passé, à
se dépeupler. Des villages entiers émigrèrent, particulièrement
dans le Niani et le Niocolo, pour se soustraire à ses exactions et
aux exigences des princes sissibés.

En 1889, il fit aux frais du budget de la colonie du Soudan un voyage
en France resté célèbre. Mais il n’en tira aucun profit ni aucun
enseignement. Les merveilles de la capitale ne lui causèrent pas
la moindre émotion et les principales villes de France ne furent
jamais pour lui que des villages à peine plus grands que Bakel
ou que Kayes. Non seulement il ne ressentit aucune émotion, mais
encore il éprouva, au contraire, de profonds regrets d’avoir
laissé à Sénoudébou son sérail et les chantres de sa gloire
militaire. Les grosses flatteries des griots lui manquaient, et il
en souffrit visiblement.

Quoi qu’il en soit, il demeura toujours notre fidèle allié, et
en 1890, quand le colonel Archinard fit appel à tous nos alliés du
Soudan pour marcher contre Nioro, il vint un des premiers se ranger,
avec ses cavaliers, sous notre drapeau. Mais il était bien changé,
mou, sans entrain et sans autorité sur ses hommes ; il n’avait plus
rien du vaillant guerrier qui combattit si brillamment le marabout
Mahmadou-Lamine et qui plusieurs fois lui fit éprouver de sérieux
échecs. Ce fut au cours de cette campagne qu’il mourut dans le
Nioro, à Touridda, d’une fièvre pernicieuse, dans la nuit du 13
janvier 1891.

L’almamy Ousman-Gassy était chevalier de la Légion d’honneur
et commandeur de l’ordre royal du Cambodge.

Il a laissé un fils, Ahmady-Ousman, âgé de cinq ans environ
aujourd’hui.


                             MALICK-TOURÉ.


Malick-Touré, fils d’Ahmady-Saada et frère de Saada-Ahmady,
l’almamy déposé par le colonel Gallieni, succéda à Ousman-Gassy
et règne encore sur le Bondou. Jusqu’à ce jour, il s’est
prudemment contenté de rester sous la tutelle des autorités
françaises. Il semble avoir compris que le temps n’est plus aux
pillages et aux exactions de toutes sortes. Il se déclare satisfait
de l’impôt que lui payent ses sujets. De goûts modestes et peu
aventureux, il vit tranquillement à Gabou, qu’il a choisi pour
résidence. Aussi le Bondou commence-t-il à se repeupler. Il semble
n’avoir qu’un désir, celui de voir augmenter sans cesse les
cultures dans ce pays et se développer les transactions commerciales.


    =Historique de l’administration et du gouvernement du Bondou.=


Avant la fondation des deux capitales qui ont donné chacune leur
nom à une branche des Sissibés, la ville principale du Bondou
était Dioumcoum, sur la rive droite de la Falémé.

Ce fut sous le règne d’Ahmady-Gaye, chef de la première branche,
que fut construit le village de Koussan-Almamy pour protéger le
Ferlo contre les attaques des Malinkés du Ouli et du Bambouck. Son
fils Toumané-Mody vint y établir sa résidence, et dispersa ses
courtisans et ses captifs dans les environs, afin de surveiller un
peu les alentours.

Après la mort d’Ahmady-Gaye, le chef de la seconde branche
régnante qui résidait à Dioumcoum, aujourd’hui Gatiari, vint
élever un tata à Boulébané, qui était alors désert. Sur le
rapport que lui fit un chasseur, qui trouva l’endroit très fertile
et pourvu de gibier, il se décida à venir y habiter avec sa famille
et ses captifs.

On donna au village le nom de Boulébané à cause d’un petit puits
creusé probablement par des sangliers au pied d’un arbre appelé
en poular _Boulé_. Puits, dans la même langue, se dit _Bané_. De
là _Boulébané_.

Chacune des deux branches ayant alors sa ville principale, les
Sissibés convinrent de diviser le Bondou en deux provinces,
et chaque province en cantons. Une ligne partant de Famira à
l’est, passant par Soumourdaka, Diamwéli, Bay-Bay, Andiari,
Dioéré, Dioum, et aboutissant à Naoudé à l’ouest, formait
la séparation. Tout ce qui se trouvait au nord de cette ligne
appartenait à la province de Boulébané, et les régions qui
s’étendaient au sud composaient le territoire de la province de
Koussan-Almamy. Chacune de ces provinces fut divisée en cantons,
et à mesure que la puissance territoriale du Bondou augmenta, les
conquêtes formèrent de nouveaux cantons qui, suivant les régions,
furent compris dans l’une ou l’autre province.

Ainsi, de nos jours, tel que le Bondou est constitué, il ne
comprend pas moins de onze cantons, qui se répartissent de la
façon suivante :

Au nord la province de Boulébané, comprenant cinq cantons :
Lèze-Bondou, Lèze-Maio, Ferlo-Balignama, Ferlo-M’Bal,
Ferlo-Niéri.

Au sud la province de Koussan-Almamy, formée par six cantons :
Nagué-Horé-Bondou, Do-Maïo, Tiali, Niéri, Diaka, Ferlo-Maodo.

Avant l’arrivée d’El-Hadj-Oumar dans le Bondou,
l’administration de ce vaste pays s’exerçait d’une façon
régulière. Il y avait du moins, sinon de fait, mais en pratique,
une organisation politique et administrative complète. Mais depuis
que le prophète, en le dépeuplant, a entièrement tout détruit,
le gouvernement a passé par deux phases bien distinctes : absolu
sous Boubakar-Saada, il disparut absolument sous Oumar-Penda et
Saada-Ahmady pendant les guerres contre le marabout Mahmadou-Lamine,
pour redevenir absolu sous Ousman-Gassy.

Avec Malick-Touré, l’almamy actuel, on peut dire que le Bondou,
tout en conservant ses lois et coutumes anciennes, est en réalité
gouverné par l’administration française. Il n’est pour ainsi
dire plus qu’une simple province de notre vaste empire soudanien,
qui s’administre elle-même, il est vrai, mais sous le contrôle
et l’autorité du représentant de la France.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons faire autrement que d’exposer
ici quels étaient le gouvernement et l’administration du Bondou
avant les bouleversements qui ont suivi El-Hadj-Oumar et notre
installation définitive dans ce pays. Comme nous l’avons dit plus
haut, sa constitution est bien encore dans la forme ce qu’elle
était autrefois ; mais en fait, il serait bien difficile de dire
là où s’arrête l’autorité de l’almamy et là où commence
celle de nos agents.

Le gouvernement du Bondou est une monarchie héréditaire. Le
plus âgé de la branche mâle monte sur le trône, mais il lui
faut assez d’influence pour être couronné par les Sissibés,
sinon il court les chances d’une guerre ou d’un bannissement
perpétuel. Aujourd’hui, cet article fondamental n’est plus
observé. L’almamy est nommé par l’autorité française et
reconnu ensuite par les Sissibés. Il n’est plus tenu aucun
compte du principe d’hérédité. Ainsi, l’almamy actuel
Malick-Touré n’arrive qu’en sixième ligne dans l’ordre
de succession régulier. Certes, nous ne pouvons nier que cette
façon de procéder n’ait de grands avantages pour notre politique
générale dans le pays. Mais aussi, nous ne pouvons nous empêcher
de reconnaître qu’elle pourrait, à un moment donné, avoir
de graves conséquences. Car, il ne faut pas se le dissimuler,
le noir est essentiellement routinier et très attaché à ses
traditions. Aussi serait-il puéril de croire un seul instant
que les Bondounkés soient partisans des modifications que nous
avons apportées dans leur constitution. Bien au contraire, elles
blessent profondément leur amour-propre national. Sans doute, ils
tolèrent bien l’almamy que nous leur donnons : ils ne peuvent
faire autrement ; mais il ne jouit d’aucune autorité et il n’est
absolument considéré que comme un simple intermédiaire par les
politiques et comme un véritable _captif des Français_ par les
intransigeants. En réalité, il ne se maintient sur le trône que
parce que nous le couvrons de notre protection.

Almamy (le puissant), tel est le titre que prend l’élu des
Sissibés. La cérémonie du couronnement se fait aussitôt que
l’assemblée a prononcé. Elle se fait remarquer par des danses et
des chants continus, accompagnés de fréquentes décharges de fusils.

L’almamy perçoit comme impôts la dixième partie de la récolte
de chaque village. Autrefois, il était loin de se contenter de ce
revenu, et il imposait à ses sujets des redevances extraordinaires,
parfois exorbitantes. Son bon vouloir en fixait le chiffre. Aussi se
livrait-il à de véritables exactions dont les conséquences étaient
la ruine et l’émigration de villages entiers. Si nous ajoutons à
cela que les princes de la famille royale en faisaient tout autant,
s’il n’avait pas assez d’autorité et d’énergie pour modérer
leurs appétits, on conviendra aisément avec nous que c’était
là un état de désordre et d’anarchie administrative absolument
déplorable et dont le résultat a toujours été d’entraver le
développement normal de la richesse du pays. Il n’en est plus
ainsi actuellement, et l’almamy ne perçoit que l’impôt qui
lui est dû.

De même, les caravanes qui traversaient le Bondou étaient obligées
de payer au souverain une contribution proportionnelle à la quantité
de marchandises qu’elles avaient. Elles circulent aujourd’hui
librement. Les traitants français eux-mêmes devaient donner à
l’almamy un vêtement complet de belle étoffe.

L’almamy était souverain absolu, sans conseil aucun. Cependant,
dans les grandes circonstances, telles que déclaration de guerre
ou autres, il réunissait les Sissibés et se concertait avec eux
sur les moyens d’entreprise.

Les assemblées ont encore généralement lieu dans la grande
cour de la maison de l’almamy ou sur la place du village. Les
étrangers en étaient rigoureusement exclus, à moins qu’ils ne
fussent eux-mêmes chefs de distinction ou qu’on ne voulût leur
faire honneur.

L’almamy, assis sur une peau de mouton à laquelle sont cousus
de nombreux gris-gris qu’il doit toucher des pieds, afin de ne
pas permettre que de mauvaises pensées s’emparent de son esprit,
préside l’assemblée qui forme cercle autour de lui. A sa droite se
tient son ministre, qui prend souvent la parole pour lui. Ce ministre
est choisi ordinairement en dehors de la famille des Sissibés. Il
a toute la confiance du souverain et loge tous les étrangers de
distinction qui viennent le visiter. Il reçoit pour cela une part
des impôts perçus.

L’almamy est obligé de fournir les chevaux à ses courtisans,
aux princes sissibés et aux captifs de la couronne. Ceux qui n’en
ont pas sont dispensés d’aller à la guerre.

Les chefs de province étaient toujours de la famille des
Sissibés. C’était le plus âgé des princes de chacune des deux
branches royales qui était le chef de la province qui appartenait
à sa famille. L’un des deux était de ce fait toujours ou presque
toujours almamy.

Chaque province était, comme nous l’avons dit plus haut, divisée
en cantons. Chaque canton était commandé habituellement par un
Sissibé ; mais ce n’était pas là une règle absolue, car le
chef de canton ne tenait son autorité que de l’almamy qui pouvait
le révoquer à son gré et le remplacer par qui bon lui semblait,
pourvu que ce fût un homme libre et notable.

Les villages étaient et sont encore commandés par un chef relevant
du chef de canton. A la fondation du village, le premier chef
était nommé directement par l’almamy. C’était toujours
celui qui l’avait fondé ou bien celui qui avait creusé le
premier puits, si l’endroit où il s’élevait se trouvait
sur une hauteur. Dans le cas contraire, si l’emplacement se
trouvait sur les bords d’un marigot, d’un lac ou d’une
rivière, la dignité de chef était conférée à l’homme qui,
le premier, avait procédé au débroussaillement. Ses successeurs
étaient toujours choisis dans sa famille, et on peut dire, d’une
façon générale, que le commandement se transmettait par voie
d’hérédité collatérale. L’almamy conservait, toutefois,
le droit de révoquer le chef qui lui déplaisait. Le nom donné
au village était presque toujours celui de son fondateur, à moins
qu’il n’en eût lui-même choisi un autre.

Dans le cas de minorité d’un chef, l’almamy nommait des notables
pour gérer les affaires du canton ou du village jusqu’au moment
où l’héritier serait devenu majeur.

Si à la mort d’un chef de canton ou de village, il n’y avait
pas d’héritier légitime, l’almamy nommait parmi les habitants
un conseil de notables chargé de l’administration des affaires
jusqu’au moment où les habitants ou lui-même eussent choisi un
nouveau chef.

Les chefs de villages et de cantons pouvaient être, par mesure
de discipline, révoqués par l’almamy. Il pouvait aussi, selon
la gravité de leurs fautes, les traduire devant le conseil des
marabouts et leur infliger des amendes.

Les chefs de provinces percevaient dans leurs commandements respectifs
des amendes pour fautes légères. Ils étaient chargés de percevoir
les dîmes dues à l’almamy, et quand tout était concentré dans
leur chef-lieu, ils allaient avec les chefs de cantons et de villages
porter à l’almamy ce qu’ils avaient pu faire rentrer.

En cas de guerre, l’almamy informait les chefs de provinces
d’avoir à rassembler leurs guerriers. Ceux-ci agissaient de même
à l’égard des chefs de cantons et de villages placés sous leurs
ordres. Quand la concentration des contingents de chaque province
était faite, les chefs se mettaient à la tête de leurs hommes
et se rendaient au lieu fixé par l’almamy, qui prenait alors le
commandement en chef ou bien le déléguait à un de ses lieutenants.

Enfin, outre l’impôt qui était dû à l’almamy, les chefs de
provinces, de cantons et de villages en percevaient encore pour leur
propre compte sur les habitants soumis à leur juridiction. Aussi
se commettait-il partout de tels abus de pouvoir, que, si l’almamy
n’avait pas assez d’autorité pour y mettre ordre, des villages
entiers émigraient pour se soustraire à des exactions intolérables
et qui les ruinaient complètement.

Dans le Bondou, la justice est rendue en premier ressort par les
marabouts et en dernier par l’almamy, dont le jugement était
autrefois souverain. Actuellement, on en réfère également au
représentant de l’autorité française et, en dernier lieu,
au gouverneur du Sénégal, depuis que le pays a été placé sous
sa juridiction.

Les marabouts se divisent en quatre classes : talibés, cadis,
tamsirs et imans. Les talibés ne possèdent aucune autorité en
matière de justice. Ce sont plutôt des élèves marabouts que des
marabouts proprement dits, enseignant et récitant les prières. Ils
tiennent des écoles où ils enseignent aux enfants la langue arabe
et les versets du Coran.

Les classes ont lieu le matin de quatre à six heures et le soir
de deux heures à sept heures. Les jeunes élèves, assis autour du
marabout professeur, épellent et récitent les versets écrits sur
une petite planchette à cet usage.

Après la classe, les jeunes talibés se dispersent dans le village
où ils vont implorer la charité des habitants. Le produit des
aumônes recueillies sert à leur nourriture et à celle de leur
maître d’école.

Les talibés qui ont une connaissance assez approfondie du livre
saint peuvent être quelquefois consultés, mais leurs jugements ne
portent jamais que sur des procès de peu d’importance. Ce sont,
pour ainsi dire, des juges de paix.

Les cadis forment le tribunal de première instance et les tamsirs
les tribunaux d’appel. Ils sont aussi chargés de présider la
prière. Les imans président au partage des successions, même de
celles des almamys. Le code suivi au Bondou est le Coran approprié
aux mœurs et à l’esprit des habitants.

La justice ne se fait généralement sentir que dans les cas de
vols ou d’actes contraires aux lois de la pudeur. Tout voleur est
sévèrement puni, suivant la gravité de sa faute, soit de plusieurs
coups de corde, soit de la perte de la main gauche, soit de la perte
totale de ses biens s’il est riche.

Le viol sur une jeune fille vierge est puni de la privation totale des
biens du coupable, si celui-ci est un homme libre. Si, au contraire,
il est captif, c’est la peine de mort. Si la jeune fille a été
consentante, elle entraîne pour cela pour ses père et mère la
perte totale de leurs biens.

L’adultère est puni de mort ou de la perte des biens.

Ces lois sont très rigoureusement exercées et fournissent ainsi
une partie des revenus de l’almamy, à qui reviennent de droit
toutes les amendes.

Les enfants nés d’unions illégitimes sont traités en véritables
parias, et le plus souvent bannis du village et du pays quand ils
sont en âge de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Les mères
coupables peuvent dans la suite contracter union, mais elles ne sont
pas en droit d’exiger de dot.

Les ordres de l’almamy sont strictement exécutés, sous peine
d’une forte amende. Dans le cas où un village contreviendrait à
ses instructions, il serait imposé d’une forte contribution dont
le chef est responsable de sa personne et de ses biens.

Un captif pris en fuite appartient à l’almamy, auquel le
propriétaire est tenu de payer une pièce de guinée pour rentrer
en son bien.

Tout étranger mettant le pied sur le sol du Bondou doit se conformer
aux lois et coutumes de ce pays, dont il serait passible dans le cas
contraire. Ceci n’est plus applicable maintenant aux Européens,
qui ne relèvent absolument que de la justice française.

Il serait trop long de faire ici une étude complète de la religion,
des mœurs et des coutumes du Bondou. Cela nous conduirait, vu la
diversité des peuplades qui l’habitent, à faire un traité complet
d’ethnologie et de sociologie soudaniennes. Nous nous contenterons
de dire que la religion qui y est pratiquée est l’islamisme mitigé
de superstitions grossières. Les mœurs et les coutumes y sont
celles des peuples musulmans de la côte occidentale d’Afrique ;
enfin la famille et la société y sont constituées d’après
les préceptes du Coran appliqués au génie particulier de chaque
race. Dans un ouvrage prochain nous reviendrons plus longuement sur
ces intéressantes questions.

POPULATIONS ACTUELLES DU BONDOU. — Le Bondou est, relativement à
son étendue, très peu peuplé. Il nous est absolument impossible
de donner un chiffre quelconque, même approximatif, de ses habitants.

Cette dépopulation est due à deux causes principales : 1o les
guerres perpétuelles auxquelles, depuis El Hadj-Oumar, il a été en
proie ; 2o les exactions des Sissibés. Hâtons-nous, toutefois, de
dire que depuis que nous avons pris en main la gestion des affaires
bondoukées, il commence sensiblement à se repeupler. La chute de
l’empire toucouleur d’Ahmadou y a puissamment contribué ; car
beaucoup de familles qu’El Hadj-Oumar avait entraînées à sa suite
à Nioro et à Ségou sont revenues dans leur mère-patrie. Enfin les
habitants qui s’étaient réfugiés dans le Niani et le Niocolo pour
échapper à la rapacité des almamys commencent à reconstruire leurs
anciens villages, certains que, sous l’administration française,
leurs biens seront respectés par leurs chefs naturels.

D’une façon générale, on peut dire qu’on trouve dans le Bondou
des représentants de toutes les races du Soudan français. Toutefois,
la race peulhe et les rameaux qui en dérivent y sont de beaucoup en
majorité. Nous ne nous occupons, bien entendu, ici que des peuplades
sédentaires, laissant de côté la population flottante. Sous cette
réserve, on rencontre dans le Bondou des Fadoubés, des Malinkés,
des Bambaras, des Ouolofs, des Sarracolés, des Diakankés, des
Peulhs et des Toucouleurs.

1o _Fadoubés._ — Nous avons parlé plus haut de cette peuplade
à demi sauvage, lorsque nous avons traité de l’ethnographie des
habitants primitifs du Bondou. Nous ne les citons que pour mémoire,
car ils tendent chaque jour davantage à disparaître et se fondent
avec les peuplades environnantes.

2o _Malinkés._ — Ils ont été en partie chassés du Bondou par
la guerre impitoyable que leur ont faite les almamys. Refoulés
vers l’est et vers l’ouest, ils n’y sont plus représentés
que par un petit nombre d’individus disséminés dans quelques
rares villages des bords de la Falémé et du Do-Maïo.

3o _Bambaras._ — Après la destruction du royaume bambara du
Kaarta, quelques Massassis, qui avaient échappé au massacre
ordonné par El Hadj-Oumar, vinrent avec leurs familles et leurs
captifs chercher asile dans le Bondou. Ils y construisirent les deux
villages d’Allahina et de Kidira. Mais, depuis la prise de Nioro par
M. le colonel Archinard et la dislocation de l’empire toucouleur
du sultan Ahmadou, la plupart d’entre eux sont retournés dans
leur mère-patrie, et le jour est proche où il ne restera plus dans
le Bondou qu’un petit nombre de représentants de cet important
rameau de la race mandingue.

4o _Ouolofs._ — Les Ouolofs étaient autrefois assez nombreux dans
le Bondou. Ils formaient de beaux et riches villages. Originaires du
Oualo, du Djoloff, du Cayor et du Saloum, ils y avaient été attirés
par la fertilité du sol et par la protection que leur promettaient
les almamys. Mais leurs beaux lougans, leurs riches greniers et
leurs nombreux troupeaux ne devaient pas manquer d’exciter la
cupidité des Sissibés. Aussi furent-ils toujours pressurés à
outrance. Les exactions dont ils ont toujours été victimes de la
part des chefs du pays les ont poussés à émigrer vers le Ouli,
le Niani et le Sandougou. Les guerres de Boubakar-Saada et celles
de Mahmadou-Lamine ont achevé de les chasser du Bondou. Aussi y
sont-ils actuellement peu nombreux. Ils commencent cependant à
revenir un peu, surtout depuis l’avènement de Malick-Touré et
depuis que nous dirigeons les affaires du pays. On ne saurait trop
faire pour les y attirer de nouveau. Le Ouolof est, en effet, une
race intelligente et surtout la plus laborieuse de toutes celles qui
habitent nos possessions de la Sénégambie et du Soudan. Ce sont,
de plus, d’excellents éleveurs et des agriculteurs consommés.

5o _Sarracolés._ — Les Sarracolés du Bondou sont originaires
du Guoy, du Kaméra, du Guidimakha et du Kaarta. Ils habitent
particulièrement le Ferlo, c’est-à-dire le pays compris entre
Safalou et Kerkité.

Le Sarracolé, comme son nom l’indique d’ailleurs (Sarracolé
veut dire homme blanc), est une des races d’origine blanche qui
habitent l’Afrique occidentale. Du reste, le type sarracolé pur
ne peut laisser aucun doute sur son origine sémitique. Le visage
est, en effet, ovale, les yeux grands, le nez droit et souvent
même aquilin, les lèvres généralement minces ou peu lippues, le
teint moins noir que chez les peuples de race mandingue, les membres
supérieurs n’ont pas enfin cette longueur démesurée qui est la
caractéristique du nègre proprement dit. La femme offre encore plus
prononcés les caractères de la race blanche que l’homme. Le visage
est régulier, le prognathisme insignifiant, le nez petit, nullement
épaté, les cils et les sourcils abondants et bien dessinés. Les
jambes ne présentent pas ce caractère masculin que l’on trouve si
prononcé chez la femme malinkée et la femme bambara. Les cuisses
sont bien faites et les bras bien modelés. Enfin les extrémités
sont d’une finesse remarquable et les attaches élégantes. Le
teint est plutôt fortement bronzé que noir.

Cependant on comprend que, vivant au milieu de populations noires,
le Sarracolé, par suite de croisements multiples, ait dégénéré
et qu’il ait fini par prendre à ses voisins quelques-uns de leurs
caractères anthropologiques. Néanmoins, avec un peu d’habitude,
il est facile de ne pas se méprendre et de distinguer rapidement
un Sarracolé d’un Toucouleur, d’un Ouolof ou d’un Malinké.

Ce qui surtout nous permet de le considérer comme bien supérieur
aux autres races africaines, à part la race peulhe, bien entendu,
c’est son intelligence éveillée, son aptitude toute particulière
pour le commerce et son âpreté au gain. Je ne sais qui a dit
que le Sarracolé était le _juif du Soudan_. Jamais comparaison
ne fut plus exacte. Ce sont, en effet, les Sarracolés qui sont
les colporteurs de l’Afrique occidentale. Chaque année, après
l’hivernage, dès que la saison des pluies est terminée et que
les sentiers sont devenus praticables, ils quittent leurs villages
et de cultivateurs deviennent _dioulas_ (marchands ambulants). Ils
vont à domicile porter aux populations sédentaires tout ce dont
elles peuvent avoir besoin.

Au début de ses opérations, la pacotille du dioula est des plus
modestes : quelques pièces de guinée, du sel, de la poudre, des
pierres à fusil, des fusils de traite, des kolas, de la verroterie,
et voilà tout. Toutes ces marchandises sont soigneusement emballées
et portées par un de ces vaillants petits ânes qui sont le plus
précieux auxiliaire, le compagnon de fortune du dioula. Mais peu à
peu, grâce à son instinct du lucre et à une sévère économie,
sa petite fortune ne tarde pas à augmenter. Avec les bénéfices
qu’il a réalisés, il achète un, deux, puis plusieurs captifs,
et il ne cesse son métier de dioula que lorsqu’il a pu en acquérir
un assez grand nombre pour faire cultiver ses lougans. Il reste alors
dans son village et devient un notable plus ou moins influent. Il a
réalisé son rêve : il est maintenant propriétaire et chef de case.

D’autres Sarracolés, qui n’ont pas un goût aussi vif pour
les pérégrinations ou qui ne possèdent pas les ressources
nécessaires pour la première mise d’une pacotille de dioula,
emploient d’autres moyens pour arriver à cette situation tant
désirée de chef de case.

Dès l’âge de quinze ans ils se rendent à Saint-Louis, dans nos
postes, à nos escales. Là ils accaparent les emplois indigènes les
plus lucratifs, les places les mieux rétribuées, et aussi, autant
que possible, celles qui exigent le travail le moins pénible. La
presque totalité des matelots indigènes, des laptots, qui composent
au Sénégal les équipages de nos avisos et l’armement des
chalands des négociants sont Sarracolés. Les meilleures places
de domestiques, de maîtres d’hôtel, d’employés indigènes
de commerce à Saint-Louis sont occupées par des Sarracolés. En
revanche, on n’en trouve pas un seul parmi les spahis et à plus
forte raison parmi les tirailleurs sénégalais. Le service y est
trop pénible et la solde trop faible.

Dès que, dans ces diverses situations, il a acquis une certaine
aisance, il rentre dans son pays et devient à son tour propriétaire
et chef de case.

Chez lui, le Sarracolé est bon agriculteur. Maître impitoyable,
il exige un travail considérable de ses captifs et sait en tirer
tout le rendement dont ils sont capables. Comme le Peulh, il possède
toujours de grands troupeaux et est un éleveur de première force.

Le peuple sarracolé a eu son heure de puissance et de gloire ;
il formait, paraît-il, il y a quelques siècles, un vaste empire
au cœur du Soudan occidental. Les débris de cet empire sont
aujourd’hui épars sur le continent africain sous les noms de
Soninkés, Markankés, Sarracolés, à l’état tantôt de familles,
tantôt de confédérations plus ou moins importantes. Musulman
convaincu, il est, par suite de sa vie nomade, un des plus fervents
propagateurs de l’islamisme en Sénégambie. Aussi embrassa-t-il
avec enthousiasme la cause de son compatriote Mahmadou-Lamine. Les
plus fidèles talibés de ce faux prophète étaient Sarracolés.

Ceux du Bondou furent des premiers à aller se ranger sous sa
bannière. Le pays qu’ils habitaient est aujourd’hui presque
complètement désert. Mais on peut être certain que quelques
années de paix seulement suffiront pour les y ramener.

6o _Diakankés._ — Les Diakankés, si l’on en croit la légende,
peuvent être considérés comme une des races les plus anciennes du
Soudan. On fait remonter leur origine aux temps les plus reculés. Il
nous a paru curieux de recueillir quelques-unes des opinions qui
ont cours à leur sujet dans le Bondou. On pourra voir, en lisant
les quelques lignes qui suivent, que l’imagination est loin de
faire défaut aux griots et aux marabouts.

Donc, d’après certains griots et marabouts, leur origine
remonterait jusqu’au temps des patriarches. Le tamsir Bodéoul
disait même qu’ils avaient été des captifs d’Abraham, qui leur
aurait donné la liberté peu avant sa mort, et qu’ils auraient
embrassé l’islamisme dès la fondation de cette religion par
Mahomet. D’autres soutiennent qu’ils descendent de captifs de
Moïse ou de Salomon. D’autres enfin prétendent, et ceci serait
plus vraisemblable, que leurs ancêtres auraient été simplement
des captifs de Mahomet ou des califes qui lui ont succédé.

Quoi qu’il en soit, les Diakankés, comme les Sarracolés avec
lesquels il convient de ne pas les confondre, présentent d’une
façon absolument certaine des caractères indiscutables d’une
race sémitique quelconque. Ainsi ils ne sont pas aussi noirs que les
indigènes de race mandingue ou ouolove. De même leurs caractères
anthropologiques se rapprochent sensiblement de ceux de la race
blanche. Nous serions, pour nous, assez tentés de les considérer
comme une race de mélange, analogue à la race toucouleure, mais
chez laquelle l’élément peulh dominerait davantage.

Quant à leur pays d’origine, il est généralement admis
qu’ils sont venus de l’est ; mais d’où ? c’est là le
problème qu’il serait intéressant d’élucider. Tout ce que
l’on sait, c’est qu’avant leur arrivée dans le Mandé ou
Manding ils habitaient, dans le Macina, un village nommé Diaka,
d’où leur est venu le nom de Diakankés (hommes de Diaka) sous
lequel les désignaient les peuplades de races mandingues. Ils
émigrèrent de ce village, on ne sait trop à quelle époque, et
vinrent s’établir dans le Mandé en un endroit qui fut désigné
sous le nom de Diakaba. C’est de ce village que sont sorties
les principales familles diakankées qui habitent le Bondou, le
Dentilia et le Niocolo. Elles ont formé dans le Bondou une petite
agglomération de villages auxquels on donne le nom de Diaka.

Le Diaka est le canton le plus méridional du Bondou. Il confine à
l’est au Tiali, au sud au pays de Gamon et au Tenda, à l’ouest
au Ouli et au Ferlo-Maodo, et au nord au Niéri et au Ferlo-Balignama.

Pendant leur séjour dans le Manding, ils réussirent à convertir
à l’islamisme bon nombre de familles malinkées qui veulent
aujourd’hui se faire passer pour diakankées. Mais on ne saurait
les confondre avec les représentants purs de cette race dont elles
n’ont aucun des caractères anthropologiques, car les croisements
entre ces deux unités ethniques ont toujours été excessivement
rares.

Les principales familles diakankées du Bondou se sont, pour ainsi
dire, conservées absolument pures de tout mélange. En voici les noms
et ce que nous avons pu démêler à leur sujet de plus vraisemblable
au milieu de fables et de légendes plus extraordinaires les unes
que les autres.

1o Les Diaby-Gassama sont les descendants de Mody-Fatouma, qui fut
père de Fodé-Diakoï-Saloum dont les fils habitent Diddé et ses
environs, Bokko, près de Safalou, Diddé-Coutta, près de Bentenani,
et Touba-N’ding, près de Dianna. Mody-Fatouma eut encore deux
fils : Diako-Laye, qui fonda le village de Touba du Fouta-Djallon,
et Fodé-Boulaye, qui fut le fondateur de Dianna dont un des
arrière-petits-fils, Fodé-Ismaïlia, est aujourd’hui le chef.

Durant leur séjour à Diakaba, les Gassama adoptèrent pour
ainsi dire une nombreuse famille malinkée qui prit le nom de
Sambou-Gassama, de celui de son chef Sambou.

Celui-ci avait émigré du Mandé dans le Ouli à la suite du chef
Koly-Tengrela, et était venu s’établir au village de Soutouko,
non loin de Sini. Peu après son installation, arriva à Soutouko
un marabout diakanké, qui se nommait El-Hadj-Fodé-Souaré, qui
convertit sans peine Sambou à l’islamisme. Il lui persuada de
quitter le Ouli, et l’entraîna dans le Diaka, où il fonda le
petit village de Médina-Diaka dont les habitants ne doivent pas,
par conséquent, être considérés comme de purs Diakankés.

La famille des Gassama a dans tout le Bondou une grande
réputation de ferveur religieuse. Elle a donné un grand marabout,
Fodé-Diakoï-Saloum, qui fit trois fois le pèlerinage de La Mecque
et construisit les mosquées de Diddé et de Koussan-Almamy, qui
furent détruites par les bandes d’El-Hadj-Oumar.

2o Les Dibassy-Fadiga sont, après les Gassama, la famille la plus
importante du Diaka. Ils descendent d’un nommé Toullé-Fadiga,
qui vécut dans les temps les plus reculés de la légende. Certains
marabouts prétendent qu’il existait au temps du roi Salomon,
dont il aurait été captif, et que ce dernier l’aurait libéré
après lui avoir fait apprendre l’hébreu.

3o La famille des Diakités n’a peut-être pas une origine aussi
ancienne que les deux précédentes, mais elle jouit chez les
Diakankés d’une grande autorité religieuse et politique, bien
que cependant elle ne soit pas de race absolument pure et qu’elle
soit fortement mâtinée de mandingue. On les désigne encore sous
le nom de Kabalankés, du nom de leur ancêtre Kaba-Mody-Satan,
qui lui-même, dit la légende, descendait d’un nommé Hamdiatou
ou Hamza, oncle de Mahomet. Cet Hamdiatou, nous apprend-on, serait
parti de Médine, près de La Mecque, pour visiter les contrées
du sud et du sud-ouest et les convertir au culte du Coran. Ce fut
ainsi que, de pays en pays, il arriva dans le Mandé, à la cour
du grand roi mandingue Soun-Djatta, qui le reçut fort bien ;
et chaque fois que le marabout pèlerin venait prêcher dans la
cour royale, Soun-Djatta lui faisait remettre en cadeau une petite
baguette d’or. Chaque fois aussi, en retour de ses libéralités,
le marabout faisait toujours des vœux et récitait des prières pour
le bonheur et la prospérité du roi mandingue. Il ne put cependant
pas, malgré tout ce qu’il fit, le convertir à l’islamisme.

A cette époque se trouvait à la cour de Soun-Djatta, parmi les
hommes de sa suite, un courtisan qui ne pouvait pas souffrir le
marabout et qui l’accusait de tromper le souverain. Il ne pouvait
lui pardonner que Soun-Djatta le comblât de cadeaux, et allait
répétant partout que ses prières n’avaient absolument aucune
vertu. Aussi se tenait-il toujours à l’écart, au pied d’un
arbre qui était mort depuis longtemps, et ne répondait-il jamais
aux oraisons du pèlerin.

Un jour le roi, avant de partir pour une dangereuse expédition,
demanda à Hamdiatou de faire une prière solennelle pour la
réussite de son entreprise. Celui-ci adressa alors à Dieu une
invocation telle, disait-il, que Soun-Djatta reviendrait sûrement
vainqueur dans sa capitale et avec un riche butin. Le courtisan ne
put s’empêcher de prendre à partie le marabout à ce sujet en
présence de toute la cour. Il l’invectiva violemment et lui dit,
en terminant : « Marabout, je ne le regarderai jamais que comme un
vil imposteur tant que, par tes prières ou par tout autre moyen,
tu n’auras pas fait pousser des feuilles à cet arbre qui est
mort depuis des années. » Et, ce disant, il frappa vivement
et à plusieurs reprises sur les racines qui lui servaient de
siège. Hamdiatou adressa alors à Dieu une fervente prière, lui
demandant de faire ce miracle pour convaincre l’infidèle. En peu de
jours il fut exaucé, et l’arbre se couvrit d’un vert feuillage
qui devait persister toute l’année, une nouvelle feuille devant
remplacer immédiatement celle qui venait de mourir.

Cet arbre fut dès lors appelé Doua-Luigo, ou « arbre de
prière » en langue mandingue, d’où l’on a fait Doubaléhi et
Doubalel. C’est ainsi que ce beau végétal est connu aujourd’hui
des Européens au Soudan.

Le courtisan, convaincu de la puissance du marabout, ne tarda
pas à se convertir à l’islamisme. Il devint le meilleur ami
d’Hamdiatou, et dans la suite lui donna sa propre fille en
mariage. C’est de cette union que naquirent les Diakités. Ils
ne sont donc pas des Diakankés purs, mais plutôt des métis de
Diakankés et de Mandingues.

Les Diakités jouissent chez tous les peuples du Soudan, et
particulièrement chez les Diakankés, d’une grande influence,
tant au point de vue politique qu’au point de vue religieux. Ils
sont considérés comme des descendants de Mahomet, et comme tels
chargés, partout où ils se trouvent, de dire les prières. Ils
jouissent, à ce point de vue, des mêmes faveurs que les chérifs
maures et, comme eux, reçoivent de nombreux cadeaux des fidèles
au nom du prophète de l’Islam.

Les Diakités, ou Kabalankés, ont donné dans le Bondou plusieurs
personnages fameux par leur sainteté et leur profonde connaissance
du Coran. C’est d’abord Fodé-Amar-Kaba, marabout renommé
qui vivait du temps de l’almamy Saada. Il habitait le village
de N’Dioum-Alfakha, dans le Ferlo-Maodo. Il émigra en 1857,
à la suite d’El-Hadj-Oumar, et s’établit à Mongua,
dans le Guidioumé, où il mourut en laissant un fils nommé
Demba-Kaba. Celui-ci était chef du village fondé par son père
lorsque éclata la guerre entre Moriba-Saffré, chef de Paraoual,
et les fils d’El-Hadj-Oumar : Bassirou, de Koniakary, et Mountaga,
de Nioro.

Ne se voyant plus en sûreté dans Mongua, Demba-Kaba alla se
réfugier dans le Nioro, où il s’établit avec toute sa famille
et ses captifs à Kamandapé, où il mourut. Ses descendants habitent
encore ce village.

Signalons également le marabout Fodé-Mahmadou-Iéïlani, qui
habitait le village de Iéïlani, à quelques kilomètres au sud-ouest
de Sanoundi, dans le Diaka. Il quitta ce village vers 1882 et vint
s’établir à Kaparta. C’est de là qu’il émigra en 1886,
durant la guerre contre Mahmadou-Lamine, pour se réfugier dans le
Niani, où il habite encore avec sa famille le village de Kouonko.

4o La famille des Souaré est de date plus récente. Elle reconnaît
comme premier ancêtre un marabout qui avait fait le pèlerinage de
La Mecque et qui, à son retour, fut appelé par ses compatriotes
Fodé-El-Hadj-Sy-Ouaré, d’où on a fait Souaré.

Voici quelle est l’origine de ce diamou (nom de famille) :

En revenant de son pèlerinage de La Mecque, le marabout Fodé
était accompagné de quelques talibés qui avaient fait le voyage
avec lui. Bien entendu, tous ne marchaient pas aussi rapidement, et
il y avait toujours quelques retardataires. Chaque fois que ceux-ci
arrivaient après leur chef dans un village, ils avaient l’habitude
de demander aux habitants si Fodé-El-Hadj n’était pas passé chez
eux ; à quoi ceux-ci répondaient toujours qu’il y avait plusieurs
pèlerins de ce nom qui traversaient tous les jours leur village,
et qu’ils ne savaient pas, par conséquent, lequel les talibés
demandaient. Précisant alors, ils répondaient : « Celui que nous
demandons, c’est Fodé-El-Hadj-Sy-Ouaré, c’est-à-dire Fodé,
le pèlerin qui a un cheval tacheté de blanc. » De là l’origine
du nom de Souaré. Ces Diakankés sont encore des marabouts. Ils
habitent particulièrement le village de Bokolako.

5o La famille des Sylla est également une famille de marabouts. Ils
se sont croisés avec des Sarracolés du Diafounou. Ils ont donné
quelques lettrés fameux dans le Bondou, et, entre autres, le
nommé Fodé-Maram-Birahim, qui vivait à Bani-Israïlia vers 1856
et qui mourut à la suite d’El-Hadj-Oumar dans le Nioro. Son fils,
Fodé-Sékou, était également un profond marabout. Il quitta Bani
en 1886 et émigra dans le Niani pour fuir la colonne française qui
venait de s’emparer de Dianna, et contre laquelle il avait combattu.

Les Diakankés-Sylla habitaient, sur les bords du Niéri-Kô,
les villages de Bani-Israïlia et de Médina-Diaka. Quelques
représentants de cette famille habitent encore Bani, dont ils sont
chefs. Les autres sont dispersés dans le Damentan, le Sandougou,
le Niani, le Fouladougou et le Combo.

Comme son père, Fodé-Sékou enseignait à Bani. Son école était
des plus fréquentées, et il n’avait jamais moins de deux cents
élèves qui lui venaient des pays riverains de la Gambie pour
apprendre l’arabe et étudier le Coran.

6o Les Saouanés ont des liens de parentés avec les Sissibés. En
effet, une cousine de Malick-Sy, nommée Fatouma-Sy, fut mariée
à un de leurs ancêtres. Les enfants qui naquirent de cette union
portèrent le titre de Saouanés tout court, par corruption de celui
de Sy-Saouané, qui ne doit être attribué qu’aux seuls descendants
directs de Malick-Sy. Dans le Bondou, les almamys autorisent,
en effet, parfois des familles peulhs, torodos ou diakankés à
prendre le qualificatif de _Sy_ ou de _Saouané_. Mais celui de
_Sy-Saouané_ ne peut être porté que par les membres de la famille
royale. Quiconque enfreint cette loi est puni par l’almamy d’une
forte amende.

Les descendants de Fatouma-Sy eurent une belle postérité et se
sont considérablement multipliés. Ils forment actuellement deux
branches, celle des Dia-Counda et celle des Saouanés proprement
dits. Les Dia-Counda habitent les villages de Maka-Dégué, près
de Goutta, et de Sarroudji, près de Bokko.

Le nommé Fodé-Mady-Dia, qui était chef de Moka-Dégué et un de
leurs marabouts les plus savants, mourut en 1870, à l’âge de
cent vingt ans.

Les Saouanés proprement dits habitent encore le village de Bokolako.

7o Les Ly se sont croisés avec les Torodos de Goundiourou et habitent
les villages de Médina-Codioly et de Sanoundi.

8o Les Tounkaras, qui sont tous marabouts, habitent Bokolako. On
rencontre encore quelques représentants de cette famille à
Médina-Codioly.

9o Les Dramés sont des métis de Sarracolés et de Diakankés. Ces
Sarracolés, originaires, pour la plupart, du Diafounou, ont peu de
sang diakanké, et usurpent ainsi une nationalité qui n’est pas
la leur.

Les Dramés habitaient autrefois les villages de Safalou, Bagadadié
et Comondougou, près de Safalou. Après la prise de Dianna, en 1886,
ils se sont dispersés, craignant que le colonel Gallieni ne les
châtiât pour s’être ralliés à la cause de Mahmadou-Lamine. Ils
se sont réfugiés dans le Niani, le Fouladougou, le Kantora, le
Sandougou et le Damentan, où ils sont encore.

10o Les Doumbouïa habitaient le village de Goubaïel, sur les bords
du Niéri-Kô. Ils l’ont abandonné pendant la guerre du marabout
Mahmadou-Lamine, et se sont réfugiés dans le Niani, le Sandougou
et le Damentan.

En 1891, quelques-uns d’entre eux sont venus réoccuper Goubaïel,
et j’ai appris que tous les avaient rejoints peu après.

Un des membres de cette famille, le nommé Fodé-Kaba-Doumbouïa,
natif de Goubaïel, devint, vers 1857, chef d’une partie du
N’Ghabou. Ses descendants sont définitivement restés dans ce pays.

Il existe encore dans le Bondou bien d’autres familles de
Diakankés, mais elles sont peu importantes. Citons au hasard : les
Bakaiokos, les Kamaras, les Diaounés, les Haïdia, etc., etc. Toutes
sont plus ou moins mâtinées de sang mandingue ou sarracolé. Celle
des Haïdia se prétend issue d’un chérif maure qui se serait uni
à Diakaba avec une Diakanké. Mais cela n’est nullement prouvé.

Les Diakankés avaient toujours été, jusqu’à l’arrivée
de Mahmadou-Lamine, dévoués, dociles et soumis aux almamys du
Bondou. Aussi avaient-ils moins de charges à supporter que les autres
peuples. Ils payaient bien la dîme des récoltes, comme les autres,
mais ils étaient exemptés du service de la guerre. Ils étaient
chargés de construire les tatas des Sissibés et de les entretenir.

Musulmans fanatiques, ils consacrent à l’étude de l’arabe et
du Coran tout le temps que les travaux des champs leur laissent libre.

Comme ils ont partout dans le pays une grande réputation de ferveur
et de sainteté, ils sont craints et vénérés à la fois par
leurs voisins.

Avant d’entreprendre une expédition, les almamys du Bondou
faisaient appeler les plus renommés d’entre eux pour adresser au
ciel des prières afin que la victoire leur fût favorable.

Les Diakankés sont des cultivateurs et des éleveurs de premier
ordre. Leurs lougans sont toujours très bien entretenus et
leurs villages plus propres et mieux construits que ceux de leurs
voisins. Jamais la famine ne vient les visiter, car ils ont toujours
la prévoyance d’avoir d’abondantes réserves de mil, riz, maïs,
arachides, fonio, etc., etc.

D’après ce que nous venons de dire de leur fanatisme religieux,
on comprendra aisément qu’ils n’aient pas hésité à aller
se ranger sous la bannière du marabout. Mais il faut dire aussi
qu’ils furent des premiers à l’abandonner quand ils eurent
acquis la certitude que ses promesses n’étaient que mensonges et
qu’il ne rêvait que la satisfaction de sa propre ambition.

7o _Peulhs._ — La race peulhe est une race d’origine
sémitique. Ses représentants n’ont rien de commun avec les
noirs. Les caractères anthropologiques se rapprochent tellement de
ceux de la race blanche la plus parfaite que nous n’hésitons pas
à la considérer comme l’échelon intermédiaire le plus parfait
et le plus élevé entre le blanc pur et le noir.

Nous n’avons pas ici à traiter cette importante question. Il
faudrait un volume tout entier pour résumer seulement ce que
l’on sait aujourd’hui du Peulh. Nous ne nous occuperons que des
Peulhs du Bondou. Il y sont relativement peu nombreux et habitent
particulièrement le Tiali et le Do-Maïo. Leurs griots font remonter
leur origine bien avant Mahomet. Ils seraient, d’après eux,
issus d’un descendant de Cham qu’ils nomment Ilo-Falagui.

Les familles des Camanadjios, des Sandaradjios et des Fouladjios
auraient, d’après eux, pour ancêtre Nemrod-Boun-Canana (Nemrod,
fils de Chanaan).

Ces trois familles jouissent dans le Bondou d’une assez mauvaise
réputation. Le tamsir Bodéoul se plaisait souvent à dire qu’il
ne pourrait jamais sortir des Djios des musulmans bien fervents.

Bien que la race peulhe ne soit pas aussi fanatique que la race
toucouleure et particulièrement que les Torodos, elle a cependant
donné des hommes illustres dans l’histoire politique et religieuse
du Soudan. Nous citerons particulièrement Cheickou-Ahmadou-Tidjiania,
le fondateur du royaume du Macina, dont les descendants régnèrent
sur ce pays jusqu’en 1861, époque à laquelle il fut conquis
par El-Hadj-Oumar, qui fit mettre à mort son dernier roi,
Ahmadou-Mahmadou ; Boubakar, le conquérant du Fouta-Djallon,
dont les fils sont encore almamys de ce pays ; Suleyman-M’Bal,
qui fit une guerre acharnée aux Déniankés des bords du Sénégal,
et enfin Abdoul-Kader, qui, de simple marabout, parvint à se faire
élire almamy du Fouta sénégalais et eut avec les souverains du
Bondou des démêlés que nous avons racontés plus haut.

Les principales familles peulhes qui habitent le Bondou sont : les
Irlabés, les Kolébés, les Hamanabés ou Camanadjios, les Foulabés
ou Fouladjios, les Sandarabés ou Sandaradjios, les Ouolarbés,
les Séléyabés, les Yalalbés, les Ourourbés, les Halaïbés,
etc., etc.

Les Hamanabés, les Foulabés et les Sandarabés sont venus du Fouta
sénégalais et s’étaient établis dans le Dô-Maïo (Haut-Bondou)
depuis Tomboura jusqu’à Baledji. Ils conservèrent leurs habitudes
et leurs mœurs, et restèrent complètement étrangers aux mœurs
des Sissibés, sous la domination desquels ils étaient.

Bien avant les guerres intérieures du Bondou, ils avaient formé de
grands villages et avaient réuni des troupeaux considérables. Ils
avaient même parmi eux des hommes influents, qui furent condamnés à
mort de crainte qu’ils ne fissent soulever leurs compatriotes. La
ville de Torogua fut pillée et incendiée par les ordres de
l’almamy Toumané-Mody, ses habitants se croyant assez forts pour
fomenter une émeute contre les Sissibés. Ils sont toujours restés
dans l’obéissance depuis cette époque.

Les Peulhs émigrés du Fouta-Djallon habitent le Tiali, au sud du
Bondou, et une partie du Niéri. Ils ne se sont jamais mélangés avec
les Peulhs du Fouta sénégalais, qu’ils ont toujours méprisés
et regardés comme des hommes sans foi ni loi. De plus, le Peulh
du Fouta-Djallon est de race absolument pure, et il est fier de
son origine, tandis que les autres sont plus ou moins mitigés,
et bien qu’ils se disent Foulbés comme ceux-ci, doivent être
plutôt considérés comme des Toucouleurs.

Les premiers Peulhs du Fouta-Djallon qui émigrèrent dans le Bondou
y vinrent à la suite de Boubou-Malick-Sy, lorsque celui-ci alla y
chercher des troupes pour venir en aide à son père alors en guerre
contre le tunka de Tuabo. Dans la suite, d’autres familles vinrent
se joindre à ce premier noyau, et quand ils furent relativement
nombreux, ils se dispersèrent ; une partie vint habiter le pays
compris entre Sénoudébou et N’Dangan, c’est-à-dire les villages
de Lally, Sittabenta, Bayéga, etc., etc., et l’autre partie se
fixa dans le Tiali et le Niéri.

Les Peulhs du Fouta-Djallon font peu de cas de la guerre. Ils
s’occupent beaucoup plus de la lecture du Coran, de l’agriculture,
du commerce des kolas et de l’élevage des bœufs.

Les Peulhs du Bondou ont toujours été les plus riches du
pays. Aussi les almamys les ont-ils regardés de tout temps comme
leurs pourvoyeurs de mil, riz, maïs et bestiaux. Ils ont été, comme
leurs voisins les Diakankés, plus souvent en butte aux exactions des
Sissibés que les autres peuplades. Malgré cela, ils sont restés
fidèles à leurs maîtres, et le mouvement d’émigration a été
chez eux plus faible que chez les autres.

8o _Toucouleurs._ — La race toucouleure est dérivée de la race
peulhe. C’est peut-être son rameau le plus important. On peut dire
que, chez le Toucouleur, c’est l’élément peulh qui domine ;
mais les croisements y sont si multiples qu’il est bien difficile
d’en faire une histoire anthropologique absolument méthodique. Dans
le Bondou, elle est représentée par les Torodos, c’est-à-dire
par des Toucouleurs originaires du Fouta-Toro.

Nous avons vu plus haut quelle était l’opinion la plus
généralement admise au sujet des origines de ce groupe ethnique,
que caractérise surtout un fanatisme musulman farouche et
démesuré. Mais la légende à leur sujet ne saurait perdre ses
droits dans un pays où elle règne en maîtresse. Voici celle que
racontent volontiers les griots. On verra que, d’après eux, les
Torodos ont des origines absolument sacrées pour les musulmans, et
c’est peut-être beaucoup à cela qu’ils doivent l’autorité
qu’ils ont acquise sur presque tous les peuples du Soudan qui
pratiquent la religion du prophète de l’Islam.

Donc, d’après la tradition, les premiers Torodos seraient les
produits de croisements d’Arabes, de Berbères et de Maures avec
les femmes peulhes et ouoloves qui habitaient jadis le Fouta-Toro,
auxquels seraient venus s’unir dans la suite des familles entières
de Ouolofs, de Peulhs, de Sarracolés et même de Malinkés, qui,
convertis à l’islamisme, se firent également appeler Torodos.

Si l’on en croit les traditions, les Torodos seraient postérieurs
à Mahomet. Mais ce prophète aurait, peu avant sa mort, prédit
que, quelques années après lui, surgirait une race qui parlerait
une langue tout autre que l’arabe et différente de toutes celles
connues jusqu’à ce jour, et que cette race se nommerait Hal-Poular,
mot à mot « parleur de poular ». Cette race, ajoutait-il, devait
naître d’un de ses califes et devait être un des plus fermes
soutiens de l’islamisme. Elle donnerait de grands marabouts et
des rois puissants qui combattraient dans le sentier de Dieu pour
faire disparaître l’injustice de la terre.

Ceci fut même écrit par un calife qui se nommait
Ousman-Boun-Affan. Malheureusement, le travail de ce savant homme sur
les origines des Torodos n’est pas arrivé jusqu’à nous. Tout
ce que savent les marabouts les plus érudits du Soudan occidental,
ou plutôt ce qu’ils prétendent, c’est qu’à l’époque
où la propagande musulmane était la plus active, les armées du
prophète étaient venues jusque dans le Toro, qui était alors
habité par des idolâtres.

Il arriva donc qu’un jour le village de Guédé, qui était alors la
capitale du Toro, fut attaqué par les disciples du prophète ; mais,
malgré tous ses efforts, l’armée musulmane ne put pas s’en
emparer. Elle fut même battue et obligée de battre en retraite
en grand désordre, après avoir laissé beaucoup de cadavres sur
le champ de bataille. Les habitants de Guédé se mirent alors
à leur poursuite. Les fuyards se dispersèrent en emportant leurs
blessés, et l’on dit même qu’un de leurs plus grands marabouts,
Abdoul-El-Dardaye, trop faible pour pouvoir les suivre, fut porté
en civière par ses hommes jusqu’à Boumba, capitale du Lao, où
il mourut et où il fut enseveli en un endroit que l’on montre
encore à l’est du village actuel.

Cependant, dans leur précipitation, les musulmans avaient laissé
au pied des remparts de Guédé un de leurs chefs nommé Oumar
et qui était cousin d’Oumar-Boun-Kadaby, un des lieutenants
de Mahomet. Oumar avait été blessé durant l’assaut, et les
siens, croyant qu’il était mort, l’avaient abandonné ; mais
il n’était qu’évanoui. Il revint à la vie au moment où les
assiégés allaient l’enterrer. Il fut fait prisonnier, porté dans
la ville où on le soigna jusqu’à parfaite guérison. Laissé en
liberté à condition qu’il ne quittât pas Guédé, il s’y maria
avec la fille d’un notable dont il eut trois enfants mâles qui
furent les ancêtres des Torodos. Il nomma le premier Ly, le second
Tal et le troisième N’Dougo. Aujourd’hui ces noms constituent
pour ainsi dire chez les Torodos des titres de noblesse. El Hadj-Oumar
était un Tal. Les descendants d’Ibnou-Morvan, que nous appelons
Sissibés, sont des Sy, et leur noblesse est plus récente que
celle des familles qui portent les qualificatifs précédents, bien
qu’ils soient sur le trône du Bondou. Telle est l’origine que
la légende attribue aux Torodos.

Il existe dans le Bondou un grand nombre de familles torodos. Elles
habitent particulièrement le Nagué-Horé-Bondou, le Lèze-Bondou,
le Lèze-Maïo, le Ferlo-M’Bal, le Ferlo-Balignama, le Ferlo-Niéri
et le Ferlo-Maodo. On peut les diviser en deux groupes, les
Torodos-N’Guénars et les Torodos proprement dits. Les Sissibés
sont de véritables Torodos. Les Torodos-N’Guénars, dont
l’origine est proche de la leur, se mirent d’accord avec eux,
comme nous l’avons vu, et marchèrent avec bonheur à la conquête
des pays voisins.

Malick-Sy, en s’établissant dans le pays, leur avait accordé
certains privilèges qu’ils ont conservés jusqu’à nos jours.

Le Torodo est généralement musulman fanatique. Sa dévotion, ses
connaissances plus ou moins approfondies de l’arabe et du Coran
suffisent pour lui permettre d’aspirer aux plus hautes dignités
dans son pays. Ainsi les Torodos-N’Guénars, qui constituent une
famille dont la science et la religion sont partout respectées,
peuvent contracter mariage avec les filles des familles royales,
et de même un prince du sang peut, sans déroger, s’allier avec
une famille de Torodos-N’Guénars.

Ce sont les Torodos qui, dans les guerres de religion, ont toujours
montré le plus d’enthousiasme et fait preuve du fanatisme le
plus farouche et le plus cruel. Ce sont eux qui ont fourni à El
Hadj-Oumar ses meilleurs soldats, ses talibés les plus fidèles et
ses lieutenants les plus dévoués.

INDUSTRIE, COMMERCE. — Dans le Bondou l’industrie n’existe
qu’à l’état absolument rudimentaire. La plus sérieuse est celle
des tisserands qui y fabriquent les petites bandes d’étoffes de
coton qui, dans le sud, servent de monnaie courante. La production en
est faible, parce que la matière première est peu abondante et fait
souvent défaut. Malgré cela, elle est relativement rémunératrice,
et un bon tisserand travaillant dix ou douze heures peut aisément
gagner environ 2 francs ou 2 fr. 50 par jour. L’unité de monnaie
dans le Diaka, le Tiali et le sud du Niéri est le pagne qui se
compose de deux coudées au carré de ces petites bandes réunies
entre elles. La valeur du pagne est d’environ deux mètres. Elle
varie du reste dans chaque pays et souvent de village à village.

Les charpentiers indigènes se divisent en deux classes : les laobés,
qui fabriquent les mortiers et les pilons à couscouss ainsi que les
calebasses en bois dont se servent les ménagères et les manches
de pioches et de haches des cultivateurs, et les laobés-lana,
qui confectionnent les pirogues.

Les cordonniers forment également deux classes : les alaoubés
ou galâbos, qui sont plutôt des tanneurs, et les garankés, qui
confectionnent les sandales, les selles et les gris-gris.

Les forgerons travaillent le fer et l’or particulièrement. Ils
fabriquent les pioches, les haches et les bijoux dont les élégantes
Toucouleures sont si friandes. Ces bijoux sont loin d’être aussi
primitifs qu’on pourrait le croire, et nous en avons vu qui ne
seraient déplacés dans les vitrines d’aucun de nos joailliers
français.

Mais, quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire qu’il existe
dans le Bondou une industrie quelconque qui mérite absolument ce
nom. La production est des plus primitives et limitée aux besoins
de la population qui est loin d’être assez dense pour permettre
un écoulement rémunérateur.

Quant au commerce, il n’y est absolument qu’à l’état
embryonnaire. Quelques rares dioulas (marchands ambulants) visitent
de temps en temps les villages avec une mince pacotille qu’ils
échangent généralement contre de l’or ou contre l’argent
monnayé que nous répandons dans le pays. On comprend aisément que
l’état de guerres perpétuelles, dans lequel a vécu le Bondou
depuis des siècles, n’a pas permis aux transactions commerciales de
s’y développer. S’il a pu inscrire dans son histoire de belles
pages militaires, il est resté absolument retardataire au point de
vue commercial. Sous ce rapport, il est peut-être le pays le plus
déshérité du Soudan.

CONCLUSIONS. — Nous venons de voir ce qu’a été et ce qu’est
encore le Bondou. Que pourra-t-il être dans l’avenir, et quels
avantages pourrons-nous en tirer ? Un pays ne vaut, à notre avis,
que par ses richesses minières et agricoles et qu’autant qu’il
possède une population relativement dense. Dans l’état actuel
des choses, on ne peut songer à exploiter le fer et l’or dans le
Bondou. Nous avons suffisamment démontré dans le cours de ce travail
que ces deux industries ne pourront pas de longtemps y donner des
résultats satisfaisants et rémunérateurs. Quant à la production
agricole, il en est tout autrement. Il existe dans tout le pays de
vastes étendues de terrains qui pourraient être utilement mises
en valeur. Le mil, le maïs, l’arachide, l’indigo et le tabac y
prospèrent à merveille et y donnent un rendement considérable. Mais
il faut des bras pour cultiver et le Bondou est absolument dépeuplé
aujourd’hui. Il convient donc d’assurer son repeuplement rapide,
et pour cela le moyen le plus efficace est de mettre un terme à
ces guerres néfastes dont les résultats jusqu’à ce jour n’ont
été que d’entraver le développement de la fortune publique. Une
bonne administration y est indispensable, et il convient de veiller
à ce que les populations ne soient plus pressurées par les chefs de
différents degrés qui les commandent. Si, enfin, on peut arriver
à lui ouvrir des débouchés soit sur le Sénégal, soit sur la
partie navigable du cours de la Falémé, on pourra espérer que le
commerce s’y développera dans une certaine mesure. Ce commerce
ne sera jamais qu’un commerce d’échange. L’Européen pourra
s’y livrer, mais il lui sera toujours interdit, sous ce climat
meurtrier, de s’adonner à une exploitation agricole quelconque
autrement que pour la diriger.

                                            Dr RANÇON,
                               _Médecin de 1re classe des Colonies._




NOTES :


[Note 1 : L’expression _Kô_ que, dans le cours de cette
description, on trouvera ajoutée au nom des marigots signifie en
langue mandingue : marigot. On ne l’ajoute pas aux noms des fleuves
et des rivières.]




Note du transcripteur :


  Page 437, " les régions Boudounkées " a été remplacé par
  " Bondounkées "

  Page 438, " ellle arrose avant " a été remplacé par " elle "

  Page 447, " passe à Deudoudi " a été remplacé par " Dendoudi "

  Page 456, " Kéniéba on donné " a été remplacé par " ont "

  Page 462, " une varité de reptile " a été remplacé par " variété "

  Page 466, " l’on désigne sour le nom " a été remplacé par " sous "

  Page 484, " village de Mixanguikou " a été remplacé par
  " Miranguikou "

  Page 484, " Il songa alors " a été remplacé par " songea "

  Page 500, " SAMBA-TOUMANÉ (1784) " a été remplacé par " 1764 "

  Page 503, " Silman-Moladion s’enfuit " a été remplacé par
  " Silman-Moladiou "

  Page 508, " par les Boudounkés " a été remplacé par " Bondounkés "

  Page 515, " compoir à Sénoudébou " a été remplacé par " comptoir "

  Page 543, " au moins de mars " a été remplacé par " mois "

  Page 548, " bien s’en em-emparer " a été remplacé par " emparer "

  Page 578, " Boulébané qni commandait " a été remplacé par " qui "

  Page 591, " Le vilage fut " a été remplacé par " village "

  Page 598, " des cavaliers boudounkés " a été remplacé par
  " bondounkés "

  Page 603, " Il n’osa j’amais " a été remplacé par " jamais "

  Page 617, " qui rêva un moment fortune " a été remplacé par
  " qui rêva un moment la fortune "

  Page 637, " si Fadé-El-Hadj n’était " a été remplacé par
  " Fodé-El-Hadj "

  De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et
  d’orthographe ont été apportés.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BONDOU: ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE ET D'HISTOIRE SOUDANIENNES ***


    

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